MARDI, 7 février 1865.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER. — Bien
que ce ne soit pas la première fois que j'aie
l'honneur de traiter cette question, ayant
déjà eu l'occasion de la discuter dans les
provinces d'en bas et ailleurs, c'est toujours
avec une certaine défiance que je l'aborde,
car je sens que, dans ce moment critique,
je serai responsable devant mes commettants
et devant le pays de tout ce que je vais dire
sur un sujet d'une aussi vaste importance.
Il a été dit que le gouvernement TACHÉ- MACDONALD s'était chargé de la solution
d'un problême qui n'était pas devant le pays,
et qui n'avait pas même été discuté, lorsque
ce gouvernement s'est formé. Ceux qui ont
fait cette assertion ignoraient l'histoire parlementaire des dernières années. Voici
en
peu de mots l'historique de cette grande
question, en tant qu'elle a occupé l'attention
du parlement et du pays:—Lorsque le gouvernement CARTIER-MACDONALD a été
formé après la chute du gouvernement
BROWN-DORION, un programme politique
fut soumis au parlement. Parmi les sujets
contenus dans le programme du 7 août,
1858, s'en trouvait un conçu en ces termes:
"Le gouvernement s'est cru tenu de donner
cours à la loi du pays quant au siége du gouvernement, mais, en face du vote récent
sur ce
sujet, l'administration n'a pas cru devoir faire
aucune dépense pour les édifices publics, avant
que le parlement ait eu occasion de considérer la
question dans son ensemble et tout ce qui s'y
rapporte; et l'opportunité d'une union fédérale
des provinces de l'Amérique Britannique du Nord
sera sérieusement examinée, et l'on fera des ouvertures au gouvernement impérial et
aux provinces
inférieures sur le sujet; et le résultat de ces
démarches sera soumis au parlement à sa prochaine
session. Le gouvernement, durant la vacance,
fera une étude sur l'organisation et le fonctionnement des départements publics, et
y introduira
des réformes administratives propres à produire
l'économie et l'efficacité."
Comme on le voit, le projet d'une union
des provinces se trouve dans le programme
du gouvernement CARTIER-MACDONALD, de
1858. Je cite ce passage simplement pour
faire voir que ni le parlement ni le pays ne
sont pris à l'improviste, en ce qui concerne
ce projet. (Ecoutez! écoutez.) Nous avons
eu des élections générales et spéciales,
depuis 1858, et prétendre que ce sujet,
dont il a été question si souvent, est maintenant un sujet nouveau, c'est affirmer
une
fausseté. A la fin de la session, Sir EDMUND
HEAD prononça, dans son discours de prorogation, les paroles suivantes:
"Dans le cours de la vacance, je me propose
d'entrer en communication avec le gouvernement
de Sa Majesté, et avec le gouvernement de nos
sœurs colonies sur un autre sujet d'une très- grande importance. Je désire les inviter
à discuter avec nous les principes sur lesquels pourrait
plus tard s'effectuer une union d'un caractère
fédéral entre les provinces de l'Amérique Britannique du Nord."
Conformément à cet article du programme,
une députation composée des hons. messieurs
GALT, ROSS et de moi-même, fut envoyée en
Angleterre. Nous avons soumis la question
au gouvernement impérial auquel nous avons
demandé l'autorisation de convoquer une
assemblée de délégués des différents gouvernements de l'Amérique Britannique du Nord,
pour prendre en considération ce sujet et
faire un rapport qui devait être communiqué
au secrétaire des colonies. Comme de raison,
nous avions besoin d'agir avec la sanction et
l'approbation du gouvernement impérial.
De toutes les provinces, Terreneuve, je crois,
est la seule qui se soit déclarée prête à
nommer des délégués. Les autres n'étaient
54
pas opposées à la confédération, mais elles
ne crurent pas devoir coopérer aux démarches que les délégués canadiens firent,
en 1858, auprès du gouvernement impérial,
pour la raison que le projet n'était pas encore
assez connu de leurs habitants. A cette
époque, les délégués canadiens prièrent
l'administrateur du gouvernement, Sir
EDMUND HEAD, de remplir la promesse
qu'il avait faite en prorogeant le parlement, c'est-à-dire d'attirer l'attention du
gouvernement sur la mesure. (Ecoutez!
écoutez!) Le gouvernement canadien fit
rapport du résultat de sa mission en Angleterre, à la session subséquente du parlement.
(L'hon. monsieur lit ici une dépêche,
datée d'octobre 1858, qui fut transmise au
gouvernement impérial, exposant les difficultés qui s'étaient élevées entre le Haut
et
le Bas-Canada, à l'occasion de la demande
d'une augmentation de représentation de la
part de ce premier.) J'ai été opposé à ce
principe, et je ne regrette pas cette opposition. Si une telle mesure avait été adoptée,
quelle en aurait été la conséquence? Il y
aurait eu conflit politique constant entre le
Haut et le Bas-Canada, et une section aurait
été gouvernée par l'autre. J'ai été accusé
d'être opposé aux droits du Haut-Canada,
parce que, durant 15 à 20 ans, j'ai fait opposition à mon hon. ami, le président du
conseil, (M. Brown), qui insistait à ce que
la représentation fut basée sur la population
dans chaque section de la province. Je
combattais cette prétention, parce que je
croyais que ce principe aurait donné lieu à
un conflit entre les deux sections de la province. Je ne veux pas dire que la majorité
du Haut-Canada aurait exercer une tyrannie
sur le Bas-Canada; mais l'idée que le Haut- Canada, comme territoire, avait la prépondérance
dans le gouvernement, aurait suffi
pour créer ces animosités que je viens de
mentionner. En 1858, je n'ai pas tardé à
voir que le principe de la représentation
d'après le nombre, qui ne convenait pas
comme principe gouvernant pour les deux
provinces, n'aurait pas le même inconvénient
si plusieurs provinces s'unissaient par une
fédération. Dans une lutte entre deux
partis, l'un fort et l'autre faible, le plus
faible ne peut qu'être subjugué. Mais s'il
y a trois partis, le plus fort n'a pas le même
avantage, car quand deux de ces partis voient
que le troisième a trop de force, ils s'allient
ensemblent pour le combattre. (Applaudissements.) Je ne combattais pas ce principe
avec l'intention de refuser justice au
Haut-Canada, mais c'était pour empêcher
l'injustice envers le Bas-Canada. Je n'entretiens pas la plus légère crainte que
les droits du Bas-Canada se trouvent en
danger par cette disposition qui établit que,
dans la législature générale, les canadiens- français auront un nombre de représentants
moindre que celui de toutes les autres origines combinées. L'on voit, par les résolutions,
que dans les questions qui seront soumises au
parlement général, il ne pourra y avoir de
danger pour les droits et priviléges, ni des
canadiens-français, ni des écossais, ni des
anglais, ni des irlandais. Les questions de
commerce, de communication intercoloniale,
et toutes les matières d'un intérêt général
seront discutées et déterminées par la législature générale; mais dans l'exercice
des
fonctions du gouvernement général, il n'y
aura nullement à craindre qu'il soit adopté
quelque principe qui puisse nuire aux intérêts
de n'importe quelle nationalité. Je n'ai pas
l'intention d'entrer dans les détails de la
question de confédération; je veux simplement mettre devant la chambre les principales
raisons qui peuvent induire les membres à
accepter les résolutions soumises par le gouvernement. La confédération est, pour
ainsi
dire, une nécessité pour nous, en ce moment.
Nous ne pouvons fermer les yeux sur ce qui
se passe de l'autre côté de la frontière. Nous
y voyons qu'un gouvernement établi depuis
80 ans seulement, n'a pu maintenir unie
la famille des états qui faisaient partie de ce
vaste pays. Nous ne pouvons nous dissimuler
que la lutte terrible, dont nous suivons avec
anxiété les progrès, doit nécessairement peser
sur notre existence politique. Nous ne
savons pas quels seront les résultats de cette
grande guerre; si elle finira par l'établissement
de deux confédérations, ou bien par une seule,
comme auparavant. Nous avons à faire en
sorte que cinq colonies, habitées par des
hommes dont les intérêts et les sympathies sont les mêmes, forment une seule
et grande nation. Pour cela, il ne faut
que les soumettre à un même gouvernement général. La question se résout
comme ceci: il nous faut ou avoir une confédération de l'Amérique Britannique du
Nord, ou bien être absorbés par la confédération américaine. (Ecoutez! écoutez!)
Quelques-uns entretiennent l'opinion qu'il
n'est pas nécessaire d'obtenir une telle conconfédération pour empêcher notre absorption
par la république voisine; mais ils se trompent. Nous savons que l'Angleterre est
déterminée à nous aider et à nous appuyer
55
dans toute lutte avec nos voisins. Les provinces anglaises, séparées comme elles le
sont à présent, ne pourraient pas se défendre
seules. Nous avons des devoirs à remplir
vis-à-vis de l'Angleterre et pour obtenir son
appui pour notre défense, nous devons nous
aider nous-mêmes, et nous ne pouvons
atteindre ce but sans une confédération.
Quand nous serons unis, l'ennemi saura que
s'il attaque quelque partie de ces provinces,
soit l'Ile du Prince-Edouard, soit le Canada,
il aura à rencontrer les forces combinées de
l'empire. Le Canada, en demeurant séparé,
serait dans une position dangereuse si une
guerre se déclarait. Quand nous aurons organisé un système de défense propre à pourvoir
à notre protection mutuelle, l'Angleterre
nous enverra librement ses soldats et nous
ouvrira ses trésors pour veiller à notre défense.
(Applaudissements.) J'ai déjà dit, ailleurs,
que par son territoire, sa population et sa
richesse, le Canada était supérieur à chacune
des autres provinces, mais qu'en même temps
il manquait d'un élément nécessaire à sa
grandeur nationale,—l'élément maritime.
Le commerce du Canada est si étendu, que
des communications avec l'Angleterre, pendant toutes les saisons de l'année, lui sont
absolument nécessaires. Il y a vingt ans,
les mois d'été suffisaient pour les besoins de
notre commerce. A présent, ce système
serait insuffisant, et pour nos communications durant l'hiver, nous sommes laissés
à
la merci du caprice de nos voisins sur le
territoire desquels nous sommes obligés de
passer. J'ai dit aussi que dans la position où
nous nous trouvons, une guerre avec les Etats
nous enlèverait nos havres d'hiver. Le
Canada a deux des éléments qui forment les
grandes puissances—le territoire et la popuation—mais il lui manque l'élément maritime,
que, pour l'avantage de tous, les
provinces inférieures lui apporteraient en
s'unissant à lui. Ils se trompent grandement
ceux qui prétendent que les provinces de
l'Amérique Britannique du Nord ne sont
pas plus exposées ainsi séparées qu'elles
ne le seraient réunies en une confédération.
Le temps est venu pour nous de former
une grande nation, et je maintiens que la
confédération est nécessaire à nos propres
intérêts commerciaux, à notre prospérité et
à notre défense. C'est ce que nous avons
maintenant à discuter; les détails le seront
lorsque le projet sera mis en délibération.
A présent, la question est celle-ci: La
confédération des provinces de l'Amérique
Britannique du Nord est-elle nécessaire pour
augmenter notre puissance et pour maintenir
les liens qui nous attachent à la mère-patrie?
Je n'ai pas de doute que la mesure soit
nécessaire pour atteindre ces objets. Les
personnes d'origine britannique qui s'opposent au projet, dans le Bas-Canada, semblent
craindre que l'élément anglais soit absorbé
par l'élément franco-canadien; tandis que
de leur côté les adversaires qu'il compte
parmi les canadiens-français disent qu'ils
craignent l'extinction de la nationalité franco- canadienne. Le parti annexioniste
de Montréal, y compris les partisans de M. John
McDOUGALL, le propriétaire du Witness,
s'oppose au plan sous le prétexte d'un
danger pour les anglais du Bas-Canada. Son
désir est de lancer le Canada dans l'union
américaine. L'absorption du Canada par
l'union américaine a déjà été longtemps convoitée, comme on peut le voir par le 7me
article du projet primitif de la constitution
américaine, que je demande la permission de
lire:—
"Art. 7.—Le Canada, aux termes de cette
confédération et dans le cas où il participerait
aux mesures adoptées par les Etats-Unis, sera
admis dans cette union et aura droit à tous ses
avantages; et sera également, avec tous les autres
Etats-Unis, solennellement tenu d'observer et
strictement obéir à ces articles, de même que
toutes autres colonies qui seront admises dans
cette confédération. Les onze voix du congrès
seront augmentées en proportion de l'accroissement
de la confédération; mais, excepté le Canada
aucune autre colonie ne sera admise dans la
confédération sans le consentement de onze voix
ou plus, suivant que le cas pourra l'exiger, en
raison de l'accroissement de la confédération."
En vertu de cet article, une nouvelle
colonie ne pouvait entrer dans l'union qu'à
la suite du vote donné par le nombre d'états
voulu; mais, quant au Canada, il était
exempté de cette condition: il n'avait qu'à
le vouloir pour former partie de cette union.
(Ecoutez!) Les journaux ont reproduit dernièrement un rapport d'une assemblée de
l'Institut Canadien, où il fut résolu qu'il
était de l'intérêt du Bas-Canada et des canadiens-français, que la province fit partie
de
l'union américaine.
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER.—Si des
résolutions n'ont pas été passées, des sentiments ont été exprimés en ce sens. Ensuite,
l'
Ordre, organe de cet institut, a déclaré que
les intérêts du Bas-Canada seraient mieux
sauvegardés par l'annexion aux Etats-Unis
que par la confédération des provinces. En
56
effet, il n'est pas étonnant que les annexionnistes canadiens-français laissent percer
le
but qu'ils ont en s'opposant à la confédération, et que leurs collègues d'origine
anglaise affectent de craindre que leurs droits
soient en danger sous la confédération.
Ils savent qu'aussitôt que ce projet sera
adopté, personne ne demandera plus à faire
partie de l'union américaine. (Ecoutez!)
On s'est beaucoup plaint de ce que les délibérations des délégués aient eu lieu à
huisclos. Cela était d'absolue nécessité. Chacun
comprendra que si toutes les difficultés qui
ont pu surgir entre les délégués, durant la
conférence, avaient été mises devant le
public, chaque matin, il leur eut été impossible de continuer la discussion et de
régler
au moyen de compromis toutes les questions
compliquées qui se présentaient. Les délibérations du congrès, en 1782, ont eu lieu
à
huis clos, et le résultat n'en a été publié
qu'après la clôture des négociations. A l'appui
de ce que j'avance, je demande qu'il me soit
permis de citer une lettre du colonel MASON,
un des signataires de la convention:—
"La publication des délibérations est interdite,
tant que siégera la convention; c'était-là, je
crois, une précaution nécessaire pour prévenir les
faux rapports ou les erreurs, car il y a une grande
différence entre l'apparence d'un projet dans sa
première forme confuse et mal digérée, et la forme
dans laquelle il se trouve après avoir été mûri et
convenablement classifié. "
C'est sur le même principe que la conférence de Québec a très sagement siégé à
huis-clos. (Ecoutez! écoutez!) Le gouvernement est d'opinion que la confédération
est nécessaire; mais il est prêt à entendre
les honorables députés de la gauche qui
paraissent devoir s'y opposer. Je sais que
quelques membres de cette Chambre et que
nombre de personnes du Haut-Canada et des
provinces maritimes sont d'opinion qu'une
union législative serait plus avantageuse
qu'une union fédérale. Je crois qu'il eut
été impossible à un seul gouvernement de
s'occuper utilement des intérêts privés et
locaux des diverses sections, ou des diverses
provinces. (Ecoutez! écoutez!) Nul autre
projet n'est possible que le système fédéral. Quelques-uns ont prétendu qu'il était
impossible de faire fonctionner la confédération, par suite des différences de race
et
de religion. Ceux qui partagent cette opinion
sont dans l'erreur; c est tout le contraire.
C'est précisément en conséquence de cette
variété de races, d'intérêts locaux, que le
système fédéral doit être établi et qu'il
fonctionnera bien. (Ecoutez! écoutez!)
Nous avons souvent lu dans quelques journaux (et des hommes publics le prétendent
aussi,) que c'est un grand malheur qu'il y
ait différence de race et distinction entre les
canadiens-français et les anglo-canadiens.
Je désire, sur ce point, revendiquer les droits
et les mérites de ceux qui appartiennent à
la race française. (Ecoutez! écoutez! Pour
cela il suffit de rappeler les efforts qu' ils ont
faits pour soutenir la puissance anglaise sur
ce continent, et de signaler leur attachement à
la couronne anglaise, dans des temps d'épreuve.
Nous connaissons tous l'histoire des circonstances qui ont amené des dificuités entre
l'Angleterre et ses colonies américaines, en
1775. Le Bas-Canada—ou plutôt la province de Quebec, car la colonie était alors
connue sous le nom du Canada, mais elle
était appelée province de Québec,—avait à
cette époque la population la plus dense de
toutes les colonies de l'Amérique du Nord.
Le Bas-Canada, comme de raison, était un
objet d'envie pour les autres colonies américaines, et de grands efforts furent faits
par
ceux qui avaient résolu de renverser le pouvoir britannique sur ce continent, pour
induire le Canada à s'allier à leur cause.
Le général WASHINGTON adressa une proclamation aux canadiens-français, les invitant
à abandonner le drapeau de leurs nouveaux maîtres, d'autant plus qu'ils n'avaient
rien à attendre de ceux qui différaient
avec eux de langage, de religion, de race
et de sympathie. Mais quelle a été alors
la conduite des franco-canadiens? Quelle
attitude prirent le clergé et les seigneurs?
Il est bon de rappeler ce chapitre de
notre histoire pour rendre justice à qui
elle est due. Les canadiens refusèrent de
se rendre à cet appel, qui avait pour but
le renversement complet du système monarchique en Amérique. (Ecoutez! écoutez!)
Il ne s'était encore écoulé que quelques
années depuis que la France avait cédé le
pays à l'Angleterre; mais durant ce court
intervalle, les canadiens avaient pu apprécier
leur nouvelle position, bien qu'ils eussent
encore à lutter et à se plaindre. Le peuple
avait compris qu'il valait mieux demeurer
sous la couronne de l'Angleterre protestante,
que devenir républicains. (Ecoutez! écoutez!) Mais ce n'est pas tout: lorsque les
américains ont envahi le pays, les canadiens
ont combattu contre les forces d'ARNOLD, de
MONTGOMERY et d'autres encore (Applaudissements.) On a essayé de créer des ennemis
à la confédération sous le prétexte
57
que, sous le régime d'une législature locale,
la minorité protestante anglaise serait maltraitée. Or, à en juger par le fait que
les
protestants anglais n'ont jamais eu à se
plaindre des franco-canadiens pendant qu'ils
ne comptaient que quelques centaines dans
le Bas-Canada, il n' est guère à présumer
qu'ils tenteront de les tyranniser maintenant
qu'ils sont beaucoup plus nombreux, et
dans le but de corroborer ce que j'avance, je
citerai l'ouvrage dont j'ai déjà parlé, car
c'est à cette époque que fut répandue dans
tous le pays la proclamation de WASHINGTON
par l'armée chargée de l'envahir et que
commandait ARNOLD:
"Nous nous réjouissons,"dit le général
WASHINGTON, dans sa proclamation adressée aux
bas-canadiens dans le but de les engager à se
joindre aux autres colonies, " de voir que nos
ennemis se sont trompés à votre égard,—eux qui
croyaient, qui avaient même osé dire, que les
canadiens étaient incapables de distinguer entre
les bienfaits de la liberté et l'esclavage qui avilit,
et qu'en flattant la vanité d'un petit cercle de
nobles, ils pouvaient en imposer au peuple du
Canada... ...Venez, frères, vous joindre à
nous dans une union indissoluble; venez, pour
que nous atteignons ensemble le même but...
Mu par ces motifs et encouragé par les conseils de
nombreux partisans que la liberté compte parmi
vous, le grand congrès américain a envoyé une
armée dans votre province commandée par le
général SCHUYLER, non pour vous combattre, mais
pour vous protéger et vous permettre d'agir selon
ces sentiments de liberté que vous avez manifestés
et que l'œuvre du despotisme voudrait faire disparaître du monde entier. Pour arriver
à ce résultat
et déjouer ces intentions cruellcs et perfides, dont
la conséquence serait l'envahissement de vos
frontières et l'égorgement des femmes et des
enfants, j'ai envoyé le colonel ARNOLD sur votre
territoire avec une partie de l'armée que je
commande. Je lui ai enjoint d'agir, et je suis
persuadé qu'il agira comme s'il se trouvait sur le
sol de ses pères et au milieu de ses amis les plus
chers. Il recevra avec reconnaissance et les
payera à leur valeur tous les articles nécessaires
que vous pourrez lui fournir ainsi que les autres
services que vous voudrez lui rendre. Je vous
prie donc, comme amis et comme frères, de lui
procurer tous les approvisionuements que peut
fournir votre pays et je me fais moi-même garant,
non pas seulement de votre sécurité, mais encore
d'une ample indemnité. Que personne ne déserte
ses foyers; que personne ne fuie comme devant
l'ennemi: la cause de l'Amérique et de la liberté
est celle de tout citoyen vertueux, quelque soit
sa religion ou sa race, la politique des colonies
confédérées ne visant à nulle autre destruction que
celle de l'esclavage et de la corruption créée par
une domination arbitraire. Venez, généreux citoyens; venez vous ranger sous le drapeau
de
la liberté, sous ce drapeau contre lequel ne prévaudront jamais la force et les artifices
de la
tyrannie."
On voit par cette proclamation que les
promesses et les offres les plus séduisantes
leur furent faites par le général républicain,
mais sans succès. L'histoire du peuple
franco-canadien renferme encore d'autres
traits analogues, car, en 1778, le comte
D'ESTAING lui fit parvenir la déclaration
suivante:—
"Je ne demanderai point aux compagnons
d'armes de M. le marquis de LÉVI; à ceux qui ont
partagé sa gloire, qui ont admiré ses talents, son
tact militaire, qui ont chéri sa cordialité et sa franchise, caractère principal de
notre noblesse, s'il
est d'autres noms, chez d'autres peuples, auprès
desquels ils aiment mieux voir placer les leurs.
Les canadiens qui ont vu tomber pour leur défense
le brave marquis de MONTCALM, pourraient-ils être
les ennemis de ses neveux, combattre contre leurs
anciens chefs, et s'armer contre leurs parents?
A leur nom seul, les armes leur tomberaient
des mains! Je n'observerai point aux ministres
des autels que leurs efforts évangéliques auront
besoin d'une protection particulière de la providence, pour que l'exemple ne diminue
point la
croyance, pour que l'intérêt temporel ne l'emporte
pas, pour que les ménagements politiques des
souverains, que la force leur a donnés, ne s'affaiblissent point à proportion de ce
qu'ils auront
moins à craindre; qu'il est nécessaire pour la
religion, que ceux qui la prêchent forment un
corps dans l'état, et qu'il n'y aurait point de corps
plus considéré ni qui eut plus de pouvoir de faire
le bien que celui des prêtres du Canada, prenant
part au gouvernement, parce que leur conduite
respectable leur a mérité la confiance du peuple.
Je ne ferai point remarquer à ce peuple, à tous
mes compatriotes en général, qu'une vaste
monarchie ayant la même religion, les mêmes
mœurs, la même langue, où l'on trouve des
parents, des anciens amis et des frères, est une
source intarissable de commerce et de richesses
plus faciles à acquérir par une réunion avec des
voisins puissants et plus sures qu'avec des
étrangers d'une autre hémisphère, chez qui tout
est dissemblable, et qui, tôt ou tard, souverains
jaloux et despotes, les traiteront comme des
vaincus, et plus mal, sans doute, que leurs ci- devant compatriotes qui les avaient
fait vaincre.
Je ne ferai point sentir à tout un peuple,—car
tout un peuple, quand il acquiert le droit de
penser et d'agir, connaît son intérêt,—que
se lier avec les Etats-Unis, c'est s'assurer son
bonheur, mais je déclarerai, comme je déclare
formellement au nom de Sa Majesté qui m'y
a autorisé et qui m'a ordonné de le faire, que tous
ses anciens sujets de l'Amérique Septentrionale
qui ne reconnaîtront plus la suprématie de
l'Angleterre, peuvent compter sur sa protection
et sur son appui. "
D'ESTAING en appela à leur origine, à
leurs préjugés; il invoqua les noms de LÉVI
et de MONTCALM, et chercha même à influencer le clergé. Ce fût peine perdue: les
franco-canadiens comprenaient trop bien leur
position; ils comprenaient de même que si
58
leurs institutions, leur langue et leur religion
leur étaient alors laissées intactes, ils le
devaient à leur adhésion à la couronne britannique. Si au contraire ils eussent accepté
les offres de WASHINGTON, il est probable
qu'il n'existerait aujourd'hui nul vestige de la
puissance anglaise sur ce continent; mais s'il
en eût été ainsi, eux aussi seraient disparus
comme franco-canadiens. (Ecoutez! écoutez!)
Ces faits historiques enseignent que le
franco-canadien et l'anglo-canadien devraient
éprouver l'un pour l'autre un sentiment de gratitude, ayant tous deux à se féliciter
de ce
que le Canada soit encore colonie anglaise.
(Ecoutez! écoutez!) Tout à l'heure, j'ai eu
occasion de mentionner le clergé franco- canadien au sujet de l'adresse du Comte
D'ESTAING, eh bien! je déclare ici, à son
honneur, que si le Canada fait actuellement
partie de l'empire britannique, c'est grâce à
la politique conservatrice de ce corps (applaudissements!) Ma joie est grande de pouvoir
ainsi trouver dans ces vieux documents des
preuves de l'honneur, de la loyauté et de la
libéralité du peuple franco-canadien! Je suis
aussi dénué de préjugés que n'importe quel
membre de cette chambre, mais quand je lis
ou que j'entends dire qu'il est à appréhender
qu'avec le système fédéral les canadiens- français seront trop puissants, et que la
prépondérance qui leur sera ainsi donnée sera
dirigée contre la minorité anglaise et protestante, je pense qu'un coup-d'œil jeté
sur
l'histoire de notre passé suffit pour mettre à
néant de pareilles insinuations. (Ecoutez!
écoutez!) C'est en 1778 que le comte
D'ESTAING fit sortir sa proclamation, laquelle
fut apportée et répandue maintes fois en
Canada par les soins de ROCHAMBEAU et
LAFAYETTE; mais ceux qui étaient alors les
chefs du peuple—le clergé et l'aristocracie—
jugèrent qu'il n'entrait pas dans leur intérêt
de confier leur sort à l'élément démocratique.—Ils savaient qu'au fond de la démocratie
est l'abîme. (Ecoutez! écoutez!)
Nous en sommes aujourd'hui à discuter
la question de la fédération des provinces de
l'Amérique Britannique du Nord, pendant
que la grande fédération des Etats-Unis s'est
rompue d'elle-même. Il y a une différence
marquée entre la conduite des deux peuples.
Les américains ont établi une fédération
dans le but de perpétuer la démocratie sur
ce continent; mais nous, qui avons eu l'avantage de voir le républicanisme à l'œuvre,
durant une période de 80 ans, de voir ses
défectuosités, nous avons pu nous convaincre
que les institutions purement démocratiques
ne peuvent produire la paix et la prospérité
des nations, et qu'il nous fallait en arriver à une
fédération pour perpétuer l'élément monarchique. La différence entre nos voisins et
nous, est celle-ci: dans notre fédération, le
principe monarchique en sera le principal
caractère, pendant que de l'autre côté de
la frontière le pouvoir qui domine est la
volonté de la foule, de la populace enfin.
Toute personne qui a pu converser avec
quelques hommes ou écrivains des Etats, a
invariablement vu de suite qu'ils admettent
que le gouvernement y est impuissant, par
suite de l'introduction du suffrage universel,
et que le pouvoir de la populace a conséquemment supplanté l'autorité légitime. Et
en ce moment nous sommes les témoins du
triste spectacle d'un pays déchiré par la
guerre civile dans laquelle nous voyons des
frères combattre contre des frères. La
question que nous devons nous faire est
celle-ci:—désirons-nous demeurer séparés—
désirons-nous conserver une existence simplement provinciale, lorsque, unis ensemble,
nous pourrions devenir une grande nation?
Il n'est pas une seule réunion de petits peuples
qui ait encore eu la bonne fortune de pouvoir
aspirer à la grandeur nationale avec tant de
facilité. Dans les siècles passés, des guerriers ont lutté pendant de longues années
pour ajouter à leur pays une simple province.
De nos jours, nous avons, pour exemple,
NAPOLÉON III qui, après une grande dépense d'argent et de sang, dans la guerre
d'Italie, a acquis la Savoie et Nice, ce qui a
donné une addition de près d'un million
d'habitants à la France. Et si quelqu'un
faisait en ce moment le calcul de la valeur
de l'acquisition d'un côté, et celui du coût
énorme de l'autre, nous verrions de suite la
grande disproportion qui se trouve entre l'un
et l'autre, et nous demeurerions convaincus
que le territoire acquis ne compense pas les
déboursés. Dans l'Amérique Britannique du
Nord, nous sommes cinq peuples différents,
habitant cinq provinces séparées. Nous avons
les mêmes intérêts commerciaux et le même
désir de vivre sous la couronne britannique.
Il n'est d'aucune utilité pour nous que le
Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Ecosse et
Terreneuve maintiennent leurs droits de
douane au détriment de notre commerce, de
même que nous maintenions les nôtres au
détriment du commerce de ces provinces.
Dans les temps anciens, la manière dont
se formaient les nations n'était pas la même
qu'aujourd'hui. Alors, un faible établissement se transformait en un village: ce village
59
devenait une ville, ou une cité: et là se
trouvait le noyau d'une nation. Il n'en est
pas ainsi dans les temps modernes. Les
nations sont formées maintenant par l'agglomération de divers peuples rassemblés par
les intérêts et les sympathies. Telle est notre
position, dans le moment actuel. Une objection a été suscitée au projet maintenant
sous
considération, à cause des mots " nouvelle
nationalité." Lorsque nous serons unis, si
toutefois nous le devenons, nous formerons
une nationalité politique indépendante de
l'origine nationale, ou de la religion d'aucun
individu. Il en est qui ont regretté qu'il y
eut diversité de races et qui ont exprimé
l'espoir que ce caractère distinctif disparaîtrait. L'idée de l'unité des races est
une
utopie; c'est une impossibilité. Une distinction de cette nature existera toujours,
de même
que la dissemblance paraît être dans l'ordre
du monde physique, moral et politique. Quant
à l'objection basée sur ce fait, qu'une grande
nation ne peut pas être formée . parce que le
Bas-Canada est en grande partie français et
catholique et que le Haut-Canada est anglais
et protestant, et que les provinces inférieures
sont mixtes, elle constitue, à mon avis, un
raisonnement futile à l'extrême. Prenons
pour exemple le royaume-uni, habité comme
il l'est, par trois grandes races. (Ecoutez!
écoutez!) La diversité de races a-t-elle mis
obstacle à la gloire, aux progrès, à la richesse
de l'Angleterre? Chacune d'elle n'a-t-elle
pas généreusement contribué à la grandeur
de l'empire? Les trois races réunies n'ont- elles pas par leurs talents combinés,
leur
énergie et leur courage, apporté chacune leur
quote-part aux gloires de l'empire, à ses
lois si sages, à ses succès sur terre, sur mer
et dans le commerce? (Applaudissements.)
Dans notre propre fédération, nous aurons
des catholiques et des protestants, des anglais, des français, des irlandais et des
écossais, et chacun, par ses efforts et ses
succès, ajoutera à la prospérité et à la gloire
de la nouvelle confédération. (Ecoutez!
écoutez!) Nous sommes de races différentes,
non pas pour nous faire la guerre, mais afin
de travailler conjointement à notre propre
bien-être. (Applaudissements.) Nous ne
pouvons, de par la loi, faire disparaître ces
différences de races, mais, j'en suis persuadé,
les anglo-canadiens et les français sauront
apprécier leur position les uns vis-à-vis les
autres. Placés les uns prés des autres,
comme de grandes familles, leur contact
produira un esprit d'émulation salutaire. La
diversité des races contribuera, croyons-le,
à la prospérité commune. La difficulté se
trouve dans la manière de rendre justice
aux minorités. Dans le Haut-Canada, les
catholiques se trouveront en minorité; dans
le Bas-Canada, les protestants seront en
minorité, pendant que les provinces maritimes sont divisées. Sous de telles circonstances,
quelqu'un pourra-t-il prétendre que
le gouvernement général, ou les gouvernements locaux, pourraient se rendre coupables
d'actes arbitraires? Quelle en serait la conséquence, même en supposant qu'un des
gouvernements locaux le tenterait?——des
mesures de ce genre seraient, à coup sûr,
censurées par la masse du peuple. Il n'y a
donc pas à craindre que l'on cherche jamais
à priver la minorité de ses droits. Sous le
système de fédération, qui laisse au gouvernement central le contrôle des grandes
questions d'intérêt général dans lesquelles
les différences de races n'ont rien à démêler,
les droits de race ou de religion ne pourront
pas être méconnus. Nous aurons un parlement général pour régler les matières de
défense, de tarif, d'accise, de travaux publics,
et tous les sujets qui absorbent les intérêts individuels. Maintenant, je demanderai
à ces défenseurs de nationalités qui m'ont
accusé de troquer 58 comtés du Bas-Canada
avec John Bull, mon collègue près de moi,
(l'hon. M. BROWN), comment ils peuvent
croire que des injustices puissent être faites
aux Canadiens-français par le gouvernement général? (Ecoutez! écoutez!) Je
dois aborder maintenant la question des
gouvernements locaux. Après les difficultés
que le pays a éprouvées dans le temps de M.
PAPINEAU au sujet de certaines lois liées
au commerce, je comprends facilement les
craintes que le projet de confédération peut
avoir inspirées à quelques anglais du Bas- Canada. Ces difficultés étaient grandes,
et
M. PAPINEAU, qui n'était pas versé dans
les affaires commerciales, ne comprenait pas
l'importance de semblables lois. Je pense
aussi que M. PAPINEAU était dans son droit
de lutter contre l'oligarchie alors au pouvoir;
mais je n'ai jamais approuvé l'attitude qu'il
prit à l'égard des affaires commerciales ni
son opposition à des mesures propres à
favoriser le progrès du pays. Mais ce fait
ne saurait servir d'objection au projet, d'autant plus que les affaires de commerce
seront
du ressort du gouvernement général. Il ne
saurait exister aucune grave raison de
craindre que la minorité aura à souffrir de
l'adoption de certaines lois concernant la
propriété. En supposant même que cela
60
arriverait, la constitution projetée nous offre
un remède. C'est peut-être parce que le
projet actuel est grand que ceux qui ne l'ont
pas étudié minutieusement en conçoivent
des craintes; mais quand nous en viendrons
à le discuter article par article, je serai prêt
à affirmer qu'aucun intérêt ne se trouvera en
quoique ce soit compromis, si la confédération
est adoptée. Il est une chose à remarquer,
c'est l'étrange manière avec laquelle les
partis extrêmes s'unissent et travaillent à
l'unisson pour faire avorter la confédération.
(Rires.) Par exemple, le parti qui composait
jadis ce qu'on appelait la queue de M. PAPINEAU, s'est joint à la queue de M. JOHN
DOUGALL, du Witness de Montréal. (Ecoutez! écoutez! acclamations et rires.
M. PERRAULT.—Et les membres du
clergé sont opposés au projet. (Ecoutez!
écoutez!)
L'
HON. Proc.-Gén. CARTIER.—L'hon.
député se trompe, le clergé l'appuie de son
influence, mais l'hon. membre pourra prendre
la parole après moi, s'il le désire. Je le répète,
ce projet est approuvé par tous les hommes
modérés. Les hommes des partis extrêmes,
les socialistes, les démocrates et les annexionnistes lui font la guerre. Les adversaires
canadiens-français de la confédération craignent, en apparence, que leurs droits religieux
ne soient en souffrance sous la nouvelle
constitution. Il est curieux de voir le célèbre Institut-Canadien de Montréal, qui
a
pour chef le citoyen BLANCHET, prendre la
religion sous sa protection. (Rires) M.
DOUGALL a proclamé bien haut que la minorité des anglais protestants serait à la merci
des canadiens-français. Je pense pourtant
que les craintes exprimées par les jeunes
gens du parti démocratique sur les dangers
que courront leur religion et leur nationalité devraient faire cesser les scrupules
et calmer les frayeurs de M. DOUGALL.
Le
True Witness, qui est aussi un des adversaires du projet, a dit que s'il était adopté,
les canadiens-français seraient anéantis, pendant que son confrère en violence, le
Witness,
a dit que ce seraient les protestants. (Ecoutez! et rires.) Je remarque qu'à une assemblée
récente qui a eu lieu à Montréal, M.
CHERRIER s'est enrôlé sous la bannière des
adversaires de la confédération. Ce respectable et pacifique vieillard a dit qu'il
était
sorti de son isolement politique pour s'opposer à la confédération. Tout ce que je
sais,
c'cst que je n'ai jamais connu M. CHERRIER
pour un homme politique d'une grande force.
Cependant, il paraît qu'il a quitté sa retraite
pour combattre ce projet monstrueux qui
tend à détruire la nationalité et la religion
des canadiens-français, projet qui a été
proposé par ce CARTIER, que Dieu confonde!
(Rires et acclamations.) On a fait allusion
à l'opinion du clergé. Eh bien! je dirai
que l'opinion du clergé est favorable à la
confédération. (Ecoutez! écoutez!) Ceux
qui sont élevés en dignité, comme ceux qui
occupent des positions humbles sont en
faveur de la confédération, non-seulement
parce qu'ils voient dans ce projet toute la
sécurité possible pour les institutions qu'ils
chérissent, mais aussi parce que leurs concitoyens protestants y trouveront des garanties
comme eux. Le clergé, en général, est ennemi
de toute dissension politique, et s'il est favorable au projet, c'est qu'il voit dans
la confédération une solution des difficultés qui
ont existé pendant si longtemps. L'alliance
d'adversaires aussi opposés en opinions que le
True Witness, M. DOUGALL du
Witness, et
les jeunes gens de l'Institut-Canadien, pour
résister à la nouvelle constitution, parce que
chaque parti prétend qu'elle produira des
résultats diamétralement opposés les uns
aux autres, doit être regardée comme l'un
des plus solides arguments que l'on puisse
produire en faveur de la confédération. (Ecoutez! écoutez!) De l'autre côté, nous
avons tous
les hommes modérés, tous les hommes respectables et intelligents, y compris les membres
du clergé, qui sont favorables à la confédération. (Ecoutez! écoutez! et oh! oh!)
Je
ne veux pas dire, assurément, que le projet
n'ait pas d'adversaires respectables; ce que
je veux dire, c'est que la nouvelle constitution
rencontre l'approbation générale de toutes
les classes que j'ai énumérées plus haut.
Je suis opposé au système démocratique qui
prévaut aux Etats-Unis. En ce pays, il
nous faut une forme distincte de gouvernement qui soit caractérisé par l'élément
monarchique. Quand nous serons confédérés, il n'y a pas de doute que notre
gouvernement sera plus imposant, qu'il aura
plus de prestige et commandera plus le
respect de nos voisins. (Ecoutez! écoutez!)
Le grand défaut aux Etats-Unis, c'est l'absence de quelqu'élément exécutif respectable.
Comment le chef du gouvernement
des Etats-Unis est-il choisi? Des candidats
se mettent sur les rangs, et chacun d'eux est
vilipendé, conspué par le parti opposé. L'un
d'eux triomphe et arrive au fauteuil présidentiel; mais même alors, il n'est pas
respecté par ceux qui ont combattu son
élection et qui ont essayé de le faire passer
61
pour l'homme le plus corrompu et le plus
méprisable qui existe au monde. Sous le
système anglais, les ministres peuvent être
censurés et insultés, mais les insultes n'atteignent jamais la souveraine. Que nous
ayons, comme chef suprême, un roi ou un vice- roi, quelque soit le nom que l'on donne
à
notre nouvelle organisation politique et
sociale,—nous n'en acquérerons pas moins
par le fait même de la confédération, un prestige
nouveau qui rehaussera grandement notre
crédit à l'étranger. Mon plus grand désir
serait de voir le principe de la confédération
adopté par cette chambre, et comme l'a si
bien dit mon honorable collègue, l'hon.
proc.-gén. MACDONALD, si nous perdons une
occasion aussi favorable pour opérer le règlement de cette question, qui sait si jamais
elle se présentera de nouveau? Nous savons
que l'approbation du gouvernement impérial
nous est assurée. Or, si le Canada adopte
ces résolutions, comme je n'en ai aucun
doute, et si les autres colonies suivent son
exemple, le gouvernement impérial va être
appelé à passer une mesure qui aura pour
effet de nous donner un gouvernement
central constitué sur des bases larges et
solides, et des gouvernements locaux auxquels sera confiée la sauvegarde des perpersonnes,
des propriétés et des droits civils
et religieux de toutes les classes de la société. (Acclamations prolongées.)
L'
HON. M. GALT—M. L'ORATEUR—
J'espère que la chambre voudra bien, en cette
occasion, m'accorder l'indulgence qu'elle m'a
déjà maintes fois témoignée lorsque j'ai parlé
sur des questions relatives aux intérêts commerciaux et financiers de la province.
J'ai
le désavantage de venir après les deux hons.
procureurs-généraux qui ont discuté d'une
manière aussi habile qu'éloquente les questions politiques et sociales comprises dans
le
grand projet de confédération des colonies
de l'Amérique Britannique du Nord. Les
intérêts matériels du pays, dont j'aurai spécialement à m'occuper ce soir, devront
être
nécessairement sauvegardés dans les changements que nous voulons opérer, mais
l'exposé que je veux faire pourra, je le
crains, fatiguer la chambre. Cependant, la
question dont il s'agit exige impérieusement
cet exposé! (Ecoutez!) J'ai toutefois un
avantage, c'est qu'en s'occupant des intérêts
commerciaux et financiers que les changements projetés peuvent affecter, la chambre
n'a pas à considérer le mode ou la forme de
gouvernement la plus avantageuse à ces
intérêts. Il importe peu, dans cet examen,
que la constitution du nouveau gouvernement soit législative ou fédérale dans ses
principes. Les questions que je vais aborder intéressent le public en général sans
distinction de croyance, de nationalité ou de
langue. Elles ont trait au commerce, aux
ressources et à l'état financier des diverses
provinces de l'Amérique Britannique du
Nord; elles embrassent de plus certains
points dont la solution satisfaisante devra
régler le vote définitif de cette chambre
sur le projet tout entier. Je diviserai
mes observations en cinq chefs principaux:
Premièrement.— Est-il de l'intérêt commercial et matériel des colonies de l'Amérique
Britannique du Nord, qu'elles soient unies?
Secondement.—Leur état financier est-il
dans les conditions nécessaires pour qu'une
telle union soit, en ce moment, praticable et
juste pour toutes?
Troisièmement.—La mesure proposée et les
moyens par lesquels cette union doit être
effectuée sont-ils équitables envers tous?
Quatrièmement.—A-t-on raison de croire
que si l'union a lieu, les mesures prises sont
de nature à satisfaire toutes les parties?
Cinquièmement.—Enfin, le système proposé pour le gouvernement des provinces-unies sera-t-il dispendieux
au point
que la population du Canada ne croie pas
avantageux de l'adopter? En traitant la
première question, savoir: Si les intérêts
des provinces gagneront à l'union, je soumettrai à la chambre quelques observations
sur les ressources matérielles de l'Amérique
Britannique du Nord. Dans les fertiles
terres à blé de l'ouest, nous possédons, peutêtre, un des plus beaux pays agricoles
du
monde; nous possédons dans le Canada Est
et dans le Canada Central, des facilités pour
les industries manufacturières, qui ne sont
inférieures à aucune dans tout le monde,
pendant que les provinces maritimes possèdent en abondance le plus précieux des minéraux,
le charbon, et les pêcheries les plus
magnifiques et les plus riches de l'univers,
s'étendant, à travers notre territoire, sur un
parcours de deux mille milles en suivant le
plus beau fleuve navigable du monde. Nous
pouvons donc espérer l'extension la plus
considérable du commerce du Canada, mais
la possession des ports de l'Atlantique est un
gage que nous y verrons un jour des cités
marchandes aussi considérables que les principales villes de l'union américaine. (Ecoutez!)
Mais ce n'est pas tant la grande étendue d'un
pays qui fait sa force et son importance
réelles que la diversité des intérêts qui
62
peuvent s'y développer. C'est la variété des
ressources qui le met à l'abri des cruels
revers auxquels est sujet tout pays dont la
prospérité dépend d'un seul genre d'industrie. J'en citerai un exemple remarquable.
Il y a quelques années, personne n'aurait
pensé que l'Angleterre eût été tout-à- coup privée de son approvisionnement de
coton sans voir, du même coup, tout son
système d'industrie commerciale anéanti et
sa population réduite à la plus profonde
misère. Si l'Angleterre n'avait compté
seulement que sur ses manufactures de coton,
la guerre américaine aurait presque détruit
son commerce. Nous voyons, cependant,
que quoique la guerre ait interrompu le grand
commerce du coton et que des centaines de
mille ouvriers aient été laissés sans emploi,
la diversité des intérêts était si grande que
le peuple en détresse trouva d'autres industries; et nous pouvons féliciter l'Angleterre
de ce que la crise produite par le défaut de
coton n'a pas pesé plus longtemps sur ses manufactures et de ce que le commerce et
l'in
dustrie de l'empire n'ont jamais été plus prospères qu'en ce moment. [Applaudissements.]
Nous devons donc nous réjouir dès l'abord
de ce que, dans l'union projetée des provinces
de l'Amérique Britannique du Nord, nous
trouverons une sauvegarde contre les revers
providentiels auxquels nous resterons exposés
tant que nous n'aurons qu'une branche
d'industrie, je veux dire l'agriculture. (Applaudissements.) Les ressources de ces
grandes colonies et l'étendue du développement que l'intelligence et l'activité de
leurs
populations leur a donné sont indiquées
d'une manière significative par les tableaux
du commerce et de la navigation publiés
jusqu'à ce jour. Je crains de fatiguer la
chambre en m'étendant trop sur les faits
qu'ils révèlent, mais, pour bien poser la
question de l'union devant cette chambre et
le pays, je dois jeter un coup-d'œil sur la
position actuelle du commerce de chacune
des provinces qui doivent entrer dans l'union.
Pour ce qui est du commerce de ce pays,
j'ai pris les rapports de 1863. Les rapports
du commerce du Canada, pour cette année,
en y prenant les exportations et les importations conjointement, démontrent un total
de
$87,795,000. D'après le recensement de
1861, ce commerce représente $35 par
individu. La valeur des importations et des
exportations du Nouveau- Brunswick, pour
la même année, a atteint $16,729,680, formant $66 par individu de sa population. Le
commerce total de la Nouvelle-Ecosse, pour
la même période, se monte à $18,622,359,
ou $56 par individu. Dans l'Ile du Prince- Edouard, le commerce d'importation et
d'exportation s'est élevé à 3,055,568,
représentant $37 par individu sur la population de cette île. La valeur du commerce
total de Terreneuve est de $11,245,032, ou
$86 par individu. Tous ces chiffres réunis
donnent pour le commerce de toutes les provinces, un total de $l37,447,567. (Ecoutez!
écoutez!) Malgré le très-grand montant
représenté par le commerce du Canada, le
chiffre élevé de sa population fait que quand
ce montant est réparti par individu, il se
trouve au dessous du prorata de la Nouvelle- Ecosse et du Nouveau-Brunswick, et ne
forme qu'un peu plus de la moitié du montant imposé à chaque individu de la population
du Nouveau-Brunswick et pas plus des
deux tiers de celui de la Nouvelle-Ecosse.
Toutes les statistiques auxquelles j'ai eu
accès, démontrent que la position commerciale et financière de nos sœurs colonies
fait
qu'elles pourraient rechercher, avec honneur,
des alliances partout; et on ne peut pas dire
qu'en recherchant, ou en consentant à une
alliance avec le Canada, elles ont pu avoir
des vues locales, ou égoïstes. (Ecoutez!
écoutez!) Passant à une autre question,
je parlerai de la construction des navires
dans les colonies d'après les rapports de
1863. Durant cette année, il y a été construit 645 navires, représentant 219,763
tonneaux. Ce tonnage énorme est la meilleure preuve que nous pouvons devenir un
jour une puissance maritime importante.
Ces chiffres représentent une valeur d'exportation de près de neuf millions de piastres.
Le tonnage des navires du Canada, y compris la navigation des lacs, se monte à
neuf millions de tonneaux; toutefois, une
portion considérable de ce tonnage appartient aux caboteurs qui souvent font des
voyages d'aller et retour en un seul
jour. J'aime à dire que le commerce entre
le Canada et les Etats-Unis fait valoir une
grande partie du tonnage des lacs qui se
monte à 6,907,000 tonneaux. Je ne puis
classer dans la même catégorie les navires
qui arrivent à Québec et à Montréal et qui
ne font que deux ou trois voyages par
année. Le tonnage des navires de long cours
représente en Canada, 2,133,000 tonneaux;
au Nouveau-Brunswick, 1,386,000 tonneaux; à la Nouvelle-Ecosse, 1,432 000
tonneaux. En somme, le tonnage de long
cours est aujourd'hui, sauf une faible déduction, de cinq millions de tonneaux, dont
63
2,188,000 tonneaux appartiennent aux navires qui font voile entre le St. Laurent et
les ports étrangers. En faisant cet exposé,
je dois représenter à la chambre que certaines portions de notre commerce ne seront
plus représentées dans les tableaux que je
viens de citer lorsque l'union projetée sera
devenue un fait. Aujourd'hui, le commerce
entre les différentes colonies est porté au
titre: " importations et exportations." Je
verrai avec plaisir sur ce point une diminution des chiffres que je viens de donner.
Nous avons tous regretté que le commerce
entre des colonies reconnaissant le même
souverain et reliées au même empire, ait
jusqu'à ce jour été si peu considérable; je
puis même dire que le commerce intercolonial n'a qu'une valeur insignifiante. Nous
nous préoccupons beaucoup plus du commerce avec les Etats voisins que de l'échange
de nos produits entre nous, échange
qui aurait pour effet de retenir chez nous
les capitaux qui en découlent. Des tarifs
prohibitifs ont entravé le libre échange
des produits coloniaux, et un des avantages les plus grands et les plus immédiats
qui devra naître de cette union, sera le
renversement de ces barrières et l'ouverture du marché de chacune des colonies
aux produits de l'industrie de toutes les
autres. (Ecoutez!) Par exemple, nous
pouvons espérer de fournir un jour à Terreneuve et aux vastes pêcheries du golfe les
produits agricoles du Canada-Ouest,—d'aller
chercher notre appovisionnement de charbon à la Nouvelle-Ecosse, et de voir s'ouvrir
à l'industrie manufacturière du Bas-Canada
des débouchés aux articles que l'étranger
seul nous achète. Terreneuve ne donne
aucun produit agricole et ne fabrique presqu'aucun article d'habillement, nous pouvons
donc, de ce côté, espérer un grand trafic
dans lequel les paiements ne seront plus
effectués par l'entremise des courtiers de la
rue des Lombards, mais par nos propres
banquiers à Montréal ou ailleurs. Si nous
voulons un exemple des avantages du libre
échange, il nous suffit d'étudier les effets du
traité de réciprocité avec les Etats-Unis.
Dans l'espace d'un an à peine, après la mise
en force du traité, notre commerce de productions indigèncs s'éleva de $2,000,000
à
plus de $20,000,000 par an. Aujourd'hui,
nous sommes menacés de voir s'interrompre
ce commerce; nous avons lieu de croire que
l'action des Etats-Unis sera hostile à la continuation du libre échange commercial
avec nous; nous savons que la considération
des avantages du traité pour les deux parties
contractantes n'est pas ce qui guide aujourd'hui les hommes politiques des Etats-Unis,
mais qu'ils cèdent, sans s'en apercevoir, à
l'irritation produite chez eux par de tristes
événements. . .. . . C'est évidemment un devoir
pour nous de chercher d'autres débouchés
pour nos produits. Une porte nous est fermée il faut en ouvrir une autre; nous devons
nous répandre dans une autre direction, et,
en établissant la liberté de commerce avec nos
co-sujets, former des relations dont la stabilité
ne sera pas à la merci de tout pays étranger.
Ainsi donc, sur cette question, on peut
en venir à la conclusion que l'union
entre ces colonies est également demandée
par leur ressources immenses et la situation
particulière qu'elles occupent les unes vis-à- vis des autres, à l'égard de la Grande-Bretagne
et des Etats-Unis. Toutes ces questions sont du ressort du gouvernement général ainsi
qu'il est exprimé dans les résolutions
déposées devant la chambre, et quelles que
craintes que l'on ait sur les détails de l'organisation du nouveau régime, personne
ne
peut douter que nos grands intérêts de commerce et de navigation ne reçoivent une
impulsion plus considérable d'un pouvoir
central qui devra les exploiter dans un but
d'utilité générale. [Ecoutez! écoutez!] Je
passe maintenant, M. l'Orateur, à la seconde
et je puis dire à la troisième division de mon
sujet, à savoir si la condition matérielle de
ces provinces justifie leur union et si les
détails de la mesure projetée sont équitables
pour toutes. Pour bien apprécier cette
question il est nécessaire d'entrer dans l'examen du passif de chaque province, les
raisons
de leur dette et les motifs pour lesquels elles
ont été encourues. La chambre se convaincra, par ce moyen, que la même pensée a
inspiré la politique de toutes les provinces,
ou pour être plus exact, celle du Canada, du
Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse.
La dette publique de toutes, à de légères
exceptions près, a été encourue pour améliorations publiques, tendant à développer
leurs
ressources, à attirer l'immigration et les
capitaux chez elles, à faciliter l'écoulement
des produits de leurs terres vers les marchés,
et à réduire le prix du fret sur les articles de
première nécessité. Il est donc impossible
de n'être pas frappé de la relation intime
que ces travaux publics ont entre eux—relation qui demontre d'une façon bien évidente
combien il existe déjà une union naturelle
entre toutes ces provinces. On ne peut
songer un instant aux améliorations publi
64
ques du Canada, à ses grands canaux destinés à attirer vers le St. Laurent les produits
des territoires baignés par les grands lacs de
l'Ouest; au réseau de chemin de fer que la
concurrence avec les voies de communication
américaines nous ont forcé de construire et
qui couvre l'ouest et l'est de la province,—
en même temps qu'aux travaux publics
exécutés par le Nouveau-Brunswick et la
Nouvelle-Ecosse, sans être convaincu des
rapports mutuels de ces grandes améliorations
entre elles et sans être frappé de l'unité
qui résulte de leur ensemble. En effet,
c'est par le St. Laurent que les provinces
maritimes enverront leur poisson, leurs
huiles et autres produits vers l'ouest, comme
c'est aussi par nos canaux qu'elles importeront
ce qui leur sera nécessaire de l'ouest. Un
courant extraordinaire et non interrompu de
commerce circulera à travers tous ces
canaux, le fleuve St. Laurent ainsi que
tous les chemins de fer de toutes ces provinces
lorsqu'elles seront unies, et enrichira sur son
passage non seulement les villes du Canada,
mais grossira encore celui qu'on doit s'attendre à voir naître dans les ports atlantiques
toujours ouverts de St. Jean et
d'Halifax. [Ecoutez! écoutez!] Je vais
maintenant donner à la chambre l'état des
dettes de chaque province en commençant
par le Canada. Notre dette totale, à part le
fonds des écoles communes qui ne forme
pas à proprement parler une partie de nos
engagements vis-à-vis des provinces d'enbas, s'élève à $67,263,995; celle de la Nouvelle-Ecosse
à $4,858,547, et celle du Nouveau-Brunswick à $5,702,991. Quant aux
dettes de ces deux provinces, j'ajouterai
qu'une partie de celle de la Nouvelle-Ecosse
consiste en bons du trésor au chiffre d'environ un demi-million de piastres, et qu'avec
le Nouveau-Brunswick elle a gardé entre les
mains du gouvernement tous les dépôts faits
par la population aux banques d'épargne, ce
qui représente un chiffre de $1,167,000 de
leur dette ci-dessus. C'est pourquoi le taux
d'intérêt payé par ces deux colonies pour
leur dette publique est loin d'être aussi élevé
que celui du Canada. Terreneuve n'est
endettée que de $946,000, portant intérêt à
5 %, et l'Ile du Prince Edouard de $240,673. La dette publique de ces provinces est
donc de $11,748,211, dont
l'intérêt à payer se trouve réduit par le
bénéfice net que les provinces retiraient des
chemins de fer qui chez elles leur appartiennent tous et qui ont produit l'année dernière
environ $100,000. A part ces dettes,
la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick,
ont encore certains engagements qu'elles ont
contractés pour l'extension future de leurs
systèmes de chemin de fer et qui s'élèvent à
$3,000,000 pour la Nouvelle-Ecosse, et à
$1,300,000 pour le Nouveau-Brunswick.
Il doit paraître évident à la chambre qu'en
contractant l'union projetée, il faut nécessairement trouver des basses communes pour
effectuer la confédération entre toutes les
provinces. C'est pourquoi, prenant toutes
les dettes présentes et futures de la Nouvelle- Ecosse et du Nouveau-Brunswick, on
est
arrivé à établir que proportionnellement à la
population elles s'élevaient à environ $25
par tête, laquelle moyenne nous permettait
d'entrer dans la confédération avec une dette
de $62,500,000. Nul doute qu'on aurait
éprouvé des difficultés à réduire notre dette
à ce chiffre si l'on ne s'était pas aperçu,
après examen, qu'une partie considérable se
trouvait affectée à des avances spéciales, et
telles que le fonds d'emprunt municipal, et
lesquelles n'appartiennent pas, à proprement
parler, à la même catégorie de dettes que
celles qui ont été contractées pour notre
système de travaux publics dont la régie
devra être prise par le gouvernement général,
mais ont un caractère particulièrement local
et devront ce semble tomber dans le domaine
de la législature locale. C'est pourquoi on
verra que les résolutions pourvoient que le
Canada aura le droit, lorsque, en dehors
du gouvernement général, il prendra pour
lui ce surplus d'environ cinq millions,
de retirer de l'actif général tous les
items d'un caractère local pour lesquels le
pays s'était endetté. Sans cela, il eut été
nécessaire de permettre à toutes les provinces
d'élever leur dette au-delà du chiffre auquel
leurs législatures avaient eu jusqu'ici à
pourvoir, d'apporter dans la confédération un
passif beaucoup plus considérable que celui
qu'elles auront maintenant, et de se livrer
aux dépenses et aux extravagances qui en
auraient été les suites. On a donc agi sagement en bornant les obligations du gouvernement
général simplement aux dettes
encourues pour améliorations publiques, et
en imputant le surplus à cette province,
ainsi que l'actif qui se rapporte à ce surplus.
L'
HON. A. A. DORION.—Le chiffre
de $67,263,995 auquel on porte la dette du
Canada, couvre-t-il la première indemnité
seigneuriale accordée au Haut et au Bas- Canada sous l'acte de 1854?
L'
HON. M. GALT.—Oui, ce montant
couvre l'indemnité en question, et au nombre
65
des arrangements que le gouvernement a en
vue supposant toujours que la confédération
ait lieu, il se propose de soumettre à la considération de cette chambre un projet
tendant
à faire assumer au Bas-Canada l'indemnité seigneuriale réglée par l'acte de 1859;
l'effet de
ce projet sera de rendre inutile l'obligation de
donner une indemnité équivalente au Haut- Canada, ce qui opérera une économie de près
de
$3,000,000. [Ecoutez! écoutez!] Je désire
de nouveau, M. l'Orateur, m'occuper de la
position des provinces maritimes et attirer
l'attention de la chambre sur le fait que les
dettes de Terreneuve et de l'Ile du Prince- Edouard sont beaucoup moins élevées, quant
au chiffre de la population, que celles des
trois autres plus grandes colonies; dans le
but de leur permettre de faire partie de
l'union à des conditions équitables, il était
nécessaire de leur assurer qu'elles recevaient
du trésor public, une somme égale à l'intérêt
de la dette qu'elles avaient été obligées de
contracter. Par ce moyen l'on garantissait,
pour ainsi dire, le maintien de leurs gouvernements locaux, tout en faisant en même
temps disparaître un grief qui par la suite
aurait pu être un sujet de plainte. [ Ecoutez!
écoutez! ] Il est maintenant de mon devoir
de soumettre à la chambre un aperçu des
ressources que les différentes provinces peuvent apporter au fonds commun, et je suis
en
mesure d'ajouter, que dans le but de pouvoir
plus facilement vérifier l'exactitude de cet
aperçu, j'ai pris pour base de mes calculs,
les rapports publiés sur les finances de 1863.
De l'étude de ces documents, il ressort que
les revenus et les dépenses des différentes
provinces pouvaient, cette année-là, se décomposer comme suit:—La Nouvelle-Ecosse,
avec une population de 338,857, avait
des revenus de $1,185,629 et des dépenses
s'élevant à $1,072,274; le Nouveau-Brunswick, avec une population de 252,047, avait
des revenus de $894,836 et des dépenses
s'élevant à $884,613; Terreneuve, avec une
population de 130, 000 avait des revenus
de $480,000 et des dépenses s'élevant à
$479,420; l'Ile du Prince-Edouard, avec
une population de 80,000, avait des revenus
de $197,384 et des dépenses s'élevant à
$171,718. Le revenu total de toutes ces
colonies se montait à $2,763,004, et la dépense totale à $2,608,025—l'excédant réuni
sur les dépenses de 1863, étant de $154,979.
L'on pourra remarquer en ce qui concerne
ces provinces, que leurs revenus et dépenses
sont tels qu'ils étaient en position de
pouvoir faire partie de la confédération,
dans une situation financière nullement inférieure à celle du Canada. Si l'on prenait
objection à une province, en particulier,
sur le principe de sa situation financière, la
première à coup sûr serait le Canada. Les
provinces maritimes ont été et sont actuellement en position de faire face, au moyen
de
leurs taxes, à toutes leurs dépenses, et ne
peuvent être considérées comme apportant aucun fardeau au peuple du Canada.
Il devient inutile que je parle en cette occasion de la situation financière du Canada
en
1863, mais je ne doute pas que la chambre
apprendra avec un vif plaisir que le déficit,
qui malheureusement existait cette année-là,
a été comblé en 1864, et que, conséquemment,
nous ne nous verrons pas dans la dure
nécessité d'occuper dans la confédération une
position inférieure, sous ce rapport, à celle
de nos sœurs colonies. (Ecoutez! écoutez!)
Les revenus de ces provinces, chacun le sait,
sont perçus sous l'opération de différents
systèmes de taxation identiques à l'industrie
et aux besoins locaux des diverses populations
qui les habitent. Il est donc évident que
l'un des premiers devoirs de la législature
générale sera de faire une étude des systèmes
aux moyens desquels le fardeau de la taxe
pourra être le plus facilement supporté par
l'industrie du pays entier, et d'assimiler les
sources si variées du revenu pour que le
peuple puisse en retirer la plus grande somme
de profit possible. Il serait tout-à-fait en
dehors de mon domaine, M. l'Orateur, d'essayer en cette occasion à démontrer qu'elle
sera la politique du gouvernement général,
mais il est un fait évident pour tous, c'est
que si la taxe est à peu près égale, par tête,
il est impossible que dans sa répartition elle
soit entachée d'injustice à l'égard de la
population d'aucune des différentes provinces. D'un côté il sera possible de diminuer
le tarif de nos douanes, et, de l'autre,
certaines branches de notre commerce pourront être dégrevées des exactions auxquelles
elles sont aujourd'hui assujéties. Indépendamment des avantages qui découleront naturellement
de la liberté de commerce qui existera à l'avenir entre nous, les membres de cette
chambre doivent être convaincus que le
crédit de chacune des provinces recevra un
nouvel essort par le fait de la fusion de
leurs ressources. Le créancier public pourra,
comme garantie, compter sur un coffre
public mieux rempli, des industries sur une
plus large échelle se verront soumises à
l'action de la législature pour le maintien de
notre crédit, et nous ne tarderons pas non
66
plus à constater le fait rassurant que les
appréhensions qui ont tout récemment
manqué de compromettre l'équilibre commercial de ce pays ont cédé le pas à un
état de choses plus encourageant. (Ecoutez!
écoutez!) Ce fait est d'autant plus évident,
qu'il est avéré par la fluctuation des effets de
ces provinces sur le marché anglais, que la
crainte de la guerre avec les Etats-Unis, qui
a tant contribué à la baisse des bons du
Canada n'a pas eu une tendance aussi marquée sur ceux du Nouveau-Brunswick et de
la Nouvelle-Ecosse; nous pouvons donc
espérer que l'union, tout en nous fournissant
des ressources plus considérables, amènera à
sa suite une sécurité plus complète. [Ecoutez! écoutez.] Je vais maintenant examiner
si le système des gouvernements généraux
et locaux que l'on propose, sera avantageux
aux intérêts auxquels je viens de faire
allusion. Ceci me conduit à la considération
des moyens qui seront mis à la disposition
des gouvernements généraux et locaux. L'on
devra admettre, qu'ayant en ses propres
mains la faculté d'imposer des taxes, ce sera
la faute de la législature générale si le gouvernement fédéral éprouve de l'embarras
à
faire face à ses dépenses. Avant, néanmoins,
que de passer à la considération des moyens
à la disposition du gouvernement local, je
saisirai cette occasion pour répondre aux
observations faites par l'hon. député d'Hochelaga, au sujet du droit d'exportation
sur les bois dans le Nouveau-Brunswick
et des droits régaliens [
royalty] sur les
produits miniers de la Nouvelle-Ecosse.
Cette nécessité provient du fait que dans
la première de ces provinces l'on a constaté
qu'il était très coûteux et très difficile de
prélever des droits sur les bois dans la forêt
même, et l'on a, en conséquence, adopté le
plan de les faire payer sous forme de droits
d'exportation, lors de l'acquit des navires à
la douane. Conséquemment, si l'on avait
omis d'assurer au Nouveau-Brunswick le
moyen de réaliser le paiement de ces droits,
cette province aurait été privée de la somme
considérable que ses bois fournissent au revenu, et la législature générale tenue
d'augmenter l'octroi destiné à cette province d'un
montant égal à ces droits, c'est-à-dire environ
$90,000 par année. Quant à la Nouvelle- Ecosse qui possède une bien faible étendue
de terres publiques, et où les bois sont très- rares, son revenu territorial provient
presqu'exclusivement de ses mines, et est perçu
sous forme de droits régaliens. Ses délégués
à la conférence exposèrent que si le gouver
nement général avait l'intention d'imposer
un droit d'exportation sur ses charbons, ce
serait l'obliger virtuellement ou d'abandonner les droits régaliens qui constituent
aujourd'hui une source considérable de ses
revenus, ou la condamner à se placer dans
une position des plus désavantageuses pour
soutenir la concurrence sur les marchés
américains. Telles sont les raisons pour
lesquelles il a été fait en faveur de ces
deux provinces l'exception à laquelle l'hon.
député a bien voulu faire allusion. (Ecoutez!
écoutez!) A Terreneuve, il a été conclu un
arrangement à la suite duquel tous les droits
territoriaux de cette colonie ont été cédés au
gouvernement général, et lorsque je parlerai
des moyens propres à soutenir le gouvernement local de cette colonie, je prendrai
occasion d'expliquer la manière en laquelle
et la raison pour laquelle ces droits ont été
cédés. (Ecoutez!) Je vais maintenant, M.
l'0RATEUR, revenir à la question des moyens
qui seront mis à la disposition des différents
gouvernements locaux pour leur permettre
d'administrer les affaires publiques qui leur
seront confiées. Il est évident qu'à moins
que les arrangements à prendre ne soient
assis sur des bases larges et solides, il y aura
grand danger que le mécanisme destiné à
faire face aux besoins locaux du peuple, en
devenant impuissant dans son œuvre, ne porte
les habitants des localités respectives à se
plaindre et ne compromettre sérieusement la
vitalité même du gouvernement. (Ecoutez!
écoutez!) Le Canada, ne l'oublions pas, devra
assumer le paiement de près de cinq millions
de la dette publique répartie entre le Haut
et le Bas- Canada. Plus tard, la chambre
aura à décider dans quelle proportion cette
somme sera distribuée, mais la probabilité
est que le gouvernement recommandera
qu'elle le soit sur la base de la population.
(Ecoutez! écoutez!) L'on devra se rappeler
que le Canada aura à sa disposition un
montant considérable de l'actif local, y
compris en particulier les sommes dues au
fonds d'emprunt municipal, dont les revenus
seront appliqués au soutien de ses institutions locales. Sous forme de règlement de
compte entre le Haut et le Bas-Canada et
le gouvernement général, les deux sections
de la province seront tenues au paiement de
l'intérêt sur leurs parts respectives des cinq
millions, à déduire de la subvention que l'on
propose de leur donner, tandis qu'elles percevront elles-mêmes, des municipalités
et des
autres sources locales, tous les revenus et
tous les montants qui aujourd'hui font partie
67
du revenu général de la province du Canada.
La question de subdiviser l'actif local
du Canada ne doit cependant pas occuper la
chambre en ce moment. Ce que nous avons
à considérer actuellement est de savoir si la
convention entre le Canada et les provinces
maritimes doit être consommée. Si elle doit
l'être, alors surgit cette question: " Comment
règlerons nous les affaires locales entre le
Haut et le Bas-Canada?"; une proposition
vous sera soumise qui, je l'espère, satisfaira
les deux sections tout en leur rendant justice.
L'
HON. A. A. DORION.—Le Bas-Canada
devra donc assumer le fonds d'emprunt municipal, l'indemnité seigneuriale et la subvention
scolaire?
L'
HON. M. GALT.—Je le répète, quelque
soit l'opinion du gouvernement au sujet de
la répartition des obligations existantes entre
le Haut et le Bas-Canada, la chambre pourra
en ce cas apporter toutes les modifications
qu'elle jugera à propos vu qu'il ne s'agit ici
que d'un arrangement local, qui ne concerne
en rien la convention passée avec les autres
provinces; mais je dois insister, en ce qui
se rattache à la première indemnité seigneuriale, ainsi qu'au fonds d'emprunt municipal,
sur le fait que ces deux items sont
compris dans les soixante-sept millions auxquels, comme il a déjà été dit, se montent
les obligations du Canada, et que conséquemment ils ne sauraient être imputés
au Bas-Canada. (Ecoutez! écoutez!) Il
est de fait qu'en ce qui concerne le fonds
d'emprunt municipal, au lieu de le porter au
passif, il appert que les sommes payées sous
ce chapitre doivent être, au point de vue
sous lequel j'envisage actuellement la question, considérées comme actif, parceque
nous sommes en ce moment occupés à examiner les sommes que le Bas-Canada reçoit
comme actif; or, comme le fonds d'emprunt
municipal est compris sous ce chapitre,
les sommes qui sont dues à ce fonds en vertu
des arrangements en existence seront payables à titre d'actif à cette section de la
province. (Ecoutez!) L'on ne manquera
pas d'observer que dans le projet sous considération certaines sources du revenu local,
provenant du domaine territorial, des terres,
des mines, etc., sont réservées aux gouvernements locaux. Le Canada devra retirer
une
somme considérable de ces sources, mais il
pourra peut-être arriver que certaines d'entre
elles, tel que le fonds d'emprunt municipal,
finiront par s'épuiser dans le cours du temps.
Nous pouvons, néanmoins, placer une juste
confiance dans le développement de nos ressources, et nous bercer de l'espoir que
nous
trouverons dans notre domaine territorial,
dans nos mines si précieuses ainsi que dans
nos terres si fertiles, des sources nouvelles
de revenu qui feront plus que balancer les
exigences du service public. Si cependant
il arrivait que les revenus locaux fussent
insuffisants, il deviendrait alors nécessaire
aux gouvernements locaux de recourir à la
taxe directe; et je n'hésite pas à déclarer
que l'une des plus sages dispositions de la
nouvelle constitution,——et celle qui offre la garantie la plus solide que le peuple
suivra
de près ses propres affaires, et verra à ce
que ceux auxquels il a confié ses intérêts ne
se montrent pas prodigues des deniers
publics,—se trouve dans le fait que les gouvernants, quand ils se verront forcés d'imposer
la taxe directe, sentiront qu'ils prennent
sur eux une bien grave responsabilité et que
les gouvernés leur en tiendront un compte
bien sévère. (Ecoutez! Ecoutez!) Si les
hommes au pouvoir voient qu'ils sont obligés
de recourir à l'impôt direct pour obtenir les
fonds nécessaires à l'administration des
affaires locales, —administration à laquelle le
projet pourvoit abondamment,—ils y regarront deux fois avant de faire des dépenses
extravagantes. Je n'hésite nullement à
affirmer que si les hommes publics de ces
provinces sont suflisarmnent instruits pour
comprendre leurs propres intérêts selon les
véritables principes de l'économie politique,
ils reconnaîtront qu'il est plus avantageux
de substituer l'impôt direct à quelques-uns
des droits indirects imposés jusqu' ici sur
l'industrie du peuple. (Ecoutez! écoutez!)
Je ne crois pas, cependant, que cette modification serait aujourd'hui possible; je
ne
pense pas non plus que le peuple de ce pays
tolérerait un gouvernement qui adopterait
cette mesure, excepté dans le cas où il y
serait contraint par une absolue nécessité,
comme celle, par exemple, de recourir à des
moyens extraordinaires pour obvier aux
dangers dont la paix, le bonheur et la prospérité du pays pourraient être menacés,
et qui, en un mot, seraient le fait de
quelques unes de ces puissantes causes
de bouleversement qui sont le prélude
ordinaire des grands changements financiers. (Ecoutez! écoutez!) Pour les quatre
dernières années, la moyenne du revenu
local du Haut-Canada a été de $739,000;
celui du Bas-Canada, de $557,239. Les
deux réunis s'élèvent à près de $1,300,000, indépendamment des 80 centins par
tête que l'on prendra de la caisse générale
68
pour faire face aux dépenses des gouvernements locaux. Dans ces dépenses ne seront
pas compris les frais de l'administration de
la justice, le budget de l'enseignement, ni la
subvention des sociétés littéraires et scientifiques, des hôpitaux et institutions
de charité, ni non plus les autres dépenses qui
ne peuvent être regardées comme du
ressort du gouvernement général. La totalité des dépenses pendant les quatre dernières
années—celles du gouvernement local
et de la législation exceptées—s'est élevée en
moyenne à $997,000 par année, pour le Bas- Canada, et à $1,024,622 pour le Haut. A
ces sommes, nous avons à ajouter celles
qu'il faudra pour subvenir aux dépenses du
gouvernement civil du pays et de la législation pour les fins locales. Il se peut
qu'il
soit difficile de faire une estimation exacte
des sommes requises à cette fin, mais quand
la chambre verra, d'après les états de la
dépense durant les quatre dernières années,
que le revenu de toute la province du Canada permettra de disposer d'au moins
$1,048,015, il faudra admettre, je pense,
qu'il y aura eu gaspillage si celles portées
au compte des affaires de l'administration locale
du Haut et du Bas-Canada excédent ce
montant, et à un tel état de choses le peuple
saura trouver un prompt remède [Ecoutez!
écoutez!] Quant aux provinces maritimes, on
a demandé à leurs délégués, à la conférence,
quelles réductions elles feraient dans les
dépenses actuelles de leurs gouvernements
respectifs, et les chiffres que je vais donner
auront l'effet de causer un sentiment de
satisfaction, car ils indiquent que ces colonies sont disposées à réduire la somme
de leurs budgets autant que possible. Pour
la Nouvelle-Ecosse, les dépenses faites en
1864 pour des objets d'un caractère local,
sont estimées à $667,000. Partie de cette
dépense était pour des services qu'il ne sera
pas nécessaire de continuer, et l'on verra
avec plaisir que ce gouvernement a entrepris de borner à l'avenir ces dépenses à
$37l, 000. (Ecoutez! écoutez!) La dépense
du Nouveau-Brunswick, en 1864, est estimée à $404,000, qu'il compte réduire au
chiffre de $353,000. Il a aussi pris des
mesures qui, au bout de dix ans, lui permettront de faire une autre économie de
$63,000, de sorte qu'à l'avenir ses dépenses
seront réduites à $290,000. (Ecoutez!)
écoutez!) L'Ile du Prince-Edouard, avec
$124,000, se propose de subvenir à ses
dépenses locales qui s'élevaient avant à
$170,000; et à Terreneuve, où elles
étaient de $479,000, on les a aussi
réduites à $350,000. (Acclamations!)
Maintenant, M. l'ORATEUR, il s'agit de voir à
l'aide de quels moyens on subviendra à ces
dépenses locales. J'ai déjà mentionné qu'en
Canada ainsi que dans les provinces inférieures, certaines sources de revenu étaient
réservées comme étant d'un caractère purement local et comme devant faire face aux
dépenses locales, mais dans mes explications
relatives au Canada, j'ai aussi fait remarquer
que l'on se proposait de donner une subvention de 80 centins par tête à chacune des
provinces. En transférant au gouvernement
général toutes les grandes sources de revenu,
et en mettant à sa disposition, à une seule
exception,—celle de l'impôt direct—tous les
moyens à l'aide desquels on peut faire contribuer l'industrie du peuple aux besoins
de
l'état, il devient évident pour tous qu'une
partie des ressources ainsi mises à la disposition du gouvernement général devra être
appliquée, sous une forme ou sous une autre,
à combler le vide qui inévitablement, se
ferait entre les sources de revenu local et les
dépenses locales. Les membres de la conférence ont étudié cette question avec la ferme
volonté de limiter au chiffre le plus bas
possible la somme qui sera ainsi nécessaire,
et je pense que les chiffres que je viens de
donner à la chambre établissent, on ne peut
mieux, que nos honorables amis des provinces
inférieures n'ont pas eu un moment l'intention de prendre au trésor public un seul
chelin de plus que ce qu'il faudra absolument
pour leurs gouvernements respectifs. (Ecoutez! écoutez!) Quant au Canada, on dira
peut-être qu'une moindre somme aurait pu
suffire à ses besoins immédiats, mais on a pensé
que l'on n'aurait pas été justifiable de faire
aucune distinction entre des sujets d'un même
pays. Si, d'un autre côté, le Canada a une
part un peu plus forte qu'il n'en a réellement
besoin, cette chambre doit s'en féliciter, car
nous nous trouverons avoir ainsi les moyens
de donner plus d'extension à notre système
scolaire et plus de développement à ces
intérêts qui sont particulièrement confiés
aux gouvernements locaux, et cela, sans
puiser d'avantage aux sources du revenu
général. (Ecoutez! écoutez!) Il a été pourvu
à l'octroi d'une subvention de 80 centins par
tête, en prenant pour base le chiffre de la
population donné par le recensement de 1861.
Il va sans dire que si elle eut eu pour base
le chiffre de la population actuelle, la somme
qui la représenterait aurait été beaucoup
moins considérable. Il est en outre à obser
69
ver que cette disposition ne stipule aucune augmentation future du chiffre de cette
somme.
Cette subvention étant établie en permanence, il est à espérer que les gouvernements
locaux verront l'importance ou plutôt la
nécessité d'exercer un contrôle vigilant et
sévère sur les dépenses de leurs provinces. Nous obtiendrons ainsi les plus
fortes garanties qui puissent nous être offertes contre ces influences qui, dans une
législature comme celle que le pays possède
maintenant, sont souvent mises en jeu
dans le but de grossir les dépenses. Ces
influences ne pourront réagir sur les législatures locales; elles rencontreront une
telle
résistance dans le seul fait de l'impossibilité
où seront les gouvernements locaux de
s'y soumettre, qu'il en résultera une très
grande économie dans les dépenses générales de tout le pays. (Ecoutez! écoutez!)
Il ne me reste plus, M. l'ORATEUR, qu'à
rappeler l'attention sur la question qu'il
importe absolument de décider sans plus de
retard, la question de savoir si, avec la confédération projetée, le surcroît de dépenses
qu'elle va nécessiter ne la rendrait pas
inacceptable. Or, je suis forcé de dire ici
que, selon moi, la question de la dépense
seule n'est pas une donnée assez sûre pour
que d'après elle ont puisse juger exactement
des avantages d'une mesure comme celle
dont la chambre est actuellement saisie;
mais envisager sous son côté le plus abstrait,
le surcroît de dépense qui pourrait en résulter sera seulement celui nécessité pour
l'administration du pays. Sur les autres
points je n'entrevois pas que les charges du
peuple augmenteront; et, à ce point de vue,
il est même permis de douter si les frais
collectifs seront plus élevés pour le gouverment général administrant dans l'intérêt
de
tous, et pour les gouvernements locaux simplement chargés de la gestion des affaires
locales de chaque section, que ceux de
notre gouvernement sous le système actuel.
(Ecoutez! écoutez!) D'une part, nous serons
affranchis de ce vain apparat des petites
cours qui nous est imposé par le système qui
régit chacune de ces provinces, et qui n'est
au fond qu'un simulacre de la pompe royale;
la législation de notre gouvernement général
sera restreinte à ces grandes questions dignes
de l'attention des premiers hommes du pays;
nous ne verrons plus se perdre notre temps
à la discussion du mérite de quelques petites
mesures locales, et nous pouvons raisonnablement espérer que les dépenses de la législature
générale seront ainsi beaucoup
moindres que celles même de notre législature actuelle;—tandis que de l'autre, les
législatures locales,— qui n'auront à s'occuper
que de questions municipales plutôt que
d'affaires d'un intérêt général—pourront
disposer de ces mesures de second ordre de
manière à mieux satisfaire le peuple et à
beaucoup moins de frais qu'à présent. Je
crois donc que les dépenses du gouvernement
ne seront pas effectivement plus considérables
sous le nouveau que sous l'ancien système;—
mais il faut bien se rappeler que l'absence
de certains items de dépense du budget
d'un pays, est souvent plutôt une preuve de
faiblesse et de dépendance qu'une source de
satisfaction. Le fait seul que ces items ne
se trouvent pas inscrits dans les dépenses
publiques, soit du Canada ou des provinces
maritimes, est la preuve la plus évidente de
l'infériorité de notre position, et que nous
n'avons ni le pouvoir ni les moyens d'entreprendre des travaux qui rendent ces dépenses
nécessaires. Je vais citer un ou
deux exemples qui feront mieux comprendre ma pensée:—le premier est la
grave question des défenses nationales.
(Ecoutez! écoutez!) Est-ce que l'absence de
cet item de notre budget n'indique pas
que nous manquons d'un des éléments principaux qui font la grandeur d'un pays,—que
nous ne faisons pas assez de cas de nos institutions et que nous ne sommes nullement
disposés à faire les sacrifices que tous les peuples libres doivent faire pour sauvegarder
leur indépendance? Le même raisonnement
s'applique aux travaux publics dont on peut
dire que les avantages qu'on en retire sont
en proportion des dépenses qu'on y affecte;
avec des ressources limitées et un territoire
peu habité, il est impossible à un pays de
faire les dépenses nécessaires pour les entreprendre. On doit également observer que
plusieurs des travaux de ce genre ne produisent directement aucun revenu, quoiqu'ils
soient de la plus grande utilité; c'est pourquoi, lorsque les ressources d'un pays
ne
permettent point d'en faire la dépense, ce
doit être un motif de regret pour tous et
non de satisfaction.[Ecoutez! écoutez.]
Regardez l'immense étendue de territoire
situé à l'ouest du Haut-Canada: pourquoi
n'avons-nous pas pu prendre possession de
ces pays, ni les ouvrir à l'industrie et à
la jeunesse du Canada obligée par suite
du manque de champ suffisant pour leur
énergie de s'en aller aux Etats-Unis et surtout vers les riches états du Nord-Ouest,
sinon
parceque les ressources du Canada, toutes
70
considérables qu'elles étaient en considérant
les désavantages de sa position, n'ont pas
paru suffisantes pour faire valoir cette grande
contrée? Eh! bien, l'une des résolutions
du projet déposé devant la chambre a trait
à cette question, et c'est mon avis que l'un
des premiers devoirs du gouvernement général des provinces unies sera de prendre
les moyens d'ouvrir et de développer cette
vaste région, et d'en faire au lieu d'un
fardeau une source de force et de richesse
pour nous et pour la métropole. [Ecoutez!
écoutez!] Envisageant maintenant toute la
question des dépenses, je dis qu'en opposant
aux avantages d'une confédération une perte
de trois ou quatre cent mille piastres, la
chambre agira sagement en se demandant si
le peuple de cette province ne préfèrerait pas
accepter la confédération, lorsqu'il lui en
coûtera comparativement si peu, et s'il ne
comprendra pas qu'un projet qui lui donnera un million de concitoyens de plus ne
doit pas l'emporter de beaucoup sur n'importe quelle mince considération pécuniaire
de ce genre. (Ecoutez! écoutez!) Non, la
chambre, je l'espère, ne permetta pas qu'on
envisage la question à un point de vue aussi
étroit, aussi rétréci; elle se rappellera, au
contraire, combien le peuple désire voir les
ressources du pays atteindre le plus grand
développement possible. Efforçons- nous,
par cette grande mesure, d'ouvrir une carrière plus vaste à l'industrie et à l'intelligence
de notre population,—et d'offrir à son
ambition des motifs plus nobles, plus dignes;
gardons-nous bien de rejeter ce projet
avec la perspective brillante d'avenir qu'il
ouvre à notre jeunesse, et avec le but
plus noble qu'il offre à l'émulation de nos
hommes publics. Ne l'écartons pas sur des
questions de détail, mais au contraire
jugeons-le d'après ses divers mérites;—et
ne perdons pas de vue les grands avantages
que présente l'union par cela seul que nous
pourrons y rencontrer des défauts qui peuvent blesser notre susceptibilité personnelle.
Espérons que ce projet, tout défectueux qu'il
peut être, préparera, avec l'appui de la Providence, un heureux avenir à ce pays,
et qu'il
fera disparaître en outre les maux et les
dissentions funestes qui affligent le Canada
depuis dix ans et qui ont menacé de nous
précipiter dans la discorde et la confusion
la plus désastreuse. (Applaudlssements.)
Cette dernière considération seule ne suffit- elle pas pour disposer la chambre en
faveur
de la mesure? J'engagerai donc la législature et le peuple à se montrer indulgents
pour les auteurs de ce projet, et à discuter
de bonne foi ce résultat de leurs travaux,
afin de ne pas égarer l'esprit public dans
l'étude de la question. Non; il n'en sera pas
ainsi;—la chambre envisagera avec franchise et sans parti pris la mesure comme un
moyen suprême d'arracher le pays à un pénible état de choses, et l'étudiera avec ce
calme et cette considération qui sont dus,
non aux arguments du gouvernement, trop
faibles sans doute pour faire valoir l'importance d'une question aussi vitale, mais
à la
nécessité où se trouve le pays de jouir enfin
d'une ère de prospérité, de paix et de bonheur.
(Longs applaudissements.)
Sur motion de l'hon. M. BROWN, les
débats sont ajournés.