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Assemblée Législative, 21 Février 1865, Provinces de L'Amérique Britannique du Nord, Débats de la Confédération.

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MARDI, 21 février 1865.

L'HON. SOL-GÉN. LANGEVIN — M. le PRÉSIDENT:—Ce n'est pas sans hésitation que je me lève en cette occasion pour prendre la parole dans cette chambre, car j'y vois les représentants de plus de deux millions et demi d'habitants, qui sont appelés à régler les plus grandes affaires du pays, et à s'occuper spécialement d'une question qui intéresse les destinées non seulement des deux Canadas, mais aussi de toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord. Je dois avouer que j'éprouve une grande hésitation et une grande défiance de moi- même, quand je considère l'importance de la mesure soumise à nos délibérations et les conséquences qui peuvent en résulter pour nous-mêmes et pour nos descendants. Cette mesure est si grandiose, les intérêts qu'elle affectera sont si considérables, que l'on ne doit pas être étonné si je l'aborde avec défiance et hésitation. Cette question de la confédération se trouve liée aux intérêts communs des empires et à la politique générale des peuples, car il n'est pas indifférent pour les grandes nations qui gouvernent le monde de savoir à qui appartiendront les provinces de l'Amérique Britannique du Nord. Il suffit de relire l'histoire pour savoir combien les nations s'intéressent à la création d'un nouveau peuple, et, dans cette circonstance, les mille voix de la presse nous disent combien la question de la confédération intéresse l'Amérique et l'Europe même, et avec quel intérêt les gouvernements suivent ce que nous faisons ici. Et cet intérêt est légitime et naturel, puisque la mesure actuelle est destinée à nous faire prendre rang dans la grande famille des nations. Cette question intéresse de plus tout spécialement l'Angleterre et les Etats-Unis, autant que nous- mêmes. L'Angleterre a intérêt à voir ces provinces bien gouvernées et bien administrées; elle est intéressée à ce qu'elles soient prospères, libres, satisfaites et heureuses; elle a intérêt à ce qu'elles aient un bon gouvernement et qu'elles soient si bien gouvernées qu'elles ne soient pas à charge à la métropole, mais, au contraire, qu'elles deviennent puissantes et en position de pouvoir aider l'Angleterre dans certaines circonstances. D'un autre côté, les Etats-Unis ne doivent pas voir sans satisfaction les provinces de l'Amérique Britannique du Nord former une puissante nation. Ils doivent voir cela sans jalousie; ils doivent désirer que nous ne soyons pas une nation faible, afin que nous puissions maintenir notre neutralité, entretenir avec eux de bons rapports, et maintenir les relations amicales qui doivent toujours exister entre voisins. Mais si cette question intéresse l'Angleterre et les Etats-Unis, elle nous intéresse encore davantage, nous dont les destinées sont en jeu, nous dont la position est plus belle que celle qui a jamais été faite à aucun peuple; car il n'est donné à tous les peuples de pouvoir décider de leurs destinées en temps de paix, sans qu'ils aient à répandre de sang, et de se donner une constitution qui les mette en état de marcher dans la voie du progrès et décider en toute liberté de leur position dans le monde. En 1840, quand il s'est agi de faire l'Union des deux Canada, nous n'étions pas dans une aussi belle position qu'aujourd'hui, puisque cette Union nous a été imposée malgré nous, et que jamais nous n'avons été consultés à cet égard. On se rappelle qu'à cette époque notre langue a été proscrite 370 crite pendant un certain temps, et que notre position fut aussi mauvaise qu'on put la faire. Nous avions bien l'égalité dans la chambre, mais nous étions dans une position d'infériorité comme peuple. Il est vrai que l'on n'a pas réussi à nous tenir sous le joug, mais ce ne fut pas la faute de ceux qui nous avaient imposé l'Union; nous avons conquis la position que nous occupons aujourd'hui par notre énergie et notre constance, avec l'aide d'une partie des représentants du Haut-Canada. Aujourd'hui, les choses sont bien changées; nous sommes au milieu d'une grande révolution, mais une révolution pacifique, et nous sommes en mesure de délibérer pour savoir si nous changerons notre constitution et de dicter nos conditions. Nous sommes appelés à régler nous-mêmes notre avenir, notre sort futur, et nous manquerions à notre devoir et à ceux que nous réprésentons, si aujourd'hui nous refusions la position qui nous est offerte par les résolutions adoptées à la conférence de Québec. L'hon. membre pour Hochelaga (M. DORION)— que je regrette de ne pas voir maintenant à son siége—
L'HON. M. HOLTON—Il va être ici dans un instant.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon. membre pour Hochelaga nous a dit, l'autre soir, que le plan de confédération avait été adopté et proposé par le gouvernement actuel seulement pour faire taire le cri de la représentation basée sur la population. Eh bien! en supposant que cela soit réellement le cas, que mal l'hon. membre peut-il y trouver? N'est-il pas de la plus grande importance de faire cesser ce cri de la représentation basée sur la population, dans l'état où nous sommes aujourd'hui? La représentation basée sur la population nous aurait donné, dans la chambre, à nous, Bas-Canadiens, une position inférieure vis-à-vis le Haut-Canada, et aurait permis à ce dernier de législater pour nous, non seulement dans les affaires générales, mais aussi dans les affaires locales. L'hon. membre pour Hochelaga aurait dû être le dernier à reprocher au gouvernement actuel d'avoir, au moyen de cette mesure de confédération, fait taire le cri de la représentation basée sur la population. En 1854, l'hon. membre a admis, d'après ses propres aveux, que la représentation basée sur la population était juste en principe; et la conséquence de cette admission a été fatale. La conséquence a été que l'hon. membre a été obligé de continuer à marcher dans cette voie jusqu'à la formation de l'administration BROWN - DORION, en 1858, —administration qui n'a pas duré longtemps. (Ecoutez! écoutez!)
L'HON. M. HOLTON — Malheureusement! (Rires.)
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Ce gouvernement n'a pas duré longtemps, et je me réjouis d'avoir contribué, pour ma part, à le renverser; car il est probable que s'il se fût maintenu, la représentation basée sur la population nous aurait été imposée, et nous ne nous trouverions pas en ce moment dans la position que nous occupons, — dans la position de faire nos conditions comme le Haut-Canada, et de prendre part aux négociations d'un traité avec les provinces inférieures. C'est pour cela que je me réjouis d'avoir contribué à renverser ce gouvernement. L'hon. membre pour Hochelaga disait l'autre soir qu'en 1856 il avait dit ce qui suit:
"En 1856, lorsque le parlement siégeait à Toronto, je suggérai pour la premiére fois que l'un des moyens de surmonter les difficultés serait de substituer à l'union législative actuelle une confédération des deux Canadas, au moyen de laquelle les questions locales seraient soumises aux délibérations des législatures locales, avec un gouvernement central ayant le contrôle sur les questions commerciales et autres questions d'intérêt commun en général. Je dis que, considérant les différences de races, de religion, de langage et de lois qui existaient dans les deux sections du pays, c'était là le meilleur moyen de faire disparaître ces difficultés,—c'est-à-dire, de laisser à un gouvernement central les questions de commerce, de banque, de cours monétaire, de travaux publics d'un caractère général, etc., et de laisser à la décision des législatures locales toutes les questions locales. En même temps, je disais que si ces vues n'étaient pas acceptées, je serais certainement en faveur de la représentation basée sur la population, avec des conditions et garanties qui assureraient les intérêts de chaque section du pays et conserveraient au Bas-Canada les institutions qui lui sont chères."
Eh bien! l'on voit, par ce passage, que l'hon. membre pour Hochelaga voulait, en 1856, former une nouvelle constitution précisément pour faire taire le cri de la représentation basée sur la population. En 1858, il a formé, avec l'hon. président du conseil (M. BROWN), le gouvernement BROWN- DORION, et encore là il a stipulé que la question de la représentation basée sur la population serait prise en considération et que le gouvernement aviserait aux moyens de régler les difficultés qu'elle soulevait. En 1859, il a signé un document qui portait 371 aussi les signatures de l'hon. M. DRUMMOND, de l'hon. M. DESSAULLES et de l'hon. M. MCGEE, dans lequel il disait, avec ses collègues, qu'il fallait un changement dans la constitution du pays.
"Si le Bas-Canada," disait-il, " veut maintenir intacte l'Union actuelle des provinces, s'il ne veut ni consentir à une dissolution, ni à une confédération, il est difficile de concevoir sur quelles raisons plausibles il pourrait se fonder pour refuser la représentation basée sur la population. Jusqu'à présent, il s'y est opposé en alléguant le danger qui pourrait en résulter pour quelques-unes de ses institutions qui lui sont les plus chères; mais cette raison ne serait plus soutenable, s'il repoussait une proposition dont l'effet serait de laisser à ses habitants le contrôle absolu de ces mêmes institutions et de les entourer de la protection la plus efficace qu'il soit possible d'imaginer, celle que leur procureraient les dispositions formelles d'une constitution écrite, qui ne pourrait être changée sans leur concours.
"Il semble donc que la seule alternative qui s'offre maintenant aux habitants du Bas-Canada ont un choix entre la dissolution pure et simple de l'union ou une confédération d'un côté, et la représentation basée sur la population de l'autre. "
Encore là il voulait faire taire le cri de la représentation basée sur la population, et il voulait le faire taire par la fondation d'une nouvelle constitution. En 1861, c'était encore la même chose; il nous a dit qu'il voulait régler cette question de la représentation, qu'elle ne devait pas rester ce qu'on appelle une open question, et que c'était une difficulté qu'il fallait faire disparaître d'une manière ou d'une autre. Aussi, en 1862, il entrait dans le gouvernement pour cet objet, mais de quelle manière s'y est-il pris? Il en fit une close question, et adopta, avec ses collègues, le plan de la double majorité. Mais l'hon. membre ne se rappelait pas, sans doute, qu'en 1859, lorsqu'il écrivait le manifeste que j'ai cité tout-à-l'heure, il s'était prononcé contre la double majorité! Voici, en effet, ce qu'il disait dans ce document:
"Dans chaque province, quelle que fût sa représentation, il y aurait une majorité et une minorité, et à moins de reconnaître le principe de la double majorité comme règle fondamentale de notre constitution, les mêmes plaintes qui se font entendre maintenant, qu'une section gouverne l'autre contrairement à l'opinion publique et aux protestations de cette dernière, les mêmes passions, les mêmes intrigues, la même corruption et le même défaut de sincérité y domineraient encore. Personne, d'ailleurs ne songe à faire consacrer, par une disposition législative, le système de la double majorité; l'hon sent l'impossibilité de définir les cas où il serait applicable, de ceux où il ne le serait pas; mais cela fût-il possible, ce système ne pourrait que nous conduire à des difficultés nouvelles, en forçant les majorités professant des principes et des opinions diamétralement opposés, à s'allier ensemble, et en détruisant complètement l'influence de l'une et de l'autre minorité. Il est difficile de concevoir une seule législature composée de deux majorités n'ayant aucune identité de principes, agissant néanmoins toujours d'accord, de manière à ne jamais s'imposer l'une à l'autre, en sorte que chaque section de la province fût toujours régie par la majorité de ses représentants. Il est une foule de questions où cela ne pourrait avoir lieu qu'en forçant alternativement la majorité des représentants de l'une et de l'autre section de la province à s'abstenir ou à se prononcer pour des mesures que désavoueraient également leur jugement et leur conscience. Les complications d'un pareil système, qui ne serait, en définitive, que l'application du principe fédératif à une seule législature, le rendent impraticable."
L'hon. membre avait donc changé d'opinion sur ce point? Je ne lui en fais pas un reproche; mais cela prouve qu'il agissait toujours pour le même motif—c'est-à-dire, celui de faire taire le cri de la représentation basée sur la population. Comment se fait-il donc qu'il trouve mal que le gouvernement actuel présente une mesure pour mettre fin à ces difficultés, et pour empêcher que nous ne soyons placés dans une position d'infériorité? Mais la confédération n'a pas seulement pour but de faire disparaître les difficultés actuelles; elle est devenue nécessaire, parce que nous avons suffisamment grandi, nous sommes devenus asser forts, assez riches et assez puissants,—parce que nos produits sont assez nombreux et assez considérables,— parce que notre population est assez forte, pour nous permettre d'aspirer à une autre position et chercher à obtenir, pour nos produits, un débouché aux ports de la mer. Aujourd'hui, nous sommes dans un état de vasselage vis-à-vis des Etats-Unis, pour l'exportation de nos produits en Europe; nous sommes à leur merci. Si demain nous avions quelque difficulté avec nos voisins, ils nous fermeraient la route de Portland, et nous serions, pendant près de sept mois de l'année, sans autre communication avec la mer que la longue et difficile voie ordinaire de terre. Ce n'est pas une position tenable et digne d'un peuple comme celui des provinces de l'Amérique Britannique du Nord. Il faut en sortir, car c'est l'intérêt du Canada, des provinces inférieures et des Etats de l'Ouest. L'hon. membre pour Hochelaga nous a dit qu'il était en faveur d'un plan qui réglerait les difficultés actuelles et placerait le Bas-Canada dans une position convenable; mais i1 ne nous a jamais dit quel était ce plan. La seule chose qu'il ait jamais proposée est son 372 plan de 1859, pour la confédération des deux Canadas; mais ce plan n'aurait réglé qu'une seule difficulté et en laisserait substituer d'autres de la plus grande importance,— et entre autres celle de nos communications avec la mer. Ce plan ne nous aurait pas permis, par exemple, de construire le chemin de fer intercolonial; car il est presque impossible qu'une aussi grande entreprise réussisse si elle n'est pas entre les mains d'un grand pouvoir central, et s'il faut consulter cinq ou six gouvernements avant de la commencer. Mais la question de la confédération des deux Canadas n'est pas la seule qui se présente pour sortir de nos difficultés; il y a différents plans que je vais enumérer. Les uns reposent, par exemple, que nous restions dans la position où nous sommes aujourd'hui; d'autres voudraient l'annexion aux Etats-Unis; quelques-uns favoriseraient peut-être une indépendance complète; d'autres la confédération des deux Canadas; puis enfin l'on propose la confédération de toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord. Eh bien! examinons un peu ces différentes propositions. Il peut se faire qu'il y ait des membres qui désirent que nous restions tels que nous sommes. Les hon. membres pour Hochelaga et Lotbinière (MM. DORION et JOLY) trouvent notre position excellente et nous l'ont dit dans leurs discours. Ils trouvent que nous sommes très prospères et que nous ne pouvons rien désirer de mieux. Pour moi, je crois que notre position actuelle offre un grand inconvénient: c'est que si nous restons seuls, isolés, nous ne pouvons communiquer avec la métropole que par les Etats-Unis; en restant seuls, nous ne pouvons aspirer à aucune position ni donner cours à notre ambition comme peuple. D'un autre côté, nous avons, aujourd'hui, autant de systèmes de judicature qu'il y a de provinces; avec la confédération, au contraire, ce défaut disparaîtra, et il n'aura plus que deux systèmes: l'un pour le Bas-Canada, —parce que nos lois sont différentes de celles des autres provinces, que nous formons un peuple à part, et que nous ne voulons pas des lois des autres populations,— et l'autre pour le reste de la confédération. Toutes les autres provinces ayant les mêmes lois, ou au moins leur système de lois découlant de la même source, elles pourront avoir un même système de judicature; et, en effet, une résolution de la conférence leur permet de décider qu'elles auront un même code et un même système judiciaire; —mais il est fait une exception en faveur du Bas-Canada et de nos lois. Il y a aussi autant de tarifs différents que de provinces différentes, autant de règlements commerciaux et de douanes que de provinces. Il est vrai qu'un grand nombre d'articles passent en franchise aujourd'hui, mais il est aussi exact de dire qu'il y a autant de systèmes de douanes que de provinces. Et les grands travaux coloniaux: n'est-il pas impossible aujourd'hui de les entreprendre, parce que les intérêts qu'ils affectent sont très considérables, et qu il faut consulter trois ou quatre législatures? On comprend par là qu'il est presque impossible de concilier tant d'intérêts divers, à moins de réunir en une seule législature les représentants de ces intérêts et des peuples qu'ils affectent,—et nous ne pouvons atteindre ce but en restant seuls. Il y a aussi le cours monétaire et l'intérêt de l'argent, qui sont régis par des systèmes différents dans chaque province. Il y a un cours monétaire ici, un autre à Terreneuve, un autre à l'Ile du Prince-Edouard, et ainsi de suite. Le chelin et le louis d'ici sont différents du chelin et du louis de Terreneuve ou de ceux des autres provinces maritimes. Mais, avec la confédération, toutes ces affaires seraient remises sous le contrôle d'une seule législature centrale,—le cours monétaire deviendrait uniforme partout, et les capitaux pouraient être placés partout sans entraves. Il en serait de même des droits d'auteurs, des brevets pour les inventions mécaniques, etc.—En parlant du chemin de fer intercolonial, je n'ai rien dit du chemin de fer du Pacifique, parce que je crois que nous devons d'abord nous attacher à accomplir les travaux dont nous avons besoin actuellement. Plus tard, lorsque nos ressources et notre population auront suffisamment grandi, nous pourrons nous occuper du chemin de fer du Pacifique. Mais s'il devient nécessaire, nous pourrons espérer le faire en moins de 10 ans avec la confédération, au lieu qu'en restant seuls nous ne pourrions l'avoir peut-être en 100 ans. Je crois donc avoir fait voir les inconvénients du statu quo. La conséquence nécessaire de ce que je viens de démontrer est que nous ne pouvons pas rester dans la position où nous sommes, que nous le voulions ou non. Il faut faire face à la question de la représentation basée sur la population; il faut régler cette question. Dire que nous l'accorderons, c'est vouloir nous mettre dans une position d'infériorité, et, pour ma part, je ne 373 consentirai jamais à placer ma section de la province dans cette position.—Il y a aussi l'autre alternative que l'on propose: celle de l'annexion aux Etats-Unis. Je ne crois pas qu'il y ait un seul membre en chambre ou en dehors de la chambre qui voudrait consentir à l'annexion du Canada aux Etats- Unis. Mais c'est une question qu'il faut examiner en parlant de celle de la confédération, parce que c'est une des alternatives qui nous sont offertes, et qu'il nous faut faire un choix. Quelle serait donc notre position dans le cas où nous serions annexés aux Etats-Unis? Il est vrai que nous deviendrions l'un des Etats indépendants de la confédération américaine; mais nous en aurions tous les désavantages en même temps que les avantages. Il faudrait contribuer à payer l'énorme dette que les Etats-Unis ont contractée pour la guerre qui en désole une des plus belles parties; il nous faudrait en payer l'intérêt et plus tard solder la dette elle-même, car je ne suppose pas que les Américains aient la moindre intention de répudier leur dette. Il faudrait que cette dette fût soldée, et pour cela il faudrait payer des impôts considérables pendant un grand nombre d'années pour l'intérêt et pour l'amortissement. Ceux qui parlent de la dette que va créer la confédération, devraient faire attention qu'elle ne sera qu'une bagatelle comparée à celle dont nous deviendrions débiteurs avec l'annexion. Pour $1 que nous paierons avec la confédération, nous en paierions six avec l'annexion. On dit que la dette sera énorme; mais elle ne sera que d'une piastre contre $4 en Angleterre et $6 aux Etats-Unis. C'est là le côté financier de l'annexion. Mais quel serait le sort des Canadiens-Français avec l'annexion aux Etats-Unis? Il nous faut profiter de l'exemple des races françaises aux Etats- Unis, et voir quel sort a été fait aux Français dans la Louisiane. Que sont-ils devenus? Que sont devenus leur langue, leurs usages, leurs mœurs, leurs institutions? Après la guerre, c'est à peine s'il en restera assez pour que l'on puisse dire que la race française a passé par là. Au point de vue religieux, nous pourrions peut-être nous trouver dans une moins mauvaise position; mais nous vivons aujourd'hui en paix et nous sommes parfaitement à l'aise: catholiques et protestants ont les mêmes droits, la liberté religieuse, et ils vivent aussi en paix que s'il n'y avait qu'une seule religion dans le pays.
M. DUFRESNE (d'Iberville) — Nous sommes bien, tenons-nous-y.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN — Oui, mais nous ne pouvons pas rester dans la position où nous sommes; la chose est impossible; l'hon. membre pour Hochelaga le dit depuis dix ans, et il s'est engagé à la changer. Il a dit que la position n'était plus tenable en 1854,—et si elle n'était pas tenable alors, elle l'est encore moins en 1865. —J'en viens maintenant à une autre alternative que l'on nous propose: celle de l'indépendance. Il peut se trouver des hommes, dans la chambre et en dehors de la chambre, qui seraient disposés à dire qu'il vaut mieux avoir l'indépendance que la confédération. Pour ma part, je crois que l'indépendance des provinces de l'Amérique Britannique du Nord serait le plus grand malheur qui pourrait leur arriver; ce serait les mettre à la merci de leurs voisins et les jeter dans leurs bras. L'indépendance nous rendrait maîtres de notre position, mais en même temps nous serions privés de la protection de l'Angleterre,—et, sans cette protection, l'on peut facilement prévoir ce qui nous arriverait. L'hon. membre pour Hochelaga peut penser qu'il nous serait avantageux d'être faibles, mais je ne parts pas cette opinion: je pense qu'il vaut mieux être en état de faire face à l'ennemi, s'il nous attaque. Il faut bien comprendre que, sans la protection de l'Angleterre, nous ne pourrions rien. Et à part les frais que nous aurions à encourir pour pourvoir à notre défense, il y aurait encore d'énormes dépenses à faire pour entretenir convenablement nos relations avec l'étranger. Avec l'indépendance, et sans l'appui et l'aide de l'Angleterre, il nous faudrait entretenir une armée, avoir un gouvernement très dispendieux, entretenir des rapports diplomatiques avec les autres pays, et subvenir à une foule d'autres dépenses que nous n'aurons pas à faire avec la confédération. L'indépendance est donc hors de question pour le moment.—Enfin, comme quatrième alternative, il y a la confédération des deux Canadas, proposée par l'hon. membre pour Hochelaga. Il nous a dit, dans son manifeste de 1864, dans quelle position nous serions alors. Voici un passage de ce manifeste:
"Il eut été facile en tout temps de satisfaire le Haut-Canada en lui donnant quatre ou cinq membres de plus qu'au Bas-Canada, tout en conservant l'égalité dans le conseil législatif. Pour éviter le danger que cette augmentation de membres pouvait faire attendre, l'on propose de donner au Haut-Canada dix-sept membres de plus qu'au Bas-Canada, et l'on ajoute encore quarante- 374 sept membres pour les provinces maritimes, en tout soixante-et-quatre membres ajoutés à l'élément britannique, outre les vingt-huit membres de plus que l'on donne au conseil législatif; et c'est ainsi que l'on prétend protéger les institutions du Bas-Canada."
Ainsi, l'hon. membre pour Hochelaga, d'après son plan, aurait préféré...
L'HON. A. A. DORION—Ce n'est pas un plan, c'est un raisonnement.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Alors c'est un mauvais raisonnement—un raisonnement qui n'est pas à l'avantage du Bas- Canada. L'hon membre dit dans ce manifeste qu'il serait facile de faire taire le Haut-Canada en lui donnant quatre ou cinq membres de plus que le Bas. Mais l'hon. membre sait bien que, si nous accordions la représentation basée sur la population, ce n'est pas quatre ou cinq membres de plus que nous aurions à donner au Haut-Canada, mais bien les 17 membres que l'on se propose aujourd'hui de lui donner par la confédération. L'augmentation ne serait pas basée sur un nombre imaginaire. Mais même avec quatre ou cinq membres de plus, dans l'union actuelle, le Haut-Canada pourrait nous imposer sa loi sur toutes les questions qui se présenteraient devant cette chambre. A cette occasion l'hon. membre pour Hochelaga nous a dit que, sous le système proposé, le Haut-Canada aura 17 membres de plus que le Bas, et que l'élément anglais se grossira de tous les députés des provinces d'en-bas, et qu'ils se ligueront contre nous, Bas- Canadiens. A mon avis, l'hon. membre ne fait certainement pas un compliment à son ex-collègue (l'hon. M. HOLTON), en disant que parce que ces députés seront Anglais, ils seront contre nous, Canadiens-Français. Il avait tellement confiance dans l'hon. membre pour Chateauguay qu'il l'a pris dans son gouvernement et qu'il le prendrait encore aujourd'hui s'il en avait l'occasion; et pourtant l'hon. membre pour Hochelaga parle des Anglais comme s'ils étaient nos adversaires, nos ennemis naturels! Pour ma part, je ne crois pas cela. D'ailleurs, il ne s'agit pas maintenant de former un gouvernement local seulement; il s'agit de faire une confédération avec un parlement central et des parlements locaux. Le parlement central ou fédéral aura le contrôle des mesures générales, comme l'a établi la conférence de Québec; mais tout ce qui se rattachent aux intérêts locaux, tout ce qui aura rapport aux affaires et aux droits des différentes sections de la confédération, sera réservé au contrôle des parlements locaux. La position que nous fera la confédération est donc bien différente de celle que nous aurions occupée sous le système que l'hon. membre proposait, puisque les 17 membres qu'aura le Haut-Canada de plus que le Bas n'auront pas à prendre connaissance de nos affaires locales, de nos questions religieuses, de nos institutions particulières, etc. L'hon. membre pour Hochelaga, d'après son raisonnement, aurait confié tout cela à la bonne volonté de la majorité du Haut-Canada; mais, pour ma part, j'aime mieux confier le soin de ces affaires aux miens qu'à eux. Quant aux 17 membres de surplus du Haut-Canada dans le parlement fédéral, je n'y crains pas leur présence, pas plus que celle des membres des provinces d'en-bas, parce que dans ce parlement il n'y aura pas de questions de races, de nationalité, de religion ou de localité, et que cette législature sera seulement chargée de régler les grandes questions générales qui intéresseront toute la confédération, et non pas seulement une localité. Notre position est donc excellente, et tous ceux qui voudront dire franchement leur pensée devront avouer que les représentants du Bas-Canada, à la conférence de Québec, ont veillé à ses intérêts. Je puis dire que la base d'action des délégués, en préparant les résolutions, a été de rendre justice à tous,— justice pour toutes les races, pour toutes les religions, pour toutes les nationalités, pour tous les intérêts. C'est pourquoi la confédération sera acceptée par tout le monde dans les provinces d'en-bas comme ici. Avec la confédération, il n'y aura pas de domination d'une race sur l'autre, et si une section voulait commettre une injustice envers une autre section, toutes les autres s'uniraient ensemble et l'en empêcheraient. Mais en supposant qu'une mesure injuste fût passée dans la chambre des communes du parlement fédéral, elle serait arrêtée dans le conseil législatif; car là nous serons représentés également avec les autres sections, et c'est une garantie que nos intérêts seront amplement protégés. Nous aurons dans le conseil législatif 24 membres, comme le Haut-Canada et comme les provinces d'en- bas. Je dis donc qu'il y a une très grande différence entre le raisonnement de l'hon. membre pour Hochelaga et la mesure du gouvernement actuel. Nos intérêts seront protégés par le conseil législatif, et les seules mesures d'intérêt général seront du domaine du parlement fédéral. Quand il s'agira d'une 375 grande entreprise publique, comme d'un chemin de fer, des canaux, des lignes de télégraphe, nos intérêts religieux et nationaux ne seront pas en danger. Le gouvernement central sera intéressé à ce que le pays prospère, mais il ne le sera pas à attaquer notre religion, nos institutions ou notre nationalité, —qui, d'ailleurs, comme je viens de le démontrer, seront suffisamment protégés. A ce propos, je ferai remarquer à l'hon. membre pour Hochelaga qu'en 1859 il disait ce qui suit:
"Quel que soit le nombre des provinces ou des subdivisions que l'on pourrait ultérieurement juger convenable d'adopter, il faudrait conserver la ligne de séparation qui existe entre le Haut et le Bas-Canada. En définissant les attributions des gouvernements locaux et du gouvernement fédéral, il faudrait ne déléguer à ce dernier que celles qui seraient essentielles aux fins de la confédération, et, par une conséquence nécessaire, réserver aux subdivisions des pouvoirs aussi amples et variés que possible. Les douanes, les postes, les lois pour régler le cours monétaire, les patentes et droits d'auteur, les terres publiques, et ceux d'entre les travaux publics qui sont d'un intérêt commun pour toutes les parties du pays, devraient être les principaux, sinon les seuls objets dont le gouvernement fédéral aurait le contrôle; tandis que tout ce qui aurait rapport aux améliorations purement locales, à l'éducation, à l'administration de la justice, à la milice, aux lois de la propriété et de police intérieure, serait déféré aux gouvernements locaux, dont les pouvoirs, en un mot, s'étendraient à tous les sujets qui ne seraient pas du ressort du gouvernement général."
Ainsi, l'hon. membre consentait à donner le contrôle des terres publiques au gouvernement fédéral! Il pensait alors qu'il valait mieux laisser le contrôle de la colonisation et des terres publiques au gouvernement fédéral, dans lequel il donnait cependant la prépondérance au Haut-Canada! Par le plan de confédération du gouvernement actuel, ce contrôle est laissé aux législatures locales; et j'espère que l'hon. membre ne proposera pas de le leur enlever pour le donner exclusivement à la législature fédérale. Si son plan ou son raisonnement avait été mis en pratique, il aurait donné le contrôle de nos terres publiques à l'élément britannique, dont il feint d'avoir tant de peur aujourd'hui!—Je me résume, et je dis qu'il nous est impossible de rester dans la position où nous sommes; que l'annexion aux Etats- Unis serait le plus grand malheur qui pourrait nous arriver; qu'il est impossible et qu'il serait désastreux de songer à l'indépendance du pays; que le plan de confédéra tion des deux Canadas, tel que proposé par l'hon. membre pour Hochelaga, n'est pas désirable, et n'offrirait aucune garantie pour les droits du Bas-Canada; mais que la confédération de toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord serait préférable et est notre seul remède. Cette confédération aurait l'effet de nous donner plus de force que celle que nous avons aujourd'hui; nous ne formerions qu'une seule nation, qu'un seul pays pour toutes les matières générales affectant nos intérêts comme peuple. Mais quand je parle de nation grande et forte, je ne prétends pas dire que nous devions former une nation à part, et abandonner la protection du drapeau britannique; au contraire, j'espère que nous resterons bien longtemps à l'ombre de ce drapeau; mais je veux dire qu'avec la confédération nous serons en meilleure position pour nous défendre et pour aider la métropole, dans certaines circonstances, que nous ne le sommes à présent. Avec la confédération, le gouvernement central pourra faire exécuter sa volonté sur tout son territoire, et lorsqu'il s'agira, par exemple, d'organiser la défense du pays, il n'aura pas à consulter quatre ou cinq législatures différentes: il pourra l'organiser immédiatement et sans entraves. De plus, nous acquerrons une position que nous n'avons pas aujourd'hui vis-à-vis des peuples avec lesquels nous sommes en rapport. C'est en effet quelque chose pour les citoyens d'un pays d'avoir une position dans les contrées étrangères, et de n'être pas traitée comme des hommes d'une position inférieure. Quand les Canadiens vont à Londres ou ailleurs en dehors de leur pays, ils n'ont pas de position, parce que nous ne sommes qu'une simple colonie; mais, sous la confédération, nous serons protégés par l'Angleterre, et de plus nous aurons une position à l'étranger,—la position que possède tout homme qui forme partie d'une grande nation. A ce propos, un publiciste écrivait, il y a quelques années, dans les journaux de Londres, un article dont je me permettrai de lire un extrait à la chambre; il s'agissait de la cession du droit de pêche des bancs de Terreneuve par l'Angle terre à la France? Voici ce qu'il disait:
"Voyez l'effet de ce manque d'association: la Grande-Bretagne et la France conviennent d'une base pour faire un traité, en vertu duquel la Grande-Bretagne consent à donner à la France le droit exclusif de faire la pêche sur une grande partie de la côte de Terreneuve,—droit qui ne se trouve justifié par aucun traité antérieur. Aussitôt que Terreneuve en eût connaissance, elle 376 réclama et nia à la Grande-Bretagne le droit de donner ainsi par traité à une puissance étrangère la propriété du peuple de Terreneuve, et, de fait brava l'acte du gouvernement impérial. Eh bien! cela n'est pas seulement indigne de nous comme nation, mais c'est une preuve du danger qui peut survenir pour les colonies si le gouvernement impérial n'est pas convenablement renseigné sur de pareils sujets. Car, après un examen attentif de tous les traités faits à cet effet, nous ne pouvons nous empêcher de croire que Terreneuve avait raison."
Il est évident que si la confédération avait existé à cette époque, l'Angleterre n'aurait pas agi ainsi sans nous consulter; mais on se disait alors: " Ce sont des Canadiens, des gens de colonies," etc, et comme nous étions séparés, il fallait bien nous soumettre; nos droits n'étaient pas sauvegardés comme ils le seront lorsque nous serons unis. Sous la confédération, l'Angleterre nous consultera dans toutes les affaires qui nous intéresseront; et nous pourrons nous faire entendre à Londres d'une manière utile. Et pour preuve, écoutons le même publiciste:
"Voici une autre question, qui affecte spécialement le Canada. Dans le cours de l'année dernière, le subside de £176,340 par année, payé aux steamers Cunard, voyageant entre Liverpool et les Etats-Unis, a été renouvelé pour une nouvelle période de six ans par le gouvernement impérial. Un autre subside postal de £78,000 vient d'être accordé par le gouvernement impérial à une nouvelle ligne de steamers entre Galway et les Etats- Unis, cette fois encore sans consulter les intéréts de l'Amérique Britannique du Nord. C'est là une très grande injustice, surtout pour le Canada, car cette province a affecté une somme considérable pour l'ouverture de voies de communication par eau dans la vallée du Saint-Laurent, et ses canaux deviennent sans valeur parce qu'ils ont à lutter contre les routes des Etats-Unis encouragées par un subside du gouvernement impérial de près de £300,000 par année; tandis que, d'un autre côté, le Canada ne reçoit aucune aide du gouvernement imperial, mais est obligé de subventionner une ligne à lui (pour amener une mince part du commerce) au montant de £50,000 par année. "
Si toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord avaient alors été unies sous un même gouvernement, l'on nous aurait dit que le gouvernement avait l'intention de faire ce traité et nos droits auraient été respectés; mais comme nous n'étions qu'une simple colonie, et qu'il y avait beaucoup d'intérêts en jeu, nous n'avons pu rien faire pour nous protéger. Je ne veux pas fatiguer la chambre de citations, mais j'espère qu'elle me permettra de citer un autre auteur qui, tout en montrant combien les objets d'ambition pour les habitants des colonies sont restreints, prouve que, bien que sujets anglais, nous sommes presque des étrangers en Angleterre:
"Ici encore, dit-il, la contiguïté des colonies aux Etats-Unis suggère des comparaisons désagréables. Dans cette grande république, le champ ouvert à l'entreprise et aux ambitions personnelles est immense; et bien que les récompenses promises aux succès dans les plus hautes régions de la société ne soient pas, en règle générale, aussi grandes que sous les gouvernements monarchiques, quelques-unes (des récompenses mises à la portées de tous,) dans ce pays, sont d'un ordre très élevé. Plus d'un Américain de l'Amérique Britannique du Nord a pu voir personnellement, sur le côté américain de notre frontière, des individus qu'il savait lui être inférieurs, sous le rapport des talents naturels, de l'éducation, de la richesse et de la position sociale, élevés après une courte période à la présidence de cette république, position qui le rendait l'égal des plus grands monarques de l'Europe. D'un autre côté, cet américain britannique ne pourrait raisonnablement élever ses aspirations même au poste de gouverneur de sa province natale; et, s'il allait en Angleterre, toute l'influence qu'il pourrait exercer ne lui procurerait probablement pas une présentation à sa Souveraine."
Cela ne trouve-t-il pas que la position d'un Canadien ou d'un autre habitant des colonies, en Angleterre, est une position d'infériorité? Cette infériorité, nous voulons la faire cesser en présentant le plan de la confédération soumis à la chambre. L'hon. membre pour Hochelaga a dit que la confédération n'avait pas été demandée par le peuple, mais que c'était seulement le plan de politiqueurs aux abois. Il avait sans doute en vue, en parlant ainsi, le vote de censure qu'il proposait l'an dernier contre le minitère TACHÉ-MACDONALD. Après tous les efforts qu'il avait pu faire contre le gouvernement, il n'avait rien trouvé de mieux que de lui reprocher un acte commis ou supposé commis cinq ans auparavant par un autre gouvernement; et, par ce moyen, il avait réussi à renverser le ministère. Le résultat du vote provoqué par l'hon. membre a été bien différent de ce qu'il espérait: ça été la coalition et le plan de confédération qui est soumis aujourd'hui. L'hon. membre dit que le peuple ne l'a pas demandée. Mais quand le gouvernement est venu annoncer à la chambre que la base du nouveau gouvernement était la confédération des provinces, les hon. membres de l'opposition n'ont pas déclaré que la mesure était mauvaise. Au contraire, la grande majorité des membres 377 du Haut et du Bas-Canada s'est déclarée en faveur de cette organisation et a promis son appui au gouvernement. L'hon. membre demande aussi qui est-ce qui a donné aux délégués le pouvoir de se réunir et de préparer un plan de confédération et de le soumettre à la chambre. Je lui répondrai que ce pouvoir leur est venu de l'assentiment de la chambre, qui avait consenti à ce que le gouvernement fût formé sur cette base. Le gouvernement a senti qu'il avait parfaitement le droit, non seulement d'assister à la conférence de Québec, mais de la provoquer. Et lors même qu'il n'y aurait pas eu d'autre raison que les difficultés qui avaient surgi en Canada, depuis quelques années; lors même qu'il n'y aurait pas eu d'autre raison que le soin des intérêts du pays, cela aurait été suffisant pour nous justifier d'assister à la conférence de Charlottetown et d'avoir convoqué celle de Québec, où la mesure a été adoptée par les 38 conférendaires.— L'hon. membre, en passant, nous a accusés d'avoir consenti à ce que le Canada n'eût qu'une seule voix dans la conférence. Puisque, comme chef de l'opposition, il voulait porter une accusation contre le gouvernement actuel, il aurait du se mieux renseigner.
L'HON. A. A. DORION—C'est ce que j'ai compris d'après ce qu'a dit le président du conseil.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN —Le Canada avait plus d'une voix, et le président du conseil n'a jamais dit le contraire.
L'HON. A. A. DORION — Combien en avait-il? Deux?
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Oui, il en avait deux: une pour le Haut et une pour le Bas-Canada. Nous aurions pu en avoir davantage; mais il ne s'agissait pas de cela. Nous n'allions pas à cette conférence pour discuter de simples questions de forme, nous n'y allions pas pour imposer de vive force nos opinions aux autres; nous voulions nous entendre avec les provinces d'en-bas. Il ne s'agissait pas de former une constitution faible et injuste, et qui par-là même se serait écroulée le lendemain. Nous n'avons donc pas dû ni voulu profiter de notre position, mais nous avons traité les autres provinces sur un pied d'égalité, n'ayant pas en vue de leur imposer notre loi, mais voulant nous entendre avec elles et rendre justice à toutes.
L'HON. A. A. DORION — Le fait que j'ai avancé n'est pas nié, que les votes ont été donnés par province.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN — C'est vrai; les provinces d'en-bas ont eu chacune une voix, comme le Haut et le Bas-Canada, et c'est pour nous un sujet de félicitations. La chambre me permettra de lui rappeler à ce sujet que NAPOLÉON I disait un jour à l'un de ses ambassadeurs qu'il envoyait auprès d'un prince faible, pauvre et sans armée, — auprès du Pape: " Traiter avec lui, disait-il, comme s'il avait une armée de 200,000 hommes derrière lui." Eh bien! c'est ce que nous avons fait: nous avons traité la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau- Brunswick et les autres provinces comme nous voulions être traités nous-mêmes, c'est- à-dire, avec justice et considération, et le résultat prouve que nous avons eu raison. —L'hon. membre aurait dû se borner à faire connaître à sa manière les secrets de la conférence, et ne pas exposer ceux du comité nommé l'année dernière à propos des difficultés constitutionnelles. J'avais compris que tout devait être secret dans ce comité, excepté le rapport qui a été fait à la chambre.
L'HON. A. A. DORION—L'hon. membre m'accuserait il d'avoir dévoilé les secrets de ce comité?
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon. membre a dit que l'hon. procureur-général (J. A. MACDONALD) avait constamment agi et voté dans ce comité, contre tout projet de confédération, et qu'aujourd'hui il vient en présenter un lui-même; et je maintiens qu'il n'aurait pas du dire cela, car l'action des membres du comité devait rester secrète. Si les délibérations de ce comité devaient être secrètes, l'hon. membre doit voir qu'il est dans une mauvaise position. Le but du secret est évident: c'est celui que nous avions en maintenant secrètes les délibérations de la conférence de Québec, savoir: de donner une plus grande liberté d'opinion à chaque membre, et non pas de priver le peuple des renseignements auxquels il avait droit, comme on l'a dit. Nous savions que si nos délibérations étaient livrées jour par jour au public, par la voie de la presse, nous n'aurions pas eu cette liberté d'action et de discussion dont nous avions besoin. L'on comprend, en effet, que pendant ces délibérations, un membre pouvait un jour se prononcer contre une résolution en quelque point important, et que les arguments d'un autre membre dans le sens contraire pouvaient lui faire changer ou modifier son opinion; mais pour cela il fallait être libre de toute influence extérieure,—et c'est pourquoi la conférence a siégé à huis-clos.
378
L'HON. A. A. DORION—L'hon. membre me permettra-t-il un mot. Il a dit que j'avais dévoilé les délibérations du comité sur les difficultés sectionnaires. Mais je dois déclarer que je n'ai jamais assisté aux délibérations de ce comité, — que je n'y suis allé le premier jour que pour dire que je ne voulais pas prendre part à ses délibérations, et que je me suis ensuite retiré pour n'y plus retourner. J'étais opposé aux délibérations du comité, et je n'y suis pas allé; mais j'ai su que l'hon. procureur-général avait voté, le dernier jour qu'il a siégé, contre la confédération, et c'est tout ce que j'ai dit. Ainsi, si les secrets du comité ont été dévoilés, ce n'est pas par moi.
L'HON. M. CAUCHON —L'hon. membre pour Hochelaga a tout à fait perdu la mémoire de ce qui a été fait dans le comité. Il était présent, avec l'hon. membre pour Chateauguay (M. HOULTON), au commencement des délibérations du comité, lorsqu'il a été dit et entendu que tout ce qui se passerait dans le comité devait être secret. J'admets que l'hon. membre a refusé de prendre part aux délibérations du comité, mais en même temps il savait très-bien qu'elles devaient être secrètes, et il était tenu de garder le secret. Il savait que l'on avait fait sortir les membres de la presse.
L'HON. A. A. DORION—L'hon. membre se trompe entièrement, car je n'étais pas là.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN— L'hon. membre pour Hochelaga devra comprendre que, moi qui n'étais pas membre de ce comité, et sachant qu'il en faisait partie, et qu'il avait été dit en chambre que les délibérations devaient en être secrètes, j'ai pu de bonne foi lui reprocher d'en avoir parlé.
L'HON. A. A. DORION—Je n'ai jamais su que les délibérations du comité devaient être secrètes.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Moi, je l'ai su, et je crois que j'étais justifiable de dire ce que j'ai dit; mais, après les explications que vient de donner l'hon. membre, je ne puis l'accuser de l'avoir fait de propos délibéré. L'hon. membre pour Hochelaga a dit que le mémoire soumis par le gouvernement, lors de sa formation, parlait d'une autre confédération que celle qu'il propose maintenant. Il est bon de référer à ce document afin de savoir ce qui en est. Ce mémoire a deux parties, dont voici la première:
"Le gouvernement est prêt à déclarer qu'immédiatement après la prorogation, il s'occupera de la manière la plus sérieuse de la négociation pour une confédération de toutes les provinces britanniques de l'Amérique du Nord.
"Que, avenant l'insuccès de ces négociations, il est prêt à s'engager à proposer une mesure législative, à la prochaine session du parlement, en vue de remédier aux difficultés existantes, en recourant au principe fédéral pour le Canada seul, accompagné de dispositions qui permettront aux provinces maritimes et au territoire du Nord- Ouest de s'incorporer ci-après dans le système canadien."
C'est-à-dire que le gouvernement promet, dans la première partie de ce mémoire, qu'il s'occupera d'une confédération de toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord, et que, dans le cas où il ne réussirait pas à l'effectuer, il s'occuperait d'une confédération des deux Canada. Voici maintenant ce que contient la seconde partie:—  
"Le gouvernement est prêt à s'engager à présenter une mesure, à la prochaine session, pour faire disparaître les difficultés existantes en introduisant le principe fédéral en Canada, accompagné d'une disposition qui permettra aux provinces maritimes et au territoire du Nord-Ouest de s'incorporer dans le même système de gouvernement.
"Et le gouvernement cherchera, en envoyant des représentants aux provinces inférieures et en Angleterre, à gagner l'assentiment des intérêts, qui sont hors du contrôle de notre législature, à la mesure qui permettra à toute l'Amérique Britannique du Nord de s'unir sous une législature générale basée sur le principe fédéral."
Eh bien! quelle contradiction y a-t-il dans ces promesses et dans l'action actuelle du gouvernement? Nous commençons d'abord avec un plan de confédération pour les deux Canadas, et trouvant les provinces maritimes prêtes à entrer de suite dans l'étude d'une union plus considérable, nous avons fait des arrangements pour les faire entrer immédiatement dans la confédération. Il n'y a pas de contradiction la-dedans; mais c'est la même mesure, c'est le même plan: la seule différence, c'est qu'au lieu de les admettre dans l'union dans six ou neuf mois, nous les avons admises de suite. Lorsque nous avons abordé la question, nous avons trouvé les provinces maritimes en voie de délibérer sur une union entre elles; mais les délégués à Charlottetown ont compris que la confédération que nous leur proposions serait beaucoup plus avantageuse à toutes les provinces que celle à laquelle ils travailaient, et ils ont consenti de suite à accepter notre proposition. En conséquence, ils sont venus à Québec, et le résultat de leur visite 379 a été le plan qui est soumis à cette chambre. L'hon. membre pour Hochelaga n'a donc pas le droit de nous reprocher d'avoir changé le plan promis à la chambre, puisque c'est mot pour mot ce que nous avons promis Cette mesure, comme je le disais il y a un instant, ne saurait durer que si elle protége les intérêts de tous. Or, nous avons des intérêts différents dans le Bas-Canada, ou vivent deux populations de races différentes, de religions différentes et parlant des langues différentes. D'un autre côté, le Haut-Canada a une population homogène, mais professant différentes religions, et il en est ainsi pour les diverses provinces maritimes. Nous avons, aussi, dans ces dernières provinces, plus de cent mille compatriotes d'origine française. Eh bien! M. l'ORATEUR, ces intérêts différents, nous avons en soin de les protéger, et de sauvegarder les droits de cette population en l'unissant dans la confédération à un peuple comptant un million d'habitants de la même race qu'elle. Mais on nous a dit: " Vous voulez former une nationalité nouvelle!" Il faut s'entendre sur ce mot, M. l'ORATEUR. Ce que nous désirons et voulons, c'est défendre les intérêts généraux d'un grand pays et d'une puissante nation, par le moyen d'un pouvoir central et fort. D'un autre côté, nous ne voulons pas faire disparaître nos différentes coutumes, nos mœurs, nos lois: au contraire, c'est là précisément ce que nous désirons le plus protéger par la confédération. Sous le nouveau système, il n'y aura pas plus raison aujourd'hui de perdre notre qualité de Français ou d'Anglais, sous le prétexte que nous aurons tous les mêmes intérêts généraux, et nos intérêts de race, de religion et de nationalité resteront ce qu'ils sont aujourd'hui. Mais ils seront mieux protégés sous le système proposé, et c'est là encore une des plus fortes raisons en faveur de la confédération. Non seulement en effet nous nous sommes assurés de cette protection, mais les provinces parties à la confédération l'ont ainsi voulu. Tous les intérêts locaux seront soumis et laissés à la décision des législatures locales. Il y aura, pour le Bas-Canada, d'autres exceptions, et, de fait, toutes les exceptions dans le plan de confédération sont en faveur du Bas-Canada. Ce sont les délégués Bas-Canadiens qui ont obtenu ces restrictions en faveur de cette province; mais ils ne sollicitent pas de remerciments pour cette conduite, car ils considèrent qu'ils n'ont fait en cela que remplir un devoir: le devoir de vrais patriotes et de bons citoyens. Tout ce qu'ils viennent demander aujourd'hui à cette chambre, c'est de sanctionner la mesure qui assure ces priviléges aux populations qu'ils représentent. J'ajouterai que, sous la confédération, toutes les questions qui concernent la colonisation de nos terres incultes, la disposition et la vente de ces mêmes terres, nos lois civiles, toutes les mesures d'une nature locale, enfin tout ce qui intéresse et affecte nos intérêts les plus chers comme peuple, seront réservés à l'action de nos législatures locales; toutes nos institutions de charité et autres seront protégées par la même autorité. Il y a aussi la question de l'éducation: sur cette question, comme sur toutes les autres, les délégués Bas-Canadiens ont veillé au maintien de certains priviléges, et cette question a été laissée à notre législature locale, en sorte que la législature fédérale ne pourra pas y porter atteinte. On a dit que, relativement à l'agriculture, le pouvoir de législation serait exercé concurremment par la législature fédérale et les législatures locales. Mais la chambre sait parfaitement pour quelle raison cette concurrence a été admise. Tout le monde comprend, en effet, qu'il peut se présenter certains intérêts généraux sur lesquels l'intervention de la législature centrale soit nécessaire; mais, M. le PRÉSIDENT, tous les intérêts de l'agriculture locale, tout ce qui a rapport à nos terres, seront laissés à notre législature bas-canadienne, et c'est un point sur lequel nous avons toujours insisté et qui ne nous a jamais été refusé dans la conférence. Il est donc évident que, sous la confédération telle que proposée, les populations des parties éloignées de la confédération, ayant le privilége de porter leurs réclamations devant leurs législatures locales respectives, n'auront pas le trouble onéreux d'aller jusqu'au siége du parlement central pour obtenir, par exemple, la construction d'un pont ou l'ouverture d'un chemin.— J'en viens maintenant, M. le PRÉSIDENT, à la question des détails de la mesure, et je vais répondre aux observations de l'hon. membre pour Hochelaga à ce sujet. Cet hon. membre objecte à ce que les conseillers législatifs soient nommés par le gouvernement central, et il ajoute que ces conseillers seront nommés par un gouvernement tory et seront nécessairement choisis parmi les torys. En faisant cette déclaration, cet hon. membre n'a pas agi avec la franchise qu'on avait droit d'attendre de lui. (Ecoutez! écoutez!) C'est à peine 380 s'il a fait allusion à la clause des résolutions par laquelle l'opposition, dans les différentes sections de la confédération, se trouvera protégée. Dans cette clause, il est dit que le parlement central, en faisant ces nominations, aura le soin de veiller aux intérêts de l'opposition aussi bien qu'à ceux du parti ministériel. Eh bien! M. le PRÉSIDENT, quand un gouvernement s'engage ainsi, est-il raisonnable et juste de croire ou de supposer qu'il manquera à sa parole aussi solennellement engagée? Pour ma part, je suis convaincu que les membres du gouvernement actuel, s'ils se trouvaient dans le gouvernement central, feraient ce qui a été promis, et veilleraient aux droits de l'opposition comme à ceux de l'autre parti. L'hon. membre pour Hochelaga a aussi prétendu que les provinces maritimes nous avaient imposé la clause qui décrète que les conseillers législatifs dans le parlement général seront nommés par la conronne. Pourtant, l'hon. député sait fort bien que le principe électif dans notre conseil législatif actuel n'a été qu'un essai; et que, dans le Bas-Canada, on est devenu fatigué du système. . Ce n'est pas à dire pour cela que les conseillers qui ont été élus par le peuple ne soient pas dignes du poste qu'ils occupent, ou que leur choix ait été un choix malheureux, mais la nature même du système empêche un grand nombre d'hommes de talents, d'hommes qualifiés sur tous les rapports, et dignes de siéger au conseil législatif, de se présenter aux suffrages des électeurs, par suite du trouble, de la fatigue et des dépenses énormes, résultat de contestations électorales dans d'immenses divisions. Nous savons que ce système a fatigué le Bas-Canada et qu'il nous approuvera d'avoir inséré cette clause dans les résolutions. Le vote qui a eu lieu ailleurs, hier soir, démontre que je ne me trompe pas dans mon affirmation à ce sujet. L'une des grandes objections de l'hon. député d'Hochelaga à la nomination des conseillers législatifs par la couronne, c'est que le nombre en sera fixe et que, par suite, il offrira un obstacle aux décisions et à la législation de la chambre des communes du parlement fédéral. En un mot, l'hon. député déclare que le conseil législatif ainsi constitué sera, pour me servir de l'expression anglaise, une nuisance. L'hon. député aurait dû faire un retour sur le passé pour voir quel nombre de conseillers nommés à vie se trouvait dans le conseil législatif, lors de la concession du principe électif, et combien il reste aujour d'hui de ces mêmes conseillers. Il aurait pu voir qu'en huit ans le nombre en a diminué de moitié. De 42 ou 43 qu'ils étaient à cette époque, ils ne sont plus maintenant que 21 ou 22! (Ecoutez! écoutez!) L'hon. député d'Hochelaga aurait dû aussi admettre qu'il y avait eu parmi les conseillers élus des changements tellement considérables dans ces huit années qu'il n'y avait pas de danger que le conseil législatif ne fût pas au moins accessible au peuple. Cette diminution donne une moyenne de trois membres par année, et si l'on établit une proportion entre cette diminution et celle qui aura nécessairement lieu pour un plus grand nombre de conseillers, on trouvera qu'il y aura au moins cinq déplacements par année. L'hon. député devra donc comprendre que s'il arrive que le conseil législatif soit tellement opposé aux vues de la chambre basse qu'il rejette systématiquement les mesures de la chambre populaire, il s'y produira de tels changements, au bout d'un an ou peut-être moins, soit par la mort ou d'autres causes, que nous aurons immédiatement une infusion de sang nouveau, et toute tentative de ce genre ne pourrait se reproduire de longtemps. D'ail leurs, le conseil législatif ne formera pas, comme la chambre des lords en Angleterre, une classe à part. Ces conseillers sortiront du peuple avec lequel ils auront des intérêts communs, et il est absurde de supposer qu'ils seront portés à s'opposer systématiquement et constamment à des mesures que la chambre basse décrèterait en faveur du peuple et à sa demande. L'hon. député d'Hochelaga a, sur ce sujet, reproché à l'hon procureur- général du Haut-Canada, d'avoir dit, dans son discours d'ouverture, que s'il avait à présider au choix des conseillers législatifs, il verrait à ce que les hommes les plus qualifiés fussent nommés à ce poste. Eh bien! M. le PRÉSIDENT, je ne vois rien dans cette déclaration qui ne soit parfaitement d'accord avec les intérêts du pays, et il importe que les meilleurs hommes de chaque section de la confédération soient appelés à siéger dans ce corps important de notre législature générale.— L'hon. député a trouvé à redire à cette clause des résolutions qui porte que les lieutenants-gouverneurs seront nommés par le gouvernement central, et il y voit un grand danger surtout pour le Bas-Canada. M. le PRÉSIDENT, j'aimerais beaucoup à savoir quelle protection il y a aujourd'hui pour les populations des différentes provinces dans le fait que les gouverneurs des provinces de 381 l'Amérique Britannique du Nord nous sont envoyés d'Angleterre. Notre gouverneur, sous le régime actuel, n'est responsable ni au peuple ni à la chambre; il dépend entièrement du gouvernement anglais auquel il est responsable. Sous le système proposé, les lieutenants-gouverneurs seront nommés par le gouvernement central auquel ils seront nécessairement responsables de leurs actes. Or, dans ce gouvernement, nous aurons plus d'une voix, nous y serons représentés par nos ministres, qui seront là pour faire condamner toute empiétation ou tout acte arbitraire que pourrait se permettre un lieutenant- gouverneur. Si le gouvernement central refusait de nous rendre cette justice et persistait à ne pas rappeler tel lieutenant-gouverneur qui aurait ainsi forfait à ses devoirs vis-à-vis de la population qu'il gouvernerait, nous aurions nos 65 représentants pour protester et voter au besoin contre un gouvernement qui oserait agir ainsi. Nous aurons, sous ce rapport, de bien plus grandes garanties qu'aujourd'hui; c'est là véritablement un privilége nouveau que nous avons obtenu, puisque le peuple se trouve avoir une voix dans ces nominations par le fait que nous aurons nos ministres responsables dans le gouvernement central, lesquels seront soutenus et appuyés par les députés de notre section. A propos de la nomination des lieutenants-gouverneurs, l'hon. député d'Hochelaga a cru devoir faire une charge à fond contre le parti conservateur. Il a dit que ce parti cherchait constamment à diminuer les priviléges et les libertés du peuple, tandis que le parti libéral s'efforçait d'étendre et d'assurer ces mêmes libertés! Eh bien! M. le PRÉSIDENT, je crois que le peuple comprend ses intérêts aussi bien que l'hon. député d'Hochelaga, et qu'il ne nous fera pas de reproches de ce que nous lui donnons une constitution qui a pour but de sauvegarder ses droits locaux et généraux beaucoup mieux que le système actuel. En attaquant ainsi le parti conservateur, l'hon. député d'Hochelaga n'a pas manqué aussi de faire une légère insinuation contre les délégués à la conférence. Il dit en effet:—
"L'orateur du conseil législatif doit aussi être nommé par la couronne: c'est un autre pas rétrograde et un peu de patronage de plus pour le gouvernement. Nous avons tous entendu parler d'un discours prononcé dernièrement dans l'Ile du Prince-Edouard ou le Nouveau-Brunswick,— j'ai oublié lequel,—où l'on énumérait les avantages que l'on avait fait miroiter aux yeux des délégués, pendant qu'ils étaient ici, sous forme de nominations en perspective, comme celles de juges de la cour d'appel, d'orateur du conseil législatif, et de gouverneurs locaux, comme étant l'une des raisons de l'unanimité qui a régné parmi les membres de la conférence."  
Il faut que l'hon. député ait une bien pauvre idée de la nature humaine pour s'imaginer que des hommes publics, ayant d'aussi grands intérêts entre leurs mains et ayant leur honneur et celui de leur pays à sauvegarder et à maintenir intacts et purs aux yeux du monde entier, auraient consenti à trahir et à livrer leur pays pour l'amour d'une pauvre place, quand bien même cette place serait celle de lieutenant-gouverneur ou de jugeen-chef. J'aime à croire que cette insinuation lui est échappée et qu'il regrette déjà de l'avoir laissée tomber de ses lèvres.—Un autre point sur lequel l'hon. député d'Hochelaga s'est étendu, est la question de la milice et de la défense du pays. L'hon. député a déclaré à ce sujet qu'il ne comprenait pas comment l'union des provinces nous rendrait plus forts. L'expérience de l'hon. député d'Hochelaga et les enseignements de l'histoire auraient, cependant, dû lui apprendre qu'un peuple désuni et placé sur un vaste territoire est plus facile à subjuguer que quand il est uni sous un même gouvernement fort et respecté. Ceci m'amène à parler de cette observation de l'hon. député qui a déclaré que ce ne nous aurions de mieux à faire pour éviter toutes difficultés avec nos voisins et empêcher les malheurs d'une guerre avec eux, serait de rester tranquilles, de nous croiser les bras. La chambre me permettra de citer à ce sujet les expressions mêmes de l'hon. député:
"Ce serait rien moins qu'une folie pour nous d'épuiser nos ressources par une dépense de quinze à vingt millions par année pour lever une armée de 30,000 à 50,000 hommes dans le but de résister à une invasion. Ce que le Canada a de mieux à faire, c'est d'être pisible, et de ne donner aucun prétexte de guerre à nos voisins. [ Ecoutez!] Que l'opinion publique de ce pays force la presse à cesser ses attaques contre le gouvernement des Etats-Unis, et ensuite si la guerre surgit entre l'Angleterre et les Etats, elle aura lieu sans qu'il y ait de notre faute,—et si nous avons à y prendre part, nous le ferons courageusement en aidant l'Angleterre dans la mesure de nos forces et de nos ressources; mais, en attendant, il est parfaitement inutile pour nous de lever ou d'entretenir aucune espèce d'année permanente."
Je pense avec l'hon. député qu'on ne doit donner aucun juste sujet de mécontentement à nos voisins et encore moins attaquer leurs frontières, et le gouvernement actuel a 382 montré en toute occasion qu'il était disposé à respecter les droits et les sentiments du peuple américain; mais, d'un autre côté, l'hon. député a été le premier à nous apprendre que le meilleur moyen de se défendre n'est pas de se préparer et de s'aguerrir, mais de rester désarmés et les bras pacifiquement croisés; en d'autres termes, de se livrer pieds et poings liés. Eh bien! je lui ferai une simple question: s'il craignait d'être attaqué par un voisin, irait-il le trouver pour se mettre à sa disposition, ou bien se mettrait-il en garde contre ses attaques? Je pense bien que l'hon. député n'hésiterait pas un seul instant entre ces deux alternatives. Or, ce qui est prudence et bonne politique pour l'individu l'est également pour une nation. Nous ne désirons pas prendre une attitude menaçante vis-à-vis de nos voisins; au contraire, ce que nous voulons c'est de vivre en paix avec eux. Nous ne désirons pas faire la moindre chose qui puisse être interprétée comme une menace, mais nous serions déplorablement aveugles si, témoins de l'énorme puissance militaire de nos voisins, nous regardions ce déploiement formidable les bras croisés et l'indifférence au cœur. Une pareille attitude ne serait ni patriotique ni digne d'un peuple d'hommes libres. Le plus sûr moyen de n'être pas attaqués et subjugués par nos voisins, de faire respecter notre indépendance et nos priviléges, c'est de leur montrer que nous sommes prêts à les défendre à tout prix. L'hon. député d'Hochelaga a déclaré qu'il était prêt à faire quelques sacrifices pour l'entretien de la milice et pour la défense du pays, mais il ne nous a pas dit jusqu'où il était prêt à aller dans ce sens. Il nous l'apprendra probablement plus tard, si nous sommes appelés à faire des dépenses à cet effet. Quoi qu'il en soit, je tiens à relever les observations qu'il a faites relativement aux volontaires. En parlant de la dépense que le gouvernement encourait pour protéger les frontières, il a dit que 30,000 miliciens coûteraient trente millions de piastres! L'hon. député a une singulière manière de calculer. En effet, si nous étions appelés à lever une armée de 30,000 hommes, nous ne leur paierions pas une piastre ou même trois trente sous par tête. L'hon. député d'Hochelaga sait tout aussi bien que moi que la force actuelle de milice de service à la frontière ou en garnison à l'intérieur a été appelée dans des circonstances tout exceptionnelles, et que le gouvernement a été dans l'impossibilité de contrôler, autant qu'il aurait peut-êre aimé à le faire, le montant de la solde de ces volontaires. L'hon. député doit aussi savoir que ces braves miliciens ont fait preuve du plus grand patriotisme et que, dans bien des cas, ils ont fait des sacrifices énormes au détriment d'eux-mêmes et de leurs familles. Un grand nombre d'entre eux étaient employés dans des maisons de commerce ou dans des comptoirs ou des chantiers qui leur donnaient beaucoup plus que ce qu'ils reçoivent aujourd'hui du gouvernement, et je trouve très-mauvais qu'on vienne aujourd'hui leur disputer ce minime salaire sous prétexte que c'est une charge trop lourde pour notre budget. (Ecoutez! écoutez!) Ils n'ont pas hésité, quand la patrie a réclamé leurs services, à risquer leur santé et à renoncer à toutes les joies et les douceurs de la famille, et je suis bien certain que le peuple ne leur disputera pas le malheureux écu qui leur est donné en échange, et ne fera qu'approuver le gouvernement d'avoir fait, en cette occasion, ce qu'il devait faire. —L'hon. député d'Hochelaga fait aussi un autre reproche au gouvernement. Le fait est qu'il trouve mauvais et défectueux tout ce qui est proposé par le gouvernement actuel. Ainsi, relativement au droit de véto laissé au gouvernement général, l'hon. membre s'exprime comme suit:
"Ne voit-on pas qu'il est très-possible qu'une majorité dans un gouvernement local soit opposée au gouvernement général, et que dans ce cas la minorité demandera au gouvernement général de désavouer les lois décrétées par la majorité? Les hommes qui composeront le gouvernement général dépendront de l'appui de leurs partisans politiques dans les législatures locales, qui exerceront toujours une grande influence dans les élections,   et pour conserver leur appui, ou dans le but de servir leurs amis, ils opposeront leur véto à des lois que la majorité de la législature locale trouvera bonnes et nécessaires "
Je crois, M. le PRÉSIDENT, avant de répondre à l'hon. membre, qu'il sera bon de référer aux deux clauses qui ont rapport à cette matière. Dans ces deux clauses il est dit:
"10. Tout bill de la législature générale pourra être réservé en la manière ordinaire pour la sanction de la majorité, et les bills des législatures locales pourront aussi, de la même manière, être réservés pour la considération du gouverneur- général.
"20. Tout bill passé par le parlement général sera sujet à être désavoué par Sa Majesté pendant deux ans, comme c'est le cas pour les bills passés par les législatures des dites provinces; et de 383 même tout bill passé par une législature locale sera sujet il être désavoué par le gouverneur- général dans l'année qui suivra sa passation."
Eh bien! je le demande à la chambre, quel mal y a-t-il dans ces deux clauses? Aujourd'hui, dans quelle position sommes-nous, quand un bill a été adopté par les deux chambres de notre législature? La voici: ce bill est soumis à la sanction du gouverneur-général et presque dans tous les cas est sanctionné sans le référer au gouvernement impérial. Mais si, par exemple, ce bill a trait au divorce, à une question qui intéresse le gouvernement impérial, ou encore, si c'est une mesure qui peut affecter nos relations avec nos voisins ou toute autre nation, on le réserve pour la sanction de Sa Majesté. Lorsqu'une mesure quelconque est ainsi réservée, l'hon. député d'Hochelaga pense-t-il que les membres du gouvernement anglais se réunissent pour la prendre en considération? Pas le moins du monde; il y a, dans le bureau colonial, un commis de second ou de troisième ordre qui est chargé de cette besogne et qui fait ensuite son raport au ministre, et ce rapport détermine la sanction ou le désaveu de la mesure en question. Si la mesure est d'un grand intérêt pour le pays et n'est pas sanctionnée, nous ne pouvons nous en prendre à personne et il nous faut nous soumettre, les ministres anglais n'étant pas responsables à nous. Sous la confédération, ce danger et cet inconvénient disparaîtront. Dans le cas où le parlement local du Bas-Canada passerait une loi que le lieutenant-gouverneur jugerait à propos de réserver à la sanction du gouvernement central, si ce dernier gouvernement refusait de la sanctionner, bien qu'elle fût demandée par le peuple de cette section, et qu'il n'y eût aucune raison de la refuser, nous aurions, pour protester contre ce refus, nos 65 membres dans le parlement central, qui se ligueraient pour renverser le ministère qui aurait agi ainsi. Et ne dites pas que ces 65 membres ne pourraient rien contre le reste de la chambre; unis en un seul corps, ils trouveraient incontestablement appui et aide chez les membres des autres provinces, qui auraient tout intérêt à ne pas laisser toucher à nos droits et priviléges, par crainte de voir un jour la même chose pratiquée contre les leurs. D'un autre côté, M. le PRÉSIDENT, le désaveu qui pourra être donné à une mesure sanctionnée par les gouvernements locaux, ne pourra être exercé que durant douze mois, tandis que, sous le système actuel, il peut être donné pendant deux ans. C'est une restriction qui a été accordée dans les intérêts du Bas- Canada et de toutes les autres sections de la confédération; c'est une restriction dans le sens populaire. Mais l'hon. député d'Hochelaga refusera, sans doute, de reconnaître que cette concession populaire vient de nous. Et d'ailleurs, pourquoi redouterait-on ce véto? Dans notre législature locale, nous n'avons certainement pas l'intention d'être injuste envers une partie de la population, mais nous nous proposons de la traiter comme par le passé, sur un pied d'égalité; nous voulons enfin être aussi justes envers cette population, que nous l'étions alors qu'elle ne formait qu'une faible minorité. Cela n'empêche pas, cependant, l'hon. député d'Hochelaga de dire aux membres anglais du Bas-Canada qu'ils devraient être sur leurs gardes. Eh bien! M. le PRESIDENT, je ne ferai pas cette injure à la race à laquelle j'appartiens. Les Canadiens-Français ont toujours agi honorablement vis-à-vis des autres races qui habitent au milieu d'eux, et ils ne profiteront certainement jamais, pas plus que par le passé, de la majorité qu'ils pourraient avoir dans la législature locale pour molester ou persécuter la minorité. Voilà la raison pour laquelle nous ne craignons et ne redoutons pas ce droit de véto. Il ne faut pas, d'ailleurs, croire que l'intention des deux clauses, que j'ai déjà citées, soit que tout bill passé dans les législatures locales sera réservé à la sanction du gouvernement central. Cette réserve ne se fera que pour les mesures de la nature de celle que l'on soumet aujourd'hui à la sanction de Sa Majesté. En sorte que l'hon. député d'Hochelaga a grandement tort de venir reprocher au gouvernement actuel d'avoir consenti à ces deux clauses.—Une autre question sur laquelle cet hon. député nous a aussi pris à partie, est celle des droits d'exportation sur le bois et le charbon. Dans la clause 29, qui a rapport aux pouvoirs du parlement fédéral, la troisième sous-section se lit comme suit:—
"L'imposition ou le règlement des droits de douanes sur les importations ou sur les exportations, excepté sur les exportations du bois carré, des billots, des mâts, des espars, des madriers, du bois scié du Nouveau-Brunswick, et du charbon et des autres minéraux de la Nouvelle-Ecosse."
Le fait que ce pouvoir a été laissé au gouvernement n'implique qu'il l'exercera; ce pouvoir lui a été donné simplement parce 384 qu'il pourrait en avoir besoin dans certains cas donnés. Voici maintenant la raison de la seconde partie de la clause que je viens de lire à la chambre, et que je ne saurais mieux exposer qu'en citant quelques phrases d'un discours de l'hon. ministre des finances à ce sujet. Toutefois, comme il y a plusieurs hon. membres dans cette chambre qui ne comprennent pas l'anglais, je pense qu'il vaut peut-être mieux les expliquer en français. On a donc pensé que comme, dans le Nouveau-Brunswick, le gouvernement trouvait très désavantageux de percevoir les droits sur le bois d'après le système dont on s'était servi précédemment, et y avait substitué un droit d'exportation qui remplaçait tous les autres impôts sur ce produit, il n'était que juste de conserver ce revenu au Nouveau-Brunswick, auquel il était d'absolue nécessité pour le paiement de ces dépenses locales. En Canada, nous retenons, sous la nouvelle constitution, notre mode de prélever des droits analogues. Quant au Nouveau-Brunswick, c'est là sa principale ressource, de même que le charbon est presque la seule ressource de la Nouvelle-Ecosse, et si on les leur avait enlevées, ils auraient péremptoirement refusé de nous joindre dans la confédération. (Ecoutez! écoutez!) Leur demande était parfaitement juste, et nous ne pouvions, par conséquent, la leur refuser. D'ailleurs, nous n'avons pas à nous plaindre, car toutes nos terres et nos mines nous sont laissées, et nous continuerons, comme par le passé, à en percevoir les revenus pour notre propre usage et à notre profit. L'hon. membre pour Hochelaga a dit que l'on ne pourra pas administrer les affaires des gouvernements locaux sans que l'on soit obligé d'avoir recours à la taxe directe; mais un homme de son expérience n'aurait pas dû dire cela. Il n'aurait pas dû essayer d'exploiter les préjugés populaires, mais admettre de suite que le droit accordé par la constitution nouvelle d'imposer la taxe directe, est le même que celui qui existe dans la constitution actuelle; c'est le même droit qu'ont toutes nos municipalités. Ce n'est pas à dire pour cela que ce droit sera exercé. Mais l'hon. membre sait que le peuple n'aime pas la taxe directe, et qu'il ne voudrait pas l'adopter comme système au lieu de la taxe indirecte; c'est pourquoi il a cherché à en effrayer la population du Bas- Canada. Pour nous, n'oublions pas que le produit des revenus locaux du Bas-Canada sera employé à défrayer les dépenses locales. L' hon. ministre des finances a dit que dans le Bas-Canada ce revenu local sera de $557,000, outre les quatre chelins par tête de sa population que lui paiera tous les ans, par paiements semestriels et d'avance, le gouvernement fédéral. Ce subside s'élèvera donc à $888,000, ce qui fera un total de $1,446,000 pour les besoins locaux du Bas- Canada. Je sais que l'hon. membre a révoqué en doute l'exactitude des chiffres de l'hon. ministre des finances, et a donné à entendre que les revenus locaux ne seraient pas aussi considérables; mais, comme je tire les chiffres que je donne des comptes publics, je crois que nous devons les considérer comme exacts. Dans tous les cas, voici les chiffres que je trouve par le dépouillement des documents officiels:
Dépenses autres que celles de légis
lature et de la dette locale du Bas-
Canada... $997,000
Frais de législation 150,000
Intérêt sur la dette locale 90,000
Total... $1,237,100
Maintenant, les revenus du Bas-Canada seront comme suit, en prenant les chiffres actuels et sans ajouter les augmentations probables:
Droits de glissoire... $49,040
Casuel... 4,000
Prêt aux incendiés de Québec... 294
Amendes, etc... 341
Taxes sur les procédures... 91,731
Honoraires des mesureurs de bois... 79,960
Intérêt sur le fonds d'emprunt muni-
cipal... 114,889
Palais de justice du Bas-Canada... 25,392
Fonds des jurés et de bâtisse, Bas-
Canada... 29,710
Fonds des municipalités du Bas-
Canada... 38,752
Terres des écoles communes... 128,240
Licences d'auberge affectées au fonds
des municipalités du Bas-Canada. 3,962
Terres de la couronne... 205,512
Total des revenus... $771,823
4 chelins par tête de la population... 888,888
$1,660,711
Moins,-Intérêt sur le fonds d'emprunt
municipal, et produit des terres
des écoles... $243,129
Laissant un revenu net de... $1,417,582
L'on voit donc que ces chiffres s'accordent avec les calculs de l'hon. ministre des finances, moins une différence de $20,000 à $25,000. Le Bas-Canada aura un revenu de près de $1,500,000, et le surplus de son 385 revenu sur ses dépenses, d'après les calculs du ministre des finances sera de $209,000.
L'HON. A. A. DORION —Pourquoi retranchez-vous les revenus du fonds d'emprunt municipal? Est-ce parce que le Bas-Canada sera chargé de payer la dette du fonds d'emprunt municipal?
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Je retranche l'item du revenu des écoles communes, parce qu'avec le temps les terres s'épuiseront, et que par conséquent ce revenu ne peut être regardé comme permanent. D'ailleurs, ce montant doit être ajouté au fonds des écoles communes et ne peut réellement être considéré comme un revenu ordinaire. Il en est de même du revenu du fonds d'emprunt municipal, qui ne peut être regardé comme un revenu permanent, et qui disparaîtra lorsque la dette s'éteindra. Je ne voulais pas tromper la chambre en lui faisant croire que ce revenu serait permanent, et je n'ai voulu compter que les revenus ordinaires. Mais, d'un autre côté, l'on doit comprendre qu'il y a une foule de ces revenus qui augmenteront avec le temps, en sorte que le surplus du revenu du Canada sur les dépenses sera toujours considérable.
L'HON. A. A. DORION—L'hon. membre n'a pas bien compris ma question. Je lui demandais si le Bas-Canada sera tenu de payer la dette municipale, et il n'a pas répondu.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—J'ai très-bien compris l'hon. membre; mais je me suis fait une loi de ne pas me laisser entraîner à droite ou à gauche par les interruptions, et je ne m'en départirai pas maintenant. (Ecoutez!) Les chiffres que j'ai donnés sont très importants, parce qu'il montrent que le Bas-Canada aura un revenu réel, sous la nouvelle constitution,—un revenu qui n'est pas calculé sur l'augmentation probable et les progrès futurs du pays, mais sur le revenu actuel—de près de $1,500,000 pour faire face aux dépenses locales. Et, cependant, en face de ces chiffres, qui sont basés sur les faits les plus évidents, les hon. membres viennent parler de taxes directes! Ils veulent seulement effrayer le pays; mais celui-ci comprendra que cette taxe directe ne peut pas arriver, avec le surplus de revenu que nous aurons. Elle arrivera si le Bas-Canada fait des extravagances et dépense plus que ses moyens, mais pas autrement. Le Bas-Canada aura un revenu suffisant pour faire face à toutes ses dépenses, pourvu qu'il ne fasse pas comme celui qui, ayant £400 de revenu, dépenserait £1,000 par année. Les dépenses totales du Bas-Canada pour tous les objets, moins les frais de législation et le paiement de l'intérêt sur la dette locale, seront de $997,000, en calculant la dépense sur la base d'aujourd'hui. Mais l'on comprend que le Bas-Canada réduira ses dépenses,—comme, par exemple, celles qui se rattachent au département des terres de la couronne,—et qu'il fera des économies afin de pouvoir plus tard faire face aux dépenses de travaux locaux, sans avoir à différer d'autres dépenses urgentes. L'on peut porter à $150,000 les dépenses de la législature locale du Bas-Canada, et c'est là une estimation très raisonnable, lorsque l'on se rappelle que toutes les questions d'intérêt général seront discutées et réglées par le parlement fédéral, et que la législature locale n'aura à s'occuper que de questions d'intérêt local. L'on comprendra facilement que les sessions seront beaucoup plus courtes qu'elles ne le sont aujourd'hui, et par conséquent elles seront moins dispendieuses. Nous savons tous qu'avec le système actuel les longues discussions n'ont pas lieu en chambre sur les bills privés ou les mesures d'intérêt local,— qui sont discutés dans les comités,—mais qu'elles s'élèvent sur les questions d'intérêt général, comme celles des chemins de fer, de l'impôt, du tarif,—comme celle de la confédération,—et que ce sont ces discussions qui prolongent les sessions. Je dis de plus que l'intérêt de la portion de la dette publique qui nous sera assignée sera d'environ $90,000, et que toutes nos dépenses annuelles s'élèveront à $1,237,000,— ce qui nous laissera un surplus de revenu de $209,000. J'espère que le Bas-Canada sera assez prudent pour mettre une bonne partie de ces $209, 000 de côté, afin de pouvoir s'en servir plus tard pour effectuer des améliorations et des travaux locaux sans avoir à toucher à son revenu annuel. (Ecoutez! écoutez!)
M. DUFRESNE (d'Iberville)— Il pourra les prêter! (Rires.)
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN.—L'hon. membre pour Hochelaga a feint de s'effrayer de la position du Bas-Canada dans la confédération comme de la taxe directe. Il nous a parlé longuement de l'heureuse position financière du Bas-Canada lorsqu'il est entré dans l'Union en 1841; mais il faut se rappeler qu'avant l'Union les revenus du Bas-Canada n'étaient que de $580,000, et que, cependant, il lui fallait pourvoir à toutes les dépenses locales et à beaucoup de dépenses générales qui, sous la confédération, tomberont dans 386 e domaine du gouvernement fédéral, comme, par exemple, le paiement des salaires des juges, etc. Sous la confédération, le Bas- Canada aura un surplus de plus de $200,000 sur ses dépenses locales, même si les dépenses actuelles ne sont pas réduites. L'hon. membre pour Hochelaga a dit aussi que la partie de la dette afférente au Bas- Canada, à part de la dette générale, serait de $4,500,000. Il faut qu'il ait fait de grandes erreurs de calcul pour arriver à ces chiffres, car la dette des deux Canadas aujourd'hui, déduction faite du fonds d'amortissement, est de $67,263,000.—Si je compare ce calcul avec celui que l'hon. membre a publié dans son manifeste à ses électeurs, en 1863, je prouverai qu'il a changé du tout au tout, et qu'il ne doit pas accuser les autres d'erreur. Ainsi, dans son manifeste, il a dit qu'à part la dette d'alors, il faudrait $16,000,000 pour le chemin de fer intercolonial, et cependant aujourd'hui il dit qu'il en faudrait vingt!
L'HON. A. A. DORION— C'est le président du conseil qui l'a dit.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon. membre ne devait pas se fier aux calculs du président du conseil, puisqu'il prétend que rien de bon ne peut venir de ce côté de la chambre. Mais l'hon. membre ne voulait pas trop effrayer la population alors, c'est pourquoi il a dit seize millions, tandis qu'il dit vingt aujourd'hui. Quant au montant de la dette publique, l'hon. ministre des finances nous a donné des chiffres tirés des meilleures sources, et je préfère prendre ses chiffres plutôt que ceux de l'hon. membre pour Hochelaga. Le ministre des finances nous a dit que la dette totale des deux Canadas, sans compter le fonds d'amortissement, était de $67,263,000, et que le gouvernement fédéral se chargerait de $62,500,000. Il restera donc environ $4,763,000 à répartir entre le Haut et le Bas-Canada, et si le Bas-Canada, comme l'a dit l'hon. membre, en prend pour sa part $4,500,000, il ne restera qu'environ $262,000 pour le Haut-Canada! Je ne vois pas du tout comment l'hon. membre a pu faire un pareil calcul, car il est évidemment erroné.
L'HON. A. A. DORION—Que l'hon. solliciteur-général s'adresse au ministre des finances, et il en aura l'explication.
L'HON. SOL-GÉN. LANGEVIN —Il est évident que l'hon. membre pour Hochelaga, dans ses calculs de la répartition du résidu de la dette entre le Haut et le Bas-Canada, a mis un 4 au lieu d'un 1 ou d'un 2, comme il a mis 20 au lieu de 16 pour le chemin de fer intercolonial. Dans son désir de trouver le plan fautif, il voit double, et au lieu de cinq millions à partager, il en voit neuf. La dette afférente au Bas-Canada ne sera pas de $4,500,000, mais il n'aura que sa juste part des cinq millions à partager.
L'HON. A. A. DORION—L'hon. membre a oublié les explications du ministre des finances, qui a dit que la dette contractée pour le rachat de la tenure seigneuriale, qui est, de trois millions, n'était pas comprise dans la dette générale.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN— Le ministre des finances a porté toute la dette, dans son discours de Sherbrooke, à $67,263,994. Le montant de la dette est de $75,578,000; mais il faut en retrancher le fonds d'amortissement et les fonds en banque, $7,132,068, qui la réduisent à $68,445,953; le ministre des finances en a aussi retranché le fonds des écoles communes, qui est de $1,181,958—et il en est arrivé au résultat que je viens de donner, c'est-à-dire que la dette réelle du Canada est de $67,263,994. Je ne donne pas tous les items de la dette publique, parce que je crois que ce n'est pas à moi à prouver que les calculs du ministre des finances ne sont pas exacts: mais c'est à ceux qui l'accusent d'erreur; et les comptes publics sont là pour prouver que le ministre des finances n'a dit que la vérité.—L'hon. membre pour Hochelaga a manifesté de grandes craintes par rapport à la position financière de la confédération; mais nous avons là aussi les mêmes garanties que pour celle des gouvernements locaux. Il a prétendu que Terreneuve, par exemple, était trop pauvre pour contribuer aux revenus de la confédération, et qu'au lieu d'en recevoir, il nous faudra lui envoyer de l'argent pour y empêcher les gens de geler. Cependant, l'hon. membre sait bien que Terreneuve a un revenu considérable, un revenu de $480,000. et que ses dépenses sont moins fortes que ses revenus. Terreneuve aura sa part du trésor fédéral, mais il contribuera aux revenus généraux. Et pendant que j'en suis à considérer cette partie du discours de l'hon. membre, je dois avouer que c'est le meilleur plaidoyer en faveur de la confédération, au point de vue des provinces d'en-bas, qui pût être fait, et je désirerais pour ma part qu'il en fût envoyé des milliers d'exemplaires dans ces provinces, car il a voulu prouver qu'elle serait tout à leur avantage. Il a essayé de prouver qu'elles auraient un revenu 387 plus considérable que celui qu'elles ont aujourd'hui; mais il n'a pas dit que le Bas- Canada aurait $200,000 de plus que les dépenses. Il sait très bien que tous les revenus des provinces forment un montant de $14,223,320—pour 1864—et que des dépenses totales ne s'élèvent qu'à $18,350,832,—en sorte qu'il y a un surplus de $872,488, à part l'augmentation des impôts en 1864. C'est là une belle position financière pour former une confédération.—L'hon. membre pour Hochelaga a dit que le Nouveau-Brunswick aurait $34,000 de surplus sur ses dépenses, et il se plaint à cause de cela du subside de $63,000 que l'on propose de lui payer pendant dix ans. Mais l'on sait bien que ce subside lui est payé parce qu'il livre tous ses revenus au gouvernement fédéral, excepté celui de l'impôt sur l'exportation des bois; c'est pour cela que ses délégués ont insisté à ce que ce subside lui soit payé pendant dix ans, et ils ont en raison. L'hon. député a aussi dit que l'Ile du Prince- Edouard allait avoir $48,000 de plus que ses dépenses. Mais, dans ce cas, comment se fait-il qu'elle ait tiré de l'arrière jusqu'ici; il faut qu'elle ne voie pas les choses du même œil que l'hon. député. La vérité, néanmoins, est que l'Ile du Prince-Edouard a été traitée, comme les autres provinces, avec justice et équité par la conférence de Québec, que ses besoins locaux ont été consultés, et qu'on lui a formé un revenu suffisant pour y pourvoir.—L'hon. député pour Hochelaga, qui a parlé en anglais, a fait à cette occasion un appel chaleureux aux députés du Haut- Canada, et leur a dit qu'il allait y avoir des impôts énormes, et qu'ils paieraient les deux tiers du revenu et des taxes. Il a bien fait de parler en anglais, car je suis sûr qu'il ne dirait pas la même chose en français, en présence des membres du Bas-Canada; il ne ferait pas un appel de cette nature, et je le regrette, parce qu'il aurait donné là la meilleure raison pour nous d'entrer dans la confédération: mais je dois avouer que cet avancé de l'hon. député n'est pas exact, car la base de la confédération est justice pour tous.—L'hon. député pour Hochelaga a aussi dit, pour faire impression sur les députés du Haut-Canada, que l'extension de la confédération dans l'ouest était une " farce, " " une affaire pour rire," parce que les provinces de l'Ouest n'y pensent même pas et que nous n'avons aucun communication avec ce territoire
L'HON. PROC.-GÉN. CARTIER—Il faut passer par le cap Horn! (Rires.)
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN —Depuis qu'il est question de confédération, les journaux de Victoria (Vancouver) et de la Colombie Britannique sont arrivés, et ils s'accordent tous à dire qu'il est de leur intérêt de s'unir avec les provinces pour toutes les affaires générales, en conservant le contrôle de leurs affaires locales. Voici, en effet, ce que je trouve dans l'un de ces journaux:—
"Quel que soit le résultat des tentatives actuelles de former une confédération des colonies de l'Amérique du Nord, nous pouvons être certains d'une chose, c'est que peu d'années s'écouleront avant l'accomplissement d'un projet de cette nature. Une demi-douzaine de provinces, voisines les unes des autres, et soumises à une même puissance, avec des tarifs différents, est un état de choses qui, par sa nature même, ne peut longtemps exister. Cependant, indépendamment de cette anomalie, on rencontre des colonies de l'Amérique du Nord, auxquelles il faut ouvrir une carrière politique plus vaste. Le peuple a été trop longtemps sous le poids d'incapacités qui, en blessant son amour-propre, rendaient sa position humiliante aux yeux du monde entier. Avec tous les avantages d'un gouvernement responsable que lui ont accordé les autorités impériales, après des années de luttes et d'épreuves, le colon possède à peine la moitié des privilèges nationaux que possède un Anglais. Il est privé de sa part de patronage, même dans le cas où il a droit à cette protection et en est éminemment digne. La position de gouverneur des colonies ne lui a été que rarement ou jamais accordée, et, dans plusieurs parties de l'empire de Sa Majesté, on lui interdit la pratique de sa profession dans les cours de justice. Nous saluons donc cette initiative du gouvernement canadien comme le commencement de la régénération des colons, qui étaient restés jusqu'ici en tutelle. Avec une confédération de colonies s'étendant d'un océan à l'autre, quelles limites peut-on assigner à notre grandeur, à notre progrès matériel et à nos aspirations politiques. Au lieu de voir le talent de nos hommes d'Etat contenu, harcelé et restreint dans les bornes étroites d'une politique locale, il embrassera pour horizon un continent tout entier, tandis qu'un champ plus vaste, plus naturel, sera ouvert à l'esprit actif et entreprenant des provinces de l'Amérique du Nord. Le manque d'espace ne nous permet pas de discuter cette question plus au long aujourd'hui; mais nous espérons que le mouvement réussira et nous permettra, à une époque peu éloignée, de sortir de la position d'isolement et de faiblesse dans laquelle nous sommes aujourd'hui pour faire partie de la grande confédération de l'Amérique Britannique du Nord."
C'est là le langage de l'un des journaux de ces colonies. Qu'en dit l'hon. député? J'espère que l'on me pardonnera de lire encore quelques extraits de ces journaux que nous ne lisons pas assez ici, quoiqu'ils puissent nous renseigner sur cette partie 388 de l'Amérique Britannique du Nord. Un autre journal dit donc:
"Il n'y a donc qu'un chemin d'ouvert aux colonies anglaises, et surtout aux colonies de l'Amérique du Nord et de l'Australie. Avant que dix ans se soient écoulés, la population des colonies comprises entre l'Ile de Vancouver et Terreneuve ne sera guère moins de six millions d'âmes, occupant un territoire aussi vaste que celui des Etats- Unis avant la guerre civile et plus considérable que les trois quarts de l'étendue de l'Europe. Avec des communications télégraphiques et des chemins de fer d'un océan à l'autre, avec une union fédérale qui réunira et concentrera les talents, qui aura pour mission de représenter les divers intérêts des colonies, quel pays a devant lui un plus bel avenir que cette immense confédération avec ses ressources inépuisables et multiples?"
Je ne continuerai pas plus longtemps à citer ces journaux, mais j'ai voulu faire voir que le plan de confédération, non seulement n'est pas un plan de politiques aux abois, comme l'a dit l'hon. membre pour Hochelaga, mais que les provinces y tiennent parce qu'elles y voient leur avantage. Quant aux facilités de communications, je puis citer une excellente autorité—celle du professeur HIND— pour démontrer qu'elles ne sont pas aussi difficiles que l'a dit l'hon. membre. Voici ce que contient un essai lu par le professeur HIND sur le territoire du Nord- Ouest:
"Le parti immigrant canadien s'assembla au Fort Garry, en juin 1862, pour se rendre à sa destination, voyageant par chemin de fer, diligence et bateau à vapeur, en passant par Détroit, La Crosse, Saint-Paul et Fort Abercrombie. Au Fort Garry, il se sépara en deux bandes: la première division contenait environ cent émigrants; la seconde soixante-cinq personnes en tout.
"La première division prit la route nord par Carlton à Edmonton; la seconde, la voie du sud A Edmonton, les émigrants changèrent toutes leurs charrettes pour prendre des chevaux et des bœufs, et allèrent de là, en droite ligne, au Passage Leather, (lat. 54e,) dans lequel ils prirent 130 bœufs et et environ 70 chevaux. Ils se trouvèrent soudainement à la tête des eaux de la rivière Fraser, et la montée avait été si douce que le seul moyen qu'ils eurent de connaître qu'ils avaient passé le sommet qui divise les Montagnes-Rocheuses fût d'observer subitement que les eaux des rivières coulaient à l'ouest. Ils tuèrent sur les montagnes quelques bœufs pour servir à lents approvisionnements: ils en vendirent d'autres aux Indiens à Tête Jaune Cachée, sur la rivière Fraser, et d'autres furent envoyés, par radeau, sur la rivière Fraser, aux fourches de la Quesnelle. A Tête Jaune Cachée une portion de la bande se détacha du reste et, avec quatorze chevaux, traversa par un vieux sentier battu la rivière Thompson et réussit ainsi à transporter les chevaux du Fort Garry, à travers les Montagnes-Rocheuses, dans une partie de la Colombie Anglaise, considérée comme impéné trable, à la station d'hiver de la rivière Thompson, où l'on garde les bêtes de somme qui appartiennent aux chercheurs d'or. Une femme et trois petits enfants accompagnaient ce parti. On eut grand soin des petits enfants, car les émigrants avaient amenés avec eux une vache, et ces jeunes voyageurs furent fournis de lait pendant tout le temps que dura le voyage au Passage Leather, dans les Montagnes-Rocheuses. Je regarde comme un évènement d'une importance sans exemple dans l'histoire de l'Amérique Britannique centrale l'heureux voyage des émigrants canadiens à travers le continent, en 1862. Il ne peut manquer de faire ouvrir les yeux à tout homme pensant sur l'aspect singulier du pays qui forme la scène de ce voyage remarquable. Probablement qu'il n'existe nulle part ailleurs sur le globe une même étendue de pays, de 1000 milles de longueur, entièrement à l'état de nature, qu'il fût possible à 100 personnes, y inclus une femme et trois enfants, de traverser dans une seule saison, avec succès et même en surmontant facilement les obstacles formidables que l'on suppose se présenter sur les Montagnes- Rocheuses. Par l'examen de ce que l'on connaît maintenant de l'Amérique Britannique centrale, les faits suivants ne peuvent manquer de réveiller l'attention et occuper la pensée de ceux qui croient qu'elle mérite bien que l'on considère son avenir et les relations possibles que nous pouvons avoir avec elle, ainsi que les générations qui nous succèderont. Dans le grand bassin du lac Winnipeg, nous avons trouvé une étendue de terre cultivable égale à trois fois la surperficie de cette province, et égale à toutes les terres propres aux établissements agricoles du Canada. Ces terres sont arrosées par de grands lacs, aussi grands que l'Ontario, et par de vastes rivières qui, pendant la saison d'été, sont navigables jusqu'à la vue des Montagnes Rocheuses. Elles renferment d'inépuisables réservoirs de fer, de lignite, de houille, de sel et beaucoup d'or. Cette contrée possède un port de mer à 350 milles en dedans de la Baie d'Hudson, en passant par la rivière Fraser, et qui est accessible aux bateaux à vapeur pendant trois mois de l'année. Ce bassin est la seule place du continent américain qui soit laissée où une nouvelle nation puisse se former et trouver existence."
C'est là une réfutation complète de ce qu'a dit l'hon. membre pour Hochelaga, que les communications avec ces colonies étaient impossibles. Dans une partie de cette lecture, le professeur HIND dit qu'entre le lac Supérieur et le lac des Bois, i1 n'y a qu'une distance de 200 milles environ, et qu'une fois cette distance franchie, l'on se trouve dans une immense vallée de plus de 1,000 milles de longueur,—vallée magnifique qui pourra former partie de la confédération et fournir un débouché à notre population. L'hon. membre pour Hochelaga nous a encore dit que si nous acceptions la confédération, nous tomberions plus tard dans une union législative; mais il sait bien que, par la constitution qui est soumise à cette chambre, il ne s'agit que d'une union fédé 389 rale. Si plus tard nos descendants veulent avoir une union législative, ce sera leur affaire et non la nôtre; et s'ils la veulent, c'est qu'ils seront assez forts alors pour n'en avoir rien à craindre. D'ailleurs, sans entrer dans tous les détails relatifs à la position religieuse du Bas-Canada, dans la confédération, je ferai remarquer que la population totale de toutes les provinces était, en 1861, de 3,300,000 habitants, et que sur ce nombre les catholiques forment un total de 1,494,000. Ils seront donc assez nombreux pour protéger leurs intérêts religieux et autres, et ces intérêts seront en sûreté dans les législatures locales. Nous ne cherchons pas à avoir des priviléges que les autres n'ont pas; nous voulons seulement que nos droits soient respectés comme nous respectons ceux des autres. Les Canadiens-Français ne sont pas, n'ont jamais été, et ne deviendront pas persécuteurs, ni en politique, ni en religion, sous la confédération. J'en appelle aux hommes qui appartiennent à d'autres religions pour savoir si nous avons jamais été injustes ou persécuteurs à leur égard. Les populations d'origine étrangère dans le Bas-Canada n'auront rien à craindre sous le gouvernement fédéral. Mais, après ce que les hon. membres pour Hochelaga et Lotbinière ont dit, et la défiance qu'ils ont cherché à faire naître dans l'esprit de la population canadienne-française et catholique dans le Bas- Canada, je pense que la chambre me permettra de lire un extrait d'une lettre de Sa Grâce Mgr. l'Archevêque d'Halifax, qui doit comprendre les intérêts des catholiques tout autant que ces deux hon. membres. Voici ce qu'il dit en réponse à ceux qui prétendaient que nous avions à craindre une invasion du pays par les Féniens:
"S'il y a 50,000 hommes déjà prêts à envahir ce pays, comme vous l'admettez, au lieu de travailler à nous maintenir dans notre condition anormale et faible, vous devriez plutôt prêcher l'union de tous afin de pouvoir faire face à l'ennemi. Si le gouvernement responsable, que les grands hommes de ce pays nous ont conquis, est un héritage précieux dans notre présente position, tout limité qu'il soit actuellement, au lieu de le troquer pour rien pour la confédération, comme vous dites, nous devrions plutôt, dans mon opinion, lui donner plus de lustre et de valeur, l'augmenter et l'enrichir, l'agrandir sans limite et le rendre plus sûr pour nous-mêmes et pour ceux qui vienront après nous. Nous avons obtenu le gouvernement responsable de la mère-patrie, dans la législature de laquelle nous n'avions pas un seul pour nous représenter. Aujourd'hui, nous demandons, au contraire, à tranférer ce riche et précieux dépôt à un endroit qui ne sera qu'une portion de notre pays commun, où notre voix pourra se faire entendre, et où nous aurons une représentation plus complète et plus équitable que la ville de Londres, ou Liverpool, ou Bristol, peuvent se vanter d'avoir dans la chambre des communes en Angleterre. Il y a une grande différence entre obtenir de l'Angleterre ce que nous n'avions pas, et de transférer ce que nous possédons aujourd'hui, afin de le rendre plus important et plus propre à favoriser nos destinées futures. C'est pourquoi la conféderation, au lieu de nous priver des priviléges du self-government, est la seule garantie pratique et inébranlable pour le maintien de ces priviléges. Nous sommes trop petits pour pouvoir toujours compter sur nos propres ressources, et l'Angleterre, si elle n'est pas trop faible, est certainement trop prudente et trop circonspecte pour risquer son dernier chelin et son dernier homme dans un pays où, au lieu d'une population de quatre millions, elle trouvera à peine un dixième de ce nombre pour l'aider contre la puissance unie de tout un continent. Pour nier, conséquemment, les avantages de la confédération, vous devez d'abord prouver que l'union n'est pas la force; que l'Angleterre sous l'heptarchie, et la France, sous la féodalité et les barons, étaient plus grandes, plus fortes et plus heureuses qu'elles le sont aujourd'hui, comme les deux plus grandes nations du monde."
Voici ensuite ce qu'il dit en réponse à ceux qui ne veulent pas de défense, sous prétexte que nous n'avons rien à craindre de nos voisins:
"A-t-on jamais vu une nation, ayant le pouvoir de conquérir, ne pas l'exercer, ou même ne pas en abuser, à la première occasion favorable? Tout ce que l'on dit de la magnanimité et de la clémence des nations puissantes, se réduit au principe de convenance (expediency) que tout le monde connaît. La face entière de l'Europe a changé et les dynasties de plusieurs siècles se sont écroulées, de notre temps même, par la seule raison de la force, qui est le plus ancien, le plus puissant, et, comme plusieurs le prétendent, le plus sacré de tous les titres. Les treize Etats d'Amérique, avec toutes leurs protestations d'abnégation, ont, au moyen de l'argent, de la guerre et des négociations, reculé leurs frontières jusqu'à ce qu'ils aient plus que quadruplé leurs territoires, et ce, dans une période de moins de soixante ans, et, le croira qui voudra, peut-on supposer qu'ils sont disposés à s'en tenir là? Non; tant qu'ils en auront le pouvoir, ils s'avanceront, car c'est dans la nature même du pouvoir d'accaparer tout ce qui se trouve il sa portée. Ce ne sont donc pas leurs sentiments hostiles, mais c'est leur puissance et leur puissance seule que je crains."
En réponse à ceux qui disent que la meilleure défense est de n'en pas avoir, il dit:
"Etre suffisamment prêt, est le seul argument pratique qui peut avoir du poids auprès d'un ennemi puissant et qui peut lui faire faire quelques réflexions avant de se lancer dans l'entreprise. Et, comme je désire pour nous cette condition que nous sommes incapables d'atteindre sans l'union 390 des provinces, je sens qu'il est de mon devoir de me déclarer en faveur d'une confédération au prix de tous les sacrifices raisonnables. Après la plus mûre considération du sujet, et tous les arguments que j'ai entendus de tous côtés, dans le cours du dernier mois, c'est ma conviction la plus profonde que la confédération est nécessaire, qu'elle est la mesure seule qui, avec le secours de la Providence, peut nous assurer l'ordre social, la liberté rationnelle et tous les bienfaits dont nous jouissons maintenant sous le gouvernement le plus doux et les institutions du pays le plus libre et le plus heureux du monde."
Maintenant, voici une courte lettre de l'évêque catholique de Terreneuve qui n'a pas encore été lue dans la chambre, mais qui vient d'être publiée dans les journaux.
"Saint-Jean, 5 janvier 1865.
"Mon cher monsieur,—En réponse à votre lettre de cette date, je prends la liberté de vous faire savoir que je n'ai pas pris note des observations que j'ai faites, lors du dernier examen des élèves du collége de Saint-Bonaventure. Je me rappelle très bien, cependant qu'au nombre des arguments dont je me suis servi pour faire comprendre tant aux parents qu'aux élèves la nécessité de l'éducation, se trouvait celui-ci: que, si l'on en jugeait par la tendance du siècle, il y aurait une union de toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord, si non immédiatement, du moins dans quelques années, et cela par la seule force des circonstances. Je dis aussi que cette union aurait une influence extraordinaire sur la génération nouvelle dans l'Ile de Terreneuve. On avait pour habitude de dire qu'une éducation de première classe était tout à fait inutile dans ce pays. Je repoussai entièrement cette idée. Les habitants de Terreneuve n'étaient point prisonniers sur cette île,—l'Empire Britannique et les Etats leur étaient ouverts. Partout où la langue anglaise était parlée, il y avait une carrière pour un habitant de Terreneuve ayant de l'éducation. Mais indépendamment de cela, la confédération des provinces créerait chez nous un champ ouvert à l'éducation et au talent,—un champ reculant ses limites tous les ans, et dont nous ne pouvons pas aujourd'hui nous former une idée. Le barreau, par exemple, serait ouvert à tous; la législature centrale créerait une immense arène où pourraient venir s'exercer les aptitudes de nos politiques,—les plus hautes dignités de la magistrature et de l'administration seraient ouvertes aux habitants de Terreneuve comme aux Canadiens ou aux habitants de la Nouvelle- Ecosse,—et j'espère qu'on les trouverait parfaitement qualifiés, sous le rapport de l'éducation, à figurer à côté de ceux-ci, leurs concitoyens confédérés, et placés, pour mériter les récompenses que la confédération leur offriraient, sur un pied de parfaite égalité. Je crois sincèrement qu'ils pourraient prétendre à tout cela, car mon expérience me dit que la jeunesse de ce pays est douée de talents aussi distigués et d'aptitudes aussi grandes; et je n'ai vu dans aucune contrée européenne des élèves s'acquitter mieux de leur tâche (et dans bien des cas, ils s'en acquittaient bien moins bien) qu'ils ne l'ont fait aux examens préparatoires et au présent examen. Voilà, autant que je puis me le rappeler, les remarques que je fis relativement au fait, immédiat ou futur, de la confédération des provinces."
Ainsi, pendant que les hon. députés veulent effrayer le Bas-Canada en disant que notre religion et notre nationalité sont en danger, voici un archevêque et un évêque qui se déclarent fortement en faveur de la confédération, et qui n'y voient aucun danger pour leurs ouailles. Et l'on sait que de même qu'ici tout le corps respectable et respecté du clergé, depuis les chefs jusqu'au dernier de ceux qui les suivent, sont en faveur de la confédération. Mais l'hon. député pour Hochelaga, afin d'effrayer le Bas-Canada, a dit que nous aurions bientôt une union législative, et que dans ce cas les 50 députés Canadiens-Français du Bas-Canada s'uniraient à la majorité du parlement fédéral afin d'entraver le fonctionnement du gouvernement fédéral. Eh bien! c'est là la meilleure preuve que nous n'avons rien à craindre et qu'il n'y a aucun danger pour nous sous la confédération. L'histoire est là pour prouver qu'il y aura toujours une opposition, et que si l'on veut opprimer une section de la confédération, ses représentants s'allieront en masse à la minorité, et, devenant par là la majorité, empêcheront toute injustice de la part du gouvernement central. Je remercie l'hon. député d'avoir fourni malgré lui cet argument eu faveur de la confédération. L'hon. député a ensuite fait un appel aux passions nationales et aux jalousies de races. Il a dit que la minorité protestante du Bas- Canada devait chercher à se protéger contre la majorité de cette section. Je le répète, il a dit cela en anglais et ne le répéterait pas en français. Mais, comment la minorité a-t- elle été traitée dans le Bas-Canada, quand il avait son parlement distinct? La majorité canadienne-française ne s'est-elle pas toujours montrée libérale envers nos compatriotes d'origine et de religion différentes des nôtres? Dieu merci! notre race n'est pas persécutrice, et elle a toujours été libérale et tolérante. L'hon. député pour Lotbinière, (M. JOLY), a aussi fait appel aux passions religieuses et nationales de la minorité anglaise du Bas-Canada, mais il aurait dû se rappeler qu'il n'y a pas plus de danger pour la race Anglaise dans le Bas-Canada que pour les autres, et qu'il était le dernier membre de la chambre qui aurait dû faire appel aux préjugés religieux et nationaux...
391
M. JOLY.—M. le PRÉSIDENT, je demande la permission de rectifier l'hon. membre.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN— L'hon. membre pourra parler plus tard.
M. JOLY.— Mais chaque membre a le droit de rectifier un autre, lorsqu'on lui fait dire le contraire de ce qu'il a dit.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—M. le PRÉSIDENT, je rappelle l'hon. membre à l'ordre. Je ne lui ai pas reproché d'avoir fait un discours de trois heures; je ne l'ai pas interrompu pendant qu'il parlait, et par conséquent je ne veux pas être interrompu. Je ne veux pas lui faire dire des choses qu'il n'a pas dites, mais je veux faire voir qu'il a fait un appel aux Anglais du Bas-Canada pour les engager à refléchir sur le sort de leur race et de leur religion lorsqu'il a lu un extrait du rapport de lord DURHAM; l'hon. membre a eu le soin de ne le lire qu'en anglais.
M. JOLY. — Je proteste contre les paroles de l'hon. député, et je demande à m'expliquer.
M. J. B. E. DORION—Ce n'est pas exact; l'hon. député pour Lotbinière n'a pas fait d'appel aux passions religieuses.
M. JOLY —Je demande, M. le PRÉSIDENT, si l'hon. député a le droit de me faire dire ce que je n'ai pas dit.
L'HON. M. L'ORATEUR—L'hon. député pour Lotbinière aura le droit d'expliquer ses paroles ou de rectifier le soliciteur-général quand il aura fini de parler.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—J'ai la parole et j'ai le droit d'être entendu sans être interrompu.
M. J. B. E. DORION—Parlez; mais représentez exactement ce qu'un membre a dit.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon. député trouve mauvais que l'on attaque un de ses amis, et pourtant il ne trouvait pas mauvais ce que l'hon. député pour Lotbinière a dit hier soir contre l'un de mes collègues, l'hon. procureur-général du Bas- Canada. D'ailleurs, je ne veux pas être interrompu.
M. J. B. E. DORION—C'est là la justice des membres de l'autre côté de la chambre!
L'HON. PROC.-GÉN. CARTIER—Vous pourrez parler quand vous voudrez; vous parlerez quand votre petit tour viendra, mais nous ne vous écouterons pas!
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Je dis donc que l'hon. député pour Lotbinière a fait un appel aux passions, en cherchant à faire croire d'un côté que la nationalité canadienne-française et la religion catholique seraient en danger dans la confédération, et de l'autre côté que la nationalité anglaise et la religion protestante seraient en danger dans le Bas-Canada sous un gouvernement local. Il a cité en anglais le rapport de lord DURHAM pour faire croire que jamais les Anglais du Bas-Canada ne consentiraient à se soumettre à une législature dont la majorité serait canadienne- française; mais, pour ma part, je ne crois pas cela, et je crois qu'ils s'y soumettront, parce qu'ils seront certains d'être traités avec justice. Encore une fois, ce n'était pas à lui de dire cela, parce qu'il est lui-même élu par un comté tout à fait catholique, qui n'a pas craint de lui confier ses intérêts. Il n'aurait donc pas dû faire cet appel, puisqu'il est lui-même la preuve vivante de la tolérance religieuse et de la libéralité de nos compatriotes. L'hon. député pour Hochelaga n'aurait pas dû parler non plus comme il l'a fait dans le même sens, quand on a vu une grande et importante division électorale—la division des Laurentides—rejeter un vénérable vieillard qui se présentait pour sa réélection pour le conseil législatif —un homme qui était dans la vie politique depuis plus de vingt-cinq ans, pour lui préférer un Anglais protestant (l'hon. M .PRICE), bien qu'il n'y eût pas 1,500 protestants dans toute la division sur une population de 50,000 âmes. L'élection du représentant du comté de Mégantic (M. IRVINE) est encore une nouvelle preuve de la libéralité de nos compatriotes, puisque ce comté est composé en majorité de Canadiens-Français et de catholiques.
M. J. B. E. DORION—Ce ne sont pas eux qui l'ont envoyé ici.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Pardon; sans leurs votes il ne serait pas entré dans cette enceinte pour ce comté. J'ajouterai, M. le PRÉSIDENT, que la présence ici de l'hon. membre pour Shefford (M. HUNTINGTON); celle de l'hon. membre pour Châteauguay (M. HOLTON), et celle de plusieurs autres députés, sont la preuve de la libéralité de nos compatriotes, puisque ces hon. députés. bien qu'Anglais et protestants, représentent des comtés dont la grande majorité de la population est canadienne-française et catholique. Les Anglais ont toujours été traités avec plus de libéralité 392 que l'hon. député pour Hochelaga nous traiterait peut-être nous-mêmes s'il était au pouvoir. Nous n'avons pas eu besoin des hon. députés pour Hochelaga et Lotbinière pour protéger les minorités dans la conférence; nous avons été les premiers à réclamer justice pour les catholiques du Haut-Canada et les protestants du Bas-Canada, parce que nous avons voulu faire une œuvre solide et non pas bâtir sur le sable un édifice qui s'écroulerait dès le lendemain. Les Anglais du Bas-Canada ne s'émeuvront pas aux appels des hon. députés, car ils savent que lorsqu'ils auront droit à quelque chose, ils l'obtiendront sans difficulté et de bon cœur. Bien que je regrette, M. le PRÉSIDENT, de retenir cette hon. chambre à une heure aussi avancée de la nuit, néanmoins, la question est d'une si haute importance que je ne pense pas que cette chambre me reprochera de lui avoir fait connaître mes vues à ce sujet. On me permettra donc de réfuter une nouvelle assertion de l'hon. député d'Hochelaga. Cet hon. membre, qui a trouvé à redire à tout dans le plan de confédération qui nous est soumis, a cru apporter dans le débat un argument irrésistible en disant que la répartition de la dette était onéreuse pour le Bas-Canada. Il a ajouté, pour donner plus de force à cet argument, que le Bas-Canada était entré dans l'union avec une dette de quatre cent mille piastres, et qu'il en sortait avec trente millions à sa charge, n'ayant dépensé dans l'intervalle que douze millions de piastres pour les travaux publics exécutés dans ses limites. Cet argument est très spécieux. Si notre dette était de quatre cent mille piastres et qu'aujourd'hui elle soit de trente millions, l'hon. député devrait admettre que les circonstances aussi ont bien changé. Au temps de l'Union, notre population ne comptait que 630,000 habitants, et aujourd'hui elle est de 1,250,000. L'hon. membre ne devrait pas non plus oublier que lors de l'Union notre territoire ne produisait que vingt-et-un millions de minots de grains, tandis qu'aujourd'hui il en produit plus de cinquante millions; lors de l'Union, nous n'avions que 1,298 écoles et aujourd'hui nous en comptons 3,600; à l'Union, ces écoles n'étaient fréquentées que par 39,000 enfants, tandis qu'aujourd'hui elles le sont par 200,000 élèves; à l'Union, les exportations aux ports de Québec et de Montréal s'élevaient à neuf millions de piastres, aujourd'hui elles s'élèvent à plus de dix- huit millions; à l'Union, le nombre des vais seaux construits par année dans nos chantiers s'élevait à 48 seulement, aujourd'hui il est de 88 et le tonnage en a quadruplé. A l'Union, nous importions pour dix millions de piastres, aujourd'hui nous importons pour quarante- cinq millions; à l'Union, nos importations et exportations s'élevaient à seize millions, tandis qu'aujourd'hui elles s'élèvent à l'énorme somme de quatre-vingt-sept millions! Et c'est en présence de pareils chiffres que l'on vient nous dire que nous sortons de l'Union avec une dette de trente millions de piastres! A l'Union, le revenu de l'impôt sur les billets de banque, qui indique l'étendue des affaires, était de deux mille deux cents piastres; aujourd'hui il est de quinze mille quatre cent; à l'Union, le nombre des vaisseaux marchands arrivant à Québec chaque année était de mille, aujourd'hui il est de seize cent soixante, et le nombre des vaisseaux qui visitent tous les ports Bas-Canadiens est de mille quatre cent soixante-et-trois; à l'Union, le tonnage de ces vaisseaux était de deux cent quatre-vingt-quinze mille tonneaux aujourd'hui pour le port de Québec il est de huit cent sept mille, et un million quarante-un mille pour tout le Bas-Canada; à l'Union, il nous arrivait vingt-cinq mille matelots par saison, aujourd'hui il nous en arrive trente-cinq mille. En 1839, le revenu du Bas-Canada était de cinq cent quatre- vingt-huit mille piastres; en entrant dans la confédération, quoique nous n'ayons à payer aucune des dépenses pour affaires générales, il sera d'un million quatre cent quarante- six mille piastres, c'est-à-dire, qu'il aura sous la confédération un revenu trois fois aussi considérable qu'à l'époque de l'Union; et au lieu d'avoir, comme à cette époque- là, un excédant de dépenses d'environ quatre-vingt mille piastres sur le revenu, les dépenses totales du Bas-Canada seront, sous la confédération, d'environ douze cent mille piastres, laissant un surplus de plus de deux cent mille piastres! Si donc notre dette s'est accrue, nous avons par centre progressé d'une manière prodigieuse, et nous avons reçu valeur pour notre argent. Il ne faut pas oublier non plus que, lors de l'Union du Haut et du Bas-Canada, ce pays était sans chemins de fer aucuns; aujourd'hui, il est sillonné d'une de ses extrémités à l'autre par l'une des plus belles voies ferrées qu'il y ait sur ce continent, et avant peu, espérons-le dans l'intérêt de notre commerce et de notre sécurité, ce lien de fer reliera l'extrême 0uest à l'océan Atlantique. (Ecoutez! écoutez!) 393 Nous sommes entrés dans l'Union à une époque où le canal Welland était à peine commencé; nous en sortons aujourd'hui avec l'un des plus magnifiques systèmes de canaux qui soit au monde. Et les lignes télégraphiques donc! Lors de l'Union, la seule ligne que nous eûssions, était le télégraphe à boules que chacun de nous a dû voir et qui reliait la citadelle à l'Ile d'Orléans, et qui de là communiquait à la Grosse-Ile par un télégraphe du même genre. Aujourd'hui, un immense réseau de fils télégraphiques met en communications quotidiennes et instantanées les districts les plus éloignés des différentes provinces. Nous sortons de l'Union avec une dette plus élevée que lorsque nous y sommes entrés; mais nous en sortons avec un système complet et perfectionné de phares, de quais, de jetées, de piliers, de glissoires, enfin, d'une foule d'autres travaux publics qui ont puissamment contribué a l'établissement et à la prospérité du pays, et qui ont plus que doublé sa richesse depuis l'Union. Le Grand Tronc seul, pour les l6 millions de piastres qu'il a coûté, a contribué à augmenter la valeur de nos terres pour des millions et des millions de piastres, à donner plus de prix à nos produits agricoles qui sont ainsi plus facilement transportés sur nos marchés, et a fait dépenser au milieu de nous plus de soixante-dix millions de piastres pour sa construction seule. Oui, M. le PRÉSIDENT, si nous sommes entrés dans l'Union avec une dette de quatre cent mille piastres et qu'aujourd'hui nous en sortions avec une dette de trente millions de piastres, nous pouvons encore montrer ce que nous avons fait de cet argent, par les immenses territoires de terres incultes qui sont couverts de riches moissons, et qui ont retenu au pays, non pas tous les fils des cultivateurs de nos campagnes, mais du moins un très grand nombre d'entre eux qui, sans ces améliorations, auraient émigré en foule chez nos voisins. Sous la confédération, nous aurons le contrôle de nos terres et nous pourrons les établir et les développer de manière à conserver au milieu de nous tous ces jeunes gens appartenant à l'une ou l'autre origine, qui vont trop souvent porter à l'étranger leurs bras, leur énergie et leur dévouement. Nos terrains miniers, si riches et si productifs, et dont l'exploitation vient à peine d'être commencée, seront aussi une source de revenus énormes pour le pays et contribueront beaucoup à augmenter le chiffre de notre population en fixant au Canada bien des hommes qui auraient été chercher fortune ailleurs; et je suis d'autant plus confiant qu'il en sera ainsi que la Providence a voulu joindre à ses autres bienfaits à notre égard la possession des mines les plus riches et peut-être les plus abondantes du monde. Quant à nos pêcheries, elles étaient à peine exploitées lors de l'Union, et aujourd'hui, bien qu'elles pussent l'être davantage, il est de fait cependant que tous les ans elles prennent un développement prodigieux, et sont destinées dans un avenir très rapproché à être une source de revenu immense pour le pays. (Ecoutez! écoutez!) Il y aurait encore, M. le PRÉSIDENT, bien d'autres points de vue sous lesquels nous pourrions envisager les avantages que nous avons retirés de l'Union des Canadas, en compensation des sacrifices que nous nous sommes imposés. Ainsi, nous pourrions examiner dans quelle position politique nous nous trouvions à cette époque-là. Nous verrions que nous venions de sortir d'une crise terrible, durant laquelle le sang avait coulé sur les champs de bataille et ailleurs; notre constitution avait été suspendue, et le pays entier avait été témoin de scènes telles que ce pays, jusque-là si paisible et comparativement si heureux, n'en avait jamais vu de semblables. Aujourd'hui, nous avons le gouvernement responsable, qui est une des plus belles institutions de l'Angleterre, où il a en sa faveur l'épreuve des siècles. Cette grande garantie constitutionnelle, nous l'emportons avec nous dans la confédération dans laquelle nous entrons avec la paix, la prospérité et le bonheur au milieu de nous, et avec la conviction de rendre cette paix, cette prospérité et ce bonheur plus grands et plus durables encore; nous y entrons avec l'ambition légitime et patriotique de placer notre pays dans une position plus digne de notre population, et plus importante et plus respectable aux yeux des étrangers.—L'hon. député d'Hochelaga ne s'est pas contenté de faire un retour sur le passé, mais il a aussi fait allusion à la constitution des cours dans le Bas-Canada sous la confédération. Il a dit qu'il ne comprenait pas la signification de l'article des résolutions qui laisse au gouvernement central la nomination des juges, tandis qu'un autre article veut que la formation et le maintien des cours soient confiés au parlement local. L'hon. membre aurait dû remarquer que, par les pouvoirs conférés aux gouvernements locaux, le Bas- Canada conservera tous ses droits civils, 394 comme l'indique le 17e paragraphe de la clause 43e, qui se lit comme suit:
"17.—L'administration de la justice, y compris la constitution, le soutien et l'organisation des cours de jurisdiction civile et criminelle, ainsi que la procédure en matière civile, sera sous le contrôle des législatures locales."
C'est un privilége qui nous a été accordé, et ne nous conservons, parce que nos lois civiles sont différentes de celles des autres provinces de la confédération. Cette exception, comme bien d'autres, a été expressément faite pour nous protéger, nous, Bas- Canadiens. Nous avons voulu ainsi, nous, représentants du Bas-Canada dans la conférence, garder et maintenir sous le contrôle de notre législature locale la constitution et l'organisation de nos cours de justice tant civiles que criminelles, afin que cette législature eût le contrôle absolu sur ces cours et le pouvoir de les établir ou de changer le système si elle le jugeait nécessaire. Mais, d'un autre côté, la nomination des juges de ces cours devait être donnée, comme elle l'est, au gouvernement central, et la raison de cette disposition est toute simple, toute naturelle et très juste. Dans la confédération, il y aura, en effet, le parlement central et les législatures locales. Eh bien! je le demande à tout homme raisonnable, à tout homme d'expérience, pense-t-il qu'avoir l'ambition que devront avoir tout naturellement les hommes les plus marquants et les plus capables, de se produire sur un théâtre plus grand et plus digne de leurs talents, ces hommes consentiront à faire plutôt partie des législatures locales que du parlement fédéral? N'est-il pas plus probable, n'est-il pas plus raisonnable de penser qu'ils voudront paraître et briller sur le plus grand théâtre, sur celui où ils pourront rendre le plus de services à leur pays et où les récompenses de ces services seront plus grandes? Oui, ces hommes iront de préférence dans la législature centrale, et parmi eux les avocats les plus distingués ne seront pas les derniers. On reproche souvent aux hommes de cette profession d'entrer dans notre parlement pour s'y emparer de la représentation. S'il en est ainsi a présent, peut- on supposer qu'ils n'en feront pas autant, sous la confédération? Laisser aux législatures locales la nomination nos juges, c'est donc exposer les gouvernements locaux à une pression funeste exercée par le premier avocat venu ayant quelque influence dans la chambre locale. Pour se débarrasser d'un membre incommode, qui aurait à sa suite trois ou quatre partisans, on verrait un gouvernement local prendre cet incommode avocat de deuxième, troisième ou quatrième ordre pour le placer sur le banc judiciaire; tandis qu'en laissant ces nominations au parlement central, nous sommes assurés que les choix se feront parmi les hommes les mieux qualifiés, que la pression extérieure et locale sera moindre, et que le gouvernement pourra agir plus librement. Il est bon de remarquer, en passant, que, dans la constitution proposée, il y a un article qui porte que les juges des cours du Bas-Canada seront choisis parmi les membres du barreau de cette section. Cette exception n'a été faite que pour le Bas-Canada, et elle est une magnifique garantie pour ceux qui craindraient le système projeté. D'ailleurs, l'hon. député d'Hochelaga, qui croit voir un danger dans les pouvoirs donnés au gouvernement central, sait par expérience, comme ancien ministre, que dans toute nomination de juge le cabinet consulte toujours les ministres de la section pour laquelle cette nomination doit avoir lieu, et accepte leur choix. La même pratique sera nécessairement suivie par le gouvernement central, qui se trouvera forcé de la respecter, car derrière les ministres de chaque section se trouveront les députés de cette section, et derrière nos ministres Bas-Canadiens il y aura les 65 membres que nous aurons envoyés pour représenter et sauvegarder nos intérêts dans le parlement fédéral. Il était donc bon, et il n'y avait pas de danger pour nous, que les juges fûssent nommés par le gouvernement central; c'était même notre intérêt et l'intérêt de tous qu'il en fût ainsi. Et, bien que cela soit une considération secondaire, il est cependant utile de mentionner qu'en laissant la nomination de nos juges au gouvernement fédéral, nous gagnons cent mille piastres qui devront être payées pour ce service par le pouvoir central. Cette considération peut avoir son importance auprès de l'hon. député d'Hochelaga qui crie si fort, pour effrayer la population, que nous serons obligés de recourir à la taxe directe pour défrayer les dépenses de notre législature locale.—Malgré l'heure très avancée de la soirée, je ne puis passer sous silence une autre remarque de l'hon. député, que je prie de vouloir bien me prêter son intention plus particulière dans ce moment. L'hon. membre a demandé au gouvernement ce que voulait dire le mot " mariage," placé dans la constitution. Il a voulu 395 savoir si le gouvernement entendait laisser au gouvernement central le soin de décider à quel âge, par exemple, le mariage pourrait être contracté. Je vais répondre à l'hon. membre aussi catégoriquement que possible; car je tiens à être compris non seulement de cette Chambre, mais de tous ceux qui au dehors pourront lire le compte-rendu de cette séance. D'abord, je dois établir que les droits civils se trouvent former partie de ceux qui, par l'article 43 (paragraphe 15) des résolutions, sont garantis au Bas-Canada. Ce paragraphe se lit comme suit:—" 15. La propriétéet les droits civils, moins ce qui est attribué à la législature fédérale." Eh bien! parmi ces droits se trouvent toutes les lois civiles du Bas-Canada, parmi lesquelles il y a la question du mariage. Et il était important qu'il en fût ainsi sous le système proposé. Aussi, les membres du Bas-Canada dans la conférence ont-ils pris grand soin de faire réserver à la législature locale ce droit important, et, en consentant à mettre le mot " mariage " après le mot " divorce," les conférendaires n'ont pas entendu ôter d'une main à la législature locale ce qu'ils lui avaient donné de l'autre. Aussi ce mot " mariage," placé où il l'est dans les pouvoirs du parlement central, n'a pas la signification étendue que voudrait lui donner l'hon. membre. Et afin d'être plus explicite, je vais lire comment ce mot " mariage" doit être entendu ici:
"Le mot mariage a été placé dans la rédaction du projet de constitution, pour attribuer à la législature fédérale le droit de déclarer quels seront les mariages que devront être considérés comme valides dans toute l'étendue de la confédération, sans toucher pour cela, le moins du monde, aux dogmes ni aux rites des religions auxquelles appartiennent les parties contractantes."
C'est là un point important, et les députés Canadiens-Français doivent être heureux de voir que leurs compatriotes dans le gouvernement n'ont point failli à leur devoir sur une question aussi majeure. Il va sans dire que, sur bien d'autres points, plusieurs d'entre eux n'admettront pas que nous ayons aussi bien rempli notre devoir; mais sur le point en question, nous ne pouvons différer, car nous avons tous une règle commune, et, je le répète, ils doivent être heureux que leurs co-religionnaires dans la conférence ne se soient pas oubliés en cette occasion. Le fait est que le tout consiste en ceci: que le parlement central pourra décider que tout mariage contracté dans le Haut-Canada, ou dans toute autre province confédérée, d'après la loi du pays où il aura été contracté, quand bien même cette loi serait différente de la nôtre, sera considéré comme valide dans le Bas-Canada, au cas où les conjoints viendraient y demeurer, et vice versâ.
L'HON. A. A. DORION—Vous n'aviez pas besoin de dire cela.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN —Je viens de vous prouver qu'il y avait lieu de le dire.
M. ARCHAMBAULT—Je demanderai à l'hon. solliciteur-général si un mariage contracté aux Etats-Unis devant un magistrat, et non suivant les lois canoniques, serait considéré comme valide dans le Bas-Canada?
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Il le serait au point de vue civil, s'il était contracté d'après les lois de l'Etat dans lequel il aurait été célébré.
M. GEOFFRION—Si un mariage contracté aux Etats-Unis, suivant la loi du pays, est bon ici, à plus forte raison un mariage contracté dans une province britannique, suivant la loi du pays, doit être bon; par conséquent, l'explication de l'hon. solliciteur-général ne doit pas être reçue, en la résolution est inutile.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon. député de Verchères ne veut pas être convaincu; aussi je ne me donnerai pas la tâche de le convaincre. La résolution en question signifie ce que je viens de dire.
L'HON. A. A. DORION—C'est-à-dire qu'elle ne signifie rien.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Je vous demande pardon; elle signifie qu'un mariage contracté dans n'importe quelle partie de la confédération sera valide dans le Bas- Canada, s'il est contracté suivant les lois du pays où il aura au lieu; mais aussi qu'un mariage contracté dans une province contrairement à ses lois, quoique conforme aux lois d'une autre province, ne sera pas considéré comme valide.—Passons maintenant au divorce. Nous n'entendons pas établir ni reconnaître un droit nouveau; nous n'entendons pas admettre une chose que nous avons toujours refusé de reconnaître; mais, dans la conférence, il s'est agi de déterminer à quelle législature appartiendraient les les différents pouvoirs qui se trouvent dans les constitutions des différentes provinces. Or, parmi ces pouvoirs qui ont été exercée de fait et à bien des reprises, se trouvait celui du divorce. Comme membre de la conférence, sans admettre ou créer un droit nouveau, et tout en déclarant comme je le fais 396 en ce moment que, comme catholiques, nous ne reconnaissons pas le divorce, nous avons dû déterminer le corps législatif auquel serait laissé ce pouvoir que nous trouvions dans nos constitutions. Après mûre délibération nous résolûmes de le laisser à la législature centrale, croyant par là rendre moins facile une procédure qu'il est si aisé aujourd'hui d'exécuter. Nous avons cru, comme nous le croyons encore, avoir agi sagement en cela. La comparaison suivante le prouve encore mieux. Toute la chambre sait combien l'hon. député de Brome (M. DUNKIN) est un zélé partisan de la cause de la tempérance. Eh bien! supposons le cas où cet hon. monsieur se trouverait faire partie d'un conseil municipal, et qu'il s'agirait de décider que toutes les auberges, qui se trouveraient dans une partie très populeuse de la paroisse et qu'il ne pourrait supprimer, fussent reléguées dans un autre endroit reculé de la paroisse, là où ces auberges ne seraient pas une cause de tentation immédiate, ne voterai-t-il pas pour qu'elles le fussent? Ne les enverrait-il pas à l'endroit où elles seraient le moins accessibles à la population, et ne croirait-il pas avoir fait là un acte méritoire et digne d'un bon ami de la tempérance? Eh bien! pour la question du divorce, le cas est exactement le même. Nous l'avons trouvé, ce pouvoir, dans la constitution des différentes provinces, et ne pouvant le supprimer, nous avons décidé qu'il serait relégué aussi loin de nous que possible. D'un autre côté, il n'y a pas à se cacher que, bien que nous, comme catholiques, nous n'admettions pas le divorce, bien que nous croyions que le lien du mariage est indissoluble, néanmoins il y a des cas où nous admettons et demandons la nullité du mariage,—par exemple, la nullité du mariage contracté à des degrés prohibés sans les dispenses nécessaires. Nous en avons eu un exemple dernièrement. ll y a à peine quelques mois, un individu de mon comté qui s'était marié avec une jeune fille d'une paroisse voisine, et ne connaissait pas, lorsqu'il s'était marié, la parenté qui existait entre lui et sa conjointe, découvrit après plusieurs mois de mariage qu'il existait entre eux un degré de parenté qui exigeait une dispense de l'évêque, dispense qui n'avait pas été obtenue. Il en parla à sa conjointe, qui refusa de demander dispense, et par-là même de faire célébrer le mariage légalement. Il fallut donc songer à annuler le mariage. L'affaire fut portée devant la cour ecclésiastique, et, après une minutieuse enquête, l'évêque diocésain porta son jugement par lequel il déclarait le mariage nul, canoniquement parlant. Mais au point de vue civil, le mariage était valide jusqu'à ce qu'il fût déclaré nul par un tribunal civil. Il fallut porter la cause devant la cour supérieure, et mon hon. ami le député de Beauce, qui prit la cause en mains avec son zèle et sa capacité ordinaires, obtint de la cour, après enquête convenable, un jugement déclarant le mariage nul au point de vue civil, et ordonnant qu'il fût enregistré partout où besoin serait. Si cette affaire se fût présentée dans le Haut-Canada, quel aurait été le mode à suivre? Les conjoints étant catholiques, la cause aurait été portée devant l'évêque qui aurait aussi déclaré le mariage nul, après enquête convenable; mais il n'en aurait pas été ainsi des cours civiles, surtout s'il se fût agi de certains empêchements reconnus dans le Bas-Canada, mais qui ne le sont pas dans le Haut-Canada. Il aurait fallu aller demander au parlement un acte qui, au point de vue catholique, n'aurait été qu'une séparation, mais qui, pour le parlement, aurait été appelé un acte de divorce. Ce pouvoir d'accorder une sépation est donc nécessaire au parlement, qu'on l'appelle d'un nom ou d'un autre, et l'on ne doit pas nous reprocher l'interprétation que d'autres peuvent donner à ce mot différente de celle que nous lui donnons.—J'ai tenu à expliquer ce point, parce que je ne veux pas que l'on puisse dire que nous n'osons pas expliquer notre position à l'égard de la question du divorce et du mariage, et je crois avoir fait voir que cette position s'accorde avec nos lois religieuses et nos principes comme catholiques.—Je regrette beaucoup d'avoir parlé si longtemps de ce qu'a dit l'hon. député d'Hochelaga: mais après son discours et dans sa position, il devait s'attendre à une réponse. Et maintenant que j'en ai fini avec lui, j'en viens à l'hon. député de Lotbinière (M. JOLY). Cet hon. député a cherché à prouver que toutes les confédérations mouraient de consomption, et il a cité à l'appui de son argument l'état politique des républiques espagnoles de l'Amérique Centrale. Pourquoi n'a-t-il rien dit de la confédération germanique? S'il en eût parlé, il aurait été obligé d'avouer qu'elle avait réussi. Il aurait dit aussi que c'est une confédération monarchique, composée de 31 Etats, dont les chefs sont presque tous des rois, des princes ou des électeurs. Il n'y a que quatre ou cinq Etats qui ne soient pas 397 monarchiques, et cependant cette confédération fonctionne bien.
M. GEOFFRION—Sont ils souverains?
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Oui; mais ils ont fait ce que nous allons faire ici. Pour faire face aux grandes puissances, pour n'être pas à la merci du premier venu, ils se sont unis, parce qu'ils ont compris que l'union fait la force. L'hon. député de Lotbinière, lorsqu'il a parlé de la faiblesse des confédérations, aurait dû aussi se rappeler ce qui est arrivé en Italie, il n'y a que quelques années. Il aurait dû se rappeler les conquêtes de GARIBALDI, et refléchir que s'il avait réussi à conquérir un nombre de petits Etats et même le royaume de Naples au profit du roi de Sardaigne, c'était parce que les Etats italiens, divisés comme ils l'étaient, étaient trop faibles pour résister à une invasion, mais que s'ils eûssent été confédérés, jamais GARIBALDI ni VICTOR-EMMANUEL n'auraient réussi à s'en emparer. Et lorsque les petits Etats italiens ont été réunis au Piémont, qu'est-il arrivé? Il est arrivé que GARIBALDI, du moment où il a cherché à faire des conquêtes pour son propre compte, s'est aperçu que les petits Etats étaient disparus, qu'un grand Etat s'était formé de leurs débris,—et la conséquence a été qu'il s'est fait battre à Aspromonte.—L'hon. député de Lotbinière a dit que les liens qui nous uniraient à la métropole sous la confédération seraient des liens de papier, et que les Haut-Canadiens détesteraient les Bas- Canadiens.
M. GEOFFRION—Il n'a pas dit que cela aurait lieu, mais que ce pourrait être une conséquence de la confédération.
L'HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Pourquoi serait-ce une conséquence de la confédération? Il ne se décidera, dans le parlement fédéral, que des affaires générales; il n'y aura pas d'affaires locales ni de questions de race, de religion ou d'institutions particulières aux différentes provinces, et, par conséquent, il n'y a pas à craindre de conflit à propos de ces questions. Cette crainte est donc futile.—L'hon. membre a encore dit que cette confédération devait nous désunir plutôt que nous unir, que la guerre civile s'en suivra, et que les Haut-Canadiens aimeront mieux s'annexer aux Etats-Unis que se soumettre aux Bas-Canadiens. Pour ma part, je ne crois pas cela, et je crois les Haut-Canadiens trop loyaux pour jamais désirer l'annexion aux Etats-Unis; ils sont bien prêts à commercer avec leurs voisins, et à entretenir de bons rapports avec eux, mais ils ne désirent pas s'annexer à eux. L'hon. député de Lotbinière, laissant là ses craintes et ses prédictions, a posé, à propos des 65 membres du Bas-Canada, cette question-ci: " Supposons, a-t-il dit, que la population du Bas-Canada augmente de 34 pour cent en dix ans, et que celle des autres provinces augmente de 30 pour cent, ne serait- il pas injuste pour le Bas-Canada que le nombre de ses représentants reste stationnaire, reste au nombre de 65, pendant que celui des autres provinces augmentera, et que, dans tous les cas, le nombre des représentants des autres provinces ne sera pas diminué, à moins que sa population ne diminue de cinq pour cent?" Ce point est trés important, mais il faut remarquer que, quelle que soit l'augmentation de population des autres provinces, la part du Bas-Canada est certaine et connue. Ainsi, par exemple, si la population du Haut-Canada augmente en plus grande proportion que celle du Bas, celui-ci aura toujours 65 membres, les autres provinces recevant à leur représentation l'addition à laquelle leur donnera droit leur augmentation. Mais les résolutions n'empéchent pas que le Bas-Canada ait plus de 65 représentants, si l'augmentation de sa population est plus rapide que celle des autres provinces. La traduction française de ces résolutions est fautive, car elle dit que pour les fins de la répartition de la représentation de chaque province, après chaque recensement décennal, " le Bas- Canada n'aura jamais ni plus ni moins que 65 représentants," tandis que la version anglaise des résolutions, qui est la version officielle, dit: "Lower Canada shall always be assigned sixty-five members." C'est-à- dire que " le Bas-Canada aura toujours 65 membres." Cela ne veut pas dire que le Bas-Canada ne pourra pas avoir plus de 65 députés, mais qu'il ne pourra pas en avoir moins de 65. Et c'est la une réponse catégorique à l'objection de l'hon. membre. Si l'hon. membre pour Lotbinière était ici, je lui répondrais sur d'autres points; mais je ne veux pas l'attaquer comme il a attaqué hier soir l'hon. procureur-général Est. L'hon. membre a comparé la conduite du procureur- général, en proposant la confédération, à celui qui, ayant une banque d'épargne où chacun viendrait déposer ses épargnes, parce que chacun croirait à sa probité, leur ferait un bon jour défaut et trahirait leur confiance en les ruinant. Il a dit que la probité du 398 procureur-général du Bas-Canada avait cédé à la tentation des honneurs, des titres et des places, et qu'il avait oublié tous ses devoirs et vendu ses concitoyens. Je ne veux pas rétorquer contre l'hon. membre; mais il me sera permis de donner suite à la comparaison de l'hon. membre, et de dire qu'en effet l'hon. procureur-général a ouvert une banque d'épargnes et a invité chacun à y déposer ses titres et ses épargnes. Aussi, un jour, vit-on les seigneurs et les censitaires venir lui apporter leurs titres, leurs terres et tous leurs intérêts. L'hon. procureur-général les a reçus et déposés à sa banque, et quand il lui a fallu les rendre, quand on lui en a demandé compte, il a payé comme jamais homme n'avait payé avant lui: au lieu de remettre aux censitaires des titres de propriétés gravées de charges, de lods et ventes et de corvées, il leur a rendu des propriétés libres de toutes ces charges; et, en même temps, il a présenté aux seigneurs la valeur pleine et entière de leurs droits seigneuriaux; et si aujourd'hui il y a des seigneurs qui ont des cent mille acres de terre en pleine propriété, et s'ils peuvent évaluer ces terres à huit piastres par acre, ils doivent en rendre grâce à l'hon. procureur-général du Bas- Canada. Les plaideurs sont venus à leur tour; les frais énormes les accablaient, ils ne pouvaient obtenir justice; ils sont allés déposer leurs dossiers à la banque du procureur-général, et il les leur a rendus en leur donnant la décentralisation judiciaire et diminuant les frais de justice. Voilà comment il a mérité le respect et la reconnaissance de ses concitoyens. Il a fait la même chose à l'égard des habitants des townships, et, en échange de leur droit civil douteux, il leur a donné une loi civile qui régit tout le Bas- Canada, les townships comme les seigneuries; et tous ont rendu justice au procureurgénéral de les avoir fait sortir du chaos judiciaire dans lequel ils étaient. Enfin, les plaideurs, les avocats, le public tout entier sont allés déposer leurs plaintes à la banque du procureur-général, et après cinq ans il leur a donné un code civil qui fera honneur au Bas-Canada, et honneur aux trois codificateurs distingués choisis par l'hon. procureur-général, dont il transmettra le nom à la postérité. Oui, son nom est attaché à cette œuvre, et ce ne seront pas les attaques de l'hon. député de Lotbinière qui empêcheront ce nom d'aller à nos descendants, entouré du respect de tous ceux qui reconnaissent les services rendus à leur pays. Mais ce n'était pas pour l'hon. procureur-général du Bas-Canada assez de services rendus. Il a vu son pays, au milieu d'une crise terrible, venir lui confier tous ses intérêts, tous ses droits, toutes ses institutions, sa nationalité, sa religion, en un mot tout ce qui lui était le plus cher. L'hon. procureur-général a tout reçu à sa banque si sûre et si fidèle, et quand il lui a fallu rendre ses comptes, il s'est présenté avec tous ces intérêts, ces droits, ces institutions, cette nationalité, cette religion, tout ce qui était cher à ce peuple, et il les a rendus garantis, protégés et sauvegardés par la confédération de toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord.—Ainsi, le banquier a été fidèle, il n'a pas fait défaut à la confiance que l'on a eue en lui, il a payé honnêtement ce qu'il devait; riches et pauvres, seigneurs et censitaires, avocats et plaideurs, tout le monde a été satisfait, et le banquier est béni d'une extrémité à l'autre du pays. L'hon. membre a dit que l'hon. procureur-général " aurait son jour." Il a raison; mon hon. collègue aura son jour, il aura son heure comme feu SIR LOUIS HYPOLITE LAFONTAINE a trouvé la sienne. Quand ce citoyen éminent occupait la position qu'occupe aujourd'hui l'hon. procureur- général du Bas-Canada, l'opposition lui prodiguait les mêmes insultes et les mêmes reproches qu'elle adresse aujourd'hui à mon hon. ami. On l'accusait d'être traître à son pays; on criait bien haut qu'il vendait ses concitoyens, qu'il était l'ennemi de sa race. Cependant, ce défenseur des droits et des institutions du Bas-Canada n'avait d'autre ambition que d'assurer à ses compatriotes la belle position qu'ils ont occupée depuis. Il a donc laissé dire les mécontents, et avant de descendre dans la tombe, il a eu le bonheur de voir reconnaître ses efforts patriotiques et la noblesse de ses intentions; et quand sa dépouille mortelle a été conduite au champ du repos, tous ses concitoyens se sont empressés d'aller rendre hommage à ce grand citoyen, bénissant la mémoire de celui que personne ne considérait plus comme un traître, mais que tous acclamaient comme un des grands noms de notre histoire parlementaire. Il en sera de même de l'hon. procureur-général actuel du Bas-Canada. Il aura son heure, non pas comme l'entend l'hon. député de Lotbinière, qui se sert de cette expression comme d'une menace, mais en conservant cette confiance de ses concitoyens, qui est pour l'hon. député de Lotbinière une 399 chose si incompréhensible. Pour nous, cette confiance de la part de ses concitoyens est une chose toute naturelle et que nous comprenons parfaitement. Toute sa vie, comme SIR LOUIS HYPOLITE LAFONTAINE, l'hon. procureur-général actuel du Bas- Canada s'est appliqué à sauvegarder et à promouvoir les intérêts matériels et religieux de ses concitoyens, et il vient de couronner cette œuvre gigantesque par la part si importante qu'il a prise à la nouvelle constitution destinée à régir un des plus grands empires du monde, à cette constitution sous laquelle toutes les races et toutes les croyances trouveront protection et respect. Il aura son heure, et, comme son devancier, son nom passera à la postérité comme celui d'un des plus grands bienfaiteurs de son pays.— Je regrette, M. le PRÉSIDENT, d'avoir été aussi long, mais l'importance de la question doit m'excuser d'avoir peut-être fatigué cette hon. chambre. Après les longs discours prononcés par l'hon. député d'Hochelaga et l'hon. député de Lotbinière, je ne pouvais parler moins longuement, pour réfuter et détruire toutes les assertions hasardeuses des deux hon. députés. Avant de reprendre mon siége, je me permettrai de croire que j'ai démontré que l'hon. député d'Hochelaga faisait une fausse prédiction, quand il disait que le jour où la confédération s'accomplirait, serait un jour néfaste pour le Bas-Canada. Non, M. le PRÉSIDENT, la confédération, j'en ai l'intime conviction, offrira une immuable garantie pour nos institutions, notre langue et tout ce que nous avons de plus cher au monde; sous son égide, nous serons forts contre l'ennemi commun, notre prospérité marchera à pas de géant, et quand nous disparaîtrons de la scène, nous aurons la consolation de pouvoir transmettre à nos descendants un héritage digne d'un peuple libre. (Applaudissements.)
L'HON. M. L'ORATEUR—L'hon. député de Lotbinière a maintenant la parole.
M. JOLY —J'ai demandé deux fois, pendant que l'hon. solliciteur-général parlait, la permission d'expliquer ce que j'avais dit, parce que je croyais qu'il ne m'avait pas compris; mais après la manière dont il s'est conduit à mon égard, en me refusant, à deux reprises, l'occasion de m'expliquer, je suis maintenant convaincu qu'il avait parfaitement compris ce que je voulais dire, mais qu'il faisait semblant de ne pas le comprendre. Je ne veux pas rester sous le coup de l'accu sation qu'il a portée contre moi; je prendrai la liberté de le rectifier et d'expliquer ce que j'ai dit hier. Je veux bien que l'on m'accuse d'imprudence et d'ignorance, mais je ne veux pas que l'on m'accuse de lâcheté,—et c'est cette accusation que je trouve dans le Journal de Québec de ce matin. L'hon. député m'a accusé d'avoir fait appel aux préjugés religieux des Canadiens-Français. Je n'ai pas fait appel à leurs préjugés religieux;—j'ai fait appel à leurs préjugés nationaux. Je regarde cette question de la confédération comme fatale aux intérêts du Bas-Canada, et je considère que c'était là le seul moyen de briser les liens qui enchaînent les Canadiens-Français et de les réveiller, avant qu'il ne soit trop tard. C'est ce que j'ai fait et je le ferai toujours. Mais je suis incapable de commettre la lâcheté de faire appel aux préjugés nationaux des Anglais après mon appel aux Canadiens-Français, comme l'hon. député m'en a accusé. Voici comment j'ai expliqué le passage du rapport de lord DURHAM: j'ai dit qu'il était impossible que les deux races pussent longtemps vivre en paix; qu'un jour ou l'autre les deux nationalités se choqueraient; que le juge serait le parlement fédéral où les Anglais auraient la majorité et où les Canadiens- Français ne pourraient pas espérer obtenir justice. Je n'ai pas dit que les Canadiens-Français commettraient des injustices contre les Anglais; mais j'ai dit que ceux-ci pourraient se plaindre, et que le parlement fédéral serait appelé à décider s'il y aurait injustice on non, et qu'il fallait se méfier de ses sympathies. J'ai ajouté que le parlement fédéral étant composé en majorité de députés anglais, serait porté à écouter les Anglais du Bas-Canada plutôt que les Canadiens-Français. Je me suis ensuite basé sur le rapport de lord DURHAM pour prouver que jamais les Canadiens-Anglais ne se soumettraient volontiers à la majorité du Bas- Canada. Et en citant les deux extraits du rapport de lord DURHAM, j'ai d'abord lu en anglais, et ensuite je les ai traduits en français. Comment peut-on dire, après cela, que je me suis servi de la langue anglaise pour faire un appel aux préjugés nationaux des Anglo- Canadiens? C'est ce que je ne puis comprendre. Loin de m'en servir auprès d'eux, je ne lisais ces passages qu'avec timidité, parce que je croyais que les Anglais devaient en rougir. Je n'avais pas besoin de citer ces passages pour apprendre aux Anglais du Bas-Canada quels sont leurs sentiments, 400 mais je les citais pour les faire connaître aux Canadiens-Français. Quant au second passage, je ne pouvais pas le citer pour m'attirer les sympathies des Anglais, puisqu'il était contre eux! Comment veut-on que j'aie cité ce passage dans l'intention d'exerter les préjugés nationaux des Anglais? Je n'ai fait appel ni aux préjugés religieux des Canadiens, ni aux préjugés nationaux des Anglais.
L'HON. M. CAUCHON—Je n'ai pas dit, dans le Journal, que l'hon. député pour Lotbinière était lâche; j'ai trouvé qu'il avait traité la question d'une manière incomplète et sous un faux point du vue. Quant aux citations du rapport de lord DURHAM, l'hon. membre n'a pas traduit en français la partie dans laquelleil disait que les Anglais ne se soumettraient jamais à une majorité canadienne-française.
M. JOLY —J'ai traduit mot pour mot.
L'HON. M. CAUCHON—Je ne l'ai pas entendu, mais je veux bien le croire. L'hon. membre dit qu'il avait voulu exciter les préjugés nationaux des Canadiens-Français; mais cela ne vaut pas mieux que d'exciter les préjugés religieux. Tout ce que j'ai dit, c'est que je trouve mal qu'il ait cherché à soulever les préjugés des uns et des autres.
L'HON. Sol.-Gén. LANGEVIN—Après les explications données par l'hon. député de Lotbinière,—et quoiqu'il ait cru devoir dire, dans un moment d'humeur, qu'il était convaincu que je savais le contraire de ce que j'ai prétendu qu'il avait fait,—je dois croire que j'ai fait erreur à son égard, et qu'il a traduit ses citations du rapport de lord DURHAM sans que j'y ai fait attention. J'accepte sa parole, mais s'il n'eût pas été de mauvaise humeur, je sais bien qu'il ne m'aurait pas reproché de l'avoir sciemment mal représenté.
M. JOLY—Je me rappelle d'autant mieux que j'ai traduit ce passage du rapport de lord DURHAM, que j'ai eu beaucoup de difficulté à le traduire, ainsi que la chambre peut s'en rappeler.
M. DUNKIN —Et même vous ne l'avez pas traduit très bien, surtout le mot British.
M. JOLY—Mais puisque l'hon. solliciteur- général a donné des explications et a retiré ce qu'il avait dit contre moi, je crois de mon devoir de dire que je regrette de m'être servi envers lui d'expressions aussi sévères. (Ecoutez! écoutez!)
Et la chambre s'ajourne.

Source:

Province du Canada. Débats parlementaires sur la question de la Confédération des provinces de l'Amérique britannique du nord. Quebec: Hunter, Rose et Lemieux, Imprimeurs Parlementaires, 1865. Numérisé par Canadiana.

Credits:

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