MERCREDI, 22 février 1865.
L'
HON. M. HOLTON—Je désire, avant
l'ouverture des débats, savoir si le gouvernement a l'intention de mettre devant la
chambre la mesure qu'il a promise à l'égard
de l'instruction publique en Bas-Canada,
avant que celle-ci soit appelée à voter finalement le projet de confédération qui
se
discute en ce moment? Je crois n'avoir
pas besoin d'ajouter que cette matière est
d'un très grand intérêt pour une grande
partie de la population du Bas-Canada; c'est
pourquoi, il me semble qu'avant le discours
de mon hon. ami le député de Montréal
Centre, (M. ROSE), les vues du gouvernement sur cette question devaient être
clairement exprimées.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Quoique
l'interpellation ne soit pas faite régulièrement,
je n'ai cependant aucune répugnance à répondre à l'hon. député,—d'ailleurs, ma
réponse n'est pas autre que celle qu'a déjà
faite mon hon. ami, le député de Sherbrooke
(M. GALT).
L'
HON. M. HOLTON—L'hon. député
en question n'a pas fait connaître à la
chambre ...
L'
HON. M. HOLTON—Je ne crois pas
m'en éloigner en fesant une question de ce
genre au moment de l'appel de l'ordre du
jour. Cependant, je me lève de nouveau
pour donner avis aux hon. messieurs que
je leur renouvellerai la question demain soir
lorsque la chambre passera à l'ordre du jour.
Mais qu'il me soit permis de dire que ce n'en
est pas moins pour les hon. messieurs traiter
la chambre et le pays avec mépris, que de
refuser de faire connaître d'une manière
explicite leurs vues sur une question de
cette importance, et de nous apprendre
s'ils sont ou non pour présenter leur mesure
à ce sujet avant le vote final sur la confédération. Je renouvellerai donc la question
demain.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER —Le gouvernement y a déjà répondu deux fois, et il
y répondra encore une troisième fois si l'hon.
monsieur le désire.
L'
HON. M. ROSE—M. l'ORATEUR, avant
d'aborder la question qui fait le sujet de la
motion que vous avez à la main, je désire
témoigner à la chambre ma sincère reconnaissance de l'égard qu'elle a eu pour mon
absence, et en même temps remercier mes
hon. amis, le député de Lambton (M. A.
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MACKENZIE), le député de Chateauguay,
(l'Hon. M. HOLTON), et le député de Brome
(M. DUNKIN), de la courtoisie dont ils ont
fait preuve en me conservant la priorité sur
la demande qui leur en a été laits par
l'hon. député de Montmorenei (M. CAUCHON.) Sensible à ces égards dont j'ai été
l' objet, je compte en donner la preuve en n'entretenant la chambre que le moins dongtemps
possible; mais, avant tout, je déclare que dans
les observations que je vais faire, aucune des
paroles que j'articulerai ne comportera l'intention de blesser aucun des adversaires
de la
proposition actuellement devant la chambre.
Loin de moi l'idée de vouloir déprécier la
discussion, car sur cet important sujet je
désire qu'elle soit des plus amples et des
mieux approfondies. Loin de moi l'idée de
vouloir employer le moindre mot qui pourrait
donner à entendre qu'ils manquent de patriotisme ceux des hon. membres qui croient
de
leur devoir de s'opposer à cette mesure.
Comme moi-même je les crois mus par un
ardent désir de faire le bien du pays. (Ecoutez! écoutez!) Il est juste que la question
soit examinée dans tous ses détails, non
seulement dans ses résultats possibles quant
aux partis, mais aussi dans ceux qui influeront sur la destinée du pays en général.
C'est à ces points de vue que je pense qu'elle
doit être discutée, car, bien loin de vouloir
déprécier le mérite d'une ample-discussion,
j'entretiens l'espoir que tout hon. membre
surs l'occasion de se prononcer selon ses
vues et lorsque son tour viendra. (Ecoutez!
écoutez!) Je crois, M. l'ORATEUR, qu'il est
peu de personnes qui, dans le fonds, ne partagent pas l'idée d'une union entre de
petits
états voisins, de préférence à celle qui
voudrait leur isolement sous des gouvernements distincts. Je crois même que dans
un sens abstrait, et dans le cas d'états ainsi
située, cette idée ne compte pas d'adversaires.
Mais le principal motif de l'opposition que
fait à ce projet un parti important, c'est que
le principe abstrait d'une union no s'applique
pas pleinement aux colonies situées comme le
sont le Canada, le Nouveau-Brunswick, la
Nouvelle-Ecosse, l'Ile du Prince-Edouard et
Terreneuve--les cinq colonies qui doivent
entrer dans la confédération. Beaucoup
appréhendent que cette union sers le premier
pas vers l'indépendance; qu'elle devra nécessairement relâcher nos liens avec la mère-
patrie; qu'elle changers nos relations et
formera une puissance que ne saurait voir
d'un bon ceil la souveraineté impériale; en
un mot, qu'elle pourrait non seulement nous
faire séparer de la mère-patrie, mais nous
contraindre même à une union avec la république voisine. Voilà les principales objections
que j'ai entendu faire au début même des
travaux de la convention de Québec. Je sais
que beaucoup des adversaires du projet
entretiennent l'appréhension—pent être la
conviction — de ces résultats. (Ecoutez!
écoutez!) Ainsi donc, loin de vouloir m'opposer à. la discussion de ce projet à tous
les
points de vue, je pense que tous ceux d'entre
nous qui désirent perpétuer notre alliance
avec l'Angleterre écouteront avec calme et
attention toutes les objections faites par ceux
qui entretiennent sincèrement ces opinions
qui, loin d'être blâmables, ont. droit au respect. (Ecoutez! écoutes!) Pour ma part,
je ne nie pas que le mouvement actuel
pourrait avoir l'effet de modifier les relations
qui existent entre cette province et la mère- patrie.
L'
HON. M. ROSE—Je ne nie pas que le
résultat pourrait être de changer la nature
de ces relations; mais je maintiens, et
j'espère être capable de le démontrer à la
chambre, que loin d'affaiblir ou de relâcher
nos liens avec l'Angleterre, ce changement
sera plutôt de nature à. les resserrier tout en
les rendant moins lourds. (Ecoutez! écoutez!) Bien que je croie que ces relations
seront en quelque sorte modifiées et que nous
devions examiner sous quel nouvel aspect
elles se présenteront, je pense aussi que
cette mesure nous est inspirée par la force
des circonstances. L'effet irrésistible des
événements qui se passent ne nous permet
pas de rester inactifs, et quand même ce
changement inévitable ferait perdre graduellement au pays son caractère de dépendance,
pourvu que celui qui le remplacera
soit plus en rapport avec le nouvel état de
choses qui fera de ces colonies une division
territoriale de l'empire, je pense que le
résultat aura pour effet de rendre ces relations plus stables tout en leur donnant
un
caractère plus élevé. Je pense aussi que
nous reconnaîtrons le même souverain, auquel
nous rendons foi et hommage, et que nous
conserverons la même vénération pour la
constitution et le nom anglais. (Ecoutez!
écoutez!) On ne saurait nier qu'à l'heure
qu'il est il existe en Angleterre une opinion
qui prend tous les jours de la consistance,—
car elle n'est plus, comme il y a quelques
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années, partagée seulement par des théoriciens outrés—et c'est celle qui prétend que
la connexion qui existe entre les colonies—
surtout le Canada,—et la mère-patrie, est une
source de dépenses et de dangers. Il est
indubitable que depuis quelques années cette
opinion a acquis plus de force que ne le désirent
ceux d'entre nous qui veulent conserver la
connexion entre ces colonies et l'Angleterre,
et nous n'ignorons pas jusqu'à quel point
cette opinion pourrait influer sur la législation
de l'Angleterre. Il est encore une autre
considération qui fait que l'attention du
peuple d'Angleterre se porte sur ce sujet
plus qu'à. l'ordinaire, c'est-à-dire la condition
de ses relations avec la république qui nous
avoisine, et la grande force militaire que
cette dernière a déployée dans les deux ou
trois dernières années. Sous ces circonstances,
cette opinion, qui, en Angleterre, aurait pu
autrement rester encore longtemps à. l'état
de théorie, a pris le premier rang. Il ne
s'agit donc pas maintenant de savoir si sous
telles et telles circonstances il serait mieux
pour cette colonie et les autres de prendre
une attitude plus indépendante à l'égard de
l'Angleterre. Le peuple anglais s'occupe
maintenant de savoir quelles seraient, dans
le cas d'une guerre avec les Etats-Unis, les
relations de la Grande-Bretagne avec ces
provinces; jusqu'à. quel point, dans cette
éventualité, il serait possible de protéger
cette possession éloignée de l'empire, d'éviter
au pavillon britannique l'épreuve d'un
désastre, et, à. 3,000 milles de distance, de
maintenir la valeur du nom anglais. Voilà
ce qui a contraint si fortement l'opinion publique en Angleterre à s'occuper e ses
relations aetuelies avec ce pays, et c'est à. l'égard
de tous ces faits que nous avons à prendre
des mesures. Je le répète, il ne s'agit pas ici
de discuter sur un point de doctrine, il s'agit
simplement de faits accomplis. Il nous faut
voir notre situation en face. Il nous faut
parer aux éventuelités qui s'annoncent d'elles- mêmes, et voir si dans l'union de
ces colonies nous ne trouverons pas la sûreté pour
nous et un surcroît de force pour l'empire
en général. (Ecoutez! écoutez!) Maintenant, pour ce qui est des objections faites
par
ceux qui croient que cette mesure va nous
mener à grands pas vers notre indépendance,
ou au moins faire que nos relations avec l'Angleterre seront plus indépendantes, qui
disent
que nous ne devons pas oublier que nous
sommes placés dans des circonstances particuculières, j'admettrais l'exactitude de
l'argu
ment qui veut que par cette mesure nos
liens avec l'Angleterre pourraient se relâcher,
si nous nous trouviens dans la position
de quelques uns des plus petits états de
l'Europe, si, par exemple, nous avions
d'un côté un état comme la Suisse, et
de l'autre une des principautés allemandes.
Si nous avions pour voisins des états comme
la Belgique ou le Danemark, et, situés de
la sorte, si nous étions un des petits états, je
conviendrais que si une union de toutes
ces Provinces devait s'opérer, elle pourrait
possiblement donner lieu à cette indépendance que craignent les adversaires du
projet, et que pour ma part je désire de tout
mon cœur ne voir jamais arriver. (Ecoutez!
écoutez!)Nul doute que situés ainsi, sans voisin
puissant et plus qu'imposant, une combinaison
politique comme celle ne nous projetons
pourrait amener notre indépendance réelle
de l'Angleterre. Si nous n'étions qu'une
agrégation de petits états sans voisin puissant, il serait possible que le résultat
que
nous redoutons tant pourrait en découler.
Il est probable qu'avec le temps nous aspirerions a former des relations étrangères,
a
avoir une armée et une marine et a acquérir
cette complète émancipation que l'âge suggère aux peuples comme aux individus.
Mais dans un état, l'indépendance est toujours relative, et nul d'entre nous ne peut
compter qu'il vivra assez longtemps pour
voir les possessions britanniques en cette
partie du monde assez peuplées et assez
puissantes pour pouvoir se déclarer indépendantes de l'Angleterre. Par notre position
géographique, tant que les Etats- Unis
seront aussi puissants qu'ils le sont, et quand
même ils se diviseraient en trois républiques,
nous trouverions toujours en eux une soure
de danger qui nous forcera à maintenir
notre dépendance vis-à-vis de l'Angleterre.
Dans notre position par rapport aux Etats- Unis, et dans la supériorité de leur
puissance, nous trouvons, je le répète, la
certitude qu'il n'y aura pas lieu d'appréhender que les colonies de l'Amérique du
Nord se déclareront un jour indépendantes de l'Angleterre, et cela, parce que
notre position fera que toujours nous rechercherons son aide et sa protection. Je
ne
dis rien de la loyauté, de cet attachement
à la couronne anglaise et de ce respect pour
la personne du souverain que nous possédons
à un si haut degré et que non cherchons à
inculquer à nos enfants. Je ne parle pas
non plus de l'orgueil que nous ressentons
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tous de jouir de la constitution anglaise et
de pouvoir nous associer par les sentiments
er par le cœur à la gloire du nom anglais.
Je mets de côté pour le moment l'attachement à la mère-patrie, et j'affirme que la
nécessité seule de notre conservation, pendant
des siècles, ou au moins pendant plusieurs
générations, empêchera que ces colonies ne
se déclarent inépendantes de l'Angleterre,
à moins donc que ce ne soit pour faire partie
de la république voisine, et sur ce dernier
point, je pense qu'il n'est ni de l'intérêt ni
de la volonté d'aucun membre de cette
chambre que cette annexion se réalise.
(Ecoutez! écoutez!) Quelque soit le sort
que la Providence nous réserve, c'est là une
destinée que personne n'envie. Dans ses
instincts et dans ses vues, notre peuple est
monarchiste et conservateur; celui des Etats
voisins est au contraire niveleur et démocrate.
M. l'ORATEUR, bien que j'aie dit que je
voulais traiter cette question du danger de
voir la fédération nous rendre indépendants
de l'Angleterre sans mettre en ligne de
compte nos sentiments de- loyauté, je n'en
crois pas moins ne cette union fera que
notre attachement à la mère-patrie sera dix
fois plus vif qu'il n'est aujourd'hui. Par
elle sera créé chez nous le sentiment de la
nationalité, et je crois que le premier devoir
d'un homme d' Etat est de travailler à incul
quer ce sentiment national qui stimule le
peuple à prendre un vif intérêt au bien-être
de son pays. Nous savons que les libertés constitutionnelles dont nous jouissons ici
sont
dues à notre union avec l'Angleterre, et que
nous avons de grands intérêts matériels que
nous pouvons transmettre à notre postérité.
Dans une confédération, la condition des
colonies sera tout à fait différente de celle
où elles se trouvent aujourd'hui, isolées
comme le sont les unes des autres, et se jaloulousant aussi quelquefois. Avec un gouvernement
stable et un pouvoir central assez
puissant pour contrôler son immense territoire, nous serons en mesure d'établir un
système efficace d'immigration. (Ecoutez!
écoutez!) Avant peu, je l'espère, nous
pourrons attirer à nous une immigration constante qui contribuera à perpétuer parmi
nous
les sentiments de loyauté et d'attachement
à la couronne. Jusqu'ici nous n'avons pu
établir ni faire fonctionner sur une grande
échelle aucun système efficace d'immigration.
Isolés comme nous le sommes, nous n'avons
pu comme nous le pourrons, offrir aux immigrants l'avantage 'un grand pays ayant un
nom et une nationalité à lui,—un pays dont
eux et nous aurons lieu d'être fiers. (Ecoutez!
écoutez!) Ils ne seront as, comme nous
l'avons été, incertains sur la durée de notre
gouvernement constitutionnel et sur la durée
des bienfaits en résultant. Je suis donc
convaincu que l'institution d'un gouvernement stable et d'un système d'immigration
fait pour attirer chez nous les immigrants
d'Angleterre, d'Irlande et d'Ecosse, contribueront beaucoup à entretenir l'attachement
que nous désirons conserver avec la mère- patrie. (Ecoutez! écoutez!) Nous n'aurons
pas alors à offrir à l'iinmigrant le seul avantage de faire de l'argent, nous pourrons
lui
offrir une patrie, et avant peu le sentiment
de la nationalité aura pris racine parmi nous.
Ainsi donc, M. l'ORATEUR, quant au danger
que l'union conduira a l'indépendance, je
pense que ceux qui veulent perpétuer
l'union ne doivent guère le craindre. L'on
pourra dire que par notre position, qui
fera que nos intérêts matériels et commerciaux seront fortement liés aux Etats-Unis,
et la confiance que nous aurons en notre
force comme grande nation,—nous courrons
cet autre danger de former avec cette république une alliance plus étroite qu'aucun
de
nous ne le voudrait, et que c'est ainsi que
l'union projetée sera le premier pas vers
l'annexion; mais, sur ce point encore, je
pense que nos craintes ne sont point fondées.
Je ne puis croire que nos intérêts nous conduiraient là. A l'heure qu'il est, au point
de vue du commerce, s'entend, nous dépendons presque entièrement des Etats-Unis.
Ne dépendons-nous pas d'eux pour un
débouché vers l'océan durant ce mois
d'hiver? S'ils jugeaient à propos de suspendre le système de transit (
bonding
system) ou de le rendre pratiquement inutile,
ou exigeant la production de certificats de
consul, s'ils abolissaient le traité de réciprocité, s'ils établissaient le système
des
passeports et le maintenaient dans toute la
rigueur possible, c'est alors que bien plus
qu'aujourd'hui nous sentirions jusqu'a quel
point nous dépendons d'eux. Et peut-être,
M. l'ORATEUR, vaudrait-il la peine que nous
considèrions si ce n'est pas là le motif réel
qui leur dicte la politi ne qu'ils suivent
actuellement! (Ecoutez! écoutez!) Mais
donnez-nous ce chemin de fer intercolonial,
par lequel nous communiquerons avec Halifax et St. Jean en tout temps de l'année,
et
alors nous serons indépendants des Etats- Unis pour le commerce autant que nous le
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sommes sous le rapport politique. Peut-être,
durant l'hiver, ne trouverons-nous pas cette
route menant à l'océan moins dispendieuse
que la voie des Etats-Unis; mais si nous
avons à nous une voie de communication
que nous pourrons prendre dans le cas de
nécessité, nos voisins verront qu'il est de
leur intérêt de nous offrir l'usage des leurs
à bon marché, (Ecoutez! écoutez!)—chose
qu'ils se garderont bien de faire tant qu'ils
ne nous verront pas d'autre débouché;
mais si, durant toute l'année, nous avons
une issue pour l'écoulement de nos produits, ils ne commettront pas la folie de
se priver eux-mêmes de l'occasion d'acheminer nos articles sur leur territoire.
Si nous avions à présent cette voie ferrée,
nous n'aurions pas lieu de craindre le retrait
du système d'entreposage ni le maintien de
celui des passeports, car, en ce faisant, ils se
feraient à eux-mêmes plus de tort qu'à nous.
Encore une fois, je puis dire que dans cette
union je ne vois aucun élément de danger.
Durant le temps de l'incubation du projet,
si toutefois je puis m'exprimer ainsi, j'ai
fait mon possible, dans ses diverses phases,
pour le juger sans passion et sans prévention,
car au début, je l'avoue, il ne m'inspirait
aucune confiance; il me semblait que nous
allions tenter l'inconnu, et qu'à un système
qui avait comparativement bien fonctionné
nous allions en substituer un autre qui, sous
quelques rapports et selon l'esprit de la
constitution anglaise, pouvait passer pour
une innovation; mais maintenant que je l'ai
étudié avec toute l'attention possible, je dis
que sur aucun point je ne puis entrevoir que
l'union de ces colonies nous conduira à notre
indépendance de la Grande-Bretagne. S'il
en était autrement, je me ferais un devoir
de m'opposer à son adoption, en un mot,
j'emploierais pour le faire rejeter tous les
moyens en mon pouvoir. Mais tout au contraire, M. l'ORATEUR, je verrais dans son
rejet la cause d'un grand danger. Je pense
que si nous restons comme nous sommes,
une simple agrégation de colonies isolées,
hostiles jusqu'à un certain point les unes aux
autres, le danger est imminent; il existe, et
c'est des Etats-Unis qu'il nous viendra. Si
nous ne nous unissons et ne formons un
gouvernement central, auquel sera conféré
le pouvoir de diriger la puissance du pays
dans la voie la plus avantageuse, ma conviction est que nous courons le risque d'être
absorbés par cette république. Or, dans ce
danger se trouve le plus puissant argument
qui puisse être apporté en faveur de la confédération des provinces, puisque cette
dernière nous permettrait d'ériger les défenses
nécessaires tout le long de la frontière de
notre pays. En très peu de mots je pense
pouvoir démontrer que si nous nous unissons, cela suffira pour que l'Angleterre
entreprenne ces travaux de défense qui
seront essentiels à notre sécurité et de nature
à faire respecter son pavillon sur ce continent; et que si, comme je le crois, cette
union s'accomplit, nous serons alors en
mesure de nous défendre avec succès contre
toute attaque. Et malheureusement, M.
l'ORATEUR, nous ne pouvons pas espérer
que le danger d'être attaqués ne se réalisera
pas. Il n'est pas à l'état de possibilité vague
ni très éloigné de nous. Tant que la guerre
civile actuelle continuera, personne ne peut
dire si un jour ou l'autre ces complications
ne se transformeront pas en hostilités contre
nous. Tout homme prudent ne peut s'empêcher de voir les nuages sombres qui planent
au-dessus de notre pays et qui menacent à
chaque instant de se déchirer pour laisser
fondre l'orage sur nous. Ils sont là qui
nous avertissent que nous n'avons pas de
temps à perdre si nous croyons que l'union
parera aux dangers dont nous somme menacés.
Or, si l'on veut que le gouvernement général
s'occupe immédiatement de nous mettre en
mesure de nous défendre, il importe donc de
hâter l'accomplissement de l'union projetée.
Ainsi qu'on le sait, l'opinion publique en
Angleterre est malheureusement peu portée
aujourd'hui à engager le gouvernement
impérial à faire de grandes dépenses pour
les colonies. Pour que cette dépense se
fasse, il lui faudra la certitude que les
travaux de défense que l'on veut faire soient
capables de protéger le pays sur la frontière
duquel ils seront élevés. Nous ne pouvons
espérer que l'Angleterre encourra la dépense
d'élever des fortifications sur notre frontière
sans que l'assurance lui soit donnée que nous
pourrons, avec son concours, les utiliser
contre toute attaque d'une puissance hostile.
Je pense que si le plan d'union projetée
est rejeté, que si les différentes provinces
le repoussent et que nous restons dans la
condition où nous sommes, nous allons tellement décourager les hommes d'Etat de l'Angleterre,
tellement les embarrasser, qu'ils ne
sauront plus que faire pour nous. (Ecoutez!)
M. DUNKIN—Qu'est-ce qui vous fait
croire cela?
405
L'
HON. M. ROSE—Je crois que la formation d'un gouvernement auquel serait conféré
le pouvoir de diriger toute la puissance des
cinq colonies ajouterait beaucoup à notre sécurité. Qui peut douter qu'il n'y ait
pas plus de
sécurité dans une union que dans la position
isolée où nous sommes, c'est-à-dire sans force
commune? Je pense qu'au point de vue de
nos défenses l'union n'est pas bien appréciée.
(Ecoutez! écoutez!) Où serait la puissance
de la Grande-Bretagne si l'Angleterre, le
pays de Galles, l'Irlande et l'Ecosse avaient
chacun un gouvernement ayant la direction de
ses forces militaires et navales particulières?
Sa flotte et ses armées auraient-elles acquis
la valeur qu'elles ont à présent si un gouvernement national n'avait pas réuni ces
éléments de force? Est-ce qu'il n'y a pas
d'avantage à avoir un gouvernement qui
pourrait concentrer sur un point voulu toutes
la force militaire? S'il n'y en a pas, je consens
volontiers à admettre que cet argument qui
a servi à me convaincre n'est d'aucune valeur.
L'
HON. M. HOLTON—Eh bien! alors,
quelle force acquerrions-nous de plus par le
seul fait d'avoir des relations politiques avec
d'autres puissances? Cela nous donnerait-il
plus de soldats?
L'
HON. M. ROSE—Mon hon. ami pense- t-il que si chaque province avait le contrôle
de ses forces militaires, que si la Nouvelle- Ecosse, Terreneuve et l'Ile du Prince-Edouard
avaient le contrôle de leurs marins et le
Canada celui de sa milice, toutes ces forces
pourraient agir avec la même efficacité que
sous le contrôle d'un pouvoir central? On
ne pourrait pas les faire servir au dehors de
leurs provinces contrairement aux lois de ces
provinces. Ne serait-ce pas y gagner que
d'arriver à un résultat qui ferait que le
hardi marin de Terreneuve, ou le peuple de
de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick considérerait son territoire envahi
et
son indépendance menacée en apprenant
l'entrée d'une force hostile à Sarnia, dans
le Haut-Canada? Dès qu'il s'agira de réunir
nos forces pour faire face à l'ennemi les difficultés et la confusion se mettraient
aussitôt
de la partie. Si maintenant que la mère-patrie
a approuvé cette union que l'on propose, nous
restons dans l'isolement où nous sommes—
car ses hommes d'Etat savent que cette union
aurait pour résultat de lui éviter une guerre
et de mettre en même temps le pays en état de
défense—croyez-vous que ces hommes d'Etat
verront d'un bon œil ce pas rétrograde?
Mon hon. ami d'Hochelaga même a avoué
que dans ce cas une dissolution de l'union
actuelle serait inévitable. Dans son discours
de l'autre soir, cet hon. monsieur a dit que
dans le cas du rejet de cette mesure, il faudrait
recourir à une fédération des deux Canadas,
et que serait-ce, alors, autre chose que la
dissolution de l'union actuelle? Ce serait
certainement rompre cette union que d'adopter un nouveau système de fédération du
Haut et du Bas-Canada; mais est-ce que
l'hon. monsieur pense trouver un élément
de force dans la séparation de ces provinces?
L'
HON. M. HOLTON—C'est justement
cette séparation là que vous proposez.
L'
HON. M. ROSE —Non, M. l'ORATEUR,
je ne propose rien de semblable, et mon
hon. ami avouera que je dis vrai, s'il veut
juger la question de bonne foi et avec calme.
Je ne sais personne qui ne soit plus que lui
capable de voir et d'apprécier les grands
avantages que nous vaudra ce projet; mais
ses idées sont prime-sautières et il se laisse
parfois aller à des craintes et à une jalousie
préconçues; ce qui n'empêche pas que s'il
veut appliquer sa forte intelligence à l'examen de cette mesure, il reconnaîtra qu'elle
ne recèle aucun des dangers qui, d'ordinaire,
sont inhérents au système fédéral. Il me
reste encore quelques mots à dire sur la
question relative à nos moyens de pourvoir à
la défense du pays. J'ai déjà dit—et je
demande pardon à la chambre de la digression que j'ai été contraint de faire à ce
sujet—que si nous restions dans l'isolement
où nous sommes, je ne croyais pas que le
gouvernement impérial serait autant disposé
à nous aider dans l'édification des travaux
nécessaires à notre défense que s'il savait
qu'en face du danger nous serons unis pour
repousser l'ennemi commun; or, je maintiens qu'en pareil cas le gouvernement impérial
ne serait pas influencé par le seul fait
de la dépense que nécessiteront ces travaux
—à laquelle je suppose que les provinces
d'en-bas devront contribuer pour une part—
mais il serait empêché de le faire par cette
autre considération, qu'une fois élevées, ces
fortifications n'atteindraient pas le but désiré,
c'est-à-dire que l'on craindrait qu'elles ne
fussent pas utilisées de manière à défendre
efficacement le pays. C'est une chose que
d'avoir une population de quatre millions sous
un seul gouvernement qui peut concentrer
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toutes ses forces sur un point menacé,
et c'en est une autre que d'avoir la même
population divisée en cinq colonies, incapables, par conséquent, d'agir en commun,
ayant chacune un gouvernement distinct,
et ainsi isolées justement lorsqu'il faudrait
qu'elles fussent unies. (Ecoutez! écoutez!)
Le danger contre le quel il faut se tenir en
garde, c'est une invasion ou conquête soudaine qui pourrait être tentée si nous
n'étions pas en mesure de la repousser. Je
crois que personne ne regardera à la dépense
si l'on eut parvenir à ériger des fortifications a l'aide desquelles une attaque soudaine
pourra être repoussée avec succès. Il est
évident que leur prix de revient s'élèvera à
une somme considérable, mais j'espère et
crois en même temps que mon hon. ami, le
le ministre des finances, bien qu'il puisse
avoir mille autres exigences à satisfaire,
n'hésitera pas à recommander le crédit
nécessaire, ni ne reculera devant la nécessité
d'augmenter l'impôt à cette fin. (Ecoutez!
écoutez!) Si je parle ainsi, c'est que je suis
convaincu que nul membre de cette chambre,
que nul habitant de ce pays ne refusera, si
besoin est, de donner la dixième partie de ce
qu'il faut à sa subsistance pour la construction de travaux qui protégeront le pays
contre les ravages de l'agresseur, et pour
conserver les bienfaits inestimables dont nous
jouissons sous l'égide de la couronne d'Angleterre. (Ecoutez! écoutez!) Si, sur ce
point de la question je me suis prononcé
avec vigueur, c'est que j'ai encore à la
mémoire les observations de mon hon.
ami le député d'Hochelaga, (M. A. A.
DORION), observations qui, j'en suis sûr,
comportent un sens différent de celui qu'il
voulait leur donner, mais qui ne laissent pas
que d'être d'un effet pernicieux. Cet hon.
monsieur a dit que notre véritable politique
était de fait la neutralité; qu'il était inutile
pour nous de songer à se défendre contre la
force écrasante que les Etats-Unis pourraient mettre en mouvement contre nous,
car, avec notre petite population, nous nous
trouverions à peu près dans la même position
où s'est trouvé le Danemark, lorsqu'il a
voulu lutter contre les armées réunies de
l'Autriche et de la Prusse; de fait, il a été
presque aussi loin qu'un ancien membre de
cette chambre, qui n'a pas craint de dire
que le mieux pour le Canada était de ne
faire aucun armement. Malgré cela, je n'en
suis pas moins sûr que si l'hon. monsieur
eût cru produire dans l'esprit public une
fausse impression, il se serait abstenu de
faire des assertions comme celles-là, et qui,
je dois le dire, ne tendaient rien moins qu'à
faire perdre toute confiance dans notre
énergie comme dans nos ressources,—qu'à
faire croire notre position future désespérée,
en un mot, qu'il serait inutile pour nous
d'entreprendre l'érection de travaux de
défense, inutile d'organiser, armer et former
notre milice, attendu que tous nos efforts
seraient perdus par l'impossibilité où l'on
serait de pouvoir réunir une force capable
de lutter avec celle que l'ennemi pourrait nous opposer. Or, M. l'ORATEUR,
est-ce en tenant un tel langage que l'on
peut entretenir le zèle du peuple pour la
défense du pays? Est-ce en disant que
quatre millions de sujets anglais, soutenus
même par la puissance de l'Angleterre,
ne seraient pas de force à lutter contre
les Etats-Unis ou contre la plus grande puissance militaire du monde? Quand même
serions-nous un jour dans la position désespérée du Danemark, je n'en affirme pas
moins
que 99 sur 100 de notre population seraient
prêts à prendre les armes, et, même en
désespoir de cause, à lutter jusqu'au dernier
moment. (Ecoutez! écoutez!) Mais si, en
cas de guerre, et pour la première fois, l'Angleterre refusait de venir au secours
de ses
colonies, les générations futures ne pourraient
plus, comme autrefois, se glorifier de porter
le nom anglais; cependant, malgré cette
défection, je ne pourrais croire encore que
notre position serait désespérée. Afin de
pouvoir réfuter plus complètement les observations de mon hon. ami le député d'Hochelaga,
je prie la chambre qu'elle me permette
de l'entrenir encore pendant quelques minutes
sur ce point. De nos jours, lorsqu'un peuple
est en guerre, nous savons que s'il peut
ériger des fortifications qui forcent l'ennemi
à en faire le siége avant qu'il ne puisse aller
plus loin, il peut ainsi défendre son pays
pendant plusieurs mois. Remarquez que je
ne connais pas le plan arrêté par les commissaires pour nos défenses; mais chacun
sait
qu'ils expriment la conviction qu'à l'aide de
certains travaux érigés sur différents points
et appropriés aux moyens que nous avons
de les desservir, nous pourrons, pendant
plusieurs mois, arrêter les progrès d'une
invasion; que nous pourrons contraindre
l'ennemi à épuiser ses forces devant ces
fortifications et apporter d'autres entraves à
sa marche qui demanderaient des mois avant
de pouvoir étre surmontés. D'ailleurs, les
407
hon. membres savent qu'en ce pays une
campagne ne pourrait durer plus de six
mois. Et supposez le cas où nous érigerions
des fortifications qui forceraient un ennemi
à en faire le siége au mois de mai, il lui faudrait au moins trois mois pour apporter
ses
approvisionnements, ses engins de siége et
protéger ses communications, et vers le temps
où il serait prêt à tenter une attaque décisive,
l'hiver viendrait le forcer à lever le siège et
à gagner ses quartiers d'hiver. En réalité,
l'hiver sera pour nous un moyen de défense et,
à proprement parler, notre sauvegarde. C'est
au moins l'opinion de militaires. Pendant
six mois seulement les opérations militaires
sont possibles en ce pays, et sous ce rapport,
ce qui aurait été entrepris l'été, il faudrait
l'abandonner à l'approche de l'hiver et le
reprendre le printemps suivant. Ainsi donc,
si nous pouvons seulement fortifier certains
points saillants du pays d'où nous pourrions arrêter les progrès d'une invasion,
nous sommes sauvés. Une conquête soudaine
serait alors impossible, grâce aux obstacles
qu'elle rencontrerait. Chacun connaît l'histoire des célèbres fortifications de Torres
Vedras, qui embrassaient une étendue de 30
milles, et à l'aide desquelles l'invasion qui,
sous NAPOLÉON, terrifiait l'Europe, fut pour
la première fois repoussée. Ces fortifications
n'étaient défendues que par un petit nombre
d'hommes, et, cependant, NAPOLÉON dût se
retirer devant elles. En Amérique, nous
avons le récent exemple de Richmond, qui a
forcé l'armée de GRANT à devenir un simple
corps d'observation, et celui de Charleston,
qui est tombée à la fin, mais après combien
de mois de siége et à quel prix! En Crimée
encore, nous avons Sébastopol qui a résisté
pendant des mois et des mois aux efforts
réunis de l'Angleterre et de la France. Si
pendant un nombre de mois nous parvenons à
empêcher l'invahisseur de franchir certaines
limites, notre hiver canadien fera le reste,
tandis que d'un autre côté les vaisseaux
anglais dévasteront ses côtes et détruiront
son commerce sur toutes les mers. Je supplie
donc ceux qui veulent renoncer à tout espoir
de salut de vouloir prendre en considération
tous ces faits. Rappelons-nous qu'en ce pays
l'agression et la défense ne seraient pas
également faciles. (Ecoutez! écoutez!) Notre
pays est bien adapté aux moyens de défense
et il serait, par conséquent, très difficile à
subjuguer. Nos mauvaises routes, les difficultés créées par nos hivers, nos rivières
larges, profondes et en même temps difficiles
à franchir, et les fortifications que nous
pourrions ériger pour retarder la marche de
l'ennemi sur certains points et pendant un
certain temps, nous permettront de tenir tête
aux Etats-Unis malgré leurs forces et leurs
ressources. Personne plus que moi ne connait et n'apprécie les énormes ressources,
le
courage,—en un mot tout ce qui assure le
succès dans une guerre,—que possède et
dont est douée la nation américaine. J'ai vu
sa puissance sur les champs de bataille et sur
mer, et la transformation qu'elle a subie au
point de vue militaire est certainement de
nature à étonner le monde. Cela dit, M.
l'ORATEUR, examinons d'un peu plus près
dans quelles circonstances elle se trouve sous
d'autres rapports. Sa flotte est considérable,
personne ne le conteste, mais elle ne le serait
pas trop pour défendre ses havres, dans le
cas d'une guerre avec l'Angleterre. Je ne
prétends pas donner à entendre que ses vaisseaux soient incapables de lutter côte
à côte
avec ceux de l'Angleterre; je ne crois pas
non plus que ses hommes soient moins habiles
ou aient moins de courage, ni qu'elle soit
incapable de mettre assez de navires sur mer,
mais ce qui fait son côté vulnérable,—et
c'est là un fait que nous ne pouvons et que
nous ne devons pas oublier,—c'est qu'elle
n'a pas, excepté sur ses côtes, un seul havre
sur les mers où ses vaisseaux pourraient faire
escale. (Ecoutez! écoutez!) Supposons
qu'elle envoie une flotte de 20 ou 30 vaisseaux en Angleterre.
L'
HON. M. ROSE—Oui: ou en Irlande;
et je crois qu'ils y auraient une chaude réception. (Ecoutez! écoutez!) Ces bâtiments
pourraient s'y rendre, mais où pourraient-ils
prendre le charbon pour opérer ou en revenir? Les bâtiments à voile aujourd'hui
ne peuvent plus rien, et la guerre sur mer
doit être faite à l'aide de la vapeur. Les
bâtiments américains, en temps de guerre,
ne pourraient recevoir d'assistance dans aucun
port neutre du monde,—et l'on peut augurer
que les Etats-Unis auraient fort peu d'alliés,
s'ils entraient en guerre avec l'Angleterre.
Ils ne pourraient donc avoir ni un morceau
de charbon, ni faire la moindre réparation
à leur armement. On conçoit que cela constituerait une garantie de sûreté pour nous.
Ils
sont sans havres dans les mers Indiennes sur
l'Atlantique, sur la Méditerranée, de même
que dans les eaux de la Chine, et c'est parce
qu'ils n'auraient aucun moyen d'approvi
408
sionner ni de réparer leurs vaisseaux de
guerre dans ces différentes parties du monde
que leur position serait si désavantageuse.
Ils ne pourraient non plus obtenir aucun
secours des ports neutres, car c'est un principe de la loi internationale qu'aucun
vaisseau de nation belligérante n'ait de secours
dans un port neutre, excepté ce qui peut
être réclamé au nom de l'humanité pour se
préparer à lutter contre les éléments. Mais
il leur serait défendu d'y faire du charbon,
d'y enrôler un seul homme, d'y acheter une
seule livre de plomb, de poudre ou de fer:
or, j'aimerais à savoir de quelle manière les
Etats-Unis pourraient maintenir une escadre
sur la mer dans de telles circonstances?
(Ecoutez! écoutez!) Il y a encore un
autre point à considérer, car les Américains
auraient beaucoup à faire chez eux, et
les côtes de l'Atlantique fourmilleraient
de bâtiments remplis de troupes envoyés
d'Angleterre, et menaçant de débarquer
sur une foule de points. La marine
anglaise, les arsenaux anglais, l'argent
anglais et tout le matériel nécessaire dans
une guerre nous seraient fournis; et pardessus tout, le matériel ne nous manquerait
pas, ce qui est le plus essentiel. Ainsi donc,
à tous égards, notre position serait bien plus
avantageuse que celle du Sud en ce moment.
Nous n'aurions qu'à garder nos côtes tandis
que les Etats-Unis seraient harassés sur les
leurs, et l'hiver venu le danger se trouverait pour nous de beaucoup diminué. Songez
un peu à l'épuisement des Etats-Unis dans
une telle guerre!! Tout ce que je viens de
dire a eu pour but de contrecarrer autant que
possible les remarques faites l'autre soir par
l'hon.député d'Hochelaga, parce que je crois
que le point de vue auquel il s'est placé est
des plus pernicieux, des moins dignes et des
plus dépourvus de patriotisme, et qu'au
contraire nous devons tout faire pour exciter
et développer l'ardeur militaire de la jeunesse de ce pays. On a parlé de neutralité:
comment, je le demande, nous serait-il possible de rester neutres dans une lutte entre
les Etats-Unis et l'Angleterre? Un pays
incapable de se défendre occupe un rang
méprisable et perd à cause même de sa faiblesse le privilége misérable de sa neutralité.
Comment, je le répète, nous serait-il possible
de rester neutres dans une telle guerre?
N'aurions-nous pas à faire cause avec l'un ou
l'autre des belligérants? Croit-on que les
Etats-Unis nous permettraient d'y rester
étrangers?
L'
HON. M. HOLTON—C'est la théorie
de l'hon. ministre de l'agriculture.
L'
HON. M. ROSE—J'ai entendu avec
plaisir bien des discours de mon hon. ami
le ministre de l'agriculture, mais je ne l'ai
jamais entendu dire que, dans le cas d'une
guerre entre les Etats-Unis et l'Angleterre,
nous devrions être neutres. D'ailleurs, mon
hon. ami est capable de se défendre; mais
je dis que jamais je ne lui ai entendu exprimer une opinion aussi anti-patriotique.
L'
HON. M. ROSE—L'hon. ministre de
l'agriculture a dit probablement que, faisant
partie de l'empire Britannique, nous devions
suivre la politique de neutralité que l'Angleterre observe à l'égard des deux partis
belligérants actuels des Etats-Unis.
L'
HON. M. HOLTON—Non; il a dit que
la neutralité du Canada devrait être garantie
par des traités, comme dans le cas de la
Belgique et de la Suisse.
L'
HON. M. MCGEE— J'ai en effet partagé
cette opinion autrefois; c'était lorsque l'hon.
député était pour l'annexion. (Rires.)
L'
HON. M. HOLTON—Vous partagiez
cette même opinion, il y a deux ou trois
ans.
L'
HON. M. ROSE—Les temps sont bien
changés depuis deux ou trois ans; ce n'est
plus seulement aujourd'hui des questions de
parti dont nous avons à nous occuper, mais
bien d'évènements qui se préparent. Je
n'ajouterai plus rien à ce que je viens de
dire, attendu que mon hon. ami d'Hochelaga
n'est pas à son siége, tout en reconnaissant
la manière chevaleresque avec laquelle l'hon.
député de Chateauguay le défend pendant
son absence. Je maintiens donc, M.
l'ORATEUR, que tout en me gardant bien
d'exagérer le danger, je ne saurais y
demeurer insensible. Ce danger est même
si menaçant, si imminent, si grave qu'il
suffirait à me décider non-seulement à voter
le projet déposé devant cette chambre, mais
à faire tous mes efforts pour en favoriser la
mise à exécution. (Ecoutez! écoutez!) Si
nous montrons notre zèle et notre diligence sur
cette question de la défense du pays, l'Angleterre ne pourra que redoubler de soin
à nous
secourir en temps de danger, car elle sera
convaincue que nous l'aiderons et dans la
construction des ouvrages militaires et dans
la défense de ces places fortes, lorsqu'elles
409
seront achevées. (Ecoutez! écoutez!) Si
nous prouvons à l'Angleterre qu'elle peut
compter sur une population centralisée de
quatre millions, quel encouragement ne sera- ce pas lui donner pour nous aider d'hommes
et de matériel, et pour nous assurer son
secours aujourd'hui aussi bien que lus tard!
Permettez-moi de répéter, M. l' ORATEUR,
que n'y aurait-il que cette seule considération
pour me déterminer. je voterais à, deux
mains ces résolution, et serais disposé à
fermer les eux sur toutes leurs imperfections
et leurs défants. Je n'ai pas l'intention
d'entrer dans l'examen des détails du projet,
car je comprends que la question doit-être
discutée dans son ensemble: c'est pourquoi je
crois inutile de critiquer ce que je ne puis corriger, du moment que les défauts que
j'aperçois
ne sont pas assez importants pour me faire
rejeter toute la mesure. Le projet proposé
est de la nature d'un traité; nous devons
l'accepter comme un tout, ou le rejeter de
la même manière. (Ecoutez! écoutez'l) Je
vois les difficultés et les imperfections du
plan, mais ce n'est pas une raison de se
plaindre parce qu'une colonie a quelques
milliers de piastres de plus qu'une autre, ou
parce qu'une colonie assume une plus grande
partie dela dette qu'une autre. A moins
de découvrir dans le projet des vices assez
saillants pour me le faire rejeter, je crois que
c'est perdre le temps que de se chicaner sur
les détails. La raison en est qu'on ne peut
rien y changer sans le concours des. colonies,
que le projet comme ensemble est acceptable,
et que les défauts qu'on y remarque disparaîtront d'eux-mêmes avant peu. (Ecoutez!
écoutez!) Il est une chose que je prierai la chambre
de considérer, à part la considération si
importante de nos défenses, à part le raffermissement de nos relations avec l'Angleterre,
à part 'es risques ne nous courons de
devenir la proie des Etats-Unis, c'est de se
demander si le Canada est disposé à retourner
à l'ancien ordre de choses d'il y a 18 mois,
et si nous devons demeurer dans la condition
chronique de crises politiques où nous nous
sommes constamment trouvés depuis plusieurs
années. (Ecoutez! écoutez!) Cette chambre
et le gouvernement tout entier avaient alors
perdu la confiance du pays et l'on voyait
exister les plus grandes difficultés au sein de
cette chambre: cet état de choses en était
arrivé à un point tel qu'il était de nature à
faire prendre à quiconque avait quelque
respect pour lui-même, la détermination de se
retirer des affaires publiques. (Ecoutez!)
fait suivant moi, devrait nous faire accepter
le changement proposé, et je le crois suffisant
pour nous faire adopter un système politique
différent. La crainte de voir se renouveler
le passé, l'appréhension de voir se raviver
les anciennes querelles de parti et se perpétuer les causes de nos difficultés, tout
me
force à. voter les résolutions que nous
discutons en ce moment. (Ecoutez! écoutez!) Je pourrais pousser plus loin mes
considérations sur la question, si je ne devais
pas me rappeler la convention entre mon
hon. ami de Lambton et moi. Je me permettrai, cependant, de dire quelque chose des
objections que l'on a soulevées contre la
nature même du projet, à savoir qu'il possède
tous les éléments de discorde que l'on trouve
dans toute union fédérative Cette objection
a été faite par plusieurs qui, tout en penchant
pour une union législative pure et simple,
ne veulent pas d'une union fédérale. Je ne
nie pas que j'eusse préféré une union législative pure et simple si la chose eut été
praticable; mais pour le moment c'est chose
absolument impossible. Je ne puis donc
qu'exprimer mon étonnement et ma joie de
voir cinq colonies, possédant tant d'intérêts
distincts et séparés, en venir à adopter un
tel projet de confédération. J 'ai réellement
lieu de m'étonncr de ce résultat lorsque je
me rappelle les difficultés qu'il y a en à
vaincre sous forme d'intérêts locaux, d'ambition personnelle et de gouvernements séparés,
et je ne puis faire autrement que de louanger
hautement les hommes qui ont entrepris les
négociations préliminaires, de la manière
avec laquelle ils ont su triompher des obstacles qui surgissaient, pour ainsi dire
à chaque
pas, et du patriotisme avec lequel ils ont fait
taire leurs antipathies personnelles et leurs
intérérêts particuliers dans l'élaboration de
ce projet de confédération. (Ecoutez! écoutez!) N 'est-il pas remarquable, en effet,
qu'une proposition aussi peu entachée des
inconvénients du système fédéral ait reçu
l'assentiment des délégués de cinq colonies
distinctes qui jusqu'ici avaient vécu sé séparées,
indépendantes les unes des autres et presque
de l' Angleterre et étrangères entre elles sinon
hostiles? (Ecoutez! écoutez l) Il a été fait
beaucoup pour isoler ces provinces les unes
des autres et très peu pour les rapprocher;
c'est pourquoi le succès qui a couronné leurs
efforts parle assez hautement de l'habileté des
hommes d'Etat qui ont entrepris d'effectuer
cette union. (Ecoutez! écoutez!)
410
L'
HON. M. ROSE—Je comprends l'ironie
de l'observation de l'hon. député de Chateauguay: mais l'œuvre de la confédération
n'en est pas moins d'une importance vitale
pour le pavs. Je ne puis m'empêcher de
déclarer que je désapprouve l'histoire retracée l'autre jour par l'hon. député d'Hochelaga
(M. DORION) des difficultés qui
existaient il n'y a pas encore longtemps dans
notre situation politique. Il a rappelé qu'à
telle époque tel député partageait telle
opinion, qu'en tel autre temps il partageait
telle autre;—puis il s'est étendu sur l'inconséquence d'un telle conduite et reclamé
pour lui le mérite de n'avoir jamais varié
dans son oppsition au projet actuel. Je ne
m'occupe aucunement de ce qu'ont pu être
jadis les manières de voir de tel ou tel homme,
ni de la plus au moins grande consistance
de leur politique, car il ne s'agit pas de cela
aujourd'hui, mais bien du projet qui nous
est soumis. Saehons comprendre que nous
entrons dans une vie nouvelle, ou plutôt
dans une phase nouvelle de notre existence
nationale. (Ecoutez! écoutez!) Mettons de
côté les récriminations du passé pour nous
occuper des mérites dela mesure. D'ailleurs,
un homme qui ne change pas d'opinion est,
suivant moi, très impropre au gouvernement
de son pays; il ressemble à ces vieux écriteaux restés debout sur les chemins abandonnés;
il est vrai qu'ils ne changent pas de
place mais ils ne sont plus bons qu'à égarer
le voyageur qui les consulte. (Ecoutez! écoutez!) L'hon député d'Hochelaga en parlant
des variations politiques des autres, m'a fait
l'effet de ces écriteaux qui enseignent encore
aujourd'hui la route qui a cessé d'exister
depuis vingt ans. (Ecoutez! écoutez et
rires). Je crois donc qu'au lieu de trouver
matière à défaut, parce que le projet n'est
pas législatif au lieu d'être fédéral, nous
devrions plutôt reconnaître les sacrifices accomplis par ceux qui se sont réunis pour
l'élaborer. (Ecoutez! écoutez!) Quelque
chose que l'on puisse dire des difficultés
constitutionnelles où nous nous trouvons,
cette objection n'a pu avoir d'influence sur
les hommes d'Etat des autres colonies. Par
exemple, Terreneuve n'était pas comme nous
au milieu d'une crise, et le Nouveau- Brunswick était assez fidèle à M. TILLEY
depuis dix ans;—et il n'y a pas longtemps
encore le premier de la Nouvelle-Ecosse suit
une majorité de 3 voix dans une petite
chambre; l'Ile du Prince-Edouard elle-même
n'était pas non plus dans un état de crise.
UNE VOIX—Elle avait besoin d'un
chemin de fer.
L'
HON. M. ROSE—Ne cherchons pas à
incriminer les motifs de personne, mais au
contraire sachons reconnaître que tous ceux
qui ont eu quelque chose à. faire avec
cette mesure ont été animés du plus grand
patriotisme et du plus noble but. Tel est,
suivant moi, le sentiment des neuf-dixièmes,
ou des quatre-vingt dix-neuf-centièmes de
la population de ce pays. Quel motif
autre que celui de l'intérêt public ont pu
déterminer mon hon. ami le président du
conseil ou l'hon. procureur-général du Haut- Canada à faire partie du même gouvernement,
si ce n'eut été dans le but d'effectuer
l'union des colonies? Et puis, quand bien
même ils n'auraient eu en vue que de
faire disparaître nos difficultés constitutionnelles d'autrefois, ne leur en devrions
nous pas témoigner toute notre reconnaissance? (Ecoutez! écoutez!) J'ai déjà
dit que je m'abstiendrais de critiquer les
détails de la mesure; cependant, il est
deux choses qui, suivant moi, se recommandent à l'attention de ceux qui ont des doutes
sur la stabilité du système et qui l'exempteront du vice ordinaire des union fédérales,
je
veux parler de l'autorité centrale à laquelle
ne pourront résister ni s'opposer les gouvernements locaux. On me semble avoir voulu
éviter les erreurs dans lesquelles les auteurs
de la constitution américaine étaient tout
naturellement tombés, et avoir profité de
l'expérience du passé et de celle que nous
fournissent nos voisins des Etats-Unis. L'on
a fait preuve de sagesse en établissant un
pouvoir central capable d'empêcher les gouvernements locaux d'intervenir dans ce qui
constitue les attributions du gouvernement
général, et cela au détriment e la confédération entière. Le grand avantage de ce
plan est que chaque province a des pouvoirs très bien définis et délimités, et que
le
pouvoir principal est dévolu au gouvernement
central. Un autre caractère du projet, est
que les lieutenants-gouverneurs sont nommés
par le pouvoir central, en sorte qu'une chaîne
de communication se trouve établie entre le
pouvoir central et les ouveirs locaux Au
pouvoir central appartiennent également les
questions de douane, du cours monétaire,
de commerce et de navigation, la nomination
des juges, l'administration de la justice et
tous ces grands intérêts publics qui reviennent de droit au gouvernement général.
Il
ne pourra donc surgir aucune difficulté
411
entre les diverses parties de la confédération,
aucun conflit de pouvoir entre les gouvernements locaux et l'autorité centrale ainsi
que
la chose a eu lieu aux Etats-Unis. Les
attributions des premiers étant très distinctement définies les empêcheront de réclamer
des droits de souveraineté, de même que
dans la république voisine, non plus que
des privilèges qui nuiraient aux droits et
à la sécurité de toute la société. (Ecoutez!
écoutez!) Le second point que j'approuve
avec non moins de force est le droit de veto
que s'est réservé le gouvernement général
sur toute la législation des parlements locaux.
C'est là cette condition essentielle qu'entrevirent les plus sages d'entre les auteurs
de
la constitution américaine et dont le rejet
mena tout droit à la ruine de la constitution.
Ils s'aperçurent clairement, en effet, qu'à
moins de réserver au gouvernement central
le contrôle des actes des législatures d'état,
le conflit serait inévitable tôt ou tard entre
le premier et les secondes. Voyons ce
que disait à ce sujet M. MADISON, et qui
se trouve consigné dans les
Débats secrets
sur la constitution de 1787. Sur la proposition de M. PINKNEY: que la législature
nationale ait le pouvoir de négativer toutes
les lois des législatures d'état qu'elle jugera à propos,—il déclara comme étant
la pierre angulaire du système, " le principe
qui voulait que l'on contrôlât les pouvoirs
locaux afin d'assurer le bon gouvernement
de la législature suprême"; il ajoute, en
outre, que—" ce contrôle était absolument
nécessaire, que c'était le seul principe qui
maintiendrait dans le système la force centrifuge, et que sans lui on verrait bientôt
les planètes s'élancer hors de leurs orbites."
—Oui, en effet, M. l'ORATEUR, ce pouvoir
de négativer, ce droit de véto, ce contrôle
de la part du gouvernement central est
la meilleure protection et la sauvegarde la
plus sûre du régime nouveau: sans lui, je ne
sais s'il m'aurait été possible de voter les
résolutions. C'est pourquoi, cette attribution
suprême se trouvant réservée au gouvernement central, de même que le droit de nommer
les gouverneurs locaux et les juges, je
la déclare l'une des plus belles parties du
projet, et je réitère que j'eusse éprouvé de
graves objections à sanctionner une mesure
qui n'aurait pas contenu une telle disposition.
(Ecoutez! écoutez!) Je n'irai pas plus loin
dans mon examen des autres principaux
caractères des résolutions, attendu qu'ils
touchent aux principes sur lesquels l'union
même repose. Néanmoins, je dirai que la distribution des pouvoirs a été faite avec
la plus
grande sagesse et le plus grand sens politique, et que l'on a entouré de garanties
les
plus satisfaisantes les droits dont les minorités
de chacune des provinces avaient tout à
cœur de se réserver l'exercice Ainsi donc,
l'objection que cette union n'est que fédérale et par conséquent sujette à toute les
difficultés de ce régime, n'est pas fondée, et
je crois que nous pouvons regarder la distribution si juste et si sage des divers
pouvoirs
comme devant obvier à ces défauts. (Ecoutez!
écoutez!) Il est cependant une autre objection qui a été soulevée et à propos de laquelle
je ferai quelques observations, c'est celle qui a
trait à la manière dont les droits des diverses
minorités des provinces ont été sauvegardés.
C'est là un sujet digne de nos plus sérieuses
et de nos plus graves considérations, pour
nous surtout qui, dans cette chambre, représentons les intérêts de la minorité anglaise
de cette section de la province. Je ne
dissimulerai donc pas que j'ai entendu
exprimer à ce sujet des craintes réelles à un
grand nombre de personnes pour lesquelles
je professe le plus grand respect et en qui
j'ai toujours admiré l'absence de fanatisme
et la largeur constante des idées. Ce ne
sont pas tant des objections précises au
projet qu'elles ont exprimées qu'une appréhension qu'il contenait quelque chose de
dangereux; et cette appréhension elles ne
peuvent l'exprimer ni même s'en rendre
compte. Elles se défient et doutent des conséquences, elles expriment la crainte que
le
projet affectera leurs intérêts à venir, et, en
face de toute cette incertitude, elles préféreraient rester dans l'état où nous sommes.
A mon avis, M l'ORATEUR, les droits de
la minorité française dans la législature
générale et ceux de la minorité anglaise
dans la législature du Bas-Canada, sont convenablement protégés. J'admets que s'il
en
était autrement le projet offrirait les plus
graves inconvénients; qu'il contiendrait le
germe de difficultés et de dissensions propres
à en détruire tous les bons résultats. C'est
donc une grave question, surtout pour nous—
membres des minorités du Bas-Canada—de
savoir jusqu'à quel point nos droits et intérêts respectifs sont protégés tant dans
la
législature générale que dans la législature
locale. A ce sujet, je pense que les membres
anglais du Bas-Canada, du nombre desquels
je suis, peuvent se féliciter d'avoir établi entre
les deux races des sympathies qui ont eu les
412
meilleurs effets. Depuis l'union, il y a eu
entre les deux races dans le Bas-Canada une
entente cordiale qui a produit les plus
heureux résultats: tout le monde sait cela.
Appartenant à des races différentes, professant des religions différentes aussi, nous
avons été en rapports constants et nous avons
appris à nous respecter les uns les autres.
Nous ne cherchons point à empiéter sur nos
droits réciproques; nous n'avons point de
différends de religion et de race qu'on pourrait supposer fréquents parmi nous Nous
pouvons nous féliciter de cet état de choses
qui maintenant est bien établi parmi nous.
(Ecoutez!) Mais si la minorité anglaise
perdait confiance en la majorité française dans
la législature locale, et si la minorité française
ne voulait pas se fier à la majorité anglaise
dans la législature générale, comment pourrait
fonctionner la confédération? (Ecoutez!) On
ne saurait nier que la plus parfaite confiance
existe des deux côtés; et cette confiance ne
sera point trompée ni dans le parlement
fédéral ni dans la législature locale. (Ecoutez!) J'espère que cette confiance mutuelle
nous permettra d 'agir sagement et à un point
de vue élevé si d'un côté ou de l'autre nos
droits sont mis en question—si jamais telle
chose arrive,—dans les législatures locales.
Dans l'histoire des deux races, l'adoption de
ce projet sera le gage de leur confiance
mutuelle et inaltérable. Cette réciprocité
est remarquable, et la postérité se rappellera
avec orgueil l'époque où l'une des races
n'hésitait pas à confier sa sûreté et ses
intérêts à l'honneur de l'autre. De plus,
cette confiance réciproque n'est point l'effet
d'une commotion extraordinaire, elle a été
produite par la connaissance que l'une des
races a faite de l'autre en apprenant à la
respecter (Ecoutez!) C'est parce que nous
avons appris à nous respecter les une les
autres pour des raisons qui nous ont fait
comprendre que l'attitude agressive d'un
parti nuirait constamment à la sûreté générale. Je le demande à. l'hon. président
du
conseil: si, dans les appels qu'ils nous a
faits pendant dix ans, alors qu'ils combattait
pour la représentation d'après la population,
au lieu de demeurer sourds à sa voix énergique, nous nous étions unis à ceux de
notre race et de notre croyance, les populations du Haut-Canada qui exigeaient ce
changement, où serait aujourd'hui notre
union, je le lui demande? La défiance établie
pour jamais entre les races française et
anglaise aurait rendu parfaitement inutile
l'examen même du projet de l'union.
Ecoutez!) Les Canadiens-Français seraient- ils disposés aujourd'hui à s'en remette
à la
législature générale et les Anglais du Bas- Canada pourraient ils avoir confiance
dans le
parlement local? Non; et plaise à Dieu
que cette confiance réciproque entre deux
races, dont la mission est et noble sur ce
continent et qui sont menacées des mêmes
dangers, puisse durer toujours! Plaise à
Dieu qu'elle ne soit désruite ou interrompue
par aucun acte de l'un ou l'autre parti, et
si ultérieurement l'idée d'une tentative de
cette nature venait jamais à se manifester,
qu'il suffise pour arrêter toute agression de
dire: " nous avions une confiance réciproque
lorsque nous avons formé cette union; nous
considérions nos droits comme sacrés, et notre
honneur, notre bonne foi et notre intégrité
sont en jeu dans le maintien de nos engagements "! (Ecoutez!) Nous traversons une
ère de notre histoire dont le souvenir sera
cher à nos descendants et pourra suffire à
empêcher les tentatives dont je viens de
parler. Persuadés que nos concitoyens français ont pleine et entière confiance en
nous,
je crois que nous, anglais, ne devons pas
rester en arrière sous ce rapport. La minorité
n'a pas lieu de craindre une agression, le
passé nous dit assez ce que seront les relations des deux races dans l'avenir. Mais
si
fort que soit, dans notre convention, ce
sentiment de confiance réciproque, j'ai été
heureux d'entendre mon hon. ami le procureur général du Bas-Canada qui représente
la majorité française, et l'hon ministre des
finances représentant la majorité anglaise du
Bas-Canada, nous prouver qu'ils ont pris les
précautions les plus minutieuses pour assurer
aux deux races la sauvegarde de leurs droits.
(Ecoutez!) Ce point a été consciencieusement étudié et, avec les mômes garanties
dans l'avenir que par le passé, ni l'une ni
l'autre race n'a rien à craindre de la législature locale ni du parlement fédéral.
(Ecoutez!) Telle est la confiance mutuelle que
nous avons tous comme membres de cette
chambre: mais en rédigeant ces résolutions
on a dû songer à maintenir ce sentiment chez
le peuple. Je dirai au gouvernement que
les pouvoirs doivent être distribués, et Iles
réserves faites, de manière à se recommander
au peuple du pays en général, car on ne peut
imposer un nouvel ordre de choses, une nouvelle existence politique, au peuple, qu'avec
son assentiment.
413
L'
HON. M. ROSE—Vous ne pouvez pas
donner au peuple une constitution dont il
ne veut pas. Mais je pense que la grande
majorité désire ce changement. Il faut lui
prouver que tous ses intérêts sont sauvegardés
et que ceux de la minorité, entr'autres, sont
protégés contre toute tentative dans l'avenir.
Quelques observations démontreront à la
chambre ce qui a été fait dans ce cas. (Ecoutez!) Examinant le projet au point de
vue
où doit se placer un protestant anglais du
Bas-Canada je me demande si les intérêts
de ma religion et de ma race sont suffisamment protégés. Quelques points intéressent
particulièrement mes co-religionnaires et il
n'est que convenable qu'ils aient l'assurance
que ces intérêts si chers seront sauvegardés.
Sur ces différents points, je ferai quelques
questions au gouvernement. Le premier
consiste à savoir si, à l'avenir. ils n'auront
pas à souffrir d'un système d'exclusion du
parlement général ou de la législature locale,
mais s'ils seront justement représentés dans les
deux; le second a trait aux garanties données
aux protestants du Bas- Canada relativement
au système d'éducation. Sur ces questions il
existe, parmi les anglais du Bas—Canada, une
certaine appréhension que je ne sartago pas,
car le passé m'est un garant de l'avenir,
mais pour la satisfaction de la_ minorité je
désire adresser quelques questions à mes
hon. amis du ministère. Je voudrais savoir
quelle part de représentation les Anglais du
Bas-Canada auront dans le parlement général,
et s'ils seront représentés dans la même proportion que dans le parlement actuel?
C'est
un point qui intéresse hautement les Anglais
du Bas-Canada. Je tiendrais aussi à savoir
si, dans la législature locale. ils auront la
même proportion qu'aujourd'hui, c'est-à-dire
un quart, —proportion juste,—puisque les poletions anglaise et française sont de 260,000
et l,100,000 respectivement? Or, la résolution qui a trait à ce point dit, si j'ai
bien
compris, que pour les élections du premier
parlement fédéral, les districts électoraux
du Bas-Canada seront les mêmes que maintenant. Cette résolution est conçue dans des
termes un peu ambigus, mais voilà. comme je
la comprends
"Les législatures des diverses provinces diviseront respectivement celles-ci on comtés
et en
définiront les limites."
Et la vingt-quatrième prescrit que:—
"Les législatures locales pourront, de temps à
autre, changer les districts électoraux pour les
fins de la représentation dans la législature locale,
et distribuer, de la manière qu'elles le jugeront
convenable, les représentants auxquels elles auront
respectivement droit."
D'après ces résolutions, il me semble que
pouvoir est donné à la législature de chaque
province de diviser cette province en un
nombre convenable de collèges électoraux
pour la représentation dans le parlement
fédéral, et de changer les district électoraux
pour le parlement local. Une appréhension
que j'ai entendu exprimer dans mon propre
collége, (je ne veux pas dire que je la
partage, je ne fais que la mentionner en toute
franchise), est que, d'après cela, les Canadiens-Français seront à même de faire une
division des districts qui rendra impossible
l'élection d'aucun membre anglais. Je
serais très-obligé à mon hon. ami le procureur-général du Bas-Canada s'il veut bien
me
donner une explication à cet égard. Il est dit
aussi dans les résolutions que si le gouvernement local exerçait son influence d'une
manière aussi injuste, le gouvernement
fédéral pourrait y apposer son véto, bien que
tel pouvoir soit donné au gouvernement local
par la constitution.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER — Certainement; si la législature locale du Bas- Canada veut changer les divisions
actuelles
de manière à commettre une injustice vis-àvis des Anglais du Bas-Canada. le gouvernement.
central aura son pouvoir de véto et il
en fera usage pour annuler toute loi qui
pourra être passée à cet effet.
L'
HON. M. ROSE—Je suis sûr que mon
hon. ami ne consentirait jamais à une pareille
injustice. Mais j'ai une autre question à poser.
et je demanderai a l'hon procureur-général
du Bas- Canada une réponse explicite au nom
du gouvernement. ll s'agit encore de la
23me résolution que je viens de lire. Je voudrais savoir si par législature on y entend
la
législature actuelle du Canada, ou si les limites
des districts électoraux seront changées
pour les fins de la représentation durant la
première session du parlement fédéral?
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER — Pour
ce qui regarde le Bas-Canada, il n y aura
pas de changement, en autant que le
414
nombre de représentants au parlement général demeurera le même qu'à présent.
Mais pour le Haut-Canada, comme il doit y
avoir, une augmentation dans le nombre des
représentants, il devra y avoir un nouvel
arrangement.
L'
HON. M. ROSE—Il est donc entendu
que dans le Bas-Canada les districts électoraux seront, pour le premier parlement
fédéral, ce qu'ils sont maintenant?
L'
HON. M. ROSE—Et qu'en ce qui concerne la représentation dans la législature
locale, la division des districts électoraux sera
sujette au véto du parlement général.?
L'
HON. M. ROSE—Je remercie l'hon.
monsieur des réponses et des assurances
qu'il a bien voulu me donner, et j'espère
qu'elles suffiront pour faire disparaître les
appréhensions dont j'ai parlé. (Ecoutez!)
Un hon. membre, (M. FRANCIS JONES), me
prie de demander qui changera les districts
électoraux du Haut-Canada?
L'
HON. M. ROSE — L'hon. monsieur
demande si ce sera le parlement actuel du
Canada? Mais je laisse au Haut-Canada et
à ses membres si capables le soin de leurs
propres affaires; j'ai assez, pour le moment,
d'une minorité. (Rires.) J'espère que le
procureur-général du Bas-Canada ne pensera pas que je lui ai fait ces questions ans
le doute que la minorité pourrait être
maltraitée par la majorité du Bas-Canada.
Mais il est ou d'avoir des réponses claires,
précises et positives sur le sens de ces
résolutions, afin que la minorité soit convaincue que ses droits sont sauvegardés.
(Ecoutez!) L'histoire du Bas-Canada ne
fournit aucune raison de douter de la
libéralité de ses habitants français; et, en ce
qui concerne particulièrement mon hon.
ami, je dois reconnaître que sa vie publique
n'a jamais été entachée d'intolérance, de
bigoterie ou de manque de libéralité, dans
l'exercice de ses pouvoirs exécutifs, administratif's ou législatifs. (Ecoutez!) Je
veux
dire par là que dans le contrôle qu'il aura
à l'avenir, il sera fidèle à ses antécédents, et
je crois que la confiance que j'ai en lui est
partagée parla majorité de la chambre et du
pays. (Ecoutez!)
L'
HON. M. HOLTON—Mon hon. ami me
permettra-t-il de l'interrompre un instant?
Pendant qu'il en est à. faire des questions
peut-être serait-il bien qu'il demandât quelques informations sur le système d'éducation
du Bas Canada, en autant qu'il se rapporte
aux droits de la minorité? J'ai déjà. fait
cette question une ou deux fois, et je ne
sais pas encore si une mesure à ce sujet sera
soumise avant la passation du projet de confédération.
L'
HON. M. ROSE—Je me propose d'adresser toute-à-l'heure une question sur ce
point a mon hon. ami le procureur-général
du Bas-Canada. J'en viens actuellement à
des objections que j'ai entendu faire même
par certains de mes amis. Ces objections,
comme je l'ai déjà. dit, ont un caractère vague
et indéfini, et ne s'attaquent à rien de particulier dans le projet qui nous est soumis.
Elles n'en sont que plus difficiles à combattre. Si j'interroge une certaine classe
de
la population voici a réponse que je reçois:
" Oh! vous allez nous mettre à la merci
des Canadiens-Français; l'influence anglaise
sera entièrement annihilée; nous n'aurons
plus aucune influence et les avantages que
nous avons gagnés depuis vingt-cinq ans par
notre union avec les populations de notre
race dans le Haut-Canada, seront complètement perdus. "—Je réplique: "Mais que
craignez-vous? Lequel de vos intérêts est
en danger? Vous êtes unis à une majorité de
votre race, avec pouvoir dans la législature
générale, de nommer les gouverneurs locaux,
d'administrer la justice et de nommer les
juges; vous avez le contrôle de la milice et
autres moyens de défense; vous pouvez faire
des lois concernant les postes, le commerce,
le trafic, la navigation; et les grands et importants intérêts, dont le centre est
dans le
district que je représente,—en un mot, tout
ce qui intéresse la minorité Bas-Canadienne
est sous le contrôle de la législature fédérale.
Les Canadiens-Français ont cédé au gouvernement central le règlement des questions
d'usure, de mariage et de divorce, tous points
sur lesquels ils ont des opinions bien arrêtées;
que craignez vous donc de l'action de la
législature locale? " Mais on ajoute: " Tout
cela peut-être vrai; mais nous n'aurons aucune nomination parmi nous L'administration
des affaires du Bas—Canada sera entièrement aux mains de la majorité française qui
donnera toutes les places"—Vous répondez:
" Est-ce l'exercice du patronage qui fait
votre crainte? La nomination des juges, des
415
employés des postes, le patronage des douanes,
des travaux publics et de toutes les branches
importantes de l'administration sont laissés
au gouvernement fédéral. Les législatures
locales ne pourront nommer que quelques
offciers municipaux, et pour quelques petites
charges vous allez compromettre le succès
d'un projet dont les conséquences sont si
importantes pour toutes les provinces de
l'Amérique Britannique du Nord!—Est-ce
pour de si pauvres raisons que vous êtes
opposés à une mesure dont les mérites sont
si nombreux, qui, en définitive, a tant de bon,
et devra procurer à ces provinces des avantages permanents si elle ne réalise as la
formation d'une nouvelle et vaste dépendance de l'Amérique Britannique? " Malgré
toutes ces explications, grand nombre de gens
n'ont cessé de nourrir des appréhensions
dont ils ne se rendent pas bien compte et qui
semblent être partagées par mon hon. ami de
la gauche (M. DORION) en ce qui regarde
la législature générale. Or, si nous consultons l'histoire de nos relations intérieures
depuis vingt-cinq ans, il me semble que ni
l'un ni l'autre parti n'a lieu d'avoir de telles
appréhensions. Mon hon. ami le procureur- général du Bas-Canada a-t-il dirigé une
seule attaque contre la minorité anglaise, et
sommes-nous coupables de notre côté d'un
seul acte d'agression contre la race à
laquelle il appartient? (Ecoutez!) Le
respect et la confiance mutuels n'ont ils pas
toujours existé, et a-t on fait quelque chose
de part ou d'autre pour les détruire?
(Ecoutez!) Il me semble que le passé nous
est une garantie qu'à l'avenir des dificultés
de ce genre ne surgiront point et que nous
vivrons unis dans un respect et une estime
réciproques. (Ecoutez!) Mais on dit,—et
c'est une des objections qu'on fait au projet,
—que les travaux d'amélioration seront entravés par le gouvernement local du Bas-
Canada. Je crois que le temps est passé où
certains actes étaient possibles, par exemple
ou les travaux des commissaires du havre de
Montréal étaient suspendus parce que M.
PAPINEAU s'y opposait. Nous sommes
entrés dans une ère d'avancement et de
progrès, et l'esprit même de notre temps
s'oppose à un tel état de choses. Il est
impossible a l'une ou l'autre race de faire
ce injustices à l'autre. Leurs intérêts sont
trop liés et toute tentative d'une part retomberait sur ses auteurs. Nous entrerous
dans
cette union avec une confiance mutuelle qui
nous portera à agir harmonieusement pour
le plus grand bien général. (Ecoutez!) Je
ne me dissimule pas que la minorité Bas- Canadienne s'cst toujours tenue sur la défensive.
C'est une condition inhérente à la
position dans laquelle nous sommes; les
minorités se tiennent toujours sur la défensive.
Mais je pense que dans la confédération, la
minorité française dans la législature générale
et la minorité anglaise du Bas-Canada seront
amplement protégées. (Ecoutez) J'en viens
actuellement, M. l'ORATEUR, à la question
soulevée par l'hon. membre pour Chateauguay, au sujet de la loi d'éducation que le
gouvernement a promise à cette chambre.
Je crois que c'est la première fois dans
l'histoire du Bas-Canada,—et j 'appelle sur ce
point l'attention de mes amis du Haut- Canada,—qu'il y a eu quelqu'agitation parmi
les protestants du Bas-Canada au sujet de la
loi des écoles communes. (Ecoutez!) C'est
la première fois dans l'histoire du pays, qu'ils
ont manifesté quelque appréhension au sujet
de l'éducation élémentaire. Je ne sache pas
qu'on ait jamais fait aucune tentative dans
le Bas-Canada pour priver la minorité
de ses justes droits à l'égard de l'éducation
de la jeunesse. Et ce n' est pas seulement
mon opinion personnelle et le résultat
des observations que j'ai pu faire. J'ai
reçu des lettres de personnes bien au
courant depuis plusieurs années du système
d'éducation du Bas-Canada, et qui viennent
corroborer cette opinion. Une observation
à ce sujet est consignée dans le rapport des
trois commissaires du gouvernement anglais
qui vinrent ici en 1837, et ils avaient surtout
été frappés de voir deux populations parlant
des langues différentes et vivant paisiblement
ensembles sans se quereller au sujet de
l'instruction de leurs enfants. Nous, Anglais
protestants, nous ne saurions oublier que,
même avant l'union des provinces, alors que
la majorité française avait tout le pouvoir, on
nous a accordé sans restriction tous nos droits
à l'éducation séparée. Nous ne saurions oublier
que jamais on n'a essayé de nous empêcher
d'élever et d'instruire nos enfants à notre
guise, et que nous avons toujours eu notre
juste part des subventions sous le contrôle
de la majorité française et toute facilité
d'établir des écoles séparées là où nous
l'avons jugé convenable. Un simple particulier peut établir une école séparés et obtenir
une part raisonnable des subventions s'il
peut prouver qu'il peut réunir quinze élèves.
Nous ne saurions donc oublier la libéralité
que nous a témoignée de bonne grâce la
416
majorité française en ce qui regarde l'éducation. (Ecoutez!) N'est-ce pas une garantie
qu'à l avenir on agira pareillement et que la
législature locale protégera nos intérêts et nos
droits en ce qui regarde l'éducation tout aussi
bien qu'avant l'union? (Ecoutez!) Mais où
donc est la difficulté pratique dans cette question? N'oublions point qu'elle ne vient
pas
de nos frères Canadiens-Français, et je parle
en connaissance de cause, mais bien de ce
que la majorité protestante du Haut-Canada
ne veut pas modifier l'arrangement fait il y
a une couple d'années au sujet des écoles
séparées, et espère que la majorité française
du Bas-Canada n'accordera à la minorité
protestante rien de plus que ce qu'on accorde
à la minorité dans l'autre section de la province. Il faut reconnaître toutefois que
notre
système actuel d'éducation demande certaines
modifications qui sont attendues par la minorité protostante du Bas- Canada. Je demanderai
à mon hon. ami le procureur-général
du Bas-Canada si le système actuel d'éducation dans le Bas-Canada continuera d'être
toujours appliqué a l'avenir, et si les différentes dénominations religieuses conserveront
les droits dont elles jouissent aujourd'hui?
Nous sommes obligés de voter pour cette
mesure sans connaître exactement les garanties que nous fera la législation future,
et par suite, mon hon. ami ne trouvera
pas étrange que je lui indique les changements que nous désirons, et que je tienne
à
m'assurer jusqu'à quel point le gouvernement
tiendra compte de ces changements dans la mesure projetée. le premier point qui a
causé
de fréquentes difficultés, est de savoir si les
propriétaires non résidents auront le même
droit de désigner l'école au profit de laquelle
leur part des taxes devra être affectée,—en
d'autres termes, si une personne ne résidant
pas dans un canton n'aura pas le droit d'indiquer à quelle école séparée elle désire
que
sa part de taxes profite. Un autre point a
trait aux taxes sur les propriétés des compagnies incorporées. Dans l'état actuel
des
choses, la minorité du Bas-Canada n'est pas
satisfaite de l'emploi de ces taxes. Je désirerais savoir si on adoptera un moyen
équitable et satisfaisant de répartir ces taxes,
par exemple, en les traitant comme deniers
publics. Quelques personnes ont prétendu
qu'on devait laisser aux directeurs des
compagnies de régler l'emploi de ces taxes,
d'autres voudraient que chaque actionnaire
eût le droit de fixer lui-même l'emploi de
sa propre part. Je pense que ce dernier
modo serait tout-à-fait impraticable. C'est une
anomalie que nous ne devons pas désirer
voir se produire. Mais je pense qu'on
devrait songer à un apportionnement plus
équitable de ces taxes. Il y a un troisième
détail plus important que ces deux derniers,
savoir: si la minorité protestante du Bas- Canada aura un contrôle plus étendu sur
la direction et l'administration des écoles
séparées. Je sais que cette question intéresse
autant les catholiques que les protestants,
car je crois qu'un tiers des écoles dissidentes
appartiennent aux catholiques.
L'
HON. M. HOLTON — Ces écoles sont
dissidentes sous le rapport de la langue.
L'
HON. M. ROSE—Il s'agit de toutes les
écoles séparées pour une cause ou une autre.
Le remède peut s'appliquer a toutes. Je
ne demande pas quelle mesure on prendra,
j'indique seulement qu'il faudra élargir le
contrôle des différentes dénominations religieuses. La dernière question a trait aux
finances et est plus du domaine de l'hon.
ministre des finances.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—M. l'ORATEUR, j'ai assez l'habitude de donner des
réponses eatégoriquos et je vais répondre de
façon a satisfaire la chambre aussi bien que
mon hon. ami. En ce qui regarde le premier
point relatif aux propriétaires non-résidents
dans les cantons, je puis dire que c'est l'intention du gouvernement de proposer une
mesure qui donnera à la minorité le pouvoir
de désigner à quelles écoles séparées ses
taxes devront être affectées.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—Partout
et pas seulement aux catholiques. En ce qui
regarde la seconde question,—la distribution
des deniers prélevés sur les compagnies commerciales,—je sais qu'il y a eu des plaintes
au
sujet de la distribution de ces deniers. Le
gouvernement a l'intention de proposer une
mesure réglant la distribution de ces deniers
d'une façon équitable et satisfaisante pour
tous. (Ecoutez! et rires.) Enfin, à la troisième question de mon hon. ami pour Montréal
417
Centre, je dois dire que cette loi pourvoira à ce que la minorité protestante du
Bas-Canada ait sur ses écoles un contrôle
satisfaisant. (Ecoutez! et rires.) J'en viens
maintenant à la question de mon hon. ami
pour Chateauguay qui a parlé des écoles
dissidentes sous le rapport de la langue.
L'
Hon. M. HOLTON—L'hon. monsieur
ne m'a pas bien compris. L'hon. membre
pour Montréal Centre disait qu'il y avait des
écoles dissidentes sous le rapport de la religion. J'ai voulu indiquer seulement qu'il
pourrait aussi bien y en avoir sous le rapport
de la langue, et que rien, dans la loi, ne s'y
opposerait. Par exemple, il pourrait y avoir
des écoles dissidentes catholiques dans les
municipalités où la majorité est protestante.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—L'hon.
membre pour Chateauguay a les lois du
Canada à sa disposition. Il peut y voir qu'on
n'y mentionne ni écoles catholiques ni écoles
protestantes. Ce qu'on appelle dans le
Haut-Canada les écoles séparées y est fort à
propos désigné sous le nom d'écoles dissidentes dans le Bas-Canada. Il y est dit
aussie que là où il y a une minorité dissidente—soit catholique soit protestante—elle
a le droit d'établir ses écoles. Dans les
villes, la majorité étant catholique, les écoles
dissidentes sont généralement protestantes,
mais, dans les cantons, la majorité est
quelquefois protestante et les écoles dissidentes sont catholiques.
M. POPE—Quelle sera la disposition de
la loi pour les comtés où la population est
disséminée comme dans le mien?—Sera-t-il
permis à la minorité d'un canton de s'unir
avec le canton voisin pour établir une école
dissidente?
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER— Certainement. Une disposition de la loi permettra
à la minorité de s'unir à une municipalité
contigue pour former le nombre requis.
L'
HON. J. S. MACDONALD—Tandis
que le gouvernement est en voie de nous faire
des confidences (rires), je désirerais savoir
si c'est son intention d'accorder à la minorité
catholique du Haut-Canada les mêmes priviléges qu'a la minorité protestante; du Bas-
Canada?
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER—J'aiassez
de ma besogne sans faire celle des autres.
L'hon. procureur-général du Haut-Canada
n'est pas a son siége, mais je ne doute pas
qu'à l'occasion il ne réponde d'une manière
sati-faisante a mon hon. ami de Cornwall.
L'
HON. J. S. MACDONALD—En l'ab
sence de l'hon. procureur-général du Haut
Canada peut être l'hon. président du conseil
sera-t-il assez bon pour me donner le renseignement?
L'
HON. M. BROWN—Si mon hon. ami
désire une réponse de moi, je puis seulement
lui dire que les dispositions du bill des écoles
relatives au Haut-Canada n'ont pas encore
été considérées par le gouvernement. Sitôt
que le bill sera rédigé il sera soumis, sans
délai, à la chambre.
L'
HON. M. ALLEYN—J'espére que le
gouvernement est disposé à accorder aux
catholiques du Haut-Canada les mêmes priviléges qu'il a promis aux protestants du
Bas- Canada.
L'
HON. M. ROSE—Les explications que
le gouvernement vient de donner devront
satisfaire les protestants du Bas-Canada. Sa
libéralité passée nous est une garantie que nous
aurons justice dans l'avenir. (Ecoutez!) Je
n'hésite pas à dire que j'ai le plus ferme espoir
que la partie Bas-Canadienne du gouvernement nous traitera libémlement J'ai confiance
dans mon hon. ami le ministre des finances et
dans mon hon. ami le procureur-général Est,
et je suis heureux d'apprendre qu'il donnera
son attention a la question financière concernant la distribution satisfaisante des
cotisations des sociétés commerciales. J 'espère
que le ministre des finances sera disposé à
traiter de la même manière la question de la
dotation des collèges.
L'
Hon. M. HOLTON — Usez de votre
influence et vous aurez satisfaction. Il est
temps avant que la confédération ne passe
L'
HON. M. ROSE—Mon hon. ami de
Chateauguay a des vues toutes différentes
des miennes au sujet de la confédération. Si
je voulais suivre cette tactique, son bcn avis
pourrait m'être utile, mais je suis disposé à
faire bien des concessions qui répugneraient
a mon hon. ami pour voir passer ce grand
projet. J 'ai pleine confiance dans le gouvernement actuel, et je crois que le parlement
local du Bas-Canada nous rendra aussi bien
justice que tous les gouvernements que nous
avons eus depuis l'union. Nous n'avons
jamais été obligés d'appeler à notre secours
la majorité protestante u Haut-Canada et, si
jamais nous nous décidions à cela, je ne crois
pas que nous aurions plus de satisfaction
qu'avec la majorité catholique du Bas-Canada.
(Ecoutez!) Maintenant, M. l'ORATEUR, en
ce qui concerne les trois questions que j'ai
faites et l'appréhension d'être maltraités dans
le gouvernement général, d'être à la merci
418
des Canadiens-Français dans le parlement
local du Bas-Canada, de voir nos droits à
l'éducation méconnus, j'ai maintenant l'assurance que le gouvernement agira conformément
aux réponses qu'il vient de me faire.
J'en viens maintenant a l'objection faite par
mon hon. ami d'Hochelaga (M. DORION);
dans son discours, l'autre soir, cet hon. monsieur a dit que la confédération, avec
le chemin de fer intercolonial et les travaux de
défense, ferait peser sur le Canada un fardeau
énorme et injuste dont les populations ne
tarderaient pas à se débarrasser par la violence.
Je ne puis, pour ma part, voir comment nos
dépenses seront augmentées. Je ne vois
d'autre augmentation que celle qu'a indiquée
l'hon. ministre des finances et qui consiste
dans les dépenses du gouvernement général.
Les gouvernements locaux ne seront pas plus
coûteux que le gouvernement actuel; il reste
donc a pourvoir seulement aux frais du gouvernement général, et rien de plus; toutefois,
j'appellerai l'attention de la chambre sur une
déclaration de l'hon. membre pour Hochelaga.
Il a dit que nous nous trompions grandement
en croyant que nous discutions une question
d'union des colonies. La confédération, nous
a-t-il dit, est entièrement basée sur la question
du chemin de fer intercolonial, conformémnet
aux recommandations de M. WATKIN, et
tout ce mouvement n'a pour but qu'une belle
et profitable opératien au profit de la compagnie du chemin de fer Grand Tronc.
L'
HON. M. ROSE—Peut-on supposer un
instant que mon hon. ami le président du
conseil se laisserait duper de la sorte? Mon
hon. ami d'Hochelaga lui suppose-t-il assez
peu de perspicacité pour ne pas pressentir
une pareille tentative? C'est un arrangement destiné a obtenir contre la confédération
les votes des membres opposés aux
chemins de fer. Eh bien! M. l'ORATEUR,
il parait que nous ne sommes que des dupes,
qu' on nous prépare une nouvelle spéculation
frauduleuse, et que l'hon. président du couseil, l'hon secrétaire provincial et d'autres
du gouvernement hostiles. aux chemins de
fer, sont des dupes comme nous. Ce
projet imaginaire les a tous trom és et M.
WATKIN qui, semblerait-il, possède l'astuce
de MÉPHISTOPHÉLÈS, a complétement abusé
le gouverneur-général et le secrétaire des
colonies et les a pris à son piége. Bien plus,
ses artifices ont atteint jusqu'au trône, car
Sa Majesté a parlé du projet dans son discours au parlement. (Ecoutez!)
L'
HON. M. ROSE — Peut-on supposer
que le gouvernement impérial se serait tellement préoccupé d'une spéculation du Grand
Tronc? De sa voix sonore mon hon. ami
me rappelle à l'ordre quand je réponds aux
arguments de ses amis. C'est sa seule
manière de répliquer. Pense-t-il que je ne
relèverai pas une accusation aussi grave?
L'
HON. M. HOLTON—Si j'ai rappelé
" à l'ordre! " c'est que je trouve singulier
qu'on accouple le nom de Sa Majesté avec les
termes de fraudes et d'abus. Les conseillers
de Sa Majesté sont les seuls responsables.
(Ecoutez!)
L'
HON. M. ROSE—Je répète que le
discours du trône que nous avons reçu
aujourd'hui et auquel je suis bien libre de
faire allusion, ne traite nullement cette mesure comme une spéculation du Grand-Tronc.
C'est réellement bien présomptueux de la
part de l'hon. membre pour Hochelaga de se
lever pour dire aux membres de cette
chambre. " Vous ne connaissez rien du
projet; vous ignorez complétement où on
vous mène; mais, dans ma perspicacité, j'ai
découvert que c'est tout simplement une
spéculation frauduleuse du Grand Tronc."
(Rires.) L'hon. monsieur croit-il réellement
ce qu'il a ainsi affirmé? Croit-il que tout le
projet n'est qu'une spéculation montée en
faveur de la compagnie du Grand-Tronc? Je
trouve qu'il a eu tort de réveiller les animosités contre cette companie en répétant
des
fables bonnes aujourd' hui à amuser des
enfants. Mais il est impossible que des
faux-fuyants de cette nature aient quelque
effet sur l'opinion des hon. membres. Voici
ce que dit a Reine dans le discours du
trône:
"Sa Majesté a été vraiment heureuse de donner
sa sanction à la réunion des délégués de ses
provinces de l'Amérique du Nord, qui, sur l'invitation du gouverneur général de Sa
Majesté, se
sont assemblés à Québec. Ces délégués ont adopté
des résolutions ayant pour objet une union plus
intime de ces provinces sous un gouvernement
central. Si ces résolutions sont approuvées par
les chambres législatives des provinces, un projet
de loi vous sera présenté afin de mettre cette
importante mesure à exécution."
(Applaudissements redoublés!)
Tel est le langage que Notre Souveraine
adresse au parlement impérial et nous irions
céder à un appel aux préjugés contre le
monopole de la compagnie du Grand-Tronc!
Mais il y a plus: l'opinion de Sa Majesté
419
est partagée par les hommes d'Etat les plus
éminents d'Angleterre, par des hommes
dont les noms sont historiques. Que pense
lord DERBY de la confédération? La considère-t-il comme l'oeuvre d'une clique de
spéculateurs? En parlant des relations du
Canada et des Etats-Unis,—et ses observations s'accordent parfaitement avec celles
que j'ai faites au début,—voici ce qu'il dit
eu parlant de la défense des lacs au moyen
de navires de guerre:
"Je ne demande pas quelles mesures va
prendre le gouvernement de Sa Majesté, mais je
prétends qu'il assume une grande responsabilité,
s'il ne surveille pas activement les résultats qui
peuvent naitre de ces deux actes des Etats-Unis.
Si cette république a force prépondérante sur les
lacs ce ne peut être que dans un but d'agression.
(Ecoutez!) Une attaque du Canada contre les
Etats-Unis est une impossibilité physique. La
longue frontière du Canada est toujours ouverte
à l'agression. Attaquable par terre, si le Canada
n'a pas une force prépondérante sur les lacs, il est
à la merci des Etats-Unis."
Je préfère cette appréciation de lord
DERBY aux applaudissements ironiques de
mon hon. ami de Chateauguay Ce que le
noble Lord a dit du projet de confédération
dans ses relations avec la défense des provinces
et les forces additionnelles que doit nous
envoyer le gouvernement anglais, passe pour
moi avant tout ce que l'hon. membre et les
autres adversaires du projet pourraient dire.
En parlant du projet même, le noble Lord
s'ecprime ainsi:
"Dans les circonstances actuelles je vois avec
satisfaction l'annonce du projet de confédération
des provinces de l'Amérique Britannique du Nord.
Cette confédération devra donner un pouvoir assez
fort, avec l'aide de l'Angleterre qui, je l'espère, lui
est assurée, pour acquérir une importance que les
provinces n' auront jamais séparément. Si je pouvais voir dans ce projet une tendance
des provinces
à se séparer de nous je n'hésiterais pas à en
contester les avantages. Mais j'ai vu avec satisfaction qu' il n'existe aucun symptôme
de ce désir.
Il est peut-ètre prématuré de discuter en ce
moment les résolutions soumises aux différentes
législatures. Mais je vois dans les termes du projet
sincère désir de la part des provinces de
s'assurer les avantages de l'union avec la mère- patrie, et une préférence marquée
pour les institutions monarchiques, sur les institutions républicaines."
Eh bien! pouvait-il être dit quelque
chose de plus à propos que ces paroles de
l'un des hommes d'Etat les plus distingués
de;'Angleterre? Soyez unis, nous dit-il,
afin d' être plus forts, et soyez assurés que la
Grande-Bretagne entière viendra à votre
secours. Peut-il y avoir quelque chose de
plus agréable et de plus encourageant pour
ceux qui ont pris de l'intérêt dans la question
que le langage que je viens de citer et dont
on s'est servi dans la chambre des lords il
n'y a pas trois semaines? (Ecoutez!
écoutez!) Néanmoins, mon hon. ami d'Hochelaga, en dépit de tout cela, ne craint pas
de
se lever et de nous dire que nous sommes des
enfants et que nous nous laisons éblouir par
l'idée que nous allons former une grande
nation ou confédération de provinces, mais
que cette idée est fausse; et il essaie de
réveiller les réjugés des membres de la
droite afin de leur faire abandonner le gouvernement sur la mesure importante que
celui-ci a introduite et que les plus grands
hommes d'Etat en Angleterre ont favorisée de
leur approbation. (Ecoutez! écoutez!) La
chambre me permettra, j'espère, de citer
quelques paroles de plus de la discussion sur
l'adresse ans la chambre des lords:—voici
ce qu'a dit entr'autres le comte GRANVILLE,
le président du conseil:
"Une autre considération bien propre à nous
enorgueillir de la manière habile dont notre pays
est gouverné, est de voir nos colonies de l'Amérique du Nord, tout en exprimant leur
désir
de rester unies à la métropole en prenant après
des délibérations calmes, prudentes et pleines de
sens politique, les moyens de créer de nouvelles
institutions, vouloir conserver dans la plus grande
mesure possible la constitution et les institutions
sous lesquelles nous avons le bonheur de vivre."
(Vifs applaudissements.)
Cet orateur distingué n'essaie pas de
rapetisser la taille des auteurs du projet
actuel, comme le font les hon. membres de
de la gauche, et ne raille pas du tout ceux
qui ont tout mis de côté pour s'occuper de
la mesure et la mener à bonne fin; au contraire, il exalte " le calme et la prudence
de
leurs vues politiques," et ajoute que c'est
pour eux un digne sujet de fierté et
d'orgueuil. Je répète, pour ma part, que
ceux qui ont pris fait et cause dans l'élaboration et la mise en voie d'exécution
de ce
grand projet, doivent être fiers de leur
œuvre en voyant les plus habiles politiques
du monde entier le citer comme chose d'une
perfection étonnante, attendu les difficultés
dont les auteurs étaient environnés. Qu'on
ne crois pas qu'il n'y ait ou qu'un seul parti
en Angleterre qui lait reconnu; non, libé
raux: et conservateurs n'ont eu qu'une voix
à ce sujet: et voici ce qu'a dit lord
HOUGHTON:
420
"Le même courant d'idées s'est manifesté de
l'autre côté de l'Atlantique sur l'union projetée des provinces anglaises de l'Amérique
du Nord: c'est pourquoi, je concours pleinement dans l'éloge qu'a fait mon noble ami
l'auteur de la présente adresse de ce projet. C'est
un spectacle digne de toute notre considération
que de voir, milords, cette mesure prendre naissance dans le gouvernement de Sa Majesté,
et c'est
assurément déroger de la vieille politique anglaise
au sujet des colonies, que d'être appelés à nous
prononcer sur un projet destiné a relier ensemble,
sous un régime presque indépendant, nos colonies
de l'Amérique du Nord, régime approuvé par la
couronne elle-même. Cependant, nous croyons
que quoique en possession de leurs nouvelles institutions elles sauront reconnaitre
la valeur de
l'union avec la métropole, et que sielles sont plus
a l'abri du danger ainsi unies ensemble nous
ne serons pas plus inquiets de leur loyauté. Le
projet devra exiger de nous, milords, beaucoup de
considération et d'attention pour ne pas blesser
les susceptibilités provinciales, car nous aurons à
nous ocuuptr de provinces anglaises habitées par
une population tonte différente par les coutumes
et l'origine. J'espère que le succès couronnera nos
efforts et que les Canadiens-Français qui font partie
de ce grand empire de l'Amérique du Nord en
retireront autant de garanties et de bonheur que
possible."
Ceux qui prétendent que le peuple entier est
opposé à cette mesure sont très peu au fait,
j'en suis convaincu, de l'opinion du pays.
Je crois, au contraire, ne ce qui a été fait
jusqu'ici a reçu l'approbation la plus complète, et je sais que ceux qui ont en a
parence le plus à craindre de la mesure et ont
les intérêts sont peut-être les plus menacés,—
la minorité anglaise du Bas-Canada,—l'ont
examinée avec soin et en dépit de l'opposition qu'ils avaient d'abord manifestée,
la
supportent aujourd'hui avec chaleur. Je
fais en ce moment plus particulièrement
allusion aux électeurs que je représente et
qui ont en jeu ces grands intérêts de commerce, de navigation, de banque, d'industrie
et de progrès matériel dont Montréal est
regardé comme le centre. Eh bien! cette
partie de la population du pays, la plus
capable de juger d'une question de cette
importance, a étudié le projet avec calme et
au point de vue pratique et en est arrivée à.
la conclusion qu'il est des plus propres a
favoriser les intérêts les plus chers et la
prospérité de la province. (Ecoutez! écoutez!) Quoique sachant bien qu'elle serait
en minorité dans la législature locale et
qu'elle se trouverait séparée de ceux de sa
race et de sa foi en Haut-Canada, cependant
après avoir considéré combien étaient importants les intérêts mis en jeu, elle n'a
pas
hésité à courir les risques de la mesure et à
travailler de concert à la mettre à exécution.
(Ecoutez! écoutez!) Je crois, M. l'ORATEUR, que d'un autre côté, nous n'avons pas
un moment à perdre pour en arriver là, car
la question de l'armement du pays est des
plus imminentes. (Ecoutez! écoutes!) Je
le répète, il n'y a pas un jour, pas une heure
à perdre, et je pense que du moment où ce
pays sera mis sur un bon pied de défense,
l'union deviendra la meilleure sauvegarde
que nous pourrons avoir. Si nos voisins
s'aperçoivent que nous avons les moyens de
les tenir en échee au seuil de nos frontières pendant tout un été, nous pourrons
alors nous défendre d'une manière efficace.
J'espère que nous continuerons longtemps
encore à. jouir des bienfaits de la paix, que
les bons rapports qui doivent exister entre
le Canada et les Etats-Unis ne cesseront
jamais, que deux peuples qui ont en commun
tant de liens de sang et d'affaires, ne deviendront jamais ennemis; et je suis d'opinion
que nous fassions toutes les concessions
compatibles avec notre dignité nationale
afin d'éviter la guerre. Car, il n'est personne qui apprécie comme je le fais les
fruits heureux de la paix et qui n'appréhende comme moi les horreurs de la guerre.
Mais, d'un autre côté, il ne faut pas nous
cacher que depuis trois ou quatre ans nous
avons été sérieusement menacés. Personne
ne peut dire à quelle époque éclatera sur
nos têtes le nuage qui obscurcit notre horizon,
c'est pourquoi ceux aux mains de qui sont
confiées les destinées dela patrie doivent être
prêts à tout faire en leur pouvoir pour parer
à de telles éventualités. Nous ne pouvons
abandonner la position que nous avons prise;
nous ne pouvons reculer; il nous faut avancer et il est évident pour moi que si nous
ne
terminons pas ce qui est déjà. commencé nous
aurons lieu de nous en répentir plus tard.
Je me permettrai maintenant d'ajouter encore
un mot, car je m'aperçois que j'ai déjà été
trop long et j'en demande pardon à la
chambre. (Cris de:—continuez! continuez!)
Je crains en vérité d'avoir dépassé les limites
que je m'étais fixées: c'est pourquoi une
considération encore et j'ai fini. Mon hon.
ami (M. DORION), a prétendu que ce projet
allait nous ruiner et qu'il comportait des
conditions financières injustes pour cette
province: il est dommage qu'il n'ait pas
réussi à nous prouver la justesse de cette
assertion à l'égard d'aucune des colonies. Il
n'y a rien, suivant moi, de plus juste dans
ce contrat de société, fermé entre les cinq
421
provinces, que le montant de la dette soit égalisé au moment de l'union et qu'on indemnise
par une somme fixe celles dont la proportion
est moindre. Un tel principe n'a certainement rien d'injuste. L'intérêt de la dette,
quel qu'il soit, devra se payer par des taxes
et je n'en disconviens pas:
"Mais, ajoute mon hon. ami, les provinces d'en
bas étant bien moins capables que nous de supporter ces taxes, le plus lourd du fardeau
retombera
donc sur le Bas et le Haut-Canada, et surtout sur
le commerce de Montréal."
Eh bien! qu'y a-t-il d'injuste en cela?
N'est-ce pas juste que la partie la plus riche
d'un pays paie le plus d'impôts? Mon hon.
ami prétend-il dire par hasard que le plus
fort consommateur ne doit pas payer le plus
d'impôts? Si la population des Canadas
consomme plus que celle des autres provinces ne doit-elle pas contribuer au revenu
public suivant sa consommation?—" Mais,
dit encore mon hon. ami, les provinces du
golfe auront leur 80 centins par tête, pendant
que nous n'aurons rien, quoique étant les
plus forts consommateurs "— et il ajoute—
" la quote-part des provinces d'en-bas au
revenu sera infinitésimale,"—Supposons que
tel soit le cas, est-ce que nous devons dans
une discussion comme celle-ci déprécier les
avantages que le contrôle des pêcheries
donnera un gouvernement général? Qu'on
se rappelle que ces pêcheries formeront une
des considérations les plus importantes à
faire valoir dans les négociations qui devront
avoir lieu au sujet du traité de réciprocité
avec les Etats-Unis, auquel le Haut-Canada
attache une si grande importance: d'où
il suit que le Canada, sous le régime
fédéral, accordera ce qu'il jugera à propos
en fait de droits de pêche aux Américains.
Sous ce rapport, la position commerciale de
l'agriculteur du Haut-Canada et du négociant du Bas-Canada sera de beaucoup
améliorée par le fait que la concession de
droits de pêcheries leur procurera des avantages dans d'autres branches de commerce;
car, je le répète, la direction de la politique
future des provinces confédérées appartiendra en grande partie au Canada. (Ecoutez!
écoutez!)—" Mais, dit mon hon. ami, vous
allez vous charger d'une dette énorme!
Voyez, — le Bas-Canada, lors de l'union
actuelle, devait $300,000 ou $400,000, et
aujourd'hui la dette des deux provinces
s'élève à $67,000,000."—C'est vrai: mais
on voudra bien remarquer que la population,
du Bas-Canada n'était alors que 600,000 et
celle du Haut-Canada de 400,000: —on
était sans chemins de fer, et aujourd'hui
nous comptons plus de 2,000 milles de
voie ferrée. (Ecoutez! écoutez!) Nous
avions alors à peine un phare et nous en
avons parsemé le St. Laurent et les lacs
depuis le lac Supérieur jusqu'à Belle-Ile.
(Ecoutez! écoutez!) Nous étions sans
système d'éducation, et voyez quel est aujourd'hui l'état de l'instruction parmi nous.
(Ecoutez! écoutez!) Nous n'avions pas un
seul canal lors de l'union, et notre système
actuel est le plus beau du monde entier.
(Ecoutez! écoutez!) Nous étions sans
régime municipal et jetez aujourd'hui les
yeux sur celui du Bas-Canada. (Ecoutez!
écoutez!) La tenure seigneuriale existait
alors, opprimant le peuple et arrêtant l'insdustrie et les entreprises: n'a-t-elle
pas été
abolie? (Ecoutez! écoutez!) Mon hon. ami
serait-il le seul a former les yeux au progrès
et aux réformes qui se sont accomplis
depuis? Mon hon. ami ne sait-il pas que sur
les $62,000,000 qui constituent la quote- part de la dette du Canada, il a été depensé
plus de $49,000,000 pour les travaux publics,
qui représentent encore cette valeur?
L'
HON. M. ROSE—Mon hon. ami répond
—" pas en Bas-Canada ": —mais prétendrait- il que la chaîne de canaux qui a été construite
pour diriger le trafic de l'Ouest vers
Montréal et Québec, n'a pas produit d'avantages au Bas-Canada? (Ecoutez! écoutez.)
Eh! quoi,—mais ce sont précisément ces
travaux qui dans les dernières années ont
accru les affaires maritimes de Montréal de
cinq cent pour cent? Est-ce que mon hon.
ami soutiendrait que la mise en rapport du
Grand-Tronc avec les voies ferrées de l'Ouest
des Etats-Unis n'a pas profité au Bas-Canada? que la construction des glissoires d'Ottawa
pour faire descendre le bois à Québec,
n'a pas donné d'avantages au Bas-Canada?
Il ne mesurera pas, assurément, tout ce qui a
été fait sous forme d'améliorations et de travaux publics, d'après un point de vue
aussi
étroit, aussi local et qui irait à dire que tous
deniers dépensés dans un endroit et qui ne
profitent pas à ce même endroit, est de
l'argent perdu. Est-ce là la politique qu'il
voudrait voir inaugurer sous le nouveau
régime?
L'
HON. M. ROSE—Oui, nous avons
422
aussi le pont Victoria.—Mon hon. ami
croit-il que-nous aurions une construction de
cette importance si la politique dont il fait
profession avait été adoptée?
L'
HON. M. ROSE—C'est impossible de
rester ce que nous sommes aujourd'hui. Je
voudrais, M. l'ORATEUR, vivre encore 25
ans, après que l'union projetée aura été
consommée, pour me réjouir d'y avoir coutribué quelque peu, si la prospérité des 25
années à venir devait être aussi grande
que celle des 25 années passées. (Ecoutez!
écoutez!) Mon hon. ami semble croire que
le chemin de fer intercolonial est une entreprise d'un mérite douteux, si elle n'est
pas
absolument inutile. Mais croit-il que nous
pouvions en toute sûreté continuer, comme
nous le fesons, à dépendre, commercialement
parlant, des Etats-Unis? Ne nous sera-t-il
jamais permis d'avoir un port de mer par
lequel nous pourrons expédier nos marchandises et nos lettres? Devons-nous rester
à
jamais dans la dépendance de la législation
fiscale des Etats-Unis? En devrons-nous venir
au point que le fermier du Haut-Canada ne
pourra expédier à l'étranger un baril de farine,
ni le négociant du Bas-Canada un colis de
marchandises, sans en avoir obtenu la permission des Etats-Unis? Mon hon. ami est-il
disposé à nous laisser à jamais dans cette
dépendance commerciale? Je ne puis
réellement croire que telle est sa pensée, et
qu'aucune considération ne peut justifier la
construction du chemin de fer intercolonial.
Je crois avec lui que l'entreprise est considérable et importante et entraînera beaucoup
de sacrifices de la part du pays: mais je
prétends qu'on ne peut s'y soustraire. C'est
une nécessité et il nous faut y obéir. Des
raisons de sûreté publique et d'affaires nous
y poussent, et nous ne saurions tarder d'en
entreprendre la construction. N'avons-nous
pas vu, il y a pas encore si longtemps, les
Etats-Unis entraver notre transit chez eux
par l'ordonnance des certificats consulaires,
à tel point qu'on ne pouvait expédier un
colis sur leurs chemins de fer sans l'accompagner d'un de ces certificats qu'il
fallait payer, me dit-on, jusqu'à $2.00,
c'est-à-dire quelque fois plus que la valeur
du colis lui-même ou le fret? (Ecoutez!
écoutez!) N'avons-nous pas vu le sénat des
Etats-Unis s'occuper d'une proposition tendant à déterminer les règlements auxquels
il faudrait soumettre le transit étranger dans
le but évident d'abroger le système en vertu
duquel le Canada pouvait faire venir en
entrepôt ses importations de l'Angleterre
par les Etats-Unis? Je ne crains pas de
dire que si le système américain de transit
était aboli la moitié des négociants canadiens
se trouveraient gravement compromis dans
leurs affaires, si non ruinés du coup,
(écoutez! écoutez!)—car, en hiver, il serait
impossible d'envoyer en Angleterre un
seul baril de farine, ni d'en recevoir un seul
ballot de marchandises. Nos négociants
auraient à se pourvoir de marchandises pour
douze mois, et le fermier deviendrait à la
merci du marché du printemps et se trouverait forcé de vendre sur le champ à bonne
composition ou non, car il n'aurait plus,
comme aujourd'hui, un débouché toujours
ouvert et en Angleterre et aux Etats-Unis.
On voit donc qu'à tout prix la construction
du chemin de fer intercolonial devra se
faire, car il est impossible que nous continnuions de rester isolés et dépendants
comme
nous le sommes aujourd'hui. C'est là un de
ces désavantages de notre situation qu'il nous
faut subir. Sans doute, il nous en coûtera
beaucoup, mais nous devons nous y résoudre
et le plustôt sera le mieux.
L'
HON. M. ROSE—Je termine. Je n'ai
pas l'espoir de convertir mon hon. ami; j'ai
voulu lui prouver combien cette voie de
communication est indispensable et combien
il est nécessaire qu'elle se fasse. Personne ne
peut prédire quel sera l'avenir de la république voisine, si elle restera une ou si
elle se
morcellera en deux ou plusieurs confédérations. Son avenir est sombre et incertain,
car on ne saurait douter que, de quelque
façon ne les choses s'y règlent, elle sortira
de ses dettes actuelles avec une dette énorme,
et éprouvera des difficultés presque insurmontables à ramener dans son sein la paix
et le bien-être d'autrefois. En comprenant
bien les avantages naturels de notre position,
—à moins que nous ne voulions les déprécier
de propos délibéré, — nous pouvons nous
assurer des relations avantageuses avec elle;
tant que le St. Laurent et l'Ottawa continueront de couler, tant que les lacs ne
s'assècheront pas, ils seront les routes naturelles des pays de l'Ouest vers l'océan,
et
423
nous pourrons toujours nous les rendre profitables. Nous n'ignorons pas la fertilité
des
Etats de l'Ouest; nous savons qu'elle est
inépuisable et c'est pour moi une chose
évidente que la nécessité où ils sont d'avoir
un autre débouché vers la mer que ceux de
New York et de Boston. Cette nécessité à
laquelle se trouvent réduits les intérêts tout
puissants de l'Ouest devra avoir une influence
décisive sur la politique commerciale des
Etats-Unis, et pour peu que nous sachions
attirer vers le St. Laurent les produits de cette
partie de la république voisine en lui donnant
encore plus d'avantages, on ne saurait douter
que nous nous assurerons ainsi des garanties
pour la paix future des deux pays. Cette
chambre se rappelle les résolutions qui furent
adoptées sur cette question par les états du
Wisconsin et d'Illinois, il y a une couple
d'années, et qui contenaient un ou deux faits
de la plus haute valeur comme preuve de la
nécessité pour les Etats de l'Ouest d'avoir un
débouché vers la mer par le St. Laurent. Le
mémorial basé sur ces résolutions citait les
faits suivants:
"Quoiqu'il n'y ait eu de cultivé que la dixième
partie de la surface arable des Etats du N. O., le
rendement n'en a pas moins été pour 1862 de
150,000,000 minots de blé, et, dans le seul Etat de
l'Illinois, la quantité de céréales exportée chaque
année, pendant les deux années qui viennent de
finir, aurait pu suffire amplement à nourrir une
population de dix millions. Depuis quelques années,
il se perd malheureusement sur champ une partie
des moissons, par suite de l'impossibilité où les
chemins de fer et les canaux se trouvent de ne
pouvoir tout écouler vers la mer; et le Nord-Ouest
semble avoir atteint une production telle que les
moyens de transport artificiels ne suffisent plus, et
qu'il lui faut de toute nécessité recourir aux débouchés que la nature elle-même a
créés. Depuis deux
ans il n'a cessé d'encombrer les convois de chemins
de fer et les canaux de plus de 100,000,000 de
minots de grain, à part les quantités immenses
d'autres produits, et un chiffre énorme de bêtes à
cornes et de troupeaux de porcs. La prospérité
future des Etats qui bordent les grands lacs
dépend donc en grande mesure des moyens faciles
de transport qu'ils auront vers les marchés
étrangers; aussi ont-ils un intérêt vital dans la
question de l'ouverture du St. Laurent, qui est le
débouché naturel des lacs vers la mer et qui est
aussi la voie par laquelle l'Angleterre pourrait
augmenter de beaucoup ses importations de
céréales et de produits des Etats-Unis, et cela à
un quart de moins qu'auparavant. L'expérience
certaine a démontré, dans les chargements de blé
d'Inde de Chicago pour Liverpool, que le fret
s'élève souvent jusqu'à 7/8 de la valeur du minot
rendu à Liverpool, et plus que la moitié du prix du
blé se trouve perdu aujourd'hui par suite de
l'insuffisance des moyens de transport. La consommation européenne de nos ceréales
en déter
mine le prix sur tous nos marchés. L'excédant de
céréales du Nord-Ouest est de 50 à 60,000,000 de
minots sur la demande des Etat de l'Est, et lorsque ce surplus est exporté sur leurs
marchés, ce
sont les cotes étrangères qui fixent la valeur de
la récolte toute entière. L'intérieur de l'Amérique
du Nord est arrosé par le St. Laurent, qui assure
ainsi aux pays qui bordent les lacs un débouché
naturel vers la mer, et c'est par ce magnifique
chenal que doivent s'acheminer les produits agricoles de la vaste région des lacs.
L'esprit commercial de notre époque empêche les jalousies
internationales de s'étendre jusqu'aux grandes
voies naturelles de communication, et les gouvernements anglais et américain sauront
apprécier
la valeur de cet esprit et se soumettre à son
influence. Une fois le débouché ouvert dans
toute sa plénitude jusqu'à la mer par le St.Laurent,
les lois naturelles du commerce que la politique
des Etats-Unis a toujours entravées, reprendront le
dessus et y achemineront les produits du Nord- Ouest."
C'est pourquoi, je vous le dis:—Donnez- nous le chemin de fer intercolonial; donnez-
nous le contrôle du St. Laurent; donnez- nous un gouvernement au moyen duquel
nous puissions inaugurer une politique nationale; donnez-nous la haute-main sur les
pêcheries, et nous pourrons nous assurer avec
les Etats-Unis une réciprocité d'échanges
telle que le Haut-Canada le veut. Si, au
contraire, nous restons désunis, si les provinces du golfe gardent le contrôle des
pêcheries, et si le Canada n'a rien à offrir
pour ce qu'il demande des Etats-Unis en
fait de relations commerciales, de céréales,
etc., j'affirme que notre position devient des
plus critiques. Mais j'ai parlé plus longtemps que je ne le voulais, et je sens que
la
chambre est fatiguée—(cris de: Non! non!
" Continuez! "): je suis tombé dans le
même faute que mes devanciers. Cependant, je veux encore faire une dernière
observation; ce sera ma conclusion. On a
dit qu'il fallait une dissolution des chambres
avant de décider finalement de la question.—
eh! bien, M. l'ORATEUR, le temps presse
trop pour cela. Je le répète de nouveau,
nous n'avons ni un jour, ni même une heure
à perdre avant d'entreprendre ces grands
travaux de défense qui pourront peut-être
seuls sauver notre autonomie.
L'
HON. M. ROSE —Est-ce que quelqu'un
sait, et au cas où il le saurait, devrait-il
dire où ces ouvrages doivent être faits? Tout
424
ce que nous savons c'est qu'il devra être
fait pour l'armement du pays de grandes
dépenses dont les provinces d'en-bas et le
gouvernement impérial paieront leur part.
Comment veut-on que je sache ou comment
veut-on que j'apprenne à ceux qui me le
demandent, dans le cas où je le saurais, si ces
travaux seront exécutés à la Pointe-Lévis, à
Montréal, à Kingston, à Toronto ou ailleurs?
Le fait qu'il y aura des travaux, et de très
considérables, d'exécutés pour mettre le pays
à l'abri d'un coup-de-main et d'une invasion,
ne souffre pas de doute; car, ne savons-nous
pas tous qu'il a été envoyé ici, à diverses
reprises, des ingénieurs éminents par les
autorités anglaises afin d'examiner les points
les plus propres à être convertis en places
fortes?
L'
HON. J. S. MACDONALD —Dans
quelle proportion devrons-nous contribuer à
la construction de ces travaux militaires?
L'
HON. M. ROSE—Autant, j'espère, qu'il
sera juste et nécessaire. (Applaudissements.)
Quant à moi—et je sais que mes sentiments
sont partagés par chacun de mes hon. auditeurs—je suis prêt non-seulement à dépenser
l'argent des autres, mais encore, s'il est
nécessaire, à donner mon dernier chelin pour
la construction de ces travaux du moment
qu'ils seront jugés essentiels à la défense du
pays! (Ecoutez! écoutez! et applaudissements.) Je regarde ces précautions comme
aussi nécessaires que d'assurer sa propre
maison contre l'incendie. Si l'hon. monsieur
prétend que, du moment où il s'agira de
notre existence nationale, le peuple chicanera sur une question d'argent, je dois
l'assurer qu'il se méprend et qu'il connaît
très peu l'opinion publique. Le peuple est
prêt à se taxer jusqu'au dernier sou pour se
préserver de l'agression étrangère. (Ecoutez!
écoutez!) Je ne me donne pas pour savant
en fait d'opérations militaires; mais tout
homme qui a la tête sur les épaules doit être
convaincu qu'il nous faut des travaux de
quelque espèce pour nous garantir de
l'agression.
M. T. C. WALLBRIDGE—Je prétends
avoir tout aussi bien la tête sur les épaules que
l'hon. monsieur; mais je lui demanderai si le
chemin de fer intercolonial, qui fait partie de
la constitution, est considéré comme fesant
partie des travaux dont il parle?
L'
HON. M. ROSE—Je ne crois pas que
le chemin de fer intercolonial fasse partie de
la constitution; sa construction seule y est
décrétée, et un chemin de fer de ce genre,
aussi nécessaire au point de vue militaire
qu'au point de vue commercial, est indispensable; bien plus, j'ose dire que le pays
s'engagera de bon cœur dans les frais de sa construction. (Ecoutez! écoutez!) Quant
à la
question d'un appel au peuple sur la question
qui nous occupe en ce moment, je demanderai
s'il est un seul député qui ne sache pas
l'opinion de ses électeurs et qui ne sache
pas s'ils sont favorables ou non à l'union
projetée? Est-il un député qui ne connaisse
pas la volonté de ses mandataires à ce sujet,
et qui ne soit pas prêt à prendre la responsabilité de son vote? Je ne crois pas qu'il
y en ait un seul. Qu'on me montre un seul
député de cette chambre qui croit sincèrement qu'en cas de dissolution et d'un
appel au peuple sur la confédération, les
élections tourneraient sur cette seule question, et qu'il ne viendrait pas s'y mêler
ni
prédilections individuelles, ni questions personnelles ni questions de localité? Ne
serait- ce pas d'ailleurs une anomalie que d'élire un
parlement dont le premier acte serait de se
détruire lui-même? Car il ne faut pas se
dissimuler qu'il ne lui resterait qu'à choisir
le genre de constitution qui doit remplacer
la sienne. Il y a dans un tel acte quelque
chose de si anormal, de si inconstitutionnel
et de si absurde, que je pense que le
pays le verrait d'un œil défavorable. Je crois
que nous sommes suffisamment instruits de
l'opinion, de l'opinion calme et réfléchie du
pays, et cela après une appréciation intelligente de la question sous toutes ses faces:
c'est pourquoi, je ne pense pas qu'il y ait
rien à gagner dans les frais et les délais
d'une élection; au contraire, je sais que dans
la partie importante de la province que je
représente, en en est venu à cette conclusion,
non d'après un amour inconsidéré du changement, non d'après aucun désir ardent,
temporaire, ou vague de faire partie d'une
grande nation, au risque de compromettre
ses relations avec l'Angleterre ou ses intérêts, mais après que sa raison et le jugement
de ses habitants l'eurent convaincue
que cette mesure était nécessaire à notre
existence. (Ecoutez! écoutez!) Je dois
m'excuser de nouveau d'avoir si longtemps
occupé l'attention de la chambre, et exprimer
mes remerciments de ce que l'on ait daigné
m'écouter avec tant de bienveillance. (Vifs
applaudissements).
L'
HON. M. HOLTON—Je désirerais dire
425
un mot avant que la question d'ajournement
ne soit mise aux voix. J'ai écouté avec une
très grande attention le discours de mon
hon. ami de Montréal—Centre (M. ROSE) qui
a surtout parlé des défenses du pays. Je reconnais avec lui la grande importance du
sujet;
mais je prétends que nous ne sommes pas
encore en mesure d'apprécier les arguments
de mon hon. ami, non plus que des hon. messieurs qui ont parlé sur cette question,
et que
c'est à peine si nous pouvons prendre la
chose en considération. J'affirme qu'il ne
convient pas d'introduire dans la discussion
un élément de cette gravité, du moment que
le gouvernement nous prive de renseignements officiels dont il est permis de le
croire en possession sur le sujet; et je me
lève pour exprimer l'espoir que les hon.
ministres comprendront la convenance de
communiquer à cette chambre les renseignements les plus complets sur cette question.
(Ecoutez! écoutez!) Je suis certain,
d'ailleurs, que mon hon. ami qui vient
de s'asseoir conviendra avec moi de la
justesse de ma demande, et que nous ne
saurions apprécier comme il faut cette partie
de la question de confédération tant que
nous n'aurons pas devant nous tous les renseignements que le gouvernement possède
à
cet égard. Je désire donc, et cela en commun,
je suis sûr, avec tous les hon. députés qui
m'entourent, qu'avant de prolonger davantage
les débats, ces renseignements importants
soient communiqués à la chambre sous une
forme distincte. (Ecoutez! écoutez!)
L'
HON. J. S. MACDONALD—Mon
hon. ami de Chateauguay (M. HOLTON)
vient d'appeler, avec à propos, l'attention du
gouvernement sur la nécessité de mettre
devant cette chambre toutes les informations
désirables sur la somme qu'il nous faudra voter
pour la défense du pays. Tout le monde
sait que l'Angleterre a envoyé ici des officiers
chargés d'examiner l'état de défense du pays,
les sites les plus propres à être convertis en
forteresses et les points d'appui sur lesquels
nous serions obligés de nous replier dans le cas
où l'ennemi s'avancerait jusque sous nos murs;
ces officiers ont rédigé leur rapport pendant
que j'étais au ministère il y a déjà plus d'un
an, et il me répugne de croire qu'on aurait
caché aux hommes si remplis de loyauté qui
composent l'administration actuelle la somme
que nous aurons à voter pour ce sujet.
(Ecoutez! écoutez!) C'est là, ce me semble,
une partie de la question qui nous occupe
en ce moment, sur laquelle nous devrions
être renseignés avant de pouvoir traiter
comme il convient le projet entier. La
constitution anglaise veut que tout crédit
voté sur les deniers publics soit laissé
à la discrétion du parlement. C'est pourquoi nous avons droit de savoir le plus
tôt possible, et pour voir clair dans le
projet de confédération, quelle somme on va
exiger de nous sur ce sujet (Ecoutez!
écoutez!) Il y a encore un autre point sur
lequel nous n'avons pas ou d'autres informations que celles que m'a données ce soir
l'hon. député de South Oxford; le gouvernement, c'est-à-dire la partie du gouvernement
qui représente le Haut-Canada et
qui est responsable plus particulièrement de
ses actes à cette partie de la province; le
gouvernement, dis-je, ne devrait-il pas en
même temps s'occuper de déterminer jusqu'à
quel point les catholiques du Haut-Canada
pourront se trouver en mesure de conserver
leurs écoles, d'avoir leur part des deniers
publics et de jouir en général des mêmes
priviléges qui, suivant la déclaration du
procureur-général du Bas-Canada, doivent être
accordés aux protestants du Bas-Canada? Je
n'ai aucune opinion à exprimer en ce
moment sur la justice des demandes faites
par les protestants du Bas-Canada; je ne
suis pas prêt non plus à dire ce que je
ferai lorsque la question viendra sur le
tapis, et lorsqu'il s'agira aussi de donner
aux catholiques du Haut-Canada plus de
droits qu'ils en ont; mais je prétends que
le gouvernement devrait aborder de suite
la question de savoir si l'on doit mettre les
catholiques du Haut-Canada sur le même
pied que les protestants du Bas Cette
question intéresse au plus haut point les
catholiques du Haut-Canada, et à l'heure
qu'il est ils sont représentés ici par une
députation chargée de faire connaître leur
demande. Il n'y a pas de doute que pour
faire valoir ce qu'ils considérent leurs droits
ils ne se serviront pas de la proposition d'accorder aux protestants du Bas-Canada
les
priviléges qu'ils réclament pour eux-mêmes.
Tenez-vous donc pour certains que le jour
où les protestants du Bas-Canada viendront
réclamer leurs droits ils devront faire valoir
également ceux des catholiques du Haut- Canada et se déclarer prêts à exercer envers
eux la même justice qu'ils réclameront des
catholiques du Bas-Canada.
L'
HON. M. BROWN—Mon hon. ami
de Cornwall (M. J. S. MACDONALD) n'est
certainement pas d'accord avec lui-même en
426
exprimant une telle opinion, et il me semble
qu' il devrait attendre pour le faire ne ceux
pour qui il parle l'en aient chargé, lui ou
un autre qui partage leurs vues. Pourquoi
voudrait-il nous forcer d'adopter une ligne
de conduite et des opinions qu'il désupprouve lui-méme?
L'
HON. J. S. MACDONALD—Mon hon.
ami ignorerait-il par hasard les résolutions qui
ont été passées par les catholiques du Haut- Canada? Ne sait-il pas que le grand-vicaire
MCDONNELL, de Kingston, est en ce moment
à Québec pour tâcher de les faire prévaloir?
Croit-il que je ne demanderai pas au gouvernement de faire connaître ses vues sur
la
question parce que je partage telle ou telle
opinion? J 'afirme donc que sa réponse ne
saurait étre remise pour les raisons données
ce soir par le président du conseil (l'hon.
M. BROWN), c'est-à-dire, que la question
devra étre prise en considération. C est en
effet un sujet digne d'attention et j'insiste à
provoquer celle du gouvernement afin qu'il
soit prêt lorsque la uestion se présentera.
L'
HON. J. S. MACDONALD — Je
veux que les hon. députés qui occupent les
fauteuils du ministère soient prêts, lorsque la
question leur sera faite, à dire ce qu'ils sont
pour faire à l'égard de la minorité catholique
du Haut-Canada, ainsi que le procureurgénéral du Bas-Canada l'a déclaré sans hésiter
pour ce qui regarde la minorité protestante
du Bas-Canada. (Ecoutez! écoutez! Je
n'occupe pas un siége dans cette chambre à
titre e champion d'aucune croyance religieuse, mais je suis ici pour veiller à ce
que
justice soit faite à tous, et comme tel je dis
que nous avons droit de savoir si les distinctions privilégiées que l'on se prepose
de faire
en faveur d'une minorité d'une partie de la
province seront suivies de semblables distinctions privilégiées accordées à la minorité
de
l'autre partie de la province (Ecoutez!
écoutes!)
La proposition pour l'ajournement des
débats est alors adoptée.