LUNDI, 27 février 1865.
M. DUNKIN —M. l'ORATEUR:—Presque
tous ceux qui ont pris la parole dans le cours
de ce débat ont commencé en disant qu'ils
le faisaient avec hésitation et embarras;
pour ma part, je serais heureux si je pouvais
commencer autrement; mais j'avoue que je
ne le puis, car je ne me suis certainement
jamais levé pour adresser la parole à cette
chambre, ou à aucun autre corps public, avec
un sentiment d'aussi grand embarras que
celui que j'éprouve maintenant. Il m'est
impossible, occupant la position dans laquelle
je me trouve placé, de ne pas m'avouer que
je suis opposé à des adversaires puissants
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par le nombre, et qu'il existe ici une détermination formée d'avance contre les idées
que je désire soumettre à la chambre. Il
m'est impossible de ne pas m'avouer que les
considérations sur lesquelles je désire attirer
l'attention de la chambre sont si nombreuses
et si complexes, que je ne puis leur rendre
justice sans dépasser mes forces à parler, et
sans lasser votre patience à m'écouter. Les
intérêts en jeu sont aussi tellement grands,
—beaucoup plus que tous ceux qui ont
jamais été impliqués dans aucune question
soumise jusqu'ici à la considération de cette
chambre—et les difficultés provenant de la
question sont tellement formidables, grâce en
grande partie à ce que je dois appeler les nomreuses réticences que contient le projet
qui
nous a été soumis, et l'ambiguïté des expressions qui le caractérise d'un bout à l'autre,
que le courage de ceux qui tentent de la discuter est sérieusement mis à l'épreuve.
Je
sens, de plus, que je ne puis me servir aucunement de ces remarques qui, plus que
toute
autre chose, rendent un discours agréable
à entendre; car je ne puis ni prophétiser de glorieux évènements, ni m'étendre
sur les merveilleux progrès qui devront
résulter de la confédération dans l'avenir.
De plus, il semble que l'on veuille hâter
la fin de ces débats le plus promptement
possible, et chacun parait être si impatient
de voir clore la discussion, que l'on ne
peut guère espérer pouvoir exposer ses idées
aussi au long qu'on le désirerait et qu'on le
devrait sur ce projet. Je sens même que
mes facultés physiques ne sont pas ce
qu'elles sont d'ordinaire, et que je ne puis
supporter autant de fatigue qu'autrefois. Je
m'adresse à la chambre dans un état de santé
qui me rend moins capable qu'à l'ordinaire
de supporter la lutte. Je prie donc les
membres de cette chambre de tenir compte
de toutes ces circonstances, et de croire
que mon désir est d'exposer aussi brièvement
que possible, et aussi véridiquement que je
pourrai, mes profondes convictions sur la
question qui est maintenant devant la
chambre. (Ecoutez! écoutez!) Je ressens
si fortement, M. l'Orateur, mon incapacité
à discuter cette question comme je le désirerais, que je suis presque obligé de me
reposer sur l'indulgence des hon. membres,
—que je ne puis m'empêcher de dire que
j'aurais couru le danger de reculer devant le
devoir de prendre la parole, si je ne m'étais
rappelé que j'ai vu maintes et maintes fois,
dans des luttes presque aussi décourageantes
que celle-ci, que " la course n'a pas été
gagnée par le plus vif, ni la bataille par le
plus fort,"—que maintes et maintes fois j'ai
vu ceux qui entraient dans ces luttes avec
les plus grandes espérances en sortir tout
déconfits. (Ecoutez! écoutez!) Je sais,—et
d'autres le savent aussi—que la conviction
générale de ceux auxquels je m'adresse ce
soir, relativement à cette question, est que
quelle que soit la force du sentiment populaire qui paraît exister en faveur des idées
que je dois combattre, elle n'est pas le
résultat réfléchi d'une étude approfondie
de toute la question; c'est un sentiment
de croissance spontanée et d'une nature
éphémère. (Ecoutez! écoutez!) Mais avant
de procéder plus loin, l'on me permettra
d'accepter très distinctement le défi que
l'on a lancé plus d'une fois de l'autre
côté de la chambre à propos de la manière
dont cette question devait être discutée.
J'admets volontiers et affirme sincèrement
qu'elle ne devrait pas être discutée autrement
que comme une grande question, qu'il faut
examiner entièrement d'après ses propres
mérites. Ce n'est pas une question de parti,—
ce n'est pas une question de personnes,—ce
n'est pas une question d'intérêt passager,
ou de localité, ou de classe,—et ce n'est pas
une question que l'on peut résoudre au
moyen de ces appels auxquels on a trop
souvent recours. Elle ne doit pas être
résolue sur le terrain de la simple théorie,
ou par la critique des simples détails. Elle
exige, de fait, que l'on s'en occupe immédiatement comme étant une question de
principe, et aussi comme étant une question
de détails. Elle embrasse une multitude de
détails, et il faut nécessairement examiner
avec soin tous ces détails. La question
qui se présente est donc réellement celle ci:
—Sur le tout, en les examinant dans leur
ensemble, les détails de ce grand projet
sont-ils de nature à recommander le
rejet lui-même à notre approbation, ou ne
le sont-ils pas? (Ecoutez! écoutez!) Je
m'engage à discuter la question à ce point
de vue. Je ferai mon possible pour éviter
toute digression ou toute allusion personnelle.
Je vais tâcher de traverser le terrain dangereux que j'ai devant moi sans éveiller
de
susceptibilités. Je ne sais si j'y parviendrai, mais au moins je m'efforcerai de le
faire. Cependant, je dois répéter dès l'abord
que personne ne peut rendre justice à une
question comme celle-ci, et en commencer
la discussion avec l'idée d'en laisser les
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détails de côté. Voici une mesure que l'on
nous propose d'accepter, incorporée dans 72
résolutions,—lesquelles résolutions affirment
beaucoup plus que 72 propositions,—et qui
se rattache à presque tous les principes que
l'on sait se rapporter à la théorie et à la
pratique du gouvernement populaire. Je
dis que c'est un projet qui est aussi complexe et aussi vaste que l'on puisse l'imaginer,
et les déclamations à propos des
premiers principes ne peuvent être d'aucune
utilité réelle dans sa discussion, et ne peuvent
servir qu'à égarer le jugement à son égard.
Nous n'avons pas à nous occuper d'une
simple question abstraite de nationalité, ou
d'union ou de désunion, ou d'une union fédérale par opposition à une union législative.
Il est inutile de parler vaguement du maintien
de nos relations avec la mère-patrie, ou de
faire de magnifiques spéculations sur les
résultats probables de notre indépendance,
ou de présenter aveuglément ce projet comme
étant un préservatif certain contre l'annexion
aux Etats-Unis. Ces généralités faciles et
eu coûteuses sont parfaitement inutiles.
La seule question est: comment ce projet,
dans son ensemble, fonctionnera-t-il? Et
C'est là une question à laquelle il n'est pas
facile de répondre; c'est une question qui
exige beaucoup de patience et une étude
approfondie des détails. Et c'est là la
question que je vais tâcher de discuter du
mieux qu'il me sera possible, si la chambre
veut me prêter son attention. (Ecoutez!
écoutez!) Je me permettrai de dire encore,
en commençant, que je n'aborde pas cette
question à un point de vue nouveau. J'ai
toujours été et je suis encore unioniste dans
la plus stricte et la plus large acception du
mot. Je désire perpétuer l'union entre le
Haut et le Bas- Canada. Je désire voir se
développer la plus grande union qui puisse
se développer,—de quelque nom qu'on la
décore,—entre toutes les colonies, provinces
et possessions de la couronne britannique.
Je désire maintenir cette intime union qui
devrait exister,—mais qui malheureusement
n'existe pas comme elle le devrait,—entre
le gouvernement impérial et toutes ces possessions. Je suis surtout un unioniste qui
ne désire pas voir le Haut et le Bas-Canada
désunis. (Ecoutez! écoutez!) Ce projet ne
se présente pas du tout à mon esprit comme
étant un projet d'union; et si les hon.
messieurs de l'autre côté veulent bien
admettre la vérité, ils reconnaîtront qu'en
fait il n'est rien autre chose qu'un projet de
désunion entre le Haut et le Bas-Canada.
(Ecoutez! écoutez!) J'avoue que je suis
irréconciliablement opposé a cette partie du
projet. Je répète que je ne désire pas voir
le Haut et le Bas-Canada plus séparés qu'ils
ne le sont aujourd'hui; au contraire, je
désire les voir former une union plus intime.
Et loin de regarder ce projet comme cimentant plus intimement les liens qui rattachent
ces provinces à l'empire britannique, je le
regarde comme tendant à produire, à une
époque peu éloignée, une séparation complète
entre nous et la mère-patrie. (Ecoutez!
écoutez!) Ma position, relativement à ce
projet, est celle d'un homme qui désire
voir cette union se perpétuer, et non pas
celle d'un homme qui voudrait voir la désunion entre aucune des parties constituantes
de l'empire britannique. Je maintiens que
l'on devrait prendre des moyens convenables pour prévenir notre séparation d'avec
l'empire britannique et notre absorption par
les Etats-Unis, et que ce projet ne tend
aucunement à cela. Je n'ai aucun goût pour
les formes ou institutions démocratiques ou
républicaines, ni même pour les révolutions
ou nouveautés politiques d'aucune espèce.
Les mots " création politique" ne sont pas
de moi. (Ecoutez!) Je pense que la puissance de créer est un attribut beaucoup plus
élevé que ceux qui appartiennent à l'homme,
dans l'ordre politique connue dans tout autre
département de l'univers. Tout ce que nous
pouvons faire est de surveiller et développer
les progrès ordinaires de nos institutions; et
si nous voulons que ces progrès soient solides
et durables, il faut qu'ils soient lents et bien
muris. Il faut que les changements politiques
soient aussi lents, aussi fermes, que ceux qui
conviennent à la croissance visible dans le
monde physique. Je crois à ce développement graduel de nos institutions; mais je
n'ai aucune confiance dans ces changements
violents et subits qui ont pour objet la création
de quelque chose d'entièrement nouveau. Et
je crains que ce projet ne soit précisément de
nature à empêcher ce développement lent,
graduel et sain que je voudrais voir s'opérer.
(Ecoutez! écoutez!) Si je pouvais être
étonné de quelque chose en politique, M.
l'Orateur, je serais étonné de la tentative
faite par quelques uns des hon. messieurs qui
siègent sur les banquettes ministérielles, de
représenter l'opinion publique sur ce sujet
comme n'ayant pas ce caractère de soudaineté,
de nouveauté et d'instabilité que je lui ai
assigné. L'on a été obligé d'avoir recours,
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pour se donner un semblant de preuve à
l'appui de cette prétention, à. des expressions
d'opinions individuelles depuis longtemps
oubliées, à des clauses que l'on dit avoir
formé partie de projets de lois que l'on ne
peut retrouver et dont on n'a jamais eu
connaissance, à des motions dont on menaçait
les partis, mais qui n'ont jamais été faites, et
aux petites passes d'armes des temps anciens,
à dater des jours de l'acte du commerce du
Canada à venir à l'époque actuelle. (Ecoutez!)
Mais je ne poursuivrai pas cette argumentation plus loin: cela n'en, vaut pas la peine.
Nous savons tous que, au moins depuis l'époque
de l'union du Canada, jusqu'à tout dernièrement, rien de semblable à la discusion
sérieuse
de la nécessité ou de l'inutilité d'une union
fédérale, ou d'aucune union que'conque
entre les provinces de l'Amérique Britannique du Nord, n'a jamais occupé le moindrement
l'esprit public. Je ne me reporterai ici
qu'à 1858, lorsque le sixième parlement fut
élu, et je passerai en revue, aussi succinctement que possible, les quelques points
de
notre histoire politique depuis cette époque,
pour prouver l'exactitude de ce que j'avance,
bien qu'en réalité il ne soit guère nécessaire
d'argumenter pour établir ce fait. Lors de
l'élection de 1857-8, quelles étaient en réalité
les questions devant le pays? On peut les
énoncer bien facilement. De fait, j'en prends
le résumé dans le
Globe, qui était alors l'organe
du grand parti populaire du Haut-Canada,
en ne mentionnant cependant que ce qui est
important. La grande demande de l'opposition du Haut-Canada, qui donnait le ton
à toutes les controverses politiques de
l'époque, était la représentation basée sur la
population, sans égard à. la ligne de démarcation entre le Haut et le Bas-Canada.
Cette
question, disait-on, embrassait toutes les
autres. La représentation sur le nombre
était demandée comme devant sûrement
amener avec elle toutes les autres réformes
réclamées par ce parti. Elle devait lui permettre de s'opposer efficacemcnt à ce que
l'on
appelait les subventions sectaires, à la possession de propriétés foncières en main-morte
pour des objets sectaires, et aux écoles
séparées établies sur ce principe. Elle était
demandée dans le but avoué d'obtenir une
législation uniforme, à. l'avenir, pour les
deux sections de la province,—et aussi ce
dont on parlait comme l'assimilation des
institutions qui existaient dans les deux
sections de la province,—mais ce qui voulait
réellement dire l'assimilation de celles du
Bas-Canada à celles du Haut, beaucoup plus
que celles du Haut-Canada à celles du Bas.
(Ecoutez! écoutez!) On la demandait dans
le but d'obtenir ce qu'on appelait le libre
échange, c'est-à-dire, une politique commerciale anti-Bas-Canadienne. On la demandait
dans le but d'obtenir l'établissement du
Nord-Ouest, ou en d'autres termes, l'agrandissement relatif du Haut-Canada. On la
demandait aussi, sans doute, dans le but
d'obtenir ce que l'on appelait une réforme
administrative,—l'expulsion du pouvoir d'un
certain nombre d'hommes que l'on disait être,
pour diverses raisons, indignes de le posséder.
Mais les grandes questions dont je viens de
parler, venaient en premier lieu; celle des
hommes, en second. (Ecoutez!) L'on déclarait que le grand but était d'obtenir une
prépondérance de la représentation Haut- Canadienne sur le parquet de cette chambre,
—afin de mettre un terme à tout ce qui avait
trait aux subventions sectaires, à la possession
de biens en main-morte, et aux écoles séparées;
de rendre uniforme notre législation, d'assimiler nos institutions, de mettre en pratique
une politique commerciale anti-Bas-Canadienne, et de s'assurer du Nord-Ouest pour
l'agrandissement du Haut-Canada. De cette
manière, la question du Haut-Canada contre
le Bas-Canada. était incontestablement soulevée. Quel devait être nécessairement le
résultat d'un appel de cette nature? Il était
facile de prévoir que le Haut-Canada élirait
une majorité de ses représentants favorable
à ces demandes, et le Bas-Canada une immense majorité qui y serait opposée. Je ne
rappelle pas ceci pour évoquer le fantôme
des animosités passées. Je ne fais que
démontrer ce que l'on ne peut nier, — que
personne à cette époque ne parlait on ne
s'occupait de cette magnifique idée de
l'union des provinces, par une confédération
ou autrement. (Ecoutez! écoutez!) La session s'ouvrit. Ceux qui eurent l'avantage
ou
le désavantage de siéger dans le parlement
à cette époque se rappelleront l'énorme contraste qui se produisit entre tous les
débats qui
avaient rapport à cette catégorie de sujets,
et le seul débat que l'on essaya de soulever,
mais infructueusement, sur la question de
la confédération des provinces. Avec toute
son habileté, — et il est peu d'hommes plus
habiles que l'hon. député qui entreprit à
cette époque d'amener cette question devant
la chambre,—avec toute son habileté, dis-je,
et le très sérieux effort qu'il fit pour en saisir
la chambre, il put à peine se faire écouter.
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Personne ne s'occupait de ce sujet; et tout
le monde sentait que c'était le cas. Bientôt
après eut lieu une crise ministérielle. Un
nouveau gouvernement exista pendant quelques heures et exposa un programme politique,
mais ce programme n'était pas, non
plus, le programme actuel. Il ne touchait
pas à. cette question. (Ecoutez! écoutez!)
I1 proposait de s'occuper de la représentation
basée sur la population en y appliquant un
système de contre-poids ou de garanties,
pour faire ou essayer de faire quelque chose
qui pût diminuer l'objection du Bas-Canada
à un changement réclamé comme celui-là
l'avait été. Mais ce fut tout. Ce gouvernement tomba, — tomba instantanément, — et
un autre le remplaça. Le ministre des
finances actuel, — l'hon. député de Sherbrooke,—_ qui n'avait pu, malgré toute son
habileté, parvenir à être écouté sérieusement
lorsqu'il avait proposé la confédération des
provinces, entra dans ce nouveau gouvernement, et persuada à ses collègues de se
présenter à la chambre et au pays avec cette
question de confédération comme faisant
partie de leur programme politique. L'on
me pardonnera, j'espère, si je place ici un
seul mot qui soit d'une nature personnelle,
et si je dis en passant que, lorsque cette
idée fut émise, (comme elle l'était par un
gouvernement dont j'étais aussi ferme partisan qu'aucun homme en cette chambre),
je ne manquai pas de faire savoir que si
jamais elle était présentée à la chambre
comme mesure pratique par ce gouvernement, je cesserais d'être (en ce qui avait
rapport à cette question) l'un de ses partisans. (Ecoutez! écoutez!) Ce n'était pas
la première fois que j'y avais pensé. Je
l'avais étudiée depuis longtemps; et toutes
mes réflexions sur ce sujet n'ont fait que
fortifier chaque jour mes convictions qu'elle
n'était pas favorable—Mais comment cette
idée fut-elle alors présentée? Elle ne fut
lancée que comme un ballon d'essai, et seulement pour neutraliser le projet dont l'administration
BROWN—DORION avait présenté un
aperçu au pays. Le feu de l'un devait éteindre
les brûlures de l'autre. (Ecoutez! écoutez!)
Le plan de ce gouvernement était de faire
des propositions au gouvernement impérial
et aux gouvernements des provinces maritimes. Mais comment? Si vous voulez
gagner un point, vous l'exposez à ceux
à qui vous vous adressez, de la manière
la plus propre à les induire à dire: oui.
Ce projet fut suggéré au gouvernement im
périal, et aux habitants et gouvernements des
provinces d'en-bas, précisément de la manière la plus repre à les induire à dire:
non. On leur dit:—"Nous sommes dans un
si grand embarras; nous avons des questions
politiques qui nous causent tant de troubles
et de soucis, que nous ne savons pas si nous
pourrons marcher, à moins que vous ne
soyiez assez bons pour entrer dans cette union
avec nous. " (Ecoutez! écoutez!) C'est
exactement comme si, étant dans les affaires,
j'allais trouver cinq ou six capitalistes
en leur disant:—" Je suis endetté, mes
finances sont épuisées, je n'ai aucune
aptitude pour les affaires; aidez-moi en
entrant en société avec moi. ou je suis
ruiné." (Ecoutez! écoutez!) Si le but avait
été de ne pas réussir, il me semble que ces
messieurs n'auraient pas pu prendre un
meilleur moyen d'y arriver. Et nous avons
vu aussi, qu'aussitôt que l'on se fût aperçu
que les provinces d'en- bas ne voulaient pas,—
comme, sous les circonstances, elles ne pouvaient pas,—dire oui à une proposition
de
cette nature, et que le gouvernement impérial eût abandonné le projet, notre administration
le laissa aussi tomber. Nous n'en
entendîmes plus parler. Les dépêches furent
déposées sur notre table en 1859, mais personne ne fit la 'moindre question à leur
sujet.
L'enfant était mort-né, et personne ne s'occupa de son baptême. (Ecoutez! et rires.)
Nous continuâmes avec nos anciennes questions: la représentation basée sur la population,
— le Haut-Canada contre le BasCanada,—les mesures en grande partie,—
mais les hommes avant tout. Et nous nous
querellâmes et combattîmes presque à propos
de tout, mais nous ne consacrâmes ni une
pensée ni une parole à la gigantesque question
de la confédération des provinces. (Ecoutez!
écoutez!) En peu de temps nous arrivâmes
à une nouvelle crise,—celle de 1862. Et
depuis l'époque de cette crise, et la formation de l'administration MACDONALD- SICOTTE,
jusqu'à l'époque où l'administration
actuelle reçut, l'été dernier, sa conformation
actuelle, la grande demande faite aux partis
et aux hommes politiques par tout le pays, a
été de mettre de côté l'ancienne question des
mesures, et de nous occuper beaucoup plus,
pour ne pas dire exclusivement, de la question
des hommes. (Ecoutez! écoutez!) Je ne
blâme personne; je ne soulève pas la question
de savoir si l'on a eu tort ou raison des ivre
cette conduite. Ceux qui l'ont suivie peuvent
avoir été les plus purs patriote, les hommes
490
d'état les plus éclairés que le monde ait
jamais vus, pour ce que j'en sais. Tout
ce que je veux dire, c'est que, soit à tort,
soit à raison, soit pour le bien ou pour
le mal, le fait est que l'esprit public ne
s'occupait pas le moins du monde de la question de confédération Après avoir combattu
pendant longtemps, principalement à propos
des mesures, et secondairement à propos des
hommes, nous fûmes subitement appelés, en
1862, à ne rien considérer que la question
des hommes qui devaient tout faire pour le
mieux, et qui devaient tout régler honnêtement et justement, et ainsi de suite. La
représentation basée sur la population fut
incontestablement—pour un temps au moins
—reléguée sur les tablettes, et déclarée une
question secondaire, presque sans importance. Elle avait été à moitié reléguée
quelque temps auparavant;—elle le fut
complètement alors. Elle fut à peine descendue des tablettes en 1863, que le gouvernement
Macdonald-Dorion la remit simplement à la place qu'elle avait longtemps
occupée sans aucune utilité pratique sous
l'administration Cartier Macdonald.
(Ecoutez! écoutez!) Tel était donc l'état
des affaires,—personne ne pensant ou ne
s'occupant de cette grande question,—jusqu'à
ce que, durant la dernière session du parlement, l'hon. député de South Oxford, le
président actuel du conseil exécutif, proposa et obtint la nomination d'un comité
au
sujet des changements constitutionnels en
général. Cet honorable monsieur fit certainement quelque chose de très adroit, en
incorporant dans sa motion des extraits de
la malheureuse défunte dépêche de MM.
Cartier, Galt et Ross.
M. DUNKIN—C'est un ancien proverbe
qui dit: " Rira bien qui rira le dernier."
M. DUNKIN—Sans doute! Mais je ne
tiens'pas à plaisanter sur une question que
je regarde comme très sérieuse; et, sérieusement parlant, je crois que l'hon. procureur-
général a grand tort de plaisanter. Il nous
reste encore à voir, en premier lieu, si la
chose se fera, et ensuite si elle se fait, si elle
réussira.
L'
HON. M. McGEE —Si elle se fait, il
serait bon qu'elle se fasse promptement.
*
M. DUNKIN—L'hon. ministre de l'agriculture connait trop bien son Shakespeare
pour qu'il soit nécessaire de lui rappeler que
la chose qui devait s'accomplir dans la citation
qu'il fait était une très mauvaise chose.
L'hon. monsieur peut tirer tout le profit
qu'il pourra de sa citation:" lf 'twere done
when 'tis done, then 'twere well it were done
quickly." " Si elle est faite quand elle est
faite, alors il vaut mieux qu'elle soit faite
promptement." Mais revenons à ce que je
disais. Il était adroit, incontestablement
adroit, de la part de l'hon. député de South
Oxford, de citer dans la dépêche des hon.
messieurs (qui étaient alors, soit dit en
passant, opposés au gouvernement du jour et à
lui-même) une expression d'opinion presque
identique à la sienne. Il fit nommer son
comité. Personne ne s'y opposa beaucoup.
L'on m'a dit que je me rendais coupable
d'une espèce d'inconséquence en m'opposant
à cette mesure après avoir voté pour la nomination de ce comité. Il est difficile
d'admettre
cette logique. J'ai certainement parlé et
voté en faveur de ce comité, mais pour la
raison expresse que je croyais qu'il ne pro
duirait aucun mal, et qu'au contraire il
pourrait avoir le bon effet d'amener d'autres
membres de cette chambre à la conclusion à
laquelle j'en étais depuis longtemps arrivé
moi-même. Je n'avais donc aucune objection
a ce comité, et j'en fis partie. Je ne révèlerai
par ce que l'on a appelé les secrets du
comité: comme dans beaucoup d'autres cas
semblables, il y avait bien peu de chose dans
ces secrets. En conséquence d'accidents
tout à fait étrangers à cette question de
confédération, le rapport du comité fut présenté précisément le même jour qu'un vote
fut donné indirectement adverse à l'administration Taché-Macdonald. Le rapport
lui-même fut un accident. Toute allusion qui
s'y trouve à propos d'une fédération quelconque n'y fut insérée qu'au dernier moment
et sans que personne ne s'y attendit. Ce
n'est pas violer le secret que de dire que le
chef de cette chambre, le procureur-général
du Haut-Canada, vota contre ce rapport,
bien qu'il soit aujourd'hui le principal promoteur de ce projet. Ce fait se trouve
dans
les procès-verbaux imprimés. Les hon. députés
de Cornwall et de Elgin Ouest votèrent aussi
contre le rapport. Il y avait cinq autres
membres,—je suis fâché de dire que j'étais
du nombre, — qui étaient absents, mais
si j'eus été présent, j'aurais certainement
voté aussi contre le rapport. (Ecoutez!
écoutez!) Et, M. l'Orateur, ceux qui
491
étaient dans la chambre à l'époque où ce
rapport fut présenté, se rappellent parfaitement la réception plus que froide qui
lui fut faite ici, tant il ne signifiait à peu
près rien. Eh bien! ce vote de la chambre
surgissant ensuite, l'occasion s'offrit subitement aux hon. messieurs de l'autre côté,
de
de mettre sur pied un projet qui, jusqu'à
ce moment, n'avait pas eu deux partisans
dans la chambre, je crois, qui l'eûssent
considéré comme étant possible. Et depuis
ce jour jusqu'à présent, une suite d'accidents,
tous plus extraordinaires les uns que les
autres, a conduit à un état de choses à peu
près aussi extraordinaire que l'étaient ces
accidents eux-mêmes. (Rires.)
M. DUNKIN—Je suppose que quelques
personnes le pensent; et ces peut-être
d'après la théologie de mon hon. ami, mais
pas suivant la mienne. Je répète que ce
qui est survenu depuis, était tout à fait
inattendu, même par les acteurs dans ces
événements. Je ne crois pas qu'ils fussent
prévus par qui que ce soit; et personne,
je pense, n'a été plus surpris de ces évènements que ceux qui profitent aujourd'hui
de tous les avantages possibles qu'ils leur
offrent, et qui se vantent même de les avoir
amenés. (Ecoutez! écoutez!) Et comment,
M. l'Orateur, ce projet a-t-il été présenté
au public? Miettc à miette, et avec d'innombrables réticences; d'une manière qu'il
était
presque impossible de le critiquer dans
aucune de ses parties. Lorsque, après que
plusieurs membres du gouvernement de
cette province et plusieurs autres membres
de la conférence, en eurent donné de longues
explications publiquement à Québec, Montréal et Toronto, l'hon. député d'Hochelaga
en fit une critique, en se prononçant contre
le projet, il fut assailli par la clameur générale qu'il n'aurait pas dû se prononcer
si
tot, parce que tout le projet n'était pas
encore développé. L'on a dit qu'il avait
représenté le projet sous un faux jour, et
qu'il aurait dû attendre que les détails en
fussent réellement connus avant de l'attaquer.
Ainsî présenté au pays miette à miette, en en
retenant certaines parties, et en en expliquant
d'autres d'une manière ambiguë et même
contradictoire, personne ne pouvait sérieusement le saisir et le discuter. Au bout
de
quelque temps, il est vrai, un document
imprimé, qui était censé contenir les résolu
tions de la conférence, fut envoyé aux membres de la législature; mais on y avait
écrit
le mot " privé," comme pour dire qu'il
n'était pas communiqué officiellement et que
l'on ne devait en faire aucun usage public.
Et il est maintenant parfaitement connu que
cette communication privée n'était pas même
scrupuleusement exacte; mais cela était de
peu d'importance, puisque l'on ne pouvait
pas en faire un usage public. Telle est la
manière dont cette question a été soumise au
peuple. L'on donnait toute espèce d'avan—
tages aux partisans de la louanger à tous
les points de vue, mais personne n'eût l'occasion de dire qu'il ne l'aimait pas. La
louange
fut soigneusement rédigée et publiée, et
tout ce qui pouvait humainement se faire
pour préparer le peuple à recevoir le projet
favorablement, avant sa publication définitive,
fut habilement mis en jeu. Et aujourd'hui
que nous dit-on? On nous dit que toute la
mesure doit être adoptée " maintenant ou
jamais." Elle ne passera jamais, nous dit- on, si elle ne passe pas aujourd'hui!
(Ecoutez! écoutez!) A-t-on jamais vu une mesure
de cette importance, désirée et approuvée
cordialement par le peuple, dont tous les
détails étaient aussi sages et aussi bons que
ceux du projet actuel—au dire des hon. messieurs qui le proposent,—qu'il fallait adopter
(d'un bout à l'autre) immédiatement ou
jamais? (Ecoutez! écoutez!) L'on nous dit
même que c'est un traité positif; mais un traité,
soit dit en passant, fait par des hommes qui
n'ont jamais reçu l'autorisation de faire
aucun traité quelconque. Pour ma part, je
ne puis voir dans toute cette précipitation,
que la preuve irréfragable que le gouvernement comprend et admet,
de facto, que le
sentiment soulevé en faveur de ce projet
n'est qu'un sentiment d'une durée passagère,
et qu'il ne peut lui-même compter sur sa
durée. (Ecoutez! écoutez!) M. l'Orateur,
il est assez curieux de voir que les hon.
messieurs de l'autre côté, en recommandant leur projet, semblent ne jamais se lasser
de parler de ses avantages en général, et de
louanger modestement la sagesse, la profondeur de vue, et l'habileté politique de
ceux qui l'ont préparé. Je ne m'étonne
pas que leur jugement à cet égard ait été un
peu égaré par leur surprise à la vue du succès
qui a jusqu'ici couronné ce projet. Leur visite
" officieuse" a l'Ile du Prince-Edouard n'a
duré que très peu de jours, et elle a eu pour
résultat de faire mettre de côté,—malheureusement, je crois,—un projet d'union fédérale
492
entre les provinces maritimes; et vient ensuite la conférence de Québec, où ces douze
messieurs représentant le Canada, et vingtet-un autres représentant les provinces
inférieures, siégèrent ensemble pendant l'immense période de dix-neuf jours—dix-sept
jours ouvrables et deux dimanches, —et
comme résultat de ces dix-sept jours d'ouvrage
partiel, nous recevons de ces trente-trois
messieurs un projet de constitution qu'ils
vantant comme étant tout à fait supérieure
à celle de la république modèle des Etats- Unis, et même à celle du royaume modèle
de la Grande-Bretagne. Ni la république
modèle, pas plus que le royaume modèle dont
nous prônons tant les traditions et institutions, ne peuvent pour un instant être
comparés à leur œuvre. (Ecoutez! écoutez!)
Ils paraissent trouver leur mesure favorite
comme étant si parfaite, qu'ils nous disent
que nous ne devons même pas prendre le
temps de la discuter. Même après que le
secrétaire d'Etat de Sa Majesté nous a dit
qu'il y a certains points de ce projet qui ont
besoin d'être examinés de nouveau et revisés,
ils nous disent que nous ne devons en changer
ni une lettre ni une ligne. (Ecoutez! écoutez!)
Et, cependant, l'on nous dit en même temps
que les détails de cette mesure, si on les
examine, doivent être examinés et regardés
comme étant ceux d'un compromis. Elle
n'est pas—ils l'admettent volontiers—aussi
satisfaisante dans ses détails que nous pourrions le désirer, mais c'est tout ce que
nous
pouvons obtenir, et il faut l'accepter ou la
rejeter dans son ensemble. Il faut l'examiner
dans un esprit de compromis, ce qui veut dire
qu'il n'y faut rien trouver de sérieux à
reprendre, quelque peu satisfaisante qu'elle
puisse être. J'ai entendu parler de l'idée de
Paddy sur la réciprocité: " tout d'un côté,
rien de l'autre." (Rires.)
M. DUNKIN—Oh! ce que j'en dis est
pour faire un compliment national. (Rires)
—Cependant, je prierai les hon. messieurs de
l'autre côté de la chambre de ne pas continuer à lancer de pareilles plaisanteries,—non
pas que j'aie objection à ce que l'on fasse
une interruption ci et là sous forme de question; mais de simples plaisanteries jetées
dans
la discussion d'un sujet sérieux ne peuvent
aider en rien celui qui veut exposer ses
convictions honnêtes, sincères et sérieuses
sur une grave question. Je prie donc les deux
membres du gouvernement qui ont à plu
sieurs reprises, au moyen d'interruptions de
cette nature, essayé de me faire perdre le
fil de mon discours, de s'en dispenser à
l'avenir. (Ecoutez! écoutez!)
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Je suis
convaincu que mon hon. collègue ne cherchait
pas à vous désorienter, pas plus que j'en
avais moi-même l'intention.
M. DUNKIN—Je ne dis pas qu'on le fait
dans ce but, mais les interruptions me contrarient plus que d'habitude ce soir, parce
que le sujet que je discute exige l'attention
la plus soutenue. (Ecoutez! écoutez!)—
L'on dit donc que cette mesure doit être
examinée dans un esprit de compromis, c'est- a-dire, qu'il ne faut trouver à redire
à aucune
de ses dispositions. L'une des expressions
employées par les hon. messieurs, a été que
nous ne devions pas exiger du projet " une
perfection impossible." Eh bien! M. l'Orateur, je ne pense pas qu'il y ait le moindre
danger que nous trouvions une perfection
impossible dans ce projet, ou dans ce qui s'y
rapporte, à moins que ce ne soit sur un point
particulier; et sur ce point, je ne sais si on
n'a pas atteint au moins toute la perfection
possible, si non une perfection impossible.
Je veux parler de cette espèce particulière
de sagesse et de prévoyance qui distingue
le politique officiel retors de l'homme d'état à
vues larges et profondes. (Ecoutez! écoutez!)
L'on a fait preuve, sous ce rapport, d'une
perfection presque impossible. L'on offre un
appàt a chaque sentiment, à chaque intérêt,
à. chaque classe, de la manière la plus habile
possible. Le siège du gouvernement fédéral
doit être établi à Outaouais, comme de raison;
le gouverneur-général ou autre chef de cette
magnifique future vice-royauté, ou je ne sais
quoi, tiendra sa cour et son parlement à
Outaouais; mais l'on jette aussi un assez
joli morceau à Québec et à Toronto. Ces
villes aussi doivent avoir chacune une cour et
un parlement, et des départements du gouvernement. " Tout a tous!" telle est la
devise des hon. messieurs. Quant à l'Etat
que l'on doit créer, son nom et son rang
sont laissés dans la plus charmante ambiguïté.
Nous serons peut-être honorés de la dignité
d'un royaume, ou d'une vice-royauté, ou de
nous ne savons trop quoi. Tout ce qu'on
nous assure, c'est que ce sera quelque chose
de meilleur, de plus élevé et de plus grand
que ce que nous avons aujourd'hui. La
Souveraine viendra peut-être elle-même de
temps à autre exercer son autorité en
personne; ou peut-être va-t-on créer un trône
493
pour quelque membre de la famille royale;
ou, si ces rêves ne se réalisaient pas, le chef
du gouvernement dans cette chambre nous
dit, à l'égard du caractère du représentant qui
doit être envoyé ici à la place de la Souveraine,—c'est-à-dire, le représentant qui
doit
administrer le gouvernement durant l'absence
ordinaire de la Souveraine de cette partie
des possessions britanniques,—le chef du
gouvernement dans cette chambre nous dit,
qu'eu égard aux fonctions qui lui seront
confiées, à la position élevée qu'il occupera, au
train vice-royal qu'il devra tenir, il est probable qu'il nous sera au moins envoyé
à
l'avenir, en cette capacité, des hommes de la
classe que l'on désigne enphatiquement sous
le nom d'hommes d'état. Je n'aime guère à
faire aux vivants ce que l'on peut appeler
de simples compliments de courtisan; mais
en reportant nos regards en arrière sur les
morts, dont on peut parler sans avoir cette
crainte, je dois dire que ceux qui ont été
préposés à l'administration de notre gouvernement dans le passé, ne sont guère d'une
classe que l'on doive regarder du haut de sa
grandeur,—que la liste dans laquelle nous
trouvons les noms des DURHAM, des SYDENHAM, des METCALF et des ELGIN, n'est pas
précisément une liste d'hommes inférieurs à
la classe la plus élevée de ceux que nous
appelons des hommes d'état; et je ne suis
pas parfaitement certain que même après
que cette grande coniédération aura été
établie, il sera nommé des hommes beaucoup
plus marquants que ceux qui ont gouverné
ce pays. (Ecoutez! écoutez!) Quoi qu'il en
soit, cependant, l'on offre l'appât que nous
aurons des hommes beaucoup plus élevés que
ceux que nous avons eus jusqu'ici, que de
toutes manières notre état doit être meilleur,
plus beau, plus grand même que notre imagination ne peut le concevoir. (Rires.) Nous
aurons entre autres choses, parait-il, un peu
plus que nous n'en avons aujourd'hui,
ce que l'on appelle une idée de la constitution anglaise dans la constitution du conseil
législatif. L'on a dit que c'était une
grande inconvenance, presque une trahison,
de donner à entendre que l'on jetait, là
encore, un appât aux messieurs qui ont été
élus au conseil législatif pour un temps
déterminé,—de dire qu'en votant pour ce
projet, ils pouvaient devenir conseillers
législatifs à vie. Si dans ce projet l'on eût
stipulé, à l'égard des membres de cette
branche de la législature, qu'ils conserveraient leurs siéges non pas pour la vie,
mais
disons pour cinq ans seulement, je pense que
l'on trouverait quelques membres parmi nous
qui accepteraient avec joie ce projet; mais
quand on offre à des hommes qui, comme
nous, devront se présenter devant leurs
commettants dans quelques mois, ou au plus
dans quelques années, de les créer conseillers
législatifs pour la vie, cet appât, je crois,
n'est pas de peu d'importance. (Ecoutez!
écoutez!) L'on nous dit aussi—et cela est
porté dans le projet,—que le choix sera fait
par les gouvernements actuels des différentes
provinces; mais, comme de raison, avec la
plus grande justice envers l'opposition de
chaque province! Très satisfaisant! Chaque
opposition sera traitée avec une parfaite
équité, — " cela est porté au contrat. "
Nous entendons dire qu'un ministre de la
couronne, dans un endroit, en s'adressant à
ses voisins, leur avait dit qu'ils pouvaient
être certains que lorsque Sa Majesté viendrait à faire un choix, elle aurait les plus
grands égards pour les droits et privilèges
des membres élus, en sorte que leur membre
élu aura la plus grande chance de devenir
membre à vie du conseil législatif fédéral.
D'un autre côté, dans un autre endroit, nous
entendons un autre ministre de la couronne
dire que ceux qui ont déjà été nommés à
vie peuvent être tout aussi tranquilles sur
leur sort, parce qu'assurément leur droit de
conserver leur position actuelle pèsera de
tout son poids. De plus, dans le Bas-Canada,
l'on dit à chaque localité qu'elle peut être
tranquille. qu'on aura soin d'elle, car chaque
localité doit être représentée dans le conseil
législatif par un homme y résidant ou possédant des propriétés; et, de cette manière,
les deux origines et les deux croyances
doivent être représentées et parfaitement
protégées. Un autre point sur lequel l'on
entretient une agréable ambiguïté, est celui
de savoir quels sont ceux qui doivent faire
les futures nominations à ce conseil législatif.
En regardant cette partie du projet comme
matière de principe, l'on aurait cru que ces
futures nominations s raient faites d'ap ès
le principe fédéral Cela n'a pas été dit
expressément; cela n'est pas (on nous le dit
enfin aujourd'hui) l'intention; cependant, on
nous parlait de façon que tous ceux qui
pensaient d'une manière aff rmaient que les
résolutions voulaient dire que la chose se
fer it de cette m nière; et tous ceux qui
pensaient autrement trouvaient facilement
qus les résolutions justifiaient leur manière
de penser. Eh bien! en en venant aux
494
questions qui affectent cette chambre, l'on
remarque la même chose. La représentation
basée sur la population est accordée, pour
répondre à la grande demande du Haut- Canada; mais on assure en même temps au
peuple du Bas-Canada, que cela ne lui nuira
pas, que ses institutions et ses priviléges
sont en parfaite sûreté, qu'il aura même
autant de représentants qu'auparavant dans
la chambre basse, et qu'il sera de toutes
manières beaucoup mieux qu'il ne l'a jamais
été. Une charmante ambiguïté existe encore sur le point de savoir qui doit répartir
les futurs colléges électoraux. Le chef du
gouvernement, en expliquant le projet l'autre
soir, a admis que la révision décennale de
nos districts de représentation ne doit réellement pas être laissée aux législatures
locales,
mais qu'elle doit être du ressort de la législature fédérale. Jusqu'alors, je crois,
la
plupart des gens pensaient le contraire; mais
tout le monde avait admis que le texte des
résolutions était équivoque, et, naturellement, chacun l'avait interprété comme il
le
voulait. L'ajournemcnt des constitutions
locales est de la même nature. L'on donne
à entendre à chacun que la chose fonctionnera à la satisfaction de tout le monde,—
l'on promet à chacun qu'il l'aura comme il
voudra. Ceux qui tiennent au principe du
gouvernement responsable, comme on l'entend généralement, sont assurés, comme de
raison, qu'il y aura un lieutenant-gouverneur,
avec un cabinet, et (probablement) deux
branches d'une législature locale. L'on dit
à ceux qui préféreraient avoir deux corps
législatifs sans ministère responsable, que la
chose pourrait bien être ainsi. Quiconque
préfère un seul corps législatif, entend dire
qu'il est hors de doute qu'il pourrait fort
bien n'y en avoir qu'un seul. Et ceux
encore qui, même avec une seule chambre, ne
désirent pas voir appliquer le gouvernement
responsable dans les provinces, sont assurés
qu'il est très probable que les rouages du
gouvernement seront très simples; que
chaque province aura probablement un lieutenant-gouverneur, avec les quelques chefs
de
départements nécessaires seulement, et une
seule chambre; et que de cette manière, sans
aucun doute, les affaires de chaque province
seront conduites le plus économiquement et
à l'entière satisfaction de tous. (Ecoutez!
écoutez!) La nomination des lieutenants- gouverneurs est encore un appàt, et peut-être
pas un appât insignifiant pour plusieurs de
nos hommes publics.—Le droit de désavouer
les bills locaux, et aussi celui de les réserver
à la sanction du gouvernement général, sont
présentés d'un côté comme des réalités,—des
pouvoirs qui seront réellement exercés par le
gouvernement général pour restreindre la
législation locale,—pour rassurer ceux qui
désirent une union législative plutôt qu'une
union fédérale;—mais, d'un autre côté, l'on
affirme à ceux qui ne veulent pas d'une union
législative, que ces pouvoirs ne veulent absolument rien dire et qu'ils ne seront
jamais
exercés. (Ecoutez!) L'uniformité des lois
doit encore être donnée à toutes les provinces,
si elles le désirent, excepté au Bas-Canada;
mais, par une disposition particulière de la
constitution, bien que rien ne puisse être
fait par le parlement général pour rendre les
lois uniformes, sans le consentement des provinces intéressées, il est stipulé qu'il
sera
impossible au Bas-Canada, même s'il le
désirait, de rendre ses lois uniformes avec
celles des autres provinces. Il en est de
même à l'égard de l'éducation dans le Haut
et le Bas-Canada. L'on doit adopter des
mesures pour tout le monde, sans que personne ne sache trop comment, et chacun est
assuré qu'il aura satisfaction. Il est vrai que
l'on ne nous dit pas quelles seront les mesures
que l'on promet à ce sujet;—si elles augmenteront réellement ou non les facilités
et
la liberté d'action des minorités dans les deux
sections, pour diriger l'éducation de leurs
enfants de la manière qu'elles le désireront;
mais nous devons accepter cette promesse
comme satisfaisante, et il faut que tout le
monde soit content.. (Ecoutez!) En examinant la question financière du projet, nous
voyons qu'il y est dit que toutes les
dettes et obligations de chaque province
retomberont à la charge du gouvernement
fédéral; mais, si nous regardons aux détails,
nous trouvons que—non, elles n'y retomberont pas. Il y a, ici encore, quelque chose
qui ne parait pas à la face des choses. Le
Haut et le Bas-Canada doivent tous deux
rester grevés d'une partie non définie de la
dette du Canada, et les autres provinces
doivent avoir des
boni, dont le montant
varie et n'est pas constaté, et auquel il
n'est pas facile d'arriver. De même que
toutes les autres parties du projet, la partie
financière est présentée à chacun sous n'importe quel jour il veut la voir. Ce projet
devra certainement produire une économie,
parce que les gouvernements locaux auront
peu à dépenser, à moins qu'ils n'aient
recours à la taxe directe; mais cependant,
495
d'un autre côté, il devra aussi sûrement nous
engager dans toute espèce d'entreprises
extravagantes, nous donner un nouveau et
inépuisable crédit en Angleterre, pour effectuer les vastes travaux de défense que
l'on
veut élever dans tout le pays, la construction
du chemin de fer intercolonial, l'agrandissement de nos canaux vers l'Ouest, et la
création
d'un système de communication avec le territoire du Nord-Ouest, d'une étendue que
personne ne connait. Littéralement, ce projet
a l'air de promettre toute chose à tout le
monde; et, cependant, quand on vient à se
demander ce qu'il promet en réalité, et,
comment, et où, et quand ces promesses se
réaliseront, l'on s'aperçoit que tout est
ambigu, insaisissable et sans réalité. (Ecoutez! écoutez!) Je répète qu'il y a partout,
dans tout ce projet, une somme très étonnante de cette espèce d'habileté qui peut
caractériser le politique astucieux et retors,
mais qui est loin de la sagesse et de la piévoyance qui caractérisent l'homme d'état
à
vues larges et profondes. (Ecoutez!) Le jeu
de tout à tous est un jeu que l'on ne peut
jouer avec succès à la longue. Dans tous les
cas, il ne peut avoir qu'un succès passager.
(Ecoutez! écoutez!)—Je vais maintenant,
M. l'ORATEUR, examiner ce travail au point
de vue constitutionnel,_en écartant du mieux
possible ces ambiguités dont il est entouré,
m'en occupant tel qu'il est, et le comparant en premier lieu avec la constitution
des
Etats-Unis, et en second lieu avec la constitution de la Grande-Bretagne. Je désirerais
le comparer en premier lieu avec celle de la
Grande-Bretagne, mais il ressemble tellement à celle des Etats-Unis que je ne le puis.
Ce projet ne ressemble à la constitution
anglaise que dans certaines parties; et, pour
cette raison, l'ordre de comparaison ne peut
être renversé. Je dois dire, avant d'aller
plus loin, que je ne suis nullement l'admirateur d'une grande partie de ce que je
trouve
dans la constitution des Etats-Unis. J'ai
toujours préféré—décidément préféré—et je
préfère encore notre propre constitution
anglaise. Mais, au moins, personne ne peut
nier ceci:—que les auteurs de la constitution
américaine étaient de grands hommes, des
hommes sages, des homme: à vues profondes;
que leur travail a été un grand travail; et
que comparer le travail d'aucun autre—et
surtout un travail comme celui des quelques
messieurs, sans doute très capables, qui ont
rédigé cette constitution—avec le leur, est
le soumettre à une épreuve très sérieuse
et très pénible. (Ecoutez! écoutez!) Les
auteurs de la constitution des Etats-Unis
étaient certainement de grands hommes, et
le produit d'un grand siècle; de grandes
vicissitudes les avaient élevés à, la hauteur
de leur tâche accomplie au milieu d'événements dans lesquels ils avaient été les
principaux auteurs. Et leur travail a été
un grand travail, qui a coûté beaucoup de
temps et de discussion, et qui a subi de
longues et sérieuses révisions de toutes sortes
et de toutes parts, avant qu'il ne fût définitivement adopté. (Ecoutez! écoutez!)
Cependant on nous demande d'admettre
aujourd'hui—et de l'admettre sans examen—
que ce travail de trente-trois messieurs, fait
et parfait en dix-sept jours, est un travail de
beaucoup supérieur à celui-là; et non seulement cela, mais encore qu'il est même
meilleur, pour notre population et notre
position, que la glorieuse constitution de la
mère-patrie; qu'il réunit essentiellement les
avantages de ces deux constitutions, sans
avoir leurs défauts! Eh bien! je ne pense
pas cela. La constitution des Etats-Unis, il
faut bien se le rappeler, a au moins duré
soixante-dix ans sans se briser. Elle a
résisté à d'assez fortes secousses, résultant
d'événements qu'il était impossible à ses
auteurs de prévoir ou de contrôler, et elle
peut résister encore pendant un grand
nombre d'années, malgré le dernier assaut
qu'elle vient de subir. Si, de fait, la Louisiane n'eût pas été achetée, si la machine
à
égrener le coton n'eût pas été inventée,—
deux événements imprévus qui ont si fortement encouragé la culture du coton et par
conséquent l'esclavage,—sans ces deux événements—: que l'on ne pouvait pas s'attendre
à
voir entrer dans l'esprit des auteurs de cette
constitution, elle n'aurait probablement pas
reçu le coup qu'elle a reçu Et nous ne.
savons pas encore si ce coup aura un mauvais
effet et s'il brisera le merveilleux édifice
qu'ils ont élevé. Il pourra peut-être changer
plus ou moins certaines parties de cet édifice, et après que la secousse aura été
essuyée, il n'est pas improbable que l'édifice
lui-même puisse durer pendant très longtemps encore. (Ecoutez! écoutez!) Mais
quant à cette constitution que l'on propose
de nous donner, si elle devenait la loi organique du pays, combien de temps durerait-
elle? Comment fonctionnera-t-elle si e le
dure? Et à quoi. ou vers quoi, si elle fonctionne, nous conduira-t-elle? Je dois attirer
la sérieuse attention de la chambre sur ces
496
questions. Je commence, M l'ORATEUR,
par la future chambre des communes, faussen ent appelée ainsi. Je n'examinerai pas
les différentes résolutions l'une après l'autre,
pour les critiquer de cette manière; mais
je prendrai les princ'paux points du projet,
l'un après l'autre, et je tacherai de ne pas
les prése ter sous un faux jour. Si je le
faisais, ou si j'en dénaturais le moindrement
le caractère, ou leurs effets probables, je
permets aux hon. messieurs de l'autre côté
de la chambre de me rectifier, s'ils veulent
seulement le faire sans plaisanter, et je
tâcherai de rester exact. La " chambre des
communes, " donc,—improprement appelée
ainsi, pour la distinguer de l'autre chambre
qui correspond à la chambre des lords, mais
qui n'en a pas reçu le nom, le conseil législatif,—forme le premier point important
de
ce projet; et je vais m'en occuper tout
d'abord, en la comparant avec la chambre
des représentants des Etats-Unis, et je parlerai moins de ses pouvoirs que de sa composition
pour le moment. Je ne puis à cet
égard la comparer avec la chambre des
communes impériale, parce que le principe
de sa constitution en est trop différent.
Sous ce rapport, elle est simplement copiée
de ce que je crois être un mauvais modèle;
et les parties copiées correspondent très
fidèlement et très exactement à ce que je
me permettrai d'appeler les points les
moins désirables de la constitution de la
chambre des représentants des Etats-Unis.
(Ecoutez! écoutez!) La copie n'est
pas, je le répète, celle d'un modèle absolument bon, mais seulement d'un modèle
aussi bon que les auteurs de la constitution des Etats-Unis pouvaient le faire
dans les circonstances où ils se trouvaient;
mais la particularité de leur système à
laquelle j'objecte, n'était pas du tout nécessai e pour le nôtre. Je la considère
même
comme une surrérogation. On ne peut nier,
M. l'ORATEUR, qu'il y ait beaucoup à redire
au plan qui remanie les divisions électorales,
car c'est ce que ce système adopte et ce que
celui des Etats-Unis a adopté. Tous les dix
ans, la représentation de chaque province
dans la chambre des communes devra être
changée ou remodelée, conformément à une
règle qui, pour toutes les fins pratiques, est
essentiellement la même que celle des Etats- Unis. Comme de raison, nous n'avons
pas comme eux à tenir compte des trois
cinquièmes de la population esclave; mais
aux époqu s décennales nous devons faire
le dénombrement de la population des
diverses provinces, et par une règle en tous
points commune aux deux systèmes, nous
déclarerons combien chaque province aura de
de divisions électorales. Il s'en suit donc
que les collèges électoraux de la future
chambre des communes ne seront pas inamovibles. On ne pourra pas faire non plus qu'ils
correspondent avec nos districts municipaux
ou d'enregistrement, ni avec ceux de la
représentation dans nos législatures provinciales. Nous allons donc avoir des divisons
spéciales qui seront indéfiniment changées
seulement pour l'élection de notre chambre
fédérale? Au point de vue anglais, je dois
dire que ce n'est pas là un bon principe.
(Ecoutez! écoutez!) Ce que nous devrions
faire, ce serait d'essay r d'établir en ce pays
des colléges électoraux aussi stables et aussi
en rapport avec les divisions territoriales qui
existent pour d'autres fins que les circonstances le permettront, et de ne les subdiviser,
modifier ou d'en ériger de nouveaux
que lorsque les besoins l'exigeront.
L'HON. Proc.-Gén. CARTIER—C'est ce
que nous ferons pour les parlements locaux.
M. DUN KIN -—Peut-êtrc oui, peut-étre
non; mais c'est justement à cette distinction
que je trouve à redire. Si nous le voulons,
nous pourrons changer les divisions électorales des parlements locaux, mais seulement
si nous le voulons. Ces subdivisions de nos
provinces pourraient ainsi être stables; mais,
pour la représentation au parlement fédéral,
et à chaque période décennale, nous aurons
à faire un remaniement général de tout le
pays de manière à subdiviscr de nouveau
chaque province selon le nombre de parties
aliquotes qui lui sera assigné. C'est là une
innovation dans nos usages qui n'est pas pour
le mieux, car elle tend à détruire ce caractère
de stabilité (si toutefois notre système est
destiné à avoir ce caractère) qu'il est si nécessaire de conserver à l'égard de nos
colléges
électoraux, et généralement de nos petites
divisions territoriales. Ces changements
décennaux mettront en rapport des électeurs
qui n'avaient pas pour habitude d'agir
ensemble. En Angleterre, on ne fait rien
de semblable; on ne change pas les divisions
électorales à la légère Les différents groupes
d'hommes qui envoient des représentants à
la chambre des communes d'Angleterre ont
l'habitude de se rencontrer ensemble à cette
fin, et ne craignent pas de voir leurs divisions
électorales changées. Nous devrions conserver ce principe comme un des éléments
497
de notre constitution, mais on a su prendre
le soin de l'en éliminer.
L'
HON. M. MCDOUGALL—Je ne puis
croire que, dans le but d'induire en erreur,
l'hon. monsieur cherche à appuyer un argument sur une fausse interprétation des résolutions.
Je suis sûr qu'il doit avoir observé ce
fait, que souvent même il se pourra qu'il n'y
ait aucun changement quant au nombre de
députés ou des districts électoraux, et qu'il
n'y en aura certainement pas si l'augmentation de la population du Bas-Canada reste
la même que celle du Haut—et que, par
conséquent, le mal dont il se plaint n'aura
pas lieu à moins que, quant à l'augmentation,
il n'y ait une règle différente de celle qui a
prévalu jusqu'ici.
M. DUNKIN—Si quelqu'un s'imagine
que la population des différentes provinces
va augmenter d'après la même règle, je
diffère d'avec lui. Je pense que pour
quelques provinces, l'augmentation sera
beaucoup plus rapide que pour d'autres; la
différence sous ce rapport sera peut-être sentie
au même degré qu'aux Etats-Unis, car là, à
chaque révision décennale, le nombre des
représentants diminue pour les anciens états,
tandis qu'il augmente, et rapidement encore,
pour les nouveaux. Ce n'est que dans le
petit nombre d'états, qui ne sont ni anciens
ni nouveaux, que le chiffre de la population
reste à peu près le même. La règle est celle
du changement pour toutes les parties de ce
pays. Celles qui y échappent forment l'exception. Et chez nous, les provinces qui
augmenteront plus rapidement que le Bas-Canada,
ainsi que cela aura certainement lieu, rediviseront leur territoire tous les dix ans
afin
d'augmenter leurs collèges électoraux, et
celles qui augmenteront plus lentement
devront faire la même chose, mais pour
diminuer le nombre de leurs divisions. Et
le Bas-Canada même devra en faire autant à
l'égard de parties de son territoire où la
population aura augmenté. On me dira
sans doute que cela ne sera pas nécessaire, —qu'il n'y aura que quelques changements
partiels à faire ici et là, mais je
sais que cela sera, et que ces changements
partiels ne seront pas la règle. En réalité,
on a établi pour règle la représentation
d'après le nombre, et il est sûr qu'elle sera
suivie, non seulement entre les différentes
provinces, mais encore dans chacune d'elles,
non seulement pour la législature fédérale,
mais aussi pour les légulatures locales. Pour
toutes les fins législatives, il faudra fréquem
ment remanier nos divisions territoriales, et
cela, grâce à l'influence momentanée des
partis. Les exigences, nous pouvons en
être sûrs, ne seront pas sans importance,
et quelque soit le parti qui montera au
pouvoir, soit dans le gouvernement du
pays ou dans une province, il trouvera,
dans notre système, des moyens d'atteindre
son but,—de ces moyens qui ne se recommandent pas d'eux-mêmes à l'approbation
de tous. (Ecoutez! écoutez!) On compte,
je le sais, au nombre des mérites du projet
le fait qu'il porte à cinq ans le terme
fixé pour notre chambre des communes au
lieu du terme de deux ans fixé pour la
chambre des représentants. A part des
révisions décennales, je serais satisfait de
cela; mais cinq est la moitié de dix, je
pense, et bien que nos chambres des communes pourraient ne pas souvent durer tout
ce temps, il est très probable qu'il n'y aura
que rarement, sinon jamais, plus de deux ou
trois élections générales entre deux révisions décennales. Un arrangement peu satisfaisant,
s'il en fut, c'est la prétention que
l'on a eu de vouloir faire que notre chambre
des communes emboîtât le pas sur celle
d'Angleterre. Là, tout favorise cette stabilité et cette variété d'influences locales
qui
agissent sur les chambres législatives et qui
sont si essentielles au système britannique,
et sans lesquelles les partis politiques ni les
hommes publics ne peuvent se maintenir.
Ici, tout tend à prendre une direction précisément contraire. Mais ce n'est pas tout.
En Angleterre, tandis que les colléges électoraux restent aussi stables qu'ils peuvent
l'être, les députés qu'ils élisent sont membres
de la même chambre des communes, car il
est peu de distinction entre les colléges anglais,
écossais, irlandais ou gallois; mais encore ici,
ce système des Etats-Unis que l'on nous
demande de copier veut le contraire, le contraire du bon sens. Leur chambre de représentants
est une réunion de délégués des
divers Etats, et notre simulacre de chambre
des communes sera une agrégation de
délégués des provinces. Chacun de ses
députés s'y rendra marqué du qualificatif de
Haut ou de Bas-Canadien, de Nouveau- Brunswickien, de Nouveau-Ecossais, de Terreneuvien
ou d'habitant de l'Ile du Prince- Edouard. Si nous voulons former une nation,
est-ce que nous ne ferions pas mieux de
renoncer à ces distinctions plutôt que de les
maintenir, voire même de les exagérer, car
c'est justement ce que va faire ce système,
498
et trop bien, malheureusement. Il y a toutefois un contraste frappant entre le système
américain et celui que l'on veut faire adopter
ici. Aux Etats-Unis, pour la chambre des
représentants, le système est au moins sûr
de fonctionner, soit pour le bien ou pour le
mal. Leur système est une véritable fédération. Les auteurs prirent soin, en arrêtant
les détails de leur constitution, de la rédiger
de manière à ce qu'elle put fonctionner dans
toutes ses parties importantes, et dans ce
but, ils laissèrent aux divers états de mettre
en pratique la règle établie pour les révisions
décennales, tout en leur accordant tels pouvoirs à. l'effet d'assurer l'exécution
réelle et
ponctuelle de la chose voulue. Lorsque
pour la première fois je pris connaissance
de ces résolutions, je pensai, comme de
juste, que leurs auteurs avaient l'intention
de faire adopter ce système là ici; mais les
autorités ont su nous dire que non. Le
parlement général sera seul chargé de ces remaniements des colléges électoraux de
toutes
les provinces. Supposons que pour une cause
qui pourrait d'elle-même se présenter,—sous
le prétexte, par exemple, d'une prétendue
inexactitude d'un recensement,—ou que
sans prétexte aucun, il manquerait de remplir
promptement ce devoir, ou qu'il s'en acquitterait d'une manière qui ne satisferait
pas,
ou qu'il le négligerait tout-à-fait, qu'en
résulterait-il? Le parlement impérial aurait- il le droit d'intervenir en pareil cas?
Recourrait-on, pour y remédier, à la doctrine promulguée l'autre soir par l'hon. proc.—gén.
du Bas-Canada, et en vertu de laquelle serait
conféré au parlement impérial le pouvoir de
révoquer nos chartes constitutionnelles?
Je ne le pense pas. Pourquoi alors demander
au parlement impérial d'établir pour nous
une mauvaise règle, que nous serons libres
de suivre ou de ne pas suivre ensuite?
Maintenant, M. l'ORATEUR, il va s'agir du
conseil législatif, lequel ressemble trop peu
à la chambre des lords pour que l'on songe à
vouloir le comparer à elle. On peut le
comparer au sénat des Etats-Unis; mais
là encore la différence est immense. Les
auteurs de cette constitution ont imaginé ici
un système tout différent, et quand on vient
nous dire que le conseil législatif représente
l'élément fédéral dans notre constitution,
je n'hésite pas à aflirmer qu'il ne contient
pas une seule parcelle de ce' principe, mais
qu'il en est le plus parfait simulacre qu'il soit
possible d'imaginer. (Ecoutez! écoutez!)
Pour faire voir le contraste, disons que le
sénat des Etats-Unis se compose des sénateurs choisis librement et au nombre de
deux par la législature de chaque état de
l'union.
M. DUNKIN—Cela ne change en rien
ce que je dis. Le sénat se compose de deux
sénateurs envoyés par chaque état, lesquels
sont librement choisis par les législatures de
ces états. Il est vrai que, dans le cas de
certaine vacance, pouvoir est donné au gouverneur de l'état de la remplir jusqu'à
la
prochaine réunion de la législature de cet
état; mais ce sont les législatures de ces
différents états qui élisent régulièrement ces
sénateurs pour la période de six ans, lesquels
se retirent à tour de rôle et de manière à ce
qu'aucun état ne soit jamais sans représentants. Eh bien! M. l'ORATEUR, le sénat
des Etats-Unis, ainsi composé de deux
députés de chaque état et présidé par le vice- président ou par un député choisi librement
par les sénateurs, est chargé de la grave responsabilité judiciare de la mise en accusation.
Le président même des Etats-Unis peut-être
cité à sa barre pour haute trahison ou malversation. Le sénat a une large part du
pouvoir
exécutif; il décide à huis-clos de tous les
traités et de presque toutes les nominations,
du moins les plus importantes. Le président
peut faire certaines nominations, mais, en
règle générale, il n'en peut faire aucune sans
l'approbation du sénat. Tout traité et toute
nomination importante doivent être sanctionnés et peuvent être désapprouvés par le
sénat. Il a de plus pouvoir législatif, concurremment avec la chambre des représentants,
en ce qui regarde les dépenses et l'imposition
des taxes. De cette combinaison de pouvoirs
il résulte que le sénat des Etats est peut-être
le corps délibérant le plus habile qu'il y ait
au monde. Les membres du sénat des Etats- Unis sont tous des hommes éminents; on n'y
trouve pas de nullités. (Cris de Oh! oui!
oui!!) Du moins la proportion de ces derniers est comparativement fort petite.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—On s'occupe en ce moment des pouvoirs relatifs
du sénat et du congrès. J'ai entendu moi- même une discussion à ce sujet lorsque
j'étais
à Washington.
L'
HON. M. HOLTON—Ecoutez! écoutez!! L'hon. proc.-gén. en appelle aussi lui à
Washington. (Rires.)
M. DUNKIN—Ce que je viens d'affirmer
est admis, je crois, par les publicistes les plus
499
éminents, tels que de TOCQUEVILLE, CHEVALIER et autres, savoir: que les attributs
constitutionnels tout spéciaux du sénat des
Etats-Unis, en font un corps délibérant de
la plus grande autorité. Et quand même il
y aurait un peu d'exagération dans ce que
j'affirme ici, on ne niera pas que, comme contrôle dans le système fédéral des Etats-Unis,
le sénat est une institution parfaite. C'est un
corps habile composé de membres modérés,
souvent renouvelé, et ayant droit de vote et
de véto sur toutes les questions de quelque
importance. Il n'est pas facile, avec une telle
combinaison, d'arrêter les affaires et de soulever un conflit; de plus, le système
est parfait lorsqu'il s'agit d'empêcher une mesure
préjudiciable à l'intérêt public ou à quelqu'un des états. Mais, monsieur l'ORATEUR,
que sera le conseil législatif dans la confédération proposée? J'y vois un semblant
de
tentative à empêcher que la représentation y
soit basée sur la population; c'est le seul principe que j'y trouve. (Ecoutez!) De
ce que
la chambre basse doit être composée d'un
nombre de membres proportionné aux populations des diverses provinces, on a conclu
qu'il était nécessaire d'adopter un autre
système pour la chambre haute. Nous aurons
24 conseillers pour le Haut-Canada, 24 pour
le Bas-Canada, 24 pour les provinces du
golfe et 4 pour Terreneuve, sans doute
parce que les populations de ces trois sections ne sont pas égales et que quatre n'est
pas un nombre proportionné à la population
de Terreneuve. De plus ces conseillers, en
nombre limité, seront nommés à vie! Ils ne
seront même pas choisis librement parmi
les hommes éminents de chaque section.
Ils seront choisis, autant que possible, parmi
les membres du conseil législatif actuel
nommés il y a déjà quelque temps, ou élus
par la faveur populaire. Avant que cette
liste soit épuisée, personne dans aucune des
provinces n'aura la chance d'entrer au conseil
législatif. Et, à mesure que des siéges
deviendront vacants, comment seront-ils
remplis?— Par le gouvernement général,
sans tenir compte des législatures ou de
toute autre influence locales,—c'est ce que
je trouve de plus fort! Et voilà ce qu'on
appelle le caractère fédéral de notre nouveau
système. Les vacances qui adviendront dans
Bas-Canada seront remplies par des propriétaires fonciers résidant dans certaines
divisions. Mais ces individus seront-ils choisis
par les électeurs de ces divisions ou même
du Bas-Canada; consultera-t-on les électeurs
de quelque manière? Mon Dieu non! La
chambre haute serait ainsi un corps fédéral,
elle aurait un contrôle sur le gouvernement
général, et on ne veut pas de cela! Mais
supposez, ce qui peut fort bien arriver, que
l'une ou plusieurs des provinces, le Haut- Canada, le Bas-Canada ou toute autre,
ne
soit nullement représentée dans le conseil
exécutif général, ou soit représentée contre
ses vœux, et qu'il se présente, dans le conseil
législatif, une vacance qui devrait être remplie
par un membre de cette province—quelle
garantie avons-nous qu'on agisse, dans ce
cas, conformément au principe fédéral?
(Ecoutez!) Quelle insulte pire pourrait-on
adresser à une province qu'un choix fait dans
de telles circonstances? On ne prétendra
pas, j'espère, M. l'ORA'I'EUR, que ce conseil
législatif constitué sur des bases si différentes
du sénat des Etats-Unis, présidé par un
fonctionnaire nommé par la couronne, dépourvu de tout caractère judiciaire ou exécutif,
ne pouvant comme ce dernier corps
public exercer une surveillance infatigable
sur les finances, on ne prétendra pas, dis-je,
qu'il exercera un contrôle fédéral dans le
système proposé, quoique ce conseil puisse
fort bien jeter les affaires dans une impasse
et empêcher toute législation par un véto
absolu, sans qu'on puisse prédire jusqu'où
celui-ci s'étendra. Je crois que c'est là
côtoyer le systême le plus pernicieux en fait
de législation. Autant le sénat américain
est parfait dans un certain sens, autant notre
conseil législatif le serait dans le sens contraire. (On rit.) L'hon. procureur-général
du Haut-Canada a fait, l'autre soir, l'apologie
la plus complète et la plus habile possible
de la constitution de ce futur conseil législatif: quel a été le résultat de tant
d'éloquence et d'habileté? Aucun. Il s'est
évertué à nous représenter que, suivant le
cours ordinaire des choses, nous pourrions
compter sur les décès qui arriveraient dans
un corps formé comme celui-là d'hommes
mûrs, et ainsi de suite, et qu'ainsi la composition du conseil ne mettrait pas autant
de
temps à se recruter de nouveaux éléments que
certains députés en avaient exprimé l'appréhension. Il nous a dit que les hommes qui
en feraient partie seraient après tout des
gens—peut-être des partisans plus ou moins
enclins à être complaisants—qui, convaincus
du peu de confiance que le public leur
accordait, pourraient bien se laisser aller
quelquefois à en subir la pression trop aisément au lieu de lui opposer trop de résis
500
tance. Eh bien! monsieur, j'ai entendu dire
que tous les gouvernements du monde étaient
quelque peu des gouvernements constitutionnels, c'est-à-dire que tous étaient soumis
à un contrôle ou a un autre; on dit même que
le despotisme du Grand Turc rencontre un
certain frein dans la crainte qu'inspire le
cordon de soie, et il pourrait bien se faire
qu'en eût quelque chose de cela ici:—mais
j'avouerai que le quasi-despostisme de ce
conseil législatif me répugne, même tempéré
comme on nous le promet. Sans doute, le
fait qu'il ne représentera ni opinion, ni
autorité d'aucune espèce, le rendra moins
malfesant, mais il ne saurait produire
le bien; bien plus, il ne saurait durer.
S'il est quelque chose qui me plaît, c'est de
pas me trouver seul de la même opinion;—
aussi, vois-je avec plaisir que le secrétaire
colonial et le gouvernement anglais lui-même
s'accordent à dire que cette partie du projet
est irréalisable. Les autorités impériales ne
peuvent en effet manquer de s'apercevoir
qu'un corps nommé à vie et dont le nombre
est limité, est précisément la pire organisation possible,—la dernière des extravagances.
M. DUNKIN—Moi je dis que c'est la
plus mauvaise, le gouvernement impérial dit
qu'elle est mauvaise. Elle se trouve condamnée par le gouvernement de Sa Majesté,
en
termes diplomatiques, c'est vrai, mais qui
n'excluent pas une certaine emphase, et je
crois que, comme moi, il regarde cette organisation d'une des branches de la législature
fédérale comme à peu près dénuée de sens.
On dira peut-être que le gouvernement de
Sa Majesté peut remédier à la mesure en
retranchant ce qui se rapporte au chiffre de
membres.
M. DUNKIN —Non, ce n'est pas une
garantie, mais le contraire. Eh bien! M.
l'ORATEUR, quand même le gouvernement
de la métropole en agirait ainsi, ou n'indiquerait pas les restrictions imposées à
la
couronne dans son premier choix des membres
du conseil législatif; ne serait-ce pas le plus
insignifiant des palliatifs imaginables? Les
restrictions à ce choix n'en seraient pas moins
maintenues dans la pratique, et la limitation,
même quant au nombre, resterait comme
une règle sous-entendue que l'on n'enfreindrait jamais, pas même pour une raison bien
moins grave qu'il n'en faudrait pour faire
disparaître une clause d'un acte du parlement impérial. Avant de passer outre, M.
l'ORATEUR, qu'il me soit permis de rappeler
pendant quelques instants à la mémoire de
mon hon. auditoire l'histoire de l'ancien
conseil législatif canadien. (Ecoutez! écoutez!) Ne voit-on pas que le premier conseil
législatif du Canada, illimité dans le chiffre
de ses membres et ressemblant à la chambre
des lords à cet égard, fut presque toujours
composé de membres d'une seule couleur
politique? Les nominations faites par lord
SYDENHAM et ses successeurs immédiats
tombérent, personne n'en disconvient, sur des
personnes des plus remarquables, et je ne
vois rien dans ces nominations qui dérogeât
à la coutume ordinaire, mais il n'en est pas
moins vrai qu'elles furent toutes politiques.
Voilà ce qui arrivera avec le système proposé
et cela le plus naturellement du monde. En
1848, lors de la formation du nouveau ministère, il devint nécessaire de faire passer
par
le parlement certaines lois auxquelles on
savait que la grande majorité de cette chambre
haute était opposée, et il fut un moment
question de prendre vis-à-vis de ce corps des
démarches semblables à celles dont l'histoire
d'Angleterre raconte que la chambre des
lords avait été une fois menacée. Néanmoins,
les choses n'allèrent pas plus loin. On n'eut
pas besoin de recourir à cette extrémité ou
du moins on n'eût besoin d'y recourir qu'à
moitié. La position toute particulière des
membres de ce corps et l'impossibilité où ils
se trouvaient de résister au-delà d'une certaine limite, rendirent inutile de mettre
les
menaces à exécution. Cependant, les choses
furent poussées assez loin pour anéantir le
respect qu'ils avaient pour eux-mêmes et que
le public avait pour eux. Tout le monde
comprit que leur influence n'était pas assez
grande, et ils se mirent à descendre graduellement dans l'opinion publique jusqu'à
ce
que tous eurent fini par consentir de bonne
grâce à subir le changement qui s'opéra peu
après dans la constitution de leur chambre.
(Ecoutez! écoutez!) Je ne surcharge pas le
tableau en disant que si le conseil législatif
fut ainsi ravalé dans l'opinion publique, ce fut
parce qu'il n'offrait d'autre prise à la pression
de celle-ci que par la création de nouveaux
membres, et que, pour éviter une impasse ou
conflit entre les deux branches de la législature, on dut leur faire sentir qu'en
dernier lieu
ils pourraient bien s'apercevoir que leur autorité n'était pas aussi grande que leur
volonté.
501
M. DUNKIN—Si la couronne eût été
dans l'impossibilité d'augmenter leur nombre,
ces hon. messieurs auraient pu se mettre en
travers du vœu populaire jusqu'à ce qu'une
révolution les eut balayés de la chambre, ou
que la crainte d'une pareille catastrophe leur
eût fait changer d'avis. Mais il cédèrent à
une pression plus douce. (Ecoutez! écoutez!)
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Il y a
dans toutes les choses un pouvoir central,
une force centrifuge et une force centripède.
L'excès de l'une ou de l'autre est également
dangereux, et ce qui est vrai du monde
physique s'applique également dans l'ordre
moral.
M. DUNKIN—Très-bien! mais je ne
vois réellement pas en quoi cette observation
se rapporte à ce que je dis en ce moment.
(Ecoutez! écoutez!)—Je répète donc que
l'application du système électif à la chambre
haute fut jugée nécessaire par le pays à
cause du déplorable état de choses où l'on se
trouvait alors, et malgré que la constitution
de ce corps fût encore moins mauvaise que
celle qu'on nous propose aujourd'hui. Car
la couronne avait le pouvoir d'augmenter
le nombre des conseillers et, par conséquent, un
moyen constitutionnel de les faire plier devant
l'opinion publique bien arrêtée, et cela aussi
simplement que l'avait fait la chambre des
lords dans la circonstance mémorable dont je
viens de parler. Supposez que cette dernière
eût tenue ferme contre le bill de réforme,
croit-on que le trône d'Angleterre aurait pu
échapper aux conséquences de la révolution
sanglante qui s'en serait suivie? Cette
chambre pouvait être constitutionnellement
toute puissante, mais elle était sans moyens
physiques d'exercer ses droits constitutionnels. Or, que propose-t-on de nous
donner ajourd'hui? Un corps dépourvu de
toute influence par ses membres et qui,
assure-t-on, devra reculer devant l'exercice
de ses prérogatives, ce que je ne saurais dire.
Il me répugne de mettre entre les mains
d'un corps d'hommes dont le nombre est
fixé—quelque faible que soit son poids dans
la société,—un droit de véto absolu sur toute
législation, lequel devra durer autant que la
vie de chacun d'eux, car je crois qu'on
pourrait combiner quelque chose de mieux,
pour ne pas dire que j'en suis convaincu.
Quoiqu'il en soit, ce corps que l'on décore
du nom de "fédéral" le sera-t-il? Assurément
non. C'est plutôt un système assez adroitement imaginé pour faire éclater des
conflits à chaque instant et dont on excuse
l'invention en disant qu'il ne sera pas assez
fort pour faire à beaucoup près tout le mal
qu'il fait augurer. Le gouvernement de Sa
Majesté l'a condamné:—mais il n'est pas
besoin de dire avec quelle promptitude nous
nous rangeons du côté de cette haute parole.
(Ecoutez!)—J'ai démontré jusqu'à présent,
M. l'ORATEUR, qu'en ce qui regarde notre
chambre des communes, nous sommes loin
d'avoir atteint la perfection, et que nous n'en
sommes pas plus près par le projet de
constitution de notre chambre haute. J'en
viens maintenant à l'exécutif, et je trouve
encore ici une grande différence entre le
projet actuel et le système américain. Et
d'abord, le président des Etats-Unis est le
fruit de l'élection populaire et n'exerce sa
charge que durant une période assez courte;
cette disposition est un des défauts de la
constitution américaine, car il plonge le pays
dans tous les désordres d'élections présidentielles rapprochées, à part le droit qu'elle
accorde de pouvoir être élu une seconde fois.
Le projet actuel évite ce mal en décrétant
que notre vice-roi ou notre gouverneur- général ne sera pas élu; mais, personne ne
le veut, et je ne crois pas qu'on n'y ait jamais
songé: aussi, les auteurs du projet n'en ont- ils pas grand mérite, pas plus qu'on
ne leur
saura gré de l'offre qu'ils ont faite d'eux- mêmes à Sa Très-Gracieuse Majesté de
continuer de la garder sur le trône, en
d'autres termes, de la créer Reine de l'Amérique Britannique du Nord, par la grâce
de
la conférence de Québec! (On rit.)—Ceci
soit dit en passant. Mais ce qu'il y a de plus
grave à noter, à propos de ce qui nous occupe,
c'est la distinction frappante que j'ai signalée
comme existant entre le système américain
qui impose en partie au sénat la charge
d'aider et aviser le chef du gouvernement
dans l'exercice de ses fonctions exécutives, et
le système qu'on nous propose aujourd'hui
et qui décharge tout-à-fait le conseil législatif
de cette tâche pour l'attribuer toute entière
au conseil exécutif. Ainsi que je l'ai dit,
le sénat aux Etats-Unis a d'importantes
fonctions exécutives à exercer.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Mais ce
corps les exerce sans responsabilité, tandis
que le projet actuel en fait son pivot: à cet
égard notre système est certainement préférable.
502
M. DUNKIN — Mon hon. ami prétend
que le sénat est sans responsabilité; — je
crois le contraire. Pensez-vous, par exemple,
qu'un sénateur de Massachusetts ou de New- York ne se croit pas très responsable envers
l'état qu'il représente? Il ne l'est pas
envers tout le peuple des Etats-Unis, de
même que le sénat pris comme corps, mais
chaque sénateur est personnellement responsable envers l'état qu'il représente et
agit
en conséquence. (Ecoutez! écoutez!) Le
président JACKSON ayant nommé ministre
américain près la cour de St. James, MARTIN
VANBUREN, qui lui succéda dans la suite
comme président, une majorité du sénat
désavoua cette nomination: — croit-on que
les sénateurs qui votèrent dans un sens ou
l'autre ne le firent pas en ayant devant les
yeux tout le poids de la responsabilité de
leur charge? Chacun d'eux en agit ainsi et
vota sous la sanction de sa responsabilité;
on sait que quelques-uns eurent à expier
cet acte, mais telle est la conduite générale
du sénat. (Ecoutez! écoutez!) Après cette
digression dans laquelle m'a entrainé l'interruption de mon hon. ami, je reviendrai
à
l'argumentation que je développais pour
prouver qu'en ce qui regarde la constitution
du pouvoir exécutif, le projet actuel diffère
du tout au tout du système en opération
aux Etats-Unis. Je vais considérer maintenant la question dans ses avantages ou dans
ses désavantages. Comme on l'a vu, le sénat
remplissant aux Etats-Unis une partie de ce
qui est dévolu ici au cabinet, le contrôle
ainsi exercé par ce corps rend inutile, pour
les intérêts fédéraux, l'existence d'un ministère qui, de fait, ne saurait y avoir
de raison
d'être et est absolument étranger au régime
qu'on y pratique. Il n'en est pas de même
pour ce pays où le premier magistrat ne se
trouvant pas à être le résultat de l'élection
populaire, il nous faut y suppléer par la formation d'un cabinet; mais la difficulté
sera
de faire fonctionner cette partie du système
qui se trouve greffée sur un régime qui,
après tout, est beaucoup plus calqué sur
celui des Etats-Unis que de l'Angleterre.
Arrêtons-nous ici pour un moment, et prions
les hon. messieurs de la droite de nous enseigner quelle sera l'organisation de leur
cabinet
provincial suivant les dispositions de leur
soi-disant projet fédéral? (Ecoutez! écoutez!)
Eh! bien, je crois pouvoir les défier sans
crainte de me dire qu'ils pourront former un
ministère d'après un autre principe que celui
de la représentation des diverses provinces
dans le cabinet. On convient que les provinces ne seront pas réellement représentées,
fédéralement parlant, dans le conseil législatif, et que le cabinet devra remplir
ici le
rôle qui se trouve appartenir dans le sens
fédéral au sénat des Etats-Unis;—or, comme
ce dernier corps a des devoirs fédéraux à
remplir comme partie intégrale du gouvernement exécutif chaque fois qu'il est besoin
d'un contrôle et d'un contre-poids, il s'ensuit que n'ayant ici rien d'équivalent,
au
besoin nous sommes tenus d'y suppléer dans
la composition fédérale du conseil exécutif,
c'est-à-dire en y représentant absolument
toutes les provinces. Eh bien! j'affirme
qu'un tel système est tout à fait en désacord
avec la pratique et la théorie du gouvernement anglais, avec le régime constitutionnel
qui veut quee le cabinet entier soit responsable de chacun des actes du gouvernement.
Le cabinet anglais n'est pas un cabinet
composé de parties, mais il constitue une
unité. Afin de mieux faire comprendre ma
pensée, je rappellerai des faits de notre
propre histoire; la lumière du passé permet
de voir plus clair dans l'avenir. L'union des
Canadas, qui fut consommée en 1841, fut une
union législative, et rien n'y décélait la
moindre idée de fédéralisme, si ce n'est
la clause qui décrétait, bien inutilement
suivant moi, que la représentation dans la
chambre d'assemblée serait d'un nombre
égal de députés pour le Bas et le Haut- Canada, car on aurait pu obtenir le même
résultat en organisant les divisions électorales
de telle façon à ce que la représentation
des deux provinces fût la même. L'acte
impérial déclarant expressément que le
chiffre des députés de la chambre basse
serait le même pour les deux, allait encore
plus loin et, par une anomalie inexplicable,
nous conférait la faculté de changer cette
égalité lorsque nous le jugerions nécessaire.
Aussi, lors de la formation du premier
gouvernement exécutif, lord SYDENHAM se
trouva obligé d'appeler dans le ministère
certains fonctionnaires du Haut et du Bas- Canada, sans cependant avoir égard à l'égalité
du nombre de chacun. Et, de fait, il ne fut
pas sérieusement question d'établir l'égalité
de représentation des deux provinces dans
le ministère jusqu'en 1848, époque à laquelle,
pour des motifs d'un caractère particulier,
mais qui étaient peut-être plus personnels
que politiques, on a commencé à mettre ce
principe d'égalité en pratique, et l'on a continué depuis à avoir un premier et un
sous-
503
premier ministre, et un cabinet organisé par
eux, dont les membres, autant que possible,
étaient pris en nombre égal dans les deux
sections. C'est cet usage qui a créé le principe de la double majorité, lequel, à
son
tour, a constamment donné lieu à mille difficultés constitutionnelles. (Ecoutez! écoutez!)
Maintes et maintes fois on a pu constater qu'il était impossible de constituer,
d'une manière satisfaisante, un ministère
pour les deux sections, car, bien qu'il y
eût entente entre les ministres, il arrivait
presque toujours que ceux de l'une ou
l'autre section ne pouvaient commander
une majorité en chambre. La chambre,
comme le gouvernement, se trouvait réellement divisé en deux sections, tout comme
si nous avions eu deux chambres et deux
administrations. Tout haut, comme de
raison, on n'admettait pas qu'il y eût deux
ministères; cependant une fois, lors de la
première proposition de voter non-confiance
dans le ministère MACDONALD-DORION, une
motion a été à la veille de se faire—avis en
avait été donné—dans laquelle il était réellement question d'un ministère Bas-Canadien
et d'un ministère du Haut-Canada. Je cite
ce fait afin de démontrer que déjà la force
des choses nous avait imposé un système
plus complexe et d'un fonctionnement plus
difficile que ce qui se voit en Angleterre.
Ici comme là, la constitution rend le cabinet
solidaire de ses actes; mais nous savons
qu'ici, pour toutes les fins pratiques, l'action
du ministère n'est pas collective, chaque
section ayant son propre chef, une politique
qui lui est particulière, et chaque chef ayant
la direction et la responsabilité des actes de
sa section en cette chambre. (Ecoutez!
écoutez!) D'après une méthode aussi illogique que nouvelle, nous avons fédéralisé
notre constitution depuis 1848, et c'est à
cela plus qu'à aucune autre chose que nous
devons d'être dans cette sorte de difficulté
où l'on s'est récemment trouvé. (Ecoutez!
écoutez!) Et maintenant, M. l'ORATEUR,
je désirerais savoir comment, à cet égard,
fonctionnera le système que ce projet introduira? Ainsi qu'on l'a vu, il stipule que
les
députés envoyés à la chambre des communes se composerent non pas de membres
du parlement qui se rendront à cette chambre
dans le but de legiférer pour toute l'Amérique Britannique du Nord, mais d'un certain
nombre spécifié de Haut-Canadiens, de Bas- Canadiens, de députés de laNouvelle-Ecosse,
de
Brunswickiens, d'habitants de l'Ile du Prince
Edouard, de Terreneuve, de la Rivière-Rouge,
de Vancouver, de la Colombie Anglaise et
de la Saskatchewan, chacun desquels travaillera pour la province qu'il représente.
(Ecoutez! écoutez!) Si tous ces territoires
sont érigés en provinces, nous aurons dans
cette chambre justement autant de sections
que de provinces, mais tout à fait inégales
sans le rapport du nombre, et la seule distinction reconnue entre les membres sera
celle créée par les lignes qui diviseront leurs
provinces. Le conseil législatif, on a pu
le voir, ne pourra exercer de contrôle sur
ces sections. Il faudra que ce soit l'exécutif
qui ait ce contrôle, mais comment pourra-t-il
être efficace puisque ces sections existeront
là. aussi? A part des provinces ou du vaste
territoire de l'Ouest, nous aurons six sections
dans la chambre des communes, le même
nombre dans le cabinet et, si possible, autant
de majorités parlementaires à gouverner,
possibilité douteuse, puisqu'avec nos deux
sections et nos deux majorités nous avons
reconnu qu'une d'elles était de trop. Je le
répète, nos difficultés eonstitutionnelles sont
dues à ce système, et, cependant, l'on nous
propose d'en essayer un qui est trois ou quatre
fois plus complexe que le nôtre L'homme
d'état qui, sous un pareil système, parviendrait à maintenir une administration, à
gouverner six sections ou plus dans la
chambre des communes, le même nombre
au conseil législatif, autant de parlements
locaux et de lieutenants-gouverneurs, cet
homme, dis-je, le plus habile d'entre tous
les hommes d'état, qui réussirait a maintenir
son gouvernement pendant deux ou trois
ans, mériterait qu'on l'envoyât en Angleterre
pour y enseigner aux lords PALMERSTON et
DERBY leur alphabet politique. (Ecoutez!
écoutez!)
M. DUNKIN ——L'hon. préopinant ne voit
jamais de difficulté dans tout ce qu'il veut
faire.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Je me
suis rarement trompé; j'ai même obtenu
assez souvent le succès. (Ecoutez! écoutez!)
M. DUNKIN —Pour certaines choses,
oui; mais pour d'autres il n'a pas été très
heureux. L'hon. monsieur a été beaucoup
favorisé par les circonstances; de plus, je ne
suis pas tout à fait certain si je pourrais
croire à l'omniscience de n'importe qui.
(Ecoutez! écoutez!) Si, comme il le faudra,
les différentes provinces sont représentées
504
dans le conseil exécutif, examinons un peu
quel devra être le nombre des ministres. Il
y a deux manières de faire ce calcul, deux
données sur lesquelles on peut s'appuyer.
Il faut ou commencer par ce que nous
pourrions appeler les besoins des parties
constituantes, ou par les besoins du pays en
général. Eh bien! commençons par les
besoins des différentes provinces. Je considère que nulle section de la confédération
ne pourra avair moins d'un représentant dans
le cabinet: L'Ile du Prince-Edouard en
voudra un; Terreneuve en voudra un; mais
déjà une difficulté se présente quant au Bas- Canada, car, en vertu du principe qui
lui
accorde une juste représentation dans le
conseil exécutif, chacune des populations en
minorité dans cette partie du pays exigera
la même chose. Nous comptons trois populations dans le Bas-Canada: les Franco- Canadiens,
les Irlandais catholiques et les
Anglais protestants. En d'autres termes, il
y a les catholiques et les protestants, ceux
qui parlent la langue anglaise et ceux qui ne
la parlent pas, et ces deux distinctions font
chez notre peuple les trois divisions que je
viens d'indiquer. Si, dans un gouvernement
fédéré de ce genre, les différentes populations
du Bas-Canada exigent cette justice, il faudra
nécessairement la leur accorder, autrement
le désaccord s'ensuivra. Jusqu'ici, la représentation ordinaire du Bas-Canada dans
l'exécutif a été de six sur douze. De ce nombre,
on peut légitimement dire que quatre représentaient la partie franco-canadienne, un
les
Irlandais catholiques, et l'autre les Anglais
protestants. Chacun, aussi, est prêt à admettre
que c'était à peu près ce que l'on devait
faire. Des fois, cependant, cette représentation a varié. Il est arrivé que la population
protestante anglaise n'était représentée
dans le cabinet que par un solliciteur-général
sans portefeuille, fait dont elle n'a pas eu à
se plaindre amèrement. Jamais, que je sache,
le cabinet s'est trouvé sans un ministre
irlandais catholique. (Ecoutez!) Quelque- fois, le nombre des ministres franco-canadiens
était de moins de quatre, et, comme de
raison, on y a trouvé beaucoup à redire. Six
membres—quatre, un et un—voilà le nombre
qu'il faut que vous donniez pour contenter
chaque section du Bas-Canada. Eh bien!
M. l'ORATEUR, s'il doit y avoir six ministres
pour le Bas-Canada, il en faudra six ou sept
pour le Haut, au moins trois pour chacune
des provinces de la Nouvelle-Ecosse et du
Nouveau Brunswick, et, comme je viens de
le dire, un pour chacune des provinces de
Terreneuve et de l'Ile du Prince-Édouard,
de sorte que, à part de ceux que l'on pourrait
avoir à ajouter pour d'autres provinces, nous
aurons un conseil exécutif composé de vingt- et-un membres, nombre que je trouve trop
élevé. Jamais l'harmonie ne pourrait régner
dans un cabinet aussi nombreux. Prenons
maintenant l'autre côté de cette question.
Supposons que le nombre des ministres soit
limité à ce que je puis appeler les besoins
généraux du pays; onze, douze ou treize—
mais, comme à fait remarquer un hon.
député, ce dernier nombre est fatal—sont
autant qu'il sera possible d'en avoir. De ce
nombre, un représentera Terreneuve, un
autre l'Ile du Prince-Edouard. Si chacune
des petites provinces est représentée par un,
le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Ecosse
seront très mécontents s'ils ne le sont par
au moins chacun deux, et ni le Haut ni le
Bas-Canada ne seront satisfaits des trois que
chacun d'eux aura. Quant au Bas-Canada
surtout, comment pourra-t-on diviser ce
chiffre entre les Français, Irlandais et
Anglais? Leur en donnerons-nous chacun
un, et dirons-nous à l'élément franco-canadien de se contenter d'une voix dans un
cabinet composé de douze membres, ou bien,
lui en donnera-t-on deux, et laisserons-nous
l'élément anglais ou irlandais sans représentant; ou bien encore, donnerons-nous les
trois à l'élément le plus nombreux, au grand
mécontemcnt des deux autres? Ce ne sera
pas chose facile, M. l'ORATEUR, de former
un cabinet avec ses trois membres pour le
Bas-Canada, et de satisfaire en même temps
à ses exigences de race et de religion.
M. DUNKIN—L'hon. procureur-général
se croit probablement capable de surmonter
cette difficulté?
M. DUNKIN — Eh bien! si cet hon.
monsieur réussit à satisfaire le Bas-Canada
avec seulement trois ministres dans le
cabinet, il prouvera qu'il est le plus habile
homme d'état du pays.
M. DUNKIN—Je vois que l'hon. monsieur ne m'a pas écouté, et pour le satisfaire,
je ne crois pas devoir punir la chambre en
répétant ce que je viens de dire. (Ecoutez!
505
écoutez!) Je dis donc que si le nombre
des membres de l'exécutif est limité aux
besoins du pays, et non à ce que je pourrais
appeler les besoins locaux des diverses provinces, il se composera de onze, douze
ou
treize; il sera alors si petit en proportion de la
diversité d'intérêts à satisfaire, qu'il sera
extrêmement difficile d'éviter de sérieuses
difficultés dans sa distribution locale. Si,
d'un autre côté, vous donnez à toutes les
provinces le nombre qu'il leur faut, le
cabinet sera trop nombreux pour pouvoir
gouverner. Il sera pratiquement impossible
de satisfaire aux besoins de toutes les provinces, et, cependant, aucune d'elle ne
pourrait être maltraités à cet égard sans
qu'il en résultât de lâcheuses conséquences.
(Ecoutez! écoutez!)
M. DUNKIN— Parlant un jour d'un premier ministre d'Angleterre, SIDNEY SMITH
disait que sous le plus court délai il pourrait
remplir les fonctions de l'archevêque de
Cantorbery ou prendre le commandant de
la flotte. (On rit.) Nous avons en ce pays
quelques hommes publics qui, selon eux,
sont doués de capacités assez grandes pour
remplir les fonctions de ces deux postes
élevés, voire même, peut-être, celles de maré
chal de camp ou de commandant en chef.
(Nouveaux rires.)
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Bien que
je ne pourrais commander la flotte d'Angleterre ni remplir les fonctions de l'archevèque
de Cantorbery, je ne m'en croirais pas
moins capable de former un cabinet qui contenterait à la fois le Haut et le Bas-Canada
et
les provinces inférieures. (Ecoutez! écoutez!
et rires)
M. DUNKIN—Eh bien! à mon avis, et
pour surmonter la difficulté qui se présentera
un jour ou l'autre, il faudra une toute autre
capacité que celle qui suffit pour faire une
assertion hardie ou que celle qui permet de
rire de bon cœur. (Écoutez! écoutez!) Cela
dit, M. l'ORATEUR, je passe aux relations
qui devront exister entre cette puissance
fédérale et les différentes provinces, ainsi que
cela a lieu entre les Etats-Unis et les différents états. Ici encore il faut faire
une comparaison avec le système des Etats-Unis
plutôt qu'avec celui de la Grande-Bretagne,
bien que dans cette partie du projet les
deux systèmes ont peut-étre été illogiquement
confondus. Dans le véritable sens du mot,
la Grande-Bretagne ne s'est pas encore fédérée avec aucune de ses colonies; elle conserve
toujours sur elles une suprématie nominale.
M. SCOBLE—Dites plutôt une suprématie
réelle.
M. DUNKIN—Non; elle n'est que nominale dans son exercice. Elle n'exerce pas,
pratiquement, de pouvoir sur ses colonies.
Depuis près de 25 ans, je ne sache pas
qu'aucun acte législatif ait été désavoué par
le gouvernement impérial.
UN
HON. MEMBRE—Oui; un l'a été:
l'acte concernant le cours monétaire, présenté par M. HINCKS.
M. DUNKIN—En effet, je crois que oui.
Mais, sous ce rapport, nous avons eu plus
tard ce que nous voulions. Comme de raison,
je parle ici plus particulièrement de ce qui
concerne la direction de nos propres affaires, et
il n'y a pas à le nier, sous ce rapport l'Angleterre nous a laissé un contrôle illimité;
elle
nous laisse faire ce que nous voulons tout en
conservant sur nous une suprématie parfaitement nominale. Elle nomme notre gouverneur-général,
mais il fait ici ce que nous
voulons et non ce qu'elle veut. Elle peut,
si elle le veut, désavouer tous nos statuts,
mais, pour toutes les fins pratiques, elle ne le
fait jamais. Si elle le jugeait à propos, elle
pourrait modifier ou révoquer la charte qu'elle
nous a accordée, mais elle ne songe à rien de
semblable, et nous savons bien qu'elle ne le
fera pas. Eh bien! dans cette constitution
projetée, et relativement aux relations qui
subsisteront entre la confédération et les
provinces, au lieu d'une fédération réelle
comme celle qui existe entre les Etats-Unis et
les différents états, on voit qu'on a essayé
d'adopter en grande partie le système anglais
d'une suprématie, qui ne sera pas, en fait, la
moitié de ce qu'elle vaut en théorie. Mais
de ce que le système est bon pour les relations de l'Angleterre avec ses colonies,
il ne
s'en suit pas qu'il s'applique au cas actuel.
Si les pouvoirs encore indéfinis de notre
fédération ne sont que nominaux, ils seront
insuffisants; s'ils sont plus que nominaux, ils
deviendront excessifs. En tous cas, la définition précise des pouvoirs, comme aux
Etats- Unis, est la seule idée praticable. Or, quel
est le système qui règle les rapports des
différents états avec le gouvernement fédéral?
J'y trouve deux principes excellents. En
premier lieu, la constitution garantit à chacun
des états la forme républicaine de gouvernement, ou, en d'autres termes, une constitution
en grande partie analogue à celle des
506
Etats-Unis, un exécutif électif, un conseil
électif et enfin une chambre basse élective,
le tout sans ce que nous appelons ici le gouvernement responsable; tel est ce qu'on
appelle le système républicain. En second
lieu, et avec cette uniformité de principes
entre la constitution des Etats-Unis et celle
de chaque état, il existe un système très-bien
défini que j'appellerai celui de l'autonomie
de chaque état. Pour un certain ordre de
questions, chaque état est libre comme la
république elle-même; il a ses fonctions et,
dans ces fonctions, personne ne peut le contrôler. La république des Etats-Unis a
aussi
ses fonctions spéciales et plein pouvoir dans
un autre ordre de choses. Le systeme judiciaire général et ceux des différents états
sont tellement bien combinés qu'ils fonctionnent avec une harmonie parfaite sous le
système fédéral. C'est un mécanisme fort
compliqué, et dont certaines parties sont
très-delicates, mais, somme toute, il a bien
fonctionné pendant plusieurs années et peut
encore fonctionner à merveille pendant longtemps.
M. DUNKIN—L'hon. monsieur prétendil que le principe d'élection des juges forme
partie du système constitutionnel des Etats- Unis? Ce principe est de fraiche date
et ne
s'est point encore implanté aux Etats-Unis.
Il n'est encore adopté que par quelques états
séparés. C'est une nouveauté que les fondateurs de l'union n'avaient pas prévue, sans
quoi, et selon toute probabilité, ils auraient
pris quelque mesure pour la prévenir. (Ecoutez!) Or, m'ensieur l'ORATEUR, quel système
allons-nous adopter par ces résolutions?
Quelles seront les relations entre les gouvernements général et locaux? On nous assure
que
nous n'avons à craindre ni choc d'intérêts ni
conflit d'opinions; que l'union fédérale qu'on
nous propose ne sera en réalité qu'une union
législative; d'autre part, à tous ceux qui ne
veulent pas d'une union législative, on répond
qu'ils n'ont rien à craindre de ce côté. Or, je ne
crois pas qu'on puisse combiner les avantages
des deux systèmes. L'union fédérale et
l'union législative sont deux choses parfaitement différentes. Le système n'est pas
double; vous ne pouvez pas élaborer un
système qui réunisse les avantages de l'un et
de l'autre, mais je crains bien qu'on nous
prépare en ce moment une constitution qui
sera tous les désavantages de l' un et de l'autre.
(Ecoutez!) Je prends, par exemple, un des
détails du projet, ou plutôt l'absence d'un de
ces détails en ce qui concerne les constitutions
locales. On dit: " Vous ne saurez rien à
cet égard, ces constitutions se préparent
dans l'ombre, mais l'essence même du projet
est que vous les ignoriez." (Rires.) Il semble
aussi que l'essence du projet est que ces diverses constitutions ne soient pas du
tout semblables. Par exemple, la Nouvelle-Ecosse
aura droit d'établir un gouvernement responsable, avec un ministère et deux branches
de
la législature. Le Nouveau-Brunswick, si
cela lui plait, peut n'avoir qu'un corps législatif, avec ou sans un gouvernement
responsable. L'Ile du Prince-Edouard, Terreneuve
et enfin le Canada peuvent aussi faire comme
bon leur semble. Le Bas-Canada peut même
avoir une constitution toute différente de celle
du Haut-Canada. De sorte que, sur environ
six constitutions locales, il pourra ne pas y en
avoir deux de semblables. (Ecoutez!) On prétend que ces constitutions doivent varier
au
gré des habitants de chaque province; il y
a plus, on donne aux populations de chaque
province le droit d'amender leur constitution.
Il est vrai qu'il y a le véto fédéral, mais il
est a présumer qu'on ne l'exercera jamais.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER —Il est à
présumer qu'il sera exercé dans le cas d'une
législation injuste ou inconsidérée.
M. DUNKIN— La présomption de l'hon.
monsieur m'en rappelle une autre tout aussi
concluante, mais qui, selon DICKINS, ne
put satisfaire M. BUMBLE. On disait à ce
bedeau embéguiné que, d'après une présomption légale, la femme agissait sous le contrôle
du mari; " Si la loi, répondit-il, présume
pareille chose, la loi est folle et parfaitement
folle!" (Rires.) Si ce droit de véto repose
sur la présomption que la législation de nos
provinces sera injuste ou inconsidérée, il
pourra être nécessaire; mais, avec cette
idée en vue, il eût été mieux de restreindre
cette législation. Si la promesse de ne pas
user de ce véto repose sur la présomption
que tout sera fait justement et avec prudence
dans les législatures locales, le pouvoir législatif est bien placé; mais alors on
n'a que
faire du véto. (Ecoutez!) Je répète que
ce système, ou plutôt cette absence de
système, ne tend point à établir l'uniformité entre les constitutions générale et
locales et même entre les constitutions
locales; et, sous ce rapport, la nouvelle constitution diffère essentiellement du
sage
système adopté aux Etats-Unis. De plus,
elle ne laisse aucune autonomie aux diverses
507
provinces et tend plutôt à la négation de
toute autonomie. (Ecoutez!) Maintenant
j'examinerai quelques-uns des détails qui
doivent caractériser notre système provincial.
Malgré la latitude qu'on laisse aux provinces
de se donner une constitution, on leur impose,
sous certains rapports, un joug de fer. La
nomination du lieutenent-gouverneur est
laissée au gouvernement général. On ne
dit pas formellement qu'il sera pris dans la
colonie, mais on est en droit de le supposer.
Il n'est pas probable qu'un homme d'état
Anglais tienne à occuper cette position.
Je crois donc que le gouvernement général
nommera toujours monsieur un tel ou un tel
qui occupe un rang distingué parmi nous.
Un hon. membre de la droite, dont je regrette
d'avoir à signaler le geste, semble n'avoir
jamais ou l'idée que si un pareil choix
tombait sur lui, certaines personnes pourraient croire qu'il n'est pas très-apte à
remplir ces fonctions. (Ecoutez!) Mais,
vraiment, ces lieutenants-gouverneurs exerceront leurs fonctions en vertu d'une singulière
disposition. C'est ainsi qu'ils ne sont
amovibles que par le pouvoir fédéral, et ci
après le terme de cing années, à moins de
plaintes motivées qui devront être mises par
écrit devant les deux branches de la législature fédérale. On peut donc dire que la
durée de leur charge sera de cinq ans durant
bonne conduite. Ils seront salariés par le
gouvernement général; ils auront le pouvoir
de punir et de gracier en se soumettant aux
instructions qu'ils pourront recevoir de temps
à autre du gouvernement général. Ils auront
l'initiative, par message, de tous les bills de
finances, et le pouvoir de réserver les lois à
l'approbation du gouvernement général. Ils
auront toutes les prérogatives des lieutenants- gouverneurs actuels, mais de plus,
ils seront
inamovibles. A part ces quelques points, les
résolutions nous laissent parfaitement libres.
Je trouve un autre enseignement, non pas
dans les résolutions mêmes, mais dans la
dépêche adressée en même temps au secrétaire des colonies par le gouverneur-general,
c'est que, d'après les vues du gouvernement
canadien, les législatures locales devraient
n'avoir qu'une seule chambre. Je présume
que les hon. messieurs, qui nous ont soumis
cette dépêche, ne nieront pas ce point qui ne
le trouve pas dans les résolutions. Voici ce
que dit la dépêche:
"Chaque province aura, suivant le projet, et
pour les fins de l'administration locale, un fonctionnaire exécutif nommé par le gouverneur
et
amovible sur des motifs déterminés, lequel sera
assisté d'un corps législatif dont on propose de
laisser la constitution à la décision des législatures
locales actuelles, sauf approbation du gouvernement et du parlement impériaux."
Mais, monsieur l'ORATEUR, soit que nos
législatures locales aient une ou deux
chambres ou qu'elles adoptent, ne fut-ce que
pour en faire l'essai, un système différcnt,
elles devront toujours se rapprocher, en
principe, de deux systèmes tout-à-t'ait contraires, d'un côté, le système anglais
avec son
ministère responsable, de l'autre, le système
américain qui n'admet pas cette responsabilité. Je montrerai tout-à-l'heure que le
projet
ne saurait être appliqué avec le premier de
ces deux systèmes. Quant au second, il y a
partout dans les Etats deux chambres électives et des gouverneurs élus pour un certain
nombre d'années. Pas de fonctionnement
possible autrement. (Ecoutez! écoutez!)
Un gouverneur nommé par une influence
extérieure, pour une période assez longue, et
n'ayant à craindre que le contrôle d'une
seule chambre, voilà un plan aussi nouveau
que peu rassurant. Avant d'aller plus loin,
je reviens sur la manière dont sera constitué
le conseil exécutif fédéral. On nous promet
un cabinet responsable d'après le système
anglais et, chose étrange autant qu'anormale,
bien qu'il doive être composé d'éléments
représentant les diverses provinces, il aura
et devra toujours avoir une responsabilité
commune. Mais c'est l'essence du gouvernement responsable qu'avec la responsabilité
il ait le pouvoir. Un ministère ne peut se
ètre tenu responsable du gouvernement d'un
pays s'il n'a pas un certain contrôle indispensable sur la direction des affaires.
Si nous
érigeons dans le pays un pouvoir trop fort,
ce pouvoir cessera d'être responsable. Sans
doute il doit être maître de tenir tête à
l'opposition, d'après la règle constitutionnelle.
Et pourtant, d'après le projet, en outre de
toutes les difficultés qui surgiront de l'organisation même du cabinet fédéral et
de ses
rapports avec la législature générale où se
discuteront tous les intérêts locaux, ce
cabinet rencontrera encore de nouveaux
embarras dans ses rapports avec les législatures locales. Que ces dernières soient
ce
qu'on voudra, responsables ou républicaines,
ou l'une et l'autre, lorsqu'elles commenceront
à. fonctionner il y aura nécessairement un
choc dans lequel la législature générale ou la
législature locale devra périr, ce qui revient à
dire qu'il y aura une révolution. (Ecoutez!)
508
Quelque système que nous adoptions, nous
devons en assurer le fonctionnement. Et,
pour dire toute la vérité, le système fédéral
est tout-à-fait incompatible avec les principes
essentiels d'un gouvernement responsable
établi sur le système anglais. (Ecoutez!)
A part même du fédéralisme, le système
anglais et le système républicain sont parfaitement incompatibles; si on les combine
l'ensemble ne pourra jamais fonctionner. Il
faut se contenter de l'un ou de l'autre et ne pas
commettre la folie d'adopter un système tout
nouveau et bâtard, combinaison étrange de ces
deux systèmes et dont personne ne pourra
jamais démontrer la possibilité pratique. Et
maintenant, M. l'ORATEUR, étudions quel
sera le rôle de notre distingué compatriote
(le gouverneur local) essayant de gouverner
l'une des provinces avec cette amalgamation
des deux systèmes. Supposons qu'il soit
admirablement apte à remplir les fonctions
auxquelles il est appelé; il aura malgré tout
une ou deux causes d'incapacité, si je puis
ainsi dire, dans l'accomplissement de sa
mission. Lorsque Sa Majesté nomme un
gouverneur pour le Canada ou pour toute
autre colonie, elle est présumée choisir quelqu'un d'une haute position en Angleterre,
et
pour lequel personne dans la dite colonie
n'est censé avoir de motifs d'antipathie. Il
se présente avec un rang social plus élevé
que personne parmi ses nouveaux administrés.
(Ecoutez!) Tout le monde est disposé à
reconnaître en lui lé rerésentant de Sa
Majesté; et il a toutes les chances de se
faire une position agréable et d'administrer
les affaires à la satisfaction de tous les partis.
En adoptant les vues de ses ministres, on ne
lui demande pas d'émettre les opinions personnelles qu'il peut avoir. Il peut exposer
aux représentants du peuple les vues de son
cabinet, qu'il soit réformiste ou conservateur,
ou réformiste pendant une session et conservateur à la session suivante, le tout sans
se compromettre en aucune façon et sans déroger aux
antécédents politiques qu'il peut avoir en
Angleterre. Mais supposez qu'un homme
politique du Canada, de Terreneuve ou de
toute autre province dans la confédération,
devienne un jour lieutenant-gouverneur
d'une de ces provinces. En commençant,
tout est à son désavantage; il faudra qu'il
subisse la série des récriminations qu'ont
éprouvées tous nos hommes politiques les
plus éminents. (Ecoutez!) Monsieur l'ORATEUR aux Etats-Unis lorsqu'un homme
politique est élu gouverneur, le triomphe de
son élection fait disparaître dans un éternel
oubli toutes les taches de sa vie politique.
Mais si les gouverneurs des différents états
étaient nommés par le gouvernement de
Washington, pensez-vous que le peuple
serait satisfait de ces nominations comme il
l'est quand il a fait librement son choix; si
surtout il avait lieu de croire qu'on lui
a donné pour gouverneur un homme qui ne
mérite que le mépris et qui peut-être est
un malhonnête homme dont la nomination
est, pour lui, une calamité ou une insulte?
Personne n'ignore que nos hommes publics
de tous les partis ont été si violemment
assaillis par leurs adversaires qu'ils demeureront toujours bien bas dans l'estime
de
ceux qui ne partagent pas leurs idées. Je ne
prétends pas qu'ils aient mérité ce destin,
mais le fait est incontestable. Si l'un de
nos douze ou vingt hommes politiques les
plus éminents était aujourd'hui nommé
lieutenant-gouverneur du Haut ou du Bas- Canada, me dira-t-on que, dans l'une ou
l'autre section, un grand nombre de gens ne
considéreraient pas cette nomination comme
une insulte? Qu'on ne me dise pas que nous
entrons dans une ère nouvelle et qu'avec la
confédération nous inaugurons un autre ordre
de choses! A l'avenir, comme dans le passé.
toutes les hautes positions seront rudement
convoitées. Un gouverneur local, de quelquel colonie qu'il vienne, n'aura point de
belles cartes en main et aura beaucoup à
souffrir de ses anciens adversaires politiques
pour tous ses exploits dans l'arène populaire.
Il ne pourra pas éviter de graves mécontentements dans une région ou dans une
autre. On saura qu'il a été dans la politique,
et on le tiendra favorable à tel ou tel parti.
Personne, dans cette position, ne pourra
effacer son passé, et nier sa participation
dans telle ou telle mesure dont on ne lui fera
rien moins qu'un crime; comment pourrat-il alors maintenir son équilibre entre les
partis politiques comme cela convient au
rôle de gouverneur-général? Il sera suspecté,
guetté, attaqué, vilipendé; il devra favoriser
ses amis et châtier ses ennemis; il ne pourra
aussi bien qu'un étranger gagner le respect
et l'estime. Mais il souffrira encore de bien
d'autres manières. Je suis porté à croire qu'il
y aura une sorte de distinction entre les deux
classes d'hommes politiques qui surgiront
dans la confédération projetée. Nous aurons
ceux qui viseront à des siéges dans la législature fédérale; ce sera, si l'on veut,
la
classe la plus élevée de nos hommes poli
509
tiques. Dans cette catégorie seront choisis
les membres du conseil exécutif fédéral, les
hauts fonctionnaires, les juges, les lieutenants-gouverneurs, enfin les " princes
de
la synagogue." Les siéges dans les parlements locaux seront laissés à des hommes
politiques d'un ordre inférieur. Mais si
nous avons le gouvernement responsable, les
lieutenants-gouverneurs devront être choisis
dans la première de ces deux catégories, et
les membres des ministères ou semblants de
ministères locaux (voire même les premiers
ministres dans chaque province) seront
pris dans la seconde. (Ecoutez! écoutez!)
Prétendrez-vous qu'un gouverneur choisi
dans la meilleure classe de nos hommes politiques aura beaucoup d'influence sur un
conseil composé d'un tas de politiqueurs de bas
étage, siégeant dans son conseil ou formant
partie d'un simulacre de législature? Je crois
qu'il aura besoin, pour gouverner ses administrés, d'un pouvoir beaucoup trop considérable
à. leur gré, et beaucoup plus étendu que
celui que lui conférera le nouveau système.
Et que sera pour lui le conseil exécutif fédéral avec son premier ministre et ses
éléments
hétérogènes? Une fois nommé, il faudra bien
qu'il se croie tout de bon gouverneur; et il ne
manquera pas, l'occasion se présentant, de
dire franchement au premier ministre et au
cabinet qui l'auront nommé: " Passez votre
chemin, " ego sum imperator; j'aurai bien soin
de ne pas vous donner cause suffisante de me
démettre; mais, sans cela, j'ai encore beau
jeu; je suis ici pour cinq ans, et votre position est moins assurée que la mienne."
Il
pourra prendre cette attitude à la suite des
différends qui surgiront entre le gouvernement général et lui; ou bien encore, le
cabinet fédéral peut changer et le forcer à
prendre cette attitude. Je dis plus, M.
l'ORATEUR, le lieutenant-gouverneur du Bas- Canada, par exemple, sera peut-être l'ennemi
juré du premier ministre fédéral et
ne le saluera même pas dans la rue! La
durée de ses fonctions étant de cinq ans, l'infortuné premier ministre de la confédération,
son maître pour ainsi dire, dont les vues ne
concorderont pas avec les siennes, pourrait
bien . . ..
M. DUNKIN— En effet, il pourrait bien
siffler, pendant que son lieut.-gouverneur sera
occupé à miner son influence dans la législature provinciale et partout ailleurs;
et, dans
une pareille lutte, il se pourrait aussi qu'il
fut la victime expiatoire (Rires.) Monsieur
l'ORATEUR, permettez-moi de revenir une fois
encore à l'histoire du Canada. Précisément
avant l'union des Canadas, et après, feu
lord SYDENHAM, qui n'était certainement
pas un visionnaire, crut devoir tenter une
expérience politique. Je crois qu'il ne cacha
à personne que dans son esprit c'était une
simple expérience et que son système ne
devait pas durer longtemps. Il voulait à tout
prix établir le régime municipal en Canada.
Il chercha d'abord à l'introduire dans l'acte
d'union; mais il n'y réussit pas. Plus tard,
il fit adopter sa mesure par le conseil spécial
dans le Bas-Canada, et dans le Haut par le
parlement canadien à sa première session. Ce
système contenait certaines dispositions du
projet actuel de confédération. Chaque district municipal devait être présidé par
un
préfet nommé par le gouverneur-général et
avoir son conseil de district électif, de fait
une petite législature composée d'une seule
chambre; les attributions de cette dernière
étaient bien précisées; il ne pouvait y avoir
d'erreur à l'égard de leur portée. Le pouvoir de désavouer les règlements qu'elle
passerait ainsi que la nomination du préfet,
étaient soigneusement réservés au gouvernement. Et, notez-le bien, lord SYDENHAM
ne permettait à ces préfets de retenir leurs
fonctions que durant bon plaisir. Il gardait
en ses mains tout le contrôle nécessaire sur
eux; et, bien plus, il réservait au gouvernement le pouvoir de dissoudre tout conseil
réfractaire. Le système, dans tout son ensemble, était fort bien coordonné, et. au
jugement de lord SYDENHAM, devait durer
des années, jusqu'à ce que les districts
devenant trop puissants auraient eux-mêmes
le pouvoir de nommer leurs préfets et de
passer leurs propres règlements en toute
liberté. Or, M. l'ORATEUR, le projet
n'a jamais bien fonctionné ni dans le
Haut ni dans le Bas-Canada; et la première chose que fit ensuite le parlement
suivant fut de tout faire disparaitre—l'élection des préfets aussi bien que le désaveu
des réglements. Chacun découvrit et se
trouva convaincu que c'était un pouvoir réel
et non imaginaire que le gouvernement
s'était ainsi réservé. Ce sera la même chose
dans le cas actuel. Votre lieutenant-gouverneur sentira qu'il est revêtu de pouvoirs
réels et non imaginaires. Ce que vos petits
districts refusaient d'accepter il y a vingt- cinq ans, vous ne saurioz aujourd'hui
le faire
adopter aux provinces. En voulez-vous un
exemple encore plus frappant?—J'en ai un
510
tout prêt sous la main. Autrefois, le gouvernement impérial entreprit d'envoyer des
gouverneurs dans les colonies jouissant du
système représentatif, sans leur enjoindre de
se conformer à ce système, et la conséquence
en fut qu'ils éprouvèrent un échec des plus
lamentables. (Ecoutez!) Allons-nous essayer
de faire fonctionner en ces provinces un
système pire encore que celui qui, mis en
jeu par le bureau colonial en Angleterre,
eut pour résultat d'établir "l'anarchie permanente," selon l'expression de lord DURHAM?
Si nous devons le tenter, savons-nous bien
jusqu'à quand nous éloignerons ce conflit de
pouvoirs qui se terminera par la destruction
complète de l'édifice entier? (Ecoutez.)
Mais, M. l'ORATEUR, je n'en suis pas encore
arrivé aux principales difficultés de la position. Loin de là—Aux Etats-Unis, comme
je l'ai déjà dit, tandis qu'il y a identité
essentielle dans la constitution, il existe en
même temps une distinction minutieusement
tracée entre les pouvoirs et les fonctions.
Je n'affirme pas ne la ligne de démarcation
soit où elle devrait être, mais je constate le
fait qu'elle existe, et je défie qui que ce soit
de me contredire. Mais ici, M. l'ORATEUR,
quelle est notre position par rapport aux
attributions de nos législatures et de nos
gouvernements provinciaux, d'un côté, et
celles de l'autorité fédérale, de l'autre?
Suivons-nous l'exemple que nous offrent
nos voisins en donnant tant à l'union et le
reste aux provinces; où tant à ces dernières
et le reste à l'union? L'adoption de l'un
ou l'autre de ces principes, serait chose fort
simple; mais dans le plan actuel, rien de
semblable. Il nous donne une espèce de
budget spécial pour chaque province, indiquant ce qui doit tomber dans le fonds
commun, mais non ce qui appartient à
chacune. Je ne saurais, à une heure aussi
avancée de la nuit, entrer plus avant dans
les détails de cette question; je me contenterai d'en présenter quelques échantillons,
en parlant des pêcheries, de l'agriculture et
de l'immigration. Ces trois sujets sont
également assignés à la législature générale
d'un côté, et à la législature provinciale de
l'autre. Il est décrété dans la 45e résolution
que dans les questions soumises concurremment au contrôle du parlement fédéral et
des législatures locales, les lois du parlement
fédéral devront l'emporter sur celles des
législatures locales. De sorte que, au sujet
des pêcheries, de l'agriculture et de l'immigration, les législatures locales devront
éviter
toute législation, sans quoi la législature
générale pourra en tout temps défaire ce
qu'elles auront fait. L'on peut facilement
se faire une idée de la fréquence des conflits
d'autorité en pareils cas, résultant des réglements de pêche, des primes et des mille
et
une questions qui ressortent de l'agriculture.
Parlons, par exemple, de la question d'immigration qui se présente d'elle-même—Une
province désire encourager l'immigration
dans de certaines conditions, disons l'immigration européenne. C'est un motif légitime;
or, la législature fédérale, pressée par
l'opinion publique, pourra peut-être adopter
une ligne de conduite différente, et mettre à
néant la décision adoptée par la province—
Alors, pourquoi conférer aux parlements
locaux des pouvoirs que la législature fédérale
pourra en tout temps leur enlever? (Ecoutez!) Mais, M. l'ORATEUR, il y a encore
une centaine de cas analogues desquels naitra
une pareille confusion, fait que je pourrais
très bien démontrer à cette chambre si j'en
avais plus le temps. Par exemple, il y a la
question du mariage et du divorce—question si entourée de préjugés locaux et touchant
de si près aux convictions religieuses.
Or, elle est aissée à la législature générale.
Mais, d'un autre côté, les droits civils,—
sujet bien plus vaste et dont le mariage et le
divorce forment partie—sont confiés aux
législatures locales. Maintenant, parlons du
premier sujet venu, de la législation, de l'incorporation et de la fusion des compagnies
de chemin de fer. En vertu du projet,
quelle est la législature qui se trouve saisie
de ces questions? A mon avis, les difficultés
et les doutes me semblent à cet égard abonder
dans tous les sens; et que l'on veuille bien
observer que je ne suis pas le seul à. critiquer
le projet. Le secrétaire d'Etat pour les
colonies n'a pas non plus manqué de faire
connaitre, d'une manière diplomatique il est
vrai, son opinion sur ce point. Voyons ce
qu'il dit:—
"Le point principal et le plus important pour
le fonctionnement pratique du projet est la délimitation exacte de l'autorité de la
législature centrale et de celle des législatures locales dans
leurs relations. Il n'a pas été possible d'exclure
des résolutions certaines dispositions qui paraissent
être moins compatibles que l on aurait peut-être
pu le désirer avec la simplicité et l'unité du plan.
Mais, en somme, il semble au gouvernement de
Sa Majesté que l'on a pris des précautions qui
sont évidemment destinées "(destinées," il ne
dit pas " propres") à assurer au gouvernement
central les moyens d'exercer une action efficace
dans toutes les diverses previous, et de se pré
511
munir contre les maux qui devront inévitablement
naître s'il existait quelque doute relativement aux
attributions respectives de l'autorité centrale et
locale."
Il ressort parfaitement de ce qui précède,
que le gouvernement de Sa Majesté entrevoit
que, quelle qu'ait été l'intention, il y a
loin de là à l'exécution. (Ecoutez!) L'intention ne fait pas la chose.— Je vais maintenant
citer la critique que fait à ce sujet le
Times de Londres. Dans un article très
élogieux des résolutions comme ensemble,
l'écrivain dit:
"Mais l'article le plus important de ces résolutions et malheureusement le plus diflicile
à comprendre, est celui qui définit les attributions de
la législature fédérale."
Il donne ensuite le texte même des résolutions, puis il ajoute:
"Il est très difficile d'interpréter ces dispositions. En premier lieu, des pouvoirs
généraux
de législation sont conférés dans le sens le plus
large au parlement général; ensuite, pouvoir est
donné spécialement de légiférer sur trente-sept
sujets différents, l'un desquels comprend toutes
les matières d'un caractère général qui ne sont pas
exclusivement réservées aux législatures locales.
Or, rieu n'est exclusivement réservé aux législatures
locales, de sorte que l'effet de cet article est de
limiter les attributions de la législature centrale
aux matières d'un caractère général—définition
des plus vagues et des plus propres, si elle est
maintenue, à créer des difficultés et de la confusion.—Pareillement, quelles sont
les matières d'une
nature particulière et locale qui ne sont pas assignées au parlement général? Nous
n'avons pu
réussir à découvrir les matières d'une nature
particulière et locale qui soient ainsi assignées;
conséquemment, le pouvoir sera limité par les
mots " particulière" et " locale,"—de sorte que
l'effet de cette résolution sera qu'entre les sujets
attribués à chaque législature, la législature
générale aura juridiction sur toutes les matières
générales, quelles qu'elles soient, et la législature
locale sur les matières locales de quelque nature
qu'elles soient; en même temps, il est très dificile
de prévoir quels sujets les tribunaux pourront
considérer comme généraux et locaux, et si la
législature générale aura juridiction concurrente
ou non sur les matières particulières et locales."
J'ai un grand respect pour l'opinion des
écrivains de ce journal quand ils critiquent
des sujets qu'ils comprennent, tandis que je
n'en ai aucun lorsqu'ils se mêlent de nous
parler de choses que nous connaissons beaucoup mieux qu'eux-mêmes. Le même journal
ajoute:—
"Ces inexactitudes sont probablement le résultat d'une suite de compromis, et nous
ne saurions
mieux contribuer à la cause de la confédération
qu'en les signalant des le début. Les résolutions
terminent par une demande à l'effet que les parle
ments locaux et impérial passent une loi pour les
mettre en vigueur; nous osons donc croire qu'avant que cette loi ne soit votée, le
sujet sera soigneusement étudié et examiné dans la mesure de
l'importance qu'il commande."
Je suis porté à croire que l'auteur de cet
écrit savait peu ce que l'on allait nous
demander de voter! Il ne songeait guère qu'il
ne nous serait pas même permis de changer
un seul mot des résolutions, qui devaient
être soumises au parlement et que nous
devions accepter avec tous leurs défauts.
(Ecoutez!) Après avoir, M. l'ORATEUR,
constaté quelles sont les vues, dans le
langage diplomatique, du gouvernement
impérial, et lu des extraits du plus grand
journal anglais, je me permettrai de citer
quelques phrases du dernier numéro de
l'Edinburgh Review, publication dont l'autorité est incontestable en matière de cette
espèce, car il est reconnu que ses articles ne
sont jamais écrits à la légère.
M. DUNKIN —Certainement; c'est une
publication qui exerce une grande influence.
Je désire donc citer quelques mots d'un article
qui y a paru en faveur de la question
actuelle, dans le numéro de janvier. Après
avoir énoncé le texte même des résolutions
et énuméré les sujets d'un caractère général
qui sont confiés à la législature générale, et
qui ne sont pas exclusivement et spécialement
réservés aux parlements locaux, cet écrivain,
distingué sans doute, observe:
"Ces dispositions sont évidemment définies
d'une manière très vague; car, quelles sont les
matières d'une nature générale, et qui doit décider celles qui sont d'une nature générale
ou non?
Nous aurions préféré à l'énumération qui précède
des attributions du parlement fédéral, une simple
déclaration à l'effet qu'il est revêtu de tous les
pouvoirs sauf ceux expressement réservés aux
différents membres de la confédération."
Et dans une autre partie du même article,
revenant à la question, il ajoute:
"Et bien que la ligne de démarcation que l'on
a cherché à tirer entre les matières générales et
locales soit à peine visible dans le projet de la
conférence." . .
Oui, monsieur, c'est ainsi que le qualifie cet
écrivain, porté comme il l'est évidemment
par le caractère vague de la rédaction à le
considérer comme bien inférieur au traité
solennellement conçu que l'on nous offre
aujourd'hui. Bien que cette ligue de démarcation, dit-il, soit à peine visible dans
ce
projet, l'objet qu'il a en vue est sufissamment
512
clair et intélligible. Peut-être que oui; ou
bien, il se peut que cet objet n'était rien
moins que de faire comprendre au peuple
que le gouvernement et le parlement général
devaient être revêtus de grands pouvoirs, et
que les gouvernements et les parlements
provinciaux ne devaient pas en avoir trop.
Somme toute, cette idée ressemble beaucoup
à celle exprimée dans la dépêche du secrétaire d'état pour les colonies, et les deux
ont un grand rapprochement avec le compliment mal adroit fait à Slender: " Je pense
que mon cousin n'avait pas de mauvaise
intention."
M. DUNKIN — Je le ferai avant que de
reprendre mon siège si mes forces me permettent de compléter mon argumentation.
J'aborde maintenant un autre sujet, qui est
pour nous une source vive de difficultés.
Le peuple américain, en rédigeant sa constitution, n'a pas oublié de décréter que
le
district de Colombie constitueraient un territoire dans les limites duquel les pouvoirs
du congrès et du gouvernement général
seraient la loi suprême pour toutes les fins.
Il n'a pas non plus oublié de déclarer que
les pouvoirs législatifs et autres dont était
revêtue l'autorité fédérale, seraient les
mêmes sur tous les vastes territoires appartenant à la nation, et sur toutes ses propriétés
d'une importance moindre, tels que
les forts, arsenaux, chantiers, etc. Ici nous
n'avons rien de tel; et, au moins en ce qui
regarde le siége du gouvernement, ce n'est
pas une simple omission, car il est dit dans
les résolutions que:—
"Outaouais sera le siége du gouvernement
fédéral, sauf l'exercice de la prérogative royale."
Il est distinctement énoncé, comme
formant partie de notre système, que la prérogative royale doit être maintenue en
ce
qui concerne le droit de changer à volonté
le siége du gouvernement fédéral. Or, j'ose
affirmer qu'un pareil droit est incompatible
avec le fonctionnement pratique d'un système
fédératif. C'est, à mon sens, une anomalie,
comme ne tarderont pas à le découvrir les
hon. messieurs qui voudront bien y songer.
Le gouverneur-général ou vice-roi, le roi
pour ainsi dire de cette confédération, avec
son gouvernement pour ainsi dire impérial,
et sa législature pour ainsi dire impériale,
quelque soit sa constitution, résiderait dans
la juridiction territoriale d'une province
subordonnée!! La police de la capitale
fédérale, non fédérale mais bien provinciale!!
C'est là une impossibilité. Les auteurs de
la constitution des Etats-Unis le prévoyaient
bien, et c'est pourquoi ils prirent grand soin
de conférer au gouvernement général le
pouvoir d'acquérir et posséder un territoire
sur lequel il règnerait en souverain, et sur
lequel il exercerait un contrôle suprême en
matière de législation ou autrement. Nous
ne sommes pas encore rendus à Outaouais;
mais supposons que le siége du gouvernement y fût transféré,— chose possible encore,
—il se pourrait que l'hon. premier ministre
de l'administration fédérale ne fut pas en
bons termes avec le lieutenant-gouverneur
du Haut-Canada, ou encore qu'il régnât
entre eux une divergence bien prononcée
d'opinions et de sentiments; il est aisé de
concevoir qu'à. eux deux ils ne manqueraient
pas de placer le vice-roi dans une bien
triste position; et que le résultat d'un
pareil malentendu serait de voir surgir un
grand nombre de questions délicates sur
lesquelles les autorités se verraient appelées
à se prononcer. Il est donc prouvé jusqu'à
l'évidence qu'il existe ici un défaut qui
pourra produire de bien grands embarras.
Mais l'on dira: " Oh! ne craigneZ pas; les
hommes ont trop de bon sen s; impossible
qu'ils cherchent à créer des embarras!!" Eh
bien! monsieur, s'il est vrai que l'on manifeste le ferme désir de s'entendre et de
travailler de concert, je vous le demande
comment se fait-il que nous ayions eu quatre
crises en deux ans? Il est un autre sujet qui
se rattache à celui-ci et dont je désire aussi
parler. J'ai dit, il n'y a pas un instant, que le
système des Etats-Unis était admirable en ce
qui concerne la constitution des tribunaux
judiciaires. DE TOCQUEVILLE et tous les
autres écrivains qui ont parlé des Etats-Unis,
leur ont donné des éloges à cet égard, et ils
ont eu raison. Chaque état a ses tribunaux
judiciaires; et les Etats-Unis ont aussi les
leurs; mais leurs fonctions respectives ont
été si bien définies qu'il ne s'est jamais produit de conflit grave entre elles. Les
tribunaux judiciaires des Etats-Unis sont incontestablement le plus puissant boulevard
de toute leur constitution. (Ecoutez!
écoutzs!) Qu'allons-nous donc faire à ce
sujet? Précisément ce que nous avons
fait à l'endroit des difficultés qu'offrait
le siège du gouvernement —tout oublier.
Nous ne savons pas positivement si nous
allons avoir des tribunaux judiciaires fédéraux distincts ou non. Pouvoir est donné
d'en créer un: il pourra donc y en avoir; mais
513
l'on nous dit expressément que peut-être il
n'y en aura pas. Mais que nous dit-on
d'autre part? Qu'il n'y a pas de doute,
d'après les résolutions qui nous sont soumises—pas le moindre doute—que, quand
même nous aurions des tribunaux judiciaires
fédéraux, ou non, les tribunaux judiciaires
des provinces seront des institutions communes. Les gouvernements fédéral et provincial,
ainsi que les législatures fédérale et
provinciale, vont dont se trouver à posséder
en société les institutions judiciaires du
pays en général. Ce sera vraiment une singulière société que celle-là.!! Tous les
tribunaux, tous les juges, en un mot, tous
les officiers judiciaires des provinces, deviendront, pour tous les besoins du ressort
de la
confédération, des serviteurs du gouvernement fédéral. Or, il y a un vieil adage
qui dit "que l'on ne peut servir deux maîtres
à la fois." Cependant, dans le cas actuel, il
faudra bien que ces malheureux tribunaux
ainsi que leurs officiers, mais surtout leurs
juges, servent deux maîtres à la fois, qu'ils
puissent ou ne puissent pas le faire. Tous
les juges des cours supérieures— et, dans le
Haut-Canada, les juges des cours de comté—
doivent être nommés et salariés par l'autorité fédérale, et ne pourront être déplacés
que par l'autorité fédérale, sur une adresse
des deux chambres au parlement fédéral.
Mais, d'un autre côté, ce sont les provinces
qui doivent constituer les cours (écoutez!)
qui doivent leur assigner leurs fonctions—
fixer le nombre de juges— la manière de
remplir leurs fonctions—leur donner plus
ou moins d'ouvrage et leur rendre la vie
agréable ou amère, le tout à leur guise.
(Ecoutez!) De cette manière, elles pourront
faire tout le tort qu'elles voudront à un juge;
le seul contrôle auquel elles seront soumises
à cet égard, résidera dans le gouvernement
fédéral qui pourra désavouer leurs actes.
ainsi donc, c'est le gouvernement fédéral
qui nomme les juges, les paie et lui seul
peut les déplacer. Ce pouvoir enlève-t-il
aux parlements et aux gouvernements locaux
la faculté de modifier la constitution des
cours de la manière la plus inique quant aux
juges qui les composent, d'abolir les cours
entièrement et de restreindre leurs fonctions
au point de forcer les juges à se démettre
de leurs charges? Et, après cela, on vient
nous dire qu'il n'y aura pas de conflit possible!
(Ecoutez!) Je n'hésite pas à croire que
l'hon. procureur-général du Bas-Canada pense
qu'il est de force à faire fonctionner admi
rablemeut bien les tribunaux d'après ce
système qui confère à une autorité le pouvoir
de constituer les cours, et à une autre celui
de nommer et déplacer les juges. Il peut le
croire; quant à moi je le nie. Je suis convaincu que si on essaie ce système, il fera
défaut. La nature humaine est partout la
même; voici donc une variété de sujets de
premier choix qui offrent libre carrière à la
discussion sérieuse. Il y a même une espèce
de raffinement de confusion quant aux matières criminelles. Par exemple, la procédure
criminelle doit être la même par toute
la confédération; la procédure civile sera
particulière à. chaque province; la législation
criminelle, proprement dite, sera fédérale,
mais provinciale quant à une somme incertaine de législation pénale; les droits
civils seront principalement du ressort de
chaque province; mais qui pourra dire quelle
sera la part du contrôle du gouvernement
fédéral sur ces tribunaux constitués par les
provinces et présidée par des juges nommés et salariés par le gouvernement fédéral?
Pitié pour le malheureux juge qui sera en
même temps revêtu des pouvoirs civile et
criminels! Placé entre ses maîtres et ses
auteurs en désaccord, il fera bien de se tenir
ferme, sans compter qu'il lui restera toujours
suspendu sur la tête le doute terrible de
savoir si la loi provinciale doit céder le pas
à la loi fédérale. La province dont il relève
pourra fort bien avoir légiféré sur une question qu'elle considère, de sa nature,
locale
tandis que de son côté, le parlement fédéral
pourra bien aussi avoir fait la même chose,
croyant que c'est une question fédérale. Ici
et là dans les lois apparaîtront indubitablement des dispositions fédérales en désaccord
avec les statuts locaux. Et les résolutions
sur lesquelles nous délibérons en ce moment,
affirment-elles que les lois fédérales prévaudront toujours sur les statuts locaux?
Non
pas; mais seulement dans les cas de juridiction concurrente. Et, cependant, le juge
chargé de décider des questions si délicates
sera salarié par un pouvoir qui peut le
déplacer, et pourra se voir évincer de ses
fonctions et persécuté jusqu'à ce que mort
s'en suive par un autre!! Il mérite d'avance
toutes nos sympathies pour un malheur aussi
grand que celui qui l'attend! A ce point
de mon discours, M. l'ORATEUR, je n'ai
encore abordé que des questions qui, de leur
nature, tombent dans l'ensemble général de
ce vaste projet de confédération; mais, maintenant, je dois réclamer l'attention de
cette
514
chambre à certaines sources de malentendus
qui sont surtout propres à produire de
mauvais résultats, à moins que la nature
humaine ne cesse d'être la nature humaine
dans notre pays du Canada. Il existe en
Canada, mais surtout dans le Bas, deux
difficultés qui ont pris naissance dans les
différences de langue et de croyances religieuses. Il est indubitable que les raisons
qui ont nécessité, ou que l'on peut supposer
avoir nécessité le projet actuel de confédération, sont attribuables à ce fait. Le
projet
en question est mis de l'avant expressément
pour prévenir un conflit de races ou de
religions en Canada et surtout dans le Bas- Canada. Or, dans les Etats-Unis, lorsque
la
constitution fut adoptée, ses auteurs ont dû
prévoir naturellement que des difficultés surgiraient de la question des droits d'état
et de
l'esclavage. Il existait alors un sentiment
de jalousie entre les petits états et les grands,
et un germe de mécontentement entre les
Etats du Nord et du Sud de la république.
L'on prévoyait évidemment que de l'esclavage naitraient des difficultés, bien que
l'esclavage semblât s'éteindre rapidement
dans les Etats du Nord, mais pas si rapidement dans ceux du Sud. De quelle manière
s'y prirent les auteurs de la constitution pour
conjurer l'orage qui commençait à. se former
en face de ces questions de droits d'état et
d'esclavage? Eh bien! monsieur l'ORATEUR,
ils firent tout en leur pouvoir pour éloigner
le danger, pour ensevelir leurs différends
dans l'oubli, afin par là d'assurer leur bonheur
futur. Mais les cendres n'étaient pas bien
éteintes, car l'incendie s'est rallumé; mais
tant qu'ils l'ont pû ils l'ont appsisé. Eh
bien! comment allons nous faire fonctionner
ce projet de confédération? Appaisons-nous
l'incendie ou soufflons nous sur les flammes?
Nous efforçons-nous de faire disparaitre les
difficultés dont nous sommes assiégés; ensevelissons-nous nos rancunes pour pouvoir
les
oublier peu à peu? Je ne le pense pas; au
contraire, nous sommes tous délibéremment a
l'œuvre, nous encourageant à qui mieux mieux
à formenter les haines et les discordes qui
existent parmi nous, les paradant aux regards
de chacun,—dans l'espoir, je suppose, que
pendant que tous les yeux seront attentivement fixés de ce côté, d'une manière ou
d'une autre, personne ne pourra les apercevoir. (Rires) Qu'on se rappelle que le
peuple des Etats-Unis a débuté comme nation
avec des états souverains et indépendants;
qu'ensuite il adopte la système de confédé
ration, ce qui fut un grand progrès,—et
qu'enfin il arriva par degrés à sa constitution
nationale qui le régit aujourd'hui.—Chaque
pas qu'il fesait en avant était marqué par
une restriction des droits d'état, et partant
aussi, bien qu'indirectement, du développement et de l'influence de l'esclavage. A
vrai
dire, il n'a pas entièrement réussi dans ses
tentatives, mais ce fait n'est attribuable qu'à
des causes sur lesquelles il ne pouvait pas
exercer de contrôle. En Canada, nous vivons
depuis vingt-cinq ans sous une union législative, avec des idées fédérales. Nous nous
plaignons que le résultat de cet état de
choses est que les dissidences qui existent
entre nous sont devenues plus palpables que
jamais; mais il faut avouer aussi que si elles
le sont devenues, nous devons plutôt en
accuser le changement soudain que l'on veut
faire subir à notre constitution. Or, pour
perpétuer cet état de choses, l'on nous popose
aujourd'hui une union fédérale que l'on nous
recommande spécialement comme un moyen
pratique d'opérer la désunion. En vertu de
ce projet, le Bas-Canada doit posséder, ainsi
qu'on le prétend, des immunités de toute
sorte. Le conseil législatif sera nommé
d'une manière toute exceptionnelle, quant
au Bas-Canada. Les lois des autres provinces
seront uniformes, mais, à cet égard, l'on fait
une exception en faveur du Bas-Canada, et
comme pour démontrer davantage que le
Bas-Canada ne devra jamais être traité
comme les autres membres de la confedération, il est soigneusement stipulé que le
parlement général pourra assimiler les lois
des autres provinces seulement—c'est-à-dire,
si elles y consentent, mais par induction
cette assimilation ne peut s'étendre au Bas- Canada, quand bien même il le voudrait.
En supposant même que les autres provinces
voulussent adopter notre système Bas-Canadien, l'on pourrait inférer de la lettre
de la
constitution, qu'elles ne le pourraient pas.
Elles peuvent fort bien rendre leurs lois
uniformes, mais le Bas-Canada, même le
voudrait-il, ne pourrait pas assimiler les
siennes aux leurs. Et, au sujet de l'éducation aussi, des exceptions d'une nature
quelconque doivent être faites en faveur du
Bas-Canada et du Haut-Canada également,
bien que personne ne puisse dire jusqu'à
quel point il y sera ou non donné effet.
Ainsi donc, d'une manière et d'une autre,
la position que l'on fait au Bas-Canada est
différente de celle des autres provinces,
afin que ses intérêts et ses institutions puissent
515
être sauvegardés. Je dis donc que ce système, en général, et ces immunités et
exceptions en faveur du Bas-Canada, n'ont
pas d'autre but que de chercher à remédier
aux difficultés naissant des différences de
races et de croyances religieuses. Mais, M.
l'ORATEUR, j'affirme que ce n'est pas le moyen
de diminuer un danger qui nous menace de
ce côté. Il est inutile de prétendre que ce
système va faire cesser les animosités qui
règnent. Sous l'union législative des deux
Canadas, fonctionnant même comme elle l'a
fait, les minorités tant du Haut que du Bas
ont toujours manifesté le désir de maintenir
l'union intacte, et de voir disparaitre les
préjugés et les haines qui les divisaient des
majorités respectives. Le résultat en a été
que les animosités de races qui, précisément
avant l'union, existaient dans le Bas-Canada
au plus suprême degré, ont depuis presqu'entièrement été releguée dans l'oubli. Les
hommes politiques du Haut-Canada n'ont
pas cessé de se plaindre qu'ils ne pouvaient
mener les Anglais et les Français du Bas- Canada à leur guise, et qu'ils leur était
impossible d'engager les premiers, comme
anglais ou protestants, à se joindre à eux
pour étouffer la majorité Bas-Canadienne.
M. DUNKIN—Je ne dis pas qu'on l'ait
exprimée par des paroles, mais qu'elle se
manifestait dans l'esprit public.
M. DUNKIN——Je prétends que oui; la
plainte a été formulée, peut-être pas de cette
manière, mais certainement dans ce sens.
L'on a reproché aux Anglais du Bas-Canada
d'être pires encore que leurs compatriotes
d'origine française, parce qu'ils refusaient
de s'allier au peuple du Haut-Canada. (Ecoutez!) Eh bien! M. l'ORATEUR, il est indubitable,
comme je l'ai dit, que, avant l'union,
le Bas-Canada était le théâtre des plus vives
animosités qui n'ont pour ainsi dire commencé
à cesser que des années après. Cette guerre
de races a fini par s'appaiser graduellement
et, depuis une certaine époque, l'harmonie
semble avoir prévalu dans les deux camps
rivaux. De fait, la tolérance y règne beaucoup plus que dans toute autre société
partagée par des croyances et des traditions
aussi différentes. Mais du moment que vous
venez dire au Bas-Canada que les pouvoirs du
gouvernement général vont étre transférés à
une majorité anglo-américaine, n'appartenant
pas à la race et aux croyances religieuses de
la majorité de sa population, de ce moment
vous éveiller les vieilles rancunes, et les
hostilités reprennent toute leur amertume.
Par les termes mêmes que vous proposez pour
la protection des intérêts de la population
anglaise et protestante, vous donnez malheureusement un nouveau développement à
l'idée que les Franco-Canadiens vont se
montrer beaucoup plus injustes qu'ils ne désirent l'être. Or, comment pourrait-il
en être
autrement? Ils se verront en minorité dans
la législature générale, et leur force dans le
gouvernement général dépendra de leur
propre influence dans leur province et sur
les délégués qu'ils enverront au parlement
fédéral. Ainsi placés, ils se verront forcés
de jouer le rôle d'agresseurs afin de
sauvegarder et perpétuer cette influence.
Il pourra bien se faire qu'ils ne manifesteraient pas une agression acharnée; je ne
dis pas non plus que cette agression aura
lieu; mais, qu'elle se produise ou non,
j'affirme qu'il existe dans ce système, des
raisons puissantes qui les engageront à se
ruer sur les droits de la minorité, et qui
auront pour résultat de rendre cette dernière
plus soupçonneuse et plus hostile encore.
La même hostilité entre les deux croyances
religieuses fera en même temps son chemin
dans le Haut-Canada. Déjà, en vue de ce
projet, les deux partis ont été notifiée de se
tenir sur l'éveil et de se préparer au combat;
et tout me semble indiquer. je regrette de le
dire, que ces avertissements n'ont pas été
donnés en vain. (Ecoutez!) Une fois encore
les préjugés des deux camps vont se présenter
face à face avec plus d'acrimonie que jamais;
et s'il advient que ce projet soit mis à
exécution, l'effet inévitable sera d'envenimer
ces haines, et de faire éclater la guerre, à
moins qu'il ne fonctionne d'une manière bien
différente de celle que tous paraissent entrevoir.—Si l'indépendance des provinces
doit
être étouffée par un gouvernement général,
alors vous verrez surgir la guerre dont je
vous parle. Si, d'un autre côté, la politique suivie par l'exécutif fédéral consiste
à
se courber sous la volonté commune des
majorités locales, coûte que coûte, vous
serez encore témoins de cette guerre. Les
minorités locales, si elles se sentent éliminées, croiront, dans leur alarme et dans
leur jalousie du moment, que leur cause est
désespérée, et ne tarderont pas à faire
éclater leur mécontentement. Supposons, par
exemple, que l'on adopte le principe de
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restreindre le personnel du conseil exécutif;
alors le Bas-Canada, comme cela s'est vu, ne
pourra s'y faire représenter que par trois
membres; et si tous trois sont des FrancoCanadiens—comme ils le seront inévitablement,
car la race française ne consentirait pas
à. avoir moins de trois représentants sur douze,
— je vous le demande, est-ce que les Irlandais
catholiques et les Anglais protestants ne se
sentiront pas lésés? Impossible de se le
cacher, ils devront s'en montrer très mécontents, et avec ce sentiment, pousser à
la
révolte. Je suppose que l'on dira aux Irlandais catholiques: " Ah! mais vous aurez
parmi les membres du gouvernement un
Irlandais catholique de Terreneuve." Si tel
est le cas, il leur faudra adopter pour règle
de conduite les principes partagés par les
Irlandais catholiques de Terreneuve, sans
songer aux idées plus larges et plus élevées.
Aux Anglais protestants, l'on dira à leur
tour: " Vous commandez une majorité
parlant votre langue et partageant vos
croyances religieuses, formée de membres du
Haut-Canada et des provinces maritimes;
vous devriez être satisfaits de cela et vous
reposer sur le gouvernement de l'administration de vos afiaires." " Oh! il le faut!
Fort bien; alors nous allons régler notre
ligne de conduite, non pas d'après celle de
l'Amérique Anglaise ou même du Bas- Canada, mais bien d'après les préjugés ou
les passions qui prévalent dans le Haut- Canada et les provinces maritimes!" (Ecoutez!)
Ces éléments de discorde dans le Bas- Canada produiront, n'en doutez pas, les plus
mauvais résultats, et parmi ceux qui se
verront ainsi lancés dans la voie de la révolte,
il s'en trouvera un grand nombre dont les
tendances seront américaines et qui en
appelleront aux influences du dehors pour se
protéger. Tel sera l'effet direct de ce
système; et si quelqu'un m'affirme qu'il doit
produire l'harmonie dans le gouvernement
de ce pays, je lui dis que je ne comprends
rien à sa prophétie. Dieu merci! M. L'ORATEUR, je ne crains pas que l'on m'accuse
de
fanatisme contre les sectes ou les partis. Il
fut un temps en Canada où il était presqu'impossible à ceux qui parlaient ma langue,
d'élever la voix pour dire que, tout considéré,
les Franco-Canadiens ne méritaient pas
qu'on les fit disparaître de la face de la
terre. Je puis dire qu'alors j'ai combattu
cette doctrine de toute mon énergie. Le
souvenir des tristes évènements à cette
époque est encore frais à ma mémoire, et je
redoute beaucoup de voir revenir ces jours
néfastes si nous persistons à adopter ces
résolutions. Et je ne crains pas de voir mes
sentiments mal interprétés ou faussés, quand
je déclare dans cette enceinte ne le pays
est en danger et que je sonne l'alarme. Si
des troubles de cette nature viennent à sugir,
ils ne tarderont pas à faire le tour de toute
la confédération. Partout, dans toutes ses
parties, dans chaque province, il existe des
minorités qui subiront cette influence. Dans
les provinces maritimes et a Terreneuve,
l'incendie n'attend que la mèche pour s'allumer. Et, en face d'une pareille situation,
l'on vient vous parler de fonder " une nouvelle nationalité," de rallier toute la
population autour de son nouveau gouvernement à
Outaouais! M. l'ORATEUR, une pareille
chose est-elle possible? Dans notre société,
nous comptons un bon nombre des nôtres
dont la pensée nationale et le cœur même
sont à Londres; un grand nombre d'autres
encore dont les sympathies se concentrent
sur Québec, et qui, entraînés par la force de
leurs sentiments, portent leurs regards vers
Paris; d'autres aussi, et ils sont nombreux,
dont les yeux se baignent de larmes au seul
souvenir de la Verte Erin; et enfin, il
existe une certaine classe de nos compatriotes qui ont un faible pour Washington;
mais est-il un grand nombre d'entre nous
qui soient sincèrement attachés à la cité
d'Outaouais, le siége de la nouvelle nationalité que l'on veut créer? Dans un temps
à venir, quand les populations auront mûrement réfléchi sur ces questions qui soulèvent
les préjugés nationaux, qui enhardissent les
passions, l'idée de notre nationalité paraîtra
très étrange! Il se sera alors formé une autre
nationalité plus ancienne qui tiendra la
première place dans le cœur du peuple.
(Ecoutez!) M. l'ORATEUR, il n'est que
juste que j'informe la chambre que je n'ai
pas encore atteint le point que je m'étais
proposé avant que de reprendre mon siége,
mais je me sens forcé d'implorer son indulgence, car mes forces ne me permettent pas
de réaliser mon désir. (Applaudissements.)
Le débat est alors ajourné,—M. DUNKIN
ayant encore la parole pour demain.