EN
🔍

Assemblée Législative, 9 Février 1865, Provinces de L'Amerique Britannique du Nord, Débats de la Confédération.

126

ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

Jeudi, 9 février 1865.
L'ordre du jour pour la reprise des débats sur l'adresse à Sa Majesté au sujet de la confédération des provinces de l'Amérique Britannique du Nord, étant appelé :—
L'HON. M. MCGEE.—Je me lève, M. l'Orateur, afin de tâcher de remplir la promesse qui a été faite en mon nom par le chef du Bas-Canada dans cette chambre, lors de la clôture des débats hier soir. Après les quatre discours qui ont déjà été prononcés de ce côté de la chambre, l'on pourrait croire qu'il reste peu de chose d'une importance essentielle à dire. L'hon. proc.- gén. Macdonald, en proposant les résolutions lundi dernier au nom du gouvemment, a expliqué parfaitement toutes les résolutions adoptées à la conférence de Québec, et a donné une analyse très complète du projet, avec ses propre commentaires constitutionnels sur chaque résolution en particulier, et sur les délibérations de la conférence. Le proc-gén. Cartier l'a suivi mardi en traitant particulièrement la question au point de vue Bas-Canadien. Le ministre des finances a expliqué la question financière du projet le même soir ; et hier soir l'hon. président du conseil nous a donné un lumineux aperçu financier et politique, ainsi que quelques arguments au point de vue Haut-Canadien,— en sorte qu'il semblerait qu'il ne reste que peu ou rien à dire pour compléter ces explications lorsqu'on les prend dans leur ensemble. Mais le sujet est si vaste, et le projet qui est devant la chambre embrasse tant d'intérêts, l'atmosphère qui l'entoure est si subtile,—que je crois qu'il reste encore quelques parties du travail à terminer,— quelques vides à remplir ci et là, et c'est ça que je vais tâcher de faire ce soir le mieux que je le pourrai. (Ecoutez !) Nous nous rappelons tous que dans la légende des trois rois de l'Orient, Gaspar offrit de l'encens, Melchior de l'or, et Balthazar de la myrrhe ; je crains seulement que ma contribution ait moins de valeur que celle d'aucun d'entre eux ; mais, telle qu'elle est, jel'offrirai cordialement, sachant que beau- coup de mes amis en cette province et les autres colonies désirent connaître mon opinion sur la crise actuelle.—Avec votre approbation, M. l'Orateur, et celle de la chambre, je traiterai le sujet de la manière suivante : en premier lieu, je ferai l'historique de cette question,—et ensuite j'examinerai les motifs qui doivent nous faire désirer la prompte réalisation de cette union—puis je parlerai des difficultés que la question a dû surmonter avant d'en arriver à l'état où elle se trouve aujourd'hui—puis je dirai un mot des avantages sociaux que trouveront les provinces dans cette union — et enfin, je parlerai du principe fédéral considéré en lui-même et j'aurai fini. En d'autres termes, je desire traiter la question à notre propre point de vue et autant que possible ne pas empiéter sur le terrain qui a été si complètement exploré, et beaucoup mieux que je ne le pourrais faire, par mes hons. collègues. L'hon. député d'Hochelaga à cru faire quelque chose de très-habile, l'autre soir, en tirant de l'oubli un de mes anciens écrits, intitulé : " Une nouvelle nationalité," et en m'attribuant la paternité de la phrase destinée à devenir prophétique dont un personnage très-distingué a fait usage dans le discours du trône, à l'ouverture de la session. II est vrai que l'un de mes premiers essais sur la 127 politique canadienne portait ce titre ; mais il est également vrai que la feuille presque oubliée dans laquelle il a été publié n'a jamais été connue, même de nom, de l'illustre fonctionnaire qui a prononcé ce discours. Je dois avouer que lorsque je vis l'hon. député d'Hochelaga, de ses mains tendres et délicates, offrir mon poupon à l'admiration de la chambre, j'en fus orgueilleux, surtout lorsque je me rappelai que l'attitude que j'indiqais, il y a dix ans, comme étant celle que devaient prendre ces provinces, était sur le point d'être adoptée par toutes les colonies sous d'aussi favorables circonstances.    Je ne pense pas que ce soit un sujet de reproche contre moi, ou une raison d'amoindrir l'importance du sujet, que j'aie employé il y a dix ans la phrase même dont on s'est servi dans le discours du trône. L'idée elle-méme est bonne, et elle peut avoir flotté dans l'esprit de beaucoup de gens, et avoir été partagée par l'hon. membre pour Hochelaga lui-même. Cela me rappelle ce que disait Puff dans le Critic.—" Il arriva que deux personnes eurent la même idée, Shakespeare en fit usage le premier.—Et voilà! " (Rires.) Mon hon. ami est sans aucun doute sous ce rapport le Shakespeare de la nouvelle nationalité. (Rires) S'il y a quelque chose dans l'article qu'il a lu à la chambre qui mérite désapprobation, il est particepe criminis et également blâmable, sinon plus blâmable que moi-méme. Il est en realité le premier coupable et je m'incline devant lui sous ce rapport en toute humilité. (Nouveaax rires.) En vérité, M. l'0RATEUR, il eut été tout à fait absurde et futile d'essayer à établir la paternité d'un enfant réclamé par tant de pères. Ce serait presque aussi ridicule que la tentative de donner un nom à cette confédération, avant la décision de la Gracieuse Souveraine à laquelle la question doit étre soumise. J'ai vu dans un journal de l'ouest au moins une douzaine d'essais de ce genre. Un individu choisissait Tuponia et un autre Hochelaga comme nom convenable pour la nouvelle nationalité. Or, je demanderai aux hon. membres de cette chambre quel sentiment ils éprouveraient, en s'éveillant un beau matin, de s'entendre appeler des Tuponiens ou des Hochelagains (Rires) Je pense que nous pouvons en toute sûreté laisser de de côté pour le moment la discussion du nom aussi bien que de l'origine de la confédération ; lorsqu'elle aura sa place parmi les nations du monde, et qu'elle ouvrira une nouvelle page dans l'histoire, il sera temps d'en rechercher les antécédents, et alors il y aura quelques hommes qui ayant travaillé pour l'obtenir dans ses moments difficiles, mériteront d'être honorablement mentionnés. Je ne me rendrai pas coupable du mauvais goût de complimenter ceux avec qui j'ai l'honneur d'être associés ; mais lorsqu'il s'agira de se rappeler les services rendus à la cause, ce qui n aura lieu que longtemps après les délibérations actuelles, il y a certains noms qui ne devront pas être oubliés. "Dès 1800, l'hon. M. UNIACKE, l'un des principaux hommes politiques de la Nouvelle-Ecosse à cette époque, soumit un projet d'union coloniale aux autorités impériales. En 1815, le juge en chef SEWELL, dont on se rappelera le nom comme celui de l'un des principaux avocats de cette ville, et comme un homme politique d'une grande clairvoyance, soumit aussi un projet. En 1822, Sir JOHN BEVERLEY ROBINSON proposa aussi, à la demande du bureau colonial, un projet de même nature ; et je n'ai pas besoin de parler du rapport de lord DURHAM sur l'union coloniale en 1839. Ce sont là tous des noms mémorables, et quelques une sont de grands noms. Si nous avons rêvé à l'union (comme quelques députés de l'autre côté le disent), l'on peut au moins penser qu'un rêve qui a été fait par des hommes aussi sages et aussi honnêtes, peut être en réalité une espèce de vision—une vision qui reflète les événements futurs naturels dans une intelligence lucide,—une vision (je le dis sans irréverence, car l'événement intéresse des millions d'hommes vivants, et d'autres qui doivent venir,) qui ressemble à celle des DANIEL et des JOSEPH de l'ancien temps , faisant entrevoir les épreuves de l'avenir, le sort des tribus et des peuples, la naissance et la chute des dynasties. Mais l'histoire récente de la mesure est suffisamment étonnante sans que j'aie à m'étendre sur les anciennes prédictions de tant de sages. Celui qui, en 1862, ou même en 1863, nous aurait dit que nous verrions ce soir, sur les banquettes que j'occupe, une pareille représentation d'intérêts agissant de concert, aurait été regardé comme à moitié fou ; et celui qui, dans les provinces inférieures vers la même époque, aurait cherché à prédire la composition de leur délégation qui a siégé avec nous sous ce toit en octobre dernier, aurait été également considéré comme atteint de démence. (Rires.) Mais ces événements 128 ont eu lieu, et si les messieurs qui n'ont pas directement contribué à amener ces résultats, et qui, naturellement, portent moins d'intérêt au projet que nous, nous accordent seulement le bénéfice du doute, s'ils veulent bien admettre que nous n'avons pas absolument tort, nous espérons pouvoir leur montrer, comme nous croyons le leur avoir déjà prouvé, que nous n'avions pas tout à fait perdu la raison lorsque nous avons commencé cette entreprise. Je pense, cependant, que nous pouvons abandonner l'histoire passée de la question pour nous occuper de son histoire présente ; de faible et précaire plante qu'elle était, elle est de- venue un grand arbre florissant ; libre à chacun de dire qu'il a contribué à sa croissance, quant à moi, tout ce que je demande pour l'avenir c' est qu'il me réserve ma part d'abri et d'ombre ! (Applaudissements.) Mais, dans l'état actuel de la question, la première phase réelle de son succès, qui a donné de l'importance à la théorie dans l'esprit public, est la célèbre dépêche signée par deux membres du gouvernement actuel et un membre de l'autre chambre, autrefois leur collègue. Je veux parler de la dépêche de 1858. Les recommandations qu'elle contenaient ont sommeillé jusqu'à ce qu'elles aient été ressuscitées par le comité constitutionnel de la dernière session, qui a produit la coalition, laquelle a produit la conférence de Québec, laquelle a produit le projet de constitution qui nous est soumis, lequel produira, je crois, l'union de toutes les provinces. (Ecoutez ! ) Mais tout en mentionant les hommes politiques distingués qui se sont occupés de la question, je crois que nous ne devons pas oublier les zélés et laborieux collaborateurs de la presse, qui, bien que n'étant pas liés avec les gouvernements, et sans être eux- mêmes alors dans la vie politique, se sont adressés à l'esprit public et ont puissamment contribué à donner de la vie et de l'intérêt à cette question, et indirectement à lui faire atteindre l'heureuse position où elle se trouve maintenant. Je ne mentionnerai que deux de ces messieurs. Je ne sais si les hons. membres de cette chambre ont lu quelques lettres sur l'union coloniale écrites en 1855, dont la dernière était adressée au feu duc de Newcastle, par M. P. S. Hamilton, publiciste habile de la Nouvelle-Ecosse, et aujourd'hui commissaire des mines d'or de cette province ; mais je saisis cette occasion pour payer un tribut à son jugement bien équilibré, à sa sagacité politique, et à la manière habile avec laquelle il sut traiter le sujet il y a déjà bien longtemps. (Ecoutez ! écoutez !) Il existe aussi un autre livre écrit dans la langue anglaise, il y a six ou sept ans, et auquel je dois faire allusion. C'est un pamphlet qui a eu un succès extraordinaire et qui porte pour titre : " Nova Britannia ;" i1 a été écrit par mon hon. ami le député de Lanark sud, (M. MORRIS), et comme cet hon. membre a été l'un des principaux agents de la création du présent gouvernement, qui dans le moment met à exécution l'idée contenue dans son livre, j'ai confiance qu'il me pardonnera de lire, en sa présence, un simple paragraphe pour démontrer combien il était prophétique et combien il était digne de l'évènement pro- chain que nous sommes maintenant occupés à considérer. A la page 57 de son pamphlet qui, je l'espère, sera publié de nouveau pour être placé parmi les archives politiques des provinces lorsque nous ne formerons qu'un seul pays et un seul peuple, je trouve ce paragraphe :—
" L'étude des destinées d'un empire britannique futur, la direction de sa marche, la base de ses fondations larges et solides, et la création d'institutions grandes et durables, voilà des motifs suffisants pour réveiller l'énergie de notre population, relever la force et donner de la puissance et de l'enthousiasme aux aspirations de tous les vrais patriotes. L'immensité même des intérêts affectés aura l'effet, j'en suis convaincu, de placer beaucoup d'entre nous au-dessus des simples exigences de localité, et de leur permettre de faire preuve d'une étendue d'esprit suffisante pour traiter en véritables hommes d'état des questions aussi importantes, et faire naître et développer une politique commerciale et générale qui pourra s'adapter aux besoins de notre position.
L'ouvrage renferme plusieurs autres passages excellents, mais je ne désire aucunement prendre le temps de la chambre pour les citer. L'extrait que je viens de lire suffira pour donner une idée de l'esprit qui règne dans tout le livre. Mais quelles qu'aient été les conceptions de l'écrivain enseveli dans son cabinet, quelsqu'aient été les desseins imaginés par l'homme d'état,— aussi longtemps que l'esprit public ne s'est pas trouvé intéressé à l'adoption, et même à la discussion d'un changement dans notre position aussi important que celui qui se présente,—l'union de ces provinces séparées, —l'individu a travaillé en vain, peut être pas entièrement en vain, M. l'Orateur, car bien que son travail puisse ne pas avoir alors 129 porté de fruits, il allumait un feu qui, avec le temps, devait éclairer tout l'horizon politique, et annoncer l'aurore d'un jour meilleur pour notre pays et pour notre peuple. Des évènements plus forts que la parole, des évènements plus forts que les hommes, se sont enfin produits comme ce feu qui brûle dans les écrits, pour en faire surgir la vérité et pour les graver dans l'esprit de tout homme refléchi qui a étudié la position et l'avenir probable de ces provinces éparses. (Applaudissements.) Avant de procéder plus loin dans l'examen des détails de mon sujet, profiterai de cette circonstance pour féliciter cette chambre et le peuple de toutes les provinces de l'activité extraordinaire qu'ils ont déployée relativement à cette question depuis qu'elle est devenue le sujet par excellence des discussions publiques dans les provinces maritimes et dans ce que je puis appeler, relativement à ces dernières, les provinces de l'intérieur. Il est vraiment étonnant de constater avec quelle activité l'esprit public dans tous ces centres s'est occupé du projet depuis qu'il a été définitivement lancé J'ai étudié dans un profond recueillement l'opinion publique tant dans les provinces d'en-bas que dans celles-ci, et j'ai été réjoui de voir que même dans la plus petite de ces provinces, on avait publié des écrits et prononcé des discours qui auraient fait honneur à des sociétés plus anciennes et plus avancées,— articles et discours dignes de n'importe quelle presse, de n'importe quel auditoire. Il semblerait que l'esprit de ces provinces, enthousiasmé par cette grande question, aurait fait un bond suprême pour sortir de l'ornière où il luttait misérablement pour le pouvoir, et se serait élevé sur des hauteurs dignes de la grande question qui venait de surgir ; l'esprit public s'est tout-à-coup élevé à la dignité qui convenait à cette discussion avec une facilité qui fait honneur aux sociétés qui en ont donné le spectacle, et qui nous assure que nous avons chez nous les éléments qui constituent les nationalités jeunes et pleines de sève. (Applaudissements.) Nous trouvons dans les journaux et dans les discours des hommes publics des provinces d'en-bas les premiers principes de gouvernement, ansi que la loi constitutionnelle discutés ; on y constate aussi la connaissance essentielle et l'application raisonnée des principaux faits de l'histoire constitutionnelle, ce qui me donne, à moi du moins, la satisfaction et l'assurance que, si nous ne poursuivons pas plus loin le projet actuel, nous aurons mis fin pour le présent, et j'espère pour longtemps, à des controverses envenimées autant que mesquines. Nous avons donné à l'esprit du peuple une nourriture saine, et à tout homme qui a des aptitudes pour la discussion, nous avons offert un sujet sur lequel il peut donner libre cours à ses facultés ; en ce sens on n'aurait plus à mordre à la lime et à dépenser ses talents pour servir les misérables ambitions d'une infime faction ou d'un parti. Je félicite cette chambre ainsi que la province et les provinces d'en-bas qu'il en soit ainsi, et je puis me permettre de remarquer avec une certaine satisfaction que les différents écrivains et orateurs semblent parler et écrire comme si de fait ils se trouvaient en présence de toutes les colonies. (Ecoutez ! écoutez !) Ils ont cessé d'être des célébrités de clocher ; ils semblent être sous l'impression que leurs paroles seront pesées et commentées tant à l'étranger que chez eux. Nous avons, en Canada, je pense, plusieurs centaines de célebrités, et si je ne me trompe, mon ami M. MORGAN en a dressé la liste. (On rit.) Mais aujourd'hui elles ont cessé d'être des célébrités locales et pour peu qu'elles le veuillent, il leur faudra devenir des célébrités de l'Amérique Britannique du Nord ; car le moindre de leurs discours est lu et commenté par toutes les provinces, et, de fait, la simple apparition de notre union politique a crée entre les diverses populations de ces provinces une union mentale ; plusieurs orateurs aujourd'hui s'expriment avec une dignité et une réflexion dont ils n'étaient pas coutumiers lorsqu'ils n'avaient pour les surveiller qu'une section peu importante qui, au milieu des luttes de parti, ne pouvait les juger qu'au point de vue des égoïsmes de localité. (Ecoutez ! écoutez !) J'ai confiance que la fédération fournira à tous nos hommes publics une belle occasion de s'unir pour des luttes plus nobles et plus fructueuses que celles qui ont signalé le passé (Eooutez ! écoutez !) M. l'0RATEUR, nous proposons, de ce côté de la chambre, comme garantie d'un meilleur avenir, notre plan actuel d'union ; et, si vous me le permettez, je vais énumérer les principaux motifs qui doivent nous faire accepter et désirer cette union. Mon hon. ami le ministre des finances a développé, l'autre soir, de très forts motifs en faveur de l'union, tels que le libre accès de la mer,— un marché plus étendu, — l'abolition des tarifs hostiles, — un plus grand champ pour l'emploi du capital et de la main 130 d'œuvre, — un meilleur crédit en Anleterre,—et une plus grande capacité, lorsque nous serons unis, à nous protéger en cas de danger. ( Applaudissements. ) L'hon. président du conseil a aussi énuméré les différents motifs qui doivent nous engager à accepter l'union, ainsi que d'autres raisons puissantes qui plaident en sa faveur. Mais les motifs justifiant un changement aussi considérable que celui que nous proposons, doivent être de différente nature ; ils doivent être en partie commerciaux, en partie militaires, et en partie politiques, et je vais passer en revue quelques uns de ces motifs, qui sont ceux de beaucoup de gens dans toutes ces provinces, et qui sont d'une nature sociale, ou, à strictement parler, politique plutôt que commerciale. En premier lieu, je dois dire que je crois, comme mon hon. ami (M. BROWN ) l'a dit hier soir, que nous ne pouvons rester immobiles,—que nous ne pouvons éviter certains grands changements,—que nous ne pouvons rester séparés, province contre province, même si nous le voulions,— et que nous sommes dans un état de transition politique. Chacun admet, même ceux qui repoussent l'union, que nous devons avoir recours à d'autres moyens qu'à des expédients temporaires. Nous sommes forcés par les avertissements de l'intérieur et de l'extérieur de modifier notre constitution sur une grande échelle. Nous, les unionistes, déclarons tous d'une seule voix, que nous ne pouvons continuer à marcher comme nous avons marché jusqu'à présent ; mais vous, anti- unionistes, vous dites :—" Oh ! c'est déplacer la question, car vous n'avez pas encore prouvé cela. " Eh bien! quelles preuves veulent donc ces messieurs ? Je pense qu'il y a trois influences qui déterminent tout grand changement dans l'existence d'un individu ou d'un état. Premièrement,—son patron, propriétaire, maître, protecteur, allié ou ami, ou, dans notre politique, " la connexion impériale. " Secondement,—son associé, camarade ou compagnon, ou son proche voisin. Et troisiémement,—l'homme ou l'Etat lui-même. Eh bien ! dans notre cas, ces trois causes ont été pour nous autant d'avertissements qui ont concouru à nous forcer d'adopter une nouvelle ligne de conduite. Quels sont ces avertissements ? Nous en avons eu au moins trois. Le premier nous est venu de l'Angleterre, et il a été amical. L'Angleterre nous a avertis par des faits réitérés, comme c'est son habitude, plutôt que par du verbiage, que les colonies étaient entrées dans une nouvelle ère d'existence, une nouvelle phase de leur carrière. Elle nous a donné cet avertissement sous plusieurs formes,—lorsqu'elle nous a concédé le gouvernement responsable,—lorsqu'elle a adopté le libre échange,—lorsqu'elle à abrogé les lois de navigation,—et lorsque, il y a trois ou quatre ans, elle a commencé cette série de dépêches officielles relativement à la milice et la défense du pays qu'elle a constamment fait pleuvoir sur nous depuis, et qui portaient toujours cet avis solennel :—Préparez-vous ! préparez-vous ! préparez-vous ! — Ces avertissements nous disaient que l'ancien ordre des choses entre les colonies et la mère- patrie avait cessé, et qu'il fallait qu'un autre ordre de choses le remplaçat. ( Ecoutez !) Il y a quatre ans environ, les premières dépêches commencèrent à être adressées à ce pays par le bureau colonial à ce sujet. Depuis cette époque jusqu'à présent, les dépêches se sont constamment suivies dans ce sens, soit à propos de points généraux ou particuliers rattachés à notre défense, et j'oserai dire que si les dépéches du feu duc de NEWCASTLE seul étaient reliées ensemble, elles formeraient un volume respectable. Toutes avertissaient ce pays, que ses relations—les relations militaires à part des relations politiques ou commerciales,—avec la mère-patrie étaient changées ; et l'on nous disait de la manière la plus explicite que nous ne devions plus nous considérer, à l'égard des défenses, dans la même position que nous occupions auparavant vis-à-vis la mère-patrie. Eh bien ! ces avertissements étaient ceux d'un ami, et si nous ne les avons pas écoutés, nous devons dire qu'ils ont été si fréquents et si continus qu'ils déchargent le gouvernement impérial de la responsabilité des conséquences, parce qu'ils montraient clairement aux colonies ce que, dans le cas de certaines éventualités, elles devaient espérer. Nous pouvons murmurer si nous le voulons à cause des préparatifs que l'Angleterre nous impose, mais que nous les aimions ou non, l'on nous a avertis que nous sommes entrés dans une nouvelle ère dans nos relations militaires avec le reste de l'Empire. ( Ecoutez ! écoutez !) Ensuite nous avons eu le second avertissement, celui du dehors, l'avertissement américain. ( Ecoutez ! écoutez !) L'Amérique républicaine nous a aussi donné des avertissements dans le passé, par la voie de la presse, de ses démagogues et de ses hommes d'état;—mais, dernièrement, elle 131 nous a donné des avertissements beaucoup plus intelligibles—tels que l'avis de l'abrogation du traité de réciprocité, et l'avis qu'elle se proposait d'armer les lacs, contrairement aux dispositions du protocole du traité de 1818. Elle nous a donné un autre avis en nous imposant un système vexatoire de passeports ; puis encore un autre dans son projet avoué de construire un canal autour des chutes de Niagara, de manière à pouvoir " faire passer des navires de guerre du lac Ontario au lac Erié ;" et encore un autre, plus significatif que tous les autres, dans l'énorme accroissement de l'armée et de la marine des Etats-Unis. Je me permettrai de soumettre à la chambre quelques chiffres pour faire voir le développement étonnant et sans précédent—développement dont les annales du passé ne nous donnent peut-être pas d'exemple—de la puissance militaire de nos voisins dans les trois ou quatre dernières années. J'ai en mes mains tous les détails, mais je me contenterai de donner simplement les résultats généraux, pour que la chambre comprenne bien la signification emphatique de ce grave avertissement. Au mois de janvier 1861, l'armée américaine régulière, y compris tous les états, ne comptait pas au-delà de 15,000 hommes. Par suite de désertion et autres causes, elle perdit 5,000 hommes, laissant par conséquent 10,000 hommes pour représenter l'armée des Etats-Unis. En décembre 1862,—c'est-à-dire de janvier 1861 à janvier 1863,—cette armée fut portée à 800,000 hommes sous les armes. ( Ecoutez ! écoutez !) Il y a sans doute exagération dans quelques-uns de ces chiffres—je ne doute pas que dans certains cas les cadres furent remplis avec des noms fictifs, dans le but d'obtenir la prime ; mais même allouant deux tiers pour cette défection, nous trouvons que ce peuple qui, en 1861, avait une armée de 10,000 hommes seulement, en a maintenant une de 600,000 ; et cette augmentation s'est effectuée en deux ans. Quant à ce qui est de leurs armements lors de l'ouverture des hostilités,—c'est-a-dire à l'époque de l'attaque du Fort Sumter,—nous voyons que les Etats-Unis avaient 1952 canons de siége et, de gros calibre, 231 pièces d'artillerie de campagne, 473,000 carabines d'infanterie, 31,000 carabines de cavalerie, et 363,000 boulets et bombes.. A la fin de 1863,—mes statistiques ne vont pas au-delà de cette date, — ces 1952 canons de gros calibre étaient rendus à 2116 ; les 231 pièces de campagne à 2965 ; les 473,000 carabines d'infanterie à 2,423, 000 ; les 31,000 carabines de cavalerie à 369,000 ; et les 363,000 boulets et bombes à 2,925,000. Maintenant, quant à ce qui regarde la marine des Etats-Unis, je désire démontrer que ce développement étonnant de leur puissance militaire est le second avertissement que nous ayons reçu qu'il nous est impossible de rester dans l'inaction comme nous avons fait. (Ecoutez ! écoutez !) En janvier 1861 le nombre de vaisseaux de guerre de la marine américaine était de 83 ; en décembre 1864, il était de 671, dont 54 moniteurs et vaisseaux blindés, portant 4,610 canons, jaugeant 500,010 tonneaux et montés par 51,000 marins. Voilà des chiffres terribles par la capacité de destruction, les hécatombes, les ruisseaux de sang, les désirs immodérés de conquête, les passions mauvaises et l'enraiement du progrès de la civilisation qu'ils représentent. Cependant, ce ne sont pas ces chiffres qui montrent la situation sous son plus mauvais jour ; l'Angleterre n'a-telle pas autant de canons sur mer que nos belliqueux voisins ? (Ecoutez !) Ce qui est plus grave, c'est le changement qui s'est opéré dans l'esprit du peuple des Etats du Nord. Combien il différait d'à présent lorsque le philantrope CHANNING prêchait l'illégalité  de la guerre, lorsque le comtemporain SUMNER se faisait entendre devant un congrès de la paix ! Je me souviens d'un poète accompli, un des plus accomplis auxquels les Etats de la Nouvelle-Angleterre aient donné le jour, qui se fit l'ennemi de la guerre mexicaine et publia les Bigelow Papers, si bien connus dans la littérature américaine, afin d'inspirer l'horreur de la guerre. Voici, entre autres, ce qu'il fait dire à son héros SAWIN :
" Ef you take a soaord an' draor it, * " An go stick a feller thru, " Guv'ment won't answer for it, " God'll send the bill to you ! " ( Hilarité bruyante !)
C'était à la fois s'exprimer avec audace et d'une manière peu révérencieuse ; mais à cette époque ce chant n'en devint pas moins remarquablement populaire dans le pays du barde. L'écrivain est aujourd'hui l'un des rédacteurs, à Boston, d'une publication périodique 132 en vogue, et serait, j'en suis sûr, un des derniers maintenent à empêcher un soldat du Nord de trenspercer l'ennemi qu'il aurait au bout de son glaive. (On rit.) Toutefois, ce ne sont pas les changements qui s'opèrent ainsi dans les idées d'hommes d'une grande intelligence qu'il faut déplorer ; la volonté puissante de ces hommes peut les ramener à des sentiments de paix ; ce sont plutôt les intérêts mercenaires et militaires créés sous la présidence de M. LINCOLN, et représentés, les premiers parr le budget de cette année qui excède 100 ,000,000, et les derniers par les 800,000 hommes dont le sang doit être ainsi acheté et payé ; par les armées de spéculateurs qui pillent l'armée ; par l'armée de fournisseurs qui est chargée de nourrir, vêtir et armer le soldat ; par cette autre armée, celle des percepteurs de taxes, répandue sur tout le sol et qui veille à ce que nulle industrie, nul domicile, voire même nulle affection, n'échappent à l'impôt. L'impôt ! l'impôt ! c'est le cri qui se fait entendre à l'arrière ! du sang ! du sang ! criet-on à l'avant ! de l'or ! de l'or ! exclement avec joie les riches parvenus, si bien désignés sous le vocable d'aristocratie de boutique. Eh ! bien, tous ces intérêtes serviles qui ont surgi ne sont pas encore le pire conséquence de cette guerre. La pire de toute, c'est le changement qui s'est fait dans l'esprit et les principes du peuple, qui est aujourd'hui familiarisé avec la guerre, au point même d'y être porté. Après la première bataille, ou, pour me servir du langage du duc de WELLINGTON, when the butcher's bill was sent im (*), un frisonnement d'horreur parcourut le pays d'un bout à l'autre ; mais, petit à petit, et à mesure que le carnage allait en augmentant, un journal cessait de mériter qu'on le lut au déjeûner s'il ne contenait pas la relation d'une boucherie de quelques mille hommes ! " Seulement deux mille morts ? Ah l bah ! ce n'est rien ! " s'écriait M. Grosdrap en sirotant son café dans son riche appartement ; et bientôt, pour créer de l'excitation, il fallait que les nouvelles rapportassent que dix, quinze, vingt mille étaient tombés en un seul jour sur les champs de bataille ; ces chiffres seuls satisfaisaient cette soif d'émotion devenue impossible à exciter chez le peuple autrement que par le meurtre en grand de ses semblables. Est-ce que dans tous ces faits on ne voit pas d'avertissement pour nous ? Sommes-nous comme ceux qui ont des yeux et qui ne voient point ; des oreilles et qui n'entendent point ; de le raison, et qui ne veulent point comprendre. Si nous sommes fidèles au Canada, si nous ne désirons pas être absorbés par nos voisins, nous ne pouvons rester paisibles en face de la révolution qui gronde à nos portes ! Que l'on n'oublie pas, lorsque de l'autre côté des frontières on entend ces trois cris : Impôt! Or ! Sang ! qu'il est temps de songer à notre sécurité. Dans le première session de 1861, j'ai dit en cette chambre que le premier coup de canon tiré du fort Sumpter " avait pour nous un message." On n'y fit pas attention alors, mais je répète encore aujourd'hui que lorsque chacun des 2,700 canons de gros calibre en campagne, ou chacun des 4,600 que porte la flotte fait entendre sa voix de tonnerre, il répète le solennel avertissement que nous a donné l'Angleterre : "préparez-vous ! préparez-vous ! préparez-vous !" (Applaudissements.) Oh ! mais, pourra me dire un ami philosophe, quand nos voisins auront terminé leur guerre, ils en seront tellement aise qu'ils ne songeront plus qu'à se reposer sur leurs lauriers. Eux ! Qui ? L'aristocratie de boutique satisfaite ? L'armée débandée des percepteurs d'impôts, ou les fabricants de fausses nouvelles ? Les soldats même ? Je pense bien que toute l'armée aimerait à avoir un congé ; or, l'experience nous a appris que ce n'était pas de le guerre que le soldat se fatiguait, mais bien de la paix ; et il en est de même du matelot, i1 ne se fatigue pas de la mer. Le marin aime à débarquer, pour s'amuser et dépenser son argent ; le soldat éprouve le même désir, mais éloignés de ses camarades, l'un autant que l'autre se trouve bientôt en dehors de son élément. Le soldat se prend à regretter les joies de la vie aventureuse,—de ne plus sentir à son côté l'arme qu'il voit pendue au clou, et bientôt il soupire après le moment où il pourra le reprendre. Si le pays continue à rester en paix, il aimera mieux s'expatrier, même aller prendre du service à l'étranger plutôt que de rester inactif. (Ecoutez !) C'est avec ces faits acquis à l'expérience que je demande humblement la permission de combattre l'optimisme de mon ami philosophe. (Ecoutez ! écoutez !) Dans son discours de l'autre soir, l'hon. proc.-gén. du B.-C. nous a dit que l'un des articles du projet primitif de constitution américaine contenait des dispositions relatives à l'annexion du Canada aux Etats-Unis ; 133 mais aujourd'hui qu'ils sont engagés dans une guerre, les Etats-Unis, au lieu de cette prétention, affectent de faire peu de cas de notre pays. Je me rappelle, cependant, qu' à l'inauguration du chemin de fer de Worcester à Albany, feu M. WEBSTER, qui n'était pas un démagogue et pensait de nous tout autrement que ses compatriotes actuels, exprima l'espoir que les voies ferrées de la Nouvelle- Angleterre se prolongeraient toutes vers le Canada, pays destiné à faire un jour partie de l'union, grâce aux relations commerciales que ces chemins allaient établir. (Ecoutez ! Ecoutez !) Je ne me trompe pas, M. l'ORATEUR, en comptant la guerre américaine au nombre des avertissements que nous avons reçus. Le pays est dans une position pénible dont il faut qu'il sorte, et sur ce point, nous trouvons dans l'expérience du gouvernement de ces provinces un troisième avertissement. (Ecoutez ! Ecoutez !) Quant à nos difficultés constitutionnelles, dont mon honorable ami, le président du conseil, a fait un si complet exposé hier soir, je n'ai que peu à dire ; nous en admettons tous la réalité. Le vénérable chevalier et premier ministre en a démontré ailleurs l'existence de la manière la plus claire, en faisant observer que nous avions eu cinq administrations dans le cours de deux ans, et qu'il était temps de chercher un remède efficace à cet état de choses. C'est la pure vérité : le gouvernement constitutionnel de ce pays s'abaissait au dernier point lorsque son existence dependait de la réussite d'un messager ou d'un page envoyé à la recherche d'un député absent à dessein ou involontairement de son siége. Le premier venu alors aurait pu être le sauveur de son pays. (Rires !) Tout ce qu'il avait à faire, lorsque les cinq gouvernements successifs étaient en danger, c'était de se lever de son siége et de dire : " oui !" et le pays était sauvé ! Cette chambre perdait ainsi beaucoup de son prestige ; les départements administratifs allaient se désorganisant par suite des fréquents changements de chefs et de systèmes politiques. Nous étions presque aussi à plaindre que l'armée du Potomac, avant qu'elle eut pour chef le général GRANT. Ainsi donc, nous avons eu nos trois avertissements, l'un de l'intérieur et les deux autres du dehors. Je suppose, M. l'Orateur, que nous nous rappelons tous l'ancienne histoire du livre classique de madame TRAILL, intitulé Les trois avertissements, et dans laquelle on voit comment la Mort avait promis de ne pas venir chercher certain indi vidu qu'elle avait visité sans intention le jour de son mariage. Je dis sans intention, car la Mort, qui est de bonne maison, entre rarement quelquepart sans se faire annoncer... (Rires.) Elle promit, dis-je, de ne pas prendre ce particulier sans lui avoir donné trois avertissements distincts. Or, le personnage en question, qui était probablement honorable et membre de quelque chambre, espérait, comme chacun de nous, de survivre à tout le monde, mais au bout de quelques années, il devint boiteux, ensuite, il devint muet, et en dernier lieu, il devint aveugle : l'heure de la mort était venue, et en dépit de tout admirable plaidoyer en faveur du défendeur dans la cause, il se trouvait avoir reçu, tout comme le journaliste parisien récalcitrant, ses trois avertissements ; sa cause était jugée ; il dût disparaître de la surface de la terre, et la mort triompha ! (Ecoutez ! écoutez !) Maintenant, M. l'Orateur, que nous avons été averti par trois fois de songer à la position future qui pouvait nous être faite, malheur à nous si nous ne sommes pas prêts quand l'heure de notre destinée sonnera. (Applaudissements !) Nous avons soumis un projet dont le but est de parer à ces éventualités, lequel a été analysé au point de vue constitutionnel par les procureurs généraux du Haut et du Bas-Canada, et au point de vue financier par le ministre des finances et le président du conseil. Je comprends que l'on ait pu apporter quelques objections au plan, mais je ne crois pas qu'aucun membre saurait se montrer anti- unioniste au point de déclarer inutile la confédération. ( Ecoutez ! écoutez !) Sur les 130 députés qui composent cette chambre, je ne sache pas qu'il en soit un seul, dans les circonstances actuelles où nous nous trouvons, qui soit prêt à se déclarer contre toute union quelconque avec les provinces maritimes. Il se peut que l'on ne veuille pas de tel article ou de tel autre ; que l'on n'aime pas telle et telle disposition du projet, mais tous reconnaissent qu'une union quelconque augmenterait nos moyens de défense en même temps que notre force. Tout en admettant que pendant cette décade nous sommes entrés dans une période de transition politique, d'honorables députés ont soutenu ne nous aurions pu franchir l'abîme à l'aide de ce ponton prussien appelé Zollverein; mais si l'on réfléchit que le commerce du Nouveau- Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse gravite aujourd'hui vers Portland et Boston, et que celui du Haut-Canada, à l'ouest de Kingston, 134" s'achemine depuis longtemps à New-York par la voie des lacs, on verra qu'un simple zollverein ou traité qui n'aurait pas un but politique et qui ne serait pas appuyé par quelque puissance politique n'équivaudrait qu'à un chiffon de papier dans les circonstances où nous nous trouvons. (Ecoutez ! écoutez !) Le reproche qui nous est fait de ne nous être pas prononcés hardiment pour une union législative au lieu d'une confédération avec juridictions locales, mérite quelque attention de notre part. A ce reproche, je répondrai que si nous avions eu, comme on le voulait il y a vingt ans, un chemin de fer intercolonial , peut-être alors, mais seulement à cette condition, aurions nous été en mesure de nous unir sous l'égide d'un seul gouvernement ; mais certains hommes politiques, aidés de capitalistes, ayant fait tomber ce projet il y a vingt ans, des intérêts particuliers ont pris la place que de grands intérêts d'une nature générale eussent pu alors occuper ; les droits acquis et les ambitions de localités surgirent et furent reconnus, toutes choses dont il fallut bien admettre l'existence lorsque nos conférences eurent lieu. (Ecoutez !) La leçon que nous avons à tirer du quart de siècle ainsi perdu pour les anglo-américains, est que si nous perdons l'occasion propice que nous avons à présent, nous verrons que dans quelques années il sera aussi difficile de s'entendre au sujet de n'importe quelle union, (l'union américaine exceptée) qu'il l'eut été l'année dernière à l'égard d'une union législative, à cause de la longue période qui s'était écoulée sans que ces provinces eussent de relations entre elles, et par suite des intérêts spéciaux qui s'étaient créés et développés dans chacune d'elles pendant ce temps. (Applaudissements !) Il est un autre motif, ou plutôt une autre manière d'envisager le motif déjà donné en faveur d'une union immédiate de ces provinces, c'est cette tendance immodérée des démocrates américains à l'annexion de nouveaux territoires. Ils ont convoité la Floride, et ils l'ont absorbée ; la Louisiane, et ils l'ont achetée ; le Texas, et ils s'en sont emparés ; vint ensuite la guerre avec le Mexique, qui se termina en leur apportant la Californie. (Ecoutez ! ) Ils font parfois mine de mépriser ces colonies tout comme si elles étaient indignes de leurs convoitises, mais si l'Angleterre ne nous avait pas servi d'égide, nous n'existerions pas aujourd'hui comme peuple. (Applaudissements !) L'annexion du Canada a été la première ambition de la confédération américaine, ambition à laquelle elle n'a jamais renoncé, même quand ses troupes ne formaient qu'une poignée d'hommes et que sa marine se composait à peine d'une escadre. Est-il raisonnable de supposer qu'elle y renoncera, maintenant quelle compte les canons de sa flotte par milliers et ses troupes par centaines de mille ! A cet égard, l'archevêque d'Halifax, le Dr. Connolly, a fait connaître son opinion dans une lettre récemment publiée. Qui donc est l'archevêque d'Halifax ? Dans les colonies maritimes, où il a exercé son ministère pendant près d'un tiers de siècle, cette question serait absurde ; mais en Canada, il se peut qu'il ne soit pas aussi avantageusement connu. Quelques uns de mes hons. amis de cette chambre et de l'autre, et qui, l'année dernière, furent ses hôtes, ont dû pouvoir juger de ses qualités et de l'hospitalité cordiale qu'il leur a donnée. Eh ! bien, dans toutes ces colonies, il est connu comme un des hommes les plus sagaces et le plus élevé en dignités ; on sait là qu'il a été l'ami intime de feu son confrère si distingué l'archevêque Hughes, de New-York, et qu'il connaît aussi bien les Etats-Unis que ces provinces. Les lignes qui vont suivre sont l'expression de ses vues sur ce point particulier ; la lecture en paraitra peut-être longue, mais elles sont si bien écrites que je suis convaincu que la chambre me saura gré de lui donner connaissance du tout :
" Au lieu de faire comme des enfants qui, en murmurant, se laissent entraîner par le navire jusque sur le bord de la cataracte, nous devons sans délai prier et nous élancer vers la rive, avant que nous ne nous soyons trop avancés dans le courant. Nous devons, dans le moment le plus critique, invoquer l'arbitre des nations pour en obtenir la sagesse, et abandonner à temps notre périlleuse position ; nous élancer hardiment, et, même malgré les dangers des écueils, nous diriger vers la rive la plus rapprochée pour y trouver un abri plus sûr. Une incursion de cavalerie ou une visite de nos amis les " féniens," à travers les plaines du Canada et les fertiles vallées du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse, pourrait, dans une seule semaine, nous coûter plus que nous coûtera la confédération pendant 50 ans à venir. Et, si nous devons vous en croire, quelle sécurité avons-nous, même dans le moment actuel, contre un tel désastre ? Privés de la protection de la mère-patrie, par terre et par mer, et de la concentration dans une seule main, de toutes les forces de l'Amérique Britannique, les dangers de notre position ne sont que trop visibles. Quand les présentes difficultés se termineront, et qui peut en préciser le moment ? nous serons à la merci de nos voisins ; et, victorieux ou non, ils sont un peuple éminemment militaire. Malgré leur indifférence apparente 135 au sujet de l'annexion de ce pays, et leurs sentiments d'amitié, ils auront le pouvoir de frapper quand il leur plaira, et c'est là le point culminant de toute la question. A-t-on jamais vu une nation, ayant le pouvoir de conquérir, ne pas l'exercer, ou même ne pas en abuser, à 1a première occasion favorable ? Tout ce que l'on dit de la magnanimité et de la clémence des nations puissantes se réduit au principe de pure convenance (expediency] que que tout le monde connaît. La face entière de l'Europe a changé et les dynasties de plusieurs siècles ont été broyées de notre temps même, par la seule raison de la force, qui est la plus ancienne, la plus puissante, et, comme plusieurs le prétendent, le plus sacré de tous les titres. Les treize états d'Amérique, avec toutes leurs prétentions d'abnégation, ont, au moyen de l'argent, de la guerre et des négociations, reculé leurs frontières jusqu'à ce qu'ils aient plus que quadruplé leurs territoires, et ce, dans une période de moins de soixante ans ; et, le croire qui voudra, peut-on supposer qu'ils sont disposés à s'en tenir là ? Non ; tant qu'ils en auront le pouvoir, ils avanceront, car il est de la nature même du pouvoir d'accaparer tout ce qui se trouve à sa portée. Ce ne sont donc pas leurs sentiments hostiles, mais c'est leur puissance et leur puissance seule que je crains, et je dis que c'est ma solennelle conviction qu'il est du devoir de tout sujet anglais, dans ces provinces, de contrôler cette puissance, non pas en adoptant la politique insensée de l'attaquer ou de l'affaiblir, mais en nous fortifiant, et en nous élevant à son niveau, en ayant la Grande-Bretagne pour nous appuyer. C'est ainsi que nous serons prêts à toute éventualité. Il n'est pas un seul homme sensé et sans préjugé qui ne voit pas que le seul moyen possible de nous éviter les horreurs d'une guerre telle que le monde n'en a jamais vue, est de s'y préparer vigoureusement et en temps utile. Etre suffisamment prêt est le seul argument pratique qui peut avoir du poids auprès d'un ennemi puissant et qui peut l'engager et réfléchir avant de se lancer dans l'entreprise. Et comme je désire pour nous cette condition que nous sommes incapables d'atteindre sans l'union des provinces, je sens qu'il est de mon devoir de me déclarer nettement en faveur d'une confédération au prix de tous les sacrifices raisonnables.
" Après la plus mûre considération du sujet, et tous les arguments que j'ai entendus de part et d'autre, dans le cours du dernier mois, c'est ma conviction la plus profonde que la confédération est nécessaire, qu'elle est la mesure seule qui, avec le secours de la Providence, peut nous assurer l'ordre social, la paix, la liberté rationnelle et tous les bienfaits dont nous jouissons maintenant sous le gouvernement le plus doux et les institutions du pays le plus libre et le plus heureux du monde. "
Ces paroles sont celles d'un homme d'état, d'un homme d'état mîtré, d'un des représentants de cette classe de génies puissants sortis des moules éprouvés de la discipline théologique qui a produit les Ximenes et les Wolsey. Personne plus que moi n'est opposé à l'intervention du clergé dans la politique de parti et tel est aussi, je crois, l'avis de sa grâce l'archevêque d'Halifax ; mais lorsqu'il s'agit de paix ou de guerre, d'indépendance ou de conquête, qui a le droit d'élever une voix plus autorisée que ces ministres de paix, de justice et de vraie liberté ? Rappelez-vous ces deux phrases de la fin :—" Et comme je désire, pour nous cette condition que nous sommes incapables d'atteindre sans l'union des provinces, dit l'illustre archevêque, je sens qu'il est de mon devoir de me déclarer nettement en faveur d'une confédération au prix de tous les sacrifices raisonnables. Après la plus mûre considération du sujet, et tous les arguments que j'ai entendus de part et d'autre, dans le cours du dernier mois, c'est ma conviction la plus profonde que la confédération est nécessaire, qu'elle est la mesure seule qui, avec le secours de la providence, peut nous assurer l'ordre social, la paix, la liberté rationnelle et tous les bienfaits dont nous jouissons main- tenant, sous le gouvernement le plus doux et les institutions du pays le plus libre et le plus heureux du monde. " (Ecoutez ! écoutez !) Un autre motif de notre union est qu'elle raffermira au lieu de l'affaiblir le lien qui unit les colonies à la métropole et qui est si essentiel à leur prospérité future. Ceux que l'on peut appeler anti-unionistes prétendent que le projet en question devra amener la séparation de la mère-patrie. De quelle manière, je vous le demande ? Est-ce qu'en donnant plus d'importance à ces provinces vous rendrez leur possession moins précieuse à l'Angleterre ? Est-ce qu'en développant et en augmentant leur commerce vous n'inspirerez pas à celle-ci un plus vif regret de s'en séparer ? Est-ce en réduisant leur tarif fédéral que vous les rendrez moins favorables à l'Angleterre ? Est-ce qu'en leur donnant les moyens d'être plus redoutables vous n'arrivez qu'à donner à la métropole plus de répugnance à se charger d'une responsabilité d'autant moins forte ? Mais, que dis-je? L'Angleterre n'a- t-elle pas déjà répondu à cette objection en nous signifiant qu' " elle approuvait cordialement " notre projet d'union, et il semble qu'elle doit être assez bon juge de ses propres intérêts? ( Ecoutez ! écoutez !) Loin de regarder notre union comme devant être défavorable à ses intérêts, loin de lui faire un accueil décourageant et froid, elle l'accepte au contraire avec joie et bonheur, et nous souhaite mille succès dans la nouvelle carrière où nous entrons. ( Ecoutez ! écoutez !) 136 Ramenée sur le terrain des intérêts provinciaux, la question ne se présente pas avec moins de force. La première raison est que nous ne pouvons nous soutenir par nous- mêmes, et que si nous l'essayions nous courrions à une destruction certaine :—or, cette vérité étant établie, et ne désirant pas du tout nous annexer aux Etats-Unis, il est du devoir de chacun de travailler le plus possible a raffermir et resserrer les liens qui nous unissent à la Grande-Bretagne. Mais, comment pourrons-nous obtenir un résultat aussi précieux? Sera-ce en obligeant le gouvernement impérial de négocier à Charlottetown, puis à Halifax, puis à Frederickton, puis à St. Jean, puis enfin à Québec' le chiffre de soldats et de fusils nécessaire à notre défense ? Sera-ce en formant cinq gouvernements séparés et dis- tincts que nous rendrons ces liens désirables et si bien appréciées, ou bien sera-ce en remettant tous ces pouvoirs entre les mains d'un seul gouvernement général, en réduisant à deux le chiffre des parties contractantes, et en simplifiant ainsi l'expédition de toutes les affaires entre les deux pays ? (Ecoutez, écoutez !) Je me bornerai, M. l'ORATEUR, aux principaux motifs que je viens de passer en revue au soutien de notre projet de confédération et qui sont :—premièrement, que nous sommes entraînés par le courant et qu'il nous faut le suivre ;—secondement, notre voisinage qui ne nous permettra pas de rester oisifs, quand même nous ne serions pas forcés d'agir ;—troisièmement enfin, la consolidation du lien qui nous unit à la métropole. (Applaudissements.) Qu'il me soit permis, maintenant, M. l'Orateur, d'appeler votre attention sur les difficultés présentes et passées que ce grand projet a eu à vaincre avant d'en arriver au point où il en est maintenant. Les chances de succès qui se présentèrent d'abord aux personnages éminents qui les premiers mirent cette question en avent furent assez faibles. (Ecoutez ! écoutez !) Lorsqu'ensuite, en 1822 et en 1839, elle fut ressuscitée par le bureau de Downing Street, elle devint l'objet des soupçons universels dans les provinces, et ayant été plus tard mêlée au projet du chemin de fer de Québec et Halifax elle en partagea le sort et succomba avec lui sous le coup des jalousies et des tiraillements de l'opinion publique. Plus tard, sur la proposition faite en 1858 par M. Galt et sur une autre présentée par moi en 1860, le sujet fut de nouveau ramené devant les chambres par un simple député ; le ministère du jour ne voulant pas souffrir que personne ne s'en occupât que lui-même, s'empara de la question, comme il l'avait fait en 1858 ; mais l'opposition se plaignit que le parlement n'avait pas été consulté. Lorsqu'en 1859 le Canada voulut agir, il n'y eut que Terre- neuve qui se montra décidée à coopérer avec nous ;—et lorsque la Nouvelle-Ecosse se montra disposée à faire des démarches en 1860, il n'y eut que le Nouveau- Brunswick qui se déclara prêt à marcher avec elle : le Canada ne voulut consentir alors à rien. (Ecoutez ! écoutez !) De la part du bureau colonial le langage n'avait cessé d'être le même :—" Entendez-vous, messieurs, ont tour à tour répété M. Labouchère, Sir Bulwer Lytton et le regretté duo de Newcastle, et soyez sûrs que nous ne vous apporterons pas le moindre obstacle." Cette entente était plus facile à souhaiter qu'à opérer entre cinq colonies, étrangères depuis si longtemps, et qui n'étaient venues en contact que pour se manifester leurs différences d'opinion. Aucune occasion favorable ne s'était encore présentée avant l'année dernière de soulever la question, et il est probable que si nous laissons passer celle-ci nous n'en retrouverons jamais une autre pour nous permettre de nous entendre aussi bien entre nous que nous l'avons fait jusqu'ici. Par un concours de circonstances que je ne craindrai pas d'appeler providentiel, vu la gravité des évènements, le gouvernement canadien modifia son personnel de telle sorte le printemps dernier qu'il lui devint possible de s'occuper sans crainte de la question, précisément au moment où les colonies du golfe, convaincues de l'impossibilité d'une union avec les Canadas, prenaient ensemble les moyens d'effectuer cette union entre elles. On sait que le nouveau ministère comptait parmi ses membres du Haut-Canada les chefs de l'administration précédente et de l'opposition de cette partie de la province. Aussitôt qu'il fut formé, il annonça à cette chambre qu'une partie de son programme politique était de tâcher d'opérer, avec les colonies d'en-bas, une conférence dans le but d'effectuer une union générale avec elles. Cette déclaration reçut l'approbation formelle de l'assemblée, et sans vouloir donner aux choses plus de sens qu'elles n'en comportent, il me semble qu'en le fesant elle a accepté le principe du projet dans le cas où il serait possible. Telle est, M. l'Orateur, ma 137 manière d'envisager la position de la chambre vis-à-vis du gouvernement après qu'elle lui eut exprimé aussi explicitement son approbation. D'autres membres de cette chambre envisagent la position sous un autre point de vue et prétendent qu'ils ne se voient en rien tenus d'acquiescer même au principe et encore bien moins aux détails de la mesure. (Ecoutez !) Après que l'administration fut montée au pouvoir, un incident se produisit qui, sans avoir d'importance nationale, ne doit pas cependant être passé sous silence et que j'aurais mauvaise grâce d'oublier, je veux parler de l'excursion aux provinces maritimes, projetée et organisée par deux représentants de notre plus grand chemin de fer, MM. Ferrier et Brydges (Applaudissements.) On a dit tant de mal de ces deux messieurs que je me crois obligé d'en dire du bien aujourd'hui. Quarante députés de cette chambre, vingt-cinq du conseil législatif et quarante autres personnes appartenant au journalisme et à d'autres professions en Canada, prirent part à cette excursion. Un si grand nombre de canadiens n'avaient jamais si minutieusement visité les provinces d'en-bas, et jamais celles-ci n'avaient vu auparavant un si grand nombre de canadiens. La réception dont nous fûmes l'objet surpasse en cordialité tout ce que l'on peut en dire. Partout se manifestèrent les sentiments les plus favorables à l'union ; aussi, m'est-il pénible de voir aujourd'hui que parmi ceux qui applaudissaient d'abord au projet, alors qu'il n'était que théorique, plusieurs aient changé d'avis depuis qu'il est placé devant cette chambre sous une forme tangible, et je crains bien qu'ils n'agissent pas suivant leur déclaration d'alors. Il pourrait se faire cependant que le contraire arrive, mais ce serait tout de même une manière assez singulière d'en agir. (Rires). Ces choses se passaient en août ; le mois suivant eut lieu la conférence de Charlottetown, puis en octobre celle de Québec, et enfin les délégués purent en novembre parcourir le Canada et faire plus ample connaissance avec ses institutions et ses progrès en tout genre. C'est donc quatre mois sur huit, à partir du jour où nous nous engageâmes devant la chambre à régler cette question, que nous avons consacrés à l'étude et à l'accomplissement de cette grande idée. Puisque je parle de la conférence, me sera-t-il permis, M. l'Orateur, d'exprimer les sentiments de haute estime que les délégués des provinces d'en-bas m'ont inspirés durant les nombreuses heures où nous sommes venus nous asseoir ensemble autour de la table de nos délibérations ? (Applaudissements.) Ayant eu à me rendre à Montréal un jour ou deux avant le banquet, un citoyen haut placé de cette ville me fit d'un air assez emphatique la question suivante :—" Quelle espèce de gens sont ces délégués d'en-bas ?"—Je lui répondis ce que je répète ici,—qu'ils étaient comme corps des hommes les plus distingués et les plus supérieurs qu'aucun jeune pays pût produire,—et que plusieurs d'entr'eux pouvaient soutenir la comparaison en capacités et en connaissances avec les membres les plus remarquables des communes d'Angleterre. De même que notre gouvernement contenait des représentants de l'ancienne opposition et de l'ancien ministère, de même leur délégation était composée d'à peu près autant de membres de la gauche que de la droite des diverses provinces. Il m'est impossible d'espérer jamais voir réuni à la même table de délibérations un assemblage d'hommes plus studieux, plus attachés à leurs droits et en même temps plus équitables pour ceux des autres, plus féconde dans la discussion, plus aimables dans les relations et plus disposés qu'eux à faire ce qui est bien et juste. (Applaudissements.) Pourquoi insister davantage sur ce sujet ? N'ont-ils pas été vus et entendus dans toutes nos principales villes, et celui qui les a connus une fois n'a-t-il pas été fier d'appartenir avec eux au même pays et d'espérer que bientôt il pourrait les appeler " concitoyens " de fait comme de nom. (Applaudissements.) Ce fut donc à la suite de cette combinaison d'esprits distingués, et de cette coalition de chefs sans cesse opposés jusqu'à ce jour,— à la suite de cette suspension d'armes entre les partis de chaque province, après tous ces travaux et tous ces sacrifices et après que tous les obstacles antérieurs eurent été tous vaincus,—que le traité fut conclu et signé par nous tous. Les propositions qu'il renferme ont soulevé de fortes objections, et c'est l'hon. député de Chateauguay qui nous rappelait, l'autre soir, que nous n'avions pas le pouvoir et la faculté de conclure des traités. Pour répondre à cette observation, je dois dire qu'en certains cas, le gouvernement impérial a concédé à ces provinces le droit d'agir simultanément, comme dans le cas du traité de réciprocité par exemple ; et, à propos de la question actuelle, on connaît la depêche impériale adressée en 1862 au lord MULGRAVE, comme gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, qui autorise les hommes publics des colonies à s'entendre 138 ensemble sur le sujet et à soumettre au gouvernement de la métropole le résultat de leurs délibérations. (Ecoutez! écoutez ! ) C'est en vertu de cette dépêche que la conférence du 10 octobre eut lieu et c'est sous sa sanction que nous élaborâmes le projet d'union actuel. Rien de ce que nous avons fait ne l'a été sans autorisation, ou sans observer les formes, et le résultat de nos travaux a été la convention que l'on désigne ici sous le nom de traité soumis à l'approbation du gouvernement impérial de même qu'à celle de cette chambre. Et pour éviter tout malentendu quant à notre position vis-à-vis de ce document, nous vous disons :—vous pouvez l'examiner, — rejeter ou l'accepter, mais vous ne pouvez pas le modifier, ( Ecoutez ! écoutez !) car cela est au-dessus de votre pouvoir et du nôtre. Pas une phrase, pas une ligne, pas un mot même de ce document ne doit être changé sans qu'il ne soit rejeté entièrement. Modifiez-le, et sans tarder, nous devinons immédiatement quelle est votre intention,—car vous vous déclarez anti-unionistes (Ecoutez ! écoutez ! ) Sur ce sujet je concours parfaitement avec tous mes honorables amis qui ont parlé de la question—modifier le traité c'est le détruire, c'est l'annuler et rien autre chose Soyons donc francs les uns envers les autres, et vous qui ne voulez pas de notre travail, et nous mêmes qui sommes décidés de l'appuyer article par article, ligne par ligne, lettre par lettre.—Mais, direz-vous, tel article devrait- être rédigé comme ceci, et tel autre comme cela ? Est-il, vous répondons-nous, est-il par- mi vous un seul député qui croit qu'un traité conclu entre cinq provinces puisse donner pleine et entière satisfaction à chacune ? Est-il un seul député qui s'attende sérieusement d'avoir une constitution rédigée suivant sa fantaisie ou son ordre, ou celui d'aucun autre homme ?—Non, M. l'Orateur, je ne crois pas que jamais un législateur ait eu cette idée, pas au moins depuis que Anacharsis Clootz a occupé le poste de " Procureur-général de l'humanité.' (Rires.) Il se peut que quelques uns reconnaissent la vérité du principe, tout en prétendant qu'on doit traiter cette question comme toute mesure parlementaire et en la forme accoutumée. Non, M. l'Orateur, cette question n'en est pas une ordinaire, car nous ne som- mes pas appelés à en faire une loi et nous n'en pouvons pas faire une loi ; seul un pouvoir plus élevé que nous le peut. Supposons que l'adresse soit passée demain par cette chambre, ce vote sera-t-il final et décisif ? non ;—ne sera-ce pas au contraire au parlement impérial de dire le dernier mot sur le sujet ? (Ecoutez ! écoutez !) C'est ce corps qui sera chargé de donner la forme de loi aux diverses propositions du projet actuel dont le texte tout probablement sera celui de la loi même. Mais, dit-on, si la mesure comporte des défauts on devrait tâcher d'y remédier et le gouvernement devrait être heureux de se les voir signalés : ce raisonnement, très juste pour un acte du parlement canadien, tombe ici à faux parce que l'union projetée n'est pas le fait du Canada. C'est une adresse au trône dont les termes doivent être acceptée par d'autres colonies, et quand bien même nous y apporterions des modifications nous ne saurions les obliger à y acquiescer. Si donc nous sommes assez faibles et d'assez mauvaise foi pour changer une convention solennelle que nous avons faite avec les autres provinces juste au moment où les représentants venaient de nous quitter pour retourner chez eux, une telle 1igne de conduite ne sera propre qu'à faire tomber la mesure et à la jeter ainsi que le pays dans le chaos ! (Ecoutez ! écoutez !) Je veux bien croire, M. l'ORATEUR, que notre devoir à tous est de tendre vers la perfection, ainsi qu'on l'a dit, mais qui peut se flatter d'y être jamais arrivé à part le député de Brome? (Rires.) Nous avons néanmoins fait tous nos efforts pour atteindre le but, et nous sommes fiers du succès que nous avons eu, différant en cela de mon hon. ami de Chateauguay — cet ambitieux archer !—qui ne sera satisfait que quand nous aurons atteint le blanc. (Rires.) Mon honorable ami connaît assez la littérature politique,—eh ! bien, pourrait-il me citer un seul auteur, du premier au dernier, qui ait jamais prétendu que les gouvernements humains pussent être quelque chose de plus que " un pas vers le droit" suivant le mot d'un moderne, et " le mieux possible " suivant le mot d'un ancien ? Or, nous croyons avoir donné à nos concitoyens de toutes les provinces ce " mieux possible,"— et nous le leur avons donné dans le moment le plus pressant ; leurs représentants et les nôtres y ont tous contribué, dans la lettre et l'esprit, la forme et la substance tant qu'ils n'ont pas trouvé cette base commune d'accord mutuel qui, je l'espère, ne sera renversée ni aujourd'hui, ni de longtemps. Avant de passer à une autre partie de mon discours, je prendrai la liberté, M. l'Orateur, de payer mon tribut de respect le plus sincère à l'un de nos collègues canadiens aujourd'hui vice- 139 chancelier du Haut-Canada, M. Mowatt, et qui a pris une part si active et si honorable à l'élaboration du projet (Applaudissements). Je dirai maintenant quelque chose sur ce que j'appellerai les relations sociales qui, suivant moi, devraient exister et existeront entre les populations d'en-bas et nous-mêmes dans le cas de l'union fédérale,—et je parlerai aussi des aptitudes sociales de chacune des parties contractantes à vivre sous le même régime —Je commencerai d'abord par quelques observations à l'adresse de quelques-uns des députés canadiens-français que l'on dit opposés à notre projet parce qu'il blesse leurs intérêts nationaux. Qu'ils se rappellent que toutes les colonies que l'on veut aujourd'hui unir sous une même constitution l'ont été autrefois sous le nom de Nouvelle-France ! ( Applaudissements ). Terreneuve la plus éloignée de toutes en fesait partie, et l'on sait qu'une grande étendue de ses côtes s'appelle encore " la côte française ; " le Cap Breton en fesait également partie jusqu'à la chute de Louisbourg ; l'Ile du Prince-Edouard était l'Ile St. Jean; et Charlottetown était Port-Joli ;—au cœur de la Nouvelle-Ecosse se   trouvait cette noble terre acadienne célébrée par LONGFELLOW, dont la rime poétique se répète sur chaque vague qui vient se briser au pied du cap Blomedon ! ( Applaudissements. ) Dans les comtés septentrionaux du Nouveau-Brunswick, depuis Miramichi jusqu'à Métapédiac, les Français n'ont-ils pas eu leurs forts, leurs fermes, leurs églises et leurs fêtes longtemps avant qu'une seule parole anglaise eut été proférée sur tout ce territoire ? Qu'on ne croie pas que la race forte des normands et des bretons ait disparu de ces anciens établissements. J'ai entendu un membre de la conférence parler en termes les plus flatteurs de ceux qui habitaient son comté, et je crois être exact en disant que M. LE VISCONTE ex-ministre des finances de la Nouvelle-Écosse, était un Acadien M. COZZANS, de New-York, auteur d'un petit livre très-attrayant qu'il vient de publier sur la Nouvelle-Ecosse, parle des Français qui résident près du bassin de Minos, et dit surtout en parlant des femmes qu'elles paraissaient sortir de la Normandie d'il y a un siècle ! On trouve au nord du Nouveau-Brunswick, plus d'un comté où les affaires, la loi et la politique exigent de celui qui s'y livre une connaissance des deux langues française et anglaise. Un de mes dignes amis, l'hon. M. MITCHELL, de Chatham, qui se trouvait ici aux premières séances de la conférence, n'a dû sa première élection dans l'un de ses com tés qu'au fait qu'on l'avait surnommé le père Michel et qu'il pouvait parler à ses électeurs dans leur propre langue. Je lirai à ce sujet avec la permission de la chambre, une esquisse très bien écrite du district français du Nouveau-Brunswick, en 1863, par le lieut.- gouverneur Gordon (Galston's vacation tourist, 1864), et qui offre le plus vif intérêt :
" La population française qui forme une proportion si considérable des habitants des comtés de Westmoreland, Kent et Gloucester, me parait aussi heureuse que celle de Victoria, quoique pas aussi à l'aise. Tout dans ces grandes maisons à deux étages, peintes d'un rouge brun sauvage, et se détachant au milieu des arbres,—ces chevaux vigoureux,— ces champs bien cultivés et ces troupeaux de moutons,— respirait un air de confort et de bien-être inconnu sur les bords de la mer. Après avoir parcouru les divers en droits d'où l'on peut mieux apercevoir le beau pic de la montagne de la Grande Rivière, nous vînmes mettre pied à terre à la porte de M. VIOLETTE, à l'embouchure de la Grande Rivière, dont nous avions fait notre point de départ. L'aspect qu'offrait cette habitation était celui d'une métairie de Normandie ; les ouvertures de la maison étaient peintes en couleurs éclatantes et différentes pour les paneaux et les cadres ;—la grande salle avec ses fenêtres ; son plancher nu mais reluisant de propreté ;—les jeunes filles occupées à filer au rouet, —le costume français et les manières de madame VIOLETTE, de ses garçons et de ses filles, tout me transporta de l'autre côté de l''Atlantique. Après avoir conversé quelque temps avec cette famille, nous nous dirigeames vers le pont où deux canots nous attendaient montés par des français, —trois CYR et un THIBAUDEAU. En un instant nous fûmes au large. Bientôt après un coude de la rivière nous déroba la vue du pont et des habitations, de notre voiture vide et de nos amis qui nous avaient accompagnés jusqu'à là et qui, sur le bord de la côte et éclairés par les rayons du soleil couchant, nous criaient adieu !—j'avouerai que   ce ne fut pas sans un sentiment de plaisir que je m'aperçus que le méandre de la rivière qui nous cachait tout cela venait aussi de nous séparer, pour quelques semaines, du monde civilisé. "
Ainsi, l'on voit que le gouverneur GORDON parle de quatre comtés dans le nord du Nouveau-Brunswick qui portent encore un caractère français très marqué. Eh bien ! messieurs d'origine française, nous proposons de remettre sous votre protection ces compatriotes depuis si longtemps perdus ; car dans   l'union fédérale nous reconnaîtrons l'égalité des deux langues, et ils se rallieront naturellement à vous ; leurs requêtes vous seront adressées, et leurs représentants s'allieront naturellement à vous. En supposant que ces quatre comtés du Nouveau-Brunswick soient représentés par des membres français, et qu'il y en ait deux dans la Nouvelle- Ecosse, et un dans Terreneuve, vous les auriez, en cas de besoin, pour alliés sûrs, 140 et vos rangs déjà serrés en acquerraient une plus grande influence dans le conseil fédéral. (Applaudissements.) Je vais continuer l'anal lyse générale de la population maritime, afin d'établir la proposition que l'union projetée est naturelle et congénère. Le plus ancien élément de cette population, après l'élément français, est l'établissement irlandais de Ferryland, dans Terreneuve, fondé par lord Baltimore et lord Falkland (lord lieutenant d'Irlande à cette époque,) immédiatement après la restauration de CHARLES I, peu de temps après-1660. A Terreneuve, l'élément irlandais conserve sa puissance et cela est bien naturel, puisque c'est la paroisse voisine de l'Irlande, (rires) ; et je pense que nous avons vu un excellent échantillon de ses irlandais indigènes à notre conférence, dans la personne de M. AMBROSE SHEA. (Ecoutez ! écoutez !) Pour moi, j'avoue que je suis extrêment heureux de penser que la seule véritable colonie irlandaise de notre groupe, comme on peut l'appeler, doit faire partie de l'union. Un autre grand élément de la population des provinces maritimes est celui des montagnards écossais. De grandes étendues de l' Ile du Prince-Edouard et du Cap Breton ont été concédées, après la paix de Paris, à des officiers et soldats des montagnards de FRAZER et autres régiments écossais, qui s'étaient distingués durant la guerre de sept ans. Si mon hon. ami le député de Glengarry (M. D. A. MACDONALD), était venu avec nous à Charlottetown, en septembre dernier, il aurait rencontré des membres de différents clans qu'il aurait été fier de connaître, et qui aurait conversé avec lui dans la langue gaélique qu'il chérit tant.
M. D. A. MACDONALD.—Ils sont répandus par tout le monde. (Rires).
L'HON. M. McGEE.—Tant mieux ! (Applaudissements). Et je lui dirai, — ce que je crois être à leur honneur, — que les montagnards de toutes ces provinces conservent fidèlement la religion, le langage et les traditions de leurs pères. L'évêque catholique de Charlottetown est un McINTYRE ; l'évêque d'Arichat (Cap Breton) est un McKINNON; et, dans la liste du clergé, je trouve une suite incessante de noms comme les McDONALD, McGILLIS, McGILLAVRY, McLEOD, McKENZIE et CAMERON,—tous " anglo-saxons," comme de raisons (rires) et, parmi eux, je trouve des FOURNIER, des GAUVREAU, des PAQUET et des MARTEL, dont il est facile de deviner l'origine. (Applaudissements). Il me reste à parler d'un autre élément de cette population, et c'est celui des loyalistes de l'empire-uni, qui ont fondé le Nouveau-Brunswiek, aussi sûrement qu'ils ont fondé le Haut-Canada, pour lesquels le Nouveau-Brunswick a été déclaré province distincte en 1794, comme le Haut- Canada l'a été en 1791. Leurs descendants prospèrent encore dans le pays ; ils occupent bon nombre de positions honorables, et comme représentant de cette classe, je me contenterai de nommer le juge Wilmot, qui a déclaré l'autre jour, en prononçant son allocution à. un grand jury, que s'il était nécessaire, pour faire accepter la confédération dans le Nouveau-Bruswick, qu'il résignât sa charge, il n'hésiterait pas à le faire pour rentrer dans la politique, tant il était convaincu de la nécessité de la mesure pour maintenir l'existence mêmes des lois anglaises et des institutions britanniques. (Ecoutez ! écoutez !) Il y a aussi d'autres éléments qu'il ne faut pas dédaigner,—les riches allemands de Lunebourg, qui ont sur terre les maisonnettee les plus gentilles, et sur mer des embarcations si coquettes, ainsi que d'autres subdivisions moins importantes. Mais je ne veux pas prolonger cette analyse. Je dois dire, cependant, que cette population est presque universellement une population indigène de trois ou quatre générations. Dans le Nouveau-Brunswick, il n'y a pas plus de 12 pour cent d'immigrants sur le chiffre de la population ; dans la Nouvelle- Ecosse, 8 pour cent, et dans les deux îles beaucoup moins encore. Aux yeux de la loi, nous n'admettons aucune différence entre les indigènes et les émigrés en ce pays ; mais il faut remarquer que quand des hommes sont nés en présence des tombeaux de leurs pères, même pendant quelques générations, l'influence de ce fait est considérable pour accroître leur attachement au sol qui les a vue naître. J'admets, pour ma part, que comme immigré, je ne dois d'allégeance qu au Canada, mais ce serait froisser la vérité que de dire que mon affection n'est pas partagée entre mon pays natal et mon pays d'adoption. Maintenue dans de justes bornes, une pareille affection est raisonnable, juste et honorable pour ceux qui l'éprouvent ! (Ecoutez !) Mais la raison pour laquelle je parle de ce fait qui distingue les quatre provinces maritimes autant que le Bas-Canada lui-même, c'est que je veux faire voir la fixité et la stabilité de leur population ; qu'ils sont nés anglo-américains, qu'ils peuvent presque tous prononcer cette fière et noble parole en regar 141 dant chaque jour leurs campagnes : " c'est . là mon propre pays, ma patrie !" (Ecoutez!' écoutez ! ) Que cette population et la nôtre se réunissent pendant une génération ou deux—tels sont les éléments qui la composent et les conditions qui l'entourent—et nos descendants verront avec étonnement, lorsque l'histoire actuelle sera écrite, que ce projet d'union ait jamais pu rencontrer de ] opposition de la part d'hommes d'état, en Canada ou ailleurs. (Ecoutez ! écoutez !) Mais un ou deux membres de cette chambre me disent, ainsi que d'autres Canadiens à vues étroites, qu'ils ne peuvent avoir aucun sentiment patriotique pour cette union avec le Nouveau-Brunswick ou la Nouvelle-Ecosse, et qu'ils ne peuvent éprouver d'intérêt pour ces colonies, avec lesquelles nous avons jusqu'ici eu si peu de relations. " Et que me font à moi les Grecs et les Romains ? " A cela je réponds, connaissez-les et croyez moi, vous saurez les apprécier. J'ai fait sept ou huit voyages dans ces provinces, et j'ai vu une grande partie de leurs populations, et plus je suis venu en communication avec elles plus j'ai appris à les aimer et respecter. (Ecoutez ! écoutez !) Je leur dis donc, s'ils veulent éprouver des sentiments patriotiques à ce sujet et faire naître un sentiment com- mun d'affection entre ces provinces et nous : mettez-nous en relations plus intimes, et comme nous avons les éléments d'une nationalité vigoureuse, chacune des provinces trouvera quelque chose à. aimer et respecter chez l'autre, et le sentiment que nous serions engagés dans une cause commune pour le bien d'une nationalité commune, naîtra de lui-même sans être produit par les arguments de qui que ce soit. (Ecoutez !) L'être dont le cœur reste froid et glacé en face des malheurs qui peuvent affliger ses proches, ses voisins et ses compatriotes, peut figurer fort bien dans une assemblée de paroisse ; mais pouvez-vous donner le nom d'homme à un pareil bipède? (Rires.) N'abusez pas ainsi du plus beau mot de la langue! ( Écoutez.) Il y a un autre argument en faveur de cette union, ou plutôt une preuve de ses avantages mutuels, dans la géographie et les ressources physiques de tout le territoire que l'on propose d'unir; mais avant que j'y attire l'attention de la chambre, je dirai un mot d'une accusation que l'on portera probablement contre moi, c'est-à-dire que je fais ce que l'on appelle un discours non politique. S'il n'est pas politique dans le sens de n'être pas suggéré par l'esprit de parti, alors je plaide coupable ; mais je crois que sur quelques uns des points dont j'ai parlé, le pays désire avoir des renseignements ; et comme beaucoup des hons. membres n'ont pas eu le temps de voyager dans ces provinces, ceux qui ont pu le faire ne peuvent, je crois, mieux servir la société, qu'en donnant un aperçu impartial, juste et véridique de ces provinces et de leur population, et par là renseigner ceux qui, en Canada, n'ont pas eu l'occasion de faire des observations par eux-mêmes sur les lieux. (Ecoutez !] Sir John Beverley Robinson, dans sa lettre à lord John Russell en 1839, disait que si le gouvernement anglais avait essayé de maintenir les anciennes frontières de la Nouvelle-France, dans le traité qui reconnaissait les Etats-Unis, il aurait été impossible de le faire. Ces frontières s'étendent jusqu'à. l'Ohio au sud, et comprennent une grande partie de ce que nos voisins appellent aujourd hui le " Nord-Ouest." Il y a une grande force, je crois, dans cette observation. Mais a l'égard de ce que je puis appeler la fondation sur laquelle nous proposons d'ériger le nouvel édifice, son unité naturelle est admirable à contempler. Il n'y a pas un seul port ou havre dans toutes les provinces, dont l'union est projetée, auquel ne puisse aborder tous les navires, pourvu que leur tirant d'eau ne soit pas trop grand, sans quitter une seule fois nos propres eaux. Depuis la tête du lac Supérieur le même navire peut suivre la côte sans interruption, toujours en vue de notre territoire, jusqu'à St. Jean du Nouveau-Brunswick—ce qui est presque aussi long qu'un voyage en Angleterre. [Ecoutez !] Nous nous plaignons souvent de notre navigation intérieure parce qu'elle n'est ouverte que six mois de l'année ; mais ce qu'elle perd en durée, elle le gagne en importance. L'été dernier, lorsque nous avons visité Halifax dans le Queen Victoria (que l'honnête population de cette ville, repaire de coureurs de blocus, prenait pour un croiseur confédéré), nous avons été pendant près d'une semaine faisant toute vapeur toujours dans les eaux de l'Amérique Britannique en vue des côtes accidentées et magnifiques que nous avions l'orgueil de considérer comme nôtres ! (Ecoutez ! écoutez !) Pendant que nous suivions ainsi ce réseau de fleuves et de rivières jusqu'à la haute mer, je ne pouvais m'empêcher de penser souvent à l'immense étendue de notre navigation. Si quelques uns de mes collègues qui n'ont jamais fait et qui n'ont pas le temps de faire un voyage à travers leur propre pays, veulent seulement aller à la bibliothèque, ils trouveront un ex
142
cellent ouvrage qui leur en tiendra lieu: c'est l'Atlas physique de KEITH JOHNSTON,—livre qui ouvre l'esprit à mesure que l'on en ouvre les pages. (Rires). Ils y verront que notre beau St. Laurent arrose une étendue de pays de 298,000 milles carrés, dont 94,000 seulement sont occupés par les cinq grands lacs réunis. Je n'essaierai pas de suivre mes deux hons. voisins (MM. GALT et BROWN) en faisant un exposé des avantages que le commerce trouverait dans cette union. J'ai dressé un tableau sur cette matière en général [que je ne donne que comme approximativement exact], et je demande à la chambre qu'il me soit permis de le lire:
TERRITOIRE POPULATION REPRESENTA- TION
PROVINCE No. de milles carrés. Etendue Compa -arative No. d'acres en culture 1863. No. d'acres par tête. Nombre de personnes Nombre Comparatif. Nombre de personnes par mille carré. No. de mem- bres propos- sés Nombre de personnes representées par chaque deputé
Haut-Canada *............... 120 ,260 28.91 6,051,619 4.33 1,396,091 42.38 11.51 85 17,025
Bas-Canada .............. 210,020 52.48 4,084,235 4.32 1,111,566 33.75 5.29 65 17,101
Nouvelle-Ecosse........... 18,671 4.45 1,027,792 3.10 330,857 10.04 17.72 19 17,413
Nouveau-Brunswick.......... 27,105 6.46 835, 108 3.25 252,047 7.65 9.29 15 16,803
Ile Du Prince Edouard... 2,173 0.51 300,000 3.70 80,857 2.45 37.20 8 15,239
Terreneuve........ 40,200 9.58 ....... ....... 122,638 3.73 3.05 5 16,171
Totaux........ 410,429 100.00 13,018.754 4.10 † 3,294,056 100.00 7.85 194 16,979
* Canada -- L'étendue en milles carrés désigne les terres connues ou arpentées, la véritable étendue de tout le pays n'étant pas connue † Tous les calculs concernant la population sont faits d'après le recen- sement de 1861.
DETTE REVENU. DEPENSE EXCEDANT
PROVINCE 1863 Montant. Compara- tive. Montant par tête 1863 Montant. Compara- tive. Montant par tête 1863 Montant. Compara- tive. Montant par tête de dépense. de revenu
Canada....... $ 67,293,994 85.14 $ 26 82 $ 9,760,316 77.94 $ 3 89 $ 10,742,897 80.46 $ 4 28 $ 982, 491 $ ..........
Nouvelle Ecosse...... 4,858,547 6.14 14 68 1,385,629 9.46 3 58 1,072,274 8.04 3 24 ........ 513,355
Nouveau Brunswick........... 5,702,991 7.21 22 62 899,991 7.15 3 56 884 613 6.62 3 50 ......... 15,378
Ile du Prince Edouard 244,673 0.31 2 97 197,384 1.58 2.44 171,718 1.29 2 12 ......... 25,666
Terreneuve(1862) 946,000 1.20 7.71 480,000 3.84 3 91 479,420 3.59 3 90 ........ 580
$70,012,205 100.00 $23 98 $12,523,320 100.00 $ 380 $13,350,832 100.00 $4 05 $962, 491 $354,979
IMPORTATIONS EXPORTATIONS. ---
Province 1863. Montant. Compara- tives. Montant par tête 1863. Montant. Compara- tives. Montant par tête 1863. Tonnage-- Entrée et sortie. Tarif moyen.
Canada........ $ 45,964,000 65.10 $ 18 12 $ 41,841,000 62.58 $ 16 68 $ 2,133,000 20 £ ct.
Nouvelle Ecosse...... 10,210,391 14.46 30 36 3,420,568 12.58 25 45 1,431,953 10 £ ct.
Nouveau-Brunswick 7,764,824 11.00 30.80 8,984,784 13.44 35 56 1,386,980 15 1/2 £ ct.
Ile du Prince Edouard..... 1,428,028 2.02 17 66 1,627,540 2.43 20 12 Nul rapport. 11 £ ct.
Terreneuve.......... 5,242,720 7.42 42 75 6,002,212 8.97 48 96 " (6,907,000 10 £ ct. sue les lacs.)
Totaux.......... $70,600,963 100.00 $21 43 $66,846,604 100.00 $20 29 $11,854,934 13.3 £ ct.
Il y a cependant une source de richesse dans les provinces maritimes dont mes hons. amis m'ont dit que peu de chose. Je veux parler des houillières. Je pense que dans plusieurs parties du Canada nous aurons bientôt à ne plus compter sur le bois comme combustible, qu'il faudra songer à remplacer par le charbon. Tous les ans, dans la ville que j'habite, les pauvres souffrent cruellement par suite du haut prix du combustible, et pour empêcher que des familles entières ne periment de froid, des sociétés nationales et
des personnes charitables dépensent de fortes sommes. Avec Sir William Logan, je pense que nous devons tous croire qu'il n'y a pas de charbon eu Canada, et de ma propre autorité, je crois pouvoir me permettre d'affirmer que nous avons un hiver de cinq mois généralement très froid. Voyons main- tenant quelles sont les ressources houillières de nos soeurs provinces auxquelles la confédération nous donnerait libre accès. Je tire ces renseignements de l'autorité que j'ai en mains, la meilleure que l'on puisse trouver sur le sujet: Taylor's coal fields of the New World:
" Dans une lettre à la société géologique de Londres, en 1843, le DR. A. GESNER dit que l'étendue des terrains houilliers du Nouveau—Brunswick ont été récemment estimés à 7500 milles carrés — 10,000 milles carrés en comprenant la Nouvelle— Ecosse mais à part du Cap Breton. Depuis son premier rapport, il a exploré toute cette vaste région et constaté que l'espace couvert par cette formation houillière était d'au moins 8,000 milles carrés dans le Nouveau-Brunswick. Il ajoute que les couches houillières les plus productives sont plus nombreuses a l'intérieur, tandis qu'à le Nouvelle-Ecosse elles se trouvent sur les rives des baies et rivières, et elles offrent tous les avantages à l'exploitation. Les terrains houilliers des deux provinces sont réunis à la ligne frontière et appartiennent au système carbonifère. Les développements de chaque saison font encore mieux voir l'immensité de ces champs houilliers qui s'étendent depuis Terreneuve, per le Cap Breton. l'Ile du Prince-Edouard, la Nouvelle-Ecosse et à travers une grande partie du Nouveau-Brunswick jusque dans l'Etat du Maine. Un géologue marquant, M. HADWOOD a dit que la grandeur et l'immensité de ces richesses houillières étaient impossibles a dé crire. Dans le Nouvelle-Ecosse, le DR. GESNER porte l'étendue de la formation houillière à 2,500 milles carrés, mais MM. LOGAN, DAWSON et BROWN lui donnent de beaucoup plus grandes dimensions. A la suite d'une laborieuse exploration, Sir W. E. LOGAN a pu démontrer que l'épaisseur ou profondeur de tout le groupe au nord de la Nouvelle— Ecosse était au-delà de 2 3/4 milles, chiffre qui excède de beaucoup celui d'aucune formation houillière connue dans d'autres parties de l'Amérique du Nord. Dans ce groupe, il y a soixante-et-seize couches superposées."
Je dois avouer, M. l'Orateur, que ce sont là de précieux renseignements pour nous, d'autant plus qu'ils se trouvent confirmés par la plus haute autorité ; je dois en même temps ajouter qu'il est impossible de traiter ce sujet des charbons sans éprouver une certaine chaleur. [Rires] Ces houillières inépuisablcs deviendront par la suite avec ce projet,—qui est de fait notre traité de réciprocité avec les provinces inférieures— la grande ressource de nos villes pour le combustible. Je sais qu'au dire des anti- unionistes d'en-bas, la confédération serait 144 la perte du marché de la Nouvelle-Angleterre pour leur charbon ; mais je ne vois guère sur quoi ils se fondent pour arriver à cette conclusion. Un anti-unioniste même devrait savoir que la population du Canada égale à peu près celle de toute la Nouvelle-Angleterre, que nous consommons par année autant de combustible qu'elle, et qu'avec l'union ces provinces trouveront chez nous un marché aussi avantageux que celui que   ces théoriciens les menacent de perdre. Une autre objection soulevée par les anti- unionistes des provinces maritimes, est qu'ils redoutent d'être obligés dans l'avenir de défendre le Canada. On ne niera pas que cet argument ne soit spécieux. Mais quoi ! trois millions d'individus s'unissent à un million, et voila qu'on prétend que c'est sur ce dernier million d'hommes que va retomber tout le fardeau de la défense ! Nul doute qu'ils ne soient obligés de s'armer et de combattre en proportion de leur nombre, si jamais le pays en vient à cette extrémité, mais ils n'auront a fournir en dehors de leur contingent proportionnel pas un sou ni un homme de plus que le Canada. Au contraire, c'est eux que nous devrons défendre si nous ne somme pas attaqués les premiers et j'affirme que tout soldat qui s'armera pour la défense de la vallée et du havre de St. Jean ou même celui d'Halifax, s'armera en même temps pour la défense du Canada. Supposons un autre cas non moins possible : une armée américaine, par suite d'une guerre amenée par les pêcheries ou pour d'autres motifs, envahit les provinces ; trouvant plus facile et moins coûteux de s'emparer des colonies maritimes par terre, elle part de quelque point du lac Champlain, s'avance à travers le Bas-Canada, arrive dans le haut du Nouveau-Brunswick et descend de là vers la mer, répétant ainsi la tactique de SHERMAN dans sa dernière expédition de Knoxville à Savannah :— au profit de qui, je vous le demande, arrêterons-nous la marche de cette armée d'invasion, et hérisserons-nous de mille obstacles le pays compris entre le Richelieu et la Rivière du Loup ? Nous combattrons pour empêcher l'envahissement des ports de mer des colonies, c'est-à-dire pour la liberté et le salut de tous. ( Ecoutez! écoutez !) Mais laissons de côté toutes ces objections étroites, mesquines, indignes de la question et de ceux qui les soulèvent, car au point de vue commercial de même que militaire nos intérêts sont tous liés les uns aux autres. La clé du golfe St. Laurent est Terreneuve dont l'illustre lord Chatham disait qu'il fallait tout autant s'en désaisir que d'abandonner Plymouth : — la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick sont, comme les jumeaux Siamois, attachés l'un à l'autre par cette courte lisière de terrain qui s'étend entre la Baie-Verte et le Bassin de Cumberland ; leur sort est commun et la destinée de l'un devra suivre celle de l'autre, ( Ecoutez ! écoutez ! ) L'Ile du Prince- Edouard n'est rien autre chose qu'un fragment de ces deux provinces séparées par le détroit de Northumberland ; et l'on sait que le Haut et le Bas-Canada sont essentiels l'un à l'autre ; notre situation géographique rend naturelle l'union entre nous et nous en fait connaître les avantages. Pendant qu'ici, en Canada, nous ne doutons pas un instant de la ratification de ce traité intercolonial par le parlement et le pays, je ne puis me dissimuler, M. l'Orateur, que nos amis des provinces d'en- bas se laissent entraîner par des vues étroites et des intérêts personnels si acharnés et si intraitables d'ordinaire dans les petits pays. On a mis en jeu les intérêts du cabotage et des chemins de fer, de même qu'on a tout fait pour soulever l'ignorance honnête et la malhonnêteté habile. Que peuvent vouloir ces hommes du moins ceux à qui il reste du sens commun ? S'imaginent-ils qu'ils vont avoir par ce moyen un gouvernement fait à leur ordre ? Prétendent-ils revenir à l'ancien système ? Veulent-ils livrer le pays aux américains ? Mais alors pourquoi ne pas afficher l'écriteau suivant : — Provinces à vendre ! Conditions, comptant ! greenbacks acceptés au pair. Je me réjouis de voir, de leur côté, les unionistes de ces mêmes colonies si résolus, si convaincus et si unis ; ils finiront par remporter la victoire, j'en suis certain, quelque disputée et quelque difficile qu'elle soit. Si l'opinion honnête mais égarée voulait songer un instant aux malheurs qui suivraient le rejet ou même l'ajournement du projet, je n'ai pas le moinde doute qu'elle ne changeât sur le champ. ( Ecoutez ! écoutez !) Car, en le mettant de côté, sommes-nous sûrs de voir jamais un concours de circonstances aussi favorables à produire le même résultat ? Et nous savons tous comment ce concours de circonstances a eu lieu. ( Ecoutez ! écoutez ! ) Nous n'ignorons pas les évènements extraordinaires et heureux qui sont arrivés en Canada, et les concessions surprenantes faites par les chefs du gouvernements d'en-bas. C'est ainsi qu'on a vu le Dr. Tupper, premier ministre de la Nouvelle-Ecosse, se faire accompagner ici de MM. Archibald et McCulley, ses deux adversaires poli 145 tiques les plus acharnés et les admettre dans ses secrets, — Pouvons-nous espérer, en rejetant le projet que de semblables circonstances nous favoriseront une autre fois ? Pouvons-nous espérer de voir se renouveler le spectacle dont nous jouissons en en moment, et de voir comme aujourd'hui le chef du parti conservateur du Haut-Canada, assis côte à côte avec le chef du parti libéral et s'entendre ensemble au moyen de compromis et de concessions mutuelles pour régler nos difficultés constitutionnelles ? Non, M. l'Orateur, ce serait trop espérer, et les miracles qui se renouvellent tous les jours finissent par n'être plus des miracles ; il faut qu'ils soient rares pour conserver leur nature; or, n'est-il rien de plus merveilleux que de voir comme aujourd'hui les chefs de cabinet des cinq provinces s'unir pour le bien commun aux chefs des partis qu'ils ont toujours combattus, s'associer ensemble et ne pas hésiter devant le risque de se faire imputer à mal les motifs de leur conduite ? ( Applaudissements. ) J'ai parlé, M. l'Orateur, des dangers que nous courrions en rejetant cette mesure ; en effet ne nous exposons-nous pas en ajournant l'union à être envahis par l'esprit de démocratie universelle qui domine aujourd'hui aux Etats- Unis et dont la devise favorite est—
(*) No pent up Utica contracts our powers, But the whole continent is ours ?
Voilà la doctrine Monroe. Les plus grands hommes d'état américains ont regardé comme inévitable l'extension des principes démocratiques sur ce continent, et l'opinion publique s'y est aussi déclarée en ce sens. Mais, supposons que la démocratie universelle ne nous convienne pas plus que la monarchie universelle n'a convenu à l'Europe, pouvons-nous oublier que pendant trois siècles, de CHARLES V à NAPOLÉON,— la Grande-Bretagne a combattu contre l'asservissement de l'Europe à un seul maître ou à un seul système,—et que ces guerres ont accumulé une dette qui n'a cessé depuis de peser sur la classe industrielle d'Angleterre en sus d'autres taxes énormes et que seul le peuple de cette île entreprenante et industrieuse aurait pu supporter ? ( Ecoutez ! écoutez !) L'idée d'une démocratie universelle en Amérique ne sourit pas plus à l'esprit des hommes réfléchis que celle de la monarchie universelle ne plaisait à ceux qui se sont enrôlés sous l'étendard de GUILLAUME III en Europe, ou ont combattu avec MARLBOROUGH les armées de la dynastie qui voulait s'imposer à toute l'Europe ( Ecoutez ! écoutez ! ) Cependant, s'il devait arriver que la démocratie dût s'établir et régner en maître sur ce continent, les provinces d'en- bas, divisées comme elles le sont en fragments, seront d'abord englouties, puis ensuite le Canada comme dessert. ( Rires. ) Avec la confédération, nous nous serrons côte à côte et nous offrons plus de résistance à ces envahissements ; nous devenons plus attachés à la métropole, et nous nous élevons du rang de simples colonies indépendantes à une position plus importante ; nous entrons enfin dans une ère nouvelle sous des auspices plus favorables,—et nous évitons l'annexion aux Etats-Unis qui serait la conséquence finale de notre opposition au projet actuel. [ Applaudissements. ] Mais je m'oublie et ne fais pas attention que ce sont là des considérations pleines de frivolité, et tout à fait indignes de l'attention des Smith, des Annand et des Palmer, qui n'ont pas craint de se mettre à la tête des adversaires de l'union de l'Amérique anglaise ? Avant de terminer, M. l'Orateur, ce qui me reste à dire, et quoique je sente que j'ai déjà trop longtemps fatigué l'attention de la chambre ( cris de " Non ! non ! continuez ! continuez ! "), je prendrai la liberté d'ajouter quelques observations en ma qualité de député anglais du Bas-Canada, et ferai observer en premier lieu qu'on semble avoir exagéré de beaucoup les préjugés de race qui divisent la population de cette partie de la province. Je félicite surtout mon hon. ami, le procureur-général du Bas-Canada, d'être exempt de ces sortes de préjugés quoique sa première pensée en fait de patronage et autres matières semblables soit toujours pour ses compatriotes, ce dont je ne le blâme en aucune façon. Je pense qu'on a poussé cette théorie des races à un point où elle est devenue anti-chrétienne et illogique. Où se trouvent écrites, je vous le demande, ces sublimes paroles : " Dieu a fait du même sang toutes les nations qui habitent la surface du globe ? "—Voilà la véritable théorie des races—et c'est là ce qui fait que je suis aucunement effrayé de la perspective d'une majorité française dans la législature locale ; car si elle est injuste ce ne pourra être qu'accidentellement, et qu'on sache bien que si je parle ainsi ce n'est pas parceque je partage la même croyance reli 146 gieuse, car la langue et le sang sont des barrières que la religion elle-même est impuissante à faire disparaître. Je ne crois pas non plus que mes compatriotes protestants doivent avoir aucune crainte que ce soit, parceque les canadiens français n'ont jamais été intolérants ; leur caractère ne s'y prête pas, à moins toutefois d'être persécutés, mais alors il n'arrive que ce qui a lieu pour toutes les autres races de toutes les croyances. Je citerai, avec la permission de la chambre, un exemple bien frappant de la tolérance des franco canadiens, que j'emprunte au Digest of the Synod Minutes of the Presbyterian Church of Canada, de mon révérend ami M. KEMP, de l'église libre de Montréal : voici ce qu'on y lit à la page 7 de l'introduction :
" Vers 1799, les presbytériens de Montréal de toutes les dénominations, tant anglaise qu'américaine, formèrent une congrégation et s'assurèrent l'année suivante des services du Rév. JOHN YOUNG. Leurs réunions avaient lieu à cette époque dans l'église catholique des Récollets, mais l'année suivante ils construisirent l'édifice de la rue St Gabriel, l'église presbytérienne la plus ancienne de la province. On trouve dans leurs premiers procès-verbaux un témoignage de leur reconnaissance envers les frères Récollets, car ils leur firent cadeau " d'une boîte de chandelles de 56 lbs. à 3d., et d'une pièce de vin d'Espagne à £6 5s. "
( Rires. ) Voilà un fait sur lequel j'appelerai l'attention de mes hons. amis qui pourraient avoir des notions différentes sur les relations chrétiennes du jour ;—d'un côté, nous voyons les RR. PP. Récollets permettant l'usage de l'une de leurs églises à un disciple de JOHN KNOX qui peut-être devra y tourner le papisme en dérision, ( rires bruyants ) ; de l'autre, ce sont les presbytériens reconnaissants qui présentent à ces mêmes prêtres du vin et des cierges en guise de remerciments pour l'usage de leur église. Il semble qu'il serait difficile de trouver dans aucune histoire un exemple plus caractéristique de tolérance d'un côté comme de l'autre. La morale que je tirerai aussi de ce fait est que ceux qui demandent, non sans justice peut- être, la réorganisation sur des principes plus solides de l'éducation protestante dans le Bas- Canada, pourraient très-bien laisser en paix les deux grands séminaires de Québec et de Montréal. Il n'y a pas deux institutions au monde qui se soient acquittées aussi consciencieusement de l'objet de leur création, et il reste beaucoup à apprendre, à cet égard, à ceux qui soupçonnent à peine les services précieux de toute espèce qu'elles n'ont cessé de rendre au peuple et au gouvernement du Bas-Canada, à la civilisation et à l'établissement du pays. ( Ecoutez ! écoutez ! ) Aussi, ma ferme conviction est-elle qu'avec de la modération et de la fermeté la minorité protestante du Bas-Canada obtiendra de cette chambre toutes les garanties raisonnables pour son système d'éducation. Comme catholique, je suis prêt a seconder et appuyer n'importe quels amendements rationnels sur le sujet. A ce propos, j'ajouterai aux remarques faites hier soir par mon hon. ami, ( l'hon. M. BROWN ) sur la question des écoles catholiques séparées de Haut-Canada, que moi aussi j'ai accepté comme final l'acte amendé de 1863, parce qu'il accordait tout ce que les pétitionnaires avaient demandé ; et mon opinion est qu'ils devraient être satisfaits. Mais tout en affirmant que je ne les aiderai certainement pas à remettre cette question sur le tapis, je dois cependant dire que si l'on se prépare à accorder à la minorité protestante du Bas-Canada des garanties spéciales, l'on devra les accorder aussi à la minorité catholique du Haut- Canada,—sans rien retrancher ni ajouter. C'est là mon dernier mot sur le sujet, ignorant d'ailleurs la nature des amendements que l'on demande à l'heure qu'il est soit dans le Bas, soit dans le Haut-Canada. ( Ecoutez ! écoutez ! ) Tous ceux qui ont parlé sur la question ont beaucoup insisté sur la nature des intérêts en jeu dans le rejet ou l'adoption du plan actuel de confédération ; on me permettra de dire quelques mots maintenant sur le principe de la mesure en lui-même. Dans toutes les constitutions où le principe fédéral a été adopté, il est indubitable que l'on rencontre toujours le même vice fatal , la faiblesse de l'autorité centrale. Cette maladie à été la maladie mortelle de toutes les confédérations dont j'ai entendu parler ou dont j'ai lu l'histoire ; elles sont mortes de consomption. ( Rires. ) Cependant n'on ne croie pas que, parce que la Ligue Toscane élisait ses premiers magistrats pour deux mois, et qu'elle a duré pendant un siècle, le principe féderal n'a pas réussi ; au contraire, il y a dans l'adoption fréquente de ce régime par les peuples les plus libres, dans leurs plus grands dangers, quelque chose qui me porte à croire qu'il est en quelque sorte inhérent à la nature humaine même et que par conséquent son point de départ est rationnel. Quelle est, en effet, M. l'Orateur, la principale question, si non celle de la distribution des pouvoirs ? Sans vouloir entrer ce soir dans la discussion de cette question, il me semble cependant que le principe est suscep 147 tible de nous procurer la paix à l'intérieur comme à l'extérieur, et de développer le patriotisme le plus pur et le plus durable. C'est en vertu de ce principe que l'Italie moderne peut envisager avec regret et fierté sept siècles perdus de son histoire jusqu'au champ de bataille de Legnano,—c'est à la faveur de ce régime que s'allumèrent les feux d'Uri, et que se brisèrent les dignes de la Hollande pour engloutir l'Espagne et sceller le sort de l'cppresseur de l'Egypte. Le principe fédéral peut inspirer une noble ambition et l'émulation la plus salutaire Vous avez envoyé vos fils à la frontière, et vous voulez un gouvernement qui puisse être pour eux un motif de force et par conséquent qui puisse exciter leur courage ;—car quelle est la cause pour laqelle doivent combattre les hommes de cœur? Est-ce pour une ligne d'écriture, ou un trait de craie, pour un prétexte ou pour un principe ? Qui-est ce qui tient unies et compactes les nations sinon les principes ? Lorsque imitant la jeunesse d'autres pays, nos jeunes gens pourront dire avec orgueil : " notre fédération," " notre patrie," " notre royaume," alors, je redouterai moins les épreuves que peut nous réserver l'avenir. (Applaudissements.) On a dit que le constitutuon des Etats-Unis n'avait pas réussi. Je n'ai jamais émis cette opinion et, l'autre soir, le proc.-gén. du Haut-Canada nous a dit qu'il ne la considérait pas comme un échec. En 1861, dans cette chambre, je faisais la même observation et je me souviens que le proc.-gén. du Haut-Canada fut le seul à applaudir à mes vues ; ce n'était donc pas un argument de circonstance qu'il invoquait l'autre jour en faveur d'une confédération parmi nous. Je prétends même, toute paradoxale que puisse sembler cette assertion, que ce système peut ne pas réussir chez nous sans être un échec chez nos voisins. I s l'appliquent depuis quatre-vingts ans, ils en ont découvert les défauts, ils y remédieront et pourront encore l'appliquer pendant quatre-vingts ans. Mais nous qui sommes spectateurs, nous voyons les défauts du mécanisme et nous l'avons pecfectionné par de nouvelles combinaisons qui lui assurent une plus longue durée lorsque nous l'emploierons. Un des hommes d'état les plus éminents de l'Angleterre, aussi habile polititique que littérateur distingué, a reconnu d'après ce que nous a dit l'hon. président du conseil, que nous avions pris ce qu'il y a de mieux dans les systèmes américains et anglais, et cette opinion, formée délibérément à une dis tance, a été exprimée sans parti pris et par une personne entièrement désintéressée. (Ecoutez !) En ce qui concerne le chef du gouvernement, l'administration de la justice, la deuxième chambre de la législature, la responsabilité financière du gouvernement général, les emplois publics qui sent assurés aux titulaires durant bonne conduite, et ne sont pas à la merci de tous les partis, nous avons adopté le système anglais ; nous avons emprunté quelques détails au système américain et j'ose dire que nous avons fait une assez bonne combinaison des deux systèmes. Le principe de la fédération est fécond en ressources de tout genre ; il donne aux représentants du peuple des devoirs locaux à remplir et leur confère en même temps des pouvoirs généraux propres à développer chez eux le sentiment d'une intelligente responsabilité. Tous les pays qui l'ont adopté lui doivent des hommes politiques aussi dévoués qu'habiles. Ce principe est éminemment favorable à la liberté, parce qu'il laisse aux corps locaux l'administration des affaires locales, sans danger d'y voir intervenir ceux qui n'y ont pas d'intérêt direct, tandis que les questions d'un caractère général sont exclusivement laissées au gouvernement général ; ce principe est d'accord avec le programme de tous les gouvernements qui ont rendu de grands services à leur pays, parce que tous les gouvernements ont admis plus ou moins, dans la pratique, le principe de la confédération. L' Espagne est une confédération car bien qu'elle eût un roi gouvernant tout le pays, des gouvernements locaux étaient chargés de l'administration des affaires locales. Les Iles Britanniques sont une confédération et les anciens duchés français étaient confédérés dans le royaume de France. Sous une forme ou sous une autre le prinipe de la confédération se manifeste à chaque page de l'histoire de la civilisation universelle, et existe dans les monarchies aussi bien que dans les républiques ; nous l'avons adopté comme principe de notre futur gouvernement, il ne reste qu'à régler certains détails ; ces détails vous sont soumis et il n'est pas au pouvoir du gouvernement d'y rien changer si même c'était le désir de la chambre. La chambre peut rejeter ce traité, mais nous ne le pouvons pas, et les autres provinces qui ont pris part aux négociations sont dans la même impossibilité ; nous ne pouvons consentir à changer le moindre des détails. (Ecoutez !) M. l'Orateur, je m'aperçois que j'ai retenu la chambre trop longtemps, et que ma force 148 physique n'était pas proportionnée à la tâche que je me suis imposée, celle d'expliquer les points sur lesquels mes collègues ne se sont pas spécialement étendus. Voici en deux mots notre position : nous sommes engagés sur l'honneur et la bonne foi vis-à-vis de quatre de nos sœurs-colonies à exécuter le projet adopté ici dans la dernière semaine d'octobre. Nous sommes engagés, d'après la premiére résolution de l'adresse, à soumettre ce projet à Sa Majesté afin qu'il lui plaise ordonner qu'une loi soit passée à cet effet. Nous nous adresserons au gouvernement impérial pour lui demander notre charte fondamentale. Nous espérons que cette charte qui ne pourra être amendée que par les autorités compétentes sera la base permanente de notre futur gouvernement. Les deux éléments principaux que tout le monde cherche à obtenir dans un gouvernement libéral, sont la liberté et la permanence. Jusqu'à présent nous avons eu assez de liberté, trop peut-être, mais enfin, nous en avons eu à cœur-joie. Il n'y a pas sur terre de peuple plus libre que les habitants de ces colonies. Mais ce qui nous manque c'est le sentiment de soumission à la loi; il nous faut une haute autorité centrale et la vertu de l'obéissance qui nous dit de nous soumettre à la loi quand bien même la conscience y verrait du mal, et qui nous empêche de résister à la volonté du pays exprimée par l'autorité reconnue. Il nous faut et nous demandons pour ces provinces une grande démonstration d'autorité. Le défaut de la nouvelle constitution ne sera pas d'avoir des tendances trop conservatrices. Si tel est le cas aujourd'hui la baisse des idées politiques qui caractérise ce siècle démocratique serait une garantie d'un prompt amendement. Tel est le principe qui fera la force de cette constitution et doit lui assurer l'appui de toutes les colonies et l'approbation chaleureuse des autorités impériales. Nous n'avons ici aucune tradition à vénérer. Nous n'avons point d'aristocratie consacrée par le temps ou les hauts faits. Ici tout homme est le premier colon du sol ou le descendant à une ou deux générations près du premier colon ; nous n'avons pas de monument évoquant d'anciens souvenirs. Nous n'avons ici aucune de ces légendes populaires qui, dans d'autres pays, ont une grande influence sur le gouvernement ; ici enfin chaque homme est le fils de ses œuvres. ( Ecoutez ! écoutez ! ) Nous n'avons ici aucune de ces influences qui ailleurs exercent sur le gouvernement le même effet que l'atmosphère invisible sur la vie animale et végétale. Nous sommes dans un pays nouveau—ou tout homme à l'ambition d'arriver parce que les castes et les systèmes n'ont pas eu le temps de prendre racine. Nous n'avons ici d'autre aristocratie que celle de la vertu et du talent, seule véritable aristocratie comme l'indique le sens même du mot ( Ecoutez! écoutez ! ) Il y a dans les colonies des hommes remarquables et qu'on pourrait comparer avantageusement à ceux des autres pays. Je serais donc heureux de voir une delégation de notre aristocracie canadienne et acadienne porter au pied du trône le projet actuel pour y solliciter la sanction royale qui mettrait ainsi le sceau à une œuvre que personne n'a cherché à nous imposer, qui est le fruit de nos travaux, en un mot l'œuvre de notre intelligence et de notre libre volonté. Je voudrais voir nos hommes les plus distingués se transporter devant le parlement impérial pour y plaider la cause de notre confédération, et faire entendre ces paroles à notre Gracieuse Souveraine.—" Sous votre auguste règne on nous a accordé le gouvernement responsable. Nous vivons sous ce régime depuis près d'un quart de siècle ; durant cette période nous avons doublé notre population et quadruplé nos ressources commerciales. Les petites colonies que vos ancêtres pouvaient à peine distinguer sur la carte, sont devenues de grands centres. Un grand danger nous menace, l'horizon politique est chargé de nuages, l'orage peut éclater d'un moment à l'autre, nos propres forces nous laissent à la merci de nos adversaires,—néanmoins nous lutterons avec courage et loyauté, mais il nous faut le temps de grandir, de développer nos vastes ressources, d'augmenter encore notre population. Nous, vos sujets de l'Amérique Britannique du Nord, voulons nous unir pour augmenter nos forces. Vous nous avez donné la liberté, donnez nous l'union qui assurera à jamais cette liberté. La constitution que dans votre sagesse, aidée des avis de votre parlement, vous voudrez bien nous accorder, nous la respecterons aussi longtemps qu'il plaira à votre majesté et à vos successeurs de maintenir l'union de la Grande-Bretagne et de ses colonies ". ( Applaudissements ).
L'HON. Proc.-Gén. MACDONALD propose que les débats soient ajournés à jeudi, le 18 du courant, et qu'ils soient alors le premier ordre du jour après sept heures et demie.
149
L'HON. M. HOLTON.—M. l'Orateur, nous avons douté un instant si l'on avait pas fait une position désavantageuse à l'opposition en laissant se répandre par le pays, sans commentaires, les discours des ministres; mais si les cinq que nous avons entendus contiennent tout ce que l'on peut arguer en faveur de ce projet, on peut sans danger les laisser passer sans réplique. Celui de l'hon. proc.-gén. Ouest m'a laissé sous le coup d'un grand désappointement, que l'on trouvera tout simple dès que l'on aura constaté que le discours de cet hon. monsieur est une parfaite répudiation des vingt années de sa vie politique. Pendant tout ce discours il a lutté contre la conscience de sa fausse position politique, et ce que chacun a pu prendre pour le plus grand effort de sa vie a été la plus faible harangue qu'il ait prononcée sur une question importante pendant les vingt ans qu'il a siégé sur les banquettes de cette chambre. Après lui est venu l'hon. proc.- gén. du Bas Canada, et je suis bien empêché de définir le discours de cet hon. monsieur, autrement que par la qualification de caractéristique, car il l'est réellement. Je doute que depuis l'invention des procureurs-généraux, il s'en soit trouvé d'autres que l'hon. monsieur qui ait pu faire un semblable discours dans une circonstance comme celle-ci. On peut lui appliquer ce que disait un poète d'un tout autre homme,—qui n'était pas un personnage honorable dans l'acception que je donne ici à ce mot :—" On ne saurait te comparer qu'à toi-même." (Rires) Non, jamais, depuis que les procureurs généraux existent, il a pu s'en trouver un qui ait fait un discours approchant de celui que cet hon. monsieur à prononcé sur la grande question actuellement soumise aux délibérations du parlement. Nous eûmes ensuite le discours on ne peut plus habile de mon hon. ami le ministre des finances, lequel fut prononcé avec toute la grâce et l'aisance qui appartiennent à son auteur et avec cette facilité de diction que nous admirons tous et que je suis toujours prêt à reconnaître ; cependant, je pense que les amis de cet hon. monsieur admettront aussi que ce discours était surtout remarquable par la manière habile avec laquelle son auteur a su éviter d'effleurer même les véritables points sur lesquels on s'attendait ou sur lesquels on aurait pu s'attendre qu'il parlerait, et par la façon adroite dont il s'est pris pour affirmer toutes ces choses dont on pouvait attendre de lui la preuve. Voila l'impression que ce discours à laissé dans mon esprit. Vint ensuite le discours,—que dis-je ? l'effort herculéen,—de mon hon. ami le président du conseil, que je vois avec peine n'être pas à son poste, et duquel discours je ne ferai pas les observations que j'aurais pu faire s'il y était. Mais, puisqu'il faut que je me prononce, je vais dire qu'il n'a pas répondu à l'attente. (Cris de " Oh ! oh ! " et de " Ecoutez ! écoutez ! ") D'après le rôle marquant qu'il joue depuis longtemps dans la politique du pays et d'après le rôle principal qu'il s'est créé dans tous les travaux qui ont abouti au projet actuellement devant la chambre, j'attendais au moins de lui quelque justification des mesures qu'il a jugé nécessaire de prendre, quelque justification des principes de l'union projetée si contraires à tous les principes qu'il avait jusqu'ici soutenus. Je le répète, nous attendions de cet hon. monsieur,—quelque chose comme ce que je viens de dire ; mais au lieu de cela, son discours n'a été qu'une apologie de son abandon de tout ce qu'il avait professé durant sa vie politique—sauf l'ombre de la représentation d'après la population— à la poursuite de laquelle il semble avoir tout sacrifié. Nous avons donc eu ce soir le discours de mon hon. ami le ministre de l'agriculture, discours très intéressant, je le reconnais, comme essai historique, qu'on aimera beaucoup à lire dans ces feuilles que nous allons avoir dans quelques jours, et qui fait grand honneur à ses études et à son goût litteraires, mais qui, je ne crains pas de le dire, est d'une très faible portée au point de vue de la question qui nous occupe en ce moment. Je le répète, j'ai raison de ne rien craindre de l'effet que ces discours pourront produire en les faisant répandre sans leurs réfutations. Par eux, le peuple va voir que ces hons. messieurs sont loin d'avoir prouvé la nécessité d'une révolution politique,—et comme il sait que tous ces bouleversements politiques sont injustifiables, excepté dans le cas d'absolue nécessité, il saura comprendre également que ces hons. messieurs étaient tenus de prouver cette nécessité. Le pays verra qu'ils n'ont pu expliquer ni justifier le mépris de la loi et des usages parlementaires dont ils se sont rendus coupables en essayant d'extorquer à cette chambre son adhésion, non pas seulement au principe de l'union—ce qui eut parfaitement été dans l'ordre—mais à toutes les élucubrations adoptées par cette junte constituée de sa propre autorité qui a siégé à Québec, pour donner effet à cette union et à tous ces 150 arrangements mesquins à l'aide desquels les représentants des provinces inférieures furent induits à donner leur consentement et celui de leurs provinces à ce projet. Je le dis hautement, ils ont été incapables d'expliquer, de justifier ces faits. Le pays verra de même que ces hons. messieurs se sont soigneusement abstenus de donner des explications sur les accessoires de ce projet, sur les constitutions des gouvernements locaux, par exemple, lesquelles sont au moins aussi importantes que celle du gouvernement fédéral. Il est complétement avéré qu'une union, fût-elle généralement désirée, pourrait n'être pas désirable par rapport aux arrangements défectueux ou trop dispendieux que pourrait nécessiter son adoption. Cette supposition définit clairement la position de beaucoup d'hons membres qui, comme moi, ne sont pas contre le principe fédéral, mais qui se voient obligés d'agir à l'encontre de leurs convictions parce qu'ils ne peuvent accepter une union aux conditions faites à celle-ci. ( Ecoutez ! écoutez ! ) On aurait pu aussi nous fournir de plus complets renseignements sur l'importante question de l'enseignement, à l'égard de laquelle on nous a donné à entendre que cette législature, en vue de la fédération des provinces, adopterait un système permanent. On aurait pu faire la même chose à l'égard du chemin de fer intercolonial, dont nous allons de fait voter la construction sans nous former en comité général, et sans que l'on nous ait donné un aperçu de ce que pourrait coûter cette voie, qui coûtera certainement $20,000,000, sinon $40,000,000. Je pense que ces hons. messieurs, afin que le pays ait une idée de ce que coûtera ce chemin, auraient dû donner des renseignements nécessaires. (Ecoutez ! écoutez !) Et quant aux défenses du pays, que nous en a-t-on fait connaitre ? Le président du conseil nous a dit que le gouvernement impérial était saisi de cette question, et qu'il voulait l'union parce qu'avec elle nous pourrions mieux les organiser que ne le peuvent des colonies séparées. Que nous a dit ce soir le ministre de l'agriculture ? Que des dépêches arrivaient à toutes les secondes malles d'Angleterre, et nous disaient que nous entrions dans une nouvelle ère relativement à la question des défenses. Qu'est-ce que tout cela peut vouloir dire ? Cela signifie qu'avec cette union nous serons exposés, pour les défenses du pays, à des dépenses que l'on ne veut pas faire connaître maintenant. (Ecoutez ! écoutez !) Ne devrait-on pas mettre ces renseignements, ces dépêches, devant la chambre et devant le pays avant qu'il ne soit pris aucune décision irrévocable touchant le projet ? Ce n'est la ne le petit nombre, que le plus petit nom re des questions importantes embrassées dans ce projet de fédération, et à. l'égard desquelles nous avons droit aux renseignements les plus complets possible, mais au sujet desquels les hons. messieurs se sont étudié à garder le silence, ou s'il leur est arrivé d'en parler, ça été, comme dans le cas des Oracles de Delphes, dans un langage qui défiait toute interprétation. (On rit.) Je dis donc, qu'après que ces discours :se seront répandus par le pays, si le peuple ne s'émeut pas à la vue des dangers dont le menace ce pro- jet inconsidéré des hons. messieurs,—ce projet qui va plonger le pays dans la banqueroute et dans des difficultés sans nombre et inconnues au système de constitution actuel, tout imparfait qu'il soit, que je ne désespérerai pas de mon pays,—non, jamais je n'en désespérerai !—(applaudissements) mais j'appréhendrai pour lui une période de o calamités et de troubles qui lui auront été étrangers jusqu'ici. (Acclamations et mouvements de désapprobation.)
L'ajournement des débats est adopté, après quoi la chambre ajourne.

Source:

Province du Canada. Débats parlementaires sur la question de la Confédération des provinces de l'Amérique britannique du nord. Quebec: Hunter, Rose et Lemieux, Imprimeurs Parlementaires, 1865. Numérisé par Canadiana.

Credits:

.

Selection of input documents and completion of metadata: Martin Holmes.

Personnes participantes: