ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
Jeudi, 16 février 1865.
L'HON. A. A. DORION— M. l'ORATEUR, j'aurais désiré adresser la parole à la
chambre en français, ce soir ; mais comme
un grand nombre de membres ne comprennent pas cette langue, et d'un autre
côté, comme presque tous les membres
franco-canadiens comprennent l'anglais,
j'espère que l'on m'excusera si je m'exprime dans cette langue. En me levant
en cette occasion pour adresser la parole
à la chambre sur l'importante question
qui nous est soumise, je dois dire que je le fais
avec un embarras plus qu'ordinaire, non
seulement à cause de l'importance du sujet
de nos délibérations, mais encore parce que
je me vois forcé de différer d'opinion avec un
grand nombre de ceux avec lesquels j'ai été
habitué à marcher depuis que je suis entré
dans le vie publique. Cependant, M. l'ORATEUR, lorsque je considère les questions
soulevées par les résolutions soumises par le
gouvernement, je trouve que, soit qu'elles
aient un caractère purement politique,- comme la proposition de restreindre l'influence
et le contrôle du peuple sur la législation du pays en substituant une chambre
nommée par la couronne au conseil législatif
électif,—ou qu'elles soient d'une nature
249
purement
commerciale, comme celle qui a
rapport au chemin de fer
intercolonial, ou
soit sur la plus importante question de
la
confédération
elle-méme,—j'entretiens encore les mêmes opinions que
celles que je
partageais en commun avec
d'autres membres
qui, depuis, ont changé les
leurs sur ces
sujets. (Ecoutez ! écoutez !)
Et comme je
n'ai entendu, depuis
l'ouverture des débats,
donner aucune raison pour
justifier le changement que l'on propose d'introduire dans
la constitution de la chambre
haute, qui n'ait
pas été pleinement discutée en 1856,—
lorsqu'il a été décidé, par une
immense
majorité de cette chambre, que
le système
électif devait prévaloir ;
—comme je n'ai
entendu donner aucune raison
pourquoi nous
devons engager notre crédit ou
nos ressources
pour la construction du chemin
de fer intercolonial, même avant d'avoir
aucune estimation de co qu'il coûtera, qui
n'ait pas été
présentée en 1862, lorsque la
question est
venue devant le pays,—ni aucune
raison
pour justifier une union
intercoloniale, qui
n'ait pas été donnée en 1858, lorsque le
ministre des finances actuel a
attiré l'attention des autorités impériales
sur cette question,
—je ne vois pour quel motif ces
différents
sujets, qui étaient alors presque
universellement répudiés, devraient être
regardés
aujourd'hui d'un œil plus favorable par le
peuple de ce pays. Je ne vois
pas pourquoi
ces mesures naguère si
généralement repoussées seraient aujourd'hui vues avec plus
de
faveur lorsqu'elles sont réunies en un seul
projet et accompagnées de
nouvelles charges
style sur le
peuple ; je ne puis comprendre pourquoi, moi et d'autres membres de cette chambre
changerions nos opinions simplement parce
que d'autres ont chargé les leurs, lorsque nous
ne croyons pas, consciencieusement, que ce
changement serait à l'avantage du pays.
Je dis
donc que j'ai parfaitement le droit
d'avoir aujourd'hui les opinions que j'ai
toujours entretenues. (Ecoutez !) Ce projet
est soumis pour deux motifs : d'abord, à
cause de la nécessité de faire face aux dificultés constitutionnelles qui sont survenues
entre le Haut et le Bas-Canada, à raison de la
demande toujours croissante de la part
du
Haut-Canada
pour obtenir la représentation
basée sur la population—et,
en second lieu,
à cause
de la nécessité de mettre
le pays sur
un meilleur pied de défense qu'il n'est aujourd'hui. Ce sont là les deux
seuls motifs
que l'on nous ait donné pour justifier
les
propositions qui nous sont soumises, et je
vais tâcher d'expliquer mes vues et
opinions
sur ces deux sujets, ainsi que sur le projet
en général.—J'espère
qu'en parlant de la
première question, l'on permettra de
remonter un peu à
l'origine de l'agitation
qui a en lieu à
propos de la représentation
basée sur la population, car je me le dois à
moi-même, et je le dois à mes commettants
et au pays. L'on s'est servi de mon
nom
sous différents prétextes. L'on a dit parfois
que j'étais entièrement favorable à la représentation basée sur la population ; en
d'autres
temps, on a dit que j'étais entièrement
favorable à la
confédération des provinces ;
et je vais maintenant essayer de dire aussi
explicitement que possible quelles ont toujours été et quelles sont encore mes opinions
sur ces sujets. (Ecoutez !) La première
fois qu'il a été question de représentation
basée sur la population en cette chambre, de
la part du Haut-Canada, c'est, je crois,
durant la session de 1852, alors que le parti
conservateur s'en empara, et que Sir ALLAN
MAONAB, proposa des résolutions en faveur
de
ce principe. Nous voyons qu'à cette époque
tout le parti conservateur était en faveur de
ce changement constitutionnel. La question
avait été agitée auparavant de la part du
Bas-Canada, mais les membres du Haut-
Canada s'y étaient tous opposés. Je pense
que deux votes ont été pris en 1852, et
dans l'une de ces occasions,
l'hon. procureur-
général Ouest (M. J. A. MACDONALD) a
voté en faveur du principe. La
question
était survenue d'une manière incidente. En
1854, la coalition MACNAB-MORIN eut lieu,
et l'on n'entendit plus parler
de représentation
basée sur la population de ce
côté, c'est-à-
dire, de la part du parti conservateur qui,
depuis cette époque, s'y est constamment
opposé. Elle fut cependant reprise par
l'hon. président du conseil actuel (M.
BROWN), qui, apportant au
service de
cette cause l'énergie et la
vigueur qui le
distinguent, fit une telle
agitation en sa faveur
qu'elle nous menaçe presque
d'une révolution.
À mesure que l'agitation
augmentait dans le
pays, le vote de cette chambre
s'accrut en
proportion, et j'ai plus d'une
fois exprimé
mon opinion sur ce sujet. Je
n'ai jamais
éludé la question ; je n'ai
jamais hésité a dire
qu'il fallait faire quelque
chose pour satisfaire
class
aux justes réclamations du Haut-Canada, et
qu'en principe la
représentation basée sur la
population était juste. Mais en même temps
j'ai toujours dit qu'il y avait
des raisons qui
empêchaient le Bas-Canada de pouvoir y
250
consentir, et j'engageais les
représentants du
Bas-Canada à se montrer prêts à
répondre
aux demandes du Haut-Canada en
faisant
une contre-proposition ; et, en 1856, lorsque
le parlement siégeait à Toronto,
je suggérai
pour la première fois que l'un des moyens
de surmonter les difficultés seraient
de
substituer à l'union législative actuelle une
confédération des deux Canadas,
au moyen
de laquelle les questions locales seraient
soumises aux délibérations des législatures
locales, avec un gouvernement central ayant
le contrôle sur les questions commerciales et
autres questions d'intérêt
commun en général.
Je dis que, considérant les différences de
race, de religion, de langage et de lois qui
existaient dans les deux sections du pays,
c'était là le meilleur moyen de faire disparaître
ces difficultés,—c'est-à-dire,
de laisser à un
gouvernement central les questions de
commerce, de banque, de cours monétaire,
de travaux publics d'un caractère général,
etc , et de laisser à la décision des législatures locales, toutes les questions locales.
En même temps, je disais que si ces vues
n'étaient pas acceptées, je serais certainement en faveur de la représentation basée
sur la population, avec des conditions et
garanties qui protégeraient les intérêts
de
chaque section du pays et conserveraient au
Bas-Canada les institutions qui lui sont chères.
(Ecoutez.) Ce discours a été
torturé et
tourné en tous sens. Je l'ai vu cité pour
prouver que j'étais en faveur de la représentation basée sur la population pure et
simple ;
je l'ai vu cité pour prouver que j'étais en
faveur de la confédération des provinces, et
pour prouver beaucoup d'autres choses,
suivant les besoins de l'occasion en de ceux
qui le citaient. (Ecoutez ! et rires.) La
première fois que la question a été mise à
une épreuve pratique, ç'a été en 1858.
Lors de la résignation du gouvernement
MACDONALD-CARTIER, le
gouvernement
BROWN-DORION fut formé, et it fut convenu
entre ses membres que la question constitutionnelle devait étre abordée et réglée,
soit
au moyen d'une confédération des deux
Canadas, soit par la représentation basée sur
la population avec des contrepoids et garanties qui assureraient la foi religieuse,
les lois,
la langue et les institutions particulières
de
chaque section du pays contre tout empiètement de la part de l'autre. Ce sujet
se présents de nouveau à la fin
de 1859,
lorsqu'eût lieu la Convention de Toronto. Je
dois dire, cependant, que lorsque l'hon.
président du conseil insistait aussi
fortement pour que la représentation basée sur la
population fut prise comme moyen de régler
la
question constitutionnelle, je voyais, d'un
autre côté, la difiiculté de l'accepter, méme
avec ces contrepoids et garantie, et je proposai la confédération des deux provinces.
Mais notre administration fut de si courte
durée que nous n'eûmes pas le temps de
discuter la question à fond.
Cependant,
il avait été entendu que si nous pouvions
en arriver à une décision sur l'un des
deux modes, le résultat de nos délibérations serait présenté comme la solution des
maux dont se plaignait le Haut-Canada ;
mais il était bien entendu aussi que je
ne m'engageais pas à faire passer une pareille
mesure dans la chambre sans être sûr que
je serais supporté par une majorité du Bas-
Canada. Je n'aurais jamais voulu essayer
de faire un changement dans la constitution
du pays sans m'assurer si la population de la
section de la province que je représentais était
en faveur d'un pareil changement. (Ecoutez !)
Mais pour en revenir à la Convention de
Toronto, je dirai que j'avais été invité à y
assister, mais bien que je ne pus le faire,
certaines communications furent échangées ;
une assemblée des membres libéraux du
Bas-Canada eut lieu, et un rapport fut fait à
la suite de cette réunion, signée par l'hon.
ministre de l'agriculture (M. MCGEE), l'hon.
M. DESSAULLES, l'hon. M. DRUMMOND
et
moi-même. Ce document fut publié afin
d'exposer les vues et opinions que nous entretenions sur le règlement des difficultés.
De prétendus extraits de ce document comme
de mon discours ont été donnés et falsifiés,
dans la presse et ailleurs, pour prouver toute
espèce de choses comme étant mes vues ;
mais je puis démontrer clairement que la
proposition qu'il contient était exactement
la même que celle qui avait été faite en
1858, savoif : la confédération des deux provinces, avec une autorité collective pour
la
régie des affaires générales de toutes deux.
A cette époque, de même qu'à
l'époque de
la formation du ministère BROWN-DORION,
plusieurs suggestions furent faites pour
mettre à effet le plan de confédération des
deux Canadas. Quelques-uns pensaient qu'il
vaudrait mieux former deux législatures
distinctes : une législature locale pour le
Bas-Canada, une autre semblable pour le
Haut-Canada, et une législature générale
pour les deux. D'autres suggéraient l'idée
que la même législature pourrait répondre à
251
tous les besoins ; que le même corps
pourrait
se réunir et délibérer sur les questions d'intérêt commun, et que les membres de chaque
section pourraient alors se séparer et discuter
toutes les affaires locales. D'autres disaient
encore que l'on obtiendrait le même
résultat
en n'ayant qu'une seule législature, mais en
insistent pour qu'aucune loi affectant exclusivement l'une ou l'autre section
de la province ne pût être passée a moins
de réunir
en sa faveur une majorité des représentants
de la section qu'elle affecterait.
Ces trois
plans furent suggérés: le premier était
d'avoir deux corps législatifs
distincts, l'un
pour les affaires générales, l'autre pour les
affaires locales ; le second
était d'avoir une
seule législature, dont les parties auraient le
droit de siéger séparément sur les affaires
locales, après que les affaires générales auraient été expédiées ; le troisième était
de
n'avoir qu'un seul corps, mais de décréter
qu'aucun acte de législation
d'une nature
locale n'aurait d'effet sans le
consentement
d'une majorité des représentants de la province intéressée. (Ecouter!) Le
document
dont j'ai parlé tout a l'heure, et publié en
octobre 1859, contenait ce qui suit sur le
sujet :
" Votre comité s'est donc convaincu que, soit
que
l'on considère les besoins
présents ou l'avenir
du pays, la substitution d'un gouvernement purement fédéral à l'union législative
actuelle offre
la véritable solution de nos
diflicultés, et que cette
substitution nous ferait éviter les inconvénients
tout en conservant les avantages que peut avoir
l'union actuelle. La
proposition de former une
confédération des deux Canadas n'est pas nouvelle. Elle a été souvent agitée dans
le parlement et dans la presse depuis
quelques années.
L'exemple des Etats voisins, où
l'application du
système fédéral a démontré
combien il était
propre au gouvernement d'un
immense territoire,
habité par des peuples de différentes
origines,
croyances, lois et coutumes, a en sans doute
suggéré l'idée ; mais ce n'est
qu'en 1856 que cette
proposition a été énoncée devant la législature,
par l'opposition du Bas-Canada, comme
offrant,
dans son opinion, le seul remède
efficace aux abus
produits par le système actuel."
Le document disait plus loin :
" En définissant les attributions des gouverne
ments locaux et du gouvernement fédéral,
il faudrait ne déléguer à ce dernier que celles qui
seraient essentielles aux fins de la
confédération,
et, par une conséquence
nécessaire, réserver aux
subdivisions des pouvoirs aussi
amples et aussi
variés que possible. Les douanes, les postes, les
lois pour régler le cours monétaire, les patentes
et droits d'auteurs, les terres publiques, et ceux
d'entre les travaux publics qui
sont d'un intérêt
commun pour toutes les parties du
pays, devraient
être les principaux, sinon
les
seuls objets dont le
gouvernement fédéral aurait le
contrôle, tandis
que tout ce qui aurait rapport aux améliorations
purement
locales, à l'éducation, à l'administration
de la justice, à la milice, aux lois de la propriété
et de police intérieure, serait déféré
aux gouvernements locaux, dont les pouvoirs, en un mot,
s'étendraient à tous les sujets qui ne seraient pas
du ressort du gouvernement général."
L'Hon. A. A. DORION— Je
traduis
du
document publié par les libéraux du Bas-
Canada en 1859. Il continue:
" Le système
que l'on propose ne pourrait aucunement diminuer l'importance de cette colonie ni
porter atteinte à son crédit,
tandis qu'il offre l'avantage précieux de pouvoir se
prêter à toute
extension territoriale que les circonstances pourraient, par la suite, rendre désirable,
sans troubler
l'économie générale de la confédération."
Eh bien ! M. l'ORATEUR, je n'ai pas un
seul mot de tout ceci à rétracter. J'ai encore
les mêmes idées, les mêmes opinions. Je
pense encore qu'une union fédérale du Canada
pourrait s'étendre plus tard de manière à
englober d'autres territoires a
l'est ou à
l'ouest ; qu'un paroil système est parfaitement adapté à la posibilité d'un
accroissement de territoire sans troubler l'économie
du gouvernement fédéral ; mais je ne puis
comprendre comment cette phrase si claire
peut avoir été interprétée par l'hon. président du conseil, ou par aucun des membres
de l'autre chambre qui ont parlé
sur le sujet,
comme étant une indication que j'aie jamais
été en faveur d'une confédération
avec les
autres provinces britanniques. Il n'y a
absolument rien dans tout ce que j'ai dit
ou écrit qui puisse être interprété comme
démontrant que j'aie jamais été en faveur
d'une pareille proposition. Au contraire,
chaque fois que la question
s'est présentée,
je l'ai combattue. J'ai toujours dit qu'une
pareille confédération ne
pouvait causer que
trouble et embarras ; qu'il n'y avait ni
relations sociales, ni relations commerciales
entre les provinces que l'on veut unir, en un
mot qu'il n'y avait rien qui pût justifier
leur union dans les circonstances actuelles.
Nécessairement, je ne veux pas
dire que je
serai toujours opposé à la confédération. La
population peut s'étendre et couvrir les
forêts vierges qui existent
aujourd'hui entre
les provinces maritimes et le Canada, et
les
relations commerciales peuvent s'attendre
de manière à rendre la confédération désirable.—Mes discours ont été parades dernièrement
dans tous les journaux minitérials, —
252
ils ont été tronqués, mal traduits et
même
faisifiés,—afln de faire croire au public
qu'autrefois j'avais des opinions
différentes
de celles que j'ai maintenant. Un journal
firançais a dit que " j'appelais de tous mes
vœux la confédération ee provinces." Mais
je dis ici, comme je l'ai dit en 1856, et
comme je l'ai dit en 1861, que j'ai toujours
été et que je suis encore opposé à la
confédération. Je vois dans le Mirror of Parliament, qui contient un rapport de mon
discours,—bien que ce rapport soit très
mauvais,—que j'ai dit en 1861: "
Il peut
venir un temps où il sera nécessaire d'avoir
une confédération de toutes les provinces ...
mais le temps n'est pas encore arrivé pour
un pareil projet." C'est la le discours que
l'on a représenté comme signifiant que
j'appelais la confédération de tous mes vœux,
que rien ne me ferait plus plaisir. Eh quoi !
j'ai dit explicitement que bien qu'il pourrait
arriver un temps où la confédération pourrait être nécessaire, elle n'était pas désirable
dans les circonstances actuelles ! (Ecoutez !)
En 1862, je n'étais pas en parlement.
L'administration CARTIER-MACDONALD fut
renversée, et mon hon. ami le député de
Cornwall (M. J. S. MACDONALD) fut appelé à
en former une nouvelle. Il s'adresse a l'hon.
M. SICOTTE pour organiser la
section bas-
canadienne, tandis qu'il entreprenait lui-
même de former celle du Haut-Canada. La
question de la représentation basée sur la
population se présenta de
nouveau, et, cette
fois, pour être réglée par le parti libéral du
Haut-Canada, qui avait voté en sa faveur
d'année en année ;—et lorsque j'arrivai à
Québec, où j'avais été appelé par la voie du
télégrapbe, je trouvai que la question était
réglée, et que la politique du nouveau
gouvernement était que la représentation
basée sur la population était exclue du
programme ministériel. (Ecoutez !) Le parti
libéral du Haut-Canada,— à ma
grande
surprise, je dois le dire,—avait décidé
que
cette question n'était d'aucune importance,
qu'il monterait au pouvoir exactement
comme le arti conservateur l'avait fait
auparavant dans une circonstance semblable,
en 1854, et que les membres libéraux avait
décidé de soutenir une administration qui
avait clos cette question, c'est-à-dire
une
administration dont tous les membres s'étaient
engagés à voter contre la représentation
basée sur la population. (Ecoutez !)
L'Hon. A. A. DORION—Si ce n'est
pas le cas, j'ai été mal renseigné ; mais j'ai
certainement
compris que l'administration
avait été formée avec l'entente que
chacun de
ses membres voterait contre la représentation
basée sur la population chaque fois qu'elle
se présenterait, et que le parti libéral du
Haut-Canada supporterait cette administration ainsi formée. Dans tous les cas, le
parti libéral du Haut-Canada a supporté
pendant
onze mois un gouvernement qui était engagé à exclure la représentation basée sur
la population de la catégorie des questions libres, et à mettre cette question de
côté.
L'HON. A. A. DORION—J'entends un
hon. membre dire que ce n'est pas le cas, ou
qu'il n'a pas consenti à mettre
de côté la
question de la représentation basée sur la
population ; mais s'il ne l'a pas fait alors, ne
l'a-t-il pas fait depuis? Il a
déclaré dans une
assemblée publique, il y a quelques jours,
que la représentation basée sur
la population
n'était plus le remède qu'il fallait au Haut-
Canada. Les membres du Haut-Canada qui
entrèrent dans l'administration MACDONALD-
SICOTTE avaient certainement abandonné la
représentation basée sur la population, puisque chaque membre de cette administration
était obligé de voter contre
cette question.
L'hon. secrétaire provincial a dit publiquement à Ottawa, en janvier 1864,
qu'elle avait
été abandonnée par le parti libéral lors de
la Convention de Toronto en 1860, et bien
qu'il ait été a cette époque ouvertement attaqué par le
Globe et par les
membres du parti
qui regardent le
Globe comme leur évangile
politique, il a aujourd'hui la satisfaction de
voir l'hon. membre pour Lambton et quelques autres, qui autrefois
avaient des opinions
très-exclusives sur cette question, reconnaître, comme ils l'ont fait à
une assemblée
publique qui a eu lieu à
Toronto il y a
environ trois semaines, qu'eux aussi considéraient que la représentation basée sur
la
population appliquée au Canada n'était pas
un remède pour le Haut-Canada, que ce
n'était pas une mesure sur laquelle les libéraux devaient insister, et qu'elle avait
été
on devait ȇtre abandonnée. (Écoutez et rires.)
Oui, la question a été en effet
abandonnée
lorsque, en novembre 1859, six cents délégués de toutes les parties du Haut-Canada
se rendirent à la Convention
réformiste de
Toronto, et convinrent de demander une
confédération des deux provinces, en donnant
a chacune d'elles une législature
locale, avec
quelque autorité collective pour les affaires
générales communes a toutes deux. L'hon.
253
membre qui est à ma gauche était présent
à
cette convention.
L' HON. A. A. DORION—Et l'hon. membre
m'a dit qu'il n'avait jamais vu une réunion
d'hommes plus respectables, plus instruits et
plus intelligents, pour discuter les questions
publiques. Mais ce projet n'a pas
attiré
beaucoup d'attention en dehors de la Convention. Il n'a eu aucun effet sur l'esprit
public. Peu de temps avant, en
1858, le
ministre des finances actuel, qui siégeait alors
sur les bancs du centre, avait fait un discours
de deux ou trois heures, dans lequel il avait
exposé et avocassé, avec toute la
force et
l'habileté qui le distinguent, la confédération
de toutes les provinces de
l'Amérique Britannique du Nord. Il fut alors
secondé par
l'hon. ministre de l'agriculture; et plus tard,
en devenant membre de l'administration
CARTIER-MACDONALD, il se rendit
en Angleterre et attira l'attention du
gouvernement
impérial sur le projet de la confédération de
toutes ces provinces. L'hon. ministre des
finances ne reçut pas une réponse très
encourageante, et celle qu'il reçut du pays le fut
encore moins. Il ne reçut pas mȇme de
réponse à son discours, malgré
toute l'habileté qu'il y avait déployée.
L HON. A. A. DORION — Bien que
l'administration fût formée avec l'entente
d'effectuer la confédération de toutes les
provinces, et que ce fût là le principal
article de son programme, elle
n'a jamais
osé soumettre la question au parlement.
(Ecoutez !) Plus tard, en 186l,
l'hon.
membre pour South Oxford proposa
une
motion basée sur la résolution adoptée à la
Convention de Toronto; je parlai et votai en
faveur de sa motion. Elie
s'accordait parfaitement avec un avis que j'avais
donné en
1856, et qui a été lu ici, il y a
quelques
jours, par l'hon. président du conseil, et
avec mes déclarations souvent réitérées que
j'étais pret à adopter quelque mesure qui
serait de nature à faire disparaître les difficultés existantes, sans faire
d'injustice à
l'une ou l'autre section. Mais tout en étant
prêt à
rendre justice au Haut-Canada, j'ai
toujours déclaré que je ne voulais pas le
faire en sacrifiant les intérêts
du Bas-Canada,
ou en le mettant dans la
position d'avoir à
mendier quelque justice de la part de
l'autre
province. (Ecoutez !) J'ai toujours dit que
la différence
de religion entre les populations
des deux provinces, de meme que la
différence de leur langue, de
leurs lois, et
même de leurs préjugés,—car il y a des préjugés qui sont respectables et qui doivent
être
respectées,—empêcherait tout membre du
Bas-Canada représentant un comté français
de voter pour la représentation
basée sur la
population pure et simple, et par là de placer la population du Bas-Canada dans la
position d'avoir à se fier, pour la
protection de
ses droits, à la population du
Haut-Canada
qui aurait par ce moyen la majorité dans la
législature. (Ecoutez !) Il se fait actuellement un mouvement, parmi la population
protestante anglaise du
Bas-Canada, pour
obtenir quelque protection et garantie pour
ses établissements d'éducation dans la province, dans le projet de confédération,
s'il
était adopté ; et loin de l'en blâmer,
je la
respecte davantage à cause de l'énergie
qu'elle déploie pour la protection de ses
intérêts distincts. Je sais que les majorités
sont naturellement aggressives, et combien
la posseseion du pouvoir engendre
de despotisme, et je puis comprendre comment une
majorité maintenant animée des meilleurs
sentiments envers la minorité, pourrait, dans
six ou neuf mois d'ici, vouloir abuser de son
pouvoir et empiéter sur les droits de cette
minorité. Nous savons aussi quel mécontentement une pareille conduite produirait.
Je crois qu'il n'est que juste que la minorité
protestante soit protégée dans ses droits pour
tout ce qui lui est cher comme nationalité
distincte, et qu'elle ne devrait pas être
laissée à la discrétion de la
majorité sous ce
rapport. Pour cette raison je suis prêt à
rendre à mes concitoyens
protestants du
Bas-Canada la plus ample justice, et j'espère
voir leurs intérêts comme
minorité garantis
et protégés dans tout projet qui
pourra être
adopté. Avec ces vues sur la question de
la représentation, je me suis prononcé en
faveur d'une confédération des deux provinces du Haut et du Bas-Canada, comme
étant le meilleur moyen de protéger les
divers intérêts des deux sections. Mais la
confédération que je demandais était une
confédération réelle, donnant les plus grands
pouvoirs aux gouvernements locaux, et seulement une autorité déléguée au gouvernement
général,—différant totalement sous ce
rapport de celle qui est aujourd'hui proposée,
et qui donne tous les pouvoirs au gouvernement central, en réservant aux gouvernements
locaux le moins de liberté d'action
possible. Il n'y a rien dans tout
ce que j'ai
254
jamais dit ou écrit qui puisse être
interprété
comme favorisant une confédération de
toutes les provinces. Je m'y suis toujours
opposé. Je ne crois pas commettre d'indiscrétion en disant que dans les conversations
que j'ai eues avec le président du conseil
avant son entrée au pouvoir,—puisqu'il
en a
parlé lui-méme dans un discours qu il a fait
lors de sa réélection pour South Oxford,—
j'ai positivement refusé d'appuyer aucune
proposition pour la confédération de toutes
les provinces. Dans ce discours, le président
du conseil disait:
"Avant que les négociations ne fussent entamées,
j'invitai les bon. MM. DORION et HOLTON
à agir,
mais ils refusèrent. J'éprouvai
tout le chagrin
de ce refus, mais ils ne me laissaient aucune ressource. Lorsque le gouvernement ne
posa la
question, je lui répondis que je voulais avoir six
membres—quatre du Haut et deux du Bas-Canada.
Lorsqu'il me demanda combien de partisans j'amènerais du Bas-Canada, je répondis que
puisque M.
DORION n'agissait pas, je ne
pouvais
en amener
aucun."
Ainsi, monsieur, j'ai la meilleure preuve
possible pour réfuter l'accusation que j'étais
en faveur de la confédération de toutes les
provinces, dans le fait que, avant même
qu'il
fût question de savoir qui entrerait dans le
gouvernement, j'ai déclaré, et cela en présence de plusieurs membres ici présents,
que
je ne voulais avoir rien à faire
avec cette
question, parce que je ne croyais
pas qu'il
serait de l'intérêt du pays d'avoir une pareille
confédération, au moins quant à présent.
(Ecoutez !) Maintenant, monsieur, je crois
avoir démontré que je n'ai favorisé ni la
représentation basée sur la population pure
et simple, ni la confédération de toutes
les
provinces. Et lorsque les hon. messieurs
disent que la nécessité de régler la question
de la représentation a été la cause de ce
projet de confédération, ils commettent une
grave erreur. Rien n'est plus éloigné de la
vérité. (Ecoutez !) La question de la représentation était presque entièrement abandonnée
; elle était usée ; il n'y avait pas
d'agitation à ce sujet, et il y en avait certainement moins qu'il n'y en avait eu
à
aucune
époque depuis dix ans. Le député de
South Oxford, après avoir adopté
les vues
de la Convention de Toronto, persistait
encore à demander la représentation basée
sur la population ; mais les idées étaient
tellement changées qu'il put à peine soulever
un débat sur la motion qu'il fit durant la dernière session pour obtenir un comité
chargé
d'examiner les dificultés constitutionnelles.
Il y avait une autre cause de ce plan de
confédération auquel on a donné pour prétexte
la question de la représentation basée sur la
population. Elle n'est pas aussi bien connue,
mais elle était beaucoup plus puissante. En
1861, M. WATKIN fut envoyé
d'Angleterre
par la compagnie du chemin de fer
du Grand
Trone. Il vint dans le but bien arrêté de
faire une forte demande d'aide pécuniaire ;
mais dans l'état où se trouvait alors l'esprit
public, il s'aperçut bien qu'il ne pouvait pas
espérer l'obtenir. Pensant que s'il pouvait
seulement mettre quelque nouveau projet
sur le tapis qui pourrait donner un prétexte
décent à un gouvernement bien
disposé, il
obtiendrait tranquillement l'aide dont il
avait besoin, il partit immédiatement pour
les provinces d'en-bas et revint après y avoir
engagé les gens à ressusciter la question du
chemin de fer intercolonial. Il trouva facilement des gens prêts à travailler en
faveur
de ce chemin, pourvu que le Canada en payât
la façon. (Ecoutez ! et rires.) Une réunion
de délégués ont lieu ; des résolutions furent
adoptées, et une demande fut faite au gouvernement impérial pour en obtenir une forte
contribution, sous forme d'indemnité pour
le transport des troupes sur le chemin. M.
WATKIN et M. VANKOUGHNET, qui était
alors membre de l'administration, passèrent
en Angleterre à propos de ce projet ; mais
les autorités impériales n'étaient pas disposées à accorder l'aide réclamée, et elles
rejetèrent
les propositions qui lui étaient faites. M.
WATKIN, bien que déçu dans ses espérances, n'abandonna pas son projet. Il revint
en Canada, et à force de persévérance il persuada mon hon. ami qui siége à ma droite
(M. J. S. MACDONALD) et d'autres membres
de son cabinet, de partager ses vues sur
les
avantages du chemin de fer intercolonial.
Je ne pense pas le moins du monde que mon
hon. ami soupçonnût les motifs
qui faisaient
agir les employés du Grand Tronc, et que
leur but était de faire une nouvelle trouée
dans le coffre public pour le Grand Tronc
(rires) ; mais c'était là en réalité l'origine de
la reprise du projet du chemin de fer intercolonial.
L'Hon.
J. S. MACDONALD—Nous avons
trouvé le projet tout prêt ; il nous avait
été
laissé comme un legs de l'administration
CARTIER-MACDONALD.
L'Hon
A. A. DORION—C'est vrai. Le
gouvernement MACDONALD-SICOTTE
trouva la chose tellement avancée qu'un arrangement
avait été fait pour la réunion des délégués
255
des différentes provinces, pour reprendre
en considération un nouveau projet
de
chemin de fer, le premier projet ayant échoué.
Lors de cette réunion de délégués,
qui eut
lieu en septembre 1862, on adopta
un nouveau plan pour la construction du chemin
de fer intercolonial par lequel
le Canada
devait payer cinq-douzièmes, et les
autres
provinces sept-douzièmes du coût. Mais
cet
arrangement fut tellement impopulaire,
lorsque les conditions en furent connues, que
si on eût pris un vote, il n'y aurait pas eu
dix sur cent de toute la population de
Sandwich à Gaspé, qui se
seraient prononcés
en sa faveur, bien que le Canada ne dût
payer que cinq-douzièmes des dépenses.
(Ecoutez !) Ce projet n'ayant pas
réussi, il
fallait trouver quelque autre plan pour donner
aide et secours à ce malheureux Grand
Tronc, et la confédération de toutes les
provinces de l'Amérique Britannique du
Nord se présenta d'elle-même aux
officiers
du Grand Tronc comme étant le moyen le
plus sûr d'entraîner avec lui la construction
du chemin de fer intercolonial (Eooutez ! et
rires. ) Telle a été l'origine de
ce projet de
confédération. Les gens du Grand Tronc
sont au fond de l'affaire, et je
vois qu'à la
dernière assemblée des actionnaires de la
compagnie, M. WATKIN les a
d'avance
félicités sur la brillante perspective qui s'ouvrait devant eux, par l'accroissement
de
valeur qu'obtiendront leurs actions et leurs
bons, grâce à l'adoption du projet de confédération et à la construction du
chemin de
fer intercolonial comme partie de ce projet.
(Ecoutez !) Je répète, M. l'ORATEUR, que
la
représentation basée sur la
population a été
l'une des moindres causes de ce projet Le
gouvernement CARTIER-MACDONALD a
été
blâmé par la chambre et renversé
parce qu'il
avait pris, sans autorisation, $100,000 dans
le coffre public pour payer une dette du
Grand Tronc, à une époque où,
depuis une
ou deux sessions, il n'y avait pas eu de vote
sérieux sur la question de la représentation.
Ceux qui l'avaient demandée le plus bruyamment l'avaient laissée tomber. J 'ai
été accusé
avoir voulu vendre le Bas-Canada, accorder
la représentation basée sur la
population, et
détruire les institutions du Bas-Canada. Il est
vrai, M. l'ORATEUR,
que je n'ai jamais insulté
le Haut-Canada comme l'ont fait
quelques-
uns de ceux qui m'ont attaqué. Je
n'ai
jamais comparé la population du Haut-
Cauada à autant de morues du golfe. J'ai
prouvé, au contraire, quej'avais toujours
été
prêt à
faire droit aux justes réclamations du
Haut-Canada, sans toutefois sacrifier les
droits du Bas-Canada. (Ecoutez !) Mais du
moment que le gouvernement s'est, vu après
sa défaite, dans l'obligation ou de résigner
ou d'en appeler au peuple, les messieurs
de
l'autre côté de la chambre, sans qu'il y eût
la moindre agitation sur cette question, se
préparèrent à embrasser leur
plus violent
adversaire, et se dirent à eux-mêmes: " Nous
allons tout arranger ; nous allons oublier nos
diiférends passés, pourvu que nous conservions nos portefeuilles."
L'HON. A. A. DORION—J'entends une
voix qui est bien connue dans cette chambre,
—la voix de l'hon. proc.—gén.
Ouest,—qui
dit écoutez ! écoutez ! Mais
qu'elle
a
été la
[?]
l'hon. membre, l'année
dernière, lorsque l'hon. membre pour South
Oxford fit nommer un comité auquel fut
renvoyée la dépêche
écrite par ses trois
collègues, l'hon. ministre des finances,
le
proc.-gén.
Est, et l'hon. M. Ross, qui n'est
plus ministre aujourd'hui. Il a voté contre
la nomination du comité, et dans le comité
il a voté contre le principe de la
confédération. (Ecoutez !)
L'HON. A. A. DORION—Le dernier vote
pris dans ce comité le fut vers le milieu de
juin, le jour même du vote qui a renversé le
ministère, et l'hon. procureur-général Ouest
vota contre le principe de la confédératicn de
toutes les provinces, conformément à
l'opinion
qu'il avait maintes et maintes fois exprimée
en cette chambre, qu'il était
opposé a toute
confédération quelconque.
(Ecoutez !) Quand
je dis que les hon. messieurs ne s'aperçurcnt
que la confédération était une panacée pour
tous les maux, un remède à tous
les griefs
qui pesaient sur le pays, que lorsque leurs
portefeuilles furent en danger, c'est que
j'arrive à cette conclusion
d'après des faits
qui sont bien connus de cette chambre.
(Ecoutez !) Mais, monsieur l'ORATEUR, il
serait peut-être bien peu important que j'aie
été autrefois en faveur ou contre la confédération, ou que l'hon. proc.-gén. y
ait été
favorable ou opposé, si le projet qui nous est
proposé était équitable, ou de nature à
satisfaire les désirs du peuple de ce pays :
mais, comme je l'ai déja dit, ce projet n'était
demandé par aucune partie, quelqu'insigni
fiante que ce soit, de la population.
Il n'est
256
pas soumis à
la chambre comme un projet
demandé par le peuple : c'est un moyen
adopté par des gens qui sont dans l'embarras
et qui veulent en sortir. Les membres du
gouvernement CARTIER-MACDONALD ne
pouvaient pas en appeler au pays après leur
défaite sur la question de savoir s'ils étaient
justifiables d'avoir pris $100,000 du coffre
public, en sus des millions qu'ils avaient
déjà pris sans le consentement du
parlement.
Il leur fallait donc on
abandonner leurs
portefeuilles, ou par quelque moyen éluder
la question sur laquelle ils avaient été battus.
Ils ont mieux aimé abandonner toutes leurs
opinions antérieures et se joindre à. l'hon.
membre pour South Oxford et
proposer un
plan de confédération. (Ecoutez !) Je viens
maintenant à un autre point,
savoir : le
projet qui nous est présenté est-il le même
que celui qui nous a été
[?] l'administration lorsqu'elle à été formée ? Cette
question pourrait n'être que d'une légère
importance, si la manière dont cette constitution a été préparée n'avait pas eu un
très
malheureux effet sur le projet lui-même ;
mais la chose est d'autant plus grave, que
l'on nous dit sérieusement que ce projet, tout
inacceptable qu'il soit, ne peut être amendé
le moins du monde, et qu'il est soumis
comme étant un traité fait entre le gouvernement de ce pays et les délégués des gouvernements
de la Nouvelle-Ecosse, du Nouveau-
Brunswick, de Terreneuve et de
l'Ile du
Price-Edouard ; que, comme tel, il ne peut
être ni changé ni altéré sur aucun point.
(Ecoutez !) Cela veut dire tout simplement
que les provinces d'en-bas nous ont
fait une constitution et qu'il nous faut
l'adopter telle qu'elle est. Ce fait paraîtra
encore plus frappant si l'on considère que,
comme l'a dit l'hon. membre pour Hastings
(M. T. C. WALLBRIDGE), dans la
conférence, les votes ont été pris par province,
en mettant le Haut et le Bas-Canada, avec
leurs 2,500,000 habitants, sur le même
pied que l'Ile du Prince-Edouard avec ses
80,000 âmes,—sur le même pied
que le
Nouveau-Brunswick avec ses 250,000,—et
sur le même pied que la Nouvelle-Ecosse
avec ses 330,000 âmes.
L'HON. A. A. DORION — C'est le
champion de la représentation basée sur la
population qui l'a dit. C'est lui qui est allé à l'Ile du Prince-Edouard et qui lui
a demandé
de nous préparer une constitution.—(Ecoutez ! et rires.) Mais afin de faire voir
que
je ne me trompe pas dans ce que je dis, qne
ce projet n'est pas celui qui nous a été
annoncé lors de la formation de l'administration,—afin de prouver que l'on ne se
proposait pas alors d'amener une pareille
mesure, je vais citer les déclarations faites
au nom du gouvernement lors des négociations qui ont eu lieu lorsqu'il a été formé.
Je lis ce qui suit dans le
Morning Chronicle
du 23 juin :
MEMORANDUM.
( Confidentiel.)
"Le gouvernement est prêt à déclarer qu'immédiatement après la prorogation, il s'occupera
de la manière la plus sérieuse de la négociation
pour une confédération de toutes les provinces
britanniques de l'Amérique du Nord.
" Que, avenant l'insuccès de ces
négociations,
il est prêt à s'engager à proposer une mesure
législative, à la prochaine session du parlement,
en vue de remédier aux difficultés existantes, en
recourant au principe fédéral pour le Canada seul,
accompagné de dispositions qui permettront aux
provinces maritimes et au territoire du Nord-
Ouest de s'incorporer ci-après dans le systéme
canadien.
" Que, pour la poursuite des négociations
et
régler les détails de la mesure législative promise,
il émanera une commission royale composée de
trois membres du gouvernement et de trois
membres de l'opposition, dont l'un sera l'hon. M.
BROWN, et le gouvernement s'engage à employer
toute l'influence de
l'administration pour assurer à la dite commission les moyens
d'avancer le
grand objet en vue."
Ce fut là le premier mémorandum communiqué a l'hon. membre pour South Oxford.
Cc mémorandum proposait le plan
qui est
maintenant devant la chambre ; l'hon.
membre pour South Oxford l'ayant repoussé,
on en vint à un compromis que l'on trouve
dans le second mémorandum qui a été lu à
la chambre, et qui est comme suit :
" Le gouvernement est prêt à s'engager à présenter une mesure, à la prochaine session,
pour
faire disparaître les difficultés existantes en introduisant le principe fédéral en
Canada, accompagné d'une disposition qui permettra aux provinces
maritimes et au territoire du Nord-Ouest de s'incorporer dans le même système de
gouvernement.
" Et le gouvernement cherchera, en
envoyant
des représentants aux provinces inférieures et en
Angleterre, à gagner l'assentiment des intérêts,
qui sont hors du contrôle de notre législation, à
267
la
mesure qui permettra à toute l'Amérique
Britannique du Nord de s'unir sous une législature
générale basée sur le principe fedéral."
Il y a une immense différence entre ces
deux propositions. La première était
que
le gouvernement chercherait à obtenir
une
confédération de toutes les provinces de l'Amérique Britannique du Nord, et que s'il
ne réussissait pas il proposerait une confédération des deux Canadas, et cela fut
rejeté ;
la seconde, qui fut acceptée par le président
du conseil, engageait le gouvernement
à
soumettre une mesure pour la confédération
des deux Canadas, avec des dispositions
pour permettre l'admission des autres provinces lorsqu'elles jugeraient à propos d'y
entrer.
L'HON.
A. A. DORION—Mais, monsieur
l'ORATEUR, l'on peut me demander,
en admettant tout cela, en admettant que le projet
qui nous est soumis n'est pas celui qui nous
avait été promis, quelle différence
peut faire
l'admission immédiate des provinces dans la
confédération. Je vais tâcher de
l'expliquer.
Lorsque les ministres ont consenti à
laisser
prendre dans la conférence les votes par
provinces, ils ont donné un grand avantage
aux provinces maritimes.—Ce mode de procédure a eu pour résultat la mesure la plus
conservatrice qui ait jamais été soumise à
la
chambre. Les membres de la chambre haute
ne doivent plus être élus, mais nommés, et
nommés par qui ? par un
gouvernement tory
ou conservateur pour le Canada, par
un gouvernement conservateur dans la Nouvelle—
Ecosse, par un gouvernement
conservateur
dans l'Ile du Prince-Edouard, par un gouvernement conservateur dans Terreneuve !—Le
seul gouvernement libéral intéressé dans la
nomination des conseillers étant celui du
Nouveau-Brunswick, où il y a une administration libérale, dont le sort dépend du résultat
d'élections qui se font maintenant dans
cette province ! Un pareil projet
n'aurait
jamais été adopté par la
représentation libérale du Haut-Canada! Les habitants du
Haut-
Canada, au nombre de 1,400,000, avec les
1,100,000 du Bas—en tout
2,500,000—ont
été contrôlée par les 900,000 habitants des
provinces maritimes. Ne nous a-ton
pas dit
en propres termes que c'étaient les
provinces
d'en-bas qui ne voulaient pas de
conseil
législatif électif ? Si, au lieu
d'inviter à
une conférence les délégués des provinces
d'en-bas, notre gouvernement eût fait ce qu'il
s'était engagé de faire, c'est-à-dire,
s'il
eût lui-même préparé une
constitution,
il n'aurait jamais osé faire une proposition comme celle qui nous est soumise ;-
il n'aurait jamais proposé un conseil législatif nommé à vie, avec un
nombre de
membres limité, et qui serait nommé par
quatre gouvernements torys. En portant à
15
ou 20 ans la moyenne du temps que chaque
membre du conseil occupera son siége,
il
faudra un siècle avant que sa composition ne puisse être changée ! L'on aura
un conseil législatif qui sera à jamais—au
moins en ce
qui regarde cette génération et la suivante—
contrôlé par l'influence qui domine ajourd'hui
dans notre gouvernement et dans ceux des
provinces matimes. Et va-t-on croire que,
comme on le promet dans le document qui
nous est soumis, un gouvernement comme
celui que nous avons s'occupera faire représenter l'opposition dans le conseil? (Ecoutez
! et rires.) Je remercie les délégués de
leur sollicitude à l'endroit de l'opposition,
mais je ne compte guères sur leurs promesses. N'avons-nous pas entendu l'hon.
procureur-général Ouest dire l'autre jour en
se tournant vers ses partisans: " Si j'avais à
recommander des nominations, je
conseillerais de choisir les plus qualifiés,—mais,
comme de raison, dans mon parti ?" (Ecoutez !) Il en sera ainsi, monsieur; et si
ce
précieux projet est mis à exécution, nous
aurons un conseil législatif divisé de la
manière suivante : pour le Haut-Canada
nous aurons probablement des libéraux dans
la proportion de 3 à 9, car je
suppose que
l'hon. membre pour Oxford Sud (M . BROWN)
a fait assez de sacrifices pour mériter au
moins cette concession, et comme ses amis
composent un quart du conseil exécutif, je
suppose que nous aurons aussi un quart de
libéraux parmi les conseillers législatifs du
Haut-Canada.
L'HON. A. A. DORION—Oui, exactement 25 pour cent. Ensuite nous aurons
pour la Nouvelle Ecosse, 10 conservateurs,
de l'Ile du Prince-Edouard, 4 de
plus, et 6
de Terreneuve. Ainsi, nous aurons 18 conservateurs des provinces d'en-bas, lesquels,
ajoutés à 86 du Canada, formeront 54 conservateurs contre 22 libéraux, en
supposant
258
que les 10 conseillers du
Nouveau-Brunswick
seront tous libéraux. Maintenant, en supposant que la moyenne des décès s'élève à
trois
pour cent par année, il faudra
près de 30
ans pour amener un ehangement dans le
caractère de la majorité du conseil, en supposant que toutes les additions
qui y seront
faites soient prises dans les rangs libéraux.
Mais cela ne sera guères possible. Dans
quelques-unes des provinces d'en-bas, il y
aura de temps à autre des gouvernements
conservateurs, et il pourrait
aussi y avoir
parfois un gouvernement conservateur en
Canada, (écoutez! et rires,) en sorte que
la génération actuelle passera certainement
avant que les opinions du parti libéral
puissent prévaloir dans les décisions du
conseil législatif.
L'HON. A. A. DORION—L'hon. membre
pour Lambton dit que cela ne fait pas de
différence ! L'hon. membre est prêt à tout
accepter ; mais pour ceux qui ne sont pas si
bien disposés, voici quelle est la différence
:
c'est que nous allons être liés par cette constitution qui permettra au conseil législatif
d'entraver toutes les mesures de réforme
qui seront désirées par le parti libéral. Si
l'hon. membre pour Lambton pense que cela
ne fait pas de différence, je me permettrai de
différer d'opinion avec lui, et
je pense que le
parti libéral en général en différera aussi. Le
gouvernement dit qu'il lui a fallu introduire
dans le projet certaines
dispositions qui ne
lui plaisaient pas, afin de
s'entendre avec les
délégués des provinces d'en-bas,
et qu'il s'est
engagé envers elles à faire adopter le projet
par la chambre sans amendement. L'hon.
membre ne voit-il pas qu'il y a une différence
maintenant? Si les deux Canadas étaient
seuls intéressés, la majorité ferait ce qu'elle
voudrait, examinerait minutieusement la
constitution, en ferait disparaître toutes les
dispositions qui ne lui couviendraient pas,
et une proposition comme celle relative au
conseil législatif n'aurait aucune chance
d'être adoptée :—il y a trop peu de temps
que cette chambre a voté, par une écrasante
majorité, la substitution d'un conseil électit
à un conseil nommé par la couronne. De
fait, la chambre nommée par la couronne
était tellement tombée dans l'opinion publique,—je ne dis pas que ce fût la faute
des
hommes qui la composaient,—mais toujours
est-il qu'il en était ainsi et qu'elle n'exerçait
plus aucune influence. Il était même difficile
d'y réunir un quorum. Un changement
était devenu absolument nécessaire, et à venir
jusqu'à aujourd'hui le système
électif a bien
fonctionné ; les membres élus sont égaux,
sous tous les rapports, aux membres qui
étaient ci devant nommés à vie. Eh
bien !
c'est juste au mement où l'intérêt commence
à s'attacher aux procédés de la chambre
haute, que l'on va changer sa constitution
pour revenir à celle que l'on a condamnée
il y a encore si peu de temps! J'ai dit revenir
à l'ancienne constitution. Je me trompe,
M. l'ORATEUR, on va substituer à
la constitution actuelle une constitution pire que
l'ancienne, et telle qu'il est impossible d'en
trouver ailleurs une semblable. La chambre
des lords, toute conservatrice qu'elle soit,
se trouve tout à fait à l'abri
de toute influence
populaire, il est vrai, mais le nombre de
ses membres peut être augmenté sur la recommandation des aviseurs responsables de
la
couronne, s'il en est besoin, pour assurer le
concours des deux chambres ou our empêcher une collision entre elles. La
position
que ses membres y occupent établit une
espèce de compromis entre l'élément populaire et la couronne. Mais la nouvelle
chambre de la confédération formera un
corps parfaitement indépendant—ses membres seront nommés à vie, et
leur nombre ne
pourra pas être augmenté ! Combien de
temps fonctionnera ce système sans amener
une collision entre les deux branches de la
législature ? Supposons le cas
où la chambre
basse se composerait en grande partie de
libéraux : combien de temps se soumettre-t-
elle à la chambre haute, nommée par des
gouvernements conservateurs qui auront
profité de leur majorité temporaire pour
opérer un changement comme celui que l'on
projette? La constitution anglaise a été
adoptée dans quelques pays, et là où il y avait
une noblesse, comme en France, en 1830,
les
membres de la seconde chambre ont été
choisis parmi cette noblesse. En Belgique,
où la constitution est en quelque sorte un
fac simile de la constitution
anglaise, mais
où il n'y a pas d'aristocratie,
on a adopté le
principe électif pour la chambre haute, mais
l'on n'a fixé nulle part le nombre des membres
d'une manière immuable, à moins que le
choix ne se fît par l'élection. Un grand
nombre de membres de cette chambre doivent
se rappeler parfaitement la longue persistance dc la chambre des lords à refuser la
réforme parlementaire demendée par le peuple
anglais, et quelles sérieuses diffcultés cette
259
résistance faillit entraîner à sa suite. Enfin,
en 1832, l'agitation devint
telle que le gouvernement résolut de nommer un nombre
suffisant de pairs pour assurer la passation du
bill de réforme. Les membres de
la chambre
des lords furent placés dans l'alternative de
choisir entre la concession du
bill de réforme
et la perte de leur influence, par suite
de la
nomination d'un nombre indéfini de nouveaux
pairs. Ils préférèrent consentir à la première
de ces mesures et ils mirent ainsi fin à une
excitation qui aurait pu produire une révolution, si elle n'avait pas été
arrêtée à
temps. L'influence de la couronne y fut
exercée dans le sens des vues du peuple ;
mais ici nous n'aurons aucun tel pouvoir
pour modifier l'action de la chambre haute,
dont la composition ne pourra être changée,
si ce n'est par l'action lente de la mort qui
pourra frapper ses membres. J'ose prédire,
M. l'ORATEUR, qu'avant longtemps
nous
nous trouverons placés dans une
impasse, et
que nous verrons une excitation telle qu'il
ne s'en est jamais produit jusqu'à
présent
dans ce pays. (Ecoutez! écoutez !) Je dis
que si cette constitution eût été faite par les
membres de notre gouvernement, nous pourrions changer quelques-unes de
ses dispositions. Et je ne pense pas qu'il se trouve
un seul membre du parti libéral en cette
chambre qui oserait se présenter devant ses
commettents et leur dire : " Je pouvais
laisser le conseil électif, mais j'ai préféré
enlever au peuple son influence et son contrôle sur la chambre haute, et j'ai créé
un
corps entièrement indépendant, dont les
membres seront nommés pour la vie par
les gouvernements actuels des diverses provinces." Mais non, la constitution a la
nature
d'un pacte, d'un traité, et ne peut pas être
changée! (Ecoutez !) Mais, M. l'ORATEUR,
la composition du conseil
législatif devient
d'une plus haute importance si nous considérons que les gouverneurs des différentes
provinces seront nommés par le gouverneur-
général, pour cinq ans, et ne
pourront être
changés à moins de raisons suffisantes. Maintenant, je suis à peu près convaincu que
nous n'aurons rien de tel que le gouvernement
responsable dans nos législatures locales.
L'HON. A. A. DORION—Il pourra y
avoir deux, trois ou quatre ministres, choisis
par les lieutenants-gouverneurs, qui seront
chargés de l'administration des affaires du
pays, comme cela se faisait au temps d'un
Sir FRANCIS BOND HEAD, d'un Sir JOHN
COLBORNE, ou d'un Sir JAMES CRAIG.
Nous aurons des gouvernements
dont le chef
sera nommé par le gouverneur-général, des
ministres nommés par les lieutenants-gouverneurs sans responsabilité au peuple. .S'il
n'en doit pas être ainsi pourquoi alors les
ministres ne nous laissent-ils pas connaître
leur plan ? ( Ecoutez ! ) Cette chambre, M.
l'ORATEUR, va-t-elle voter une constitution
qui détruit le principe électif dans la
chambre haute avant de connaître quelle
espèce de législature locale
nous aurons?
Supposons qu'après avoir adopté le plan
principal, le gouvernement
vienne avec un
projet de constitutions locales, et que ce
projet ne soit pas acceptable aux deux sections de la province : ne pourra-t-il pas
arriver alors que la majorité du Bas-Canada
s'unisse à la minorité haut-canadienne et
impose à cette section une
constitution
locale à laquelle une grande majorité du
peuple du Haut-Canada serait opposée,
et
qu'il en soit ainsi pour la constitution locale
du Bas-Canada? Le projet entier, M. l'ORATEUR, est absurdc du commencement à la
fin. Il est tout naturel qu'avec des vues
comme celles qu'entretiennent les hon.
messieurs de l'autre côté de la
chambre, ils
désirent donner autant de pouvoir que
possible à la couronne: c'est le
propre du
parti conservateur dans tous les pays ;—
c'est là exactement ce qui distingue
les
tories des whigs et des
libéraux. Les
torics favorisent le pouvoir de la couronne ;
d'un autre côté, les libéraux
cherchent à
étendre le pouvoir et l'influence du peuple.
Les instincts des hon. messieurs de la
droite, que nous prenions l'hon. proc.-gén.
Est ou l'hon. proc.-gén. Ouest,
les font
toujours agir dans le sens du pouvoir. Ils
croient que le pouvoir n'est jamais assez fort
et qu'il doit être soutenu et même augmenté,
tandis qu'ils sont d'opinion que
l'influence
du peuple doit être diminuée autant que
possible,—et la constitution qu'ils nous
proposent indique leurs dispositions. Avec
un gonverneur-général nommé par
la couronne ; avec des gouverneurs locaux aussi
nommés par la couronne ; avec des conseils
législatifs dans la législature générale et
dans toutes les provinces dont les membres
seront aussi nommés par la couronne et à
vie, avec un nombre fixe, nous nous trouverons avec la constitution la plus conservatrice
qui ait jamais été implantée dans aucun pays
régi par un gouvernement constitutionnel.
L'ORATEUR du conseil législatif doit aussi
260
être nommé par la couronne : c'est un
autre pas rétrograde et un peu de patronage
de plus pour le gouvernement. Nous avons
tous entendu parler d'un discours prononcé
dernièrement dans l'Ile du Prince-Edouard
ou le Nouveau-Brunswick, — j'ai oublié
lequel,—où l'on énumérait les avantages que
l'on avait fait miroiter aux yeux des délégués, pendant qu'ils étaient ici, sous forme
de nominations en perspective,
comme celles
de juges de la cour d'appel,
d'orateur du
censeil législatif, et de gouverneurs locaux,
(écoutez !) comme étant l'une des raisons
de l'unanimité qui a régné parmi les membres
de la conférence.
L'HON. A. A. DORION—Je n'accuse pas
les hon. messieurs d'avoir offert ces appûts- je ne mentionne que ce que j'ai
lu dans un
discours sur ce sujet.
L'HON. A. A. DORION — J'en viens
maintenant à un autre point. L'on dit que
cette confédération est nécessaire afin d'établir
de meilleurs moyens de défense
pour ce pays.
Il peut y avoir des gens qui pensent qu'en
additionnant deux et deux
ensemble, on
obtiendra cinq ; mais je ne suis pas de ceux-
là. Je ne puis découvrir comment, en ajoutant
les 700,000 ou 800,000 âmes des
provinces
d'en-bas aux 2,500,000 habitants du Canada,
on peut les multiplier de manière à en
faire une force pour défendre le
pays beaucoup plus grande que celle que l'on a
aujourd'hui. Nécessairement, nos relations
avec l'empire britannique sont
le lieu au
moyen duquel toutes les forces de l'empire
peuvent être réunies pour la défense. (Ecoutez !) Mais la position que nous fera la
confédération est bien évidente : vous ajouterez
quatre ou cinq cents milles de frontières à
celles que vous avez déjà, et une étendue de
pays dans une proportion incommensurablement plus grande que l'augmentation de
population que vous aurez obtenue, et s'il y
a là quelque avantage pour la défense du
pays, ce sera au profit des
provinces d'en-bas,
mais non pour nous. Nous sommes sur le
point d'encourir de très- grandes
dépenses pour
mettre le pays en état de défense,—la chose
a été formellement annoncée par le président du concil dans un discours à Toronto,-
et comme le Canada doit contribuer les dix
douzièmes de toutes les dépenses, les autres
provinces n'en payant que deux douzièmes,
il s'ensuit que le Canada aura à payer
aussi les dix douzièmes de ces dépenses qui
seront beaucoup plus considérables que si nous
restions seuls, puisqu'il nous faudra défendre
la grande étendue de territoire que l'on
ajoutera au nôtre. Je trouve ce
qui suit dans
le discours de l'hon. président du conseil :
" Je ne puis terminer sans dire un mot de
quelques autres sujets qui ont reçu l'attention
serieuse de la conférence. Et le premier point
sur lequel je désire attirer l'attention est le fait
que les délégués ont unanimement résolu que les
provinces unies seront placées le plus tôt
possible
en état de défense complète. Les attaques qui
ont été faites contre nous ont créé l'impression
que ces provinces sont dans un état de faiblesse
et de débilité ; si donc nous voulons faire disparaître cette fausse impression et
nous placer sur
un pied ferme et solide aux yeux de l'Union, nous
devons mettre notre pays dans un tel état de
défense que nous puissions regarder bravement
l'ennemi en face. C'est un plasir pour moi de
pouvoir dire,—et je suis convaincu que ce sera un
plaisir pour tous ceux qui sont ici
présents de
l'entendre dire,—que la conférence
de Québec ne
s'est pas séparée sans prendre l'engagement de
mettre les provinces unies dans l'état
de défense
le plus complet et le plus satisfaisant, tant
sur terre que sur mer."
L'HON. A. A DORION—Il paraît donc
que ce que nous avons à faire,
c'est d'avoir
une force armée et une marine qui soient sur
le pied le plus complet et le plus satisfaisant.
Maintenant, je vois par ces résolutions que
le gouvernement général aura le contrôle de
l'armée et de la marine ; mais le coût de ces
dépenses n'est pas mentionné. Eh bien ! si
le gouvernement général doit pourvoir aux
dépenses nécessaires pour défendre toutes
les provinces, il nous faudra accroître notre
milice, former une marine et payer cinq fois
plus que toutes les provinces inférieures
ensemble ne paieront pour toutes ces dépenses, tout en n'obtenant aucun accroissement
dans nos moyens de défense en ce qui
regarde le Canada. (Ecoutez !) Prenez la
ligne qui divise le Nouveau-Brunswick du
Maine, et vous verres qu'elle sépare d'un
côté 250,000 habitants répandus sur un vaste
territoire, et de l'autre côté 750,000 habitants qui forment une population compacte
et puissante. Il faudra que le Canada
défende ces 250,000, et il il lui faudra employer ses ressources pour trouver les
moyens
de défendre cette immense fontière.
(Ecoutez !) Et si la rumeur n'est pas
en défaut,
le chemin de fer intercolonial—cette prétendue nécessité militaire—ne doit pas
261
suivre la ligne tracée par le major ROBINSON
le long de la rive sud du St. Laurent. Des
journaux généralement bien informés ont
dit ne l'on avait trouvé une nouvelle route
qui devait contenter—si elle ne mécontente
pas—tout le monde ; et, pendant que j'en suis
sur ce chapitre, je dois dire qu'il est très
singulier que nous soyons appelés à voter
ces résolutions et à nous engager à payer
les dix-douzièmes du coût de ce chemin de
fer, sans que nous sachions s'il y en aura
dix milles ou cent milles sur le sol canadien,
et sans savoir s'il coûtera 10 millions ou 20
millions.
L'HON. A. A. DORION—En 1862, lorsque
cette question était devant le pays, quel était
le cri des hon. messieurs de l'autre côté ?—
C'était que le gouvernement MACDONALD-
SICOTTE s'était engagé à construire un
chemin de fer sans connaître le montant
auquel il s'était lié, et ceux qui criaient le
plus fort contre le projet sont ceux-là mêmes
qui, aujourd'hui, ont entrepris de construire
le chemin sans savoir où il passera ni ce qu'il
coûtera ( Ecoutez !) Ce fût là, si je me rappelle bien, le fond d'un discours fait
par l'hon.
proc.-gen. Ouest à Otterville. A cette époque,
je me suis contenté de dire quelles étaient
mes objections à ce projet, et de me retirer
du gouvernement ; mais mes collègues furent
attaqués sans mesure parce qu'ils s'étaient
liés à cette entreprise et à payer les sept
douzièmes de ce qu'elle coûterait ; et aujourd'hui ceux-là mêmes qui les attaquaient
ainsi
viennent demander à la chambre d'en payer
dix douzièmes, et cela sans savoir si l'entreprise est possible ou non. ( Ecoutez
!) Nous
avons entendu dire depuis quelque temps
que l'ingénieur, M. FLEMING, est prêt à
faire son rapport. Pourquoi n'est-il pas
soumis ? Pourquoi le retient-on ? Les représentants du peuple en cette chambre
montreront un grand oubli de leurs devoirs
s'ils n'insistent pas pour avoir ce rapport et
des explications complètes sur tout ce qui
se rattache à cette entreprise, de même que sur
les projets de constitution des gouvernements locaux, avant de voter les résolutions
qui sont devant eux. ( Ecoutez !) Il est
impossible de croire de bonne foi que ce
chemin de fer intercolonial contribuera le
moins du monde à la défense du pays. Nous
avons dépensé une forte somme d'argent,et personne ne l'a votée plus volontiers que
moi,—pour ouvrir un chemin militaire entre
Gaspé et Rimouski ; et ce chemin, dans le
cas d'hostilités avec nos voisins, sera d'un
bien plus grand service pour le transport des
troupes, des canons et de toute espèce de
matériel de guerre, qu'aucun chemin de fer,
qui suivrait la même route ou une ligne plus
au sud, ne pourrait l'être. Ce chemin ne
peut pas être détruit ; mais un chemin de fer,
qui ne se trouverait éloigné, en certains
endroits, que de 20 à 30 milles de la frontière, ne serait d'aucune utilité quelconque,
à cause de la facilité avec laquelle il pourrait
être attaqué et détruit. Un ennemi pourrait
en détruire des milles et des milles avant
qu'il ne fût possible de le protéger, et en cas
de guerre ce ne serait qu'un piège pour les
troupes qui y passeraient, à moins que nous
n'ayons toute une armée pour le garder.
( Ecoutez !) Nous avons tant entendu parler
de cette question de milice et de défense,
depuis deux ou trois ans, que je crois qu'il est
temps que nous ayons enfin des explications
claires à ce sujet. ( Ecoutez !) Nous avons
entendu l'autre jour l'hon. membre pour
Montréal Ouest ( M. MCGEE)—et je suis
toujours heureux de le citer, parce qu'il est
si exact,—nous dire qu'en moins d'un an
l'armée des Etats du Nord s'était accrue de
9,000 hommes qu'elle était au commencement de 1861, à 8,000,000, et qu'en moins de
quatre ans le gouvernement américain avait
pu mettre sur mer une flotte égale en
nombre—je ne dis pas en armement ou en
valeur—à toute la force maritime de l'Angleterre. L'hon. membre aurait pu aller plus
loin et faire voir que dans une période de
quatre ans, les Etats du Nord avait appelé au
service actif 2,300,000 hommes,—c'est-à-dire
à peu près autant de soldats que nous avons
d'hommes, de femmes et d'enfants dans les
deux Canadas réunis,—et cela sans diminution apparente de la population qui se
livre à l'agriculture et à l'industrie. L'on
nous dit qu'en face de ces faits, il est de
notre devoir de nous mettre en état de
défense. Eh bien ! monsieur, je le dis ici
avec conviction : nous sommes tenus de faire
tout en notre possible pour protéger le pays,
mais nous ne sommes pas obligés de nous
ruiner dans l'expectative d'une invasion que
nous ne pourrions pas repousser si elle avait
lieu, même avec tous les secours que l'Angleterre pourrait nous procurer. Les batailles
pour la défense du Canada n'auront pas lieu
sur nos frontières, mais en pleine mer et
auprès des grandes villes sur les bords de
l'Atlantique. Ce ne serait rien moins qu'une
262
folie pour nous d'épuiser nos ressources par
une dépense de quinze à vingt millions par
année pour lever une armée de 30,000 à
50,000 hommes dans le but de résister à
une invasion. Ce que le Canada a de mieux
à faire, c'est d'être paisible, et de ne donner
aucun prétexte de guerre à nos voisins.
( Ecoutez !) Que l'opinion publique de ce
pays force la presse à cesser ses attaques
contre le gouvernement des Etats-Unis, et
ensuite si la guerre surgit entre l'Angleterre
et les Etats, elle aura lieu sans qu'il y ait
de notre faute,—et si nous avons à y prendre
part, nous le ferons courageusement en aidant
l'Angleterre dans la mesure de nos forces et
de nos ressources ; mais en attendant, il est
parfaitement inutile pour nous de lever ou
d'entretenir aucune espèce d'armée permanente.
L'HON. Proc.-Gén. MACDONALD—
L'hon. membre me permettra-t-il de lui
demander comment nous pourrons aider
l'Angleterre à combattre sur la mer si nous
n'avons pas de marine ?
L'HON. A. A. DORION—L'hon. membre
pour Peterborough ( Col. HAULTAIN ) a dit
l'autre jour, et avec raison, je crois, que la
place de nos milices devait être derrière les
fortifications de nos places fortes, où elles
seraient là de quelque utilité. Il n'y a aucun
doute de cela ; mais, monsieur, il est absurde
de parler de défendre le pays avec une force
comme celle que nous pourrions entretenir,
lorsque nous avons devant les yeux l'exemple
récent d'un pays, en Europe, qui possédait
une armée régulière de 30,000 hommes, et
qui a été effacé de la carte du globe par une
armée d'invasion de 75,000 à 80,000 hommes.
Le royaume de Danemark ne consiste plus
que de deux petites îles,—beaucoup moins
grandes que certains de nos grands comtés ;
et ce démembrement a eu lieu nonobstant
son armée permanente de 80,000 hommes et
que toute la population fût enthousiaste pour
la guerre. ( Ecoutez !) Je n'emploie pas cet
argument pour chercher à démontrer que
nous ne devons rien faire à propos de notre
milice ; je veux bien que nous fassions des
sacrifices, s'il est nécessaire, afin de l'organiser
sur un bon pied ; mais je suis fortement
opposé à une armée permanente, et je ne
pense pas que nous pourrions maintenant
soutenir une armée qui serait de quelqu'utilité contre celle que l'on pourrait lancer
contre nous—dans le cas d'une guerre avec
nos voisins. Nous avons envoyé 2,000
hommes sur les frontières, dont les services
nous coûteront, pour un an, $1,500,000 ; et à
ce prix , 50,000 hommes nous coûteraient plus
de $30,000,000. Eh bien! si tout le poids de la
défense doit retomber sur nous, je demande un
peu que ferait une pareille armée ? ( Ecoutez !)
Maintenant, M. l'ORATEUR, lorsque j'examine les dispositions de ce projet, j'en
trouve encore une qui est parfaitement
inacceptable. C'est celle qui donne au gouvernement général le contrôle sur tous les
actes des législatures locales. Quelles difficultés ce système ne fera-t-il pas surgir
?—
Sachant que le gouvernement général sera
un gouvernement de parti, ne pourra-t-il
pas, par esprit de parti, rejeter des lois
passées par les législatures locales et réclamées par la grande majorité de ceux qu'elles
devront affecter ? Ce pouvoir conféré au
gouvernement général a été comparé au
véto qui existe en Angleterre à l'égard de
notre législation ; mais nous savons que les
hommes d'Etat anglais ne sont pas mus par
les préjugés et les jalousies qui existent
dans les colonies. Lorsqu'une loi adoptée
par une législature coloniale leur est envoyée,
si elle n'est pas en contradiction avec la
politique de l'empire en général, elle n'est
pas désavouée, et surtout depuis quelques
années le gouvernement impérial a eu pour
principe de laisser les colonies faire ce
qu'elles désirent sous ce rapport, pourvu
que leurs vœux soient exprimés d'une
manière constitutionnelle. Aussi leurs décisions inspirent maintenant plus de confiance
qu'autrefois et elles sont généralement respectées. La règle d'après laquelle ils
paraissent
agir, c'est que le moins ils entendent parler
des colonies, le mieux c'est. ( Ecoutez !)
Mais voyez quelle différence il y aura lorsque le gouvernement général exercera son
véto sur les actes des législatures locales.
Ne voit-on pas qu'il est très-possible qu'une
majorité dans un gouvernement local soit
opposée au gouvernement général, et que
dans ce cas la minorité demandera au gouvernement général de désavouer les lois
décrétées par la majorité ? Les hommes
qui composeront le gouvernement général
dépendront de l'appui de leurs partisans
politiques dans les législatures locales,
qui exerceront toujours une grande influence dans les élections, et pour conserver
leur appui, ou dans le but de servir leurs
amis, ils opposeront leur
véto à des lois
que la majorité de la législature locale
trouvera bonnes et nécessaires. ( Ecoutez !)
Nous savons jusqu'à quel point est parfois
263
poussé l'esprit de parti à propos de simples
affaires locales ou d'une importance triviale ;
et nous verrons souvent une opposition si
violente dans les législatures locales, que
tous les efforts de la minorité seront exercés
pour induire ceux qui formeront la majorité
dans la législature générale à empêcher toute
législation qu'ils n'approuveront pas, quoi-
qu'elle soit désirée par la majorité de leur
section. Quel sera le résultat d'un pareil
état de choses, si ce n'est un esprit d'animosité accompagné de récriminations et
d'une
agitation dangereuses ? ( Ecoutez !) Je vois
ensuite qu'à part des diverses sommes qui
doivent être payées par le gouvernement
général aux gouvernements locaux, il y a
des dispositions en faveur du Nouveau-
Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse qui
doivent frapper la chambre comme étant
d'une nature assez extraordinaire. Dans le
document qui a été envoyé aux membres de
cette chambre par l' hon. secrétaire provincial,
et qui était marqué " privé," il parait y
avoir eu une erreur. Il y était dit que le
gouvernement général ne pourrait pas imposer
de droits d'exportation sur le bois carré, les
billots, les mâts, les espars, les madriers et
le bois scié ; mais que les gouvernements
locaux auraient le droit d'imposer des droits
d'exportation sur ces articles. Il parait que
cette disposition était trop favorable au Bas-
Canada, car elle lui aurait permis d'imposer
des droits d'exportation sur le bois du Haut-
Canada.
L'HON. A. A. DORION—Et par ce
moyen il aurait pu prélever un revenu
suffisant, au dépens du Haut-Canada, pour
défrayer ses dépenses locales. Cette erreur
parait avoir été corrigée, car sous ce rapport
les résolutions qui sont devant la chambre
ont été changées, mais guères amendées.
L'HON. A. A. DORION—L'article des
résolutions dont je parle se lit maintenant
comme suit : que le gouvernement général
aura le pouvoir de faire des lois pour " l'imposition ou le règlement des droits de
douane
sur les importations et les exportations,- excepté sur les exportations du bois
carré,
des billots, des mâts, des espars, des madriers
et du bois scié du Nouveau-Brunswick, et du
charbon et des autres minéraux de la Nouvelle-Ecosse. " C'est-à-dire que le gouvernement
général pourra imposer une taxe à son
profit sur tous les bois et minéraux exportés
du Haut et du Bas-Canada, mais non pas sur
ceux exportés du Nouveau-Brunswick et de
la Nouvelle-Ecosse. ( Ecoutez !) Ensuite,
nous trouvons parmi les pouvoirs accordés
aux législatures locales, celui de passer des
lois pour imposer des taxes directes. ( Ecoutez !) C'est là le premier pouvoir qu'elles
auront, et je n'ai aucun doute qu'avant
plusieurs mois après leur organisation, elles
se trouveront dans la nécessité d'y recourir.
Mais en outre, je vois que le Nouveau-
Brunswick et la Nouvelle-Ecosse, qui sont
sans doute les enfants gâtés de la confédération, ont des pouvoirs qui ne sont pas
accordés
aux autres provinces. Le Nouveau-Brunswick aura le pouvoir d'imposer un droit
d'exportation sur les bois, et la Nouvelle-
Ecosse sur le charbon et autres minéraux
pour leurs besoins locaux,—en sorte que
tandis que nos bois et minéraux exportés du
Haut et du Bas-Canada seront taxés par le
gouvernement général pour les besoins généraux, les bois du Nouveau-Brunswick et les
minéraux de la Nouvelle-Ecosse ne seront
taxés que par les gouvernements de ces
provinces et pour des objets locaux. ( Ecoutez !) C'est là l'un des résultats de la
conférence, dans laquelle, comme de raison, le
Nouveau-Brunswick comptait autant que le
Haut et le Bas-Canada, et dans laquelle la
Nouvelle-Ecosse et les autres provinces inférieures avaient la prépondérance. ( Ecoutez
!)
Entre autres pouvoirs accordés au gouvernement général, je vois qu'il aura le contrôle
sur l'agriculture, l'immigration et les pêcheries. L'hon. membre pour Lambton (M.
MACKENZIE ) demandait hier s'il était possible qu'un acte relatif à l'agriculture,
passé
par la législature locale, pût être affecté
par le gouvernement général. Il est certain
que l'agriculture, l'immigration et les
pêcheries seront placées sous le contrôle des
législatures locales et de la législature
fédérale, car la 45e résolution dit :
" Pour tout ce qui regarde les questions soumises
concurremment au contrôle du parlement fédéral
et des législatures locales, les lois du parlement
fédéral devront l'emporter sur celles des législatures locales. Les lois de ces dernières
seront
nulles partout où elles seront en conflit avec celles
du parlement général. "
Quelle sera l'opération de cette disposition ? La législature locale passera une loi,
qui sera ensuite soumise au gouvernement
général ; ce dernier y mettra son véto, et si
pour quelque raison cela n'a pas lieu la
264
législature passera une loi contraire, et vous
aurez immédiatement un conflit. ( Ecoutez !)
L'HON. M. HOLTON—Alors ils se battront. ( Rires.) Il n'y aura plus de difficultés
sectionnelles alors !
L'HON. A. A. DORION—Oh ! non ; pas
la moindre ! Je puis peut-être maintenant
passer à la question financière du projet. Je
n'essaierai pas de suivre le ministre des
finances dans ce que j'admets avoir été l'habile
exposition, ou plutôt l'habile manipulation
des chiffres qu'il a faite 1'autre jour. Quand
cet hon. monsieur a pu prouver à la satisfaction des BARING, des GLYNN et des principaux
financiers anglais, que les placements
qu'ils feraient dans le Grand Tronc leur rapporteraient au moins 11 pour cent, il
n'est pas
étonnant qu'il puisse faire voir à cette chambre que les finances de la confédération
seront
dans une condition très prospère, et que nous
aurons chaque année un surplus d'au moins
un million. ( Rires.) D'après ce que je savais
de ses prophéties antérieures, je pensais qu'il
porterait ce surplus à onze ou douze millions
au moins, mais il a été assez modeste pour
ne le porter qu'à un million seulement ! Mais
comment arrive-t-il même à ce surplus ? Il
prend, en premier lieu, le revenu de Terre-
neuve pour 1862. J'ai eu la curiosité d'en
chercher la raison, et je trouve que le revenu
de 1862 a été le plus élevé qu'il y ait, excepté
1860. ( Ecoutez !) Ensuite il a pris le revenu
du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-
Ecosse et du Canada pour 1863—encore les
chiffres les plus élevés. ( Ecoutez !) Mais
avec tout cela, il se trouve encore un déficit
de $827,512. Même en supposant qu'au 31
décembre il avait un surplus d'un million ou
d'un million et demi, je serai agréablement
surpris si, à la fin de l'année courante, ce
million et demi ne se trouve pas réduit
à un demi million ou peut-être moins,
grâce aux dépenses pour la milice et à
la diminution des revenus. ( Ecoutez !)
Voici donc le langage qu'il tient au pays
pour lui faire adopter le projet de confédération : " J'aurai un million dont je ne
saurai
que faire, et je réduirai les droits à 15 pour
cent." Mais l'hon. monsieur oublie qu'il lui
faut pourvoir à la construction du chemin
de fer intercolonial, ainsi qu'à l'entretien de
cette force de terre et de mer que nous allons
lever pour la défense du pays. ( Ecoutez !
écoutez !) Il oublie tout cela, et comme il
éblouissait autrefois les futurs actionnaires
du Grand Tronc en leur montrant des dividendes de 11 pour cent sur leurs placements,
il vient éblouir de la même manière le peuple
des diverses colonies en lui faisant espérer
qu'aussitôt la confédération obtenue, les
droits de douanes vont être réduits à 15 pour
cent. ( Ecoutez! écoutez !) Je vois dans
les résolutions qui nous sont maintenant soumises quelques propositions sur lesquelles
je
désire attirer l'attention de la chambre. La
première comporte que la confédération
devra pourvoir à la construction du chemin
de fer intercolonial, qui coûtera certainement vingt millions de piastres, dont l'intérêt,
à 5 pour cent, s'élèvera à une somme d'un
million par année. ( Ecoutez ! écoutez !)
Ensuite, nous sommes tenus de payer à Terre-
neuve $150,000 par année pour le prix de
ses terres minières, tandis que dans les autres
provinces toutes les terres publiques sont
abandonnées aux gouvernements locaux. Mais
ce n'est pas tout, car pour administrer ces
précieux terrains, il nous faudra établir à
Terreneuve un département des terres de la
couronne, sous la direction du gouvernement général ; et si quelque hon. membre
désire connaître quelque chose du coût
probable d'un pareil établissement, il n'a qu'à
examiner un rapport qui nous a été soumis
hier soir : il y verra qu'il n'y a pas moins de
soixante ou soixante-dix officiers au département des terres de la couronne, et que
quelques huit ou dix nouvelles nominations
ont été faites dans ce département depuis le
mois de mars dernier, époque à laquelle fut
formé le gouvernement actuel. ( Ecoutez!
écoutez !) Ce rapport est aussi très intéressant à d'autres points de vue. Il démontre
que durant cette période il n'y a pas un seul
département du gouvernement dont le personnel n'ait été augmenté, excepté celui
du proc.-gén. Est, qui se contente encore
des trois employés qui y étaient lors de son
retour au pouvoir. ( Ecoutez !) Ce rapport fait
voir le nombre de nouveaux employés qui
ont été nommés depuis l'année dernière dans
tous les départements—et plusieurs d'entre
eux ont été pris dans cette chambre et
nommés à des emplois publics afin de faire
place ici à d'autres.
L'HON. A. A. DORION—De plus, le
Nouveau-Brunswick va recevoir un subside
spécial de $63,000 par année pendant dix
ans. Cette somme est donnée à cette province pour subvenir à ses dépenses locales
et lui permettre d'échapper à la nécessité de
recourir à la taxe directe.
265
L'HON. M. HOLTON— Nécessairement,
elle ne peut pas imposer de taxes directe,
parce qu'elle n'a pas d'institutions municipales. ( Rires.)
L'HON. A. A. DORION—Eh bien ! je vois
dans un discours prononcé par M. TILLEY,
premier ministre du Nouveau-Brunswick,
que cet octroi de $63,000 par année, et les
80 centins par tête payés pour les besoins du
gouvernement local, donneront au Nouveau-
Brunswick $34,000 par année de plus que
ce qu'il a besoin pour subvenir à toutes ses
dépenses locales actuelles. (Ecoutez !) L'on
trouverait tout le discours de M. TILLEY
très-instructif si je pouvais tout le lire, mais
je crains de fatiguer la chambre. ( Cris de
continuez ! continuez !) Après avoir parlé
des différents avantages qui seront conférés
au Nouveau-Brunswick par la confédération,
M. TILLEY dit :
" Mais à part tous ces avantages, nous recevrons pendant dix ans un subside de $63,000
par
année. Nos dépenses locales, additionnées ensemble, s'élèvent à $320,630 ; et nous
recevrons du
gouvernement général, sans accroissement de taxe,
$90,000 au lieu de nos droits d'exportation ( ce
devrait être " droits d'importation") et notre
subside spécial de $63,000 par année pendant 10
ans, faisant en tout $354,637 , ou $34,000 de plus
que tous nos besoins actuels. Ce sont là les principaux points qu'il faut examiner.
" ( Ecoutez !)
L'on se rappellera de plus que M. TILLEY
a déclaré que sans le chemin de fer intercolonial, pas de confédération ! Et le Canada
et les ministres canadiens se sont montrés
prêts à lui accorder tout ce qu'il demandait :
chemin de fer, subside et bonus. ( Ecoutez !)
Mais il n'y a pas que le Nouveau-Brunswick
qui doive avoir quelque chose au-delà de
tous ses besoins. J'ai ici un extrait de
l'Examiner de Charlottetown ( Ile du Prince-
Edouard ), dans lequel M. WHELAN, son
rédacteur, qui était aussi l'un des délégués à
la conférence de Québec, résume les avantages qu'obtiendra l'Ile du Prince-Edouard
à peu près comme M. TILLEY le fait pour le
Nouveau-Brunswick. Il dit :
" Par cet arrangement, la dette de l'Ile du
Prince-Edouard sera garantie au montant de
$2,025,000—dont l'intérêt, à 5 pour cent, sera de
$101,250.
" Ajoutez à cela la proportion que la confédération donnera à chaque province pour
le soutien
de son administration locale, au taux de 80 centins
par tête, faisant pour la population de l'Ile du
Prince-Edouard, qui est de 81,000, la somme de
$64,800 ; nous avons alors un total de $166,050,
que l'Ile du Prince-Edouard recevra annuellement.
" Déduisez de cette somme $12,000 pour
l'intérêt à 5 pour cent sur notre dette de £75,000
courant, ou $240,000 et la balance en notre faveur
sera de $l54,050, somme qui dépasse de près de
quarante-huit mille piastres le coût actuel de notre
administration locale, le gouvernement central
prenant sur lui le paiement de certaines dépenses
générales. " ( Ecoutez! écoutez !)
Les dépenses générales dont il parle sont les
salaires du gouverneur, des juges, etc., que
paiera le gouvernement général. Ainsi, monsieur l'ORATEUR, nous voyons MM. WHELAN
et TILLEY, deux des délégués, qui se félicitent
de la bonne affaire qu'ils ont faite aux dépens
du Canada, et qui cherchent à faire accepter
le projet de confédération en montrant que
le Nouveau-Brunswick aura $34,000 de plus
que ses besoins, et l'Ile du Prince-Edouard
$48,000. Je conseillerais au ministre des
finances, lorsqu'il aura besoin d'argent, d'aller
à ces provinces et d'emprunter ce surplus
que nous leur aurons payé ; elles consentiront
sans doute à nous le prêter à des conditions
favorables. ( Rires.) J'ai fait un petit calcul
pour voir quelle proportion le Haut et le Bas-
Canada auront respectivement à supporter
de ces nouvelles charges.—$63,000 par année
données pendant dix ans au Nouveau-Brunswick formeraient un capital, à 5 pour cent,
de
près de $350,000.
L'HON. A. A. DORION—Mon calcul est
plutôt au-dessous qu'au-dessus de la réalité ;
mais prenons $350,000 comme valeur capitalisée de cette annuité pendant dix ans.
Cela nous donne un intérêt de $17,500 par
année. Maintenant, supposons que l'accroissement du territoire qu'il faudra défendre
sous la confédération augmente les dépenses
de la milice au montant d'un million par
année,—et c'est là, je crois, une estimation
très raisonnable, surtout s'il faut mettre à
effet les projets grandioses de la conférence
à propos d'une armée et d'une marine, tel
qu'expliquées par l'hon. président du conseil à son auditoire de Toronto ;—ajoutez
ensuite l'intérêt de la somme requise pour
construire le chemin de fer intercolonial,
à 5 pour cent, sur $20,000,000, $1,000,000
de plus, qui s'accroît de $150,000 d'indemnité que l'on doit payer à Terreneuve
pour ses " précieuses terres minérales." Ensuite nous avons à payer les gouvernements
locaux au taux de 80 centins par tête, en tout
$3,056,849 ; l'intérêt sur la dette de la
Nouvelle-Ecosse, $8,000,000, s'élèvera à
$400,000 ; sur celle du Nouveau-Brunswick,
266
$7,000,000, à $350,000 ; sur celle de
Terreneuve, $3,250,000, à $162,000 ; et sur
la dette de l'Ile du Prince-Edouard, $2,021,425, à $101,071. En ajoutant toutes ces
sommes ensemble, nous voyons que la dépense annuelle, en sus, il faut bien le
remarquer, des charges que nous supportons
maintenant, sera de $6,237,920, ( écoutez !)
représentant un capital de $124,758,400.
La part du Canada dans cette dépense sera
de $1.89 par tête, s'élevant à $4,725,000.
Cela est tout à fait à part de la dette de $62,500,000 avec laquelle le Canada entrera
dans
la confédération. La part du Haut-Canada,
d'après sa population, sera de $2,646,000 ;
et celle du Bas-Canada de $2,079,000 ;
mais les haut-canadiens prétendent depuis
longtemps qu'ils paient plus des deux tiers
de la dépense, et le
Globe disait il y quelque
temps que c'était là la proportion il y a dix
ans et qu'aujourd'hui la disproportion est
beaucoup plus grande. L'on peut donc, d'après l'organe du président du conseil, prendre
au moins cette proportion des deux tiers
pour le Haut-Canada, et d'un tiers pour le
Bas. Le Haut-Canada aurait donc à payer
$3,183,334 sur cette dépense additionnelle
de $4,725,000, et le Bas-Canada $1,591,667. Ce calcul est fait dans la supposition
que les provinces maritimes paieraient leur
proportion de ces dépenses comme si elles
étaient divisées également d'après la population des provinces-unies,— c'est-à-dire
que
les provinces maritimes paieraient par tête
une somme moindre que le Haut-Canada et
plus grande que le Bas-Canada. J'ai bien
quelques doutes à ce sujet, et je crois que la
ville de Montréal paie un peu plus de droits
sur les importations que l'Ile du Prince-
Edouard et l'Ile de Terreneuve réunies ;
je crois aussi que la population du district
de Montréal paie beaucoup plus par tête
que celle du Nouveau-Brunswick ou de la
Nouvelle-Ecosse.
L'HON. A. A. DORION—Je veux dire
que les habitants de la ville de Montréal
paient beaucoup plus que les habitants d'aucune autre partie des provinces que l'on
propose de réunir et que le district de Montréal consomme autant qu'aucune section
de
pays de même étendue et de même population. On nous a dit depuis dix ans que le
Haut-Canada voulait avoir la représentation
basée sur la population seulement parce
que le Bas-Canada dépensait en prodigue
l'argent de la province, dont les deux tiers
sortaient de la poche des habitants du Haut-
Canada. On nous a dit que ce n'était pas
pour se mêler des institutions, de la langue
et des lois du Bas-Canada, mais seulement
sur donner aux habitants du Haut-Canada
le contrôle qu'ils devaient avoir par leur
nombre sur les finances du pays. C'était là
la seule chose qu'elle devait leur faire gagner.
L'HON. A. A. DORION—L'hon. membre
se rappellera peut-être une lettre écrite par
l'hon. membre pour Montréal Ouest ( M.
MCGEE ) à " mon cher ami MACARROW," de
Kingston. C'était à la veille de l'élection
générale de juin 1861. Elle avait pour but
d'encourager le peuple du Haut-Canada à
s'unir pour renverser cette mauvaise administration qui était la plaie du pays, (
écoutez ! et rires,) l'administration CARTIER-
MACDONALD. Les raisons qu'il donnait à
l'appui de son appel étaient comme suit :-
" Premièrement.—Parce qu'ils ( les ministres )
ont collectivement violé la constitution, et insulté
au sens moral du pays, par le double shuffle et les
doubles serments de 1858.
" Secondement.—Parce qu'ils ont violé la constitution en permettant des paiements, en accordant
des avantages pécuniaires et en donnant ou procurant des contrats lucratifs à des
membres du
parlement, leurs partisans, comme le prouvent les
paiements, octrois et contrats faits ou donnés à
M. TURCOTTE, M. MCLEOD, M. BENJAMIN M.A. P.
MACDONALD et M. MCMICKEN.
" Troisièmement.— Parce qu'ils ont violé la
constitution en gardant pendant trois sessions
MM. ALLEYN, DUBORD et SIMARD, comme représentants de Québec avec une prétendue majorité
de 15,000 voix.
" Quatrièmement.— Parce qu'ils ont violé la
constitution en justifiant la vente des emplois
publics, dans le cas du shérif MERCER, et en retenant l'hon. Col. PRINCE dans la chambre
haute
comme leur partisan actif, après que sa charge
eût été créée et sa commission émanée, comme
juge du district d'Algoma.
" Cinquièmement.—Parce qu'ils ont violé la
constitution en gardant JOSEPH C. MORRISON dans
le cabinet, comme ministre de la couronne, après
qu'il eût été trois fois repoussé par le peuple.
" Sixièmement.—Parce qu'ils ont violé la constitution en abandonnant à Sir EDMUND HEAD seul
le soin de représenter le peuple du Canada lors de
la mémorable visite de S. A. R. le PRINCE DE
GALLES.
" Septièmement.—Parce qu'ils ont continuellement et systématiquement violé la constitution en
dépensant d'immenses sommes d'argent, s'élevant
en tout à plusieurs millions de piastres, sans l'autorisation du parlement."
Je conseillerais à l'hon monsieur de coutinuer cette correspondance et d'y ajouter
les $100,000 payées sans autorisation pour
267
la compagnie du Grand Tronc, ainsi que
l'affaire de la lettre de change sur la banque
du Haut-Canada.
M. POWELL— La confédération vaut
tout cela ! ( Rires. )
" L'on admettra que cet acte d'accusation
expose des délits graves et des abus de confiance
qui devraient être punis par le peuple, maintenant
que les coupables se présentent pour subir leur
jugement. Quelles que soient les différences
d'opinion qui peuvent exister parmi l'opposition,
soit chefs en simples membres, sur la nature et
l'étendue des réformes constitutionnelles réclamées
dans notre forme de gouvernement actuelle, il
n'y a pas de différence sur ce point : qu'il faut
trouver immédiatement quelque remède aux dépenses extravagantes qui démoralisent journellement
nos hommes publics, appauvrissent le
pays et retardent son accroissement naturel...…
Nous avons besoin en premier lieu d'un gouvernement honnête, d'un gouvernement réellement
responsable qui, excepté dans les cas les plus
évidents de nécessité, comme l'invasion du sol,
ne gaspillera pas l'argent du peuple, sous aucun
prétexte quelconque, sans l'autorisation des représentants du peuple. "
En bien ! M. l'ORATEUR, c'était là l'avis
donné au Haut-Canada en 1861 par l'un des
chefs ; le ministre actuel de l'agriculture.
L'HON. A. A. DORION—Cela a beaucoup à faire avec la question. Cela montre
que la représentation basée sur la population
était demandée comme remède aux maux
financiers du système actuel de gouvernement. Suivant cet avis, le Haut-Canada
donna une forte majorité contre le gouvernement du jour, et les membres élus, après
avoir renversé l'administration CARTIER-
MACDONALD, soutinrent un gouvernement
qui repoussait la représentation sur le nombre,
abandonnèrent au moins pour un tems cette
question et reconnurent par là que la question
financière l'emportait sur l'autre en importance. J'ai fait voir, je crois, la proportion
qu'aurait à payer le Haut-Canada dans l'accroissement de la dépense qui devra résulter
immédiatement de l'adoption du projet de la
confédération. Comme ce projet est proposé
pour parer aux difficultés financières entre
le Haut-Canada et le Bas-Canada, et libérer
le Haut-Canada de ce qu'il paie pour le Bas-
Canada de plus que celui-ci contribue au
revenu, voyons ce qu'il paie de plus que
sa proportion.—Le total de la dépense ordinaire de la province, à part l'intérêt sur
la
dette publique, les frais de législation, la
milice, la subvention des vapeurs transatlantiques, la perception du revenu, et les
autres dépenses qui devront être payées par
le gouvernement général si la confédération
a lieu, ne s'élève pas à plus de $2,500,000,
ou $1 par tête de toute la population. Donc,
en supposant que le Haut-Canada paie les
deux tiers de cette somme, ou $1,666,666, et
que le Bas-Canada en paie un tiers ou
$833,344, le Haut-Canada ne paierait que
$266,666 de plus que sa part répartie d'après
la population. Et c'est, je le répète, pour
se débarrasser de cette dépense d'une couple
de centaines de milliers de piastres que les
membres Haut-Canadiens du gouvernement
proposent que leur section du pays se charge
d'un surcroît annuel de dépenses de $3,181,000, qui ne rapporteront absolument rien
!
( écoutez !) et de charger le Bas-Canada
d'un surcroît de dépenses de $1,500,000 à
$2,000,000 par année, le montant dépendant
de la proportion qu'ils contribuent respectivement aux revenus du pays. Et, M. l'ORATEUR,
ceci n'est que la dépense immédiate et
nécessaire qui retombera sur le peuple du
Canada dès le commencement Il n'y a pas
un seul denier dans cette estimation qui soit
pour les sections de la confédération. ( Ecoutez !) Mais, monsieur, à propos des dépenses
du pays, j'aurais dû dire plus tôt que ce projet
propose une union, non-seulement avec la
Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick, l'Ile
du Prince-Edouard et Terreneuve, mais encore
avec la Colombie Britannique et l'Ile de
Vancouver. Bien que je n'aie pu obtenir
l'information que j'ai demandée au gouvernement,—car il ne paraît pas être très disposé
à donner des informations,—je crois
comprendre qu'il existe des dépêches informant le gouvernement que des résolutions
ont été passées dans la législature de la
Colombie, demandant son admission immédiate dans la confédération. Je dois avouer,
M. l'ORATEUR, que ça a l'air d'une farce de
parler comme d'un moyen de défense d'un
projet pour unir tout le territoire qui s'étend
depuis Terreneuve jusqu'à l'Ile de Vancouver,
entre lesquels il y a des milliers de milles qui
sont sans communication, excepté à travers
les Etats-Unis ou en tournant le cap Horn.
(Oh ! oh!)
L'HON. A. A. DORION.—Oui, je suppose que c'est encore là une
autre nécessité
de la confédération à laquelle nous pouvons
268
nous attendre bientôt,—quelque prolongement
de ce projet de Grand Tronc pour le
profit et avantage de MM. WATKIN et Cie.,
ou de la nouvelle compagnie de la Baie d'Hudson dont ils font partie. En ce qui regarde
le Bas-Canada, je n'ai pas besoin de m'arrêter à indiquer les objections qu'il doit
avoir à ce projet. Il est évident, après ce
qui a transpiré, que l'on a l'intention de
former plus tard une union législative de
toutes les provinces. Les gouvernements
locaux, à part du gouvernement général,
deviendront un tel fardeau, qu'une majorité
de la population anglaise demandera au gouvernement impérial une union législative.
( Ecoutez !) Et je demande s'il y a quelque
membre du Bas-Canada d'extraction française qui soit prêt à voter pour une union
législative. L'hon. membre pour Sherbrooke
a dit au diner donné aux delégués à Toronto,
après avoir approuvé tout ce qui avait été
dit par l'hon. président du conseil :
" Nous pouvons espérer que dans un avenir
assez rapproché, nous consentirons à entrer dans
une union législative au lieu d'une union fédérale
comme celle qui est aujourd'hui proposée. Nous
aurions tous désiré une union législative, et voir
le pouvoir concentré entre les mains du gouvernement central, comme la chose existe
en Angleterre, et étendant l'égide de sa protection sur
toutes les institutions du pays ; mais nous avons
vu qu'il était impossible de le faire de suite. Nous
avons vu qu'il y avait des difficultés qui ne pouvaient être surmontées."
Les hon. membres du Bas-Canada sont
avertis que tous les délégués désiraient une
union législative, mais qu'elle ne pouvait
avoir lieu immédiatement. Cette confédération est le premier pas vers son accomplissement.
Le gouvernement britannique est
prêt à accorder de suite une union fédérale,
et lorsqu'elle aura eu lieu, l'élément français
se trouvera complétement écrasé par la majorité des représentants anglais. Qui empêchera
alors le gouvernement fédéral de faire
passer une série de résolutions comme on le
fait aujourd'hui pour les résolutions qui sont
devant la chambre —sans les soumettre au
peuple—demandant au gouvernement impérial de mettre de côté la forme fédérale de
gouvernement et de nous donner, pour la
remplacer, une union législative ? ( Ecoutez !
écoutez !) Il peut se faire que le peuple du
Haut-Canada soit d'opinion qu'une union
législative serait très-désirable, mais je puis
assurer ses représentants que le peuple du Bas-
Canada est attaché à ses institutions par des
liens assez forts pour frustrer toute tentative
de les lui enlever par un pareil moyen.
Ils ne consentiront jamais, pour aucune considération quelconque, à changer leurs
institution sreligieuses, leurs lois et leur langue. Un
million d'habitants peuvent ne pas avoir une
grande importance aux yeux du philosophe
qui entreprend de rédiger une constitution du
fond de son cabinet. Il peut être d'opinion
qu'il vaudrait mieux qu'il n'y eût qu'une seule
religion, une seule langue et un seul code,
et il se met à l'œuvre pour créer un nouveau
pacte social dont l'effet serait d'amener l'état
de choses qu'il désire : l'assimilation complète
de différentes nationalités. L'histoire de
tous les pays démontre que la force même
des bayonnettes n'a jamais réussi à opérer de
tels changements. ( Ecoutez ! écoutez !) Nous
avons l'histoire de la Grèce, dont la population,
après avoir atteint le chiffre élevé de six
millions, est descendue par suite de persécutions inouïes à sept cent mille, et s'est,
après
plusieurs siècles, levée contre ses persécuteurs
pour revendiquer ses droits. ( Ecoutez !
écoutez !) L'histoire de la Belgique nous offre
un exemple analogue. Elle fut unie à la
Hollande dans la vue d'assimiler les deux
pays, mais quinze ans s'étaient à peine écoulés
après cette union, que les populations belges
se levèrent en masse pour protester contre
cette union et pour affirmer leur nationalité
distincte. ( Ecoutez ! écoutez !) L'histoire du
passé, M. l'ORATEUR, n'est pas la seule qui
puisse nous fournir une leçon là-dessus : les
circonstances dans lesquelles se trouvent
placées les générations actuelles peuvent
aussi nous servir de guide. Je suis surpris
de voir l'hon. député de Montréal Ouest
appuyer une mesure qui doit aboutir à une
union législative, et dont l'objet est d'assimiler le peuple du Bas-Canada à la population
dominante dans les provinces britanniques.
Dans le pays même de l'hon. membre, ce
système n'a eu d'autre effet que de créer un
mécontentement général et de le porter à la
révolte. Est-il désirable alors que nous
adoptions dans ce pays-ci une mesure dont
l'effet sera de déplaire à un million de ses
habitants ? Vous pouvez vous assurer de ce
qu'il en coûte pour écraser ainsi un peuple
en vous reportant aux scènes qui se sont
déroulées et qui se déroulent aujourd'hui de
l'autre côté de la frontière, où un cinquième
de la population des Etats-Unis s'est levé
et a fait fondre depuis quatre ans plus de
misères et de malheurs sur ce pays que des
siècles d'une législation paisible et de compromis auraient produits. M. l'ORATEUR,
269
si l'on ose opérer une union législative des
provinces de l'Amérique Britannique, il se
produira nécessairement dans cette section de
la province une agitation plus grande qu'à
aucune autre époque de notre histoire. Vous
verrez le peuple du Bas-Canada uni comme
un seul homme pour résister par tous les
moyens légaux et constitutionnels à cette
tentative de leur arracher les institutions
qu'il possède. Ses représentants iraient
comme un seul homme au parlement, votant
en corps, et ne se souciant que de protéger
ses institutions et ses lois, auxquelles il est
profondément attaché. Ils rendraient à
peu près impossible le fonctionnement
du gouvermement. Les quatre-vingt-dix
membres irlandais de la chambre des communes en Angleterre,—qui compte près
de sept cents membres,—ont réussi, en
s'unissant, à faire sentir leur influence à
l'occasion des octrois au collége de Maynooth
et sur certaines autres questions. La même
chose aurait lieu pour le peuple du Bas-
Canada et il en résulterait inévitablement
un état de choses vraiment déplorable. La
majorité se trouverait forcée par la minorité
à faire ce qu'elle n'aurait jamais pensé à
faire sous d'autres circonstances. C'est là
un état de choses si peu désirable que, bien
que je sois fortement opposé à l'union
fédérale projetée, je le serais encore plus à
l'union législative. Ceux qui désirent une
union législative peuvent maintenant se faire
une idée des éléments discordants avec
lesquels ils auraient à compter dans cette
union, et des malheurs qu'ils amasseraient
sur le pays en l'accomplissant. ( Ecoutez !)
Je sais que la population protestante du Bas-
Canada craint que, même avec les pouvoirs
restreints laissés aux gouvernements locaux,
leurs droits ne soient pas protégés. Alors,
comment peut-on espérer que le Bas-Canada
puisse avoir une grande confiance dans le
gouvernement général, qui aura des pouvoirs
si immenses sur les destinées de leur section?
L'expérience démontre que les majorités
sont toujours aggressives et portées à être
tyranniques, et il n'en peut être autrement
dans ce cas-ci. Il n'y a donc pas lieu de
s'étonner que le peuple du Bas-Canada,
d'origine britannique, soit prêt à employer
tous les moyens possibles pour empêcher
qu'il ne soit pas placé dans la législature
locale à la merci d'une majorité différente de
la sienne. Je crois avec eux qu'ils ne doivent
pas s'appuyer sur de simples promesses, pas
plus que nous, Bas-Canadiens-Français, nous
devons le faire relativement au gouvernement
général, quelque parfaits que puissent être
aujourd'hui nos rapports mutuels.
L'HON. M. MCGEE —C'est une magnifique doctrine à infuser dans la société.
( Ecoutez ! écoutez !)
L'HON. A. A. DORION—Quoi qu'en dise
l'hon. membre, cette doctrine sert généralement de règle dans les rapports ordinaires
de
la vie et ce avec raison. Lorsque mon hon.
ami fait un contrat, même avec un ami ou un
voisin, ne prend-il pas le soin de lui donner
une forme légale, d'y prévoir toutes les
difficultés possibles et de le faire par écrit.
S'il en agit ainsi pour la moindre transaction,
pourquoi, lorsque nous sommes à prendre des
engagements dont on ne peut prévoir le terme,
ne ferions-nous pas de même ? ( Ecoutez ! écoutez !) L'hon. membre a lui-même reconnu
cette règle en insérant dans les résolutions
des garanties concernant les institutions
d'éducation des deux sections du Canada. Les
catholiques romains du Haut-Canada sont
anxieux de voir leurs droits mis à l'abri des
atteintes de la majorité protestante de leur
section de la province, tout comme la minorité
protestante du Bas-Canada demande des
garanties permanentes. Je n'hésite pas à dire
toute ma pensée sur ce projet. Je n'y vois
autre chose qu'un nouveau projet de chemin
de fer qui devra profiter à quelques-uns, et
je ne saurais mieux en indiquer la nature et
la valeur qu'en citant ce que pensait l'hon.
président du conseil, relativement à la
question de la confédération de toutes les
provinces et à celle du chemin de fer intercolonial, peu de temps avant son entrée
dans
l'administration. L'on verra qu'il n'était pas
encore alors devenu l'un des plus chauds
partisans de ces deux mesures. Voici ce
que disait son journal, le
Globe, en janvier
1863 :
" Si notre gouvernement devait se lancer tête
baissée dans ce projet de chemin de fer, dépenser
une somme considérable pour son établissement
et former immédiatement un pacte avec le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Ecosse et
l'Ile du
Prince-Edouard, cette alliance et ce chemin se
feraient en grande partie pour l'avantage du
pouvoir qui domine à l'heure qu'il est dans cette
province :—il est à peine nécessaire d'ajouter que
nous voulons parler du Bas-Canada. La question
importante pour le Haut-Canada—son union avec
le territoire du Nord-Ouest—serait complétement
mise de côté, Québec deviendrait la capitale de
la conféderation, la représentation basée sur la
population ne formerait pas partie de l'arrangement, et au lieu d'avoir une seule
sangsue pour
lui soutirer ses ressources, le Haut-Canada se
trouverait à en avoir trois. Avant de contracter
270
de nouvelles alliances, le Haut-Canada devrait
s'efforcer de régulariser les affaires de sa propre
province, d'obtenir la représentation basée sur 1a
population, et d'ouvrir le territoire du Nord-Ouest,
afin que lorsque la fédération de toutes les provinces de l'Amérique Britannique s'accomplira,
le
Haut-Canada se trouve former la principale figure
au centre de ce groupe d'Etats, avec ses annexes
tant à l'Ouest qu'à l'Est. Même le partisan le plus
ardent de l'union de toutes les provinces ne peut
pas prétendre qu'il y ait absolue nécessité de
hâter l'adoption du projet. Personne ne souffrira
si les provinces restent telles qu'elles sont aujourd'hui ; il n'y a pas un seul intérêt
matériel , soit
dans le Haut ou dans le Bas-Canada, qui gagnerait par l'union. "
L'HON. M. HOLTON—Je pense que le
ministre de l'agriculture pourrait renseigner
mon hon. ami.
L'HON. J. S. MACDONALD—L'hon.
Proc.-Gén. a presque tous les membres de
cette administration autour de lui. ( On rit. )
L'HON. A. A. DORION—En novembre
1863, le même journal disait, en parlant des
provinces maritimes :
" Nous pouvons facilement vivre sans eux.
Nous ne perdrions pas une piastre lors même que
nous ne verrions jamais un homme ou une femme
des provinces inférieures. "
Et encore:
" Toute tentative qui serait maintenant faite
pour forcer le peuple du Canada à entrer dans une
alliance avec les provinces d'en-bas, avant qu'il
n'y soit prêt, faillirait et aurait l'effet de retarder
indéfiniment le projet. L'idée de faire une dépense
énorme sur un chemin de fer improductif, quand
nous ne savons où trouver les moyens de subvenir
à nos dépenses ordinaires du gouvernement,
répugne au peuple de cette province et serait
repoussée par toute société prudente et qui
réfléchit. "
Le 15 octobre 1863, le même journal publiait encore ce qui suit :
" Le chemin de fer nous laissera exactement où
nous sommes aujourd'hui. En été, lorsque la
navigation est ouverte, nous pouvons expédier
des produits par le fleuve et le golfe, et jusqu'à un
certain point faire de la compétition aux Americains. Mais supposer qu'en hiver nous
pouvons
expédier de la fleur ou du blé par cette longue
route de terre à meilleur marché que les Américains ne peuvent le faire de leurs ports
de l'est, est
une absurdité qu'aucun homme qui à quelque
connaissance du commerce ne saurait commettre. "
De nouveau, le 17 octobre de la même
année, on lisait ce qui suit dans la même
feuille :
" La route passera en grande partie à travers
un pays qui n'appartient pas au Canada, mais qui
ne saurait, sous aucunes circonstances possibles,
apporter aucun avantage ou profit, soit directement ou indirectement. "
Le 20 du même mois, on y lisait ce qui
suit :
" Les partisans de la mesure n'agiraient pas
avec sagesse s'ils se fiaient aux apparences actuelles. Le projet ministériel doit
être opposé à
toutes ses phases tant dans la presse que dans le
parlement. "
Le 25 du même mois, il ajoutait ceci :
" Ça été avec de belles promesses de retranchement et d'économie dans la bouche que
nos ministres ont pris les rênes de l'Etat ; mais trois mois
s'étaient à peine écoulés qu'ils lançaient sur le
marché un projet de chemin de fer généralement
regardé, quand il en fut d'abord question, comme
devant entraîner une dépense plus considérable
que celle qu'on avait fixée pour le Grand Tronc
lorsque sa construction fut décidée. "
Je concours parfaitement, M. l'ORATEUR,
dans cette déclaration que d'entreprendre la
construction du chemin intercolonial, sans
savoir combien il coûtera, ou quelle route particulière il suivra, est une chose qu'aucun
hon. membre de cette chambre ne saurait
approuver s'il a quelque prudence, et qu'une
telle proposition devrait être repoussée à chacune de ses phases. Je pense aussi que
le projet
entier, en faisant abstraction de le construction du chemin de fer, est encore pire
que
le projet de chemin lui-même et qu'on devrait
l'opposer encore plus fortement. Ce n'est
ni plus ni moins que la résurrection d'un
projet qui à été rejeté par le peuple chaque
fois qu'on le lui à présenté. Le coût seul
de cette confédération devrait la faire rejeter.
Lorsque les droits sur les importations furent
augmentés de quinze à vingt et vingt-cinq
pour cent, il fut déclaré que les habitants du
district de Gaspé étaient incapables de payer
des droits aussi élevés, et le résultat fut
l'établissement d'un port franc à Gaspé.
Pendant plusieurs années nous n'avons pas
perçu un seul denier de cette section considérable du pays, mais d'année en année
nous avons payé des sommes considérables
pour l'ouverture de chemins, pour l'administration de la justice et pour entretenir
une ligne de bateaux à vapeur entre Québec
et la Baie des Chaleurs. On a plus gaspillé
d'argent pour cette section de la province
271
que pour aucune autre, et cependant elle
n'a fourni aucun revenu. On nous demande
d'ajouter d'un seul coup à nos charges
annuelles une somme de $6,237,920, formant
le joli capital de cent vint millions de
piastres, et tout cela pour ajouter à notre
population 900,000 habitants dont la plus
grande partie n'occupe pas une position
meilleure, si toutefois elle est aussi bonne,
que celle des populations du district de
Gaspé. ( Ecoutez ! écoutez !) En 1841, M.
l'ORATEUR, c'est-à-dire il y a environ 24
ans, le Bas-Canada entrait dans l'union
actuelle avec le Haut-Canada, n'ayant qu'une
dette de £133,000. Cette dette avait été
créée par le conseil spécial, car la législature
du Bas-Canada, sous l'ancienne constitution,
ne devait pas un seul denier lorsqu'elle cessa
d'exister. Cette dette fut contractée de 1837
à 1840. Depuis l'union il a été dépensé
dans le Bas-Canada, pour le canal de Beauharnois, l'établissement du canal Lachine,
les travaux du lac St. Pierre et le canal de
Chambly, environ quatre millions de piastres.
A part cela nous avons trois cent cinquante
milles de chemin de fer du Grand Tronc,
environ cent milles de moins que le Haut-
Canada. En prenant la moitié de ce que ce
chemin coûte à la province, seize millions de
piastres, nous nous trouvons avec quatre
millions pour canaux et huit millions pour
chemins de fer, en tout douze millions de
piastres qui ont été dépensées pour travaux
publics dans le Bas-Canada, puis un autre
million peut-être pour autres travaux de peu
d'importance,—en tout treize millions de
piastres.
L'HON. A. A. DORION—Le havre de
Montréal paiera ses dépenses. Le gouvernement ne sera pas appelé à payer un seul
denier de sa dette. La province n'a garanti
qu'une très petite partie de cette dette, et
n'aura jamais à en payer un seul sou, pas
plus qu'elle n'aura à le faire pour la dette
municipale de la de ville Montréal, dont
l'intérêt est régulièrement payé tous les ans.
Nous sommes donc entrés dans l'union avec
£133,000 de dette. Nous en sortirons,
si le projet de confédération passe, avec
$27,500,000 ( notre part des $62,500,000 ), et
tout ce que nous avons à montrer pour cette
augmentation, ce sont des travaux publics
au montant de douze à treize millions de
piastres. Je ne fais point entrer en ligne
de compte la dette du fonds d'emprunt
municipal, ni le rachat de la dette
seigneuriale, parce que si nous avons profité de ces mesures, nous aurons à payer
ce
qu'elles ont coûté en sus de notre part des
$62,500,000. Si je fais quelque erreur en
donnant ces chiffres, j'espère que les hon.
messieurs de l'autre côté de la chambre
me rectifieront. J'infère des explications
qui nous ont été données l'autre jour par
l'hon. ministre des finances, que le fait
de mettre à la charge du Bas-Canada le
rachat de la tenure seigneuriale, et d'un
autre côté l'abandon par le Haut-Canada de
l'indemnité qui lui avait été accordée comme
compensation pour ce rachat, ne rendent
pas nécessaire l'entrée de ces items en ligne
de compte comme partie de la dette du
Canada sous la confédération ;—que la charge
pour le rachat de la tenure seigneuriale,
l'indemnité aux townships en vertu de l'acte
seigneuriale de 1859, l'intérêt sur cette
indemnité, ce qui est dû au fonds d'éducation supérieure et au fonds d'emprunt municipal
du Bas-Canada, s'élèvent en tout à
environ $4,500,000, et devront étre payés
par le Bas-Canada seul,—et que l'intérêt de
cette somme à cinq pour cent, c'est-à-dire,
$225,000, seront retenues sur les $880,000
que le gouvernement général devra payer au
Bas-Canada pour des fins locales, ce qui
laissera environ 60 centins par tête pour
payer les dépenses du gouvernement local.
Le Haut-Canada entra dans l'union avec
une dette de £1,300,000 sterling. Immédiatement après l'union, l'on emprunta
£l,500,000 sterling dont la plus grande
partie fut dépensée dans le Haut-Canada ;
malgré cela, cependant, le Haut-Canada sort
de l'union en abandonnant son droit d'indemnité en vertu de l'acte seigneurial, et
sans autre dette que son fonds d'emprunt
municipal et sa part de la dette fédérale.
Le Bas-Canada, au contraire, sort de l'union
avec un fardeau de $4,500,000 de dettes
locales, à part les $27,500,000 qui sont sa
part de la dette fédérale,—et cela après
avoir pendant près de vingt-cinq ans payé
des droits considérables et cinq fois plus
élevés que ceux qu'il payait avant l'union.
Je serais très-surpris, M. l'ORATEUR, si un
projet comme celui-ci, étant soumis au peuple,
recevait son approbation. Et je maintiens
qu'aucun projet de cette nature ne devrait
être adopté par cette chambre avant que
nous n'ayons eu de plus amples informations
afin de nous permettre d'arriver à de justes
conclusions. ( Ecoutez !) C'est autant dans
272
l'intérêt de la majorité que dans celui de la
minorité que je fais cette demande.( Ecoutez !)
Les hon. messieurs qui crient écoutez !
seraient peut-étre bien désappointés si, après
que ce projet aura été adopté, les constitutions locales que l'on proposera n'étaient
pas
satisfaisantes. Je maintiens que les constitutions locales forment autant une partie
essentielle du projet que la constitution générale
elle-même, et qu'elles auraient dû être soumises à la chambre en même temps. ( Ecoutez
!) Nous devrions aussi avoir un exposé
exact des dettes qui doivent être attribuées
au Bas et au Haut-Canada. ( Ecoutez !) Il
serait bon que le Haut-Canada sût s'il devra
payer les dettes de Port Hope, Cobourg,
Brockville, Niagara et autres municipalités
qui ont emprunté au fonds d'emprunt municipal, et il est important pour le Bas-Canada
de savoir quelles sont les sommes pour lesquelles il devra se taxer. Nous devrions
aussi
avoir quelque espèce d'information au sujet
du chemin de fer intercolonial,—quel en sera
le coût et quelle route il suivra ;—et avant
que ces faits ne soient devant la chambre,
nous ne devrions pas prendre sur nous de
passer ces résolutions. ( Ecoutez !) Beaucoup
de membres de cette chambre, avant d'avoir
entendu les explications qui ont été données,
étaient et sont encore dans le doute sur la
portée de plusieurs de ces résolutions. Dans
la chambre haute, il a été dit que l'on ne
savait pas quels seraient ceux qui devaient
recommander la nomination des conseillers
législatifs. Beaucoup pensaient que cette
nomination devait être laissée aux gouvernements locaux, après que le projet aurait
été
adopté ; mais cela paraît être une erreur. Il
y a beaucoup d'autres points que nous ne
connaissons pas, particulièrement à l'égard
de l'actif et du passif. Il y a une disposition
qui dit que la nomination des juges de la
cour supérieure sera laissée au gouvernement
général, et que la constitution des cours sera
laissée aux gouvernements locaux ; et je me
demande ce que cela veut dire ? Veut-on
dire que les gouvernements locaux pourront
établir autant de cours qu'ils le jugeront à
propos et fixer le nombre de juges dont elles
seront composées, et que le gouvernement
général devra les payer ? Un gouvernement
local pourra-t-il dire : " Voici une cour composé de trois juges, nous en voulons
cinq,"
et le gouvernement général devra-t-il en
nommer cinq et les payer ? Je n'ai pas reçu
de réponse à cette question, pas plus qu'à
plusieurs autres. Je puis comprendre ce
que l'on veut dire lorsque l'on parle de faire
régler par le gouvernement général ce qui
concerne le divorce, mais que veut-on dire
par le réglement de la question du mariage ?
Le gouvernement général doit-il avoir la
faculté de mettre de côté tout ce que nous
avons l'habitude de faire dans le Bas-Canada
sous ce rapport ? Aura-t-il le droit de régler
à quel degré de parenté et à quel âge les gens
pourront se marier, ainsi que le consentement
qu'il faudra obtenir pour rendre un mariage
valable ? ( Ecoutez !) Toutes ces questions
seront-elles laissées au gouvernement général ?
Dans ce cas, il aurait le pouvoir de bouleverser
l'une des plus importantes parties de notre
code civil qui affecte plus qu'aucune autre
toutes les classes de la société. Par exemple,
l'adoption de la règle anglaise par laquelle
les femmes à 1'âge de douze ans et les garçons
de quatorze ans peuvent contracter mariage
sans le consentement des parents, tuteurs ou
curateurs, serait regardée par la grande
masse du peuple du Bas-Canada comme une
innovation excessivement repréhensible dans
nos lois. Toute disposition permettant que
ces mariages se fissent devant le premier
magistrat venu, sans aucune formalité quelconque, serait également vue d'une manière
très-défavorable. ( Ecoutez ! écoutez !) Eh
bien ! n'y a-t-il aucun danger que de telles
mesures ne soient emportées, lorsque nous
voyons des opinions si diverses que l'on
entretient dans les différentes provinces sur
ce sujet ? Il est une autre question à laquelle
je dois faire allusion avant de terminer. On
nous dit que la division de la dette a été
faite sur une base équitable. Nous avons
donné au gouvernement, disons, $25 par
tête de dette, c'est-à-dire, que dans les provinces où elle ne se montait pas à ce
chiffre
on l'a augmentée ; cette dette a été mise à
la charge de la confédération et par ce
moyen la confédération paiera aux provinces
qui n'auront pas une dette suffisante la
différence entre leur dette actuelle et la
capitation de $25. ( On rit.) Cette capitation de $25, comparée à la dette de l'Angleterre,
est une charge plus lourde pour notre
population que ne l'est la dette impériale
pour le peuple anglais, si l'on considère
qu'en Angleterre la richesse par tête est
beaucoup plus considérable, et que la dette
anglaise ne porte que trois pour cent d'intérêt. ( Ecoutez !) Cette question de la
dette
publique doit être aussi examinée sous un
autre rapport. Pour l'égaliser, les délégués
l'ont augmentée en prenant pour base la
273
population actuelle des diverses provinces.
Cette manière de procéder est assez équitable
pour le présent, si l'on suppose que chaque
province contribuera au revenu général dans
une égale proportion ; ce serait encore équitable pour l'avenir si la population augmentait
dans la même proportion ; mais il
ne peut y avoir de doute qu'avec les avantages naturels que possèdent le Haut et le
Bas-Canada, et l'étendue plus considérable
de leurs terres arables, leur population et
leur richesse augmenteront dans une proportion beaucoup plus grande que dans les
provinces d'en-bas, et que dans dix ans cette
proportion, qui aujourd'hui nous paraît équitable, aura considérablement augmenté
pour
le Haut et le Bas-Canada, tandis qu'elle aura
diminué pour les provinces d'en-bas. ( Ecoutez !) Je dois demander pardon à la chambre
de l'avoir retenue sur cette question , et je dois
aussi remercier la chambre de m'avoir écouté
avec tant d'attention. ( Voix : continuez ! continuez !) Je me bornerai à ajouter
que je
crains fortement que le jour où cette confédération sera adoptée ne soit un jour néfaste
pour le Bas-Canada. ( Applaudissements.)
Ce jour figurerait dans l'histoire de notre
pays comme ayant eu une influence malheureuse sur l'energie du peuple du Haut et du
Bas-Canada, ( écoutez ! écoutez !) car je la
considère comme l'une des plus muuvaises
mesures qui pouvaient nous être soumises, et
s'il arrivait qu'elle fût adoptée sans la sanction du peuple de cette province, le
pays aura
plus d'une occasion de le regretter. ( Ecoutez !) Qui est-ce qui nécessite un pareil
empressement ? Plus cette constitution est
importante, plus elle doit être examinée avec
soin. Je trouve, M. l'ORATEUR, qu'en 1839,
lorsque lord JOHN RUSSELL mit devant la
chambre des communes sa première mesure
pour l'union des provinces, il exprima son
intention de la soumettre à la chambre, de
lui faire subir une seconde lecture et de
la renvoyer à la session suivante, afin de
donner au peuple du Haut et du Bas-Canada
l'occasion de faire connaître ses vues en fesant
les reptésentations qu'il jugerait devoir faire
à cet effet. ( Ecoutez ! écoutez !) Et ce ne
fut qu'à la session suivante, et après qu'il
eût subi des modifications considérables, que
l'acte d'union fut passé. Ce délai était parfaitement juste ; mais ici il semble que
le
peuple doive être traité avec moins de respect,
moins d'égards par ses propres mandataires
qu'il ne l'a été par le parlement anglais en
1840, lorsque la constitution du Bas-Canada
était suspendue, et que la mesure actuelle
va être passée avec une précipitation indécente. ( Ecoutez ! écoutez !) Quinze comtés
du Bas-Canada ont fait des assemblées publiques et ont déclaré que la mesure ne devrait
pas être adoptée avant de la soumettre au
peuple. ( Ecoutez ! écoutez !) Dans le comté
de Rouville, une seconde assemblée a eu lieu
à la demande de l'hon. député qui représente
ce comté, mais le verdict de cette assemblée
a été encore plus emphatique que la première
fois. ( Ecoutez ! écoutez !) Des assemblées
ont eu lieu avec des résultats semblables dans
les comtés de St. Maurice, Maskinongé,
Berthier, Joliette, Richelieu, Chambly,
Verchères, Bagot, St. Hyacinthe, Iberville,
St. Jean, Napierville, Vaudreuil, Drummond
et Arthabaska, ainsi que dans la ville de
Montréal.
L'Hon. A. A. DORION—Il est vrai qu'à
Laval il y a eu une assemblée, mais elle n'a
été annoncée qu'un jour avant l'assemblée,
c'est-à-dire le vendredi,—et l'assemblée a eu
lieu le lendemain ; malgré cela, l'hon. membre
n'a pas osé proposer une résolution en faveur
de la confédération ; il s'est contenté de se
faire donner un vote de confiance. ( Ecoutez !
écoutez !) Ses amis n'ont proposé aucune
résolution en faveur de la confédération.
( Ecoutez ! écoutez !) Je dois maintenant
remercier la chambre pour la patience avec
laquelle elle a écouté mes observations et,
en terminant, je répéterai, en me servant des
expressions que j'ai citées du Globe, que je
crois devoir m'opposer à la mesure qui nous
est soumise à chacune de ses phases, afin
qu'elle ne soit pas adoptée avant d'avoir été
soumise aux électeurs. ( Ecoutez ! écoutez !)
(L'hon. membre prend son siége au milieu
d'applaudissements chaleureux.)
Après une discussion relative au mode
de continuer les débats, la chambre s'ajourne
à dix minutes après minuit.