MARDI, 21 février 1865.
L'
HON. SOL-GÉN. LANGEVIN — M. le
PRÉSIDENT:—Ce n'est pas sans hésitation
que je me lève en cette occasion pour prendre la parole dans cette chambre, car j'y
vois
les représentants de plus de deux millions
et demi d'habitants, qui sont appelés à
régler les plus grandes affaires du pays, et à
s'occuper spécialement d'une question qui
intéresse les destinées non seulement des
deux Canadas, mais aussi de toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord.
Je dois avouer que j'éprouve une grande
hésitation et une grande défiance de moi- même, quand je considère l'importance de
la mesure soumise à nos délibérations et les
conséquences qui peuvent en résulter pour
nous-mêmes et pour nos descendants. Cette
mesure est si grandiose, les intérêts qu'elle
affectera sont si considérables, que l'on ne
doit pas être étonné si je l'aborde avec
défiance et hésitation. Cette question de la
confédération se trouve liée aux intérêts
communs des empires et à la politique générale des peuples, car il n'est pas indifférent
pour les grandes nations qui gouvernent le
monde de savoir à qui appartiendront les
provinces de l'Amérique Britannique du
Nord. Il suffit de relire l'histoire pour savoir
combien les nations s'intéressent à la création
d'un nouveau peuple, et, dans cette circonstance, les mille voix de la presse nous
disent
combien la question de la confédération
intéresse l'Amérique et l'Europe même, et
avec quel intérêt les gouvernements suivent
ce que nous faisons ici. Et cet intérêt est
légitime et naturel, puisque la mesure actuelle
est destinée à nous faire prendre rang dans
la grande famille des nations. Cette question
intéresse de plus tout spécialement l'Angleterre et les Etats-Unis, autant que nous-
mêmes. L'Angleterre a intérêt à voir ces
provinces bien gouvernées et bien administrées; elle est intéressée à ce qu'elles
soient
prospères, libres, satisfaites et heureuses;
elle a intérêt à ce qu'elles aient un bon gouvernement et qu'elles soient si bien
gouvernées qu'elles ne soient pas à charge à la
métropole, mais, au contraire, qu'elles deviennent puissantes et en position de pouvoir
aider l'Angleterre dans certaines circonstances. D'un autre côté, les Etats-Unis ne
doivent pas voir sans satisfaction les provinces de l'Amérique Britannique du Nord
former une puissante nation. Ils doivent voir
cela sans jalousie; ils doivent désirer que
nous ne soyons pas une nation faible,
afin que nous puissions maintenir notre
neutralité, entretenir avec eux de bons
rapports, et maintenir les relations amicales
qui doivent toujours exister entre voisins.
Mais si cette question intéresse l'Angleterre et les Etats-Unis, elle nous intéresse
encore davantage, nous dont les destinées
sont en jeu, nous dont la position est
plus belle que celle qui a jamais été faite
à aucun peuple; car il n'est donné
à tous les peuples de pouvoir décider de
leurs destinées en temps de paix, sans qu'ils
aient à répandre de sang, et de se donner
une constitution qui les mette en état de
marcher dans la voie du progrès et décider
en toute liberté de leur position dans le
monde. En 1840, quand il s'est agi de faire
l'Union des deux Canada, nous n'étions
pas dans une aussi belle position qu'aujourd'hui, puisque cette Union nous a été imposée
malgré nous, et que jamais nous n'avons
été consultés à cet égard. On se rappelle qu'à
cette époque notre langue a été proscrite
370
crite pendant un certain temps, et que notre
position fut aussi mauvaise qu'on put la
faire. Nous avions bien l'égalité dans la
chambre, mais nous étions dans une position
d'infériorité comme peuple. Il est vrai que
l'on n'a pas réussi à nous tenir sous le joug,
mais ce ne fut pas la faute de ceux qui nous
avaient imposé l'Union; nous avons conquis
la position que nous occupons aujourd'hui
par notre énergie et notre constance, avec
l'aide d'une partie des représentants du
Haut-Canada. Aujourd'hui, les choses sont
bien changées; nous sommes au milieu d'une
grande révolution, mais une révolution pacifique, et nous sommes en mesure de délibérer
pour savoir si nous changerons notre constitution et de dicter nos conditions. Nous
sommes appelés à régler nous-mêmes notre
avenir, notre sort futur, et nous manquerions
à notre devoir et à ceux que nous réprésentons, si aujourd'hui nous refusions la position
qui nous est offerte par les résolutions
adoptées à la conférence de Québec. L'hon.
membre pour Hochelaga (M. DORION)—
que je regrette de ne pas voir maintenant à
son siége—
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon.
membre pour Hochelaga nous a dit, l'autre
soir, que le plan de confédération avait été
adopté et proposé par le gouvernement
actuel seulement pour faire taire le cri de la
représentation basée sur la population. Eh
bien! en supposant que cela soit réellement
le cas, que mal l'hon. membre peut-il y
trouver? N'est-il pas de la plus grande importance de faire cesser ce cri de la représentation
basée sur la population, dans l'état
où nous sommes aujourd'hui? La représentation basée sur la population nous aurait
donné, dans la chambre, à nous, Bas-Canadiens, une position inférieure vis-à-vis le
Haut-Canada, et aurait permis à ce dernier de
législater pour nous, non seulement dans les
affaires générales, mais aussi dans les affaires
locales. L'hon. membre pour Hochelaga
aurait dû être le dernier à reprocher au
gouvernement actuel d'avoir, au moyen de
cette mesure de confédération, fait taire le
cri de la représentation basée sur la population. En 1854, l'hon. membre a admis,
d'après ses propres aveux, que la représentation basée sur la population était juste
en
principe; et la conséquence de cette admission a été fatale. La conséquence a été
que
l'hon. membre a été obligé de continuer à
marcher dans cette voie jusqu'à la formation
de l'administration BROWN - DORION, en
1858, —administration qui n'a pas duré
longtemps. (Ecoutez! écoutez!)
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Ce gouvernement n'a pas duré longtemps, et je me
réjouis d'avoir contribué, pour ma part, à le
renverser; car il est probable que s'il se fût
maintenu, la représentation basée sur la
population nous aurait été imposée, et nous
ne nous trouverions pas en ce moment dans
la position que nous occupons, — dans la
position de faire nos conditions comme le
Haut-Canada, et de prendre part aux négociations d'un traité avec les provinces inférieures.
C'est pour cela que je me réjouis
d'avoir contribué à renverser ce gouvernement. L'hon. membre pour Hochelaga
disait l'autre soir qu'en 1856 il avait dit ce
qui suit:
"En 1856, lorsque le parlement siégeait à
Toronto, je suggérai pour la premiére fois que
l'un des moyens de surmonter les difficultés serait
de substituer à l'union législative actuelle une
confédération des deux Canadas, au moyen de
laquelle les questions locales seraient soumises
aux délibérations des législatures locales, avec un
gouvernement central ayant le contrôle sur les
questions commerciales et autres questions d'intérêt commun en général. Je dis que,
considérant
les différences de races, de religion, de langage et
de lois qui existaient dans les deux sections du
pays, c'était là le meilleur moyen de faire disparaître ces difficultés,—c'est-à-dire,
de laisser à un
gouvernement central les questions de commerce,
de banque, de cours monétaire, de travaux publics
d'un caractère général, etc., et de laisser à la
décision des législatures locales toutes les questions locales. En même temps, je
disais que si ces
vues n'étaient pas acceptées, je serais certainement en faveur de la représentation
basée sur la
population, avec des conditions et garanties qui
assureraient les intérêts de chaque section du
pays et conserveraient au Bas-Canada les institutions qui lui sont chères."
Eh bien! l'on voit, par ce passage, que
l'hon. membre pour Hochelaga voulait, en
1856, former une nouvelle constitution précisément pour faire taire le cri de la représentation
basée sur la population. En 1858,
il a formé, avec l'hon. président du conseil
(M. BROWN), le gouvernement BROWN- DORION, et encore là il a stipulé que la
question de la représentation basée sur la
population serait prise en considération et
que le gouvernement aviserait aux moyens
de régler les difficultés qu'elle soulevait.
En 1859, il a signé un document qui portait
371
aussi les signatures de l'hon. M. DRUMMOND,
de l'hon. M. DESSAULLES et de l'hon. M.
MCGEE, dans lequel il disait, avec ses collègues, qu'il fallait un changement dans
la
constitution du pays.
"Si le Bas-Canada," disait-il, " veut maintenir
intacte l'Union actuelle des provinces, s'il ne veut
ni consentir à une dissolution, ni à une confédération, il est difficile de concevoir
sur quelles
raisons plausibles il pourrait se fonder pour refuser
la représentation basée sur la population. Jusqu'à
présent, il s'y est opposé en alléguant le danger
qui pourrait en résulter pour quelques-unes de ses
institutions qui lui sont les plus chères; mais
cette raison ne serait plus soutenable, s'il repoussait une proposition dont l'effet
serait de laisser à
ses habitants le contrôle absolu de ces mêmes
institutions et de les entourer de la protection la
plus efficace qu'il soit possible d'imaginer, celle
que leur procureraient les dispositions formelles
d'une constitution écrite, qui ne pourrait être
changée sans leur concours.
"Il semble donc que la seule alternative qui
s'offre maintenant aux habitants du Bas-Canada
ont un choix entre la dissolution pure et simple de
l'union ou une confédération d'un côté, et la
représentation basée sur la population de l'autre. "
Encore là il voulait faire taire le cri de la
représentation basée sur la population, et il
voulait le faire taire par la fondation d'une
nouvelle constitution. En 1861, c'était encore
la même chose; il nous a dit qu'il voulait
régler cette question de la représentation,
qu'elle ne devait pas rester ce qu'on appelle
une open question, et que c'était une difficulté
qu'il fallait faire disparaître d'une manière
ou d'une autre. Aussi, en 1862, il entrait
dans le gouvernement pour cet objet, mais
de quelle manière s'y est-il pris? Il en fit
une close question, et adopta, avec ses collègues, le plan de la double majorité. Mais
l'hon. membre ne se rappelait pas, sans doute,
qu'en 1859, lorsqu'il écrivait le manifeste
que j'ai cité tout-à-l'heure, il s'était prononcé
contre la double majorité! Voici, en effet,
ce qu'il disait dans ce document:
"Dans chaque province, quelle que fût sa représentation, il y aurait une majorité
et une minorité,
et à moins de reconnaître le principe de la double
majorité comme règle fondamentale de notre
constitution, les mêmes plaintes qui se font entendre
maintenant, qu'une section gouverne l'autre contrairement à l'opinion publique et
aux protestations
de cette dernière, les mêmes passions, les mêmes
intrigues, la même corruption et le même défaut
de sincérité y domineraient encore. Personne, d'ailleurs ne songe à faire consacrer,
par une disposition législative, le système de la double majorité;
l'hon sent l'impossibilité de définir les cas où il
serait applicable, de ceux où il ne le serait pas;
mais cela fût-il possible, ce système ne pourrait
que nous conduire à des difficultés nouvelles, en
forçant les majorités professant des principes et
des opinions diamétralement opposés, à s'allier
ensemble, et en détruisant complètement l'influence de l'une et de l'autre minorité.
Il est difficile
de concevoir une seule législature composée de
deux majorités n'ayant aucune identité de principes,
agissant néanmoins toujours d'accord, de manière
à ne jamais s'imposer l'une à l'autre, en sorte que
chaque section de la province fût toujours régie
par la majorité de ses représentants. Il est une
foule de questions où cela ne pourrait avoir lieu
qu'en forçant alternativement la majorité des
représentants de l'une et de l'autre section de la
province à s'abstenir ou à se prononcer pour des
mesures que désavoueraient également leur jugement et leur conscience. Les complications
d'un
pareil système, qui ne serait, en définitive, que
l'application du principe fédératif à une seule
législature, le rendent impraticable."
L'hon. membre avait donc changé d'opinion sur ce point? Je ne lui en fais pas un
reproche; mais cela prouve qu'il agissait
toujours pour le même motif—c'est-à-dire,
celui de faire taire le cri de la représentation
basée sur la population. Comment se fait-il
donc qu'il trouve mal que le gouvernement
actuel présente une mesure pour mettre fin
à ces difficultés, et pour empêcher que nous ne
soyons placés dans une position d'infériorité?
Mais la confédération n'a pas seulement pour
but de faire disparaître les difficultés actuelles; elle est devenue nécessaire, parce
que nous avons suffisamment grandi, nous
sommes devenus asser forts, assez riches et
assez puissants,—parce que nos produits sont
assez nombreux et assez considérables,—
parce que notre population est assez forte,
pour nous permettre d'aspirer à une autre
position et chercher à obtenir, pour nos produits, un débouché aux ports de la mer.
Aujourd'hui, nous sommes dans un état de
vasselage vis-à-vis des Etats-Unis, pour l'exportation de nos produits en Europe;
nous
sommes à leur merci. Si demain nous avions
quelque difficulté avec nos voisins, ils nous
fermeraient la route de Portland, et nous
serions, pendant près de sept mois de l'année,
sans autre communication avec la mer que
la longue et difficile voie ordinaire de terre.
Ce n'est pas une position tenable et digne
d'un peuple comme celui des provinces de
l'Amérique Britannique du Nord. Il faut
en sortir, car c'est l'intérêt du Canada, des
provinces inférieures et des Etats de l'Ouest.
L'hon. membre pour Hochelaga nous a dit
qu'il était en faveur d'un plan qui réglerait les
difficultés actuelles et placerait le Bas-Canada
dans une position convenable; mais i1 ne
nous a jamais dit quel était ce plan. La
seule chose qu'il ait jamais proposée est son
372
plan de 1859, pour la confédération des deux
Canadas; mais ce plan n'aurait réglé qu'une
seule difficulté et en laisserait substituer
d'autres de la plus grande importance,— et
entre autres celle de nos communications avec
la mer. Ce plan ne nous aurait pas permis,
par exemple, de construire le chemin de fer
intercolonial; car il est presque impossible
qu'une aussi grande entreprise réussisse si
elle n'est pas entre les mains d'un grand
pouvoir central, et s'il faut consulter cinq
ou six gouvernements avant de la commencer. Mais la question de la confédération des
deux Canadas n'est pas la seule qui
se présente pour sortir de nos difficultés; il
y a différents plans que je vais enumérer.
Les uns reposent, par exemple, que nous
restions dans la position où nous sommes
aujourd'hui; d'autres voudraient l'annexion
aux Etats-Unis; quelques-uns favoriseraient
peut-être une indépendance complète; d'autres la confédération des deux Canadas; puis
enfin l'on propose la confédération de toutes
les provinces de l'Amérique Britannique du
Nord. Eh bien! examinons un peu ces différentes propositions. Il peut se faire qu'il
y
ait des membres qui désirent que nous restions tels que nous sommes. Les hon. membres
pour Hochelaga et Lotbinière (MM. DORION
et JOLY) trouvent notre position excellente
et nous l'ont dit dans leurs discours. Ils
trouvent que nous sommes très prospères et
que nous ne pouvons rien désirer de mieux.
Pour moi, je crois que notre position actuelle
offre un grand inconvénient: c'est que si
nous restons seuls, isolés, nous ne pouvons
communiquer avec la métropole que par les
Etats-Unis; en restant seuls, nous ne pouvons
aspirer à aucune position ni donner cours à
notre ambition comme peuple. D'un autre
côté, nous avons, aujourd'hui, autant de
systèmes de judicature qu'il y a de provinces;
avec la confédération, au contraire, ce défaut
disparaîtra, et il n'aura plus que deux
systèmes: l'un pour le Bas-Canada, —parce
que nos lois sont différentes de celles des
autres provinces, que nous formons un peuple
à part, et que nous ne voulons pas des
lois des autres populations,— et l'autre
pour le reste de la confédération. Toutes
les autres provinces ayant les mêmes lois, ou
au moins leur système de lois découlant de
la même source, elles pourront avoir un même
système de judicature; et, en effet, une
résolution de la conférence leur permet de
décider qu'elles auront un même code
et un même système judiciaire; —mais
il est fait une exception en faveur du
Bas-Canada et de nos lois. Il y a aussi
autant de tarifs différents que de provinces
différentes, autant de règlements commerciaux et de douanes que de provinces. Il est
vrai qu'un grand nombre d'articles passent
en franchise aujourd'hui, mais il est aussi
exact de dire qu'il y a autant de systèmes
de douanes que de provinces. Et les grands
travaux coloniaux: n'est-il pas impossible
aujourd'hui de les entreprendre, parce que
les intérêts qu'ils affectent sont très considérables, et qu il faut consulter trois
ou quatre
législatures? On comprend par là qu'il est
presque impossible de concilier tant d'intérêts divers, à moins de réunir en une seule
législature les représentants de ces intérêts
et des peuples qu'ils affectent,—et nous ne
pouvons atteindre ce but en restant seuls.
Il y a aussi le cours monétaire et l'intérêt
de l'argent, qui sont régis par des systèmes
différents dans chaque province. Il y a un
cours monétaire ici, un autre à Terreneuve,
un autre à l'Ile du Prince-Edouard, et ainsi
de suite. Le chelin et le louis d'ici sont
différents du chelin et du louis de Terreneuve ou de ceux des autres provinces maritimes.
Mais, avec la confédération, toutes
ces affaires seraient remises sous le contrôle
d'une seule législature centrale,—le cours
monétaire deviendrait uniforme partout, et
les capitaux pouraient être placés partout
sans entraves. Il en serait de même des
droits d'auteurs, des brevets pour les inventions mécaniques, etc.—En parlant du chemin
de fer intercolonial, je n'ai rien dit du
chemin de fer du Pacifique, parce que je crois
que nous devons d'abord nous attacher à
accomplir les travaux dont nous avons besoin
actuellement. Plus tard, lorsque nos ressources et notre population auront suffisamment
grandi, nous pourrons nous occuper du
chemin de fer du Pacifique. Mais s'il devient
nécessaire, nous pourrons espérer le faire en
moins de 10 ans avec la confédération, au
lieu qu'en restant seuls nous ne pourrions
l'avoir peut-être en 100 ans. Je crois
donc avoir fait voir les inconvénients du
statu quo. La conséquence nécessaire de ce
que je viens de démontrer est que nous ne
pouvons pas rester dans la position où nous
sommes, que nous le voulions ou non. Il
faut faire face à la question de la représentation basée sur la population; il faut
régler
cette question. Dire que nous l'accorderons,
c'est vouloir nous mettre dans une position
d'infériorité, et, pour ma part, je ne
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consentirai jamais à placer ma section de la
province dans cette position.—Il y a aussi
l'autre alternative que l'on propose: celle de
l'annexion aux Etats-Unis. Je ne crois pas
qu'il y ait un seul membre en chambre ou
en dehors de la chambre qui voudrait consentir à l'annexion du Canada aux Etats- Unis.
Mais c'est une question qu'il faut
examiner en parlant de celle de la confédération, parce que c'est une des alternatives
qui nous sont offertes, et qu'il nous faut
faire un choix. Quelle serait donc notre
position dans le cas où nous serions annexés
aux Etats-Unis? Il est vrai que nous deviendrions l'un des Etats indépendants de
la confédération américaine; mais nous en
aurions tous les désavantages en même temps
que les avantages. Il faudrait contribuer
à payer l'énorme dette que les Etats-Unis ont
contractée pour la guerre qui en désole
une des plus belles parties; il nous faudrait en payer l'intérêt et plus tard solder
la dette elle-même, car je ne suppose pas que
les Américains aient la moindre intention de
répudier leur dette. Il faudrait que cette
dette fût soldée, et pour cela il faudrait payer
des impôts considérables pendant un grand
nombre d'années pour l'intérêt et pour l'amortissement. Ceux qui parlent de la dette
que va
créer la confédération, devraient faire attention qu'elle ne sera qu'une bagatelle
comparée
à celle dont nous deviendrions débiteurs avec
l'annexion. Pour $1 que nous paierons avec
la confédération, nous en paierions six avec
l'annexion. On dit que la dette sera énorme;
mais elle ne sera que d'une piastre contre $4
en Angleterre et $6 aux Etats-Unis. C'est
là le côté financier de l'annexion. Mais quel
serait le sort des Canadiens-Français avec
l'annexion aux Etats-Unis? Il nous faut profiter de l'exemple des races françaises
aux Etats- Unis, et voir quel sort a été fait aux Français
dans la Louisiane. Que sont-ils devenus?
Que sont devenus leur langue, leurs usages,
leurs mœurs, leurs institutions? Après la
guerre, c'est à peine s'il en restera assez pour
que l'on puisse dire que la race française a
passé par là. Au point de vue religieux,
nous pourrions peut-être nous trouver dans
une moins mauvaise position; mais nous
vivons aujourd'hui en paix et nous sommes
parfaitement à l'aise: catholiques et protestants ont les mêmes droits, la liberté
religieuse,
et ils vivent aussi en paix que s'il n'y avait
qu'une seule religion dans le pays.
M. DUFRESNE (d'Iberville) — Nous
sommes bien, tenons-nous-y.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN — Oui,
mais nous ne pouvons pas rester dans la
position où nous sommes; la chose est impossible; l'hon. membre pour Hochelaga le
dit depuis dix ans, et il s'est engagé à la
changer. Il a dit que la position n'était
plus tenable en 1854,—et si elle n'était pas
tenable alors, elle l'est encore moins en 1865.
—J'en viens maintenant à une autre alternative que l'on nous propose: celle de l'indépendance.
Il peut se trouver des hommes,
dans la chambre et en dehors de la chambre,
qui seraient disposés à dire qu'il vaut mieux
avoir l'indépendance que la confédération.
Pour ma part, je crois que l'indépendance
des provinces de l'Amérique Britannique du
Nord serait le plus grand malheur qui pourrait leur arriver; ce serait les mettre
à la
merci de leurs voisins et les jeter dans leurs
bras. L'indépendance nous rendrait maîtres
de notre position, mais en même temps nous
serions privés de la protection de l'Angleterre,—et, sans cette protection, l'on peut
facilement prévoir ce qui nous arriverait.
L'hon. membre pour Hochelaga peut penser
qu'il nous serait avantageux d'être faibles,
mais je ne parts pas cette opinion: je
pense qu'il vaut mieux être en état de faire
face à l'ennemi, s'il nous attaque. Il faut
bien comprendre que, sans la protection de
l'Angleterre, nous ne pourrions rien. Et à
part les frais que nous aurions à encourir
pour pourvoir à notre défense, il y aurait
encore d'énormes dépenses à faire pour
entretenir convenablement nos relations avec
l'étranger. Avec l'indépendance, et sans
l'appui et l'aide de l'Angleterre, il nous
faudrait entretenir une armée, avoir un gouvernement très dispendieux, entretenir
des
rapports diplomatiques avec les autres pays,
et subvenir à une foule d'autres dépenses
que nous n'aurons pas à faire avec la confédération. L'indépendance est donc hors
de
question pour le moment.—Enfin, comme
quatrième alternative, il y a la confédération
des deux Canadas, proposée par l'hon. membre
pour Hochelaga. Il nous a dit, dans son
manifeste de 1864, dans quelle position nous
serions alors. Voici un passage de ce manifeste:
"Il eut été facile en tout temps de satisfaire le
Haut-Canada en lui donnant quatre ou cinq membres de plus qu'au Bas-Canada, tout en
conservant l'égalité dans le conseil législatif. Pour
éviter le danger que cette augmentation de
membres pouvait faire attendre, l'on propose de
donner au Haut-Canada dix-sept membres de plus
qu'au Bas-Canada, et l'on ajoute encore quarante-
374
sept membres pour les provinces maritimes, en
tout soixante-et-quatre membres ajoutés à l'élément britannique, outre les vingt-huit
membres
de plus que l'on donne au conseil législatif; et
c'est ainsi que l'on prétend protéger les institutions du Bas-Canada."
Ainsi, l'hon. membre pour Hochelaga,
d'après son plan, aurait préféré...
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Alors
c'est un mauvais raisonnement—un raisonnement qui n'est pas à l'avantage du Bas- Canada.
L'hon membre dit dans ce manifeste qu'il serait facile de faire taire le
Haut-Canada en lui donnant quatre ou cinq
membres de plus que le Bas. Mais l'hon.
membre sait bien que, si nous accordions la
représentation basée sur la population, ce
n'est pas quatre ou cinq membres de plus
que nous aurions à donner au Haut-Canada,
mais bien les 17 membres que l'on se propose
aujourd'hui de lui donner par la confédération. L'augmentation ne serait pas basée
sur un nombre imaginaire. Mais même
avec quatre ou cinq membres de plus, dans
l'union actuelle, le Haut-Canada pourrait
nous imposer sa loi sur toutes les questions
qui se présenteraient devant cette chambre.
A cette occasion l'hon. membre pour Hochelaga nous a dit que, sous le système proposé,
le Haut-Canada aura 17 membres de plus que
le Bas, et que l'élément anglais se grossira
de tous les députés des provinces d'en-bas,
et qu'ils se ligueront contre nous, Bas- Canadiens. A mon avis, l'hon. membre ne
fait certainement pas un compliment à son
ex-collègue (l'hon. M. HOLTON), en disant
que parce que ces députés seront Anglais, ils
seront contre nous, Canadiens-Français. Il
avait tellement confiance dans l'hon. membre
pour Chateauguay qu'il l'a pris dans son
gouvernement et qu'il le prendrait encore
aujourd'hui s'il en avait l'occasion; et pourtant l'hon. membre pour Hochelaga parle
des
Anglais comme s'ils étaient nos adversaires,
nos ennemis naturels! Pour ma part, je ne
crois pas cela. D'ailleurs, il ne s'agit pas maintenant de former un gouvernement
local seulement; il s'agit de faire une confédération
avec un parlement central et des parlements
locaux. Le parlement central ou fédéral
aura le contrôle des mesures générales,
comme l'a établi la conférence de Québec;
mais tout ce qui se rattachent aux intérêts
locaux, tout ce qui aura rapport aux affaires
et aux droits des différentes sections de la
confédération, sera réservé au contrôle des
parlements locaux. La position que nous
fera la confédération est donc bien différente
de celle que nous aurions occupée sous le
système que l'hon. membre proposait, puisque les 17 membres qu'aura le Haut-Canada
de plus que le Bas n'auront pas à prendre
connaissance de nos affaires locales, de nos
questions religieuses, de nos institutions
particulières, etc. L'hon. membre pour
Hochelaga, d'après son raisonnement, aurait
confié tout cela à la bonne volonté de la
majorité du Haut-Canada; mais, pour ma
part, j'aime mieux confier le soin de ces
affaires aux miens qu'à eux. Quant aux 17
membres de surplus du Haut-Canada dans
le parlement fédéral, je n'y crains pas leur
présence, pas plus que celle des membres
des provinces d'en-bas, parce que dans ce
parlement il n'y aura pas de questions de
races, de nationalité, de religion ou de localité, et que cette législature sera seulement
chargée de régler les grandes questions
générales qui intéresseront toute la confédération, et non pas seulement une localité.
Notre position est donc excellente, et tous
ceux qui voudront dire franchement leur
pensée devront avouer que les représentants
du Bas-Canada, à la conférence de Québec,
ont veillé à ses intérêts. Je puis dire que la
base d'action des délégués, en préparant les
résolutions, a été de rendre justice à tous,—
justice pour toutes les races, pour toutes les
religions, pour toutes les nationalités, pour tous
les intérêts. C'est pourquoi la confédération
sera acceptée par tout le monde dans les provinces d'en-bas comme ici. Avec la confédération,
il n'y aura pas de domination d'une race
sur l'autre, et si une section voulait commettre
une injustice envers une autre section, toutes
les autres s'uniraient ensemble et l'en empêcheraient. Mais en supposant qu'une mesure
injuste fût passée dans la chambre des communes du parlement fédéral, elle serait
arrêtée dans le conseil législatif; car là nous
serons représentés également avec les autres
sections, et c'est une garantie que nos intérêts seront amplement protégés. Nous aurons
dans le conseil législatif 24 membres, comme
le Haut-Canada et comme les provinces d'en- bas. Je dis donc qu'il y a une très grande
différence entre le raisonnement de l'hon.
membre pour Hochelaga et la mesure du
gouvernement actuel. Nos intérêts seront
protégés par le conseil législatif, et les seules
mesures d'intérêt général seront du domaine
du parlement fédéral. Quand il s'agira d'une
375
grande entreprise publique, comme d'un chemin de fer, des canaux, des lignes de télégraphe,
nos intérêts religieux et nationaux
ne seront pas en danger. Le gouvernement
central sera intéressé à ce que le pays prospère, mais il ne le sera pas à attaquer
notre
religion, nos institutions ou notre nationalité,
—qui, d'ailleurs, comme je viens de le démontrer, seront suffisamment protégés. A
ce
propos, je ferai remarquer à l'hon. membre
pour Hochelaga qu'en 1859 il disait ce qui
suit:
"Quel que soit le nombre des provinces ou des
subdivisions que l'on pourrait ultérieurement
juger convenable d'adopter, il faudrait conserver
la ligne de séparation qui existe entre le Haut et
le Bas-Canada. En définissant les attributions
des gouvernements locaux et du gouvernement
fédéral, il faudrait ne déléguer à ce dernier que
celles qui seraient essentielles aux fins de la confédération, et, par une conséquence
nécessaire,
réserver aux subdivisions des pouvoirs aussi
amples et variés que possible. Les douanes, les
postes, les lois pour régler le cours monétaire, les
patentes et droits d'auteur, les terres publiques,
et ceux d'entre les travaux publics qui sont d'un
intérêt commun pour toutes les parties du pays,
devraient être les principaux, sinon les seuls
objets dont le gouvernement fédéral aurait le
contrôle; tandis que tout ce qui aurait rapport
aux améliorations purement locales, à l'éducation,
à l'administration de la justice, à la milice, aux
lois de la propriété et de police intérieure, serait
déféré aux gouvernements locaux, dont les pouvoirs, en un mot, s'étendraient à tous
les sujets
qui ne seraient pas du ressort du gouvernement
général."
Ainsi, l'hon. membre consentait à donner
le contrôle des terres publiques au gouvernement fédéral! Il pensait alors qu'il
valait mieux laisser le contrôle de la colonisation et des terres publiques au gouvernement
fédéral, dans lequel il donnait cependant la prépondérance au Haut-Canada!
Par le plan de confédération du gouvernement actuel, ce contrôle est laissé aux
législatures locales; et j'espère que l'hon.
membre ne proposera pas de le leur enlever
pour le donner exclusivement à la législature
fédérale. Si son plan ou son raisonnement
avait été mis en pratique, il aurait donné le
contrôle de nos terres publiques à l'élément
britannique, dont il feint d'avoir tant de peur
aujourd'hui!—Je me résume, et je dis qu'il
nous est impossible de rester dans la position
où nous sommes; que l'annexion aux Etats- Unis serait le plus grand malheur qui pourrait
nous arriver; qu'il est impossible et
qu'il serait désastreux de songer à l'indépendance du pays; que le plan de confédéra
tion des deux Canadas, tel que proposé par
l'hon. membre pour Hochelaga, n'est pas
désirable, et n'offrirait aucune garantie pour
les droits du Bas-Canada; mais que la confédération de toutes les provinces de l'Amérique
Britannique du Nord serait préférable
et est notre seul remède. Cette confédération
aurait l'effet de nous donner plus de force que
celle que nous avons aujourd'hui; nous ne
formerions qu'une seule nation, qu'un seul
pays pour toutes les matières générales affectant nos intérêts comme peuple. Mais
quand
je parle de nation grande et forte, je ne prétends pas dire que nous devions former
une
nation à part, et abandonner la protection du
drapeau britannique; au contraire, j'espère
que nous resterons bien longtemps à l'ombre
de ce drapeau; mais je veux dire qu'avec la
confédération nous serons en meilleure position pour nous défendre et pour aider la
métropole, dans certaines circonstances, que
nous ne le sommes à présent. Avec la confédération, le gouvernement central pourra
faire exécuter sa volonté sur tout son territoire, et lorsqu'il s'agira, par exemple,
d'organiser la défense du pays, il n'aura pas à
consulter quatre ou cinq législatures différentes: il pourra l'organiser immédiatement
et sans entraves. De plus, nous acquerrons
une position que nous n'avons pas aujourd'hui vis-à-vis des peuples avec lesquels
nous sommes en rapport. C'est en effet quelque chose pour les citoyens d'un pays d'avoir
une position dans les contrées étrangères, et
de n'être pas traitée comme des hommes
d'une position inférieure. Quand les Canadiens vont à Londres ou ailleurs en dehors
de leur pays, ils n'ont pas de position, parce
que nous ne sommes qu'une simple colonie;
mais, sous la confédération, nous serons protégés par l'Angleterre, et de plus nous
aurons une position à l'étranger,—la position
que possède tout homme qui forme partie
d'une grande nation. A ce propos, un publiciste écrivait, il y a quelques années,
dans
les journaux de Londres, un article dont je
me permettrai de lire un extrait à la chambre; il s'agissait de la cession du droit
de
pêche des bancs de Terreneuve par l'Angle
terre à la France? Voici ce qu'il disait:
"Voyez l'effet de ce manque d'association: la
Grande-Bretagne et la France conviennent d'une
base pour faire un traité, en vertu duquel la
Grande-Bretagne consent à donner à la France le
droit exclusif de faire la pêche sur une grande
partie de la côte de Terreneuve,—droit qui ne se
trouve justifié par aucun traité antérieur. Aussitôt que Terreneuve en eût connaissance,
elle
376
réclama et nia à la Grande-Bretagne le droit de
donner ainsi par traité à une puissance étrangère
la propriété du peuple de Terreneuve, et, de fait
brava l'acte du gouvernement impérial. Eh bien!
cela n'est pas seulement indigne de nous comme
nation, mais c'est une preuve du danger qui peut
survenir pour les colonies si le gouvernement
impérial n'est pas convenablement renseigné sur
de pareils sujets. Car, après un examen attentif
de tous les traités faits à cet effet, nous ne pouvons nous empêcher de croire que
Terreneuve
avait raison."
Il est évident que si la confédération
avait existé à cette époque, l'Angleterre
n'aurait pas agi ainsi sans nous consulter;
mais on se disait alors: " Ce sont des
Canadiens, des gens de colonies," etc, et
comme nous étions séparés, il fallait bien
nous soumettre; nos droits n'étaient pas
sauvegardés comme ils le seront lorsque
nous serons unis. Sous la confédération,
l'Angleterre nous consultera dans toutes les
affaires qui nous intéresseront; et nous
pourrons nous faire entendre à Londres
d'une manière utile. Et pour preuve, écoutons le même publiciste:
"Voici une autre question, qui affecte spécialement le Canada. Dans le cours de l'année
dernière, le subside de £176,340 par année, payé aux
steamers Cunard, voyageant entre Liverpool et
les Etats-Unis, a été renouvelé pour une nouvelle
période de six ans par le gouvernement impérial.
Un autre subside postal de £78,000 vient d'être
accordé par le gouvernement impérial à une nouvelle ligne de steamers entre Galway
et les Etats- Unis, cette fois encore sans consulter les intéréts
de l'Amérique Britannique du Nord. C'est là
une très grande injustice, surtout pour le Canada,
car cette province a affecté une somme considérable pour l'ouverture de voies de communication
par eau dans la vallée du Saint-Laurent, et ses
canaux deviennent sans valeur parce qu'ils ont à
lutter contre les routes des Etats-Unis encouragées
par un subside du gouvernement impérial de près
de £300,000 par année; tandis que, d'un autre
côté, le Canada ne reçoit aucune aide du gouvernement imperial, mais est obligé de
subventionner une ligne à lui (pour amener une mince
part du commerce) au montant de £50,000 par
année. "
Si toutes les provinces de l'Amérique
Britannique du Nord avaient alors été unies
sous un même gouvernement, l'on nous aurait
dit que le gouvernement avait l'intention de
faire ce traité et nos droits auraient été
respectés; mais comme nous n'étions qu'une
simple colonie, et qu'il y avait beaucoup
d'intérêts en jeu, nous n'avons pu rien faire
pour nous protéger. Je ne veux pas fatiguer
la chambre de citations, mais j'espère qu'elle
me permettra de citer un autre auteur qui,
tout en montrant combien les objets d'ambition pour les habitants des colonies sont
restreints, prouve que, bien que sujets
anglais, nous sommes presque des étrangers
en Angleterre:
"Ici encore, dit-il, la contiguïté des colonies
aux Etats-Unis suggère des comparaisons désagréables. Dans cette grande république,
le champ
ouvert à l'entreprise et aux ambitions personnelles
est immense; et bien que les récompenses promises aux succès dans les plus hautes
régions de
la société ne soient pas, en règle générale, aussi
grandes que sous les gouvernements monarchiques, quelques-unes (des récompenses mises
à
la portées de tous,) dans ce pays, sont d'un ordre
très élevé. Plus d'un Américain de l'Amérique
Britannique du Nord a pu voir personnellement,
sur le côté américain de notre frontière, des individus qu'il savait lui être inférieurs,
sous le
rapport des talents naturels, de l'éducation, de la
richesse et de la position sociale, élevés après
une courte période à la présidence de cette république, position qui le rendait l'égal
des plus
grands monarques de l'Europe. D'un autre côté,
cet américain britannique ne pourrait raisonnablement élever ses aspirations même
au poste de
gouverneur de sa province natale; et, s'il allait en
Angleterre, toute l'influence qu'il pourrait exercer
ne lui procurerait probablement pas une présentation à sa Souveraine."
Cela ne trouve-t-il pas que la position
d'un Canadien ou d'un autre habitant des
colonies, en Angleterre, est une position
d'infériorité? Cette infériorité, nous voulons
la faire cesser en présentant le plan de la confédération soumis à la chambre. L'hon.
membre pour Hochelaga a dit que la confédération n'avait pas été demandée par le
peuple, mais que c'était seulement le plan de
politiqueurs aux abois. Il avait sans doute
en vue, en parlant ainsi, le vote de censure
qu'il proposait l'an dernier contre le minitère
TACHÉ-MACDONALD. Après tous les efforts
qu'il avait pu faire contre le gouvernement,
il n'avait rien trouvé de mieux que de lui
reprocher un acte commis ou supposé commis
cinq ans auparavant par un autre gouvernement; et, par ce moyen, il avait réussi à
renverser le ministère. Le résultat du vote
provoqué par l'hon. membre a été bien
différent de ce qu'il espérait: ça été la
coalition et le plan de confédération qui est
soumis aujourd'hui. L'hon. membre dit que
le peuple ne l'a pas demandée. Mais quand
le gouvernement est venu annoncer à la
chambre que la base du nouveau gouvernement était la confédération des provinces,
les hon. membres de l'opposition n'ont pas
déclaré que la mesure était mauvaise. Au
contraire, la grande majorité des membres
377
du Haut et du Bas-Canada s'est déclarée en
faveur de cette organisation et a promis son
appui au gouvernement. L'hon. membre
demande aussi qui est-ce qui a donné aux
délégués le pouvoir de se réunir et de préparer un plan de confédération et de le
soumettre à la chambre. Je lui répondrai
que ce pouvoir leur est venu de l'assentiment de la chambre, qui avait consenti à
ce que le gouvernement fût formé sur cette
base. Le gouvernement a senti qu'il avait
parfaitement le droit, non seulement d'assister à la conférence de Québec, mais de
la
provoquer. Et lors même qu'il n'y aurait
pas eu d'autre raison que les difficultés qui
avaient surgi en Canada, depuis quelques
années; lors même qu'il n'y aurait pas eu
d'autre raison que le soin des intérêts du
pays, cela aurait été suffisant pour nous
justifier d'assister à la conférence de Charlottetown et d'avoir convoqué celle de
Québec, où la mesure a été adoptée par les
38 conférendaires.— L'hon. membre, en
passant, nous a accusés d'avoir consenti à ce
que le Canada n'eût qu'une seule voix dans
la conférence. Puisque, comme chef de
l'opposition, il voulait porter une accusation
contre le gouvernement actuel, il aurait du
se mieux renseigner.
L'
HON. A. A. DORION—C'est ce que
j'ai compris d'après ce qu'a dit le président
du conseil.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN —Le
Canada avait plus d'une voix, et le président
du conseil n'a jamais dit le contraire.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Oui, il
en avait deux: une pour le Haut et une
pour le Bas-Canada. Nous aurions pu en
avoir davantage; mais il ne s'agissait pas de
cela. Nous n'allions pas à cette conférence
pour discuter de simples questions de forme,
nous n'y allions pas pour imposer de vive
force nos opinions aux autres; nous voulions
nous entendre avec les provinces d'en-bas.
Il ne s'agissait pas de former une constitution faible et injuste, et qui par-là même
se serait écroulée le lendemain. Nous n'avons
donc pas dû ni voulu profiter de notre
position, mais nous avons traité les autres
provinces sur un pied d'égalité, n'ayant pas
en vue de leur imposer notre loi, mais voulant nous entendre avec elles et rendre
justice à toutes.
L'
HON. A. A. DORION — Le fait que
j'ai avancé n'est pas nié, que les votes ont
été donnés par province.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN — C'est
vrai; les provinces d'en-bas ont eu chacune
une voix, comme le Haut et le Bas-Canada,
et c'est pour nous un sujet de félicitations.
La chambre me permettra de lui rappeler à
ce sujet que NAPOLÉON I disait un jour
à l'un de ses ambassadeurs qu'il envoyait
auprès d'un prince faible, pauvre et sans
armée, — auprès du Pape: " Traiter avec
lui, disait-il, comme s'il avait une armée de
200,000 hommes derrière lui." Eh bien!
c'est ce que nous avons fait: nous avons
traité la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau- Brunswick et les autres provinces comme
nous voulions être traités nous-mêmes, c'est- à-dire, avec justice et considération,
et le
résultat prouve que nous avons eu raison.
—L'hon. membre aurait dû se borner à faire
connaître à sa manière les secrets de la conférence, et ne pas exposer ceux du comité
nommé l'année dernière à propos des difficultés constitutionnelles. J'avais compris
que
tout devait être secret dans ce comité,
excepté le rapport qui a été fait à la chambre.
L'
HON. A. A. DORION—L'hon. membre
m'accuserait il d'avoir dévoilé les secrets de
ce comité?
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon.
membre a dit que l'hon. procureur-général
(J. A. MACDONALD) avait constamment agi
et voté dans ce comité, contre tout projet
de confédération, et qu'aujourd'hui il vient
en présenter un lui-même; et je maintiens
qu'il n'aurait pas du dire cela, car l'action
des membres du comité devait rester secrète.
Si les délibérations de ce comité devaient
être secrètes, l'hon. membre doit voir qu'il
est dans une mauvaise position. Le but du
secret est évident: c'est celui que nous
avions en maintenant secrètes les délibérations de la conférence de Québec, savoir:
de
donner une plus grande liberté d'opinion à
chaque membre, et non pas de priver le
peuple des renseignements auxquels il avait
droit, comme on l'a dit. Nous savions que
si nos délibérations étaient livrées jour par
jour au public, par la voie de la presse, nous
n'aurions pas eu cette liberté d'action et de
discussion dont nous avions besoin. L'on
comprend, en effet, que pendant ces délibérations, un membre pouvait un jour se prononcer
contre une résolution en quelque
point important, et que les arguments d'un
autre membre dans le sens contraire pouvaient lui faire changer ou modifier son
opinion; mais pour cela il fallait être libre
de toute influence extérieure,—et c'est pourquoi la conférence a siégé à huis-clos.
378
L'
HON. A. A. DORION—L'hon. membre
me permettra-t-il un mot. Il a dit que j'avais
dévoilé les délibérations du comité sur les
difficultés sectionnaires. Mais je dois déclarer
que je n'ai jamais assisté aux délibérations
de ce comité, — que je n'y suis allé le premier jour que pour dire que je ne voulais
pas prendre part à ses délibérations, et que
je me suis ensuite retiré pour n'y plus
retourner. J'étais opposé aux délibérations
du comité, et je n'y suis pas allé; mais j'ai
su que l'hon. procureur-général avait voté,
le dernier jour qu'il a siégé, contre la confédération, et c'est tout ce que j'ai
dit. Ainsi,
si les secrets du comité ont été dévoilés, ce
n'est pas par moi.
L'
HON. M. CAUCHON —L'hon. membre
pour Hochelaga a tout à fait perdu la mémoire de ce qui a été fait dans le comité.
Il était présent, avec l'hon. membre pour
Chateauguay (M. HOULTON), au commencement des délibérations du comité, lorsqu'il
a été dit et entendu que tout ce qui se
passerait dans le comité devait être secret.
J'admets que l'hon. membre a refusé de
prendre part aux délibérations du comité,
mais en même temps il savait très-bien
qu'elles devaient être secrètes, et il était tenu
de garder le secret. Il savait que l'on avait
fait sortir les membres de la presse.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN— L'hon.
membre pour Hochelaga devra comprendre
que, moi qui n'étais pas membre de ce
comité, et sachant qu'il en faisait partie, et
qu'il avait été dit en chambre que les délibérations devaient en être secrètes, j'ai
pu
de bonne foi lui reprocher d'en avoir parlé.
L'
HON. A. A. DORION—Je n'ai jamais
su que les délibérations du comité devaient
être secrètes.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Moi, je
l'ai su, et je crois que j'étais justifiable de
dire ce que j'ai dit; mais, après les explications que vient de donner l'hon. membre,
je
ne puis l'accuser de l'avoir fait de propos
délibéré. L'hon. membre pour Hochelaga a
dit que le mémoire soumis par le gouvernement, lors de sa formation, parlait d'une
autre confédération que celle qu'il propose
maintenant. Il est bon de référer à ce
document afin de savoir ce qui en est. Ce
mémoire a deux parties, dont voici la première:
"Le gouvernement est prêt à déclarer qu'immédiatement après la prorogation, il s'occupera
de la manière la plus sérieuse de la négociation
pour une confédération de toutes les provinces
britanniques de l'Amérique du Nord.
"Que, avenant l'insuccès de ces négociations,
il est prêt à s'engager à proposer une mesure
législative, à la prochaine session du parlement,
en vue de remédier aux difficultés existantes,
en recourant au principe fédéral pour le Canada
seul, accompagné de dispositions qui permettront
aux provinces maritimes et au territoire du Nord- Ouest de s'incorporer ci-après dans
le système
canadien."
C'est-à-dire que le gouvernement promet,
dans la première partie de ce mémoire,
qu'il s'occupera d'une confédération de
toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord, et que, dans le cas où il
ne
réussirait pas à l'effectuer, il s'occuperait
d'une confédération des deux Canada. Voici
maintenant ce que contient la seconde
partie:—
"Le gouvernement est prêt à s'engager à présenter une mesure, à la prochaine session,
pour
faire disparaître les difficultés existantes en introduisant le principe fédéral en
Canada, accompagné d'une disposition qui permettra aux provinces maritimes et au territoire
du Nord-Ouest de
s'incorporer dans le même système de gouvernement.
"Et le gouvernement cherchera, en envoyant
des représentants aux provinces inférieures et en
Angleterre, à gagner l'assentiment des intérêts,
qui sont hors du contrôle de notre législature, à
la mesure qui permettra à toute l'Amérique
Britannique du Nord de s'unir sous une législature générale basée sur le principe
fédéral."
Eh bien! quelle contradiction y a-t-il dans
ces promesses et dans l'action actuelle du
gouvernement? Nous commençons d'abord
avec un plan de confédération pour les deux
Canadas, et trouvant les provinces maritimes
prêtes à entrer de suite dans l'étude d'une
union plus considérable, nous avons fait des
arrangements pour les faire entrer immédiatement dans la confédération. Il n'y a pas
de
contradiction la-dedans; mais c'est la même
mesure, c'est le même plan: la seule différence, c'est qu'au lieu de les admettre
dans
l'union dans six ou neuf mois, nous les
avons admises de suite. Lorsque nous avons
abordé la question, nous avons trouvé les
provinces maritimes en voie de délibérer
sur une union entre elles; mais les délégués
à Charlottetown ont compris que la confédération que nous leur proposions serait
beaucoup plus avantageuse à toutes les
provinces que celle à laquelle ils travailaient, et ils ont consenti de suite à accepter
notre proposition. En conséquence, ils sont
venus à Québec, et le résultat de leur visite
379
a été le plan qui est soumis à cette chambre.
L'hon. membre pour Hochelaga n'a donc
pas le droit de nous reprocher d'avoir changé
le plan promis à la chambre, puisque c'est
mot pour mot ce que nous avons promis
Cette mesure, comme je le disais il y a un
instant, ne saurait durer que si elle protége
les intérêts de tous. Or, nous avons des
intérêts différents dans le Bas-Canada, ou
vivent deux populations de races différentes,
de religions différentes et parlant des langues
différentes. D'un autre côté, le Haut-Canada
a une population homogène, mais professant
différentes religions, et il en est ainsi pour
les diverses provinces maritimes. Nous avons,
aussi, dans ces dernières provinces, plus de
cent mille compatriotes d'origine française.
Eh bien! M. l'ORATEUR, ces intérêts différents, nous avons en soin de les protéger,
et de
sauvegarder les droits de cette population
en l'unissant dans la confédération à un
peuple comptant un million d'habitants
de la même race qu'elle. Mais on nous
a dit: " Vous voulez former une nationalité nouvelle!" Il faut s'entendre sur ce
mot, M. l'ORATEUR. Ce que nous désirons et voulons, c'est défendre les intérêts
généraux d'un grand pays et d'une puissante nation, par le moyen d'un pouvoir
central et fort. D'un autre côté, nous ne
voulons pas faire disparaître nos différentes
coutumes, nos mœurs, nos lois: au contraire,
c'est là précisément ce que nous désirons le
plus protéger par la confédération. Sous le
nouveau système, il n'y aura pas plus raison
aujourd'hui de perdre notre qualité de
Français ou d'Anglais, sous le prétexte que
nous aurons tous les mêmes intérêts généraux, et nos intérêts de race, de religion
et
de nationalité resteront ce qu'ils sont aujourd'hui. Mais ils seront mieux protégés
sous
le système proposé, et c'est là encore une
des plus fortes raisons en faveur de la confédération. Non seulement en effet nous
nous
sommes assurés de cette protection, mais les
provinces parties à la confédération l'ont
ainsi voulu. Tous les intérêts locaux seront
soumis et laissés à la décision des législatures locales. Il y aura, pour le Bas-Canada,
d'autres exceptions, et, de fait, toutes les
exceptions dans le plan de confédération sont
en faveur du Bas-Canada. Ce sont les délégués Bas-Canadiens qui ont obtenu ces restrictions
en faveur de cette province; mais
ils ne sollicitent pas de remerciments pour
cette conduite, car ils considèrent qu'ils
n'ont fait en cela que remplir un devoir: le
devoir de vrais patriotes et de bons citoyens.
Tout ce qu'ils viennent demander aujourd'hui
à cette chambre, c'est de sanctionner la
mesure qui assure ces priviléges aux populations qu'ils représentent. J'ajouterai
que,
sous la confédération, toutes les questions
qui concernent la colonisation de nos terres
incultes, la disposition et la vente de ces
mêmes terres, nos lois civiles, toutes les
mesures d'une nature locale, enfin tout ce
qui intéresse et affecte nos intérêts les plus
chers comme peuple, seront réservés à
l'action de nos législatures locales; toutes
nos institutions de charité et autres seront
protégées par la même autorité. Il y a aussi
la question de l'éducation: sur cette question,
comme sur toutes les autres, les délégués
Bas-Canadiens ont veillé au maintien de
certains priviléges, et cette question a été
laissée à notre législature locale, en sorte
que la législature fédérale ne pourra pas y
porter atteinte. On a dit que, relativement
à l'agriculture, le pouvoir de législation serait
exercé concurremment par la législature
fédérale et les législatures locales. Mais la
chambre sait parfaitement pour quelle raison
cette concurrence a été admise. Tout le
monde comprend, en effet, qu'il peut se présenter certains intérêts généraux sur lesquels
l'intervention de la législature centrale soit
nécessaire; mais, M. le PRÉSIDENT, tous
les intérêts de l'agriculture locale, tout ce
qui a rapport à nos terres, seront laissés à
notre législature bas-canadienne, et c'est un
point sur lequel nous avons toujours insisté
et qui ne nous a jamais été refusé dans la
conférence. Il est donc évident que, sous
la confédération telle que proposée, les populations des parties éloignées de la confédération,
ayant le privilége de porter leurs
réclamations devant leurs législatures locales
respectives, n'auront pas le trouble onéreux
d'aller jusqu'au siége du parlement central
pour obtenir, par exemple, la construction
d'un pont ou l'ouverture d'un chemin.—
J'en viens maintenant, M. le PRÉSIDENT, à
la question des détails de la mesure, et je vais
répondre aux observations de l'hon. membre
pour Hochelaga à ce sujet. Cet hon. membre
objecte à ce que les conseillers législatifs
soient nommés par le gouvernement central,
et il ajoute que ces conseillers seront nommés
par un gouvernement tory et seront nécessairement choisis parmi les torys. En faisant
cette déclaration, cet hon. membre n'a pas agi
avec la franchise qu'on avait droit d'attendre
de lui. (Ecoutez! écoutez!) C'est à peine
380
s'il a fait allusion à la clause des résolutions par laquelle l'opposition, dans les
différentes sections de la confédération, se
trouvera protégée. Dans cette clause, il est
dit que le parlement central, en faisant ces
nominations, aura le soin de veiller aux intérêts de l'opposition aussi bien qu'à
ceux du
parti ministériel. Eh bien! M. le PRÉSIDENT,
quand un gouvernement s'engage ainsi, est-il
raisonnable et juste de croire ou de supposer
qu'il manquera à sa parole aussi solennellement engagée? Pour ma part, je suis convaincu
que les membres du gouvernement
actuel, s'ils se trouvaient dans le gouvernement central, feraient ce qui a été promis,
et
veilleraient aux droits de l'opposition comme
à ceux de l'autre parti. L'hon. membre pour
Hochelaga a aussi prétendu que les provinces
maritimes nous avaient imposé la clause qui
décrète que les conseillers législatifs dans le
parlement général seront nommés par la conronne. Pourtant, l'hon. député sait fort
bien
que le principe électif dans notre conseil
législatif actuel n'a été qu'un essai; et que,
dans le Bas-Canada, on est devenu fatigué du
système. . Ce n'est pas à dire pour cela
que les conseillers qui ont été élus par
le peuple ne soient pas dignes du poste
qu'ils occupent, ou que leur choix ait été
un choix malheureux, mais la nature même
du système empêche un grand nombre
d'hommes de talents, d'hommes qualifiés
sur tous les rapports, et dignes de siéger
au conseil législatif, de se présenter aux
suffrages des électeurs, par suite du trouble,
de la fatigue et des dépenses énormes, résultat
de contestations électorales dans d'immenses
divisions. Nous savons que ce système a
fatigué le Bas-Canada et qu'il nous approuvera d'avoir inséré cette clause dans les
résolutions. Le vote qui a eu lieu ailleurs,
hier soir, démontre que je ne me trompe pas
dans mon affirmation à ce sujet. L'une des
grandes objections de l'hon. député d'Hochelaga à la nomination des conseillers législatifs
par la couronne, c'est que le nombre
en sera fixe et que, par suite, il offrira un
obstacle aux décisions et à la législation de
la chambre des communes du parlement
fédéral. En un mot, l'hon. député déclare
que le conseil législatif ainsi constitué sera,
pour me servir de l'expression anglaise, une
nuisance. L'hon. député aurait dû faire un
retour sur le passé pour voir quel nombre de
conseillers nommés à vie se trouvait dans le
conseil législatif, lors de la concession du
principe électif, et combien il reste aujour
d'hui de ces mêmes conseillers. Il aurait pu
voir qu'en huit ans le nombre en a diminué
de moitié. De 42 ou 43 qu'ils étaient à cette
époque, ils ne sont plus maintenant que 21
ou 22! (Ecoutez! écoutez!) L'hon. député
d'Hochelaga aurait dû aussi admettre qu'il
y avait eu parmi les conseillers élus des
changements tellement considérables dans
ces huit années qu'il n'y avait pas de danger
que le conseil législatif ne fût pas au moins
accessible au peuple. Cette diminution donne
une moyenne de trois membres par année,
et si l'on établit une proportion entre cette
diminution et celle qui aura nécessairement
lieu pour un plus grand nombre de conseillers,
on trouvera qu'il y aura au moins cinq déplacements par année. L'hon. député devra
donc comprendre que s'il arrive que le conseil
législatif soit tellement opposé aux vues de
la chambre basse qu'il rejette systématiquement les mesures de la chambre populaire,
il s'y produira de tels changements, au bout
d'un an ou peut-être moins, soit par la
mort ou d'autres causes, que nous aurons
immédiatement une infusion de sang nouveau, et toute tentative de ce genre ne
pourrait se reproduire de longtemps. D'ail
leurs, le conseil législatif ne formera pas,
comme la chambre des lords en Angleterre,
une classe à part. Ces conseillers sortiront
du peuple avec lequel ils auront des intérêts
communs, et il est absurde de supposer
qu'ils seront portés à s'opposer systématiquement et constamment à des mesures que
la
chambre basse décrèterait en faveur du peuple
et à sa demande. L'hon. député d'Hochelaga
a, sur ce sujet, reproché à l'hon procureur- général du Haut-Canada, d'avoir dit,
dans
son discours d'ouverture, que s'il avait à
présider au choix des conseillers législatifs,
il verrait à ce que les hommes les plus qualifiés fussent nommés à ce poste. Eh bien!
M. le PRÉSIDENT, je ne vois rien dans cette
déclaration qui ne soit parfaitement d'accord
avec les intérêts du pays, et il importe que
les meilleurs hommes de chaque section de
la confédération soient appelés à siéger dans
ce corps important de notre législature
générale.— L'hon. député a trouvé à redire à
cette clause des résolutions qui porte que les
lieutenants-gouverneurs seront nommés par
le gouvernement central, et il y voit un grand
danger surtout pour le Bas-Canada. M. le
PRÉSIDENT, j'aimerais beaucoup à savoir
quelle protection il y a aujourd'hui pour les
populations des différentes provinces dans le
fait que les gouverneurs des provinces de
381
l'Amérique Britannique du Nord nous sont
envoyés d'Angleterre. Notre gouverneur,
sous le régime actuel, n'est responsable ni au
peuple ni à la chambre; il dépend entièrement du gouvernement anglais auquel il est
responsable. Sous le système proposé, les
lieutenants-gouverneurs seront nommés par
le gouvernement central auquel ils seront
nécessairement responsables de leurs actes.
Or, dans ce gouvernement, nous aurons plus
d'une voix, nous y serons représentés par nos
ministres, qui seront là pour faire condamner
toute empiétation ou tout acte arbitraire
que pourrait se permettre un lieutenant- gouverneur. Si le gouvernement central
refusait de nous rendre cette justice et persistait à ne pas rappeler tel lieutenant-gouverneur
qui aurait ainsi forfait à ses devoirs
vis-à-vis de la population qu'il gouvernerait, nous aurions nos 65 représentants
pour protester et voter au besoin contre
un gouvernement qui oserait agir ainsi.
Nous aurons, sous ce rapport, de bien plus
grandes garanties qu'aujourd'hui; c'est là
véritablement un privilége nouveau que
nous avons obtenu, puisque le peuple se
trouve avoir une voix dans ces nominations
par le fait que nous aurons nos ministres
responsables dans le gouvernement central,
lesquels seront soutenus et appuyés par les
députés de notre section. A propos de la nomination des lieutenants-gouverneurs, l'hon.
député d'Hochelaga a cru devoir faire une
charge à fond contre le parti conservateur.
Il a dit que ce parti cherchait constamment
à diminuer les priviléges et les libertés du
peuple, tandis que le parti libéral s'efforçait
d'étendre et d'assurer ces mêmes libertés!
Eh bien! M. le PRÉSIDENT, je crois que le
peuple comprend ses intérêts aussi bien que
l'hon. député d'Hochelaga, et qu'il ne nous
fera pas de reproches de ce que nous lui
donnons une constitution qui a pour but de
sauvegarder ses droits locaux et généraux
beaucoup mieux que le système actuel. En
attaquant ainsi le parti conservateur, l'hon.
député d'Hochelaga n'a pas manqué aussi
de faire une légère insinuation contre les
délégués à la conférence. Il dit en effet:—
"L'orateur du conseil législatif doit aussi être
nommé par la couronne: c'est un autre pas rétrograde et un peu de patronage de plus
pour le
gouvernement. Nous avons tous entendu parler
d'un discours prononcé dernièrement dans l'Ile
du Prince-Edouard ou le Nouveau-Brunswick,—
j'ai oublié lequel,—où l'on énumérait les avantages que l'on avait fait miroiter aux
yeux des
délégués, pendant qu'ils étaient ici, sous forme
de nominations en perspective, comme celles de
juges de la cour d'appel, d'orateur du conseil
législatif, et de gouverneurs locaux, comme étant
l'une des raisons de l'unanimité qui a régné parmi
les membres de la conférence."
Il faut que l'hon. député ait une bien pauvre
idée de la nature humaine pour s'imaginer
que des hommes publics, ayant d'aussi grands
intérêts entre leurs mains et ayant leur
honneur et celui de leur pays à sauvegarder
et à maintenir intacts et purs aux yeux du
monde entier, auraient consenti à trahir et
à livrer leur pays pour l'amour d'une pauvre
place, quand bien même cette place serait
celle de lieutenant-gouverneur ou de jugeen-chef. J'aime à croire que cette insinuation
lui est échappée et qu'il regrette déjà
de l'avoir laissée tomber de ses lèvres.—Un
autre point sur lequel l'hon. député d'Hochelaga s'est étendu, est la question de
la
milice et de la défense du pays. L'hon.
député a déclaré à ce sujet qu'il ne comprenait pas comment l'union des provinces
nous
rendrait plus forts. L'expérience de l'hon.
député d'Hochelaga et les enseignements de
l'histoire auraient, cependant, dû lui apprendre qu'un peuple désuni et placé sur
un vaste territoire est plus facile à subjuguer
que quand il est uni sous un même gouvernement fort et respecté. Ceci m'amène à
parler de cette observation de l'hon. député
qui a déclaré que ce ne nous aurions de
mieux à faire pour éviter toutes difficultés
avec nos voisins et empêcher les malheurs
d'une guerre avec eux, serait de rester tranquilles, de nous croiser les bras. La
chambre
me permettra de citer à ce sujet les expressions mêmes de l'hon. député:
"Ce serait rien moins qu'une folie pour nous
d'épuiser nos ressources par une dépense de quinze
à vingt millions par année pour lever une armée
de 30,000 à 50,000 hommes dans le but de résister
à une invasion. Ce que le Canada a de mieux à
faire, c'est d'être pisible, et de ne donner aucun
prétexte de guerre à nos voisins. [ Ecoutez!]
Que l'opinion publique de ce pays force la presse
à cesser ses attaques contre le gouvernement des
Etats-Unis, et ensuite si la guerre surgit entre l'Angleterre et les Etats, elle aura
lieu sans qu'il y ait
de notre faute,—et si nous avons à y prendre part,
nous le ferons courageusement en aidant l'Angleterre dans la mesure de nos forces
et de nos
ressources; mais, en attendant, il est parfaitement inutile pour nous de lever ou
d'entretenir
aucune espèce d'année permanente."
Je pense avec l'hon. député qu'on ne doit
donner aucun juste sujet de mécontentement à nos voisins et encore moins attaquer
leurs frontières, et le gouvernement actuel a
382
montré en toute occasion qu'il était disposé
à respecter les droits et les sentiments du
peuple américain; mais, d'un autre côté,
l'hon. député a été le premier à nous apprendre que le meilleur moyen de se défendre
n'est pas de se préparer et de s'aguerrir,
mais de rester désarmés et les bras pacifiquement croisés; en d'autres termes, de
se
livrer pieds et poings liés. Eh bien! je
lui ferai une simple question: s'il craignait
d'être attaqué par un voisin, irait-il le trouver
pour se mettre à sa disposition, ou bien se
mettrait-il en garde contre ses attaques? Je
pense bien que l'hon. député n'hésiterait
pas un seul instant entre ces deux alternatives. Or, ce qui est prudence et bonne
politique pour l'individu l'est également
pour une nation. Nous ne désirons pas
prendre une attitude menaçante vis-à-vis
de nos voisins; au contraire, ce que nous
voulons c'est de vivre en paix avec eux.
Nous ne désirons pas faire la moindre chose
qui puisse être interprétée comme une menace, mais nous serions déplorablement
aveugles si, témoins de l'énorme puissance
militaire de nos voisins, nous regardions ce
déploiement formidable les bras croisés
et l'indifférence au cœur. Une pareille attitude ne serait ni patriotique ni digne
d'un
peuple d'hommes libres. Le plus sûr moyen
de n'être pas attaqués et subjugués par nos
voisins, de faire respecter notre indépendance et nos priviléges, c'est de leur montrer
que nous sommes prêts à les défendre à tout
prix. L'hon. député d'Hochelaga a déclaré
qu'il était prêt à faire quelques sacrifices
pour l'entretien de la milice et pour la
défense du pays, mais il ne nous a pas dit
jusqu'où il était prêt à aller dans ce sens.
Il nous l'apprendra probablement plus tard,
si nous sommes appelés à faire des dépenses
à cet effet. Quoi qu'il en soit, je tiens à
relever les observations qu'il a faites relativement aux volontaires. En parlant de
la
dépense que le gouvernement encourait pour
protéger les frontières, il a dit que 30,000
miliciens coûteraient trente millions de
piastres! L'hon. député a une singulière
manière de calculer. En effet, si nous étions
appelés à lever une armée de 30,000 hommes,
nous ne leur paierions pas une piastre ou
même trois trente sous par tête. L'hon.
député d'Hochelaga sait tout aussi bien que
moi que la force actuelle de milice de service
à la frontière ou en garnison à l'intérieur a
été appelée dans des circonstances tout
exceptionnelles, et que le gouvernement a
été dans l'impossibilité de contrôler, autant
qu'il aurait peut-êre aimé à le faire, le
montant de la solde de ces volontaires.
L'hon. député doit aussi savoir que ces
braves miliciens ont fait preuve du plus
grand patriotisme et que, dans bien des cas, ils
ont fait des sacrifices énormes au détriment
d'eux-mêmes et de leurs familles. Un grand
nombre d'entre eux étaient employés dans
des maisons de commerce ou dans des
comptoirs ou des chantiers qui leur donnaient beaucoup plus que ce qu'ils reçoivent
aujourd'hui du gouvernement, et je
trouve très-mauvais qu'on vienne aujourd'hui leur disputer ce minime salaire sous
prétexte que c'est une charge trop lourde
pour notre budget. (Ecoutez! écoutez!) Ils
n'ont pas hésité, quand la patrie a réclamé
leurs services, à risquer leur santé et à
renoncer à toutes les joies et les douceurs
de la famille, et je suis bien certain que le
peuple ne leur disputera pas le malheureux
écu qui leur est donné en échange, et ne
fera qu'approuver le gouvernement d'avoir
fait, en cette occasion, ce qu'il devait faire.
—L'hon. député d'Hochelaga fait aussi un
autre reproche au gouvernement. Le fait
est qu'il trouve mauvais et défectueux tout
ce qui est proposé par le gouvernement
actuel. Ainsi, relativement au droit de
véto laissé au gouvernement général, l'hon.
membre s'exprime comme suit:
"Ne voit-on pas qu'il est très-possible qu'une
majorité dans un gouvernement local soit opposée
au gouvernement général, et que dans ce cas la
minorité demandera au gouvernement général de
désavouer les lois décrétées par la majorité? Les
hommes qui composeront le gouvernement général
dépendront de l'appui de leurs partisans politiques
dans les législatures locales, qui exerceront
toujours une grande influence dans les élections,
et pour conserver leur appui, ou dans le but de
servir leurs amis, ils opposeront leur véto à des
lois que la majorité de la législature locale trouvera
bonnes et nécessaires "
Je crois, M. le PRÉSIDENT, avant de répondre
à l'hon. membre, qu'il sera bon de référer
aux deux clauses qui ont rapport à cette
matière. Dans ces deux clauses il est dit:
"10. Tout bill de la législature générale pourra
être réservé en la manière ordinaire pour la sanction de la majorité, et les bills
des législatures
locales pourront aussi, de la même manière, être
réservés pour la considération du gouverneur- général.
"20. Tout bill passé par le parlement général
sera sujet à être désavoué par Sa Majesté pendant
deux ans, comme c'est le cas pour les bills passés
par les législatures des dites provinces; et de
383
même tout bill passé par une législature locale
sera sujet il être désavoué par le gouverneur- général dans l'année qui suivra sa
passation."
Eh bien! je le demande à la chambre, quel
mal y a-t-il dans ces deux clauses? Aujourd'hui, dans quelle position sommes-nous,
quand un bill a été adopté par les deux
chambres de notre législature? La voici:
ce bill est soumis à la sanction du gouverneur-général et presque dans tous les cas
est sanctionné sans le référer au gouvernement impérial. Mais si, par exemple, ce
bill a trait au divorce, à une question qui
intéresse le gouvernement impérial, ou encore,
si c'est une mesure qui peut affecter nos
relations avec nos voisins ou toute autre
nation, on le réserve pour la sanction de Sa
Majesté. Lorsqu'une mesure quelconque
est ainsi réservée, l'hon. député d'Hochelaga
pense-t-il que les membres du gouvernement
anglais se réunissent pour la prendre en
considération? Pas le moins du monde; il
y a, dans le bureau colonial, un commis de
second ou de troisième ordre qui est chargé
de cette besogne et qui fait ensuite son raport au ministre, et ce rapport détermine
la
sanction ou le désaveu de la mesure en
question. Si la mesure est d'un grand
intérêt pour le pays et n'est pas sanctionnée,
nous ne pouvons nous en prendre à personne
et il nous faut nous soumettre, les ministres
anglais n'étant pas responsables à nous.
Sous la confédération, ce danger et cet inconvénient disparaîtront. Dans le cas où
le
parlement local du Bas-Canada passerait une
loi que le lieutenant-gouverneur jugerait à
propos de réserver à la sanction du gouvernement central, si ce dernier gouvernement
refusait de la sanctionner, bien qu'elle fût
demandée par le peuple de cette section, et
qu'il n'y eût aucune raison de la refuser,
nous aurions, pour protester contre ce refus,
nos 65 membres dans le parlement central,
qui se ligueraient pour renverser le ministère qui aurait agi ainsi. Et ne dites pas
que ces 65 membres ne pourraient rien
contre le reste de la chambre; unis en un
seul corps, ils trouveraient incontestablement appui et aide chez les membres des
autres provinces, qui auraient tout intérêt à
ne pas laisser toucher à nos droits et priviléges, par crainte de voir un jour la
même
chose pratiquée contre les leurs. D'un autre
côté, M. le PRÉSIDENT, le désaveu qui
pourra être donné à une mesure sanctionnée par les gouvernements locaux, ne pourra
être exercé que durant douze mois, tandis
que, sous le système actuel, il peut être donné
pendant deux ans. C'est une restriction
qui a été accordée dans les intérêts du Bas- Canada et de toutes les autres sections
de la
confédération; c'est une restriction dans le
sens populaire. Mais l'hon. député d'Hochelaga refusera, sans doute, de reconnaître
que
cette concession populaire vient de nous. Et
d'ailleurs, pourquoi redouterait-on ce véto?
Dans notre législature locale, nous n'avons
certainement pas l'intention d'être injuste
envers une partie de la population, mais
nous nous proposons de la traiter comme
par le passé, sur un pied d'égalité; nous
voulons enfin être aussi justes envers cette
population, que nous l'étions alors qu'elle
ne formait qu'une faible minorité. Cela
n'empêche pas, cependant, l'hon. député
d'Hochelaga de dire aux membres anglais
du Bas-Canada qu'ils devraient être sur
leurs gardes. Eh bien! M. le PRESIDENT, je
ne ferai pas cette injure à la race à laquelle
j'appartiens. Les Canadiens-Français ont
toujours agi honorablement vis-à-vis des
autres races qui habitent au milieu d'eux,
et ils ne profiteront certainement jamais,
pas plus que par le passé, de la majorité
qu'ils pourraient avoir dans la législature
locale pour molester ou persécuter la minorité. Voilà la raison pour laquelle nous
ne
craignons et ne redoutons pas ce droit de
véto. Il ne faut pas, d'ailleurs, croire que
l'intention des deux clauses, que j'ai déjà
citées, soit que tout bill passé dans les législatures locales sera réservé à la sanction
du
gouvernement central. Cette réserve ne se
fera que pour les mesures de la nature de
celle que l'on soumet aujourd'hui à la sanction de Sa Majesté. En sorte que l'hon.
député d'Hochelaga a grandement tort de
venir reprocher au gouvernement actuel
d'avoir consenti à ces deux clauses.—Une
autre question sur laquelle cet hon. député
nous a aussi pris à partie, est celle des droits
d'exportation sur le bois et le charbon. Dans
la clause 29, qui a rapport aux pouvoirs du
parlement fédéral, la troisième sous-section
se lit comme suit:—
"L'imposition ou le règlement des droits de
douanes sur les importations ou sur les exportations, excepté sur les exportations
du bois carré,
des billots, des mâts, des espars, des madriers,
du bois scié du Nouveau-Brunswick, et du charbon
et des autres minéraux de la Nouvelle-Ecosse."
Le fait que ce pouvoir a été laissé au gouvernement n'implique qu'il l'exercera;
ce pouvoir lui a été donné simplement parce
384
qu'il pourrait en avoir besoin dans certains
cas donnés. Voici maintenant la raison de
la seconde partie de la clause que je viens de
lire à la chambre, et que je ne saurais
mieux exposer qu'en citant quelques phrases
d'un discours de l'hon. ministre des finances
à ce sujet. Toutefois, comme il y a plusieurs
hon. membres dans cette chambre qui ne
comprennent pas l'anglais, je pense qu'il
vaut peut-être mieux les expliquer en français. On a donc pensé que comme, dans
le Nouveau-Brunswick, le gouvernement
trouvait très désavantageux de percevoir les
droits sur le bois d'après le système dont
on s'était servi précédemment, et y avait
substitué un droit d'exportation qui remplaçait tous les autres impôts sur ce produit,
il n'était que juste de conserver ce revenu
au Nouveau-Brunswick, auquel il était d'absolue nécessité pour le paiement de ces
dépenses locales. En Canada, nous retenons,
sous la nouvelle constitution, notre mode de
prélever des droits analogues. Quant au
Nouveau-Brunswick, c'est là sa principale
ressource, de même que le charbon est presque la seule ressource de la Nouvelle-Ecosse,
et si on les leur avait enlevées, ils auraient
péremptoirement refusé de nous joindre dans
la confédération. (Ecoutez! écoutez!) Leur
demande était parfaitement juste, et nous ne
pouvions, par conséquent, la leur refuser.
D'ailleurs, nous n'avons pas à nous plaindre,
car toutes nos terres et nos mines nous sont
laissées, et nous continuerons, comme par le
passé, à en percevoir les revenus pour notre
propre usage et à notre profit. L'hon.
membre pour Hochelaga a dit que l'on ne
pourra pas administrer les affaires des gouvernements locaux sans que l'on soit obligé
d'avoir recours à la taxe directe; mais un
homme de son expérience n'aurait pas dû
dire cela. Il n'aurait pas dû essayer d'exploiter les préjugés populaires, mais admettre
de suite que le droit accordé par la constitution nouvelle d'imposer la taxe directe,
est le même que celui qui existe dans la
constitution actuelle; c'est le même droit
qu'ont toutes nos municipalités. Ce n'est
pas à dire pour cela que ce droit sera exercé.
Mais l'hon. membre sait que le peuple
n'aime pas la taxe directe, et qu'il ne voudrait pas l'adopter comme système au lieu
de la taxe indirecte; c'est pourquoi il a
cherché à en effrayer la population du Bas- Canada. Pour nous, n'oublions pas que
le
produit des revenus locaux du Bas-Canada
sera employé à défrayer les dépenses locales.
L' hon. ministre des finances a dit que
dans le Bas-Canada ce revenu local sera de
$557,000, outre les quatre chelins par tête
de sa population que lui paiera tous les ans,
par paiements semestriels et d'avance, le
gouvernement fédéral. Ce subside s'élèvera
donc à $888,000, ce qui fera un total de
$1,446,000 pour les besoins locaux du Bas- Canada. Je sais que l'hon. membre a
révoqué en doute l'exactitude des chiffres de
l'hon. ministre des finances, et a donné
à entendre que les revenus locaux ne seraient
pas aussi considérables; mais, comme je tire
les chiffres que je donne des comptes publics,
je crois que nous devons les considérer comme
exacts. Dans tous les cas, voici les chiffres
que je trouve par le dépouillement des documents officiels:
Dépenses autres que celles de légis |
|
lature et de la dette locale du Bas- |
|
Canada... |
$997,000 |
Frais de législation |
150,000 |
Intérêt sur la dette locale |
90,000 |
Total... |
$1,237,100 |
Maintenant, les revenus du Bas-Canada
seront comme suit, en prenant les chiffres
actuels et sans ajouter les augmentations
probables:
Droits de glissoire... |
$49,040 |
Casuel... |
4,000 |
Prêt aux incendiés de Québec... |
294 |
Amendes, etc... |
341 |
Taxes sur les procédures... |
91,731 |
Honoraires des mesureurs de bois... |
79,960 |
Intérêt sur le fonds d'emprunt muni- |
|
cipal... |
114,889 |
Palais de justice du Bas-Canada... |
25,392 |
Fonds des jurés et de bâtisse, Bas- |
|
Canada... |
29,710 |
Fonds des municipalités du Bas- |
|
Canada... |
38,752 |
Terres des écoles communes... |
128,240 |
Licences d'auberge affectées au fonds |
|
des municipalités du Bas-Canada. |
3,962 |
Terres de la couronne... |
205,512 |
Total des revenus... |
$771,823 |
4 chelins par tête de la population... |
888,888 |
|
$1,660,711 |
Moins,-Intérêt sur le fonds d'emprunt |
|
municipal, et produit des terres |
|
des écoles... |
$243,129 |
Laissant un revenu net de... |
$1,417,582 |
L'on voit donc que ces chiffres s'accordent
avec les calculs de l'hon. ministre des
finances, moins une différence de $20,000 à
$25,000. Le Bas-Canada aura un revenu
de près de $1,500,000, et le surplus de son
385
revenu sur ses dépenses, d'après les calculs
du ministre des finances sera de $209,000.
L'
HON. A. A. DORION —Pourquoi retranchez-vous les revenus du fonds d'emprunt
municipal? Est-ce parce que le Bas-Canada
sera chargé de payer la dette du fonds d'emprunt municipal?
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Je
retranche l'item du revenu des écoles communes, parce qu'avec le temps les terres
s'épuiseront, et que par conséquent ce revenu
ne peut être regardé comme permanent.
D'ailleurs, ce montant doit être ajouté au
fonds des écoles communes et ne peut réellement être considéré comme un revenu ordinaire.
Il en est de même du revenu du
fonds d'emprunt municipal, qui ne peut être
regardé comme un revenu permanent, et qui
disparaîtra lorsque la dette s'éteindra. Je
ne voulais pas tromper la chambre en lui faisant croire que ce revenu serait permanent,
et je n'ai voulu compter que les revenus
ordinaires. Mais, d'un autre côté, l'on doit
comprendre qu'il y a une foule de ces revenus
qui augmenteront avec le temps, en sorte que
le surplus du revenu du Canada sur les
dépenses sera toujours considérable.
L'
HON. A. A. DORION—L'hon. membre
n'a pas bien compris ma question. Je lui
demandais si le Bas-Canada sera tenu de
payer la dette municipale, et il n'a pas répondu.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—J'ai
très-bien compris l'hon. membre; mais je
me suis fait une loi de ne pas me laisser
entraîner à droite ou à gauche par les
interruptions, et je ne m'en départirai
pas maintenant. (Ecoutez!) Les chiffres
que j'ai donnés sont très importants,
parce qu'il montrent que le Bas-Canada
aura un revenu réel, sous la nouvelle constitution,—un revenu qui n'est pas calculé
sur
l'augmentation probable et les progrès futurs
du pays, mais sur le revenu actuel—de près
de $1,500,000 pour faire face aux dépenses
locales. Et, cependant, en face de ces chiffres,
qui sont basés sur les faits les plus évidents,
les hon. membres viennent parler de taxes
directes! Ils veulent seulement effrayer le
pays; mais celui-ci comprendra que cette
taxe directe ne peut pas arriver, avec le
surplus de revenu que nous aurons. Elle
arrivera si le Bas-Canada fait des extravagances et dépense plus que ses moyens, mais
pas autrement. Le Bas-Canada aura un
revenu suffisant pour faire face à toutes ses
dépenses, pourvu qu'il ne fasse pas comme
celui qui, ayant £400 de revenu, dépenserait
£1,000 par année. Les dépenses totales du
Bas-Canada pour tous les objets, moins les
frais de législation et le paiement de l'intérêt
sur la dette locale, seront de $997,000, en
calculant la dépense sur la base d'aujourd'hui. Mais l'on comprend que le Bas-Canada
réduira ses dépenses,—comme, par exemple,
celles qui se rattachent au département des
terres de la couronne,—et qu'il fera des
économies afin de pouvoir plus tard faire face
aux dépenses de travaux locaux, sans avoir à
différer d'autres dépenses urgentes. L'on
peut porter à $150,000 les dépenses de la
législature locale du Bas-Canada, et c'est là
une estimation très raisonnable, lorsque l'on
se rappelle que toutes les questions d'intérêt
général seront discutées et réglées par le
parlement fédéral, et que la législature locale
n'aura à s'occuper que de questions d'intérêt
local. L'on comprendra facilement que les
sessions seront beaucoup plus courtes qu'elles
ne le sont aujourd'hui, et par conséquent
elles seront moins dispendieuses. Nous savons
tous qu'avec le système actuel les longues
discussions n'ont pas lieu en chambre sur les
bills privés ou les mesures d'intérêt local,—
qui sont discutés dans les comités,—mais
qu'elles s'élèvent sur les questions d'intérêt
général, comme celles des chemins de fer,
de l'impôt, du tarif,—comme celle de la
confédération,—et que ce sont ces discussions
qui prolongent les sessions. Je dis de plus
que l'intérêt de la portion de la dette publique qui nous sera assignée sera d'environ
$90,000, et que toutes nos dépenses annuelles
s'élèveront à $1,237,000,— ce qui nous
laissera un surplus de revenu de $209,000.
J'espère que le Bas-Canada sera assez prudent
pour mettre une bonne partie de ces $209,
000 de côté, afin de pouvoir s'en servir plus
tard pour effectuer des améliorations et des
travaux locaux sans avoir à toucher à son
revenu annuel. (Ecoutez! écoutez!)
M. DUFRESNE (d'Iberville)— Il pourra
les prêter! (Rires.)
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN.—L'hon.
membre pour Hochelaga a feint de s'effrayer
de la position du Bas-Canada dans la confédération comme de la taxe directe. Il nous
a parlé longuement de l'heureuse position
financière du Bas-Canada lorsqu'il est entré
dans l'Union en 1841; mais il faut se rappeler
qu'avant l'Union les revenus du Bas-Canada
n'étaient que de $580,000, et que, cependant,
il lui fallait pourvoir à toutes les dépenses
locales et à beaucoup de dépenses générales
qui, sous la confédération, tomberont dans
386
e domaine du gouvernement fédéral, comme,
par exemple, le paiement des salaires des
juges, etc. Sous la confédération, le Bas- Canada aura un surplus de plus de $200,000
sur ses dépenses locales, même si les
dépenses actuelles ne sont pas réduites.
L'hon. membre pour Hochelaga a dit aussi
que la partie de la dette afférente au Bas- Canada, à part de la dette générale, serait
de
$4,500,000. Il faut qu'il ait fait de grandes
erreurs de calcul pour arriver à ces chiffres,
car la dette des deux Canadas aujourd'hui,
déduction faite du fonds d'amortissement, est
de $67,263,000.—Si je compare ce calcul
avec celui que l'hon. membre a publié dans
son manifeste à ses électeurs, en 1863, je
prouverai qu'il a changé du tout au tout, et
qu'il ne doit pas accuser les autres d'erreur.
Ainsi, dans son manifeste, il a dit qu'à part
la dette d'alors, il faudrait $16,000,000 pour
le chemin de fer intercolonial, et cependant
aujourd'hui il dit qu'il en faudrait vingt!
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon.
membre ne devait pas se fier aux calculs du
président du conseil, puisqu'il prétend que
rien de bon ne peut venir de ce côté de la
chambre. Mais l'hon. membre ne voulait
pas trop effrayer la population alors, c'est
pourquoi il a dit seize millions, tandis qu'il
dit vingt aujourd'hui. Quant au montant de
la dette publique, l'hon. ministre des finances
nous a donné des chiffres tirés des meilleures
sources, et je préfère prendre ses chiffres plutôt
que ceux de l'hon. membre pour Hochelaga.
Le ministre des finances nous a dit que la
dette totale des deux Canadas, sans compter
le fonds d'amortissement, était de $67,263,000, et que le gouvernement fédéral se
chargerait de $62,500,000. Il restera donc
environ $4,763,000 à répartir entre le Haut
et le Bas-Canada, et si le Bas-Canada, comme
l'a dit l'hon. membre, en prend pour sa
part $4,500,000, il ne restera qu'environ
$262,000 pour le Haut-Canada! Je ne vois
pas du tout comment l'hon. membre a pu
faire un pareil calcul, car il est évidemment
erroné.
L'
HON. A. A. DORION—Que l'hon.
solliciteur-général s'adresse au ministre des
finances, et il en aura l'explication.
L'
HON. SOL-GÉN. LANGEVIN —Il est
évident que l'hon. membre pour Hochelaga,
dans ses calculs de la répartition du résidu
de la dette entre le Haut et le Bas-Canada,
a mis un 4 au lieu d'un 1 ou d'un 2, comme
il a mis 20 au lieu de 16 pour le chemin de
fer intercolonial. Dans son désir de trouver
le plan fautif, il voit double, et au lieu de
cinq millions à partager, il en voit neuf. La
dette afférente au Bas-Canada ne sera pas de
$4,500,000, mais il n'aura que sa juste part
des cinq millions à partager.
L'
HON. A. A. DORION—L'hon. membre
a oublié les explications du ministre des
finances, qui a dit que la dette contractée
pour le rachat de la tenure seigneuriale,
qui est, de trois millions, n'était pas comprise
dans la dette générale.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN— Le
ministre des finances a porté toute la dette,
dans son discours de Sherbrooke, à $67,263,994. Le montant de la dette est de $75,578,000;
mais il faut en retrancher le fonds
d'amortissement et les fonds en banque,
$7,132,068, qui la réduisent à $68,445,953;
le ministre des finances en a aussi retranché
le fonds des écoles communes, qui est de
$1,181,958—et il en est arrivé au résultat que
je viens de donner, c'est-à-dire que la dette
réelle du Canada est de $67,263,994. Je ne
donne pas tous les items de la dette publique,
parce que je crois que ce n'est pas à moi à
prouver que les calculs du ministre des
finances ne sont pas exacts: mais c'est à
ceux qui l'accusent d'erreur; et les comptes
publics sont là pour prouver que le ministre
des finances n'a dit que la vérité.—L'hon.
membre pour Hochelaga a manifesté de
grandes craintes par rapport à la position
financière de la confédération; mais nous
avons là aussi les mêmes garanties que pour
celle des gouvernements locaux. Il a prétendu que Terreneuve, par exemple, était
trop pauvre pour contribuer aux revenus de
la confédération, et qu'au lieu d'en recevoir,
il nous faudra lui envoyer de l'argent pour y
empêcher les gens de geler. Cependant,
l'hon. membre sait bien que Terreneuve a un
revenu considérable, un revenu de $480,000.
et que ses dépenses sont moins fortes que ses
revenus. Terreneuve aura sa part du trésor
fédéral, mais il contribuera aux revenus généraux. Et pendant que j'en suis à considérer
cette partie du discours de l'hon.
membre, je dois avouer que c'est le meilleur
plaidoyer en faveur de la confédération, au
point de vue des provinces d'en-bas, qui pût
être fait, et je désirerais pour ma part qu'il
en fût envoyé des milliers d'exemplaires
dans ces provinces, car il a voulu prouver
qu'elle serait tout à leur avantage. Il a
essayé de prouver qu'elles auraient un revenu
387
plus considérable que celui qu'elles ont
aujourd'hui; mais il n'a pas dit que le Bas- Canada aurait $200,000 de plus que les
dépenses. Il sait très bien que tous les
revenus des provinces forment un montant
de $14,223,320—pour 1864—et que des
dépenses totales ne s'élèvent qu'à $18,350,832,—en sorte qu'il y a un surplus de $872,488,
à part l'augmentation des impôts en
1864. C'est là une belle position financière
pour former une confédération.—L'hon.
membre pour Hochelaga a dit que le Nouveau-Brunswick aurait $34,000 de surplus
sur ses dépenses, et il se plaint à cause de
cela du subside de $63,000 que l'on propose
de lui payer pendant dix ans. Mais l'on sait
bien que ce subside lui est payé parce qu'il
livre tous ses revenus au gouvernement
fédéral, excepté celui de l'impôt sur l'exportation des bois; c'est pour cela que
ses délégués ont insisté à ce que ce subside lui soit
payé pendant dix ans, et ils ont en raison.
L'hon. député a aussi dit que l'Ile du Prince- Edouard allait avoir $48,000 de plus
que ses
dépenses. Mais, dans ce cas, comment se fait-il
qu'elle ait tiré de l'arrière jusqu'ici; il faut
qu'elle ne voie pas les choses du même œil
que l'hon. député. La vérité, néanmoins,
est que l'Ile du Prince-Edouard a été traitée,
comme les autres provinces, avec justice et
équité par la conférence de Québec, que ses
besoins locaux ont été consultés, et qu'on
lui a formé un revenu suffisant pour y pourvoir.—L'hon. député pour Hochelaga, qui
a
parlé en anglais, a fait à cette occasion un
appel chaleureux aux députés du Haut- Canada, et leur a dit qu'il allait y avoir des
impôts énormes, et qu'ils paieraient les deux
tiers du revenu et des taxes. Il a bien fait
de parler en anglais, car je suis sûr qu'il ne
dirait pas la même chose en français, en
présence des membres du Bas-Canada; il ne
ferait pas un appel de cette nature, et je le
regrette, parce qu'il aurait donné là la
meilleure raison pour nous d'entrer dans la
confédération: mais je dois avouer que cet
avancé de l'hon. député n'est pas exact, car
la base de la confédération est justice pour
tous.—L'hon. député pour Hochelaga a aussi
dit, pour faire impression sur les députés du
Haut-Canada, que l'extension de la confédération dans l'ouest était une " farce, "
" une
affaire pour rire," parce que les provinces de
l'Ouest n'y pensent même pas et que nous n'avons aucun communication avec ce territoire
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN —Depuis
qu'il est question de confédération, les journaux de Victoria (Vancouver) et de la
Colombie Britannique sont arrivés, et ils
s'accordent tous à dire qu'il est de leur
intérêt de s'unir avec les provinces pour
toutes les affaires générales, en conservant
le contrôle de leurs affaires locales. Voici,
en effet, ce que je trouve dans l'un de ces
journaux:—
"Quel que soit le résultat des tentatives actuelles de former une confédération des
colonies
de l'Amérique du Nord, nous pouvons être certains d'une chose, c'est que peu d'années
s'écouleront avant l'accomplissement d'un projet de
cette nature. Une demi-douzaine de provinces,
voisines les unes des autres, et soumises à une
même puissance, avec des tarifs différents, est un
état de choses qui, par sa nature même, ne peut
longtemps exister. Cependant, indépendamment
de cette anomalie, on rencontre des colonies de
l'Amérique du Nord, auxquelles il faut ouvrir une
carrière politique plus vaste. Le peuple a été
trop longtemps sous le poids d'incapacités qui, en
blessant son amour-propre, rendaient sa position
humiliante aux yeux du monde entier. Avec
tous les avantages d'un gouvernement responsable
que lui ont accordé les autorités impériales, après
des années de luttes et d'épreuves, le colon
possède à peine la moitié des privilèges nationaux
que possède un Anglais. Il est privé de sa part
de patronage, même dans le cas où il a droit à
cette protection et en est éminemment digne. La
position de gouverneur des colonies ne lui a été
que rarement ou jamais accordée, et, dans plusieurs parties de l'empire de Sa Majesté,
on lui
interdit la pratique de sa profession dans les cours
de justice. Nous saluons donc cette initiative du
gouvernement canadien comme le commencement
de la régénération des colons, qui étaient restés
jusqu'ici en tutelle. Avec une confédération de colonies s'étendant d'un océan à l'autre,
quelles limites
peut-on assigner à notre grandeur, à notre progrès
matériel et à nos aspirations politiques. Au lieu
de voir le talent de nos hommes d'Etat contenu,
harcelé et restreint dans les bornes étroites d'une
politique locale, il embrassera pour horizon un
continent tout entier, tandis qu'un champ plus
vaste, plus naturel, sera ouvert à l'esprit actif et
entreprenant des provinces de l'Amérique du
Nord. Le manque d'espace ne nous permet pas
de discuter cette question plus au long aujourd'hui;
mais nous espérons que le mouvement réussira et
nous permettra, à une époque peu éloignée, de
sortir de la position d'isolement et de faiblesse
dans laquelle nous sommes aujourd'hui pour faire
partie de la grande confédération de l'Amérique
Britannique du Nord."
C'est là le langage de l'un des journaux
de ces colonies. Qu'en dit l'hon. député?
J'espère que l'on me pardonnera de lire
encore quelques extraits de ces journaux que
nous ne lisons pas assez ici, quoiqu'ils
puissent nous renseigner sur cette partie
388
de l'Amérique Britannique du Nord. Un
autre journal dit donc:
"Il n'y a donc qu'un chemin d'ouvert aux colonies anglaises, et surtout aux colonies
de l'Amérique du Nord et de l'Australie. Avant que dix
ans se soient écoulés, la population des colonies
comprises entre l'Ile de Vancouver et Terreneuve
ne sera guère moins de six millions d'âmes, occupant un territoire aussi vaste que
celui des Etats- Unis avant la guerre civile et plus considérable
que les trois quarts de l'étendue de l'Europe. Avec
des communications télégraphiques et des chemins
de fer d'un océan à l'autre, avec une union fédérale qui réunira et concentrera les
talents, qui aura
pour mission de représenter les divers intérêts des
colonies, quel pays a devant lui un plus bel avenir
que cette immense confédération avec ses ressources inépuisables et multiples?"
Je ne continuerai pas plus longtemps à
citer ces journaux, mais j'ai voulu faire voir
que le plan de confédération, non seulement
n'est pas un plan de politiques aux abois,
comme l'a dit l'hon. membre pour Hochelaga, mais que les provinces y tiennent parce
qu'elles y voient leur avantage. Quant aux
facilités de communications, je puis citer
une excellente autorité—celle du professeur
HIND— pour démontrer qu'elles ne sont pas
aussi difficiles que l'a dit l'hon. membre.
Voici ce que contient un essai lu par le
professeur HIND sur le territoire du Nord- Ouest:
"Le parti immigrant canadien s'assembla au
Fort Garry, en juin 1862, pour se rendre à sa destination, voyageant par chemin de
fer, diligence et
bateau à vapeur, en passant par Détroit, La Crosse,
Saint-Paul et Fort Abercrombie. Au Fort Garry,
il se sépara en deux bandes: la première division
contenait environ cent émigrants; la seconde
soixante-cinq personnes en tout.
"La première division prit la route nord par
Carlton à Edmonton; la seconde, la voie du sud A
Edmonton, les émigrants changèrent toutes leurs
charrettes pour prendre des chevaux et des bœufs,
et allèrent de là, en droite ligne, au Passage Leather,
(lat. 54e,) dans lequel ils prirent 130 bœufs et
et environ 70 chevaux. Ils se trouvèrent soudainement à la tête des eaux de la rivière
Fraser, et la
montée avait été si douce que le seul moyen qu'ils
eurent de connaître qu'ils avaient passé le sommet
qui divise les Montagnes-Rocheuses fût d'observer
subitement que les eaux des rivières coulaient à
l'ouest. Ils tuèrent sur les montagnes quelques
bœufs pour servir à lents approvisionnements: ils
en vendirent d'autres aux Indiens à Tête Jaune
Cachée, sur la rivière Fraser, et d'autres furent
envoyés, par radeau, sur la rivière Fraser, aux
fourches de la Quesnelle. A Tête Jaune Cachée
une portion de la bande se détacha du reste et,
avec quatorze chevaux, traversa par un vieux
sentier battu la rivière Thompson et réussit ainsi
à transporter les chevaux du Fort Garry, à travers
les Montagnes-Rocheuses, dans une partie de la
Colombie Anglaise, considérée comme impéné
trable, à la station d'hiver de la rivière Thompson,
où l'on garde les bêtes de somme qui appartiennent aux chercheurs d'or. Une femme
et trois
petits enfants accompagnaient ce parti. On eut
grand soin des petits enfants, car les émigrants
avaient amenés avec eux une vache, et ces jeunes
voyageurs furent fournis de lait pendant tout le
temps que dura le voyage au Passage Leather,
dans les Montagnes-Rocheuses. Je regarde comme
un évènement d'une importance sans exemple
dans l'histoire de l'Amérique Britannique centrale
l'heureux voyage des émigrants canadiens à travers
le continent, en 1862. Il ne peut manquer de faire
ouvrir les yeux à tout homme pensant sur l'aspect
singulier du pays qui forme la scène de ce voyage
remarquable. Probablement qu'il n'existe nulle
part ailleurs sur le globe une même étendue de
pays, de 1000 milles de longueur, entièrement à
l'état de nature, qu'il fût possible à 100 personnes,
y inclus une femme et trois enfants, de traverser
dans une seule saison, avec succès et même en
surmontant facilement les obstacles formidables
que l'on suppose se présenter sur les Montagnes- Rocheuses. Par l'examen de ce que
l'on connaît
maintenant de l'Amérique Britannique centrale,
les faits suivants ne peuvent manquer de réveiller
l'attention et occuper la pensée de ceux qui croient
qu'elle mérite bien que l'on considère son avenir
et les relations possibles que nous pouvons avoir
avec elle, ainsi que les générations qui nous succèderont. Dans le grand bassin du
lac Winnipeg,
nous avons trouvé une étendue de terre cultivable
égale à trois fois la surperficie de cette province,
et égale à toutes les terres propres aux établissements agricoles du Canada. Ces terres
sont arrosées par de grands lacs, aussi grands que l'Ontario,
et par de vastes rivières qui, pendant la saison
d'été, sont navigables jusqu'à la vue des Montagnes Rocheuses. Elles renferment d'inépuisables
réservoirs de fer, de lignite, de houille, de sel et
beaucoup d'or. Cette contrée possède un port de
mer à 350 milles en dedans de la Baie d'Hudson,
en passant par la rivière Fraser, et qui est accessible aux bateaux à vapeur pendant
trois mois de
l'année. Ce bassin est la seule place du continent américain qui soit laissée où une
nouvelle
nation puisse se former et trouver existence."
C'est là une réfutation complète de ce qu'a
dit l'hon. membre pour Hochelaga, que les
communications avec ces colonies étaient
impossibles. Dans une partie de cette lecture, le professeur HIND dit qu'entre le
lac
Supérieur et le lac des Bois, i1 n'y a qu'une
distance de 200 milles environ, et qu'une
fois cette distance franchie, l'on se trouve
dans une immense vallée de plus de 1,000
milles de longueur,—vallée magnifique qui
pourra former partie de la confédération et
fournir un débouché à notre population.
L'hon. membre pour Hochelaga nous a encore dit que si nous acceptions la confédération,
nous tomberions plus tard dans une
union législative; mais il sait bien que, par
la constitution qui est soumise à cette
chambre, il ne s'agit que d'une union fédé
389
rale. Si plus tard nos descendants veulent
avoir une union législative, ce sera leur
affaire et non la nôtre; et s'ils la veulent,
c'est qu'ils seront assez forts alors pour n'en
avoir rien à craindre. D'ailleurs, sans entrer
dans tous les détails relatifs à la position
religieuse du Bas-Canada, dans la confédération, je ferai remarquer que la population
totale de toutes les provinces était, en 1861,
de 3,300,000 habitants, et que sur ce nombre
les catholiques forment un total de 1,494,000. Ils seront donc assez nombreux pour
protéger leurs intérêts religieux et autres,
et ces intérêts seront en sûreté dans les
législatures locales. Nous ne cherchons pas à
avoir des priviléges que les autres n'ont pas;
nous voulons seulement que nos droits soient
respectés comme nous respectons ceux des
autres. Les Canadiens-Français ne sont pas,
n'ont jamais été, et ne deviendront pas persécuteurs, ni en politique, ni en religion,
sous
la confédération. J'en appelle aux hommes
qui appartiennent à d'autres religions pour
savoir si nous avons jamais été injustes ou
persécuteurs à leur égard. Les populations
d'origine étrangère dans le Bas-Canada
n'auront rien à craindre sous le gouvernement fédéral. Mais, après ce que les hon.
membres pour Hochelaga et Lotbinière ont
dit, et la défiance qu'ils ont cherché à faire
naître dans l'esprit de la population canadienne-française et catholique dans le Bas-
Canada, je pense que la chambre me permettra de lire un extrait d'une lettre de Sa
Grâce Mgr. l'Archevêque d'Halifax, qui
doit comprendre les intérêts des catholiques
tout autant que ces deux hon. membres.
Voici ce qu'il dit en réponse à ceux qui
prétendaient que nous avions à craindre une
invasion du pays par les Féniens:
"S'il y a 50,000 hommes déjà prêts à envahir
ce pays, comme vous l'admettez, au lieu de travailler à nous maintenir dans notre
condition
anormale et faible, vous devriez plutôt prêcher
l'union de tous afin de pouvoir faire face à l'ennemi. Si le gouvernement responsable,
que les
grands hommes de ce pays nous ont conquis, est
un héritage précieux dans notre présente position,
tout limité qu'il soit actuellement, au lieu de le
troquer pour rien pour la confédération, comme
vous dites, nous devrions plutôt, dans mon opinion,
lui donner plus de lustre et de valeur, l'augmenter
et l'enrichir, l'agrandir sans limite et le rendre
plus sûr pour nous-mêmes et pour ceux qui vienront après nous. Nous avons obtenu le
gouvernement responsable de la mère-patrie, dans la
législature de laquelle nous n'avions pas un seul
pour nous représenter. Aujourd'hui, nous
demandons, au contraire, à tranférer ce riche et
précieux dépôt à un endroit qui ne sera qu'une
portion de notre pays commun, où notre voix
pourra se faire entendre, et où nous aurons une
représentation plus complète et plus équitable
que la ville de Londres, ou Liverpool, ou Bristol,
peuvent se vanter d'avoir dans la chambre des
communes en Angleterre. Il y a une grande
différence entre obtenir de l'Angleterre ce que
nous n'avions pas, et de transférer ce que nous
possédons aujourd'hui, afin de le rendre plus
important et plus propre à favoriser nos destinées
futures. C'est pourquoi la conféderation, au lieu
de nous priver des priviléges du self-government,
est la seule garantie pratique et inébranlable pour
le maintien de ces priviléges. Nous sommes trop
petits pour pouvoir toujours compter sur nos
propres ressources, et l'Angleterre, si elle n'est
pas trop faible, est certainement trop prudente
et trop circonspecte pour risquer son dernier
chelin et son dernier homme dans un pays où,
au lieu d'une population de quatre millions, elle
trouvera à peine un dixième de ce nombre pour
l'aider contre la puissance unie de tout un continent. Pour nier, conséquemment, les
avantages
de la confédération, vous devez d'abord prouver
que l'union n'est pas la force; que l'Angleterre
sous l'heptarchie, et la France, sous la féodalité
et les barons, étaient plus grandes, plus fortes et
plus heureuses qu'elles le sont aujourd'hui, comme
les deux plus grandes nations du monde."
Voici ensuite ce qu'il dit en réponse à
ceux qui ne veulent pas de défense, sous
prétexte que nous n'avons rien à craindre
de nos voisins:
"A-t-on jamais vu une nation, ayant le pouvoir
de conquérir, ne pas l'exercer, ou même ne pas
en abuser, à la première occasion favorable? Tout
ce que l'on dit de la magnanimité et de la clémence des nations puissantes, se réduit
au principe de convenance (expediency) que tout le
monde connaît. La face entière de l'Europe a
changé et les dynasties de plusieurs siècles se sont
écroulées, de notre temps même, par la seule
raison de la force, qui est le plus ancien, le plus
puissant, et, comme plusieurs le prétendent, le
plus sacré de tous les titres. Les treize Etats
d'Amérique, avec toutes leurs protestations d'abnégation, ont, au moyen de l'argent,
de la guerre
et des négociations, reculé leurs frontières jusqu'à
ce qu'ils aient plus que quadruplé leurs territoires,
et ce, dans une période de moins de soixante ans,
et, le croira qui voudra, peut-on supposer qu'ils
sont disposés à s'en tenir là? Non; tant qu'ils
en auront le pouvoir, ils s'avanceront, car c'est
dans la nature même du pouvoir d'accaparer tout
ce qui se trouve il sa portée. Ce ne sont donc pas
leurs sentiments hostiles, mais c'est leur puissance
et leur puissance seule que je crains."
En réponse à ceux qui disent que la meilleure défense est de n'en pas avoir, il dit:
"Etre suffisamment prêt, est le seul argument
pratique qui peut avoir du poids auprès d'un
ennemi puissant et qui peut lui faire faire quelques
réflexions avant de se lancer dans l'entreprise. Et,
comme je désire pour nous cette condition que
nous sommes incapables d'atteindre sans l'union
390
des provinces, je sens qu'il est de mon devoir de
me déclarer en faveur d'une confédération au prix
de tous les sacrifices raisonnables. Après la plus
mûre considération du sujet, et tous les arguments
que j'ai entendus de tous côtés, dans le cours du
dernier mois, c'est ma conviction la plus profonde
que la confédération est nécessaire, qu'elle est la
mesure seule qui, avec le secours de la Providence,
peut nous assurer l'ordre social, la liberté rationnelle et tous les bienfaits dont
nous jouissons
maintenant sous le gouvernement le plus doux et
les institutions du pays le plus libre et le plus
heureux du monde."
Maintenant, voici une courte lettre de
l'évêque catholique de Terreneuve qui n'a
pas encore été lue dans la chambre, mais qui
vient d'être publiée dans les journaux.
"Saint-Jean, 5 janvier 1865.
"Mon cher monsieur,—En réponse à votre lettre
de cette date, je prends la liberté de vous faire
savoir que je n'ai pas pris note des observations
que j'ai faites, lors du dernier examen des élèves
du collége de Saint-Bonaventure. Je me rappelle
très bien, cependant qu'au nombre des arguments
dont je me suis servi pour faire comprendre tant
aux parents qu'aux élèves la nécessité de l'éducation, se trouvait celui-ci: que,
si l'on en jugeait
par la tendance du siècle, il y aurait une union
de toutes les provinces de l'Amérique Britannique
du Nord, si non immédiatement, du moins dans
quelques années, et cela par la seule force des circonstances. Je dis aussi que cette
union aurait une
influence extraordinaire sur la génération nouvelle
dans l'Ile de Terreneuve. On avait pour habitude
de dire qu'une éducation de première classe était
tout à fait inutile dans ce pays. Je repoussai entièrement cette idée. Les habitants
de Terreneuve n'étaient point prisonniers sur cette île,—l'Empire Britannique et les
Etats leur étaient ouverts. Partout
où la langue anglaise était parlée, il y avait une
carrière pour un habitant de Terreneuve ayant de
l'éducation. Mais indépendamment de cela, la
confédération des provinces créerait chez nous
un champ ouvert à l'éducation et au talent,—un
champ reculant ses limites tous les ans, et dont
nous ne pouvons pas aujourd'hui nous former une
idée. Le barreau, par exemple, serait ouvert à
tous; la législature centrale créerait une immense
arène où pourraient venir s'exercer les aptitudes
de nos politiques,—les plus hautes dignités de la
magistrature et de l'administration seraient ouvertes aux habitants de Terreneuve
comme aux
Canadiens ou aux habitants de la Nouvelle- Ecosse,—et j'espère qu'on les trouverait
parfaitement qualifiés, sous le rapport de l'éducation, à
figurer à côté de ceux-ci, leurs concitoyens confédérés, et placés, pour mériter les
récompenses que
la confédération leur offriraient, sur un pied de
parfaite égalité. Je crois sincèrement qu'ils pourraient prétendre à tout cela, car
mon expérience
me dit que la jeunesse de ce pays est douée de
talents aussi distigués et d'aptitudes aussi grandes;
et je n'ai vu dans aucune contrée européenne des
élèves s'acquitter mieux de leur tâche (et dans
bien des cas, ils s'en acquittaient bien moins bien)
qu'ils ne l'ont fait aux examens préparatoires et
au présent examen. Voilà, autant que je puis me
le rappeler, les remarques que je fis relativement
au fait, immédiat ou futur, de la confédération
des provinces."
Ainsi, pendant que les hon. députés veulent effrayer le Bas-Canada en disant que
notre religion et notre nationalité sont en
danger, voici un archevêque et un évêque
qui se déclarent fortement en faveur de la
confédération, et qui n'y voient aucun danger
pour leurs ouailles. Et l'on sait que de même
qu'ici tout le corps respectable et respecté du
clergé, depuis les chefs jusqu'au dernier de
ceux qui les suivent, sont en faveur de la
confédération. Mais l'hon. député pour
Hochelaga, afin d'effrayer le Bas-Canada, a
dit que nous aurions bientôt une union
législative, et que dans ce cas les 50 députés
Canadiens-Français du Bas-Canada s'uniraient à la majorité du parlement fédéral
afin d'entraver le fonctionnement du gouvernement fédéral. Eh bien! c'est là la
meilleure preuve que nous n'avons rien
à craindre et qu'il n'y a aucun danger
pour nous sous la confédération. L'histoire
est là pour prouver qu'il y aura toujours une
opposition, et que si l'on veut opprimer une
section de la confédération, ses représentants
s'allieront en masse à la minorité, et, devenant
par là la majorité, empêcheront toute injustice de la part du gouvernement central.
Je
remercie l'hon. député d'avoir fourni malgré
lui cet argument eu faveur de la confédération.
L'hon. député a ensuite fait un appel aux
passions nationales et aux jalousies de races.
Il a dit que la minorité protestante du Bas- Canada devait chercher à se protéger
contre
la majorité de cette section. Je le répète,
il a dit cela en anglais et ne le répéterait pas
en français. Mais, comment la minorité a-t- elle été traitée dans le Bas-Canada, quand
il
avait son parlement distinct? La majorité
canadienne-française ne s'est-elle pas toujours montrée libérale envers nos compatriotes
d'origine et de religion différentes des
nôtres? Dieu merci! notre race n'est pas
persécutrice, et elle a toujours été libérale et
tolérante. L'hon. député pour Lotbinière,
(M. JOLY), a aussi fait appel aux passions
religieuses et nationales de la minorité
anglaise du Bas-Canada, mais il aurait dû
se rappeler qu'il n'y a pas plus de danger
pour la race Anglaise dans le Bas-Canada
que pour les autres, et qu'il était le dernier
membre de la chambre qui aurait dû faire
appel aux préjugés religieux et nationaux...
391
M. JOLY.—M. le PRÉSIDENT, je demande la permission de rectifier l'hon.
membre.
M. JOLY.— Mais chaque membre a le
droit de rectifier un autre, lorsqu'on lui fait
dire le contraire de ce qu'il a dit.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—M. le
PRÉSIDENT, je rappelle l'hon. membre à
l'ordre. Je ne lui ai pas reproché d'avoir fait
un discours de trois heures; je ne l'ai pas interrompu pendant qu'il parlait, et par
conséquent je ne veux pas être interrompu. Je
ne veux pas lui faire dire des choses qu'il
n'a pas dites, mais je veux faire voir qu'il a
fait un appel aux Anglais du Bas-Canada
pour les engager à refléchir sur le sort de
leur race et de leur religion lorsqu'il a lu un
extrait du rapport de lord DURHAM; l'hon.
membre a eu le soin de ne le lire qu'en
anglais.
M. JOLY. — Je proteste contre les paroles
de l'hon. député, et je demande à m'expliquer.
M. J. B. E. DORION—Ce n'est pas
exact; l'hon. député pour Lotbinière n'a
pas fait d'appel aux passions religieuses.
M. JOLY —Je demande, M. le PRÉSIDENT,
si l'hon. député a le droit de me faire dire
ce que je n'ai pas dit.
L'
HON. M. L'ORATEUR—L'hon. député
pour Lotbinière aura le droit d'expliquer
ses paroles ou de rectifier le soliciteur-général
quand il aura fini de parler.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon.
député trouve mauvais que l'on attaque un
de ses amis, et pourtant il ne trouvait pas
mauvais ce que l'hon. député pour Lotbinière a dit hier soir contre l'un de mes collègues,
l'hon. procureur-général du Bas- Canada. D'ailleurs, je ne veux pas être
interrompu.
L'
HON. PROC.-GÉN. CARTIER—Vous
pourrez parler quand vous voudrez; vous
parlerez quand votre petit tour viendra, mais
nous ne vous écouterons pas!
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Je dis
donc que l'hon. député pour Lotbinière a
fait un appel aux passions, en cherchant à
faire croire d'un côté que la nationalité
canadienne-française et la religion catholique seraient en danger dans la confédération,
et de l'autre côté que la nationalité
anglaise et la religion protestante seraient
en danger dans le Bas-Canada sous un gouvernement local. Il a cité en anglais le
rapport de lord DURHAM pour faire croire
que jamais les Anglais du Bas-Canada ne
consentiraient à se soumettre à une législature dont la majorité serait canadienne-
française; mais, pour ma part, je ne crois
pas cela, et je crois qu'ils s'y soumettront,
parce qu'ils seront certains d'être traités
avec justice. Encore une fois, ce n'était pas
à lui de dire cela, parce qu'il est lui-même
élu par un comté tout à fait catholique, qui
n'a pas craint de lui confier ses intérêts. Il
n'aurait donc pas dû faire cet appel, puisqu'il est lui-même la preuve vivante de
la
tolérance religieuse et de la libéralité de nos
compatriotes. L'hon. député pour Hochelaga n'aurait pas dû parler non plus comme
il l'a fait dans le même sens, quand on a
vu une grande et importante division électorale—la division des Laurentides—rejeter
un vénérable vieillard qui se présentait
pour sa réélection pour le conseil législatif
—un homme qui était dans la vie politique
depuis plus de vingt-cinq ans, pour lui préférer un Anglais protestant (l'hon. M .PRICE),
bien qu'il n'y eût pas 1,500 protestants
dans toute la division sur une population
de 50,000 âmes. L'élection du représentant du comté de Mégantic (M. IRVINE)
est encore une nouvelle preuve de la libéralité de nos compatriotes, puisque ce comté
est composé en majorité de Canadiens-Français et de catholiques.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Pardon;
sans leurs votes il ne serait pas entré dans
cette enceinte pour ce comté. J'ajouterai,
M. le PRÉSIDENT, que la présence ici de
l'hon. membre pour Shefford (M. HUNTINGTON); celle de l'hon. membre pour
Châteauguay (M. HOLTON), et celle de
plusieurs autres députés, sont la preuve de
la libéralité de nos compatriotes, puisque
ces hon. députés. bien qu'Anglais et protestants, représentent des comtés dont la
grande majorité de la population est canadienne-française et catholique. Les Anglais
ont toujours été traités avec plus de libéralité
392
que l'hon. député pour Hochelaga nous
traiterait peut-être nous-mêmes s'il était au
pouvoir. Nous n'avons pas eu besoin des
hon. députés pour Hochelaga et Lotbinière
pour protéger les minorités dans la conférence; nous avons été les premiers à réclamer
justice pour les catholiques du Haut-Canada
et les protestants du Bas-Canada, parce que
nous avons voulu faire une œuvre solide et
non pas bâtir sur le sable un édifice qui
s'écroulerait dès le lendemain. Les Anglais
du Bas-Canada ne s'émeuvront pas aux
appels des hon. députés, car ils savent que
lorsqu'ils auront droit à quelque chose, ils
l'obtiendront sans difficulté et de bon cœur.
Bien que je regrette, M. le PRÉSIDENT, de
retenir cette hon. chambre à une heure
aussi avancée de la nuit, néanmoins, la
question est d'une si haute importance que
je ne pense pas que cette chambre me reprochera de lui avoir fait connaître mes vues
à
ce sujet. On me permettra donc de réfuter
une nouvelle assertion de l'hon. député
d'Hochelaga. Cet hon. membre, qui a
trouvé à redire à tout dans le plan de confédération qui nous est soumis, a cru apporter
dans le débat un argument irrésistible
en disant que la répartition de la dette était
onéreuse pour le Bas-Canada. Il a ajouté,
pour donner plus de force à cet argument,
que le Bas-Canada était entré dans l'union
avec une dette de quatre cent mille piastres,
et qu'il en sortait avec trente millions à sa
charge, n'ayant dépensé dans l'intervalle que
douze millions de piastres pour les travaux
publics exécutés dans ses limites. Cet
argument est très spécieux. Si notre dette
était de quatre cent mille piastres et qu'aujourd'hui elle soit de trente millions,
l'hon.
député devrait admettre que les circonstances aussi ont bien changé. Au temps de
l'Union, notre population ne comptait que
630,000 habitants, et aujourd'hui elle est de
1,250,000. L'hon. membre ne devrait pas
non plus oublier que lors de l'Union notre
territoire ne produisait que vingt-et-un millions de minots de grains, tandis qu'aujourd'hui
il en produit plus de cinquante millions;
lors de l'Union, nous n'avions que 1,298
écoles et aujourd'hui nous en comptons 3,600;
à l'Union, ces écoles n'étaient fréquentées
que par 39,000 enfants, tandis qu'aujourd'hui
elles le sont par 200,000 élèves; à l'Union,
les exportations aux ports de Québec et de
Montréal s'élevaient à neuf millions de piastres, aujourd'hui elles s'élèvent à plus
de dix- huit millions; à l'Union, le nombre des vais
seaux construits par année dans nos chantiers
s'élevait à 48 seulement, aujourd'hui il est de
88 et le tonnage en a quadruplé. A l'Union,
nous importions pour dix millions de piastres,
aujourd'hui nous importons pour quarante- cinq millions; à l'Union, nos importations
et
exportations s'élevaient à seize millions, tandis
qu'aujourd'hui elles s'élèvent à l'énorme
somme de quatre-vingt-sept millions! Et
c'est en présence de pareils chiffres que l'on
vient nous dire que nous sortons de l'Union
avec une dette de trente millions de piastres!
A l'Union, le revenu de l'impôt sur les billets
de banque, qui indique l'étendue des affaires,
était de deux mille deux cents piastres;
aujourd'hui il est de quinze mille quatre
cent; à l'Union, le nombre des vaisseaux
marchands arrivant à Québec chaque année
était de mille, aujourd'hui il est de seize
cent soixante, et le nombre des vaisseaux
qui visitent tous les ports Bas-Canadiens
est de mille quatre cent soixante-et-trois;
à l'Union, le tonnage de ces vaisseaux
était de deux cent quatre-vingt-quinze mille
tonneaux aujourd'hui pour le port de Québec
il est de huit cent sept mille, et un million
quarante-un mille pour tout le Bas-Canada; à
l'Union, il nous arrivait vingt-cinq mille
matelots par saison, aujourd'hui il nous en
arrive trente-cinq mille. En 1839, le revenu
du Bas-Canada était de cinq cent quatre- vingt-huit mille piastres; en entrant dans
la
confédération, quoique nous n'ayons à payer
aucune des dépenses pour affaires générales,
il sera d'un million quatre cent quarante- six mille piastres, c'est-à-dire, qu'il
aura sous
la confédération un revenu trois fois aussi
considérable qu'à l'époque de l'Union;
et au lieu d'avoir, comme à cette époque- là, un excédant de dépenses d'environ
quatre-vingt mille piastres sur le revenu,
les dépenses totales du Bas-Canada seront,
sous la confédération, d'environ douze cent
mille piastres, laissant un surplus de plus de
deux cent mille piastres! Si donc notre dette
s'est accrue, nous avons par centre progressé
d'une manière prodigieuse, et nous avons
reçu valeur pour notre argent. Il ne faut pas
oublier non plus que, lors de l'Union du
Haut et du Bas-Canada, ce pays était sans
chemins de fer aucuns; aujourd'hui, il est
sillonné d'une de ses extrémités à l'autre par
l'une des plus belles voies ferrées qu'il y ait
sur ce continent, et avant peu, espérons-le
dans l'intérêt de notre commerce et de notre
sécurité, ce lien de fer reliera l'extrême 0uest
à l'océan Atlantique. (Ecoutez! écoutez!)
393
Nous sommes entrés dans l'Union à une
époque où le canal Welland était à peine
commencé; nous en sortons aujourd'hui avec
l'un des plus magnifiques systèmes de canaux
qui soit au monde. Et les lignes télégraphiques donc! Lors de l'Union, la seule
ligne que nous eûssions, était le télégraphe
à boules que chacun de nous a dû voir et
qui reliait la citadelle à l'Ile d'Orléans, et
qui de là communiquait à la Grosse-Ile par
un télégraphe du même genre. Aujourd'hui,
un immense réseau de fils télégraphiques met
en communications quotidiennes et instantanées les districts les plus éloignés des
différentes provinces. Nous sortons de l'Union
avec une dette plus élevée que lorsque nous
y sommes entrés; mais nous en sortons avec
un système complet et perfectionné de phares,
de quais, de jetées, de piliers, de glissoires,
enfin, d'une foule d'autres travaux publics
qui ont puissamment contribué a l'établissement et à la prospérité du pays, et qui
ont
plus que doublé sa richesse depuis l'Union.
Le Grand Tronc seul, pour les l6 millions
de piastres qu'il a coûté, a contribué
à augmenter la valeur de nos terres pour
des millions et des millions de piastres,
à donner plus de prix à nos produits agricoles qui sont ainsi plus facilement transportés
sur nos marchés, et a fait dépenser
au milieu de nous plus de soixante-dix
millions de piastres pour sa construction
seule. Oui, M. le PRÉSIDENT, si nous sommes
entrés dans l'Union avec une dette de quatre
cent mille piastres et qu'aujourd'hui nous
en sortions avec une dette de trente millions de piastres, nous pouvons encore
montrer ce que nous avons fait de cet
argent, par les immenses territoires de terres
incultes qui sont couverts de riches moissons,
et qui ont retenu au pays, non pas tous les
fils des cultivateurs de nos campagnes, mais
du moins un très grand nombre d'entre eux
qui, sans ces améliorations, auraient émigré
en foule chez nos voisins. Sous la confédération, nous aurons le contrôle de nos terres
et nous pourrons les établir et les développer
de manière à conserver au milieu de nous
tous ces jeunes gens appartenant à l'une ou
l'autre origine, qui vont trop souvent porter
à l'étranger leurs bras, leur énergie et leur
dévouement. Nos terrains miniers, si riches
et si productifs, et dont l'exploitation vient à
peine d'être commencée, seront aussi une
source de revenus énormes pour le pays et
contribueront beaucoup à augmenter le
chiffre de notre population en fixant au
Canada bien des hommes qui auraient été
chercher fortune ailleurs; et je suis d'autant
plus confiant qu'il en sera ainsi que la Providence a voulu joindre à ses autres bienfaits
à notre égard la possession des mines les
plus riches et peut-être les plus abondantes
du monde. Quant à nos pêcheries, elles
étaient à peine exploitées lors de l'Union, et
aujourd'hui, bien qu'elles pussent l'être
davantage, il est de fait cependant que tous
les ans elles prennent un développement
prodigieux, et sont destinées dans un avenir
très rapproché à être une source de revenu
immense pour le pays. (Ecoutez! écoutez!)
Il y aurait encore, M. le PRÉSIDENT, bien
d'autres points de vue sous lesquels nous
pourrions envisager les avantages que nous
avons retirés de l'Union des Canadas, en
compensation des sacrifices que nous nous
sommes imposés. Ainsi, nous pourrions
examiner dans quelle position politique nous
nous trouvions à cette époque-là. Nous
verrions que nous venions de sortir d'une
crise terrible, durant laquelle le sang avait
coulé sur les champs de bataille et ailleurs;
notre constitution avait été suspendue, et le
pays entier avait été témoin de scènes telles
que ce pays, jusque-là si paisible et comparativement si heureux, n'en avait jamais
vu de semblables. Aujourd'hui, nous avons
le gouvernement responsable, qui est une des
plus belles institutions de l'Angleterre, où il
a en sa faveur l'épreuve des siècles. Cette
grande garantie constitutionnelle, nous l'emportons avec nous dans la confédération
dans
laquelle nous entrons avec la paix, la prospérité et le bonheur au milieu de nous,
et
avec la conviction de rendre cette paix, cette
prospérité et ce bonheur plus grands et plus
durables encore; nous y entrons avec l'ambition légitime et patriotique de placer
notre
pays dans une position plus digne de notre
population, et plus importante et plus respectable aux yeux des étrangers.—L'hon.
député d'Hochelaga ne s'est pas contenté
de faire un retour sur le passé, mais il a
aussi fait allusion à la constitution des cours
dans le Bas-Canada sous la confédération. Il
a dit qu'il ne comprenait pas la signification
de l'article des résolutions qui laisse au gouvernement central la nomination des
juges,
tandis qu'un autre article veut que la
formation et le maintien des cours soient
confiés au parlement local. L'hon. membre
aurait dû remarquer que, par les pouvoirs
conférés aux gouvernements locaux, le Bas- Canada conservera tous ses droits civils,
394
comme l'indique le 17e paragraphe de la
clause 43e, qui se lit comme suit:
"17.—L'administration de la justice, y compris
la constitution, le soutien et l'organisation des
cours de jurisdiction civile et criminelle, ainsi que
la procédure en matière civile, sera sous le contrôle
des législatures locales."
C'est un privilége qui nous a été accordé,
et ne nous conservons, parce que nos lois
civiles sont différentes de celles des autres
provinces de la confédération. Cette exception, comme bien d'autres, a été expressément
faite pour nous protéger, nous, Bas- Canadiens. Nous avons voulu ainsi, nous,
représentants du Bas-Canada dans la conférence, garder et maintenir sous le contrôle
de notre législature locale la constitution et
l'organisation de nos cours de justice tant
civiles que criminelles, afin que cette législature eût le contrôle absolu sur ces
cours et
le pouvoir de les établir ou de changer le
système si elle le jugeait nécessaire. Mais,
d'un autre côté, la nomination des juges de
ces cours devait être donnée, comme elle
l'est, au gouvernement central, et la raison
de cette disposition est toute simple, toute
naturelle et très juste. Dans la confédération, il y aura, en effet, le parlement
central et les législatures locales. Eh
bien! je le demande à tout homme raisonnable, à tout homme d'expérience, pense-t-il
qu'avoir l'ambition que devront avoir tout
naturellement les hommes les plus marquants
et les plus capables, de se produire sur un
théâtre plus grand et plus digne de leurs
talents, ces hommes consentiront à faire plutôt
partie des législatures locales que du parlement fédéral? N'est-il pas plus probable,
n'est-il pas plus raisonnable de penser
qu'ils voudront paraître et briller sur le plus
grand théâtre, sur celui où ils pourront rendre
le plus de services à leur pays et où les
récompenses de ces services seront plus
grandes? Oui, ces hommes iront de préférence dans la législature centrale, et parmi
eux les avocats les plus distingués ne seront
pas les derniers. On reproche souvent aux
hommes de cette profession d'entrer dans
notre parlement pour s'y emparer de la représentation. S'il en est ainsi a présent,
peut- on supposer qu'ils n'en feront pas autant,
sous la confédération? Laisser aux législatures locales la nomination nos juges, c'est
donc exposer les gouvernements locaux à
une pression funeste exercée par le premier
avocat venu ayant quelque influence dans la
chambre locale. Pour se débarrasser d'un
membre incommode, qui aurait à sa suite
trois ou quatre partisans, on verrait un gouvernement local prendre cet incommode
avocat de deuxième, troisième ou quatrième
ordre pour le placer sur le banc judiciaire;
tandis qu'en laissant ces nominations au
parlement central, nous sommes assurés que
les choix se feront parmi les hommes les
mieux qualifiés, que la pression extérieure
et locale sera moindre, et que le gouvernement pourra agir plus librement. Il est
bon
de remarquer, en passant, que, dans la constitution proposée, il y a un article qui
porte
que les juges des cours du Bas-Canada seront
choisis parmi les membres du barreau de cette
section. Cette exception n'a été faite que
pour le Bas-Canada, et elle est une magnifique garantie pour ceux qui craindraient
le
système projeté. D'ailleurs, l'hon. député
d'Hochelaga, qui croit voir un danger dans
les pouvoirs donnés au gouvernement central,
sait par expérience, comme ancien ministre, que dans toute nomination de juge le
cabinet consulte toujours les ministres de
la section pour laquelle cette nomination
doit avoir lieu, et accepte leur choix. La
même pratique sera nécessairement suivie
par le gouvernement central, qui se trouvera
forcé de la respecter, car derrière les ministres de chaque section se trouveront
les
députés de cette section, et derrière nos
ministres Bas-Canadiens il y aura les 65
membres que nous aurons envoyés pour
représenter et sauvegarder nos intérêts dans
le parlement fédéral. Il était donc bon, et il
n'y avait pas de danger pour nous, que les
juges fûssent nommés par le gouvernement
central; c'était même notre intérêt et l'intérêt
de tous qu'il en fût ainsi. Et, bien que cela
soit une considération secondaire, il est
cependant utile de mentionner qu'en laissant
la nomination de nos juges au gouvernement
fédéral, nous gagnons cent mille piastres qui
devront être payées pour ce service par le
pouvoir central. Cette considération peut
avoir son importance auprès de l'hon. député
d'Hochelaga qui crie si fort, pour effrayer la
population, que nous serons obligés de recourir à la taxe directe pour défrayer les
dépenses
de notre législature locale.—Malgré l'heure
très avancée de la soirée, je ne puis passer
sous silence une autre remarque de l'hon.
député, que je prie de vouloir bien me prêter
son intention plus particulière dans ce moment. L'hon. membre a demandé au gouvernement
ce que voulait dire le mot " mariage," placé dans la constitution. Il a voulu
395
savoir si le gouvernement entendait laisser
au gouvernement central le soin de décider
à quel âge, par exemple, le mariage pourrait
être contracté. Je vais répondre à l'hon.
membre aussi catégoriquement que possible;
car je tiens à être compris non seulement
de cette Chambre, mais de tous ceux qui au
dehors pourront lire le compte-rendu de cette
séance. D'abord, je dois établir que les droits
civils se trouvent former partie de ceux
qui, par l'article 43 (paragraphe 15) des
résolutions, sont garantis au Bas-Canada.
Ce paragraphe se lit comme suit:—" 15. La
propriétéet les droits civils, moins ce qui est
attribué à la législature fédérale." Eh bien!
parmi ces droits se trouvent toutes les lois
civiles du Bas-Canada, parmi lesquelles il y
a la question du mariage. Et il était important qu'il en fût ainsi sous le système
proposé.
Aussi, les membres du Bas-Canada dans la
conférence ont-ils pris grand soin de faire
réserver à la législature locale ce droit
important, et, en consentant à mettre le mot
" mariage " après le mot " divorce," les
conférendaires n'ont pas entendu ôter d'une
main à la législature locale ce qu'ils lui
avaient donné de l'autre. Aussi ce mot
" mariage," placé où il l'est dans les pouvoirs
du parlement central, n'a pas la signification
étendue que voudrait lui donner l'hon. membre. Et afin d'être plus explicite, je vais
lire
comment ce mot " mariage" doit être entendu
ici:
"Le mot mariage a été placé dans la rédaction
du projet de constitution, pour attribuer à la
législature fédérale le droit de déclarer quels seront
les mariages que devront être considérés comme
valides dans toute l'étendue de la confédération,
sans toucher pour cela, le moins du monde, aux
dogmes ni aux rites des religions auxquelles appartiennent les parties contractantes."
C'est là un point important, et les députés
Canadiens-Français doivent être heureux de
voir que leurs compatriotes dans le gouvernement n'ont point failli à leur devoir
sur
une question aussi majeure. Il va sans dire
que, sur bien d'autres points, plusieurs
d'entre eux n'admettront pas que nous ayons
aussi bien rempli notre devoir; mais sur le
point en question, nous ne pouvons différer,
car nous avons tous une règle commune, et,
je le répète, ils doivent être heureux que
leurs co-religionnaires dans la conférence ne
se soient pas oubliés en cette occasion. Le
fait est que le tout consiste en ceci: que le
parlement central pourra décider que tout
mariage contracté dans le Haut-Canada, ou
dans toute autre province confédérée, d'après
la loi du pays où il aura été contracté, quand
bien même cette loi serait différente de la
nôtre, sera considéré comme valide dans
le Bas-Canada, au cas où les conjoints viendraient y demeurer, et vice versâ.
M. ARCHAMBAULT—Je demanderai
à l'hon. solliciteur-général si un mariage contracté aux Etats-Unis devant un magistrat,
et non suivant les lois canoniques, serait
considéré comme valide dans le Bas-Canada?
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Il le
serait au point de vue civil, s'il était contracté d'après les lois de l'Etat dans
lequel
il aurait été célébré.
M. GEOFFRION—Si un mariage contracté aux Etats-Unis, suivant la loi du
pays, est bon ici, à plus forte raison un
mariage contracté dans une province britannique, suivant la loi du pays, doit être
bon; par conséquent, l'explication de l'hon.
solliciteur-général ne doit pas être reçue, en
la résolution est inutile.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—L'hon.
député de Verchères ne veut pas être convaincu; aussi je ne me donnerai pas la
tâche de le convaincre. La résolution en
question signifie ce que je viens de dire.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Je vous
demande pardon; elle signifie qu'un mariage
contracté dans n'importe quelle partie de
la confédération sera valide dans le Bas- Canada, s'il est contracté suivant les lois
du pays où il aura au lieu; mais aussi qu'un
mariage contracté dans une province contrairement à ses lois, quoique conforme aux
lois d'une autre province, ne sera pas considéré comme valide.—Passons maintenant
au divorce. Nous n'entendons pas établir
ni reconnaître un droit nouveau; nous n'entendons pas admettre une chose que nous
avons toujours refusé de reconnaître; mais,
dans la conférence, il s'est agi de déterminer
à quelle législature appartiendraient les
les différents pouvoirs qui se trouvent dans les
constitutions des différentes provinces. Or,
parmi ces pouvoirs qui ont été exercée de
fait et à bien des reprises, se trouvait celui
du divorce. Comme membre de la conférence, sans admettre ou créer un droit nouveau,
et tout en déclarant comme je le fais
396
en ce moment que, comme catholiques, nous
ne reconnaissons pas le divorce, nous avons
dû déterminer le corps législatif auquel serait
laissé ce pouvoir que nous trouvions dans
nos constitutions. Après mûre délibération
nous résolûmes de le laisser à la législature
centrale, croyant par là rendre moins facile
une procédure qu'il est si aisé aujourd'hui
d'exécuter. Nous avons cru, comme nous
le croyons encore, avoir agi sagement en
cela. La comparaison suivante le prouve
encore mieux. Toute la chambre sait combien l'hon. député de Brome (M. DUNKIN) est
un zélé partisan de la cause de la tempérance. Eh bien! supposons le cas où cet hon.
monsieur se trouverait faire partie d'un
conseil municipal, et qu'il s'agirait de décider que toutes les auberges, qui se trouveraient
dans une partie très populeuse de la
paroisse et qu'il ne pourrait supprimer,
fussent reléguées dans un autre endroit reculé
de la paroisse, là où ces auberges ne seraient pas une cause de tentation immédiate,
ne voterai-t-il pas pour qu'elles le fussent?
Ne les enverrait-il pas à l'endroit où elles
seraient le moins accessibles à la population,
et ne croirait-il pas avoir fait là un acte
méritoire et digne d'un bon ami de la tempérance? Eh bien! pour la question du
divorce, le cas est exactement le même. Nous
l'avons trouvé, ce pouvoir, dans la constitution
des différentes provinces, et ne pouvant le
supprimer, nous avons décidé qu'il serait
relégué aussi loin de nous que possible. D'un
autre côté, il n'y a pas à se cacher que, bien
que nous, comme catholiques, nous n'admettions pas le divorce, bien que nous croyions
que le lien du mariage est indissoluble,
néanmoins il y a des cas où nous admettons
et demandons la nullité du mariage,—par
exemple, la nullité du mariage contracté à
des degrés prohibés sans les dispenses nécessaires. Nous en avons eu un exemple dernièrement.
ll y a à peine quelques mois, un
individu de mon comté qui s'était marié avec
une jeune fille d'une paroisse voisine, et ne
connaissait pas, lorsqu'il s'était marié, la
parenté qui existait entre lui et sa conjointe,
découvrit après plusieurs mois de mariage
qu'il existait entre eux un degré de parenté
qui exigeait une dispense de l'évêque,
dispense qui n'avait pas été obtenue. Il en
parla à sa conjointe, qui refusa de demander
dispense, et par-là même de faire célébrer
le mariage légalement. Il fallut donc songer
à annuler le mariage. L'affaire fut portée
devant la cour ecclésiastique, et, après une
minutieuse enquête, l'évêque diocésain porta
son jugement par lequel il déclarait le
mariage nul, canoniquement parlant. Mais
au point de vue civil, le mariage était valide
jusqu'à ce qu'il fût déclaré nul par un tribunal civil. Il fallut porter la cause
devant la
cour supérieure, et mon hon. ami le député
de Beauce, qui prit la cause en mains avec
son zèle et sa capacité ordinaires, obtint de
la cour, après enquête convenable, un jugement déclarant le mariage nul au point de
vue civil, et ordonnant qu'il fût enregistré
partout où besoin serait. Si cette affaire se
fût présentée dans le Haut-Canada, quel
aurait été le mode à suivre? Les conjoints
étant catholiques, la cause aurait été portée
devant l'évêque qui aurait aussi déclaré le
mariage nul, après enquête convenable;
mais il n'en aurait pas été ainsi des cours
civiles, surtout s'il se fût agi de certains
empêchements reconnus dans le Bas-Canada,
mais qui ne le sont pas dans le Haut-Canada.
Il aurait fallu aller demander au parlement
un acte qui, au point de vue catholique,
n'aurait été qu'une séparation, mais qui,
pour le parlement, aurait été appelé un acte
de divorce. Ce pouvoir d'accorder une sépation est donc nécessaire au parlement, qu'on
l'appelle d'un nom ou d'un autre, et l'on ne
doit pas nous reprocher l'interprétation que
d'autres peuvent donner à ce mot différente
de celle que nous lui donnons.—J'ai tenu à
expliquer ce point, parce que je ne veux
pas que l'on puisse dire que nous n'osons pas
expliquer notre position à l'égard de la
question du divorce et du mariage, et je crois
avoir fait voir que cette position s'accorde
avec nos lois religieuses et nos principes
comme catholiques.—Je regrette beaucoup
d'avoir parlé si longtemps de ce qu'a dit
l'hon. député d'Hochelaga: mais après son
discours et dans sa position, il devait s'attendre à une réponse. Et maintenant que
j'en ai fini avec lui, j'en viens à l'hon.
député de Lotbinière (M. JOLY). Cet hon.
député a cherché à prouver que toutes les
confédérations mouraient de consomption,
et il a cité à l'appui de son argument l'état
politique des républiques espagnoles de
l'Amérique Centrale. Pourquoi n'a-t-il rien
dit de la confédération germanique? S'il en
eût parlé, il aurait été obligé d'avouer qu'elle
avait réussi. Il aurait dit aussi que c'est
une confédération monarchique, composée de
31 Etats, dont les chefs sont presque tous des
rois, des princes ou des électeurs. Il n'y a
que quatre ou cinq Etats qui ne soient pas
397
monarchiques, et cependant cette confédération fonctionne bien.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Oui;
mais ils ont fait ce que nous allons faire ici.
Pour faire face aux grandes puissances, pour
n'être pas à la merci du premier venu, ils se
sont unis, parce qu'ils ont compris que l'union
fait la force. L'hon. député de Lotbinière,
lorsqu'il a parlé de la faiblesse des confédérations, aurait dû aussi se rappeler
ce qui est
arrivé en Italie, il n'y a que quelques
années. Il aurait dû se rappeler les conquêtes de GARIBALDI, et refléchir que s'il
avait réussi à conquérir un nombre de petits
Etats et même le royaume de Naples au
profit du roi de Sardaigne, c'était parce que
les Etats italiens, divisés comme ils l'étaient,
étaient trop faibles pour résister à une invasion, mais que s'ils eûssent été confédérés,
jamais GARIBALDI ni VICTOR-EMMANUEL
n'auraient réussi à s'en emparer. Et lorsque
les petits Etats italiens ont été réunis au
Piémont, qu'est-il arrivé? Il est arrivé que
GARIBALDI, du moment où il a cherché à
faire des conquêtes pour son propre compte,
s'est aperçu que les petits Etats étaient
disparus, qu'un grand Etat s'était formé de
leurs débris,—et la conséquence a été qu'il
s'est fait battre à Aspromonte.—L'hon. député de Lotbinière a dit que les liens qui
nous uniraient à la métropole sous la confédération seraient des liens de papier,
et que
les Haut-Canadiens détesteraient les Bas- Canadiens.
M. GEOFFRION—Il n'a pas dit que cela
aurait lieu, mais que ce pourrait être une
conséquence de la confédération.
L'
HON. SOL.-GÉN. LANGEVIN—Pourquoi
serait-ce une conséquence de la confédération? Il ne se décidera, dans le parlement
fédéral, que des affaires générales; il n'y
aura pas d'affaires locales ni de questions de
race, de religion ou d'institutions particulières aux différentes provinces, et, par
conséquent, il n'y a pas à craindre de conflit à
propos de ces questions. Cette crainte est
donc futile.—L'hon. membre a encore dit
que cette confédération devait nous désunir
plutôt que nous unir, que la guerre civile
s'en suivra, et que les Haut-Canadiens aimeront mieux s'annexer aux Etats-Unis que
se
soumettre aux Bas-Canadiens. Pour ma
part, je ne crois pas cela, et je crois les
Haut-Canadiens trop loyaux pour jamais
désirer l'annexion aux Etats-Unis; ils sont
bien prêts à commercer avec leurs voisins,
et à entretenir de bons rapports avec eux,
mais ils ne désirent pas s'annexer à eux.
L'hon. député de Lotbinière, laissant là ses
craintes et ses prédictions, a posé, à propos
des 65 membres du Bas-Canada, cette question-ci: " Supposons, a-t-il dit, que la population
du Bas-Canada augmente de 34 pour
cent en dix ans, et que celle des autres provinces augmente de 30 pour cent, ne serait-
il pas injuste pour le Bas-Canada que le
nombre de ses représentants reste stationnaire, reste au nombre de 65, pendant que
celui des autres provinces augmentera, et
que, dans tous les cas, le nombre des
représentants des autres provinces ne sera
pas diminué, à moins que sa population ne
diminue de cinq pour cent?" Ce point est trés
important, mais il faut remarquer que, quelle
que soit l'augmentation de population des
autres provinces, la part du Bas-Canada est
certaine et connue. Ainsi, par exemple, si
la population du Haut-Canada augmente
en plus grande proportion que celle du Bas,
celui-ci aura toujours 65 membres, les autres
provinces recevant à leur représentation
l'addition à laquelle leur donnera droit leur
augmentation. Mais les résolutions n'empéchent pas que le Bas-Canada ait plus de
65 représentants, si l'augmentation de sa
population est plus rapide que celle des
autres provinces. La traduction française
de ces résolutions est fautive, car elle dit
que pour les fins de la répartition de la
représentation de chaque province, après
chaque recensement décennal, " le Bas- Canada n'aura jamais ni plus ni moins que
65 représentants," tandis que la version
anglaise des résolutions, qui est la version
officielle, dit:
"Lower Canada shall always
be assigned sixty-five members." C'est-à- dire que " le Bas-Canada aura toujours 65
membres." Cela ne veut pas dire que le
Bas-Canada ne pourra pas avoir plus de 65
députés, mais qu'il ne pourra pas en avoir
moins de 65. Et c'est la une réponse catégorique à l'objection de l'hon. membre. Si
l'hon. membre pour Lotbinière était ici, je
lui répondrais sur d'autres points; mais je
ne veux pas l'attaquer comme il a attaqué
hier soir l'hon. procureur-général Est. L'hon.
membre a comparé la conduite du procureur- général, en proposant la confédération,
à
celui qui, ayant une banque d'épargne où
chacun viendrait déposer ses épargnes, parce
que chacun croirait à sa probité, leur ferait
un bon jour défaut et trahirait leur confiance
en les ruinant. Il a dit que la probité du
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procureur-général du Bas-Canada avait cédé
à la tentation des honneurs, des titres et des
places, et qu'il avait oublié tous ses devoirs
et vendu ses concitoyens. Je ne veux pas
rétorquer contre l'hon. membre; mais il me
sera permis de donner suite à la comparaison
de l'hon. membre, et de dire qu'en effet
l'hon. procureur-général a ouvert une banque
d'épargnes et a invité chacun à y déposer
ses titres et ses épargnes. Aussi, un jour,
vit-on les seigneurs et les censitaires venir
lui apporter leurs titres, leurs terres et tous
leurs intérêts. L'hon. procureur-général les
a reçus et déposés à sa banque, et quand il
lui a fallu les rendre, quand on lui en a
demandé compte, il a payé comme jamais
homme n'avait payé avant lui: au lieu de
remettre aux censitaires des titres de propriétés gravées de charges, de lods et ventes
et de corvées, il leur a rendu des propriétés
libres de toutes ces charges; et, en même
temps, il a présenté aux seigneurs la valeur
pleine et entière de leurs droits seigneuriaux;
et si aujourd'hui il y a des seigneurs qui
ont des cent mille acres de terre en pleine
propriété, et s'ils peuvent évaluer ces terres
à huit piastres par acre, ils doivent en rendre
grâce à l'hon. procureur-général du Bas- Canada. Les plaideurs sont venus à leur
tour; les frais énormes les accablaient, ils ne
pouvaient obtenir justice; ils sont allés
déposer leurs dossiers à la banque du procureur-général, et il les leur a rendus en
leur
donnant la décentralisation judiciaire et
diminuant les frais de justice. Voilà comment
il a mérité le respect et la reconnaissance de
ses concitoyens. Il a fait la même chose à
l'égard des habitants des townships, et, en
échange de leur droit civil douteux, il leur
a donné une loi civile qui régit tout le Bas- Canada, les townships comme les seigneuries;
et tous ont rendu justice au procureurgénéral de les avoir fait sortir du chaos judiciaire
dans lequel ils étaient. Enfin, les
plaideurs, les avocats, le public tout entier
sont allés déposer leurs plaintes à la banque
du procureur-général, et après cinq ans il
leur a donné un code civil qui fera honneur au Bas-Canada, et honneur aux trois
codificateurs distingués choisis par l'hon.
procureur-général, dont il transmettra le
nom à la postérité. Oui, son nom est attaché
à cette œuvre, et ce ne seront pas les
attaques de l'hon. député de Lotbinière qui
empêcheront ce nom d'aller à nos descendants, entouré du respect de tous ceux qui
reconnaissent les services rendus à leur
pays. Mais ce n'était pas pour l'hon.
procureur-général du Bas-Canada assez de
services rendus. Il a vu son pays, au milieu
d'une crise terrible, venir lui confier tous ses
intérêts, tous ses droits, toutes ses institutions, sa nationalité, sa religion, en
un
mot tout ce qui lui était le plus cher. L'hon.
procureur-général a tout reçu à sa banque
si sûre et si fidèle, et quand il lui a fallu
rendre ses comptes, il s'est présenté avec
tous ces intérêts, ces droits, ces institutions,
cette nationalité, cette religion, tout ce qui
était cher à ce peuple, et il les a rendus
garantis, protégés et sauvegardés par la confédération de toutes les provinces de
l'Amérique Britannique du Nord.—Ainsi, le
banquier a été fidèle, il n'a pas fait défaut à
la confiance que l'on a eue en lui, il a payé
honnêtement ce qu'il devait; riches et
pauvres, seigneurs et censitaires, avocats et
plaideurs, tout le monde a été satisfait, et le
banquier est béni d'une extrémité à l'autre
du pays. L'hon. membre a dit que l'hon.
procureur-général " aurait son jour." Il a
raison; mon hon. collègue aura son jour,
il aura son heure comme feu SIR LOUIS
HYPOLITE LAFONTAINE a trouvé la sienne.
Quand ce citoyen éminent occupait la position qu'occupe aujourd'hui l'hon. procureur-
général du Bas-Canada, l'opposition lui prodiguait les mêmes insultes et les mêmes
reproches qu'elle adresse aujourd'hui à mon
hon. ami. On l'accusait d'être traître à son
pays; on criait bien haut qu'il vendait ses
concitoyens, qu'il était l'ennemi de sa race.
Cependant, ce défenseur des droits et des institutions du Bas-Canada n'avait d'autre
ambition que d'assurer à ses compatriotes la belle
position qu'ils ont occupée depuis. Il a donc
laissé dire les mécontents, et avant de descendre dans la tombe, il a eu le bonheur
de
voir reconnaître ses efforts patriotiques et la
noblesse de ses intentions; et quand sa
dépouille mortelle a été conduite au champ
du repos, tous ses concitoyens se sont
empressés d'aller rendre hommage à ce
grand citoyen, bénissant la mémoire de celui
que personne ne considérait plus comme un
traître, mais que tous acclamaient comme un
des grands noms de notre histoire parlementaire. Il en sera de même de l'hon. procureur-général
actuel du Bas-Canada. Il aura
son heure, non pas comme l'entend l'hon.
député de Lotbinière, qui se sert de cette
expression comme d'une menace, mais en
conservant cette confiance de ses concitoyens,
qui est pour l'hon. député de Lotbinière une
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chose si incompréhensible. Pour nous, cette
confiance de la part de ses concitoyens est
une chose toute naturelle et que nous
comprenons parfaitement. Toute sa vie,
comme SIR LOUIS HYPOLITE LAFONTAINE,
l'hon. procureur-général actuel du Bas- Canada s'est appliqué à sauvegarder et à
promouvoir les intérêts matériels et religieux
de ses concitoyens, et il vient de couronner
cette œuvre gigantesque par la part si
importante qu'il a prise à la nouvelle
constitution destinée à régir un des plus
grands empires du monde, à cette constitution sous laquelle toutes les races et toutes
les croyances trouveront protection et
respect. Il aura son heure, et, comme
son devancier, son nom passera à la postérité comme celui d'un des plus grands
bienfaiteurs de son pays.— Je regrette, M.
le PRÉSIDENT, d'avoir été aussi long, mais
l'importance de la question doit m'excuser
d'avoir peut-être fatigué cette hon. chambre.
Après les longs discours prononcés par l'hon.
député d'Hochelaga et l'hon. député de
Lotbinière, je ne pouvais parler moins longuement, pour réfuter et détruire toutes
les
assertions hasardeuses des deux hon.
députés. Avant de reprendre mon siége,
je me permettrai de croire que j'ai démontré
que l'hon. député d'Hochelaga faisait une
fausse prédiction, quand il disait que le jour
où la confédération s'accomplirait, serait un
jour néfaste pour le Bas-Canada. Non, M. le
PRÉSIDENT, la confédération, j'en ai l'intime
conviction, offrira une immuable garantie
pour nos institutions, notre langue et tout ce
que nous avons de plus cher au monde;
sous son égide, nous serons forts contre
l'ennemi commun, notre prospérité marchera à pas de géant, et quand nous disparaîtrons
de la scène, nous aurons la consolation de pouvoir transmettre à nos descendants un
héritage digne d'un peuple libre.
(Applaudissements.)
M. JOLY —J'ai demandé deux fois, pendant que l'hon. solliciteur-général parlait, la
permission d'expliquer ce que j'avais dit,
parce que je croyais qu'il ne m'avait pas
compris; mais après la manière dont il s'est
conduit à mon égard, en me refusant, à deux
reprises, l'occasion de m'expliquer, je suis
maintenant convaincu qu'il avait parfaitement compris ce que je voulais dire, mais
qu'il faisait semblant de ne pas le comprendre.
Je ne veux pas rester sous le coup de l'accu
sation qu'il a portée contre moi; je prendrai
la liberté de le rectifier et d'expliquer ce que
j'ai dit hier. Je veux bien que l'on m'accuse
d'imprudence et d'ignorance, mais je ne
veux pas que l'on m'accuse de lâcheté,—et
c'est cette accusation que je trouve dans le
Journal de Québec de ce matin. L'hon.
député m'a accusé d'avoir fait appel aux préjugés religieux des Canadiens-Français.
Je
n'ai pas fait appel à leurs préjugés religieux;—j'ai fait appel à leurs préjugés
nationaux. Je regarde cette question de la
confédération comme fatale aux intérêts du
Bas-Canada, et je considère que c'était là le
seul moyen de briser les liens qui enchaînent
les Canadiens-Français et de les réveiller,
avant qu'il ne soit trop tard. C'est ce que
j'ai fait et je le ferai toujours. Mais je suis
incapable de commettre la lâcheté de faire
appel aux préjugés nationaux des Anglais
après mon appel aux Canadiens-Français,
comme l'hon. député m'en a accusé. Voici
comment j'ai expliqué le passage du rapport
de lord DURHAM: j'ai dit qu'il était impossible que les deux races pussent longtemps
vivre en paix; qu'un jour ou l'autre les deux
nationalités se choqueraient; que le juge
serait le parlement fédéral où les Anglais
auraient la majorité et où les Canadiens- Français ne pourraient pas espérer obtenir
justice. Je n'ai pas dit que les
Canadiens-Français commettraient des injustices contre les Anglais; mais j'ai dit
que
ceux-ci pourraient se plaindre, et que le parlement fédéral serait appelé à décider
s'il y
aurait injustice on non, et qu'il fallait se
méfier de ses sympathies. J'ai ajouté que le
parlement fédéral étant composé en majorité
de députés anglais, serait porté à écouter les
Anglais du Bas-Canada plutôt que les Canadiens-Français. Je me suis ensuite basé sur
le rapport de lord DURHAM pour prouver
que jamais les Canadiens-Anglais ne se soumettraient volontiers à la majorité du Bas-
Canada. Et en citant les deux extraits du
rapport de lord DURHAM, j'ai d'abord lu en
anglais, et ensuite je les ai traduits en français.
Comment peut-on dire, après cela, que je me
suis servi de la langue anglaise pour faire
un appel aux préjugés nationaux des Anglo- Canadiens? C'est ce que je ne puis comprendre.
Loin de m'en servir auprès d'eux,
je ne lisais ces passages qu'avec timidité,
parce que je croyais que les Anglais devaient
en rougir. Je n'avais pas besoin de citer
ces passages pour apprendre aux Anglais du
Bas-Canada quels sont leurs sentiments,
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mais je les citais pour les faire connaître
aux Canadiens-Français. Quant au second
passage, je ne pouvais pas le citer pour m'attirer les sympathies des Anglais, puisqu'il
était
contre eux! Comment veut-on que j'aie cité
ce passage dans l'intention d'exerter les préjugés nationaux des Anglais? Je n'ai
fait
appel ni aux préjugés religieux des Canadiens,
ni aux préjugés nationaux des Anglais.
L'
HON. M. CAUCHON—Je n'ai pas dit,
dans le
Journal, que l'hon. député pour
Lotbinière était lâche; j'ai trouvé qu'il
avait traité la question d'une manière incomplète et sous un faux point du vue.
Quant aux citations du rapport de lord
DURHAM, l'hon. membre n'a pas traduit en
français la partie dans laquelleil disait que
les Anglais ne se soumettraient jamais à une
majorité canadienne-française.
M. JOLY —J'ai traduit mot pour mot.
L'
HON. M. CAUCHON—Je ne l'ai pas
entendu, mais je veux bien le croire. L'hon.
membre dit qu'il avait voulu exciter les
préjugés nationaux des Canadiens-Français;
mais cela ne vaut pas mieux que d'exciter les préjugés religieux. Tout ce
que j'ai dit, c'est que je trouve mal qu'il ait
cherché à soulever les préjugés des uns et
des autres.
L'
HON. Sol.-Gén. LANGEVIN—Après
les explications données par l'hon. député
de Lotbinière,—et quoiqu'il ait cru devoir
dire, dans un moment d'humeur, qu'il était
convaincu que je savais le contraire de ce
que j'ai prétendu qu'il avait fait,—je dois
croire que j'ai fait erreur à son égard, et qu'il
a traduit ses citations du rapport de lord
DURHAM sans que j'y ai fait attention.
J'accepte sa parole, mais s'il n'eût pas été
de mauvaise humeur, je sais bien qu'il ne
m'aurait pas reproché de l'avoir sciemment
mal représenté.
M. JOLY—Je me rappelle d'autant
mieux que j'ai traduit ce passage du rapport
de lord DURHAM, que j'ai eu beaucoup de
difficulté à le traduire, ainsi que la chambre
peut s'en rappeler.
M. DUNKIN —Et même vous ne l'avez
pas traduit très bien, surtout le mot British.
M. JOLY—Mais puisque l'hon. solliciteur- général a donné des explications et a retiré
ce qu'il avait dit contre moi, je crois de mon
devoir de dire que je regrette de m'être
servi envers lui d'expressions aussi sévères.
(Ecoutez! écoutez!)
Et la chambre s'ajourne.