JEUDI, 2 mars 1865.
—Mon intention en me levant maintenant
n'est pas d'entretenir cette hon. chambre
pendant longtemps, ni de discuter les mérites
de la question qui nous est soumise. Je ne
veux qu'expliqner les motifs du vote que je
me propose de donner sur cette question, et
le faire en aussi peu de mots que possible.
Je dois avouer de suite que lorsque je suis
arrivé à Québec, au commencement de la
session, j'étais opposé au plan de confédération, et que j'y étais tellement opposé
que
j'en étais venu à la détermination de voter
contre. Mais après avoir sérieusement examiné la question, les explications que j'ai
entendu donner sur le projet du gouvernement m'ont, sinon convaincu que j'avais tort.,
du moins que je ne devais pas le repousser
uniquement parce qu'il ne rencontrait pas
absolument toutes mes opinions. Après
avoir entendu la discussion et les explications des membres du gouvernement, j'ai
compris que ce projet était un compromis
et qu'il ne pouvait par conséquent rencontrer
les idées de chacun de nous, pas même celles
des messieurs qui l'ont adopté. Je conçois
que ceux qui sont opposés à toute confédération et qui préfèreraient la représentation
basée sur la population, ou l'annexion du
Canada aux Etats-Unis, peuvent s'opposer
au projet du gouvernemeut et le repousser;
mans quant à ceux qui, comme moi, n'y sont
pas opposés quand même,—et qui en sentent
la nécessité dans les circonstances actuelles,
et qui comprennent en même temps les
avantages qui peuvent en résulter pour le
pays,—je crois qu'ils ne doivent pas, qu'ils ne
peuvent pas le repousser seulement parce que
certains détails ne sont pas parfaitement
conformes à toutes leurs idées; car, avant
tout, nous devons nous demander si des
changements constitutionnels sont nécessaires, et je crois que chacun devra dire que
oui. D'ailleurs, les chefs politiques des deux
partis qui divisent cette chambre en ont
parfaitement reconnu la nécessité. Il ne
s'agit donc maintenant que de savoir quels
changements il faut faire. Les membres de
l'administration actuelle ont résolu cette
question en proposant la confédération de
toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord. Ils se sont entendus avec
nos sœurs-provinces, et viennent aujourd'hui
avec leur plan de confédération. Il ne s'agit
pas de savoir si les détails de ce plan s'accordent parfaitement et en tous points
avec
nos idées particulières, mais si le changement est nécessaire et si le plan reposé
est
bon et acceptable dans son ensemble; — car
le plan étant un compromis entre diverses
parties dont les intérêts sont diférents, le
gouvernement qui le propose doit se tenir
reponsable de ses détails et de tout ce qu'il
contient. Un amendement fait à ce projet
serait en réalité un vote de non-confiance
dans le gouvernement, et par conséquent il
nous faut adopter ce projet tel qu'il est
ou voter non-confiance dans l'administration
actuelle. Or, je ne suis pas prêt, pour ma
part, à voter non-confiance dans les hommes
du pouvoir. Pour me décider à le faire, il
faudrait que je visse chez ceux qui les
opposent plus de garanties qu'ils n'en offrent
pour les intérêts du pays; il faudrait que
j'en trouverais plus chez eux que chez ceux
qu'ils opposent. Jusqu'ici je ne crois pas
qu'ils aient offert, ni qu'ils offrent ces garanties. Au contraire, si l'on doit les
juger par
leurs actes antérieurs, si on doit les juger
par leur passé, il faut convenir que nous ne
pouvons pas leur accorder notre confiance,
et qu'ils ont montré une grande incapacité à
gouverner et à administrer les affaires du
pays. Lorsqu'ils étaient au pouvoir, ils
n'avaient pas de politique arrêtée, ils ne
pouvaient résoudre aucune grande question,
mais ils vivaient au jour le jour. Leurs
actes administratifs étaient marqués au coin
de ]. vengeance et de l'injustice envers leurs
adversaires; ils faisaient des enquêtes, par
550
exemple, contre des employés publics afin
d'avoir un prétexte pour les destituer et faire
place à leurs créatures affamées. Et puis,
d'ailleurs, ont-ils aujourd'hui à nous offrir
un meilleur plan que celui proposé par le
gouvernement? Non! Ils nous offriraient
peut-être la représentation basée sur la population ou l'annexion aux Etats-Unis;
mais
je crois que ce ne sont pas là les remèdes
qui nous conviennent. Sous ces circonstances, je n'hésite pas à déclarer que je
voterai pour le plan de confédération qui
nous est soumis par le gouvernement, bien
qu'il ne rencontre pas toutes mes idées et
qu'il n'offre pas toutes les garanties que j'aimerais à y trouver, et bien que je
ne le croie
pas propre, tel qu'il est, à protéger les intérêts des diverses provinces et assurer
la
stabilité dans le fonctionnement de l'union
que l'on propose. Comme ma position ne
me permet pas d'agir assez fortement sur
l'opinion publique pour forcer le gouvernement à faire à ce plan les modifications
que je croirais nécessaires, je me range avec
les hommes en qui j'ai toujours en confiance
et avec lesquels j'ai toujours marché, parce
que je me fie à leur honnêteté et à leur
patriotisme. J'aime à croire que sur cette
grande question, qui embrasse d'aussi grands
intérêts et qui affecte notre avenir national
et social, ils ont agi avec le même patriotisme
qui les a toujours guidés par le passé.
(Applaudissements.)
M. BLANCHET—M. l'ORATEUR:—Puisque personne ne veut parler maintenant—
car on dirait que tous les orateurs qui veulent
discuter cette question tiennent à avoir un
nombreux auditoire dans les galeries—je
me permettrai de dire quelques mots. Ceux
qui ont proposé de faire imprimer les débats
de cette chambre dans une publication officielle, n'ont certainement pas rendu service
au pays, car maintenant c'est à qui fera le
plus long discours, et je crois que ce n'est
pas tout-à-fait juste pour la bourse publique.
Chacun ne veut parler qu'à une certaine
heure et devant un certain auditoire; mais
l'histoire parlementaire de l'Angleterre est
là pour montrer que les grands hommes
d'état et les grands orateurs anglais n'y
regardaient pas de si près. Les plus grands
et les plus importants discours ont été prononcés, dans la chambre des communes, à
une heure fort avancée de la nuit: ainsi,
Fox a prononcé son grand discours sur
l'
East India Bill à deux heures du matin,
et PITT a prononcé le sien sur l'abolition de
l'esclavage à quatre heures du matin. On
n'y perdrait pas à parler avant sept heures
et demie du soir. Mais puisque l'hon. député
de Montmorenci (M. CAUCHON) doit parler
à la séance de ce soir, et que je veux aussi
exprimer ma façon de penser sur la question,
je me lève pour le faire.—Cette question de
confédération n'est pas nouvelle; elle a déjà
agité le pays et fait le sujet de discussions
depuis grand nombre d'années, et l'opinion
publique est aujourd'hui parfaitement formée.
Je n'ai pas besoin d'entrer dans les détails
du projet qui nous est soumis, car ils ont été
discutés d'une manière beaucoup plus savante
et beaucoup plus complète que je ne pourrais
le faire, par les membres du gouvernement
et par les hon. membres de l'autre côté de
la chambre. Je n'ai pas besoin de dire que
le territoire que l'on veut confédérer est
presque aussi grand que l'Europe entière; qu'il
contiendra près de quatre millions d'âmes,
et que, avec la confédération, nous deviendrons la quatrième puissance du monde sous
le rapport de la marine marchande. Il suffit
de comparer le chiffre de nos importations
et de nos exportations actuelles avec celles
des Etats-Unis il y a un certain nombre
d'années, pour voir que nous sommes dans
une aussi belle position sous ce rapport qu'ils
l'étaient alors. J'ai à la main un ouvrage
récent écrit par M. BIGELOW, aujourd'hui
chargé d'affaires du gouvernement américain
auprès de celui des Tuileries, qui contient
d'excellentes statistiques sur le commerce,
l'industrie et les ressources des Etats-Unis,
de même que sur la question de la guerre
actuelle en ce pays. Dans le chapitre consacré au commerce, voici ce qu'il dit:
"Après la réorganisation du gouvernement
constitutionnel en 1798, le commerce eut bientôt
atteint de vastes proportions. Le tonnage, qui
en 1792 était de 564,437 tonneaux, était monté
en 1801 au chiffre de 1,032,219; les importations,
évaluées en 1792 à 31,500,000 piastres (157,600,000 francs) étaient de 111,363,511
piastres (556,817,555 francs) en 1801; et les exportations
s'étaient élevées, durant la même période, de 20,753,098 piastres (103,765,490 francs),
à 94,115,925
piastres (470,579,625 francs). En 1807, le tonnage
était de 1,268,548; les importations, de 138,500,000 piastres (692,500,000 francs);
et les exportations, de 108,348,150 piastres (541,716,750 francs).
A cette époque, le commerce américain reçut un
coup dont il fut plusieurs années sans pouvoir se
remettre; les ordonnances du parlement anglais,
suivies des décrets de NAPOLÉON, datés de Berlin
et de Milan, et de l'acte d'embargo de 1807, produisirent dans les affaires commerciales
de l'Union
une stagnation profonde, et, quoique le tonnage
n'éprouvât pas d'altération bien sensible pendant
551
les 15 années suivantes, les importations tombèrent en 1808 à la somme de 56,990,000
piastres
(284,950,000 francs), et les exportations à celle de
22,430,960 piastres (112,154,800 francs). La guerre
de 1812 à 1816 fournit de l'emploi à des navires
qui autrement eussent pourri dans les bassins, et
occasiona la construction de quelques corsaires
fins voiliers; mais le commerce du pays continua
de décliner au point qu'en 1814 les importations
ne représentaient plus qu'une valeur de 12,965,000 piastres (64,825,000 francs), et
les exportations 6,927,441 piastres (34,637,205 francs). La
cessation de la guerre ranima l'industrie, et en
1815 les importations atteignirent la somme de
113,041,274 piastres (565,206,370 francs), et s'élevèrent à celle de 147,103,000 piastres
(735,515,000 francs) en 1816: les exportations de ces
deux mêmes années furent de 52,557,753 piastres
(262,788,765 francs), et de 81,905,452 piastres
(409,602,250 francs). Ce chiffre d'importations
excessif, eu égard aux besoins du pays à cette
époque, descendit l'année suivante à 99,250,000
piastres (496,250,000, francs); et à partir de cette
date jusqu'en 1830, l'année 1818 exceptée, le
chiffre moyen des importations ne dépassa pas 78
millions de piastres (390 millions de francs), et
les exportations atteignirent à peu près la même
valeur."
Ainsi donc, l'on voit que la moyenne des
importations ou des exportations ne dépassait
pas $78,000,000 à cette époque. Nous ne
sommes que de quelques années en arrière
des Etats-Unis sous ce rapport.—Je disais, il
y a un instant, que la question de la confédération de toutes les provinces de l'Amérique
Britannique du Nord n'était pas
nouvelle, et, en effet, l'on voit que l'on s'en
est occupé à une époque assez reculée de
l'histoire du pays. Dès 1821, le chef du
parti radical du Haut-Canada. M. W. L.
MACKENZIE, disait qu'il désirait de tous
ces vœux la confédération des provinces
britaniques. Depuis dix ans, surtout, ce
projet a été discuté, et la discussion l'a mis
au nombre des faits positifs, comme il sera
bientôt au nombre des faits accomplis.
(Ecoutez! écoutez!) Il n'y a pas que les
membres de ce côté-ci de la chambre qui
soient en faveur d'une union fédérale,—les
uns sont en faveur d'une confédération de
toutes les provinces, et les autres en faveur
d'une confédération des deux Canadas seulement,—mais tous veulent une union fédérale
quelconque. Lors de la crise de 1858, le
gouvernement BROWN-DORION devait régler
les difficultés de cette époque, et si j'ai bien
compris l'un des membres de ce gouvernement, qui se présentait alors à ses électeurs
pour faire ratifier par eux son acceptation
d'un portefeuille dans ce ministère, le
remède que ce gouvernement proposait était
une union fédérale des deux Canada; mais
il dit aussi que malgré que la politique du
gouvernement, dont il faisait partie, ne fût
pas encore parfaitement définie, il pensait
qu'il devait s'occuper plus tard de la question de la confédération de toutes les
provinces de l'Amérique Britannique du Nord.
Cet honorable membre était l'hon. M.
LEMIEUX, et le comté de Lévis l'élut unanimement alors, après ces déclarations de
sa
part.—A peu près dans le même temps, la
presse s'est occupée de la question, et M. J.
C. TACHÉ, aujourd'hui secrétaire du bureau
de l'agriculture, a écrit un ouvrage presque
prophétique sur la question de la confédération des provinces de l'Amérique Britannique
du Nord. Je n'ai pas besoin de dire que ce
monsieur avait acquis beaucoup d'expérience
par ses voyages et beaucoup de connaissances
par ses études et son travail, et qu'il était
par conséquent parfaitement capable de bien
juger la question. Je dis donc que M.
TACHÉ a écrit un ouvrage assez long, dans
lequel il trace à grands traits l'avenir de la
confédération des provinces; et je demanderai à la chambre de me permettre de citer
quelques lignes de cet ouvrage, et l'on verra
que ce qu'il prédit va bientôt se réaliser:
"Quelles espérances ne peut-on pas fonder sur
l'avenir matériel de cette immense contrée qui
renferme les provinces des deux Canadas, du
Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Ecosse, de
Terreneuve, de l'Ile du Prince-Edouard, les territoires de la Baie d'Hudson et l'Ile
Vancouver;
quand on pense aux richesses d'un sol presque
partout remarquablement fertile (nous exceptons
l'extrême nord), aux ressources qu'offrent à la
colonisation les matériaux que les siècles ont
thésaurisés dans les forêts, aux immenses pêcheries
du golfe, capables par elles-mêmes d'approvisionner le monde entier de poisson des
meilleures
espèces, quand on remarque que tout ce vaste
continent offre, dans ses différentes conformations
géologiques, les richesses minérales des dépôts
les plus précieux, et que dans son sein la nature a
disposé, comme à l'envie, des voies de communication d'une grandeur incroyable. Le
sol fertile
de ces provinces, que traversent dans toute leur
étendue les fleuves St.-Laurent et St.-Jean, ou que
baignent les eaux du golfe ou des grands lacs, les
superbes forêts que parcourent les immenses
rivières Outaouais, St. Maurice et Saguenay, les
mines de cuivre des bords des lacs Supérieur et
Huron, les mines de fer du Bas-Canada, les mines
de charbon de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau- Brunswick, les ports de mer de Québec,
Halifax
et St.-Jean, les dépôts de minerais de tous genres
dans toutes ces provinces, tout cela constitue un
ensemble de moyens qui, si on les suppose mis en
œuvre par une population suffisante, gouvernée
par un système politique fondé sur les veritables
principes d'ordre et de liberté pour tous, rend
552
justifiables les calculs les plus vastes, les prédictions les plus extraordinaires,
eu égard à l'état
actuel des choses."
C'est ce que disait M. TACHÉ à cette
époque. Non content de peindre à grands
traits le fonctionnement général de ce grand
gouvernement, il est entré, dans une autre
partie de son ouvrage, dans des détails qui,
chose étonnante, quoique je ne doute pas
que les membres de la conférence aient lu
son ouvrage,—coïncident avec le plan qui
nous est soumis en ce moment. Ainsi, dans
la distribution des pouvoirs entre les gouvernements locaux et le gouvernement général,
le projet de la conférence est presque mot
pour mot le travail de M. TACHÉ.
L'
HON. A. A. DORION—L'hon. membre
se trompe, car M . TACHÉ donne la souveraineté et les plus grands pouvoirs aux
gouvernements locaux, tandis que le plan du
gouvernement les donne au gouvernement
central.
"Ces pouvoirs du gouvernement fédéral ne
devraient s'exercer dans nos idées que sur les
objets suivants, savoir: Le commerce, comprenant
les lois purement commerciales, comme des lois
sur les banques et autres institutions financières
d'un caractère général, les monnaies, poids et
mesures; les douanes, comprenant l'établissement
d'un tarif uniforme et la collection du revenu qu'il
produit; les grands travaux publics et la navigation, comme canaux, chemins de fer,
lignes télégraphiques, grands travaux des ports, éclairage des
côtes; les postes, dans leur ensemble et leurs détails
intérieurs et extérieurs; la milice, dans l'ensemble
de son organisation. La justice criminelle, comprenant tous les délits qui ne ressortissent
pas aux
tribunaux de police et à la magistrature des juges
de paix. Tout le reste ayant trait aux lois civiles,
à l'éducation, à la charité publique, à l'établissement des terres publiques, à l'agriculture,
et la
police urbaine et rurale, à la voierie, enfin à tout
ce qui a rapport à la vie de famille, si on peut
s'exprimer ainsi, de chaque province, resterait sous
le contrôle exclusif des gouvernements respectifs
de chacune d'elle, comme de droit inhérent, les
pouvoirs du gouvernement fédéral n'étant considérés que comme une cession de droits
spécialement designés."
Je considère que par le plan de confédétion actuel, les législatures locales sont
souveraines à l'égard des pouvoirs qui leur sont
attribués, c'est-à-dire à l'égard des affaires
locales. Il va même plus loin, sous ce
rapport, que l'hon. membre pour Hochelaga
ne voulait aller lui-même en 1859, car il
voulait laisser au gouvernement fédéral le
droit de législater sur les lois civiles françaises, etc., du Bas-Canada,—mais comme
ce
gouvernement n'a pas vécu bien longtemps, je
sais que l'hon. membre pour Hochelaga peut
aujourd'hui nier cela.—A peu près vers le
même temps, un autre gouvernement adressait au gouvernement impérial un mémoire
dans lequel il demandait la confédération des
provinces de l'Amérique Britannique du
Nord; mais le gouvernement impérial répondit qu'il n'était pas prêt à se prononcer,
et, comme il n'y avait pas eu entente entre
les provinces, la chose en resta là pour le
moment. Rien ne fut fait ensuite sur la
question jusqu'à l'année dernière,—jusqu'à
la crise que chacun connait parfaitement.
Différents gouvernements avaient été renversés, et le pays était déjà fatigué de cet
état de choses, lorsque l'hon. député d'Hochelaga proposa sa motion de censure contre
le gouvernement, à propos de l'affaire des
$100,000, et le gouvernement d'alors se
trouvant en minorité, il dut chercher un
remède à cet état de choses, et le résultat
fut la coalition, la conférence de Québec et
enfin le plan de confédération, bien qu'il ne
veuille pas reconnaître aujourd'hui son
enfant—(écoutez! écoutez!)—ce qui le
dispense de reconnaissance. (Ecoutez!) Je
ne veux pas traiter la question de la confédération au point de vue commercial, ni
au
point de vue financier, ni au point de vue
politique, car elle a été habilement traitée à
ces différents égards par ceux qui m'ont
précédé. Je me contenterai d'en dire
quelques mots au point de vue de la défense.
Tout le monde reconnait que pour bien
défendre un pays, il tout qu'il y ait unité
d'action, uniformité de plan, et combinaison
de moyens de défense. Sans uniformité,
sans unité, il est impossible de tenter une
défense sérieuse en cas d'attaque, et le pays
divisé devient une proie facile pour l'ennemi. Cela est tellement le cas, que l'histoire
nous montre que les nations faibles se sont
toujours unies entre elles, se sont toujours
coalisées, lorsqu'elles étaient attaquées ou
qu'elles craignaient d'être attaquées par un
ennemi puissant. Les colonies de l'Amérique
du Nord l'ont fait en 1775, lorsqu'elles ont
voulu résister à la mère-patrie. Elles se
sont organisées en confédération, et c'est de
cette manière qu'elles ont pu résister à ce
qu'elles considéraient comme étant une
oppression de la part de l'Angleterre. Si
ces colonies, au lieu de s'organiser comme
elles l'ont fait, eussent eu chacune un
système de défense différent, s'il n'y eût pas
eu d'uniformité dans leur tactique, l'Angle
553
terre aurait en bon marché d'elles. Et croit- on que si elles ne s'étaient pas réunies
entre
elles de manière à avoir une certaine force,
elles auraient obtenu l'alliance et les secours
de la France?—Quand une puissance faible
est attaquée par un ennemi puissant, elle
doit chercher à s'allier à. d'autres états dont
les intérêts sont communs avec les siens, afin
qu'ils puissent faire une défense commune.
Pour nous, si nous voulons aider la mère- patrie a résister avec efficacité aux envahissements
du peuple américain, nous devons
avoir l'unité du commandement, afin de pouvoir faire partir la milice du centre et
la faire
rayonner vers la circonférence. (Ecoutez!)
Dans un cas de guerre avec nos voisins, il
nous faudrait nécessairement, par la force
même des choses, nous réunir aux autres
provinces. Cela étant, pourquoi ne pas le
faire maintenant, en temps de paix, pendant
que nous avons le temps d'y apporter le
calme et la réflexion nécessaires? La confédération est le seul moyen de résister
aux
tentatives d'envahissement de nos voisins.
Le système fédéral est l'état normal des
populations américaines—car il y a bien peu
de nations américaines qui n'aient pas un
système politique de cette nature;— le
système fédéral est un état de transition
qui permet aux différentes races qui habitent
le même point du globe de se réunir pour
arriver à l'unité et à l'homogénéité nationale.
L'Espagne, la Belgique, la France, et plusieurs autres pays de l'Europe étaient
autrefois peuplés de races différentes qui
formaient autant de peuples divers; mais
ils se sont réunis, ils se sont confédérés, et
la suite des siècles a amalgamé tous ces
peuples pour en faire ce qu'on les voit
aujourd'hui,—pour en faire tout ce qu'il y a
de beau, de noble et de grand dans le monde
entier. Quand le système fédéral a été mis
en pratique d'une manière éclairée, il a
toujours suffi à ceux qui l'avaient adopté.
Un membre de cette chambre a cité la Grèce
pour faire voir que ce système était fatal
aux nations qui l'adoptaient; mais il devait
savoir que la décadence de la Grèce n'a
commencé que du moment qu'elle a abandonné le système fédéral. L'hon. membre
pour l otbinière a cherché à prouver que les
confédérations étaient la source de toutes
sortes de désordres, et il nous a lu à l'appui
de ce qu'il disait la table des matières de
l'histoire des républiques de l'Amérique du
Sud, dans laquelle il a trouvé une longue
liste d'échautfourées, de mouvements, d'agi
tations, de soulèvements, de guerres civiles
et de révolutions. Je ne veux pas contester
les faits cités par cet hon. membre; mais je
dois dire que ses conclusions ne sont pas
correctes,—et que l'on ne doit pas tirer de
conclusions contre un système de gouvernement d'après la simple lecture de la table
des matières d'un ouvrage quelconque.
L'histoire de tous les peuples nous offre des
tables de matières qui, si elles étaient prises
comme indiquant l'état normal et habituel
d'un peuple, nous feraient commettre de
singulières conclusions historiques. L'histoire actuelle de l'Angleterre même, l'histoire
du règne de Sa Majesté la reine VICTORIA, pourrait offrir à celui qui voudrait
en juger seulement par la table des matières,
des faits propres à faire croire à la désorganisation complète de l'empire britannique,—
car il y trouverait l'indication de la guerre
de la Chine, les diverses insurrections de
l'Irlande, la guerre de Russie, la rébellion
des Cipayes, et un grand nombre d'autres;—
mais tout cela ne prouverait rien contre la
prospérité de l'empire sous le règne de Sa
Majesté. (Ecoutez!) Mais sans m'arrêter à
la réponse que l'on peut faire à ce mode de
raisonnement, je dis qu'il ne s'en suit pas
que le système fédéral soit impossible, parce
qu'il n'a pas réussi chez certains peuples qui
n'étaient pas mûrs pour ce système Une
même constitution ne convient pas à tous les
peuples également; et les constitutions sont
faites pour les peuples et non pas les peuples
pour les constitutions. Quand un peuple
est suffisamment éclairé et suffisamment
instruit et civilisé, on peut lui donner une
constitution qui assure sa liberté; mais il
faut attendre qu'il soit en état de l'apprécier
et d'en jouir. Pour un peuple qui n'est pas
éclairé, une constitution libre est entre ses
mains comme une arme tranchante entre les
mains d'un enfant: c'est un instrument dangereux avec lequel il ne peut que se blesser.
De plus, certaines formes de gouvernement
conviennent mieux que d'autres à certains
peuples. Ainsi, essayer de donner la constitution anglaise au peuple français, serait
commettre une grande erreur, car le peule français n'est pas fait pour le jeu des
institutions
politiques de l'Angleterre; de même essayez
de donner au peuple anglais la constitution
française, et le peuple anglais se révoltera.
Avant de donner une constitution i un
peuple, il faut lui enseigner les moyens de
s'en servir. On ne peut pas dire qu une
table des matières n'est pas de l'histoire,
554
mais ce n'est certainement pas la qu'il faut
chercher la philosophie de l'histoire. Supposons que quelqu'un veuille lire l'histoire
de
l'Empire Céleste, et que, prenant un livre,
il trouve dans la table des matières qu'à
une certaine époque il y a eu une terrible
bataille entre les bons et les mauvais anges,
il se dira, d'après le raisonnement du député
de Lotbinière: voici un pays qui ne doit
pas avoir un bon gouvernement, et il ne fait
pas ben d'y vivre. Quand l'on tire des conclusions historiques d'une table des matières,
c'est que l'on ne tire pas beaucoup de fruit de
ses études. (Ecoutez 1) Ceux qui opposent
aujourd'hui la confédération ne s'entendent
pas entre eux sur leurs moyens d'attaque. pas
plus que sur les remèdes à apporter aux
difficultés dans lesquelles nous nous trouvons
placés. L'hon. député d'Hochelaga (M.
DORION) est en faveur de la confédération
des deux Canadas, et l'hon. député de Lotbinière (M. JOLY) est contre toute confédération.
Ils ne s'entendent pas même sur les
raisons de leur opposition; les uns sont
opposés au plan de confédération parce qu'il
donne trop au Bas-Canada, les autres parce
qu'il accorde trop au Haut-Canada. Cependant la confédération ne peut être mauvaise
pour tout le monde, et, pour ma part, je
pense que chacun peut y trouver quelque
chose de bon, pourvu que l'on soit raisonnable. Si l'hon. député d'Hochelaga était
appelé à régler les difficultés dans lesquelles
le pays se trouve aujourd'hui placé, je suis
convaincu qu'il n'offrirait pas d'autre moyen
qu'un plan de confédération quelconque; et
s'il ne réussissait pas avec un plan de confédération des deux Canadas, il essaierait
le
plan plus vaste de la grande confédération
de toutes les provinces. Il y a bien, il est
vrai, un autre remède qui conviendrait sans
doute mieux à certains membres,—l'annexion
aux États-Unis; mais, pour ma part, j'y suis
absolument opposé, et je suis prêt à la combattre par tous les moyens, et à prendre
les
armes s'il le faut pour y résister. Si jamais
nous sommes attaqués par les États-Unis,
je serai toujours prêt a prendre les armes
pour repousser l'invasion du pays. (Ecoutez!
écoutez!) Un grand cri que l'on fait
retentir contre la confédération, est celui
de la taxe directe. On dit qu'elle devra
nécessairement amener la taxe directe. Pour
ma part, je pense que l'hon. ministre des
finances (M. (GALT) a prouvé d'une manière
évidente que nous n'aurions pas besoin d'y
avoir recours. Mais même en supposant que
cela serait, nous n'en serions pas plus mal
qu'avec les messieurs de l'autre côté au pouvoir, car l'on sait parfaitement que le
système
de l'hon. député de Châteauguay est d'établir la taxe directe: nous n'aurions donc
pas besoin, avec eux, d'attendre la confédération pour l'avoir. (Ecoutez! écoutez!)
Les hon. députés de l'autre côté de la chambre
ont aussi trouvé à redire de ce que le discours
du trône mentionnait la paix et la prospérité
générale du pays. "Voyez donc, disent- ils, le discours du trône dit que le commerce
est prospère, que le peuple est heureux et
satisfait, que les récoltes sont magnifiques,
et qu'il existe une grande prospérité et un
grand contentement partout; et, cependant,
on propose des changements constitutionnels
afin de calmer le mécontement du peuple
et l'agitation du pays." Eh bien! supposons
que ces messieurs aient raison,—car il est
vrai que l'année n'a pas été très bonne au
point de vue des affaires, et cela est tout
naturel dans l'état de crise où se trouve
aujourd'hui l'Amérique, et l'on ne peut
guère s'attendre à autre chose,—néanmoins,
il n'en est pas moins vrai que nous sommes
dans un temps de calme et de grande prospérité relative, et c'est justement à présent,
pendant que nous sommes tranquilles et que
nous pouvons le faire en toute liberté, que
nous devons adopter les moyens de régler
nos difficultés intérieures. Ce n'est pas
dans un temps de trouble ou de guerre
civile que nous pourrons le faire, et nous
devons par conséquent profiter de l'occasion
qui nous est offerte aujourd'hui. Une constitution ne peut pas durer si elle n'est
élaborée avec le soin, le calme et la délibération que l'on ne peut y apporter qu'en
temps
de paix. Aujourd'hui, nous sommes en paix
avec nos voisins, nos amis ont une grande
majorité, la question est connue du pays et
étudiée de uis plusieurs mois, et notre
devoir est de faire maintenant ce que nous
ne pourrions pas faire en temps de trouble.
Nous devons aussi travailler a éclairer l'opinion ublique au sujet de ce plan de confédération,
non pas par des appels à ses préjugés, mais par la discussion franche et
honnête et par des conseils sages et basés
sur la vérité, qui doit toujours nous guider.
Je suis donc disposé à voter en faveur des
résolutions qui nous sont soumises.—Quand
j'ai vu que le gouvernement soumettait ce
plan de confédération, je me suis dit que
nous sortions des langes coloniaux et que
nous allions devenir un peuple,—et je m' at—
555
tendais que la chambre se mettrait à la
hauteur de la question. Quelques-uns des
hon. membres l'ont fait, sans doute; mais
je regrette que beaucoup d'autres n'aient
pas su se placer au-dessus des mesquines
considérations de parti. La question a été
traitée par des hommes d'Etat, au moins de
ce côté-ci de la chambre; mais de l'autre
côté, en en a fait une misérable question de
parti et de taxes.—Avec ces quelques remarques, je termine en disant que je suis
résolu à voter en faveur du projet qui nous
est soumis. (Applaudissements.)
M. BEAUBIEN—M. le PRÉSIDENT:—
Je ne me lève pas pour faire un long discours,
car j'avoue volontiers que j'en suis incapable;
et, d'ailleurs, la question qui nous est soumise a été si bien discutée par ceux qui
m'ont précédé, et qui sont plus en état que
moi de juger de. la position et des besoins du
pays, que le sujet est presque épuisé. Je ne
veux seulement, en me levant en cette occasion, que faire acte de présence aux débats
qui ont lieu sur cette question, et dire en
peu de mots quelles raisons m'engagent à
appuyer cette mesure. La position particulière des colonies de l'Amérique Britannique
du Nord, leur voisinage des Etats-Unis, les
invitent à s'unir entre elles afin de former
une nation plus forte et capable de résister
au choc d'un ennemi, si l'occasion s'en présentait, et d'accroître leur prospérité
au point
de vue matériel. Un fait dont il faut tenir
compte et que je dois mentionner, c'est que
lorsque la France a abandonné ce pays, la
puissance anglaise s'en est emparé, et de ce
moment l'immigration française a complètement cessé pour faire place à l'imnigration
d'une population d'origine étrangère,—d'origine britannique. Depuis cette époque,
la
population anglaise a augmenté de jour en
jour en ce pays, et aujourd'hui les Canadiens- Français se trouvent en minorité dans
le
Canada-Uni. Sous ces circonstances, je crois
qu'il serait imprudent en même temps que peu
généreux de notre part de vouloir empêcher
la majorité de la population du pays d'avoir
des aspirations plus grandes pour la patrie
commune, et désirer l'avancement du pays et
sa marche plus rapide dans la voie du progrès,
tout en cimentant les liens qui nous unissent
à la mère-patrie. J'ai réfléchi sur ces
choses, et quoique je ne sois pas disposé à
accepter une injustice pour mon pays ou mes
nationaux, je suis prêt à faire des compro-
mis avec les autres races. Je considère de
plus que puisque nous sommes satisfaits de
notre position de sujets anglais et de la
constitution dont nous avons le libre exercice, nous devons faire tout en notre pouvoir
pour augmenter l'intérêt de l'Angleterre
pour ses colonies; et, pour ma part, je crois
que le moyen d'y parvenir est d'accepter la
confédération que l'on nous propose. Il n'y
a pas longtemps encore, un certain mécontentement s'est manifesté en Angleterre
parmi une partie de la classe marchande, à
cause de la liberté que nous avions prise
d'imposer des droits élevés sur l'importation
des marchandises anglaises; mais je suis
heureux de dire que le gouvernement anglais
n'a pas partagé ce mécontentement et n'a
pas voulu intervenir. Cependant, ce fait
était de nature à refroidir l'intérêt que
l'on nous portait en Angleterre; mais quand
on y a entendu parler de la confédération,
cet intérêt s'est réveillé et n'a fait que
s'accroître depuis. Si nous voulons intéresser
l'Angleterre à notre sort, il faut resserrer
les liens qui nous unissent à elle, et il faut
le faire au moyen de la confédération qui
nous est proposée, parce que nous sommes
sûrs qu'alors elle emploierait toutes ses forces
à nous défendre si nous étions attaqués.
D'ailleurs, si nous considérons les événements
récents qui se sont passés dans le Sud de
l'Amérique, si l'on réfléchit que la politique
de la France et de l'Angleterre paraît être
l'établissement d'un système d'équilibre de
pouvoirs comme celui qui existe en Europe,
si l'on considère que c'est dans ce but que la
France a établi un empire au Mexique,—il
est évident que l'Angleterre ne peut voir
qu'avec faveur le mouvement qui se fait ici
pour la confédération de toutes ses provinces
de l'Amérique du Nord. Ce n'est donc pas
dans un moment comme celui-ci que l'Angleterre serait disposée à abandonner ses
colonies, comme quelques-uns le prétendent.
Je disais, il y a un instant, que nous ne
devons pas résister aux justes aspirations de
la population anglaise de ce pays, pourvu
qu'elle ne demandent rien d'injuste pour les
Canadiens-Français Si nous commettions
une injustice à son égard, elle se plaindrait
et proposerait un plan de constitution qui
serait une cause d'humiliation pour les
Canadiens-Français, et elle n'aurait plus
d'égards ni de considérations pour nous. Ce
n'est pas là un fait que je constate dans le
but de décourager mes compatriotes, mais
parce que je crois qu'ils doivent en tenir
compte dans la position où nous nous trouvons actuellement. Aujourd'hui, notre posi
556
tion est excellente, nous sommes forts comme
parti, nous avons des hommes à la tête du
pays qui sont dévoués à ses intérêts,—ils en
ont donné la preuve,—ils sont unis d'intérêt
et d'amitié, et surtout nous avons toujours
en confiance en ceux qui ont préparé le
projet de constitution qui nous est soumis. Il
n'est donc pas possible d'avoir une occasion
plus favorable pour opérer des changements
constitutionnels que l'époque où nous nous
trouvons Ces hommes, que l'on peut considérer comme des diplomates habiles vis-à-vis
des autres provinces, veilleront, nous avons
tout lieu de l'espérer, aux intérêts du Bas- Canada, et leur opinion, basée sur la
justice,
prévaudra dans les conseils chargés de rédiger
notre nouvelle constitution. D'ailleurs, ce
que je viens de dire est parfaitement compris par toutes les influences du pays, par
tous les hommes qui forment l'opinion
publique et qui guident le peuple, et qui ont
jusqu'ici réussi à le conduire dans la bonne
voie et à le faire arriver à bon port. Aujourd'hui, ces hommes, ces influences sont
en
faveur du plan actuel et en sentent la nécessité. Mais, d'un autre côté, quelles sont
les
influences qui opposent le plan de confédération dans le Bas-Canada? C'est un parti
qui
existe depuis une quinzaine d'années dans
le Bas-Canada, et qui s'est toujours fait
remarquer par son opposition à toutes les
mesures demandées et appuyées par le parti
qui représente ici la grande majorité du
Bas-Canada. Cette persistance à s'opposer
aux mesures du parti Bas-Canadien tenait
réellement du révolutionnaire,—car c'est le
propre du révolutionnaire de ne pas vouloir
se soumettre à l'opinion de la majorité; c'est
un parti qui, dans d'autres pays, forme les
sociétés secrètes qui bouleversent la société,
—et l'on sait que partout, en Europe comme
en Amérique, ces sociétés secrètes sont composées d'hommes qui s'opposent toujours
à
tout ce qui peut assurer le bonheur et la
paix du peuple.—N'est-il pas vrai que vers
1856 ou 57, il a été offert une place dans le
gouvernement, par l'hon. procureur-général
actuel, aux chefs de ce parti, et qu'à plusieurs reprises la porte leur a été ouverte
parce que l'on croyait qu'ils étaient de bonne
foi? Et, cependant, n'ont-ils pas toujours
refusé l'alliance qu'on leur offrait? Et n'ont ils pas même refusé de donner un appui
cordial à l'administration MACDONALD- SICOTTE, qui était composée d'hommes mi- démocrates
et mi-conservateurs,—et ce, parce
que cette administration n'était pas composée
exclusivement de l'élément démocratique?
M. BEAUBIEN—Il est vrai que le vote
direct qui l'a fait tomber a été donné par
nous, parce qu'il y avait dans cette administration une trop grande quantité de l'élément
dont j'ai parlé, et pour d'autres causes; mais
c'est ce parti-là qui a trahi et donné le coup
de pied à ceux qui l'avaient fait réussir dans
les élections. (Ecoutez! écoutez!) Cela n'est
il pas vrai? Eh bien! cette persistance à
toujours faire de l'opposition à tout, fait voir
que les membres de ce parti étaient mus par
des passions que l'on ne rencontre pas chez
la généralité des hommes.—Le parti conservateur s'est toujours opposé à la représentation
basée sur la population sous l'union actuelle,
parce que sous cette union nous nous trouvons en face d'une population habitant un
pays dont les produits sont différents des
nôtres, et dont les intérêts ne sont pas les
mêmes que les nôtres. Aussi, les a-t-on vu
agiter cette question avec passion. Et l'on a
vu aussi tout le Bas-Canada résister à cette
demande et tout le parti conservateur bien
déterminé à ne pas l'accorder, tandis que
l'autre parti,—le parti de l'opposition,—
donnait des espérances à ceux qui réclamaient
cette mesure et s'alliaient avec eux. C'est
là un fait que l'on ne peut pas nier, car il
existe des documents qui ont été mis devant
la chambre et devant le pays, et qui établissent parfaitement ce fait. Cette cause
de
dissension a toujours existé et existera toujours dans le Haut-Canada, non pas parce
qu'il faut faire subsister tel ou tel parti,
mais parce que la constitution le veut
ainsi, et parce que les intérêts du Haut- Canada ne sont pas les mêmes que les nôtres.
Et si nous ne réglons pas cette question
maintenant, ces dissensions se renouvelleront
bientôt et augmenteront les difficultés Voici
une bonne occasion qui s'offre à nous de les
faire disparaître en nous unissant avec les
provinces inférieures, et je crois que le Bas- Canada ne doit pas la refuser. Avec
la
confédération, les partis politiques qui diviseront les provinces auront besoin d'alliances,
et notre alliance sera recherchée par tous,
en sorte que nous tiendrons en réalité la
balance du pouvoir. D'ailleurs, je dois dire
que je crois que nous n'avons rien à craindre
de ce côté jusqu'à présent, j'ai remarqué
que les intérêts matériels étaient pour beaucoup dans la formation des partis, et
que la
557
conduite des Canadiens-Français à l'égard
de leurs institutions religieuses n'ont jamais
effarouché les habitants de ce pays ayant
une autre origine que la nôtre, lorsqu'ils
trouvaient de leur intérêt à s'allier avec nous;
et je suis convaincu que nous rencontrerons,
dans les mêmes circonstances, les mêmes
dispositions chez les habitants des provinces
d'en-bas. Le plan qui nous est proposé
étant basé sur la justice et l'équité envers
tout le monde, il doit être accepté et appuyé
par tous les partis. Il offre un remède aux
maux dont se plaint le Haut-Canada, tout
en donnant des garanties pour la sauvegarde
des intérêts des autres provinces; et puis- qu'il est fondé sur des bases justes,
vous
verrez surtout chez un peuple comme celui
qui habite ce pays, qui est bien disposé et
qui possède des propriétés et a beaucoup
d'intérêts à ménager, vous verrez, dis-je,
que le sentiment du juste prévaudra et que
chacun cherchera a faire fonctionner la
nouvelle constitution au grand contentement
de tout le monde. Malgré ce qu'on a dit
l'hon. député de Lotbinière, dans un discours
qui a paru tant l'amuser lui-même, la raison
et le bon sens du peuple du Bas-Canada
lui feront comprendre qu'il trouvera des
garanties, dans le projet qui nous est
soumis, pour tous ses intérêts et tout ce
qu'il a de plus cher, et qu'il répondra à
tous ses besoins; et, d'un autre côté, la
raison et le bon sens des populations des
autres provinces les empêcheront de se porter
à des excès et à des actes d'injustice contre
le Bas-Canada s'il se trouvait dans la
minorité et qu`il ne ferait pas l`alliance dont
je viens de parler. D`ailleurs, minorité pour
minorité, j`aime mieux plus me trouver en présence d`une majorité plus grande, mais
moins hostile au Bas-Canada. Aujourd'hui,
sous l'union actuelle, nous nous trouverions à
la merci de la majorité du Haut-Canada, si
elle voulait commettre des injustices à notre
égard; mais, avec la confédération, je crois
que nous aurons d'autres garanties que celles
que nous possédons aujourd'hui contre toute
tentative d'injustice contre nous de la part
du gouvernement fédéral, car la politique de
Angleterre est de donner à ses colonies
autant de contentement que possible. L'hon.
député de Richelieu (M. PERRAULT) nous
a déjà parlé des évènements survenus avant
1837, en nous disant que nous avions tout à
craindre de la part de la race anglaise. L'hon.
membre n'aurait pas dû aller si loin en
arrière; mais il aurait dû se rappeler que
la politique que les circonstances ont imposée à l'Angleterre n'est pas la même du
tout aujourd'hui qu'elle était alors. Croit-on
que l'Angleterre favoriserait aujourd'hui des
entreprises injustes de la part de la population anglaise contre le Bas-Canada? L`on
dira que la nationalité canadienne-française
est trop vivace en ce pays pour qu'on puisse
l'anéantir; mais, pour la sauver, il nous faut
accepter le plan de confédération actuel, car
il protége et garantit tous les intérêts religieux du Bas-Canada, ses institutions
d'éducation, ses terres publiques. en un met tout
ce qui forme la nationalité d'un peuple.
Avec l'administration de nos terres publiques,
nous pourrons attirer l'immigration, retenir
notre population dans le pays, et prospérer
autant que les autres provinces, —et cela
nous est assuré par le plan de confédération.
Tout homme impartial dira que l'on a pris
un grand soin, en rédigeant ce projet de
constitution, pour ménager tous nos intérêts.
ll est permis de croire qu'il offre quelques
inconvénients; mais personne ne peut nier
que c'est le système le plus parfait et le plus
propre à nous rassurer, qu'il était possible
de nous offrir. Tous ceux qui ont parlé du
côté de l'opposition disent que les dépenses
seront extraordinaires, et que les revenus ne
suffiront pas pour soutenir les gouvernements
de la confédération. Mais ils font leurs
calculs en prenant les revenus tels qu'ils sont
aujourd'hui, et ils ne réfléchissent pas que
la dette actuelle de la province a été contractée pour faire les grands travaux publics
que nous possédons, et que ces travaux n'ont
pas encore produit de revenus, mais qu ils en
produiront plus tard. Ces travaux publics
étaient essentiellement nécessaires pour l'exploitation de nos ressources, et si aujourd'hui
l'hon. ministre des finances est en état de
nous présenter un budget qui offre un surplus
de revenus sur nos dépenses. nous pouvons
espérer que dans quelques années les revenus
seront plus que suffisants pour faire face à
toutes les dépenses des différents gouvernements et qu'ils nous permettront même
d'éteindre notre dette. Pour ma part, je
ne pense pas que la dépense soit plus considérable sous la confédération qu'elle ne
l'est
actuellement. Si le gouvernement fédéral
fonctionne bien, nos dépenses seront moins
grandes qu'à présent, car nous verrons disparaitre les factions, les jalousies de
section
et le système des équivalents, qui ont fait
tant de mal à ce pays et qui ont tant gêné la
mucho du gouvernement par le passé. Il
558
est ridicule de croire que le gouvernement
des Canadas pouvait continuer à se maintenir
et à fonctionner avec une majorité de deux
ou trois voix dans cette chambre, comme
nous l'avons vu depuis plusieurs années; car
un gouvernement placé dans ces circonstances
est à la merci de tout membre qui a un
intérêt de localité à servir ou une faveur
particulière à obtenir, et il se trouve forcé
d'accorder des avantages qu'il refuserait s'il
était plus fort. C'est là ce qui a occasionné
les dépenses inutiles; et presque tous les
gouvernements ont été dans cette position.
(Ecoutez! écoutez!) Mais, avec la confédération, nous avons lieu de croire que le
gouvernement fédéral sera généralement
appuyé par une grande majorité, et par
conséquent il ne sera pas obligé de se plier
à toutes les demandes de quelques membres.
Dans les gouvernements locaux, les moyens
que ces gouvernements auront à leur disposition étant limités, ils pratiqueront une
économie qui servira d'exemple au gouvernement fédéral lui-même. Le Bas-Canada,
laissé à lui-même, sera trés-prospère dans
quelques années,—et peut-être le Haut- Canada aussi, —s'il sait modérer ses dépenses;
et je suis convaincu que son gouvernement
local sera un modèle pour le gouvernement
fédéral, car les hommes formés a l'école du
gouvernement local, et qui seront habitués à
pratiquer l'économie, exerceront une influence salutaire sur les membres de la législature
fédérale, auxquels ils communiqueront
et imposeront leurs idées d'économie et de
bon gouvernement. (Ecoutez! écoutez!) Il
est bon que les moyens des gouvernements
locaux soient limités, tout en étant suffisants,
car alors ils sauront qu'ils ne pourront pas
faire de grandes dépenses; et, avec cette
idée, ils adopteront un système économique
parfait. (Ecoutez! écoutez!) Avant de
terminer, je dois rendre justice à la population anglaise du Bas-Canada. Nous avons
toujours marché ensemble comme de bons
amis, chacun reconnaissant vis-à-vis de l'autre
les droits qu'il pouvait réclamer, et chaque
race s'étant toujours fait un devoir de se
rendre aux justes demandes de l'autre. Ces
bons procédés, je l'espère, se continueront
sous la confédération, et maintiendront notre
alliance politique. Pour ma part, je serais
fâché de voir échouer le plan de confédération
actuel, au moins par notre fait, parce que
cela mécontenterait justement la population
anglaise de ce pays, qui la désire et à qui
nous ne devons pas la refuser. L'on sait que
la race anglaise a toujours profité de toutes
les occasions qui se sont offertes d'accroître
la prospérité du pays, et, il est de notre devoir
de la respecter et de ne pas lui refuser ses
justes demandes. (Ecoutez! écoutez!) Avec
ces quelques remarques, M. le PRÉSIDENT,
je terminerai en disant que je supporterai le
plan de confédération actuel, non pas parce
que je me fie entièrement à mes lumières
et à mon propre jugement, mais parce que
je vois à la tête du mouvement les hommes
les plus influents, et que ceux qui représentent
la propriété dans le pays sont favorables à
ce projet. (Ecoutez! écoutez!) Et je suis
convaincu, malgré ce qu'on en dit, que le
pays connaît suffisamment ce projet, et qu'il
en sait maintenant autant qu'il en saura
jamais Dans chaque paroisse, on sait qu'il
existe des hommes qui forment l'opinion
publique, et nous savons que ces hommes
sont en faveur de ce plan,—nous avons ces
influences avec nous, et, pour ma part, je ne
m'occupe guère de l'opinion exprimée par
certaines assemblées publiques qui ont été
faites contre la confédération, ni des requêtes
que l'on a présenté contre le projet—car il
est toujours facile d'obtenir des signatures
aux requêtes,—et, de plus, que l'on compare
les noms apposés à ces requêtes avec les
livres de poll tenus dans les élections, et l'on
verra que ce sont ceux des hommes qui ont
toujours été opposés à tout ce qui a été
proposé par le grand parti national qui a
toujours représenté les intérêts du Bas- Canada. (Applaudissements.)
M. DUFRESNE—(de Montcalm) — M.
l'ORATEUR:—Je ne me lève pas pour parler
sur la question qui est devant la chambre,
mais seulement pour exprimer la surprise
que j'éprouve de voir qu'après six semaines
de discussion, l'opposition prétende que nous
ne voulons pas lui donner le temps de discuter,
et que cependant elle se refuse à le faire
durant les séances de l'après-midi, et qu'elle
ne veuille discuter que le soir. Pour ma
part, je suis prêt à voter immédiatement
sur la question, et je crois qu'elle est parfaitement connue et bien comprise de tous
les
membres. Pourquoi les membres de l'opposition ne veulent-ils pas parler durant les
séances de l'après-midi? Ils parlent pour tuer
le temps plutôt que de discuter sur le mérite
de la question. Pourquoi? Est-ce parce
qu'ils attendent quelques pétitions et quelques
noms de plus pour protester contre la confédération? Mais on sait ce que valent ces
pétitions;—on sait ce que sont les rouges,
559
et l'on sait qu'ils signeront des pétitions
partout et toujours, pourvu que ce soit contre
le gouvernement ou sa politique. L'opposition est aujourd'hui comme ces enfants à
qui l'on refuse un jouet et qui pleurent pour
l'avoir, mais qui ensuite le refusent à leur
tour si on veut le leur donner. La confédération est en réalité le plan de ces messieurs,
et cependant aujourd'hui ils n'en veulent
pas,— ils la repoussent comme quelque chose
d'abominable. Le pays a les yeux sur eux,
et je tiens l'opposition responsable de la perte
de temps que nous subissons aujourd'hui.
Si elle a quelque chose à dire, qu'elle le
dise, mais votons! La conduite qu'elle tient
en ce moment sera appréciée par le pays
comme elle le mérite. (Ecoutez! écoutez!)
A la reprise de la séance—
L'
HON. M. CAUCHON—M. le PRÉSIDENT: —Quand tant de voix éloquentes ont
parlé sur la grande question qui nous occupe
si sérieusement, qui domine la situation, qui
préoccupe tous les esprits et qui remue
jusque dans son sol toute l'Amérique Britannique du Nord, qui encercle, dans son cadre
immense, deux océans et presque la moitié
d'un continent, et qui porte dans ses flancs
les destinées d'un grand peuple et d'un grand
pays; quand l'ensemble des motifs qui
peuvent être donnés pour et contre le projet
ont été si lumineusement produits; quand
moi-même j'ai ailleurs si longuement et si
complètement développé, avec les faibles
moyens que la Providence m'a donnés, les
considérations qui militent pour ou contre
l'ensemble et les détails de l'œuvre de la convention de Québec, j'aurais dû peut-être
rester simple spectateur de ces solennels
débats, en attendant l'heure où il m'aurait
été permis de mettre d'accord mon vote avec
mes convictions. Mais j'ai cru que, comme
l'un des plus anciens représentants du peuple,
après avoir parlé ailleurs, je devais encore
parler dans l'enceinte législative, pour
accomplir à la lettre mon mandat, et pour
obéir à cette voix qui a droit de me commander. Je viens donc, ce soir, apporter
mon faible tribut de réflexions dans l'épreuve
décisive qui s'accomplit.
J'aurais voulu, pour ma part, moins de
questions personnelles, moins d'incriminations et de récriminations, moins d'allusions
au passé; j'aurais voulu, en un mot, que le
débat se fût élevé, de prime abord, à la hauteur même de la question, pour nous permettre
de la juger dans son mérite propre, sans
prendre garde aux noms et aux antécédents
des hommes qui la défendraient ou la combattraient; j'aurais voulu que la conscience
des hommes politiques se fût mise au diapason
de la conscience publique, et que, dans des
circonstances si graves, on eût oublié qu'on
était homme de parti, pour ne plus se souvenir que de son caractère national.
Mais quelques-uns des orateurs n'ont
pas apprécié ainsi les choses; ils n'ont
pas cru que la situation était importante au
point d'exiger le développement des grandes
vertus et des grands sacrifices. L'un s'est
amusé à faire des jeux de mots d'une valeur
douteuse sur la couleur de deux brochures,
et l'autre a consacré plus d'un tiers de son
discours à mettre d'accord sa position actuelle
avec ses antécédents, et les deux autres
tiers presqu'entiers à mettre ses adversaires
en contradiction avec eux-mêmes, sans plus
s'occuper de la question en débat, imitant
le héros troyen chanté par VIRGILE dont
ROUSSEAU nous dit:—
"Pouvait-elle mieux attèndre
De ce pieux voyageur,
Qui, fuyant sa ville en cendre,
Et le fer du Grec vengeur,
Quitta les murs de Pergame,
Tenant son fils par la main,
Sans prendre garde à sa femme,
Qui se perdit en chemin?"
(Rires et écoutez!)
Pour ma part, je dédaigne de défendre
ici mes opinions passées comme mes opinions
actuelles sur la confédération. J'écrivais
avec conviction en 1858, comme j'ai écrit
avec conviction en 1865. Mes deux livres
sont là qui provoquent la discussion et qui
offrent le gant à ceux qui voudront le
ramasser. Il y a tantôt un tiers de siècle
que j'écris, et quand je n'aurais, pour me
recommander à l'attention des publicistes
que le simple titre du plus ancien journaliste
du pays, il me semble qu'on aurait dû, si on
l'avait pu, ne pas me laisser passer sans me
demander raison de mes opinions et de mes
doctrines actuelles. Comment se fait-il donc
que, du milieu de cette presse démocratique
et oppositionniste, pas une voix ne s'est fait
entendre contre le long commentaire du
Journal sur le projet de la convention de
Québec? (Ecoutez!)
Est-ce impuissance? Est-ce que le talent
manque dans cette phalange qui se croit
spécialement née pour éclairer et pour
gouverner le pays?
560
Quand je n'aurais pas écrit sous la forte
pression du devoir, je resterais encore assez
fort des hautes paroles d'approbation désintéressée, qui ont accueilli mon faible
travail,
pour pouvoir supporter sans inconvénient les
picotements et les piqûres d'épingle de l'hon.
député de Lotbinière, et, tout indigne qu'elle
soit, je n'aurai pas honte de placer mon
œuvre en regard, je ne dirai pas du hors- d'œuvre, mais du discours de l'hon. député
qui, qu'il me permette de le dire, aurait dû
choisir un autre sentier pour arriver à la
position d'homme d'Etat à laquelle il paraît
aspirer. (Ecoutez!)
Il est regrettable aussi que l'hon. député
d'Hochelaga se soit presque constamment
tenu, pendant trois heures et demie, dans les
bas-fonds des récriminations personnelles.
Etait-il incapable de s'élever plus haut, ou
est-ce le niveau naturel de son talent et de
ses habitudes?
Il me semble que l'occasion appelait des
débats plus sérieux, des vues plus larges,
des appréciations plus sages et plus profondément pensées, un sentiment plus vrai
de
la situation, plus de vérité dans les faits,
plus d'exactitude, plus de suite et plus de
logique dans les raisonnements. (Ecoutez!)
Mais, au lieu de cela, ce sont des idées
qui se heurtent, des assertions qui s'entrechoquent, des dates qui se jettent réciproquement
le démenti et une histoire tristement
faite et tristement racontée.
Il m'a porté un défi: il faut bien que je
l'accepte avant d'entrer dans l'examen de la
question qui nous est soumise.
Voici ce qu'il disait, l'autre jour:
"Ce discours a été torturé et tourné en tous
sens. Je l'ai vu citer pour prouver que j'étais en
faveur de la représentation basée sur la population pure et simple; je l'ai vu citer
pour prouver
que j'étais en faveur de la confédération des
provinces, et pour prouver beaucoup d'autres
choses, suivant les besoins de l'occasion en de
ceux qui le citaient. [ Ecoutez! et rires.] La
première fois que la question a été mise à une
épreuve pratique, ça été en l858. Lors de la
résignation du gouvernement MACDONALD-CARTIER,
le gouvernement BROWN-DORION fut formé, et il
fut convenu entre ses membres que la question
constitutionnelle devait être abordée et réglée, soit
au moyen d'une confédération des deux Canada,
soit par la représentation basée sur la population
avec des contrepoids et garanties qui assureraient
la foi religieuse, les lois, la langue et les institutions particulières de chaque
section du pays
contre tout empiètement de la part de l'autre. De
prétendus extraits de ce document comme de mon
discours ont été donnés et falsifiés, dans la presse
et ailleurs, pour prouver toute espèce de choses
comme étant mes vues; mais je puis démontrer
clairement que la proposition qu'il contient était
exactement la même que celle qui avait été faite
en 1858, savoir: la confédération des deux provinces, avec une autorité collective
pour la régie
des affaires générales de toutes deux.
"Mes discours ont été paradés dernièrement
dans tous les journaux ministériels,—ils ont été
tronqués, mal traduits et même falsifiés,—afin de
faire croire au public qu'autrefois j'avais des
opinions différentes de celles que j'ai maintenant.
Un journal français a dit que " j'appelais de tous
mes vœux la confédération des provinces." Mais
je dis ici, comme je l'ai dit en 1856, et comme je
l'ai dit en 1861, que j'ai toujours été et que je suis
encore opposé à la confédération. Je vois dans
le Mirror of Parliament, qui contient un rapport
de mon discours,—bien que ce rapport soit très- mauvais,—que j'ai dit en 1861:—" il
peut venir un
temps où il sera nécessaire d'avoir une confédération de toutes les provinces . .
. . . . mais le temps
n'est pas encore arrivé pour un pareil projet."
C'est là le discours que l'on a représenté comme
signifiant que j'appelais la confédération de tous
mes vœux, que rien ne me ferait plus plaisir. Eh
quoi! j'ai dit explicitement que bien qu'il pourrait
arriver un temps où la confédération pourrait être
nécessaire, elle n'était pas désirable dans les
circonstances actuelles!"
Il admet déjà deux des choses dont il a
été accusé: la représentation basée sur la
population avec les contrôles—checks,—les
garanties et les assurances; et la confédération des deux Canadas.
Nous allons voir maintenant si, en étendant
le champ de mes investigations, je ne trouverai pas que l'hon. député d'Hochelaga,
pour me servir d'une expression heureuse
de l'hon. député de Lotbinière, a " élargi,
quelquefois, le cercle de ses opérations constitutionnelles."
Voici ce qu'il disait le 6 juillet 1858; cet
extrait est emprunté au Globe dont il n'a
pas, à cette époque du moins, contesté la
véracité:—
"L'hon. député de Brockville, le maître-général
des postes, et d'autres députés représentant des
comtés bas-canadiens dans le présent parlement,
ont déjà voté pour la représentation basée sur la
population. Avant longtemps il deviendra impossible de résister à la demande du Haut-Canada
à
cet égard. Si la représentation basée sur la population ne lui est pas accordée maintenant,
il
l'obtiendra infailliblement plus tard, mais alors
sans aucunes garanties pour la protection des
Canadiens-Français. Le rappel de l'union, l'union
fédérale, la représentation basée sur la population,
ou quelque autre grand changement doit, de toute
nécessité, avoir lieu, et, pour ma part, je suis disposé à examiner la question de
la représentation
basée sur la population pour voir si elle ne pourrait
pas être concédée avec des garanties pour la
protection de la religion, de la langue et des lois
des Bas-Canadiens. Je suis prêt, pareillement, à
prendre en considération le projet d'une confédération des provinces, lequel laisserait
à chaque
561
section l'administration de ses affaires locales,
comme, par exemple, le pouvoir de décréter ses
prepres lois civiles, municipales et d'éducation, et
au gouvernement général, l'administration des
travaux publics, des terres publiques, du département des postes et du commerce."
Je cite le Mirror, du 3 mai 1860, dont
l'orthodoxie et la véracité sont niées par
l'hon. député d'Hochelaga et ses organes:—
"J'espère, cependant, que le jour viendra où il
sera désirable pour le Canada de s'unir fédérativement avec les provinces inférieures;
mais le
temps n'est pas mûr pour un pareil projet. Et
alors mème que le Canada y serait favorable, les
Provinces maritimes n'aimeraient pas à y entrer
à cause de notre grande dette.
"Quant à l'autorité conjointe (joint authority),
elle devrait. suivant moi, avoir le moins de pouvoir
possible. Mais ceux qui sont en faveur de l'union
fédérale des provinces doivent voir que cette
féderation proposée du Haut et du Bas-Canada,
est le meilleur moyen de créer un noyau autour
duquel pourrait venir plus tard se former la grande
fédération de toutes les provinces."
On trouve de tout dans ce discours de
l'hon. député. C'est un véritable magasin
de bric-à-brac. Aux uns il offre de la dentelle, aux autres de la coutellerie. (On
rit.)
L'
HON. M. CAUCHON—Mon bon ami
le procureur-général l'appelle un
pot-pourri.
Mais, je crois que mon mot de
bric-à-brac
est plus juste et plus caractéristique.
UN DÉPUTÉ — On y trouve de la
musique. (Rires.)
L'
HON. M. CAUCHON — Oui, car sur
ces tablettes, chargées de toute espèce de
marchandises, l'on trouve jusqu'à de la
vieille musique. (Rires.)
Ici, il y a conflit entre les autorités comme
il y en a, relativement aux questions dogmatiques, entre les écrivains protestants
et les
écrivains catholiques; et aussi le Pays
s'exprime-t-il ainsi à lendroit du Mirror of
Parliament:—
"Mais voici le couronnement de l'édifice. Le
rédacteur du Journal a trouvé d'étranges choses
dans le Mirror of Parliament,—publication qui n'a
jamais été contrôlée par aucun comité de la
chambre, et dont l'autorité vaut moins que celle
d'un journal solidement fondé, comme le Globe, le
Herald, le Chronicle ou le Journal de Québec lui- même. Il est notoire que les rapporteurs de ce
Mirror ne se piquaient pas d'une grande exactitude
et qu'on attachait peu d'importance à leurs rapports, si bien que la feuille n'a eu
qu'une existence éphémère."
Sans admetre la justesse des prétentions
de cet organe de l'hon. député d'Hochelaga,
je n'ai pas hésité à le suivre sur le terrain
qu'il a lui-même choisi, et j'ai trouvé ce qui
suit dans le Morning Chronicle du 4 mai,
1860, auquel il me renvoyait pour plus
d'exactitude et de véracité; c'est le même
discours du 3 mai, que je viens de rapporter
du Miror of Parliament:
"M. A. A. Dorion dit que, lorsque le Bas-Canada
avait une population plus considérable que le
Haut, l'on s'y plaignait que la représentation y
était insuffisante. L'union de la Belgique et de la
Hollande, qui était à peu près semblable à celle
qui existe entre le Haut et le Bas-Canada, fut
dissoute quand on trouva qu'elle n'était pas avantageuse aux deux pays. Il cita un
nombre considérable de questions sur lesquelles il était
impossible au Haut et au Bas-Canada de s'entendre, parce que des sujets qui sont populaires
dans une de ces provinces, sont impopulaires dans
l'autre. Il avertit les députés du Bas-Canada
que, quand le temps viendrait, toute la représentation du Haut-Canada s'unirait sur
la question
et obtiendrait la représentation basée sur la population avec l'aide des députés des
townships de
l'Est. Je regarde, dit-il, l'union fédérale du Haut
et du Bas-Canada comme le noyau de la grande
confédération des provinces de l'Amérique du
Nord que j'appelle de mes vœux, (to which he
looked forward). En concluant, je dois dire que
je voterai pour la résolution, parce que c'est le
seul moyen qu'aient les deux provinces de sortir
de leurs difficultés. Je crois que l'union de toutes
les provinces viendra avec le temps."
Et, pour qu'il n'y ait pas de doute sur
l'exactitude de la traduction, à l'exception
d'un mot que je vais expliquer après avoir
lu, je citerai le texte même anglais du
Chronicle:
"Mr. A. A. Dorion argued that when Lower
Canada had the preponderance of population, complaints were made of the inequality
of the representation in that section. The union of Belgium and Holland,
which was somewhat similar to that at present existing
between Upper and Lower Canada, was dissolved
when it was found it did not work advantageously to
both countries. He instanced a number of questions
on which it was impossible for Upper and Lower
Canada to agree; public feeling being quite dissimilar—subjects popular in one section,
being the reverse
in the other. He warned Lower Canada members
that when the time came that the whole of the representatives from the Western portion
of the Province
would be banded together on the question, they would
obtain representation by population, and secure the
assistance of the Eastern Townships' members in so
doing. He regarded a federal union of Upper and
Lower Canada as a nucleus of the great confederation of the North American Provinces
to which all
looked forward. He concluded by saying he would
vote for the resolution as the only mode by which the
two sections of the Province could get out of the
difficulties in which they now are. He thought the
Union ought to be dissolved, and a federal union of
the Provinces would in due time follow."
562
La traduction dit "que j'appelle de mes
vœux" et le texte "to which all looked
forward."
Ainsi, au lieu de rendre le désir de la confédération des provinces personnel à lui,
il
l'avait universalisé. Au lieu de parler pour
lui seul il parlait pour tous, et, comme le
tout comprend la partie, en exprimant la
pensée générale il avait tout naturellement
exprimé sa propre pensée. (Ecoutez!)
Je prends cette occasion pour corriger
cette erreur involontaire de traduction et
pour dire qu'il affirmait alors que non pas lui
seulement, mais tous tournaient les yeux,
du haut de "La Montagne," vers cette terre
promise de la confédération de toutes les
provinces de l'Amérique Britannique du
Nord.
L'HON. député d'Hochelaga n'a-t-il pas
dit, dans son fameux manifeste du 7 novembre 1864:
"L'union que l'on propose me parait prématurée, et si elle n'est pas tout à fait incompatible
avec l'état colonial, elle est du moins sans précédent dans l'histoire des colonies."
Et l'autre jour ici:
"Nécessairement, je ne veux au dire que je
serai toujours opposé à la confédération. La
population peut s'étendre et couvrir les forêts
vierges qui existent aujourd'hui entre les provinces
maritimes et le Canada, et les relations commerciales peuvent s'accroître de manière
à rendre la
confédération désirable."
Ce ne serait donc, dans tous les cas, entre
la majorité de la chambre et l'hon. député
d'Hochelaga, qu'une question de temps et
d'opportunité.
Mais il n'a pas jugé à propos de nous
dire pourquoi la confédération de toutes
les provinces britanniques est aujourd'hui
un crime, un acte anti-national, et serait
plus tard bonne et acceptable pour le Bas- Canada! De même il a gardé le silence
sur les caractères que devrait avoir la confédération pour mériter la sanction de
sa
parole et de son vote.
Toujours condamner, toujours détruire,
jamais édifier voilà la devise de l'hon. député d'Hochelaga et de ceux qui agissent
avec
lui dans cette enceinte! (Ecoutez!)
Ils prennent pour eux la part la plus facile
des sacrifices et du patriotisme; le blâme et
la censure d'autrui. (Ecoutez!)
L'HON. député trouve que l'union qu'on
nous propose, c'est-à-dire la confédération,
est sans précédent dans l'histoire nationale.
Il n'a donc pas lu l'histoire fédérale, à peine
accomplie, des colonies de l'Australie.
Mais s'il est vrai que la confédération de
six colonies est sans précédent dans l'histoire coloniale, voudra-t-il bien nous dire
où
il a trouvé son précédent pour la confédération de deux provinces. (Ecoutez! et rires.)
Pour se tirer d'embarras, cette fois, il ne
niera pas sans doute ce qu'il affirmait si catégoriquement l'autre jour encore. Evidemment,
la logique et la mémoire des faits ne
sont pas les caractères saillants du talent de
l'hon. député. (Rires.)
Puisqu'il tenait tant à constater qu'il a
été, à toutes les époques, pour la confédération des deux Canadas comme alternative
de la représentation basée sur la population,
il me semble, il doit sembler à la chambre
et au pays que nous représentons, qu'il aurait
dû donner les motifs d'une conviction aussi
profonde et aussi persistante. (Ecoutez!)
Pourquoi nous cacher le fruit de tant et
de si sérieuses méditations? Pourquoi, laissant le rôle si facile et si commode de
censeur, ne se révèle-t-il pas comme architecte
d'un édifice politique capable d'abriter et de
protéger, contre les tempêtes du dehors, la
nationalité et les institutions qui la constituent? C'est que, " si la critique est
facile,
l'art est difficile." Cette vérité, énoncée
par un poète, il y a tantôt deux mille ans,
est évidemment de tous les lieux et de toutes
les époques, et elle trouve aujourd'hui spécialement son application dans la personne
de
l'hon. député d'Hochelaga. (Ecoutez!)
"Tempora mutantur et nos mutamur in illis."
Aussi voyez: il nous dit le 16 février
1865:
"La représentation basée sur la population a
été l'une des moindres causes de ce projet."
Et plus loin:
"Mais du moment que le gouvernement s'est vu,
après sa défaite, dans l'obligation ou de résigner
ou d'en appeler au peuple, les messieurs de l'autre
côté de la chambre, sans qu'il y eût la moindre
agitation sur cette question, se préparèrent à
embrasser leur plus violent adversaire, et se dirent
à eux-mêmes: " Nous allons tout arranger; nous
allons oublier nos différends passés, pourvu que
nous conservions nos portefeuilles."
Avait-il donc oublié ce qu'il disait lui- même avec tant d'emphase et, apparemment,
avec tant de conviction, en 1858?
"L'hon. député de Brockville, le maître-général
des postes, l'orateur et d'autres députés représentant des comtés Bas-Canadiens dans
le présent
parlement, ont déjà voté pour la représentation
basée sur la population. Avant longtemps, il
deviendra impossible de résister à la demande du
563
Haut-Canada à cet égard. Si la représentation
basée sur la population ne lui est pas accordée
maintenant, il l'obtiendra infailliblement plus
tard, mais alors sans aucunes garanties pour la
protection des Canadiens-Français."
Avait-il changé d'opinion, en 1859, lors- qu'il écrivait, concurremment avec MM.
DRUMMOND, DESSAULLES et MCGEE?
"C'est avec la conviction bien arrêtée qu'une
crise constitutionnelle inévitable imposait au parti
libéral du Bas-Canada des devoirs proportionnés
à la gravité des circonstances dans lesquelles se
trouvent les affaires du pays, que votre comité
s'est occupé de la tâche dont vous l'avez chargé.
"Il est devenu évident à tous ceux qui, depuis
quelques années, ont donné leur attention aux
événements journaliers, et surtout à ceux qui ont
eu à se mêler activement d'affaires publiques, que
nous arrivons rapidement à un état de choses qui
nécessiterait des modifications dans les rapports
existant entre le Bas et le Haut-Canada; et la
recherche des moyens les plus propres à rencontrer
la difficulté, lorsqu'elle se présenterait, n'a pas
manqué d'être le sujet de la plus sérieuse considération et de fréquentes discussions
dans le
parlement et en dehors.. . . . . . . . . . .
"La proposition de former une confédération
des deux Canadas n'est pas nouvelle. Elle a été
souvent agitée dans le parlement et dans la presse
depuis quelques années. L'exemple des Etats
voisins où l'application du système fédéral a
démontré combien il était propre au gouvernement
d'un immense territoire, habité par des peuples de
différentes origines, croyances, lois et coutumes,
en a sans doute suggéré l'idée; mais ce n'est
qu'en l856 que cette proposition a été énoncée
devant la législature, par l'opposition du Bas- Canada, comme offrant, dans son opinion,
le seul
remède efficace aux abus produits par le système
actuel...
"Le Bas-Canada veut maintenir intacte l'union
actuelles des provinces; s'il ne veut ni consentir
à une dissolution, ni à une confédération, il est
difficile de concevoir sur quelles raisons plausibles
il pourrait se fonder pour refuser la représentation
basée sur la population. Jusqu'à présent, il s'y
est opposé, en alléguant le danger qui pourrait en
résulter pour quelques-unes de ses institutions qui
lui sont les plus chères; mais cette raison ne
serait plus soutenable, s'il repoussait une proposition dont l'effet serait de laisser
à ses habitants
le contrôle absolu de ces mêmes institutions et de
les entourer de la protection la plus efficace qu'il
soit possible d'imaginer, celle qui leur procurerait
les dispositions formelles d'une constitution écrite,
qui ne pourrait être changée sans leur concours.
...
"Il semble donc que la seule alternative qui
s'offre maintenant aux habitants du Bas-Canada
est un choix entre la dissolution pure et simple de
l'Union, ou une confédération d'un côté, et la
représentation basée sur la population de l'autre.
Et, quelqu'opposé que soit le Bas-Canada à la
représentation basée sur la population, n'y a-t-il
pas un danger imminent qu'elle ne lui soit finalement imposée s'il repousse toutes
mesures de
réforme dont lobjet serait de laisser aux autorités
locales de chaque section le contrôle des intérêts
et des institutions qui lui sont propres
"Nous ne devons pas oublier que la même
autorité qui nous a imposé l'acte d'Union, et qui
l'a altéré sans notre consentement, en rappelant
la clause qui exigeait le concours des deux tiers
des membres des deux chambres pour changer la
représentation relative des deux sections, peut
encore intervenir pour nous imposer ce nouveau
changement. . . . . . . . . . . . . . .
"Les douanes, les postes, les lois pour régler le
cours monétaire, les patentes et droit d'auteurs,
les terres publiques, ceux d'entre les travaux
publics qui sont d'un intérêt commun pour toutes
les parties ou pays, devraient être les principaux,
sinon les seuls objets, dont le gouvernement fédéral
aurait le contrôle: tandis que tout ce qui aurait
rapport aux améliorations purement locales, à
l'éducation, à l'administration de la justice, si la
milice, aux lois de la priorité et de police intérieure,
serait déféré aux gouvernements locaux, dont les
pouvoirs, en un mot, s'étendraient à tous les
sujets qui ne seraient pas du ressort du gouvernement général... .
"Votre comité croit qu'il est facile de prouver
que les dépenses absolument nécessaires pour le
soutien du gouvernement fédéral et des divers
gouvernements locaux, ne devraient pas excéder
celles du système actuel, tandis que les énormes
dépenses indirectes que ce dernier système occasionne seraient évitées par le nouveau,—tant
à
raison des restrictions additionnelles que la constitution mettrait à toute dépense
publique, qu'à
cause de la responsabilité plus immédiate des
divers officiers du gouvernement envers le peuple
intéressé à les restreindre.
"La législature fédérale, n'ayant à s'occuper
que d'un petit nombre d'affaires, pourrait, en peu
de temps, chaque année accomplir toute la législature nécessaire; et, comme le nombre
des
membres ne seraient pas considérable, les dépenses
du gouvernement fédéral ne seraient qu'une
fraction du nos dépenses actuelles, qui, ajoutées
au coût des gouvernements locaux, s'ils étaient à
l'instar de ceux des Etats de l'Union qui sont le
mieux et le plus économiquement administrés, ne
pourraient excéder le chiffre du budget actuel.
"Le système que l'on propose ne pourrait aucunement diminuer l'importance de cette
colonie, ni
porter atteinte à son crédit, tandis qu'il offre
l'avantage précieux de pouvoir se prêter à toute
extension territoriale que les circonstances pourraient, par la suite, rendre désirables,
sans troubler
l'économie génèrale de la confédération.
"A. A. DORION,
"LEWIS T. DRUMMOND,
"L. A. DESSAULES,
"THOM. D'ARCY MCGEE."
M. PERRAULT—Je me lève pour une
question d'ordre. Nous avons écouté avec
beaucoup de plaisir l'excellente brochure
que l'hon. député nous lit depuis une demiheure. Je comprends que l'hon. député
ayant écrit en l858 une brochure contre la
confédération, et une en faveur de la confédération en 1856, il sente la nécessité
d'écrire
564
une troisième brochure pour mettre les deux
autres d'accord.
Mais l'hon. député de Montmorency
ayant l'improvisation facile, la chambre,
je le pense, ne devrait pas être plus indulgente pour lui que pour les autres députés
qui sont obligés de parler ayant à rencontrer toutes les difficultés d'une improvisation
toujours difficile. Je demanderai
donc si l'hon. député de Montmorency est
dans l'ordre en lisant de la première à la
dernière ligne son magnifique discours?
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—L'hon.
député n'y voit certainement pas plus cette
fois qu'à l'ordinaire. Je vois bien devant
mon hon. ami, le député de Montmorency,
des notes auxquelles il réfère, mais je n'y
vois pas un discours.
L'HON. député de Richelieu, avec son
génie hors ligne, n'a pas besoin même de
notes pour faire les splendides discours qu'il
nous débite de temps à autre. Je comprends que, pour de pareilles élucubrations,
il n'ait pas besoin de longue préparation.
(On rit.)
L'
HON. M. CAUCHON—Tout le monde
n'a pas le génie de l'hon. député de Richelieu. Je sais aussi qu'il est des gens qui
peuvent parler longtemps, parce qu'ils n'ont
pas toujours la conscience de ce qu'ils
disent. (Rires.)
L'HON. député pourra parler aussi longtemps qu'il le voudra sans craindre que je
l'interrompe, car ses discours ne peuvent
faire de mal qu'à celui qui les prononce.
(On rit).
L'
HON. M. L'ORATEUR—Il n'est pas
exactement dans l'ordre qu'un député lise
son discours d'un bout à l'autre; mais il
peut certainement faire usage de notes quand
il parle.
L'
HON. M. CAUCHON—De tous ces
extraits que je viens de lire, il faut conclure
ou que l'hon. député d'Hochelaga était prêt
à tout sacrifier pour arriver au pouvoir en
1858, ou bien qu'en 1858, comme en 1859,
il était profondément convaincu que rien
moins que la représentation basée sur la
population ou l'union fédérale des deux
Canadas n'était capable d'apaiser l'orage qui
grondait à l'horizon.
Nous y trouvons:
l° Que nous arrivons rapidement à un
état de chose qui nécessitera des modifications dans les rapports entre le Haut et
le
Bas-Canada. .
2° Que la proposition de former une
fédération des deux Canadas n'est pas nouvelle.
3° Que l'exemple des Etats voisins, où
l'application du système fédéral a démontré
combien il était propre à un gouvernement
d'un immense territoire, habité par des
peuples de différentes origines, croyances,
lois et coutumes, en a suggéré l'idée.
4° Que le Bas-Canada n'aurait aucun
motif légitime de repousser la représentation
basée sur la population s'il refusait une
constitution écrite dans laquelle il trouverait
la protection et le contrôle de ses propres
institutions.
5° Qu'il y aurait un danger éminent à
se voir imposer la représentation basée sur
la population si l'on s'obstinait à refuser la
confédération des deux Canadas, et que ceux
qui nous ont imposé l'acte de l'Union,
puisqu'il l'ont altéré à notre détriment,
pourraient bien nous obliger forcément d'accepter la première.
6° Que les douanes, le cours monétaire,
les brevets d'invention, les droits d'auteur,
les terres publiques, les travaux publics,
d'un intérêt commun, devraient se trouver
au nombre des attributs du parlement fédéral.
7° Enfin, que les dépenses du gouvernement fédéral et des gouvernements locaux
ne devraient pas ensemble excéder celles
du système actuel.
Aux extraits que je viens de citer il
faudrait ajouter le suivant, emprunté au
même document:
"Votre comité s'est donc convaincu que soit que
l'on considère les besoins présents vu l'avenir du
pays, la substitution d'un gouvernement purement
fédéral à l'union législative actuelle offre la véritable solution à nos difficultés,
et que cette substitution nous ferait éviter les inconvénients tout en
conservant les avantages que peut avoir l'Union
actuelle."
(Ecoutez! et rires.)
A la même époque, le journal le Pays
déclarait, avec une conviction aussi profonde
que celui dont il est l'organe, que si nous ne
faisions pas de concessions constitutionnelles,
nous ne pourrions pas résister aux flots en
fureur de l'opinion du Haut-Canada, qui
menaçaient de briser la faible digue que leur
opposait l'acte de l'Union de 1840.
L'HON. député d'Hochelaga continua, avec
ses craintes et ses convictions, jusqu'à l'époque où, par un accident fâcheux pour
le
pays, il pût remonter au pouvoir.
Ce n'est donc pas une simple question de
portefeuilles que la position qui nous est fait
aujourd'hui!
565
Nous étions donc arrivés à l'époque des
changements nécessaires dans la constitution. La question de la confédération, sous
une forme quelconque, n'est donc pas nouvelle.
Pour prendre, avec le député d'Hochelaga,
les Etats-Unis pour exemple, je dirai: " Le
système fédéral est propre à un gouvernement d'un immense territoire habité par des
peuples de différentes origines, lois et coutumes," et, conséquemment, plus propre
à la
confédération de toutes les provinces de
l'Amérique Britannique du Nord qu'à celle,
plus petite, du Haut et du Bas-Canada.
Le Bas-Canada, " a moins de vouloir la
représentation basée sur la population, ne
doit pas repousser une constitution écrite
dans laquelle il trouve la protection et le
contrôle de ses propres institutions." (Ecoutez! écoutez!)
Enfin " les dépenses des législatures
et des gouvernements locaux et fédéraux ne
dépasseront pas celles du système actuel."
Suivant le manifeste montréalais de 1859, le
gouvernement et le parlement fédéraux, ayant
peu de chose à faire, devaient coûter peu,
pour laisser une plus large part aux gouvernements et aux législatures des provinces.
Dans le projet de la convention de Québec,
les rôles sont changés et ce sont les législatures locales qui, n'ayant que des choses
locales à accomplir, pratiqueront l'économie
au profit du système général.
Il est donc visible que l'hon. député d'Hochelaga n'est pas plus sorcier que les autres.
Il est plus visible encore qu'il serait moins
hostile au projet s'il procédait de lui, et s'il
était assis à la droite au lieu de l'être à la
gauche de la chambre; car ce n'est, après
tout, qu'une question d'opportunité, du moins
quant au principe.
L'HON. député d'Hochelaga nous a dit
encore:
"Je n'aurais jamais voulu essayer de faire un
changement dans la constitution du pays sans
m'assurer si la population de la section de la
province, que je représentais, était en faveur d'un
pareil changement.
(Ecoutez! écoutez!)
Je ne voudrais pas mettre en doute sa
sincérité; mais n'a-t-il pas dit aussi: " Je
sais que la possession du pouvoir engendre
le despotisme!" (Ecoutez!)
Ne disait-il pas, avant les évènements de
1858, que jamais, au grand jamais, il ne consentirait, s'il était au pouvoir, à gouverner
le
Bas-Canada à l'aide d'une majorité haut
canadienne! Et, cependant, que faisait-il en
1862? (Que faisait-il, quand il remontait au
pouvoir en 1863, après en avoir fait descendre
si loyalement et si sympathiquement son
illustre prédécesseur et chef, M. SICOTTE?
(Ecoutez!)
Ce n'était pas le despotisme, mais l'ambition du pouvoir qui, pour y arriver, lui
faisait
adopter des moyens que je me refuse à qualifier dans ce débat solennel!
Que faisait-il?... Oubliant ses déclarations
de 1858, il gouvernait le Bas-Canada avec
une infime minorité de ses représentants, et
comme, suivant lui, " le pouvoir engendre le
despotisme," il gouvernait avec une verge
de fer dont le radicalisme seul sait user.
Mais, heureusement, ces jours de triste souvenance sont passés et le niveau du sol
politique, qui s'était abaissé par une de ces causes
dont la Providence seule connait le secret,
s'est relevé soudainement pour échapper aux
digues débordantes et rompues de la démagogie se ruant sur la société politique, frémissante
et faisant d'incroyables efforts pour
échapper à la submersion qui la menaçait.
(Mouvement.)
Ce que l'opposition déteste le plus dans le
projet de la convention de Québec, c'est son
caractère monarchique; ce sont ces mots
placés au frontispice de cette œuvre remarquable: (Ecoutez! écoutez!)
"1. Une union fédérale, au sommet de laquelle
serait placée la couronne de la Grande-Bretagne,
serait la chose la plus propre à protéger les
intérêts actuels et à activer, dans l'avenir, la
prospérité de l'Amérique Britannique du Nord,
à la condition, toutefois, que cette union puisse
s'effectuer sur des principes équitables envers les
diverses provinces.
"2. Le meilleur système de fédération pour
les provinces de l'Amérique Britannique du Nord,
le mieux adapté, dans les circonstances, à la protection des intérêts des diverses
provinces
et les plus propres à produire l'efficacité, l'harmonie
et la permanence dans le fonctionnement de
l'union, serait un gouvernement et un parlement
général, qui auraient le contrôle des choses communes à tout le pays, et des législatures
et des
gouvernements locaux pour chacun des Canadas,
la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick et l'Ile
du Prince-Edouard. Ces législatures et ces gouvernements locaux auraient respectivement
le
contrôle des choses locales. L'on devra pourvoir
à l'admission dans l'union, sur des bases équitables, de la province de Terreneuve,
du territoire
du Nord-Ouest, de l'Ile Vancouver et de la
Colombie Britannique."
Nous tournons, elle et nous, dans deux
cercles d'idées différente. Nous, nous voulons,
en Amérique comme ailleurs, la monarchie
566
tempérée par le système parlementaire et la
responsabilité ministérielle, parce que, sans
rien enlever à la liberté, elle donne aux institutions plus de sécurité et plus de
stabilité.
Nous avons tous vu la démocratie britannique se mouvant à l'aise sous l'égide immuable
de la majesté royale et y exerçant
souverainement, sur l'administration de la
chose publique et sur la direction de la
fortune nationale, ce contrôle salutaire qui a
fait de la Grande-Bretagne une nation si
riche, si puissante et si libre.
Nous avons vu aussi, non loin de nous,
cette même démocratie, affublée du manteau
républicain, marchant, d'un pas rapide, vers
la démagogie, et, de la démagogie, vers un intolérable despotisme. (Ecoutez! écoutez!)
Nous avons vu le régime militaire couvrir
la surface entière de la grande république,
naguères si glorieuse de ses institutions populaires.
Et nous avons vu ce peuple, si fier de
sa liberté, courber humblement la tête sous
le sabre du soldat, laisser muscler sa presse,
après avoir flétri le régime de la censure
légalisé en France, et conduire, sans pro
tester, ses écrivains dans les cachets. (Ecoutez!)
M. DE TOCQUEVILLE a trop vécu, et son
admirable livre sur la démocratie en Amérique ne nous fait plus aujourd'hui l'effet
que
d'un poème héroïque; c'est l'île de Calypso
si splendidement chantée par FÉNÉLON, et
que personne n'aperçoit plus on fermant
TÉLÉMAQUE. (Rires.)
A la place de ces institutions si mathématiquement encadrées, de ce mécanisme si fini
et si régulier dans sa marche, ce ne sont plus
que des mouvements brusques et saccadés,
des enraiements, des roues qui se heurtent
et se brisent;—au lieu de la paix et de l'harmonie, la guerre civile sur une gigantesque
échelle, la dévastation universelle, de formidables batailles et le sang des frères
qui coule
à flots sur le sol national.
Qu'est devenue cette race de géants qui,
après sept années de luttes glorieuses, fondaient, en l783, la république des Etats-
Unis?.. Incapable de descendre aux moyens
employés par les médiocrités pour arriver au
timon de l'Etat, elle a laissé les carrières
publiques, afin de pouvoir vivre plus honorablement et plus dignement dans la vie
privée; car le génie américain n'est pas mort
et le sol, qui produit de grands magistrats
et de grands jurisconsultes, pourrait encore,
dans un autre ordre de chose et dans une
autre condition morale, enfanter des WASHINGTON, des FRANKLIN, des HAMILTON,
des ADAMS et des MADISSON.
Ils n'ont donc pas eu tort ces quarante
hommes d'élite de l'Amérique Britannique
du Nord qui venaient, naguères, fonder à
Québec la nation nouvelle sur des bases monarchiques, autant que possible dans l'unité,
et sur le principe du gouvernement parlementaire britannique. (Ecoutez!)
Il nous semble que cette autorité était
assez imposante pour mériter le respect
d'hommes beaucoup moins expérimentés et
beaucoup moins versés qu'eux dans la science
du gouvernement. (Ecoutez.) Et cependant,
quand l'hon. député de Joliette demandait,
avec un grand bon sens, à l'hon. député de
Lotbinière, pourquoi il ne parlait pas des confédérations assises sur le principe
monarchique, il lui répondait ironiquement qu'on ne
pouvait pas parler de ce qui n'existait pas et de
ce qui était absurde. Il ressemblait au savant
français qui, en 1836, prouvait par des raisonnements irréfutables qu'il était impossible
de jamais franchir l'océan avec la vapeur
pour force motrice. Mais lorsqu'il se morfondait ainsi dans sa puissante et laborieuse
argumentation, le Sirius traversait majestueusement l'Atlantique, comme pour se
moquer de la sagesse de la science. ll n'y
a rien de brutal et de positif comme les faits.
(Ecoutez! écoutez!)
Nous ne sommes pas ici comme COLOMB, à
la recherche d'un monde inconnu, et l'hon.
député, qui allait chercher jusque dans les
temps héroïques de la Grèce, des arguments
contre toutes les confédérations possibles; qui
nous déroulait pompeusement l'histoire romaine pour nous prouver que ce qui est fort
et
durable se forme pièce à pièce, et que même
ce qui est fort doit périr, puisque l'empire
romain avait fini par s'affaisser sous le
poids de sa propre puissance; qui, à la
recherche de confédérations en désarroi
et au milieu de pronunciamentos, de
movimentos et d'échauffourées, traversait,
sans les voir, les républiques espagnoles
unitaires si instables et si mouvementées de
l'Amérique; qui, pour être fidèle à son
système, attribuait les cinq cents années
d'existence de la confédération Suisse à
toute autre cause qu'à la stabilité de son
principe et au caractère conservateur et
national de ses habitants, et qui, dans l'enthousiasme pour ses doctrines, n'a pas
vu
que l'équilibre européen se fût tout aussi
bien trouvé d'un ou de plusieurs Etats
567
unitaires que d'une confédération dans
les montagnes Helvétiques; l'hon. député
n'a pas vu, non loin du pays de ces ancêtres,
cette noble Helvétie qui a conquis et maintenu, pendant cinq siècles, son indépendance,
au milieu des plus terribles conflits qui
ébranlaient le sol européen, renversaient les
trônes et transformaient les sociétés; il n'a
pas vu, en chair et en os, une confédération
reposant presqu'entièrement sur le principe
monarchique, la confédération Germanique,
dont la présidence appartient à l'Autriche,
et pour laquelle cette dernière puissance et
la Prusse seules peuvent décider les questions
de paix et de guerre. (Ecoutez!)
Celle-ci avait été précédée de la confédération du Rhin qui avait trouvé, comme elle,
ses éléments, avec leur mode d'être, dans
l'ancien empire fondé par CHARLEMAGNE,
"la plus forte main qui fut jamais " suivant
la belle expression d'OZANAM; l'empire Germanique, véritable confédération de princes,
devenant réellement, dans la suite des siècles,
indépendants et rois dans leurs Etats respectifs, sous la suzeraineté impériale.
(Ecoutez!)
La bulle d'or promulguée par l'empereur
CHARLES IV, en 1356, nous donne, sur cette
matière, d'utiles renseignements, et je me
permettrai d'y renvoyer l'honorable député
de Lotbinière. Mais qu'est-il besoin de tant
feuilleter l'histoire pour établir un fait aussi
lumineux que le soleil. Ne suffit-il pas
d'ouvrir le premier dictionnaire venu pour
savoir que le mot " confédération " signifie
simplement ligue, union d'états ou de souverains, de peuples ou d'armées mêmes,
pour un objet commun.
L'HON. député a donc mal choisi son temps
pour être spirituel aux dépens d'un homme
sensé. Il s'est prononcé tour à tour contre le
principe fédéral et contre l'unité législative.
Faisant appel alternativement à tous les
préjugés pour atteindre son but, il a dit
aux Canadiens-Français catholiques: " Repoussez la confédération parce qu'elle vous
laisserait sans protection dans le parlement
et le gouvernement fédéraux."
Puis, se tournant vers les anglo logues
protestants, et leur lisant complaisamment
un extrait du rapport du lord DURHAM, il
leur crie: " Ne votez pas pour la confédétion; vous seriez à la merci d'une majorité
française et catholique dans la législature et
le parlement locaux. "
Rien que l'antipode, en toute autre chose,
de l'hon. député d'Hochelaga, sa conduite
prouve qu'il croit au moins, comme son chef
de file, " que le pouvoir engendre le despotisme."
Mais, à sa place, au début de ma carrière
publique, plein de jeunesse et des généreux
sentiments qu'elle inspire, au lieu de communiquer le feu à des éléments aussi combustibles
que les préjugés religieux et nationaux, j'aurais imité l'exemple de l'honorable
député de Montréal-Centre, et, pour calmer
les inquiétudes réciproques, j'aurais rappelé,
afin de faire un acte de justice et de remplir
un devoir; j'aurais rappelé l'histoire canadienne si honorable, si chrétienne et si
civilisatrice du dernier quart de siècle.
(Ecoutez!)
Mais évidemment il n'en était pas capable.
Il venait de sortir, tout ébouriffé, des pronunciamentos, des échauffourrées, et des
movimentos des confédérations Espagnoles
si civilisées de l'Amérique Centrale et de
l'Amérique du Sud, et, plein d'une agitation fiévreuse, il allait à toutes ailes prendre
place parmi les arcs-en-ciel et les aurores
boréales. (On rit.)
L'on sait ce que c'est physiquement que
l'arc-en-ciel. C'est un ensemble de gouttelettes
d'eau qui, placées sous un certain angle, en
regard du soleil, en réfractent et en réfléchissent la lumière. (Rires.)
Quant aux aurores boréales, il en est
qui les attribuent à la réverbération de la
lumière solaire sur les neiges du pôle nord,
où l'honorable député est allé prendre le
vaste territoire dont il veut que nous composions le domaine de la confédération.
Mais
l'opinion la plus accréditée c'est que ce n'est
qu'une manière d'être de quelque chose
d'impondérable et d'insubstantiel. (On rit.)
Notre peuple, en les voyant s'agiter dans
tous les sens avec une prodigieuse rapidité,
monter, descendre et se replier sur elles mêmes, leur a donné le nom si pittoresque
et
si vrai de marionnettes. (Ecoutez! et rires.)
Vous voyez donc que, s'il a horreur des
préjugés qui font tant de mal, son esprit, du
moins, n'est pas aussi torpide que le croit
l'hon. député de Lotbinière, et qu'il n'a pas
besoin qu'on le réveille de cette manière au
moins. (Ecoutez!)
On sait ce qui arrive invariablement
à tous ces lumineux météores, les natures
boréales! Joyeux Pierrots et Polichinels
saltimbanques, après s'être épanouis complaisamment quelque temps sur les confins
de l'horizon infini, et y avoir gambadé
tout à l'aise, ils se font sérieux et solennels,
568
et l'ambition les prend de monter au zénith.
Mais comme ils n'ont, " avec la taille d'un
géant, que la force d'un enfant," ils s'étiolent
vite, meurent et disparaissent, pour n'être
plus, suivant le magnifique langage de
BOSSUET, " qu'un je ne sais quoi qui n'a
plus de nom dans aucune langue!"
Mais en y regardant de près l'on s'apercevra que l'hon. député n'a pas été aussi
sarcastique qu'on l'aurait cru d'abord, lors- qu'il a donné l'Iris pour emblême à
la
nouvelle confédération. L'arc-en-ciel, vu de
son côté figuré, c'est le signe de l'alliance et,
conséquemment, de la force et de la durée;
c'est le symbole de la sérénité et du calme
après de longs jours de tempête et d'orage;
c'est le gage de la promesse qu'à l'avenir les
cataractues de la démagogie ne seront plus
ouvertes sur le pays pour y laisser cette
semence morbide dont les fétides odeurs
offusquent encore le sens moral du peuple après
que leurs eaux malsaines se sont retirées!
C'est l'ensemble des rayons multicolores
qui, dans l'unité, produisent la lumière, la
chaleur et la fécondité. (Applaudissements.)
Je conseille donc à ceux si seront chargés
plus tard de nos destinées d'adopter l'arc-enciel pour emblème national et d'en tenir
compte à l'hon. député de Lotbinière, étonné,
sans doute, de s'être trouvé si merveilleusement inspiré! (Ecoutez et rires.)
S'il ne devait jamais y avoir de confiance
mutuelle entre les hommes; si nous devions
être destinés à nous soupçonner et à nous
craindre réciproquement toujours, il faudrait renoncer à toute idée de gouvernement
comme à tous les rapports de la vie sociale.
Les lois mêmes qui protègent les personnes
et les biens seraient sans valeur et sans
garantie, car elles sont expliquées par des
hommes.
Heureusement qu'il n'en est pas ainsi, et
notre propre histoire le prouve surabondamment.
Avant l'Union, la majorité parlementaire
était catholique en Bas-Canada et, si elle fut
longtemps en lutte avec le pouvoir, fit-elle
jamais une injustice à la minorité protestante?
Au contraire, ne l'émancipa-t-elle pas civilement et religieusement, et ne lui donna-t-elle
pas de priviléges qu'elle ne possédait pas
auparavant?
Si notre peuple est inflexiblement attaché
à sa foi, il est, aussi, plein de tolérance et de
bon vouloir pour ceux qui ne croient pas
comme lui.
Depuis l'Union, les rôles sont changés.
C'est le protestantisme ni domine dans le
gouvernement et dans la législature, et,
cependant, le catholicisme n y a-t-il pas été
mieux traité et ne s'y est-il pas développé
avec plus de liberté et de fécondité que
sous le régime de la constitution de 1791?
(Ecoutez!)
En vivant ensemble et en travaillant
ensemble, nous avons appris à nous connaître, à nous respecter, à nous estimer et
à
nous faire des concessions réciproques pour
le bien-être commun.
Nous n'avons aucune crainte, nous catholiques, à l'endroit du mauvais vouloir d'une
majorité protestante dans le gouvernement
et dans la législature fédérale, et nous sommes
sûrs que les protestants du Bas-Canada ne
craindront pas davantage pour eux dans le
gouvernement et la législature locale.
L'HON. député d'Hocheloga a dit qu'il
était prêt à accorder aux protestants les
garanties de protection qu'ils demandent pour
l'enseignement de leurs enfants; mais il a
été précédé, en cela, par la convention de
Québec et par le sentiment universel de la
population catholique du Bas-Canada.
Si la loi actuelle est insuffisante, qu'on la
change. La justice demande que la minorité
protestante soit protégée dans la même
mesure que la minorité catholique du Haut- Canada, et que les droits acquis de l'une
et
de l'autre ne puissent être atteints ni par
le parlement ni par les législatures locales.
(Ecoutez!)
C'est tout ce que je sens le besoin de
dire aujourd'hui sur une question qui se reproduira, sans doute, dans la suite des
débats.
L'HON. député de Lotbinière a accusé le
projet d'être trop fédéral, et celui d'Hochelaga de ne l'être pas assez et de trop
tendre
vers l'unité.
Ni l'un ni l'autre ne sont strictement dans
le vrai; ce n'est ni l'unité absolue, ni le
principe fédéral dans le sens américain.
Dans la confédération américaine, l'autorité supérieure a procédé, au début, de la
délégation des Etats, qui s'en sont, cependant, dévêti à perpétuité, suivant, au moins,
la doctrine des jurisconsultes du Nord, qui
soutiennent que nul état de l'union n'est plus
libre de rompre le pacte de 1788.
Dans le projet de la convention de Québec,
il n'y a pas de délégation, soit d'en haut
sont d'en bas, parce que les provinces, n'étant
pas des états indépendants, reçoivent, avec
l'autorité supérieure, leurs organisations
politiques du parlement de l'empire. Il n'y
569
a que des attributs distincts pour l'une et
pour les autres. (Ecoutez!)
L'unité n'y préside pas absolument, parce
que les institutions et les intérêts locaux
ont demandé, dans des constitutions locales,
des garanties et des protections qu'elles craignaient de ne pas trouver dans le parlement
et le gouvernement unitaires.
Mais elle s'y trouve aussi complète que
possible, parce que l'unité donne aux institutions des chances de durée et une force
d'initiative que ne donnent pas, que ne
peuvent donner, les confédérations où l'autorité est éparpillée et où elle est conséquemment
sans valeur et sans existence réelles.
Tous les modes d'étre constitutionnels ont
leurs avantages et leurs désavantages; mais,
assurément, le mode d'être qui donne permanence et stabilité aux institutions doit
avoir
sur les autres la préférence. (Ecoutez!)
N'oublions pas que la constitution des
Etats-Unis n'a été qu'un compromis entre
la souveraineté de l'Etat et le besoin d'une
autorité supérieure pour le fonctionnement
de la machine nationale, et qu'elle n'était
pas même parfaite dans la pensée de ses
auteurs.
Pour le prouver, je vais faire entendre
une parole plus grave que la mienne, probablement la plus grande autorité constitutionnelle
des Etats- Unis, JOSEPH STOREY:
"Tout aperçu, quelque superficiel qu'il puisse
être, de la confédération, pénétrera l'esprit des
difficultés intrinsèques qui ont dû présider à la
rédaction de ses principaux aspects. Il est parfaitement connu que, sur trois points
importants,
concernant les intéréts et les droits communs
des divers Etats, il y avait grande diversité
d'opinions, et il s'éleva plusieurs discussions très
vives. Le premier point avait trait au mode de
votation dans le congrès, s'il aurait lieu par états,
ou d'après la richesse en la population. Le second
point avait trait à la régle qui serait suivie pour
la répartition entre les Etats des dépenses de
l'Union. Et le troisième point, on l'a déjà vu,
concernait la disposition des terres vacantes et
non appropriées du territoire de l'Ouest.
"Mais ce qui nous frappe avec le plus de force,
c'est la jalousie et la surveillance constamment
sur le qui-viye à propos des pouvoirs qui devaient
être confiés au gouvernement général. Plusieurs
causes peuvent être assignées à cela. Les colonies avaient été pendant longtemps engagées
dans des luttes contre l'autorité supérieure de la
couronne, et avaient pratiquement ressenti les
inconvénients de la législation restrictive de la
mère- patrie. Naturellement, ces luttes avaient
conduit à un sentiment général de résistance
contre toute autorité extérieure; et ces inconvénients à des doutes extrêmes, sinon
à la crainte
de toute législation, n'originaient pas exclusivement dans leurs assembles domestiques.
Ils
n'avaient pas, jusque là, ressenti l'importance
ou la nécessité d'une union entre elles, ayant été
jusqu'alors unies avec l'empire britannique dans
toutes leurs relations étrangères. Quel serait leur
sort comme sociétés séparées et indépendantes;
jusqu'à quel point leurs intéréts varieraient-ils ou
coïncideraient-ils entre eux si elles se trouvaient
ainsi placées; quels seraient les effets de l'Union
si leur tranquillité domestique, leurs intérets territoriaux, leur commerce étranger,
leur sécurité
politique ou leur liberté civile, étaient, pour elles,
autant de questions d'un caractére spéculatif,
concernant lesquelles les opinions pouvaient étre
partagées, et à propos desquelles on pouvait
former des conjectures diverses et méme opposées
qui pouvaient être soutenues avec une plausibllité
d'une force égale en apparence?
"Nonobstant la déclaration des articles, que
l'union des provinces devrait étre perpétuelle, un
examen des pouvoirs confiée au gouvernement
nous fera aisément comprendre qu'ils avaient été
ainsi conférés en vue de l'état de révolution dans
lequel se trouvait alors la société. Les principaux
pouvoirs avaient trait aux opérations militaires,
et devaient étre lettre morte en temps de paix.
En un met, en temps de paix, le congrès ne se
trouvait revêtu que d'une souveraineté éphémère et illusoire, quelque chose de plus
enfin que
le faux clinquant du pouvoir. Il était revêtu, à
la vérité, du pouvoir d'envoyer et de recevoir des
ambassadeurs; de faire des traités et des alliances;
de créer des cours pour juger des actes de piraterie et de félonie sur la haute mer;
de régler le
cours de la monnaie; de fixer les poids et les
mesures; de régler le trafic avec les Indiens;
d'établir des bureaux de poste; d'emprunter de
l'argent; de voir à l'octroi des sommes requises
pour le service public et de disposer des territoires
de l'Ouest. Et encore la plus grande partie de ces
choses ne pouvaient être exercées qu'après avoir
obtenu l'assentiment des neuf états. Mais il
n'était point revêtu du pouvoir de prélever aucun
revenu, ni aucune taxe, de mettre en force aucune
loi, d'assumer aucun droit, de régler aucun
commerce, et il n'avait même pas la mince prérogative de prendre de l'argent dans
le trésor public
pour payer ses propres ministres, dans les cours
étrangères. Il pouvait contracter des dettes,
mais il n'avait aucune moyens pour les payer. Il
pouvait engager la foi publique; mais il était incapable de la engager. Il pouvait
faire des traités,
mais n'importe quel état de l'Union était libre de
les désavouer avec impunité. ll pouvait contrecter des alliances; mais il ne pouvait
pas avoir le
contrôle des hommes ou des deniers pour les
mettre-en force. Il pouvait créer des cours pour
juger des actes de piraterie et de félonie sur la
haute mer, mais il n'avait pas les moyens de payer
les juges en les jurés. En un mot, tous les
pouvoirs qui ne s'exécutaient pas d'eux-mêmes,
se trouvaient à la merci des états, et pouvaient
être, à volonté, foulés aux pieds avec impunité.
"L'un de nos plus grands écrivains adressa ce
langage excessivement fort au peuple: " Par ce
pacte politique, les Etats-Unis en congrès ont
le pouvoir exclusif sur les questions suivantes,
sans être capables d'en exécuter une seufe. Ils
peuvent faire et conclure des traités; mais ne
peuvent seulement pas en recommander l'obser
570
vance. Ils peuvent nommer des ambassadeurs,
mais ne peuvent seulement pas défrayer la dépense
de leurs tables. Ils peuvent, en leur propre nom
et sur la foi des états, faire des emprunts, mais
n'en peuvent payer un dollar. Ils peuvent frapper
monnaie, mais ne peuvent acheter une once d'or.
Ils peuvent faire la guerre, et déterminer quel
nombre de troupes sera employé, mais ils ne
peuvent lever un seul soldat. En un mot, ils
peuvent faire toutes espèces de déclarations, mais
ne peuvent en exécuter aucune."
"Quelque fort que puisse paraître ce langage,
il n'est pas plus chargé que ne le comportent les
faits dans tout leur mérite. WASHINGTON lui- même, ce patriote sans tache et sans
reproche,
parle, en 1785, avec une force inaccoutumée sur
le même sujet: " En un mot, dit-il, pour moi la
confédération est un peu plus qu'une ombre sans
substance; et le congrès un corps sans force, ses
ordonnances n'étant que peu obéis." On retrouve
les mêmes sentiments dans un grand nombre de
documents publics. L'une des preuves les plus
humiliantes de l'impuissance complète du congrès
de mettre en force même les pouvoirs exclusifs
dont-il est revêtu, ce trouve dans la circulaire
raisonnée qu'il adressait aux divers états, en
avril 1787, les engageant dans les termes les plus
touchants de rappeler telles de leurs lois qui
venaient en conflit avec les traités passés avec
des nations étrangères. " Si, en théorie, dit l'historien de WASHINGTON, les traités
faits par le congrès sont obligatoires; d'un autre côté, il a été
démontré qu'en pratique ce corps était absolument
incapable de les mettre à exécution."
...
"Dans cet état de choses, les embarras du pays
sous le rapport financier, la détresse pécuniaire
devenue générale chez le peuple, par suite des
conséquences ruineuses de la guerre, de la prostration complète du commerce, et du
médiocre
rendement des récoltes, imprima une nouvelle
impulsion aux divisions politiques déjà si profondes dans les conseils de la nation.
Des efforts
furent faits de notre côté pour diminuer les calamités qui pesaient sur le peuple;
on eût recours à
l'émission de papier-monnaie, à la législation
concernant les offres réelles, aux versements et
autres lois, ayant pour objet de permettre aux
individus d'ajourner le paiement de leurs dettes
privées, et décrétant aussi une diminution des
taxes publiques. De l'autre côté, les créanciers,
tant publics que privés, s'alarmèrent par suite des
nouveaux dangers qu'elle créait au détriment de
la propriété, et des plus grandes facilités qu'elle
offrait à la fraude, à l'anéantissement de la foi
individuelle et du crédit. Et ils insistèrent avec
force pour qu'on établit un gouvernement et une
législation qui sauvegarderaient la foi publique,
rachèteraient le pays de la ruine qui suit toujours
la violation des principes de justice, et des obligations morales des contrats. On
nous dit qu'à la
fin deux grands partis se formèrent dans chaque
état, distincts l'un de l'autre, poursuivant aussi
des objets distincts avec des organisations systématiques.
...
"Ce qui étonne le plus n'est pas que, sous de
telles circonstances, la constitution ait rencontré
la plus vigoureuse opposition, mais qu'elle ait été
adoptée du tout par la majorité des états. Dans
la convention même qui la rédigea, elle donna
lieu à beaucoup de contestations, et, sur quelques- uns de ses points les plus essentiels,
il se manifesta une divergence d'opinions de la nature la plus
intense et la plus irréconciliable. Il paraît qu'à
plusieurs reprises la convention fut presque sur le
point d'être dissoute sans avoir rien accompli.
"Dans la convention elle-même qui l'a rédigée,
il y avait une grande diversité de jugement, et, sur
des points vitaux, il existait une hostilité intense
et irréconciliable entre les opinions. Il paraît
qu'à différentes époques, la convention fut sur le
point de se dissoudre sans rien accomplir, etc.
"D'un autre côté, si les partisans du gouvernement national sont moins nombreux, ils
sont
susceptibles d'attirer dans leurs pays des hommes
d'une ambition ardente, d'une intelligence étendue
et d'un génie puissant. L'amour de l'union, le
sens intime de son importance, plus que cela, de
sa nécessité pour assurer la permanence et la
sécurité de notre liberté politique; la conviction
que les pouvoirs de la constitution nationale sont
éminemment propres à maintenir la paix à l'intérieur et la dignité à l'extérieur,
à donner de la
valeur à la propriété, de la méthode et de l'honneur
aux grands intérêts agricoles, commerciaux et
manufacturiers; la conviction ainsi que les restrictions qu'elle inspire aux états,
offrent le seul moyen
efficace de préserver la justice publique et privée,
et pour assurer la tranquillité mise en danger par
les ambitions rivales des états; toutes ces choses,
il n'y a pas de doute, amèneront un grand nombre
d'esprits réfléchis et calmes à s'entendre pour la
soutenir. Si, à ces derniers, nous ajoutons ceux
que les plus grandes récompenses offertes par les
honneurs, les places ou les influences attachées à
une sphère d'actions plus étendue, peuvent attirer
dans les conseils de la nation, il y a beaucoup a
penser que l'Union ne se trouvera pas sans amis
résolus."
Les évènements qui se passent aujourd'hui
aux Etats-Unis prouvent assez, je le pense,
que les craintes des illustres fondateurs de
l'Union n'étaient pas sans quelque motif.
Le projet de constitution qui nous est
soumis est aussi un compromis, seulement
un compromis, dans de meilleures conditions
d'existence, et moins dangereux pour la
stabilité et la force de la nation à laquelle
il doit donner l'être.
L'unité s'y meut plus à l'aise et les contrôles, qui s'y trouvent au profit des localités,
y sont placés de manière à ne pouvoir
pas entraver l'action générale.
Ce n'est pas tant contre le principe fédéral
que se dirigent la plupart des arguments de
l'hon. député d'Hochelaga. Pour lui, c'est
une question de parti qui se pose ainsi:
Comment nous trouverons-nous, mes amis
et moi, dans cette confédération? serons- nous forts, y serons-nous faibles? pouvons-
571
nous y espérer de remonter au pouvoir, ou y
serons-nous perdus comme des gouttes d'eau
dans l'océan?
Pour convaincre la chambre que j'ai justement apprécié le motif d'opposition de
l'hon. député, je vais citer son discours
du 16:
"L'
HON. A. A. DORION —Mais, M. l'ORATEUR,
l'on peut me demander, en admettant tout cela,
en admettant que le projet qui nous est soumis
n'est pas celui qui nous avait été promis, quelle
différence peut faire l'admission immédiate des
provinces dans la confédération? Je vais tâcher
de l'expliquer. Lorsque les ministres ont consenti
à laisser prendre dans la conférence les votes par
provinces, ils ont donné un grand avantage aux
provinces maritimes.—Ce mode de procédures en
pour résultat la mesure la plus conservatrice qui
ait jamais été soumise à la chambre. Les membres
de la chambre haute ne doivent plus être élus,
mais nommés, et nommés par qui? par un gouvernement tory ou conservateur pour le Canada,
par un gouvernement conservateur dans la Nouvelle-Ecosse, par un gouvernement conservateur
dans Terreneuve!—Ce seul gouvernement libéral
intéressé dans la nomination des conseillers étant
celui du Nouveau-Brunswick, où il y a une administration libérale, dont le sort dépend
du résultat
des élections qui se font maintenant dans cette
province!
"Un pareil projet n'aurait jamais été adopté
par la représentation du Haut-Canada! Les habitants du Haut-Canada, au nombre de l,400,000,
avec ceux du Bas—eu tout 2,500,000—ont été
contrôlés par les 900,000 habitants des provinces
maritimes. Ne nous a-t-on pas dit, en propres
termes, que c'étaient les provinces d'en-bas qui ne
voulaient pas de conseil législatif électif? Si, au
lieu d'inviter à une conférence les délégués des
provinces d'en-bas, notre gouvernement eût fait ce
qu'il s'était engagé de faire, c'est-à-dire, s'il eût
lui-même préparé une constitution, il n'aurait
jamais osé faire une proposition comme celle qui
nous est soumise;—il n'y aurait jamais été proposé
un conseil législatif nommé à vie, avec un nombre
de membres limité, et qui serait nommé par quatre
gouvernements tory.
"En portant à 15 ou 20 ans la moyenne du
temps que chaque membre occupera son siége, il
faudra un siècle avant que sa composition puisse
être changée! L'on aura un conseil législatif qui
sera à jamais—au moins en ce qui regarde cette
génération et la suivante—contrôlé par l'influence
qui domine aujourd'hui dans notre gouvernement
et dans ceux des provinces maritimes. Et va-t-on
croire que, comme on le promet dans le document
qui nous est soumis, un gouvernement comme
celui que nous avons s'occupera de faire représenter
l'opposition dans le conseil? (Ecoutez! et rires.)
"Je remercie les délégués de leur sollicitude à
l'endroit de l'opposition, mais je ne compte guéres
sur leurs promesses; n'avons-nous pas entendu
l'hon. procureur-général du Haut-Canada dire
l'autre jour, en se tournant vers ses partisans: "Si
j'avais à recommander des nominations, je conseillerais de choisir des hommes plus
qualifiés,—mais,
comme de raison, dans mon partit " (Ecoutez!) Il
en sera ainsi, monsieur; et si ce précieux projet
est mis a exécution, nous aurons un conseil
législatif divisé de la manière suivante: pour le
Haut-Canada, nous aurons probablement des
libéraux dans la proportion de 3 a 9, car je suppose
que l'hon. membre pour South Oxford (M. BROWN)
a fait assez de sacrifices pour mériter au moins
cette concession, et comme ses amis composent un
quart du conseil exécutif, je suppose que nous
aurons aussi un quart de libéraux parmi les
conseillers législatifs du Haut-Canada.
"L'
HON. A. A. DORION—Oui, exactement 25
pour cent. Ensuite, nous aurons pour la Nouvelle- Ecosse, 10 conservateurs, de l'île
du PrinceEdouard, 4 de plus, et 4 de Terreneuve. Ainsi,
nous aurons 18 conservateurs des provinces d'enbas, lesquels, ajoutés à 36 du Canada,
formeront
54 conservateurs contre 22 libéraux, en supposant
que les 10 conseillers du Nouveau-Brunswick seront
tous libéraux. Maintenant, en supposant que la
moyenne des décès s'élève à trois pour cent par
année, il faudra près de 30 ans pour amener un
changement dans le caractère de la majorité du
conseil, en supposant que toutes les additions qui
y seront faites soient prises dans les rangs libéraux.
Mais cela ne sera guères possible. Dans quelquesunes des provinces d'en-bas, il y
aura de temps à
autre des gouvernements conservateurs, et il
pourrait aussi y avoir parfois un gouvernement
conservateur en Canada, (écoutez! et rires), en
sorte que la génération actuelle passera certainement avant que les opinions du parti
libéral
puissent prévaloir dans les décisions du conseil
législatif.
"L'
HON. A. A. DORION—L'hon. membre pour
Lambton dit que cela ne fait pas de différence!
L'hon. membre est prêt à tout accepter, mais pour
ceux qui ne sont pas si bien disposés, voici quelle
est la différence: c'est que nous allons être liés
par cette constitution qui permettra au conseil
législatif d'entraver toutes les mesures de réforme
qui seront désirées par le parti libéral. Si l'hon.
membre pour Lambton pense que cela ne fait pas
de différence, je me permettrai de différer d'opinion
avec lui, et je pense que le parti libéral en général
différera aussi. Le gouvernement dit qu'il lui a
fallut introduire dans le projet certaines dispositions qui ne lui plaisaient pas,
afin de s'entendre
avec les délégués des provinces d'en-bas, et qu'il
s'est engagé envers elle à faire adopter le projet
par la chambre sans amendement. L'hon. membre
ne voit-il pas qu'il y a une différence maintenant?
Si les deux Canadas étaient seuls intéressés, la
majorité ferait ce qu'elle voudrait, examinerait
minutieusement la constitution, en ferait disparaître toutes les dispositions qui
ne lui conviendraient pas, et une proposition comme celle relative au conseil législatif
n'aurait aucune chance
d'être adoptée,—il y a trop peu de temps que cette
chambre a voté, par une écrasante majorité, la
substition d'un conseil électif à un conseil nommé
par la couronne.
"De fait, la chambre nommée par la couronne
était tellement tombée dans l'opinion publique,—
572
je ne dis pas que ce fut la faute des hommes
qui la composaient,—mais toujours est-il qu'il en
était ainsi et qu'elle n'exerçait pas assez d'influence. Il était même difficile d'y
réunir un quorum.
Un changement était devenu nécessaire, et à venir
jusqu'à aujourd'hui, le système électif a bien fonctionné; les membres élus sont égaux
sous tous
les rapports aux membres qui étaient ci-devant
nommés a vie. Eh bien! c'est juste au moment
où l'intérêt commence à s'attacher aux procédés
de la chambre haute, que l'on va changer sa
constitution pour revenir à celle que l'on a condamnée il y a encore si peu de temps.
J'ai dit
revenir à l'ancienne constitution. Je me trompe,
M. l'Orateur, on va substituer a la constitution
actuelle une constitution pire que l'ancienne, et
telle qu'il est impossible d'en trouver ailleurs une
semblable."
Voilà donc l'explication de l'énigme;
voilà donc pourquoi l'union fédérale ne vaut
rien.' Sans nous, point de pays; ce n'est
plus la doctrine du " périsse la patrie plutôt
qu'un principe," mais celle du " périsse la
patrie plutôt qu'un parti." C'est moins
absurde, mais c'est moins noble, et si ce
n'est pas cynique dans les mots, ce l'est
indubltablcment dans les idées. (Ecoutez!)
Quoi! il faudrait repousser tout progrès,
toute force et toute grandeur nationale dans
l'avenir, uniquement parce qu'un parti, qui
s'est usé dans ses excès presqu'en naissant, ne
croirait pas apercevoir, dans l'ordre de choses
nouveau, un chemin certain pour monter au
pouvoir!
Mais est-ce notre faute a noms si ses
doctrines et ses actes ne sont pas en accord
avec le sentiment du pays et si celui-ci
s'obstine à le repousser. (Ecoutez!)
L'HON. député d'Hochelaga espèrerait plus
pour son parti dans la confédération des
deux Canadas seulement.
Il sera dit, sans doute: " Dans ce
dernier ordre de choses l'accroissement de
la représentation haut-canadienne aurait
augmenté la majorité radicale du Haut- Canada, et cette majorité unie à la petite
minorité, à. laquelle je commande, m'aurait
mis en position de gouverner le Bas-Canada,
comme je l'ai déjà fait, contre sa volonté
et malgré mes déclarations d'autrefois."
Ou il nous croit bien aveugles ou il doit
s'attendre qu'en plaçant ainsi la question
au point de vue des partis, il ne réunira
autour de lui que ceux qui, en dehors de
tout sentiment national, le suivent quand
même. (Ecoutez!)
Mais cet extrait que je viens de lire nous
conduit tout nature lement à la question du
conseil législatif électif, auquel l'hon. député
d'Hochelaga donne une grande supériorité
sur le principe de la nomination.
Tout à l'heure il nous disait que les conseillers nommés par la couronne étaient
tombés en décrépitude et avaient perdu le
respect public. Maintenant, pour nous
prouver qu'il est logique, il nous dit:
"La chambre des lords, toute conservatrice
qu'elle soit, se trouve tout à fait à l'abri de toute
influence populaire, il est vrai. Mais le nombre
de ses membres peut être augmenté sur la recommandation des aviseurs responsables
de la couronne, s'il en est besoin, pour assurer le concours
des deux chambres ou pour empêcher une collision
entre elles. La position que ses membres y occupent
établit une espèce de compromis entre l'élément
populaire et la couronne. Mais la nouvelle chambre
de la confédération formera un corps parfaitement
indépendant—ses membres seront nommés à vie,
et leur nombre ne pourra pas être augmenté!
Combien de temps fonctionnera ce système sans
amener une collision entre les deux branches de la
législature? Supposons le cas où la chambre basse
se composerait en grande partie de libéraux,
combien de temps se soumettra-t-elle à la chambre
haute, nommée par des gouvernements? "
Veuillez bien remarquer, M. le PRÉSIDENT, que l'ancien conseil législatif possédait
précisément le même mode d'existence
que la chambre des lords, et que la couronne
pouvait l'augmenter au besoin.
Elle l'augmenta, en 1849, ici, comme
elle menaça d'augmenter la chambre des
lords en 1832. (Ecoutez!)
Veuillez remarquer encore que c'est précisément ce contrôle dela couronne sur la
chambre haute que l'hon. député trouvait si
fatal à la législation avant 1856.
Mais il est une manière plus rationnelle
d'apprécier le rôle que joue la chambre des
lords dans la constitution britannique.
On ne nie pas au souverain le droit abstrait
d'augmenter, à. volonté, la chambre des lords;
mais il ne l'a jamais exercé que pour récompenser les hommes qui se distinguent par
de
grands services nationaux, dans la politique
ou dans l'armée: et quand, en 1832,
GUILLAUME IV conféra à CHARLES GRAY
le terrible pouvoir de submerger le corps
représentatif de la grande noblesse territoriale, c'est que le pays marchait sur la
pente
rapide de la révolution, et qu'il ne restait
au souverain que deux alternatives: celle
d'amoindrir la valeur morale de la chambre
des lords, ou de voir son propre trône voler en
éclats sous ses pieds. (Ecoutez!) Pour convaincre la chambre que je n'exagère pas,
je
vais lire un extrait de l'histoire d'Angleterre
par LINGARD. (Tome VI, pages 686 et 687.)
573
"On sait combien la justice et le sens commun
étaient blessés par le système électoral d'Angleterre, où tel rocher, telle mâsure,
tel hameau
appartenant à des familles nobles, envoyaient des
députés au parlement, où des villes de cent mille
habitants n'y étaient pas représentées, où des
corporations de vingt ou de trente individus avaient
le droit d'élire pour de grandes cités, etc. Tout
cela était la conséquence d'un ordre social basé
sur le privilége, et où la propriété était maîtresse
de tous les pouvoirs. Réformer le système électoral
c'était donc attenter, non-seulement à la constitution, mais à la société. Aussi,
les torys firent- ils une résistance désespérée. Leur attitude était
telle, que le ministère fit prononcer la dissolution
du parlement (11 mai 1831),—mesure qui fut
accueillie avec joie par la nation. Des élections
nouvelles furent faites, et donnèrent une majorité
ministérielle. Le bill de réforme fut adopté par
les communes; mais les lords le rejetèrent à
quarante-et-une voix de majorité. Ce résultat fut
accueilli dans les trois royaumes par la plus vive
agitation. Des pétitions furent adressées de toutes
parts, qui demandaient la conservation du ministère et une création de pairs; des
associations se
formèrent pour la réforme; des désordres graves
éclatèrent à Londres, à Bristol, à Nottingham, etc.
"Le parlement fut prorogé, et, à sa réouverture,
(6 déc.) le bill de réforme fut de nouveau présenté
avec quelques changements. Les communes
l'acceptèrent: les deux premières lectures furent
adoptées par les pairs; mais la troisième fut
ajournée, encore WELLINGTON et soixante-quatorze
pairs firent-ils une protestation. L'agitation devint
universelle; les associations, les rassemblements,
les pétitions prirent un caractère menacant; tout
se prépara à une insurrection armée; jamais
l'Angleterre n'avait présenté un tel spectacle.
Cependant, le ministère avait demandé au roi une
création de pairs pour changer la majorité de la
chambre haute, il éprouva un refus et donna sa
démission (9 mai 1832). WELLINGTON et ses amis
furent chargés de former un ministère; ils l'essayèrent vainement pendant sept jours.
Toute la
nation était sur pied; des armées entières se
formaient; des émeutes éclataient partout; la vie
des principaux torys était menacée; et la chambre
des communes semblait disposée à soutenir un
mouvement qui aurait renversé et le gouvernement
et l'aristocratie. Le roi appela le ministère GREY,
et la troisième lecture du bill fut présentée à la
chambre haute. Alors les torys sachant que le
cabinet était décidé à faire une création illimitée
de pairs pour avoir la majorité, s'abstinrent d'assister à la discussion, et le bill
fut adoptée 116 voix
contre 22 (4 juin). Aussitôt le parlement fut
dissous; des élections nouvelles furent faites
d'après la nouvelle loi électorale, et le 5 février
1833, s'ouvrit le premier parlement réformé."
Çe devait donc être une véritable révolution que cette création annoncée de cent
nouveaux pairs, révolution aussi réelle que
celle qui menaçait le trône. Et croit-on que
s'il prenait fantaisie, un jour, à notre conseil
législatif fédéral de se placer obstinément et
systématiquement en obstacle sur le chemin
de la volonté nationale, affermie par l'épreuve
et arrivée à sa maturité, il ne serait
emporté par la tempête révolutionnaire
comme menaçait de l'être la chambre des
lords, en 1832?
Ce conseil, limité dans son nombre, parce
que les provinces tiennent expressément
à y maintenir l'équilibre, sans lequel elles
n'eussent jamais consenti à l'union; ce
conseil, sortant du peuple et vivant de sa
vie, de ses besoins, de ses aspirations et
de ses passions mêmes, dans une mesure
tempérée, résistera moins, la raison nous
le dit, parce qu'il sera moins puissant socialement et poitiquement; résistera moins
à la volonté populaire, en Amérique, où elle
est si forte, si prompte et si active, que ne
peut le faire la chambre des lords en Angleterre, où la grande masse de la nation
est
inerte, parce qu'elle ne possède pas de droits
politiques.
L'Hon. député d'Hochelaga nous a aussi
parlé du sénat élu de la Belgique qui,
dit-il, fonctionne admirablement.
Mais voyons un peu le mode constitutif
de ce sénat et les motifs qui ont présidé à
son organisation.
L'on trouve ce qui suit, en note, au-dessous
de (l'article 53, de la Constitution Belge,
section 2 du sénat) dans le " Droit Public et
Administratif" de M. HAVARD, tome 1er:
"89. Elus par les citoyens. Trois opinions principales partageaient le congrès sur
la question du
sénat; la seconde voulait le sénat nommé, avec
ou sans conditions, par le chef de l'Etat; la dernière
voulait aussi le sénat, mais élu par la nation.
Ces deux dernières opinions firent admettre l'existence de cette chambre, mais il
fut difficile de
fixer la majorité sur le mode de nomination des
sénateurs. Parmi les membres qui voulaient le
sénat, le plus grand nombre soutenaient la nomination par le roi, comme plus en harmonie
avec la
nature de l'institution; mais ceux qui ne voulaient
qu'une seule chambre élue directement, s'étaient, en
désespoir de cause et pour rendre plus populaire
une institution qu'ils accusaient de l'être trop peu
jointe aux partisans des sénateurs élus et nommés
sans l'intervention du pouvoir royal, cette opinion
prévalut. Le sénat et son mode d'existence ne
furent ainsi le résultat, ni d'une opinion, ni d'une
même majorité.
"La section centrale proposa, à la majorité de
16 voix contre 4, la nomination par le roi sans
présentation et en nombre non limité. La question
fut discutée aux séances des 15, 16 et 17 décembre.
La nomination par le roi fut rejetée par 96 contre
77; deux opinions principales partageaient encore
les partisans de l'élection: les uns voulaient la
confier aux colléges électoraux ordinaires, les
autres aux conseils ou états provinciaux. Nous
voulons, disait M. BLARGNIES en proposant le dernier mode d'élection, un pouvoir neutre
qui puisse
prévenir les dangers qui pourraient résulter de la
574
prépondérance du chef de l'état, ou de la chambre
élective; il est donc nécessaire que ce pouvoir
n'émane ni des mêmes éléments que la chambre
élective, ni du chef de l'Etat. Confier l'élection
à une classe particulière, disait-on d'autre part,
c'est créer des électeurs privilégiés à double vote
et introduire chez nous tous les inconvénients de
cette division des électeurs qui vient d'être abolie
en France. Les conseils provinciaux ne doivent,
d'ailleurs, être que des corps administratifs. Le
système de l'article LIII fut adopté par 136 voix
contre 40. L'opinion qui ne voulait qu'une chambre,
et par conséquent qu'un mode d'élection, détermina
la majorité."
Ainsi donc, la constitution de ce sénat a
été un compromis comme celle du gouvernement fédéral des Etats-Unis.
Mais allons un peu plus loin:
Pour pouvoir être élu et rester sénateur il
faut, entre autre chose: " Payer en Belgique
au moins 1000 florins d'impositions directes,
patentes comprises."
Ce dernier dispositif de la constitution
Belge n'est-il pas cent fois plus conservateur
que tout ce que condamne l'hon. député dans
le projet de la convention?
Quoi! nul homme ne peut être sénateur,
en Belgique, sans payer $500 d'impositions
directes, en sus de tous les impôts indirects
et les contributions municipales et locales de
tous les noms! Et l'hon. député d'Hochelaga
appelle cela une chambre populaire! N'y
a-t-il pas que les puissants par la fortune,
la propriété et les titres, qui peuvent y
arriver? (Ecoutez! écoutez!)
L'
HON. A. A. DORION—Quel est le
cens électoral des électeurs de la chambre
des représentants de la Belgique? N'est-il
pas beaucoup plus élevé qu'ici?
L'
HON. M. CAUCHON —Il est le même
pour les deux chambres. C'est un argument
contre l'hon. député, car, si dans un pays
comme la Belgique, où il y a un mendiant
sur quatre individus, on a trouvé qu'il était
nécessaire d'élever autant le cens électoral,
et, pour les sénateurs, le cens d'éligibilité,
c'est une preuve qu'il a mal choisi ses
exemples; c'est une preuve que les tendances
de la Belgique étaient conservatrices. Pourquoi suivrions-nous un autre chemin en
Canada, où il n'y a pas un mendiant sur 1,000
individus.
L'
HON. M. EVANTUREL—L'hon. député de Montmorency me permettra-t-il de
l'interrompre dans son argumentation au
sujet des attributions et de la nomination
des conseillers législatifs qu'il discute on ce
moment? Comme lui, je suis parfaitement
d'opinion que l'élément conservateur doit
nécessairement être la base de la constitution
du conseil législatif, pour contrebalancer
l'élément populaire. C'est la l'idée qui a
présidé à la constitution de la chambre des
lords en Angleterre et à celle du conseil
législatif de la Belgique, comme à celle de
tout gouvernement représentatif bien organisé. C'est cet élément conservateur que
je
veux voir introduire dans la constitution de
la confédération que l'on nous propose, mais
l'hon. député de Montmorency me permettra
de lui faire remarquer que tout son argumention ne s'applique qu'à l'antagonisme qui
peut survenir entre les deux chambres de la
législature dans un gouvernement monarchique comme celui de la Belgique, qui
n'est pas basé sur un système fédératif tel
que celui que le gouvernement nous propose
aujourd'hui;—mais nous n'avons pas seulement à éviter les conflits qui peuvent surgir
entre l'élément conservateur et l'élément
populaire, il faut encore sauvegarder les
droits des différentes provinces qui doivent
faire partie de la confédération projetée.
C'est là pour nous la question vitale. Nous
avons accordé le principe de la représentation
basée sur la population dans la chambre des
communes il gouvernement fédéral,—ce
qui est certainement un grand sacrifice;—
mais nous ne devons faire cette concession
importante qu'à la condition que nous aurons
l'égalité de représentation dans le conseil
législatif, et le droit de nommer nous-mêmes
nos 24 conseillers législatifs, afin qu'ils soient
responsables à l'opinion publique de la
province et indépendants du gouvernement
fédéral. Sans cette garantie essentielle, je
dis que les droits du Bas-Canada sont en
danger. Pour ma part, je suis prêt à céder
pour le Bas-Canada le droit d'élire directement ses 24 conseillers législatifs, quoique
la conservation du principe électif serait
peut-être le plus sûr moyen de sauvegarder
ses institutions; mais je voudrais que la
nouvelle constitution que l'on nous propose
nous donnât des garanties suffisantes que les
conseillers législatifs nommés à vie seront
au moins choisis par le gouvernement local
du Bas-Canada, lequel serait responsable au
peuple. Ce sont là des craintes légitimes
que je voudrais voir dissiper. J'attire l'attention spéciale de l'hon. député de Montmorency
sur ce point, qui est de la plus
haute importance pour nous, Bas-Canadiens,
et j'espère qu'il me pardonnera de l'avoir interrompu, et qu'il pourra me faire une
réponse
de nature à dissiper les craintes que j'ai
575
entendu manifester à ce sujet.
L'
HON. M. CAUCHON—L'hon. député
ne m'a pas compris; mon but n'est pas
d'attaquer le système représentatif de la
Belgique, parce qu'il est conservateur;
au contraire, je trouve qu'il est un argument en ma faveur, puisque le cens d'éligibilité
y est tellement élevé qu'à peine
s'en trouve-t-il un sur six mille qui puisse y
aspirer au poste de sénateur.
Les partis n'ayant pu s'entendre lors de la
révolution de 1830, et la pairie héréditaire
ou celle à vie n'ayant pu prévaloir, on a
adopté, en dehors de cela, le principe le
plus conservateur possible: la grande propriété.
Tous les hommes qui ont écrit des constitutions, théoriques en pratiques, n'ont jamais
oublié d'y placer des contre-poids pour
arrêter, d'un côté, une législation trop précipitée et trop peu mûrie et, de l'autre,
l'envahissement du pouvoir exécutif.
C'est le conseil législatif qui est appelé à
jour le rôle conservateur dans notre constitution et qui devra tempérer la législation
trop ardente et trop pleine de l'effervescence
du dehors qui lui viendra de la chambre des
Communes.
Mais, lorsque l'opinion publique se sera
mûrie dans les obstacles et que les réformes
demandées seront rationnelles et arriveront en
leur temps, il n'y a pas de danger que la législation qui les représentera soit arrêtée
dans
sa marche, car le peuple, comme celui de
l'Angleterre en 1832, se lèverait, dans sa
majesté et dans sa justice, et les obstacles
qu'il trouverait sur son chemin seraient
emportés par la tempête. (Ecoutez! écoutez!)
L'
HON. M. CAUCHON—C'est le danger
que rencontrait la chambre des lords, en 1832,
mais personne n'a l'idée d'affronter jusqu'au
bout un pareil danger. Mais l'hon. député du
comté de Québec nous dit, si je le comprends
bien, que nous n'avons pas assez de garanties pour le Bas-Canada, dans la nomination
des conseillers législatifs.
Le choix du conseiller législatif n'a pas de
rapport avec la question que nous examinons
dans le moment, à savoir: si la nomination,
par la Couronne, est ou n'est pas préférable au
principe électif. Mais, pour lui répondre, je
lui dirai que le projet qui nous est soumis
me semble clair. Suivant ce projet, les candidats au conseil législatif seront recommandés
par les gouvernements locaux et
nommés par le gouverneur-général; et c'est
dans cette distribution des attributs que les
combinaisons seront bonnes et faites conformément au désir et au sentiment des
provinces.
L'
HON. A. A. DORION—Les premières
nominations seulement seront faites de cette
manière, mais non celles qui viendront
après.
L'
HON. M. CAUCHON—Les premières
nominations seront faites par les gouvernements actuels et les conseillers fédéraux
seront pris dans les conseils législatifs actuels
jusqu'à l'accomplissement du nombre voulu,
24, tant qu'il s'en trouvera qui veuillent
accepter et qui aient la propriété d'éligibilité.
La convention a promis, dans le projet
même, de respecter les droits de l'opposition,
et tout gouvernement qui manquerait à un
engagement aussi solennel mériterait de
perdre la confiance publique. (Ecoutez!) Je
le répète, du reste: la manière de nommer
les conseillers n'affecte en rien le principe
conservateur de la nomination, sur lequel doit
reposer la constitution du conseil législatif.
L'
HON. A. A. DORION—Lorsque j'ai
parlé, je n'ai pas envisagé la question au
point de vue sous lequel l'hon. député du
comté de Québec le fait maintenant. Cet
hon. député, si je l'ai bien compris, dit qu'il
n'y a pas, dans le projet de constitution du
conseil législatif fédéral, de principe conservateur qui garantisse que les provinces
seront
représentées dans ce conseil. En effet, il a
raison. Si l'hon. député de Montmorency
veut y faire attention, il verra que les premières nominations doivent être faites
par
les gouvernements actuels. Ainsi, le gouvernement du Canada, celui du Nouveau- Brunswick,
celui de la Nouvelle-Ecosse,
nommeront les conseillers législatifs, mais
ensuite ce sera le gouvernement fédéral qui
fera les nominations.
L'HON. député du comté de Québec a
donc raison d'en tirer la conclusion qu'il
n'y a pas de garantie que les vues des
provinces seront respectées. Mais moi, j'ai
envisagé la question sous le point de
vue du pouvoir même que l'on donne
aux conseillers législatifs. Je disais qu'en
les nommant à vie et en limitant leur
nombre, c'était créer une autorité absolue
qui se trouverait tout-à-fait hors du contrôle
du peuple et de l'exécutif lui-même; que
le pouvoir de ce corps serait tellement grand
qu'il pourrait toujours empêcher toute reréforme, s'il le voulait, et qu'un conflit
entre
576
les deux branches de la législature serait
inévitable et sans remède.
Le danger de créer un pareil pouvoir est
précisément celui d'être obligé de le briser
s'il résiste trop longtemps aux vœux populaires. En Angleterre, il n'est pas besoin
de
briser l'obstacle offert parfois par la chambre
des lords, parce que la couronne, pouvant
nommer de nouveaux pairs, peut par là surmonter l'obstacle. Ici, il n'y aura pas moyen
de le faire, quand le nombre de conseillers
sera fixe. J'ai donc envisagé la question au
point de vue des pouvoirs donnés aux conseillers législatifs, tandis que l'hon. député
du comté de Québec, lui, craint que le gouvernement puisse choisir des hommes qui
ne
représenteraient pas l'opinion publique des
provinces,—et que, par exemple, il pourrait
choisir tous des membres d'origine française
ou anglaise pour représenter le Bas-Canada,
ou les prendre tous dans une classe d'hommes
qui ne représenteraient pas la province pour
laquelle ils seraient nommés, et qui n'offriraient aucune garantie pour la conservation
de ses institutions.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Il est
évident que l'hon. député d'Hochelaga n'a
pas lu les résolutions, mais moi, je les ai
lues. Le Bas-Canada se trouve placé dans
une position particulière. Nous avons deux
populations dont les intérêts sont distincts
sous le rapport de la race, de la langue et de
la religion. Il s'agissait, dans la préparation
du travail de la confédération de Québec, de
ménager ces deux intérêts et de doter le
pays d'une constitution qui allierait l'élément conservateur à l'élémcnt démocratique,
—car le faible des institutions démocratiques
pures est de laisser tout le pouvoir à l'élément populaire. L'histoire du passé prouve
que c'est un mal. Pour que les institutions
soient stables et fonctionnent harmonieusement, il faut avoir une force de résistance
à
opposer à l'élément démocratique. Aux
Etats-Unis, la puissance de résistance
n'existe pas dans le sénat, ni même chez le
président. L'hon. député d'Hochelaga dit
que l'objection de l'hon. député du comté de
Québec est bien fondée parce que le gouvernement fédéral pourra nommer tous des
Anglais ou tous des Canadiens—Français
connue conseillers législatifs pour le Bas- Canada. Si l'hon. député avait lu les
résolutions, il aurait vu que les nominations des
conseillers législatifs devront être faites
d'après les divisions électorales qui existent
actuellement dans la province. Eh bien!
je demande s'il est bien probable que l'exécutif du gouvernement fédéral,—qui aura
un chef pour le Bas-Canada comme aujourd'hui,—je demande s'il est bien probable
qu'il recommandera la nomination d'un Canadien-Français pour représenter des divisions
comme Bedford ou Wellington, par
exemple...
L'
HON. Proc.—Gén. CARTIER—Est-ce
que je ne suis pas dans la minorité, aujourd'hui, pour la nomination des juges? Et,
cependant, quand je propose la nomination
d'un juge pour le Bas-Canada, est-ce qu'il
n'est pas nommé? Est-ce que l'hon. député
de Cornwall (M. J. S. MACDONALD), quand
il était dans le gouvernement, a jamais
cherché à s'immiscer dans les nominations
recommandées par l'hon. député d'Hochelaga? Aujourd'hui, quand il s'agit de
nommer un juge-en-chef ou un juge puisné
pour le Bas-Canada, je me trouve entouré
de collègues dont la majorité est anglaise et
protestante; mais est-ce que cette majorité
ose intervenir dans mes recommandations?
Non; pas plus que nous, Bas-Canadiens,
n'intervenons dans les recommandations de
mon hon. ami le procureur-général du Haut- Canada pour les nominations aux emplois
dans le Haut-Canada. Il y aura, dans le
gouvernement fédéral, un
leader pour le Bas- Canada, et pensez-vous que les autres ministres oseront intervenir et
s'immiscer dans
ses recommandations? Mais on dit que je
serai en minorité! Je le suis aujourd'hui,
comme je le suis depuis huit ans...
M. GEOFFRION — Vous avez l'égalité
entre les deux provinces.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER — Oui,
nous avons l'égalité, mais pas comme race ni
comme religion. Quand le chef du Bas- Canada aura 60 membres de sa section pour
l'appuyer, et s'il commande la majorité des
Canadiens-Français et des Bretons du Bas- Canada, ne pourra-t-il pas défaire le gouvernement
si ses collègues interviennent dans
ses recommandations? C'est là notre garantie. Aujourd'hui, si l'on me faisait une
opposition déraisonnable, mon remède serait
de briser le gouvernement en me retirant,
et la même chose aura lieu dans le gouvernement fédéral.
L'
HON. A. A. DORION—l'hon. membre
aura le pouvoir de se retirer du gouvernement; mais, comme il y aura alors assez de
577
membres anglais pour que l'on puisse se
passer de lui, on le laissera sortir et on ne
s'en occupera pas.
L'
HON. M. CAUCHON— L'hon. député
d'Hochelaga m'a fait une question à propos
de la constitution du conseil législatif, et a
dit qu'il n'avait pas envisagé la question,
dans son discours de l'autre soir, au même
point de vue que l'hon. deputé du comté de
Québec; il a parlé, lui, des conservateurs
comme parti, et sa crainte n'est pas que la
chambre haute ne soit pas assez conservatrice, mais qu'elle le soit trop.
L'
HON. A. A. DORION — Je l'ai considérée aux deux points de vue: celui de
l'intérêt des partis et par rapport au pouvoir
que cette chambre basse exercerait à raison
de sa constitution.
L'
HON. M. CAUCHON—Je n'ai pas vu
ces deux points de vue, je n'en ai vu qu'un
seul; c'est toujours la même idée sous des
formes différentes.
Il a dit que, lors même que la chambre
serait toute libérale, la chambre haute resterait composée de conservateurs; voilà
sa
crainte.
Il a longtemps qu'il cherche à faire
prévaloir ses idées démocratiques, mais il est
évident qu'il n'y réussira pas.
Mais je reviens au véritable point de vue
de l'hon. député, qui est sa crainte de
voir périr son parti. Aujourd'hui, les partis
disparaissent et se fondent ensemble pour
faire place à d'autres qui naissent des
circonstances. Au Nouveau-Brunswick, des
conservateurs s'unissent au gouvernement
libéral pour faire triompher la confédération, et on n'y voit plus aujourd'hui
que les partisans et les adversaires de
l'union, comme en 1788, on ne voyait aux
États-Unis que les artisans de la souveraineté
de l'Etat et ceux de l'autorité fédérale.
La même chose se voit dans la Nouvelle- Ecosse.C'est là du véritable patriotisme et
de
la dignité chez les hommes publics; il est
seulement malheureux qu'on ne suive pas
cet exemple ici.
L'
HON. M. CAUCHON—L'hon. député
de Verchères dit "écoutez!" N'est-il pas vrai
que l'opposition vote comme parti dans cette
circonstance? Si non, veut-il me nommer
un seul membre de l'opposition qui ne vote
pas contre la confédération?
L'
HON. M. CAUCHON—L'hon. député
de Cornwall dit "écoutez! écoutez!" Il peut
bien parler ainsi, lui qui n'a jamais eu de
parti.
Il est arrivé au pouvoir, personne ne s'y
attendait; il en est parti, tout le monde s'y
attendait: il n'y reviendra plus, tout le monde
s'y attend! (Rires prolongés.)
Je lui dois le respect parce qu'il est mon
aîné dans cette chambre, mon aîné de trois
ans. Il est vrai qu'il n'y a pas toujours
représenté le même comté, son frère l'ayant
fraternellement chassé de Glengarry et
l'ayant forcé à chercher refuge dans le
bourg-pourri de Cornwall! (On rit.) Mais
bien que nous ayons eu le malheur de nous
trouver presque toujours dans des camps
différents, nous n'en sommes pas moins
restés bons amis. (On rit!)
Je ne veux pas aborder la question au
point de vue des partis, parce que les partis
meurent, et que dans trente ans nous ne savons pas si les partis actuels existeront.
Nous
ne devons considérer la question qu'en elle- même et dans son mérite propre; c'est-à-
dire, nous devons placer dans la constitution
un contrepoids qui empêche toute législation
trop hâtive et arrête, dans sa marche, tout
gouvernement qui voudrait aller trop vite et
trop loin; c'est-à-dire, un corps législatif qui
puisse protéger le peuple contre lui-même
et le protéger contre le pouvoir. (Ecoutez!)
Jamais, en Angleterre, la Couronne n'a
essayé d'amoindrir la chambre des lords par
la submersion, parce qu'elle comprend que la
noblesse est son boulevard contre les agressions de l'élément démocratique.
La chambre des lords, par sa puissance,
par sa propriété foncière et son énorme richesse, est un plus grand obstacle à l'envahissement
démocratique que tout ce que
l'on pourrait jeter sur son chemin en Amérique.
En Canada, comme dans le reste de l'Amérique du Nord, il n'existe point de castes
comme en Europe, et le conseil législatif
fédéral, bien qu'immuable dans son nombre,
parce que tous les hommes qui en feront
partie sortiront du peuple, sans en sortir
comme les membres de la chambre des communes, ne sera pas choisi dans une classe privilégiée
qui n'existe pas.
Ici, tous les hommes se ressemblent et sont
égaux; et s'il existe une différence entre eux,
elle se trouve uniquement dans l'industrie,
l'intelligence et l'instruction de ceux qui ont
le plus travaillé ou que la providence a le
plus doués. (Ecoutez!)
578
Il y a longtemps, que les privilèges de
caste ont disparu de ce pays. La plus grande
partie de notre ancienne noblesse a laissé le
Canada à la conquête et la plupart des nobles
qui sont restés se sont éteints dans l'inertie:
Aussi, qui voit-on arriver aux plus hautes
positions de l'Etat? les enfants des pauvres,
qui sentent le besoin d'étudier et qui montent
en s'aidant de l'intelligence et du travail.
'Tout ici est démocratique, parce que chacun peut arriver à tout avec une noble ambition.
Les conseillers législatifs nommés
par la Couronne ne seront donc pas socialement des êtres supérieurs aux membres de
la chambre des communes, ils ne devront
leur élévation qu'à leur mérite propre. Ils
vivront du peuple et avec le peuple comme
nous.
Comment se ferait-il donc que n'ayant
sur nous que l'avantage de n'être pas élus,
ils ne subiraient pas, dans une légitime
mesure, l'influence de l'opinion extérieure?
Il y a des hommes qui ont assez de patriotisme pour désapprouver tout ce qui se fait
dans leur pays
C'est un triste travers de l'esprit humain!
S'il y avait eu autant de danger pour le parti
libéral dans l'union que vous le dites, est-ce
que M. TILLEY, le chef du gouvernement
libéral du Nouveau-Brunswick, homme si
plein de prévoyance et de jugement? Est-ce
que l'hon. député de South Oxford, votre
ancien chef, dont vous ne nierez pas, sans
doute, le talent et l'expérience, l'auraient
acceptée? (Ecoutez! écoutez!)
Mais voyez plutôt ce qui se passe, en
ce moment même, au Nouveau-Brunswick
et à la Nouvelle-Ecosse: ce que l'on est
convenu d'appeler le ticket électoral fédéral
se compose de six candidats pour la ville et
le comté de St. John, N. B., et, dans la
Nouvelle-Ecosse, M. TUPPER, le chef d'un
gouvernement conservateur, et M M. ARCHIBALD) et McCULLY, deux des chefs du parti
libéral, se tiennent résolument par la main
pour combattre pour la confédération. (Ecoutez!)
Il faut être bien peu prévoyant pour ne
pas voir que cet ordre de choses nouveau
produira des combinaisons nouvelles comme
en produisit la constitution américaine de
l788, où les citoyens et les hommes publics
se rangèrent en deux camps pour y rester:
le camp des partisans de l'unité nationale, et
celui de la souveraineté des États.
N'ayons donc pas d'inquiétude sur l'avenir
des partis.
Que fait au pays, du reste, la place que nous
occuperons, l'hon. député d'Hochelaga et
moi, dans la nouvelle constitution? Que lui
fait que nous y soyons en haut ou en bas,
les premiers ou les derniers, les vaincus ou
les vainqueurs, pourvu qu'il y soit heureux
et qu'il y trouve le bonheur, la grandeur, la
puissance et la prospérité dans le libre
développement de ses ressources et de ses
institutions!
Les adversaires de la confédération ne
veulent pas de l'union des provinces au point
de vue de la défense militaire.
Deux et deux feront toujours quatre, disent-ils, et, en unissent les populations des
diverses provinces, vous ne donnerez pas
plus de force à chacune contre l'ennemi commun, à moins, nous réplique facétieusemeut
l'hon. député de Lotbinière, que vous ne fassiez un traité avec lui par lequel il
s'engagera à ne nous attaquer que sur un point à
la fois pour nous permettre de l'y rencontrer
avec toutes nos forces.
Oui, deux et deux font toujours quatre;
oui, vous avez raison; la guerre des États- Unis avec l'Angleterre, dans notre condition
coloniale, nous exposerait aux attaques
de l'ennemi sur tous les points vulnérables
des diverses provinces.
Mais, d'abord, l'union impose le chemin de
fer intercolonial, et le chemin de fer, que
n'affectionnent pas démesurément les deux
chefs annexionnistes de l'opposition, permettra à l'Angleterre et aux provinces de
transporter rapidement leurs troupes des parties
les plus extrêmes du pays vers les points menacés du territoire national.
Sans le secours des chemins de fer, comment NAPOLÉON III eût-il pu jeter, en
quinze jours, 200,000 hommes dans les plaines de l'Italie pour y battre les Autrichiens
à Magenta et à Solferino et y remporter l'une
des victoires les plus glorieuses et les plus
sanglantes des temps modernes.
Mais, dans l'état avancé de notre civilisation, de notre commerce et de nos industries;
mais, avec tant d'éléments de grandeur,
avec des sources de prospérité et de fortune
si prodigieuses, avec une population de près
de quatre millions déjà, devons-nous être si
peu ambitieux que de ne pas même aspirer
aller un jour prendre place au banquet des
nations?
Est-ce que nous serons éternellement
colons et l'histoire du monde offre-t-elle des
exemples d'une sujétion éternelle? (Ecoutez!)
579
Ce n'est pas, pour ma part, que je ne me
sente parfaitement heureux et fier sous ce
glorieux drapeau qui abrite en sûreté cent
cinquante millions d'âmes.
Ce n'est pas que je ne me sente pas libre,
comme l'oiseau dans l'espace, sous l'égide
puissante de l'empire britannique; plus libre
mille fois que je ne le serais, tout en m'appelant citoyen, dans les serres de l'aigle
américain. (Ecoutez!)
Mais, il ne faut pas se le cacher, nous
sommes attirés par deux centres d'attraction; les idées opposées qui se produisent
et qui se font la guerre jusque dans cette
enceinte l'attestent suffisamment.
Tout nous dit que le jour " l'émancipation nationale ou de l'annexion aux Etats- Unis
approche, et, pendant que les hommes
d'état de tous les partis, les plus autorisés de
l'empire, nous avertissent affectueusement de
nous préparer pour la première, quelques- uns de nos hommes publics nous poussent
sans cesse vers la seconde, en propageant
des idées républicaines, et en essayant, par
tous les moyens possibles, d'assimiler nos
institutions à celles de la république voisine
Si nous restons isolés, qu'arrivera-t-il au
moment de la séparation d'avec la mère-patrie,
car ce moment viendra, qu'on le veuille ou
qu'on ne le veuille pas?
Chaque province formera un état indépendant, et, comme attaquer l'une ce ne
sera plus attaquer les autres, parce que nous
ne serons plus les sujets d'un même empire,
les Etats-Unis s'ils les convoitent, les devoreront tour à tour dans leur isolement,
suivant, en cela, la tactique si savante des
Romains, en Asie, en Europe et en Afrique;
des Anglais dans l'Inde, et, en Europe, du
plus prodigieux guerrier des temps modernes,
NAPOLÉON. (Ecoutez!)
Je comprends que les annexionnistes insistent pour le statu quo et pour l'isolement;
mais les autres seraient aveugles s'ils les écoutaient, car la raison leur commande
de s'organiser pour se trouver prêts quand le danger
viendra (Ecoutez!)
Si nous sommes quatre millions aujourd'hui nous serons probablement huit millions
et plus alors, avec des moyens proportionnels
de défense et des alliances que nous trouverons, dans le besoin, chez les puissances
européennes, qui voudront maintenir dans
des bornes le développement trop considérable
de la nation qui se débat aujourd'hui dans
les horreurs de la guerre civile. (Ecoutez!)
On ne veut pas non plus de confédé
ration, parce qu'il faudra dépenser pour la
défendre. Mais ceux qui nous parlent ainsi
sont-ils logiques? si deux et deux ne faisaient pas plus de quatre tout-à-l'heure,
pourquoi feraient-ils cinq maintenant? Si
chaque province, prise isolément, était obligée
de dépenser pour organiser la défense de son
territoire, pourquoi la réunion de toutes ces
dépenses, dans la confédération, serait-elle
plus considérable que la somme des mêmes
dépenses autrement additionnées?
Serait-ce parce qu'une seule organisation
devrait être nécessairement moins coûteuse
que six organisations distinctes?
L'HON. député d'Hochelaga a exagéré le
chiffre de la dépense de la confédération
comme il exagère toute chose; comme il
exagérait et travestissait, l'autre jour, les
paroles de l'hon. président du conseil.
(Ecoutez! écoutez!)
M. GEOFFRION—Et à part cela il faut
payer les provinces maritimes pour qu'elles
entrent dans la confédération.
L'
HON. M. CAUCHON—Cette question
viendra naturellement en son temps. Mais
il n'en est pas moins vrai que toutes les provinces entrent dans l'union sur le pied
de
l'égalité, puisque leurs dettes se trouvent
équilibrées et que, pour les fins de l'union,
elles sont strictement assises sur les chiffres
de la population de chacune d'elles. L'hon.
député d'Hochelaga a dit, à une époque
antérieure, je l'ai déjà cité, "que les provinces
maritimes ne voudraient pas de notre alliance
parce que nous étions trop endettés." Maintenant, il ne veut pas de leur alliance
parce
qu'il craint ne nous ayons à payer pour elles.
Aujourd'hui que les dettes se trouvent
parfaitement égales, eu égard au chiffre de
la population, et que la convention les a
ainsi égalisées pour asseoir la confédération
sur la justice, les provinces du littoral
atlantique consentent à l'union.
L'
HON. M. CAUCHON—Je veux parler
du Nouveau-Brunswick et de Terreneuve,
et je suis convaincu que la décision de ces
deux provinces influera suffisamment sur la
Nouvelle-Ecosse pour la décider à entrer
dans la confédération.
Les journaux de la Nouvelle-Ecosse,
même les plus hostiles au projet, avouent
que cette province ne peut rester dans l'isolement; aussi, attend-t-elle le résultat
des élections du Nouveau-Brunswick pour prendre
un parti.
580
En attendant, ces feuilles font d'incroyables
efforts pour engager le Nouveau-Brunswick
à refuser la grande confédération parce
qu'elles en veulent une autre plus petite,
celle des provinces maritimes seulement.
Il est un autre motif qui déterminera
la Nouvelle-Ecosse à accepter le projet de
la convention de Québec, si le Nouveau- Brunswick s'y déclare favorable, c'est que
le débarcadère du chemin de fer intercolonial
serait placé à St. Jean au lieu de l'être à
Halifax; or, que deviendrait la Nouvelle- Ecosse dans cet isolement? Elle ne le voudra
donc pas; ses écrivains et ses hommes d'état
le déclarent positivement.
Quant à nous, nous avons besoin d'un
débouché sur l'Atlantique et nous ne pouvons
l'avoir que par la confédération. (Ecoutez!
écoutez!) Pour ceux qui tiennent à un
autre ordre d'idées, je conçois que cette
considération ne soit pas aussi importante;
car eux veulent poser leur débarcadère sur
un autre point du littoral Atlantique.
Je sens que j'ai déjà parlé longtemps et
il me reste encore quelques points importants
du projet à examiner; je n'entrerai donc
pas dans des calculs de chiffres pour prouver
l'extravagance et l'absurdité de ceux de l'hon.
député d'Hochelaga, aimant mieux, du reste,
les laisser aux mains plus habiles et plus
puissantes de l'hon. ministre des finances.
Je me contenterai de lui dire, et cela suffira
pour moi comme pour la chambre et pour le
pays, que j'aime mieux la confédération,
avec ses perspectives de dépense, que l'annexion aux Etats-Unis, avec une dette réelle
de bientôt trois milliards, et d'une taxe
annuelle de cinq cents millions de piastres.
La section 34 du paragraphe 32 du projet,
se lit ainsi:
"L'établissement d'une cour générale
d'appel pour les provinces fédérées."
Quel est le but, que sera le caractère de
ce tribunal? Voilà deux questions que se
posent naturellement ceux qui ont donné
quelqu'attention à la partie du projet relative aux lois civiles et criminelles, et
au
mécanisme judiciaire.
L'ensemble des dispositifs, qui ont rapport
à ce dernier, est aussi complet que peuvent
le désirer les partisans les plus ardents de
l'unité, tempérée par les quelques exceptions
au moyen desquelles les provinces ont voulu
abriter, contre toute atteinte, leurs institutions locales.
Pour en convaincre la chambre, il suffit de
les lire:
"L'établissement d'une cour générale d'appel
pour les provinces fédérées." 29e paragraphe,
section 34.
"31. Le parlement fédéral pourra créer de
nouveaux tribunaux judiciaires et le gouvernement
général nommer de nouveaux juges, etc., etc.
"32. Toutes les cours, les juges et les officiers des
diverses provinces, devront aider le gouvernement
général et lui obéir dans l'exercice de ses droits et
de ses pouvoirs; pour ces objets, ils seront considérés comme cours, juges et officiers
du gouvernement général.
"33. Le gouvernement général nommera et
paiera les juges des cours supérieures, dans les
diverses provinces, et des cours de comtés, dans le
Haut-Canada, et le parlement fédéra1 déterminera
leurs salaires.
"35. Les juges du Bas-Canada seront choisis
parmi les membres du barreau du Bas-Canada.
"37. Les juges des cours supérieures conserveront
leurs charges durant bonne conduite, et ne pourront être déplacés que sur une adresse
des deux
chambres au parlement fédéral.
"45. Pour tout ce qui regarde les questions
soumises concurremment au contrôle du parlement
fédéral et à celui des législatures locales, les lois
du parlement fédéral devront l'emporter sur celles
des législatures locales. Les lois de ces dernières
seront nulles partout où elles seront en conflit
avec celles du parlement fédéral.
"38. Chaque province aura un officier exécutif
appelé lieutenant-gouverneur, lequel sera nommé
par le gouverneur général en conseil, etc., etc.
"39 Les lieutenants-gouverneurs des provinces
seront payés par le gouvernement général.
"50. Les bills des législatures locales pourront
être réservés pour la considération du gouverneur
général.
"51. Les bills des législatures locales seront
sujets au désaveu du gouverneur général durant
les douze mois qui suivront leur passation."
Le but évident de cette organisation c'est
de rassurer la minorité protestante du Bas- Canada contre ses appréhensions sur l'avenir;
c'est aussi, probablement, dans l'intérêt de
l'unité nationale, d'empêcher les parlements
et les gouvernements locaux d'entamer les
attributs et la législation du parlement central.
La nomination des juges, le véto, la réserve
et jusqu'à certaines directions qui s'y lisent
dans le projet même, conduisent parallèlement au même but, et doivent nécessairement
y atteindre.
A cela je ne vois rien de mal, pourvu que
cet engin puissant, en sortant de sa voie,
n'écrase pas dans sa marche les choses que
l'on s'engage solennellement à respecter et à
maintenir à toujours dans leur intégrité.
Je ne suis pas de l'opinion de l'hon. député
de Brome, qui croit voir, dans ces dispositifs,
que les juges auront deux maîtres à servir à
la fois.
581
Si le commandement pouvait leur venir de
quelque part, ce serait bien de l'autorité féérale, qui seule les nommera, les paiera
et
pourra les destituer dans certains cas.
Il n'y a pas d'anomalie ici, car tout s'y
suit, tout s'y enchaîne et tout s'y harmonise
parfaitement. S'il pouvait y avoir quelque
chose, ce serait plutôt des dangers.
Cependant, jusque là, je n'en vois pas du
côté de l'administration de la justice, la
question du véto et de la réserve, au point de
vue de la législation, étant chose parfaitement
à part et provoquant des considérations d'un
ordre différent.
Mais voici le point essentiel sur lequel je
désire attirer l'attention de la chambre:
parmi toutes les choses qui sont garanties au
Bas-Canada dans la constitution, et, dans le
fait, à toutes les provinces, sont leurs lois
civiles.
Et le Bas-Canada a tellement tenu à son
code civil que le projet dit expressément que
le parlement fédéral ne pourra même pas
suggérer de législation qui l'affecte, comme
il lui sera permis de le faire pour les autres
provinces.
La raison en est facile à saisir. Les lois
civiles des autres provinces sont presque
similaires, elles vivent du même esprit, des
mêmes principes. Elles ont pris leur origine
dans les mêmes mœurs et dans les mêmes
idées.
Mais il n'en est pas de même de celles du
Bas-Canada, dont les origines sont toutes
latines, ou à peu-près, et auxquelles nous
tenons comme à un héritage sacré.
Nous les aimons parce qu'elles sont dans
nos mœurs, et que nous y trouvons protection
pour la famille et pour la propriété.
La convention a compris et a respecté nos
motifs à cet endroit.
Cependant, si une cour d'appel générale
était ou pouvait, un jour, être placée au-dessus
des tribunaux judiciaires de toutes les provinces, sans en excepter ceux du Bas-Canada
lui-même, il arriverait que ces mêmes lois
seraient expliquées par des hommes qui ne
les comprendraient pas et qui grefferaient,
involontairement peut-être, une jurisprudence anglaise sur un code de lois françaises.
C'était le spectacle qui nous était offert en
Canada, après la conquête du pays, et personne, sans doute, ne serait tenté d'en vouloir
la répétition.
Nous avons, il est vrai, le conseil privé de
Sa Majesté, tribunal en dernier ressort; mais
celui-ci, nous le devons à une force majeure,
nous ne l'avons pas nous-mêmes demandé. Et,
du reste, il se compose d'hommes d'élite, tous,
ou presque tous, profondément versés dans la
science du droit romain, et qui, quand ils
ont des doutes à l'endroit de quelque point
de loi, s'aident des conseils des jurisconsultes
les plus éminents de la France.
Le projet de constitution ne parle pas non
plus de faire disparaître ce dernier tribunal
qui dominera de son caractère impérial, même
la cour d'appel que pourra créer, s'il le veut,
le parlement fédéral.
Ici, la convention avait des visées nationales; elle prévoyait évidemment pour les
jours qui devront suivre celui de l'émancipation coloniale.
Quoiqu'il en soit des intentions des délégués, leur projet ne définit pas les attributs
de cette cour fédérale, et, comme il a des
appréhensions à cet endroit, je désirerais
poser au gouvernement les questions suivantes:
Cette cour d'appel, si on l'établit, sera-t- elle un tribunal purement civil ou constitutionnel?
Ou sera-t-elle civile et constitutionnelle
tout ensemble?
Si elle est civile, atteindra-t-elle le Bas- Canada?
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER— La question qui m'est posée par mon hon. ami le député
de Montmorency, n'en est pas une à laquelle
le gouvernement puisse facilement répondre,
parce que le pouvoir donné par cet article,
n'est que celui de la création d'un tribunal
d'appel à une époque future, et la jurisdiction de cette cour dépendra de la cause
pour
laquelle elle aura été constituée. L'hon.
député a remarqué avec beaucoup de justesse
qu'il pourra devenir nécessaire plus tard
qu'un pareil tribunal soit institué. Aujourd'hui, les différentes provinces qui doivent
former partie de la confédération, ont le
même tribunal d'appel en dernier ressort, et
aussi longtemps que nous maintiendrons notre
connexion avec la mère-patrie, nous trouverons toujours un tribunal d'appel en dernier
ressort dans le conseil privé de Sa Majesté;
mais, lorsque les provinces britanniques de ce
continent seront unies par un lien fédéral,
nous devrons avoir un système uniforme et
commun concernant les douanes, les lettres
de change, les billets promissoires, ainsi que
pour les lois criminelles. Ainsi, lorsque nous
aurons vécu plusieurs années sons le régime
fédéral, l'urgence d'un pareil tribunal d'appel, ayant jurisdiction sur ces différentes
582
matières se fera sentir, et s'il est constitué, il
devra s'étendre aux causes civiles qui pourront surgir dans les différentes provinces
confédérées, parce que ce tribunal d'appel
devra nécessairement être composé de juges
les plus éminents des diverses colonies, des
juristes les plus en réputation, d'hommes
enfin qui seront profondément versés dans la
connaissance des lois de chacune des provinces
qu'ils représenteront respectivement. Eh
bien! si ce tribunal est appelé, par exemple,
à prononcer en dernier ressort sur un jugement rendu par une cour du Bas-Canada, il
se trouvera, parmi les juges qui siégeront
sur le banc, des hommes parfaitement versés
dans la connaissance des lois de cette section
de la confédération, et qui pourront faire part
de leurs lumières aux autres juges composant
le tribunal.
Je ferai observer à mon hon. ami le
député de Montmorency, qu'il a amoindri
dans ses appréciations les lois civiles du
Bas-Canada, et qu'il n'a pas besoin d'avoir
aucune appréhension de ce côté. Il ne doit
point perdre de vue que si, aujourd'hui, dans
le conseil privé de Sa Majesté, les lois du
Bas-Canada sont si remarquablement comprises, c'est que le code d'équité, si profondément
étudié et si familier aux membres de
ce conseil, est basé sur le droit romain comme
l'est aussi notre propre code. Tous les juges
éminents, soit en Angleterre, dans les provinces maritimes ou dans le Haut-Canada,
ont une connaissance approfondie de ces
mêmes principes d'équité qui sont identiques
à ceux de notre propre code civil. Maintenant, quant à mon opinion personnelle sur
la
création de ce tribunal, je crois qu'il serait
important qu'il ne fût institué qu'un certain
nombre d'années après l'établissement de la
confédération et qu'il fût composé de juges
des différentes provinces, car ce tribunal
aurait à prononcer sur des causes jugées par
les cours de ces mêmes sections. Je ne saurais dire, non plus, quelles attributions
leur
seront données par l'acte qui les constituera;
le temps seul pourra nous le dire, mais je
suis d'opinion, et l'esprit de la conférence de
Québec est que l'appel au tribunal de Sa
Majesté en conseil privé devra toujours exister, bien que ce tribunal soit institué.
L'
HON. M. EVANTUREL—Je rends
témoignage à la franchise qu'a montré l'hon.
procureur général du Bas-Canada en donnant
à la chambre les explications qu'elle vient
d'entendre, et j'espère que l'hon. ministre
me permettra de lui poser une question. La
clause 32 donne au gouvernement fédéral le
droit de législater sur " la loi criminelle,
mais y compris la procédure en matière
criminelle." Si je ne me trompe, cette clause
signifie que le gouvernement général aura le
droit d'instituer des tribunaux judiciaires
dans les différentes provinces confédérées;
j'aimerais beaucoup à être éclairé sur ce
point par l'hon. procureur-général du Bas- Canada.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Je suis
bien aise que l'hon. député du comté de
Québec m'ait posé cette question, et je vais
lui répondre avec autant de franchise que
j'en ai mise à répondre à l'hon. député de
Montmorency. Mon hon. ami, en référant
à la clause qu'il vient de citer, devra voir
que le pouvoir qu'elle donne au gouvernement général est simplement celui de faire
exécuter les lois du gouvernement fédéral,
et non celles d'aucun des gouvernements
locaux.
L'
HON. M. CAUCHON—J'ai entendu
les explications données par mon hon. ami
le procureur-général du Bas-Canada, et je les
trouve parfaitement satisfaisantes en ce qui
regarde les lois criminelles; car ces lois sont
les mêmes, ou à peu-près, dans toutes les provinces.
Pour ma part, je préfère infiniment
les lois criminelles anglaises à celles des
autres pays; on y trouve plus de protection
pour l'individu que dans les lois criminelle
de la France, par exemple, dont j'admire,
du reste, les lois civiles, le génie administratif et la puissance civilisatrice.
(Ecoutez!)
Si le code criminel anglais donne trop de
chances au criminel d'échapper, du moins il
expose moins la société à condamner l'innocent. On n'y juge que le fait pour lequel
l'homme est accusé, et on ne va pas lui
demander compte de tout son passé et de ses
moindres paroles.
Les lois commerciales sont à peu-près
les mêmes dans tous les pays, et l'on peut
dire que le code commercial des deux
mondes repose sur une ordonnance d'un
roi de France. Il n'y a donc aucun inconvénient à ce que les questions commerciales
soient, elles aussi, soumises au tribunal
d'appel dont il est parlé dans le projet de la
convention.
Je suis convaincu que ce tribunal, s'il
doit exister jamais, sera composé des hommes
les plus éminents des diverses provinces qui
étudieront sérieusement les causes qui leur
seront soumises; mais la majorité d'entre
583
eux aura étudié et pratiqué un code de
lois civiles différent, bien que la législation du Haut-Canada, par exemple, tende
à s'approcher constamment de notre code
civil, BLACKSTONE, avec le droit commun national qu'il a voulu créer, n'étant
plus aujourd'hui la grande autorité d'autre- fois, et l'Angleterre, comme l'Allemagne,
puisant plus à la source du droit romain
comme étant la raison écrite la plus parfaite
qui existe. Cependant, nous n'en sommes
pas arrivés jusque là dans nos provinces et,
jusqu'ici encore, le droit anglais se compose
plutôt de précédents, de décisions de juges
éminents, tels que les lord MANSFIELD, les
lord COKE et autres, et puisque le projet de
constitution fait une exception en faveur de
notre code civil, il serait plus prudent,
suivant moi, de laisser les décisions de nos
causes aux juges qui ont étudié et pratiqué
notre code. Rien encore n'y est écrit dans
la constitution et rien n'empêche d'y faire
l''exception désirée. (Ecoutez!)
Je sais qu'il peut y avoir à cela des inconvénients et qu'il a fallu ici faire des
concessions probablement pour en obtenir d'autres;
mais je pense qu'en y réfléchissant l'on se
convaincra qu'il y a moins d'inconvénients,
pour toutes les parties intéressées, à faire
juger les lois par ceux qui les connaissent
que par ceux qui les ignorent.
J'arrive maintenant, M. le PRÉSIDENT, à
la question du mariage et du divorce:
LE MARIAGE ET LE DIVORCE.
(Section 31 de la 29e clause.)
Le mot divorce a raisonné singulièrement
aux oreilles catholiques dans toute l'étendue
du Canada, car le catholique, qu'il réside à
Rome, à Londres, à Paris, à New York, à
Halifax ou à Québec; le catholique ne
reconnaît, à aucun pouvoir au monde, le
droit de consacrer et de légaliser le divorce.
Voilà ce que croit le catholique, qu'il soit
souverain pontife, commandant spirituellement à 200,000,000 d'âmes, ou le plus
humble des fidèles à peine abrité, par un
toit de chaume, contre la tempête et l'orage.
Voila ce que je crois et ce que croient
avec moi tous les catholiques du monde;
mais ici, dans cette enceinte composée de
catholiques et de protestants, je sens que
j'ai besoin, pour être compris, de parler un
autre langage, qui sera entendu de tous,
parce qu'il repose sur des principes antérieurs même au christianisme et universelement
acceptés.
Qu'est-ce que le mariage considéré comme
contrat naturel? C'est la formule sociale;
c'est, comme j'ai eu occasion de l'écrire
ailleurs, le moyen naturel de transmission
de la propriété qui est la base de la société,
et, disons-le, la société elle-même dans sa
constitution. (Ecoutez!)
Si on ne peut pas supposer un corps sans
forme, de même on ne peut pas plus imaginer
la société sans sa formule, et, en brisant
celle-ci, vous brisez la société.
Voilà pourquoi le lien matrimonial doit
être indissoluble; c'est lui qui constitue la
famille, et, en le détruisant, vous l'atteignez
et vous la détruisez. En la brisant vous
frappez, du même coup, mortellement, la
société; car la famille, c'est son seul fondement, son seul élément composant.
C'est de là, c'est de ces vérités fondamentales que naissent les droits, les devoirs
et
les lois civiles qui les constatent, les attribuent et les protégent.
Oubliant la loi naturelle et le principe
même qui préside à l'existence de la société,
j'ai entendu, dans une autre enceinte que
celle-ci, des hommes, attendris au récit des
malheurs domestiques d'un de leurs semblables, invoquer même la parole du divin
fondateur du christianisme, pour se justifier
de légaliser le divorce pour cause d'adultère.
Voyons si le langage du Sauveur du monde,
qui enseignait ici une doctrine toute sociale,
en conservant à la famille son inviolabilité,
et qui l'entourait de devoirs pour la rendre
plus sainte; voyons si ce langage justifiait
cette interprétation:
"Je vous dis que celui qui renverra sa femme,
si ce n'est pour cause d'adultère, et en épousera
une autre, deviendra adultère lui-même, et celui
qui épousera celle qui aura été renvoyée sera
adultère aussi. "
Ces paroles ne sont-elles pas aussi claires
que la lumière et ne défendent-elles pas
expressément le divorce, puisqu'elles déclarent adultère l'homme qui épouse la femme
renvoyée?
Elles permettent le renvoi, la séparation
de corps, mais elles défendent expressément
le divorce, c'est-à-dire la violation de la
famille. (Approbation.)
J'ai dit que ces paroles divines avaient
un but tout social; en effet, quel autre
but pouvaient-elles avoir? quel autre but
que celui de conserver intacte la formule
sociale pour la transmission de la propriété?
et si elles l'entourent d'une sanction surnaturelle, accompagnée de la perspective
de
584
peines ou de récompenses, c'est pour la
protéger davantage.
C'est pour cela que, dans le catholicisme,
le mariage, contrat naturel, est élevé à la dignité de sacrement; mais il était inviolable
et
indissoluble avant cette sanction. (Ecoutez!)
Maintenant, si nous sortons de la considération de ces grandes idées philosophiques
et chrétiennes, nous tombons dans le domaine
des faits matériels, et nous sommes forcément
conduits à distinguer, entre la force et le
droit, le pouvoir et le devoir.
L'autorité législative souveraine, comme
force majeure, partout, en dépit du droit
ou du devoir, a exercé la haute main sur
toutes les questions d'ordre social, parmi
lesquelles se trouvent le divorce; partout
dans l'ancienne Rome, en France, en Angleterre, aux Etats-Unis et en Canada, et force
a été aux tribunaux judiciaires et à tous,
d'exécuter ses commandements. (Ecoutez!)
Ce pouvoir est inhérent au parlement
et s'exerce sans conteste. Notre parlement
actuel le possède tout comme le possédaient
celui de 74 et celui de 91, et plusieurs
d'entre nous ont eu à voter plus d'une fois
pour ou contre des bills de divorce.
Les catholiques votaient invariablement
contre, ne pouvant nier le pouvoir, mais
niant le droit et mettant ainsi leur conscience
d'accord avec leurs principes. (Ecoutez!)
Aujourd'hui, ce n'est donc pas la proclamation d'un principe que nous demande le projet
de la convention de Québec, mais un simple
déplacement de l'exercice d'un pouvoir qui
existe malgré nous. (Très-bien.)
Or, en pesant toute chose, les inconvénients
et les avantages, je dis, pour ma part, et je
crois exprimer en cela la pensée générale des
catholiques: Puisque le mal est nécessaire
et s'impose, j'aime mieux le voir là qu'ici,
là où il aura des conséquences moins graves,
parce qu'elles y seront plus gênées dans leur
développement et, conséquemment, moins
démoralisatrices et moins fatales. (Ecoutez!)
Le mariage se présente ici à nous sous un
autre aspect, car c'est le mariage dans ses
effets civils.
Le projet attribue les lois civiles et la
législation sur la propriété aux législatures
locales; or, le mariage, comme contrat
civil, fait nécessairement partie de ces lois et
j'oserais presque même dire qu'il atteint le
code civil tout entier, comprenant, dans sa
signification la plus large, tous les actes de
mariage, toutes les qualités et les conditions
requises pour permettre de contracter mariage,
toutes les formalités relatives à sa célébration,
toutes ses causes de nullité, toutes ses obligations, sa dissolution, la séparation
de corps,
ses causes et ses effets, en un mot, toutes ce
conséquences possibles qui peuvent résulter
du mariage par rapport aux conjoints, aux
enfants et aux successions. (Ecoutez!)
Si telle avait été la pensée des délégués, il
faudrait autant dire que les lois civiles ne
seront pas un des attributs de notre législature locale, et que ces mots: " La propriété
et les droits civils " ont été placés par ironie
dans la 15ème section de la 43ème clause
du projet.
Mais j'étais sûr d'avance qu'il ne pouvait pas en être ainsi, lorsque l'hon. solliciteur-général
du Bas-Canada a déclaré,
l'autre jour, au nom du gouvernement, que
"le mot mariage, inséré dans le projet, y
exprime l'intention de donner au parlement
fédéral le pouvoir de déclarer que les mariages contractés dans l'une des provinces
de
la confédération, en vertu des lois de cette
province, vaudront légalement dans toutes
les autres."
Alors, dois-je comprendre que la partie
de la constitution, en rapport avec cette
question, sera rédigée dans le sens de la
déclaration de l'hon. solliciteur-général, et
sera restreinte au cas nommé?
L'
HON. Sol-Gén. LANGEVIN— J'ai fait,
l'autre jour, M. le PRÉSIDENT, au nom du
gouvernement, la déclaration que vient de
mentionner l'hon. député de Montmorency;
et qui avait trait à la question du mariage.
L'interprétation donnée par moi en cette
occasion est exactement celle qui lui a été
donnée à la conférence de Québec. Il va
sans dire que les résolutions soumises à cette
hon. chambre ne renferment que les principes sur lesquels le bill ou la mesure de
confédération sera basée; mais je puis assurer
à l'hon. député que les explications que j'ai
données l'autre soir, relativement à la question du mariage, sont parfaitement exactes,
et
que l'article de l'acte impérial qui y aura
trait sera rédigé d'après l'interprétation que
je lui ai donnée.
L'
HON. A. A. DORION—J'ai cru comprendre, de quelqu'un que j'avais raison de
croire bien informé, que cet article avait pour
but de protéger les mariages mixtes.
L'
HON. Sol-Gén. LANGEVIN— Pour
être mieux compris de l'hon. membre, je vais
lui lire la déclaration écrite que j'ai communiquée l'autre soir à cette hon. chambre.
Cette déclaration se lit comme suit:
585
"Le mot mariage a été placé dans la rédaction
du projet pour attibuer à la législature fédérale
le droit de déclarer quels étaient les mariages
qui seraient considérés commes valides dans toute
l'étendue de la confédération, sans toucher pour
cela, le moins du monde, aux dogmes ni aux rites
des religions auxquelles appartiennent les parties
contractantes."
L'HON. député d'Hochelaga voudra bien
remarquer que j'ai en soin de lire cette
déclaration, et, afin qu'il n'y eût pas de doute
possible à cet égard, j'ai donné aux rapporteurs le texte même de la déclaration.
L'
HON. A. A. DORION—J'ai pu me
tromper, mais la question sur laquelle j'aimerais à être éclairé par l'hon. solliciteur-
général, c'est celle-ci: une législature locale
aura-t-elle le droit de déclarer qu'un mariage
entre parties ne professant pas la même
croyance ne sera pas valable?
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Est-ce
que la législature du Canada n'a pas aujourd'hui le pouvoir de législater sur la matière,
et,
cependant, a-t-elle jamais pensé à faire une
législation comme celle-là. (Ecoutez! écoutez!)
L'
HON. M. CAUCHON—Si j'ai bien
compris l'explication de l'hon. solliciteur- général du Bas-Canada, ce serait seulement
entre les provinces l'application du droit
public de nation à nation, c'est-à-dire qu'un
mariage contracté légalement dans une province vaudrait aussi légalement dans toutes
les autres. (Écoutez!)
L'
HON. M. CAUCHON—Si c'est un
principe juste je ne vois pas le mal qu'il
peut y avoir à l'écrire dans la constitution,
d'autant plus que c'est là le désir des provinces et que nous sommes intéressés, pour
notre part, à ce que les mariages contractés
en Bas-Canada soient valides dans toutes les
parties de la confédération.
Cette déclaration est satisfaisante et rassurante.
Quelques-uns des orateurs, tout imbus des
doctrines démocratiques républicaines, ont
été jusqu'à nier l'un des principes les plus
esentiels et les plus fondamentaux de la
constitution britannique, à savoir: que le
parlement peut changer la constitution sans
des appels spécifiques au corps électoral et
sans le recours aux conventions populaires.
Il est évident qu'ils veulent nous mener à
la république sociale et au gouvernement et
à la législation en plein champ.
Les armées romaines, aux temps de la déca
dence de l'empire, faisaient et défaisaient les
empereurs; mais il ne leur est jamais venu à
l'idée de faire des lois et d'administrer l'état.
Cela devait être réservé à nos républicains
qui sont contre la confédération, parce qu'ils
veulent l'annexion aux Etats-Unis, et qu'ils
y suscitent tous les genres d'obstacle pour
parvenir à leur but. (Ecoutez!)
Ce sont ici des débats inutiles qu'ils
provoquent pour gagner du temps; là
des pétitions qu'ils couvrent de fausses
signatures ou de noms obtenus sous de
faux prétextes, et les enfants perdus de
la démocratie qui, dans la rue, menacent de l'émente et du gibet tous ceux
qui veulent l'union des provinces, et, par
elle, en son temps, la monarchie constitutionnelle et le gouvernement parlementaire.
(Ecoutez!)
Mais pour ceux qui, comme moi, se
meuvent dans un autre cercle d'idées, qui
ont d'autres aspirations et ne veulent accepter,
pour aucun prix, leur part du fardeau d'une
dette de trois milliards et d'un impôt annuel
de cinq cents millions de piastres; pour
ceux-là, la théorie et la pratique du droit
constitutionnel anglais ont seuls de l'attraction. (Ecoutez!)
Ces convictions, chez moi, ne datent
pas d'hier. Quand, en 1849, à la suite
d'une crise commerciale, qui avait jeté
partout le découragement, des marchands
ruinés, soupirant après l'annexion, dans
laquelle ils croyaient trouver un remède à
leurs maux et la fortune qu'ils avaient perdue,
adressèrent à la Grande-Bretagne une supplique pour leur permettre de passer, armes
et bagages, au gouvernement de Washington,
à eux se joignirent les républicains de goût
et de principes, parmi lesquels l'on pouvait
remarquer les hons. députés de Chateauguay
et d'Hochelaga. (Ecoutez!)
La prospérité qui suivit, ramena les marchands à l'affection de la règle britannique;
mais les autres restèrent républicains et annexionnistes. Leurs chefs sont là devant
nous.
Leurs actes les trahissent et, s'il nous était
permis de les entendre dans leurs causeries
intimes, je suis sûr que leurs paroles les trahiraient aussi.
A peine le mouvement annexionniste venait-il de se faire à Montréal, que les deux
mêmes classes d'hommes s'agitaient à Québec
et convoquaient une assemblée annexionniste dans l'hôtel Saint-George, où siége
aujourd'hui le gouvernement exécutif.
Cette assemblée s'annonça sous de mauvais
586
auspices; elle fut présidée par un marchand
en faillite. C'était le soir, et à la lumière du
gaz qu'elle avait lieu.
Un orateur exhalait, à pleins poumons, le
républicanisme et l'annexion qui devaient
nous donner bonheur et prospérité.
Des citoyens respectables et haut placés,
indignés de ce qu'ils voyaient, me conjurèrent de parler et, par un mouvement
spontané, me portèrent sur l'estrade.
L'orateur annexionniste, perdant son équilibre, par le choc, pour se tenir debout,
saisit le bec de gaz, qui était au-dessus de
sa tête, et le rompit. La flamme montant menaçante vers le plafond, l'hôtelier effrayé
courut vite à la cave détourner les sources
de la lumière, et l'annexion s'éteignit ainsi
dans la nuit profonde! (Rires prolongés.)
Les républicains-annexionnistes, la rage
dans le cœur, pour se venger, allèrent briser
mes vitres.
Il y a de cela tantôt seize ans, et le temps
n'a fait que grandir en moi le sentiment
qui me faisait agir alors.
Ce n'est ni la haine ni le préjugé qui
m'inspirent depuis que j'ai pu lire et réfléchir. Mon opinion est le fruit d'une conviction
raisonnée.
Aussi, c'est dans l'histoire parlementaire
de la Grande-Bretagne, et non dans celle des
institutions américaines, que j'irai chercher
la règle de conduite qui devra me guider
dans la circonstance.
En 1717, le sol britannique était envahi par le prétendant. Les tories, qui
n'étaient pas au pouvoir, mais qui voulaient
y monter, précisément comme les hon. députés que je vois devant moi, criaient,
comme eux, que l'église et la religion étaient
en danger. Et remarquez bien la similitude,
ils voulaient faire monter un prince catholique sur le trône. (On rit.)
Les whigs, qui gouvernaient et qui voyaient,
dans l'élection prochaine, la certitude de
la chute de la dynastie régnante, prirent la
détermination de prolonger, sans appel au
peuple, de quatre ans la durée du parlement.
Leurs adversaires crièrent, comme les
nôtres aujourd'hui, à la violation de la constitution et les accusèrent d'éviter,
par un
moyen violent, l'appel au peuple, pour se
maintenir au pouvoir.
M. GEOFFRION—Proportion gardée, il
y a plus de protestants que de catholiques
en faveur de la confédération.
L'
HON. M. CAUCHON—D'abord, il y a
beaucoup plus de protestants dans la chambre
que de catholiques. Le Haut-Canada étant
tout protestant, à l'exception de deux voix,
et l'opposition du Bas-Canada se prononçant
comme parti contre la confédération, il n'est
pas étonnant qu'il y ait proportionnellement
plus de protestants que de catholiques pour
la confédération. (Ecoutez! écoutez! des
bancs de l'opposition.)
Cela me conduit à dire que les institutions
catholiques ont été mieux servies par des
voix protestantes que par certaines voix catholiques dans la législature. Si le catholicisme
a été insulté, c'est principalement
par les journaux de l'opposition. (Ecoutez!)
M. GEOFFRION—Le
Globe, l'organe
de l'hon. président du conseil!
L'
HON. M. CAUCHON—Oui, le
Globe
a attaqué les institutions et le clergé catholique; il avait tort, sans doute, et
son propriétaire aussi. Mais dans ces moments, et
notammant dans une occasion solennelle où
l'hon. président du conseil accusait le catholicisme de démoralisse la société, qui
est-ce
qui lui a répondu longuement, et j'oserais
dire victorieusement dans cette enceinte?
(Sensation!) J'ai donc le droit de dire:
l'hon. président du conseil avait tort de parler
et d'écrire ainsi. Il était injuste, mais au
moins il était protestant et il était dans ses
principes. Cependant, qu'a-t-il écrit comparativement à ce qu'ont fait certaines feuilles
de l'opposition catholique, parmi lesquelles
l'
Avenir brillait au premier rang? Celles-ci
ont ressassé l'histoire du monde tout entier,
depuis le commencement de l'ère chrétienne,
pour en extraire les calomnies de tous les
siècles, afin d'en écraser, s'il était passible,
les évêques et les prêtres. Elles ont été
même jusqu'à jeter de la boue à la figure de
l'auguste Pontife qui préside aujourd'hui a
l'église universelle; et l'Institut Canadien
de Montréal, patrôné par les chefs de l'opposition, que n'a-t-il pas fait? (Applaudissements
et mouvement prolongé.)
L'
HON. M. CAUCHON—Ah! nous les
connaissons ceux qui se font aujourd'hui les
défenseurs du catholicisme, ces anciens
collaborateurs de l'
Avenir; nous savons ce
qu'a fait l'
Avenir et le
Pays aussi en certaines
circonstances. (Ecoutez!)
Mais voici ce que l'on trouve dans une
grande autorité constitutionnolle, dont les
hons. députés ne contesteront probablement
pas la valeur.
587
Hallam's History of England, page 589:—
"C'est sur cette désaffection universelle et les
dangers généraux du gouvernement établi, quefut
fondée cette mesure si fréquemment attaquée dans
le passé, la substitution des parlements triennaux
aux parlements septennaux. Le ministère jugea
qu'ily avait trop de péril pour son maitre pour se
permettre une élection générale en 1717. Mais les
arguments en faveur du changement, qu'on voulait
rendre permanent, furent tirés de sa convenance
permanente. Il ne saurait y avoir rien de plus extravagant que cette prétention émise
avec confiance
quelquefois par les ignorants, que la législature
a outrepassé ses droits en décrétant cette loi, ou,
si cela ne peut pas être prétendu légalement,
qu'il a au moins trahi la confiance du peuple, et
retourné à l'ancienne constitution. La loi des
parlements triennaux dura un peu plus que vingt
ans. C'était une expérience qui, comme on le
prétendait, n'avait pas eu de succès; comme
toute autre loi, elle pouvait être rappelée en entier
ou modifiée a discrétion. Gomme question d'expédient constitutionel, le bill septennal
était alors
sujet à une sérieuse objection. Tout le monde
admettait qu'un parlement subsistent indéfiniment
pendant la vie entière d'un roi, mais continuellement exposé à être dissous selon
son bon plaisir,
deviendrait beaucoup trop indépendant du peuple,
et en revanche, beaucoup trop dépendant de la
couronne. Mais si sa durée était ainsi changée de
trois à sept ans, le cours naturel des entraves suscitées par les hommes au pouvoir,
ou quelques
circonstances aussi importantes que la présente,
pourrait amener de nouvelles prolongations, et,
graduellement au rappel entier de ce qu'on avait
regardé comme une sauvegarde si importante de
sa pureté. Le temps a heureusement mis fin à
ces appréhensions, qui ne doivent pas être, pour
tout cela, considérées comme déraisonnables."
Contre ceux qui prétendaient que le parlement d'Angleterre ne pouvait effectuer,
sans un appel au peuple, l'union législative
avec l'Irlande. WILLIAM PITT, cette autre
grande autorité constitutionnelle, soutint que
le parlement avait le droit de changer même
la succession au trône, de s'incorporer une
autre législature, d'enlever les franchises à
ceux qui l'élisent et de se créer d'autres
électeurs.
Pour plus de précision, je vais citer un
discours prononcé par l'illustre PEEL, le 27
mars 1846, sur la question des céréales.
On y trouvera l'opinion de PITT, de FOX et
de° Sir Robert PEEL lui-même, l'autorité
constitutionnelle la plus imposante de ce
siècle.
Il se trouve dans Hansard's Parliamentary Debates, 3rd series, vol. 85, pages 224-25
et 26:
"Mais mon honorable ami dit qu'il ne s'y
objectait pas parce qu'elle entravait la formation
d'un gouvernement de protection, mais parce
qu'elle empêchait une dissolution; et mon honorable ami ainsi que quelques autres
honorables
membres m'ont blâmé parce que je n'avisais pas
une dissolution du parlement. Dans mon opinion,
aviser une dissolution du parlement dans les circonstances particuliers: où cette
question de la
loi des céréales se trouvait placée, aurait été
forfaire complètement au devoir d'un ministre.
Pourquoi serait-il impossible à ce parlement de
considérer la proposition actuelle? Après son
élection en 1841, ce parlement a passé la loi
actuelle des céréales qui a diminué la protection;
ce parlement a passé le tarif, détruisant ainsi
complètement le système de prohibition concernant les denrées; le parlement a passé
le bill des
céréales du Canada; pourquoi serait-ce dépasser
les fonctions de ce parlement que de considérer la
proposition qui leur est maintenant soumise?
Mais, pour des considérations beaucoup plus
élevées, je ne voudrais pas consentir à une dissolution. En vérité, je suis d'opinion
que ç'aurait
été créer un " précédent dangereux" que de déclarer, en qualité de ministre, que la
législature
actuelle n'était pas compétente pour prendre en
considération une question quelconque; c'est là
un précédent que je ne voudrais pas établir. Quelque soient les circonstances qui
aient pu se produire à une élection, je ne voudrais jamais sanctionner une proposition
qui irait à dire qu'une
chambre des communes n'est pas compétente
pour prendre en considération une mesure nécessaire au bien-être d'une population.
Si vous étiez
prêts à admettre cette doctrine, vous mettriez en
danger les bases sur lesquelles reposent quelques- unes de nos meilleures lois. Mais
cette doctrine fut
invoquée lors de l'union de l'Angleterre et de l'Irlande, comme elle l'avait été précédemment
au
temps de l'union entre l'Angleterre et l'Écosse; elle
fut chaleureusement maintenue en Irlande, mais
elle ne le fut pas dans ce pays-ci par M. Fox. M.
SHERIDAN y fut quelque allusion lorsque le message
concernant l'union fut promulgué! L'élection du
parlement avait eu lieu sans qu'on eut la moindre
raison de croire qu'il déciderait que ses fonctions
devaient être fusionnées et mêlées avec celles
d'une autre législature, savoir: le parlement irlandais; et M. SHERIDAN lui donna
cela en passant
comme une objection à la compétence du parlement, mais M. PITT refuta de suite cette
objection
dans les termes suivants:
"La première objection consiste dans l'allusion
que j'ai entendu faire par l'honorable monsieur
qui siège vis-à-vis de moi; lorsque le message de
Sa Majesté nous a été soumis,—savoir: que le parlement d'Irlande n'est pas compétent
pour considérer et discuter la mesure proposée, sans avoir
au préalable obtenu le consentement du peuple
irlandais ou de ses commettants. Cette question,
monsieur, est d'une si haute importance, que je
ne dois pas laisser échapper l'opportunité qui
m'est offerte sans définir plus explicitement ma
pensée à ce sujet. Si ce principe de l'incompétence du parlement de décider de cette
mesure
est admis, en si l'on maintient que le parlement
n'a pas l'autorité légitime de la discuter et de se
prononcer, vous serez mis forcément dans la
nécessité de reconnaitre le principe le plus dangereux qui ait jamais été reconnu
par un pays civilisé. Je parle du principe qu'un parlement ne
588
peut adopter aucune mesure d'un caractère nouveau, et d'une grande importance, sans
en appeler
à l'autorité constituante et délégatoire pour des
instructions. Si cette doctrine est bonne, voyez
jusqu'à quel degré elle pourra être poussée. Si
un pareil argument pouvait être avancé et contenu,
vous avez agi sans aucune autorité légitime, lors- que vous créâtes la représentation
de la principauté de Galles, ou celle des comtés du palatinat
d'Angleterre. Chacune des lois passées par le
parlement anglais, sans cet appel, soit à sa propre
constitution, soit à la qualification des électeurs
ou des candidats, soit au point fondamental
et important de la succession au trône, a été
une violation du traité ou un acte d'usurpation.
"Quoiqu'on ait pu penser de là-propos de la
mesure, je n'ai jamais entendu formuler de
doute quant à la compétence du parlement de
la considérer et de la discuter. Cependant,
je défie qui que ce soit de soutenir le principe de ces plans, sans soutenir en même
temps
que, comme membre du parlement, il a le droit
de concourir à défranchiser ceux qui l'ont envoyé
en parlement, et d'en choisir d'autres qui ne l'ont
pas élu, à leur place. Je suis certain, qu'en principe, il est impossible de soutenir
avantageusement, un seul instant, une distinction suffisante;
et je ne crois pas non plus qu'il serait nécessaire
de m'étendre sur ce point comme je le fais, si je
n'étais pas convaincu que jusqu'à un certain degré
il se rattache à toutes ces notions fausses et dangereuses sur la question du gouvernement,
qui
depuis quelque temps se sont trop universellement
infiltrées dans tous les pays du monde.
"PITT maintenait donc que le parlement
avait le droit de changer la succession au trône,
de s'incorporer avec une autre législature, de
défranchiser ses commettants, ou de leur en associer d'autres. Comment est-il possible
aujourd'hui à un ministre d'aviser la couronne de
dissoudre le parlement, sous prétexte qu'il est
imcompétent pour décider ce que ce pays fera de
la loi des céréales? Il ne saurait y avoir d'exemple
plus dangereux, de précédent plus essentiellement
démocratique, si je puis m'exprimer ainsi, que
celui de dissoudre ce parlement sous prétexte
qu'il n'est pas compétent pour décider sur aucune
question de cette nature. On peut donc mettre à
ma charge, s'il en est ainsi, que j'ai avisé Sa
Majesté de permettre que cette mesure fût soumise
au présent parlement."
Le principe que je soutiens est tellement
admis que, lors de la fuite de JACQUES II, en
1688, le parlement anglais, c'est-à-dire les
seules deux chambres, déclara la succession
vacante et la donnèrent à une dynastie nouvelle.
L'
HON. M. CAUCHON—Que l'on me
comprenne bien, je ne cite pas cet exemple
comme une autorité, puisque le parlement,
sans sa troisième branche législative, n'était
pas complet, mais uniquement pour faire voir
jusqu'à quel point le parlement de la Grande- Bretagne a poussé l'exercice de sa grande
prérogative. Lors de la maladie de GEORGES
III, comme l'on n'avait pu prévoir le malheur
qui arrivait et que, sans l'action du souverain,
ni l'administration, qui se fait au nom du
roi, ni la législation, qui ne vaut que par le
consentement des trois branches de la législature, n'étaient possibles; dans cette
position
imprévue les deux chambres, à la suggestion
des ministres, créèrent un mécanisme qui pût
agir durant la maladie du roi, et tout ce qui
se fit sous son opération fut loi et regardé
comme telle par toute la nation anglaise et
tous ceux qui étaient chargés de l'exécution
des lois du parlement.
Mais, en sortant de ces circonstances
extraordinaires, qui demandaient des remèdes
extraordinaires, nous pouvons dire que le
parlement au complet a le pouvoir de changer
la constitution et même la succession au
trône.
Quant à nous, nous n'allons pas si loin,
nous demandons simplement au parlement
impérial de nous donner une nouvelle
constitution; et même ce pouvoir, qu'il a
droit d'exercer sans notre consentement, il
ne veut en faire usage qu'avec notre assentiment. (Ecoutez!)
Que l'on remarque bien, M. le PRÉSIDENT, que je ne considère ici que la question
de pouvoir et de droit: la question de convenance et d'opportunité, c'est autre chose.
Nous pouvons bien faire on nous pouvons
mal faire d'en agir ainsi; mais, comme nous
agissons sous la responsabilité d'un mandat,
c'est à nous de décider s'il est utile ou avantageux d'en appeler au peuple dans la
circonstance.
Quant aux sentiments de la Grande- Bretagne à notre égard, les événements
qui se sont succédés depuis l'Union prouvent
qu'ils sont bien changés. En 1840, on
nous imposait une constitution contre notre
gré et on y consacrait l'injustice à notre égard;
aujourd'hui, on attend notre décision pour
agir.
Autrefois, l'Angleterre regardait les colonies comme ses marchés à elle et les armait
de droits prohibitifs contre le commerce
étranger. Aujourd'hui, ils sont ouverts à
toutes les nations. Autrefois, c'était le régime despotique et oligarchique que nous
possédions, et, depuis 1841, c'est le gouverment parlementaire britannique que le
grand
économiste TURGOT, plus de soixante ans
auparavant dans son admirable livre, conseillait à l'Angleterre de donner à ses colonies.
(Ecoutez!)
589
Ainsi, le parlement de la Grande-Bretagne, qui venait de proclamer l'union avec
l'Irlande, s'incorpora sa représentation et se
constitua, de sa propre autorité, le premier
parlement du royaume-uni de la Grande- Bretagne, sans préalablement recourir à une
dissolution et à de nouvelles élections.
A la réunion des chambres, l'on procéda
à l'élection d'un nouveau président pour
les communes, précisément comme à la suite
d'une élection générale, et l'on observa
toutes les autres formalités qui ont coutume
d'accompagner l'inauguration des nouveaux
parlements.
Vous trouverez ces détails dans le Parliamentary History, vol. 35, page 857.
Voici une autre autorité que ne voudront
pas, celle-là, mettre en doute les adversaires
républicains-annexionnistes de la confédération. Elle se trouve aux pages 164, 165
et
166 de Sedgwick on Statutary and Constitutional Law:
"Ce ne sont pas là des questions purement
abstraites ou spéculatives. Nous les verrous représenter dans un grand nombre de cas
que je suis à
la veille d'examiner. En général, la difficulté
paraît avoir eu pour cause un défaut de perception lucide quant à la véritable nature
de la loi;
ou, en d'autres termes, à l'absence de notions
décrites quant à la ligne de division qui divise
les pouvoirs législatif et judiciaire, sous notre
système. J'en viens maintenant à la considération plus détaillée des cas qui se sont
produits
dans ce pays, où ces questions ont été considérées,
et qui, en autant qu'ils y ont trait, tendent à
donner une définition pratique au mot loi, et à
définir la ligne de démarcation qui sépare le pouvoir législatif du pouvoir judiciaire.
Et, en premier
lieu, je parlerai des cas où la législature a cherché à se dépouiller de ses pouvoirs
réels. Des
efforts ont été faits dans plusieurs cas, par les
législatures d'état, pour se débarrasser de la
responsabilité de leurs fonctions, en soumettant
des statuts au vœu populaire, dans leur capacité
primitive. Mais on a déclaré et avec raison que
ces procédés étaient essentiellement inconstitutionnels et sans aucune validité. Les
devoirs de la
législation ne doivent pas être exercés par la
masse du peuple.
"La majorité gouverne, mais d'après la forme
prescrite seulement; l'introduction de pratiques
de ce genre enlèverait tout moyen d'empêcher une
législation précipitée et imprudente, et diminuerait considérablement les avantages
du gouvernement représentatif. Ainsi, un acte pour établir des
écoles libres et dont les termes exigeaient qu'il
fût soumis aux électeurs de l'état et ne devînt loi
qu'au cas où il serait adopté par une majorité des
électeurs, fut considéré à New-York comme un
procédé entièrement nul. La législature, a dit
la cour d'appel, n'a pas le pouvoir de faire une
pareille soumission, et le peuple n'a pas non plus
le droit de se lier en votant sur ce bill. Il a volon
tairement abandonné ce pouvoir lorsqu'il a adopté
la constitution.
"Le gouvernement de cet état est démocratique; mais c'est une démocratie représentative,
et, en passant des lois d'une nature générale, le
peuple n'agit simplement que par l'entremise de
ses représentants dans la législature. Et dans la
Pennsylvanie, à propos du statut concernant
l'accise, la même doctrine sévère et salutaire a
été appliquée. Dans quelques-unes des constitutions d'état plus récentes où cette
règle fait partie
de la loi fondamentale. Ainsi, dans l'Indianna, ce
principe est incorporé dans une disposition de la
constitution, qui investit de l'autorité législative
le sénat et la chambre des représentants, et
déclare " qu'aucune loi ne sera passée dont l'effet
dépendra d'une autorité autre que celle pourvue
dans la constitution." Et, en vertu de ces dispositions, on a maintenu que toute partie
d'acte qui a
trait à sa soumission au vote populaire est nul et
de nul effet."
L'
HON. A. A. DORION—En Angleterre,
il y a ou sept ou huit actes du parlement
qui ont été soumis au vote populaire avant
de devenir loi.
L'
HON. M. CAUCHON—En Angleterre,
on admet que le parlement peut tout faire et
même changer les sexes au besoin, suivant la
doctrine de l'hon. député de Brome. (On rit.)
L'hon. député d'Hochelaga est admirateur
des constitutions écrites; je lui cite des autorités qui lui conviennent et qu'il
ne devrait
pas repousser. (Ecoutez!)
Toutes ces autorités établissent à l'évidence l'incontestable pouvoir du parlement
à
l'égard de toute question qui peut venir devant lui.
Il ne reste donc plus que la question de
convenance et d'à-propos, et cette question là,
c'est le parlement seul qui peut la trancher.
En 1717, 1800 et 1846, le parlement britannique la décida sans l'appel au peuple.
En
1832, il la décida après l'appel au peuple,
agissant, dans toutes ces circonstances, sous
la responsabilité constitutionelle de son
mandat. Voilà ce ne nous ferons dans cette
circonstance difficile, attendant, dans les
élections prochaines, l'approbation ou la condamnation de notre initiative. Mais que
les
adversaires du projet soient bien convaincus
que nous comprenons, tout autant qu'eux,
toute l'importance du vote que nous allons
donner.
En terminant, M. le PRÉSIDENT, je me
permettrai de m'adresser à cette chambre
pour lui dire: dans un débat aussi imposant et lorsque des destinées si grandes
pour l'avenir de toute l'Amérique Britannique du Nord, s'agitent dans cette enceinte,
ayons donc le courage de nous élever
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au-dessus des passions, des haines, des rancunes
personnelles et d'un mesquin esprit de parti,
pour permettre à nos esprits de planer plus
librement dans la sphère plus large des sentiments généreux, des grandes et nobles
inspirations nationales. Nous avons tout ce
qu'il faut, tous les éléments nécessaires de
grandeur et de prospérité pour fonder un
empire en Amérique; mettons-nous donc
résolument à l'œuvre, abrités par le drapeau
et protégés par l'égide puissante de l'empire
qui nous y convie.
(L'Hon. député s'assit au milieu d'applaudissements prolongés et des félicitations
de
ses amis.)
L'
HON. A. A. DORION—M. le PRÉSIDENT, considérant que d'après l'hon. député
de Montmorency qui vient de s'asseoir, tous
ceux qui s'opposent à la confédération sont
annexionnistes et des impies, je dois le féliciter d'avoir enfin ouvert les yeux et
d'avoir
échappé au danger d'être entraîné dans ce
gouffre de l'union américaine et peut-être à.
quelque chose de pis, (rires), car il n'y a que
très peu de temps il se trouvait dans cette
mauvaise compagnie de ceux qui sont opposés
a la confédération. Il a même écrit tout un
livre pour combattre l'union des provinces
britanniques de l'Amérique du Nord. (Écoutez! écoutez!) Je suppose qu'alors il ne
se
considérait pas comme annexioniste et encore
moins comme un inspiré, pour la seule raison
qu'il repoussait de toutes ses forces, non- seulement la confédération mais encore
toute
union avec les provinces britanniques de
l'Amérique du Nord, sous quelque forme
que ce fût. (Ecoutez! Dans ce livre; dont
je viens de parler et qu'il a écrit à la fin de
1858, l'hon. député, après avoir décrit les
différents systèmes sous lesquels cette union,
soit législative ou fédérale, pourrait être proposée, disait:
"Pour nous, nous n'en voulons pas parce que
nous ne voulons de l'union sous aucune forme,
parce qu'elle atteindra toujours le même but, quelque soit la forme que vous lui donniez."
Ce but, suivant l'hon. député, était celui
"de faire perdre en Bas-Canada le peu d'influence qu'il exerce sur la législation
de
l'union actuelle." Il est vrai que l'hon. député
a écrit un autre livre depuis. Dans ce livre,
il ne voit plus pour le Bas-Canada d'autres
dangers que ceux de l'annexion, et il invite
tout le monde a faire volte-face, comme il l'a
fait, et à le suivre afin d'éviter ses dangers.
(Ecoutez! et rires.) Encore une fois, je le
félicite de ce qu'il est maintenant hors de
danger, et je tâcherai de le suivre avec ces
deux livres en main. Comme il est trop tard
ce soir, je le ferai à la prochaine séance et,
dans ce but, je demande que la discussion
soit maintenant ajournée.
L'
HON. M. CAUCHON-L'hon. député
d'Hochelaga fait allusion aux brochures que
j'ai écrites, en 1858 et en 1865, sur la confédération des provinces.
La différence qui existe entre l'hon. député
et moi c'est que moi je ne nie pas ce que j'ai
écrit, tandis que lui, pour se trouver plus a
l'aise dans la discussion, juge a propos de
renier tout son passé. (Ecoutez!)
Il est une autre contradiction qu'il est important de signaler. Après avoir dit, jusqu'en
1861, qu'il y avait danger pour le Bas- Canada à ne pas accorder un Haut—Canada
soit la représentation basée sur la population
ou son substitut, la confédération des deux
Canadas, et que la tempête était si menaçante
qu'il était plus sage de lui céder que de se
laisser emporter par elle, il vient nous soutenir
aujourd'hui que tout est calme à l'horizon et
que nous n'avons pas besoin de changements
constitutionnels! Est-ce qu'il est donc si
oublieux des jours de 1858-59—60 et 61?
Pour ma part, M. le PRÉSIDENT, je crois
que nous agirions avec plus de dignité et rendrions plus service au pays si nous nous
occupions exclusivement de la question en mettant de côté les accusations de contradictions
dont personne n'est exempt. (Ecoutez!
écoutez!
L'
HON. A. A. DORION propose l'ajournement des débats a demain soir, à la
séance de 7 1/2 heures.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER propose,
en amendement, qu'ils soient ajournés a 3 1/2
heures demain, pour être le premier ordre du
jour après les affaires de routine.
Après quelque discussion, l'amendement
est adopté, et la chambre s'ajourne.