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ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.
Jeudi, 9 février 1865.
L'ordre du jour pour la reprise des débats sur l'adresse à Sa Majesté au sujet
de la confédération des provinces de l'Amérique Britannique du Nord, étant appelé :—
L'HON. M. MCGEE.—Je me lève, M.
l'
Orateur, afin de tâcher de remplir la
promesse qui a été faite en mon nom par le
chef du Bas-Canada dans cette chambre,
lors de la clôture des débats hier soir.
Après les quatre discours qui ont déjà été
prononcés de ce côté de la chambre, l'on
pourrait croire qu'il reste peu de chose d'une
importance essentielle à dire. L'hon. proc.-
gén.
Macdonald, en proposant les résolutions
lundi dernier au nom du gouvemment, a
expliqué parfaitement toutes les résolutions
adoptées à la conférence de Québec, et a
donné une analyse très complète du projet,
avec ses propre commentaires constitutionnels sur chaque résolution en particulier,
et sur les délibérations de la conférence.
Le proc-gén.
Cartier l'a suivi mardi en traitant particulièrement la question au point de
vue Bas-Canadien. Le ministre des finances a
expliqué la question financière du projet le
même soir ; et hier soir l'hon. président du
conseil nous a donné un lumineux aperçu
financier et politique, ainsi que quelques
arguments au point de vue Haut-Canadien,—
en sorte qu'il semblerait qu'il ne reste que
peu ou rien à dire pour compléter ces
explications lorsqu'on les prend dans leur
ensemble. Mais le sujet est si vaste, et le
projet qui est devant la chambre embrasse
tant d'intérêts, l'atmosphère qui l'entoure
est si subtile,—que je crois qu'il reste encore
quelques parties du travail à terminer,—
quelques vides à remplir ci et là, et c'est ça
que je vais tâcher de faire ce soir le mieux
que je le pourrai. (Ecoutez !) Nous nous
rappelons tous que dans la légende des trois
rois de l'Orient,
Gaspar offrit de l'encens,
Melchior de l'or, et
Balthazar de la
myrrhe ; je crains seulement que ma contribution ait moins de valeur que celle
d'aucun d'entre eux ; mais, telle qu'elle est,
jel'offrirai cordialement, sachant que beau-
coup de mes amis en cette province et les
autres colonies désirent connaître mon opinion sur la crise actuelle.—Avec votre approbation,
M. l'
Orateur, et celle de la chambre, je traiterai le sujet de la manière
suivante : en premier lieu, je ferai l'historique de cette question,—et ensuite j'examinerai
les motifs qui doivent nous faire désirer la
prompte réalisation de cette union—puis je
parlerai des difficultés que la question a dû
surmonter avant d'en arriver à l'état où
elle se trouve aujourd'hui—puis je dirai
un mot des avantages sociaux que trouveront les provinces dans cette union — et
enfin, je parlerai du principe fédéral considéré en lui-même et j'aurai fini. En
d'autres termes, je desire traiter la question à notre propre point de vue et
autant que possible ne pas empiéter sur
le terrain qui a été si complètement exploré,
et beaucoup mieux que je ne le pourrais
faire, par mes hons. collègues. L'hon.
député d'Hochelaga à cru faire quelque
chose de très-habile, l'autre soir, en tirant
de l'oubli un de mes anciens écrits, intitulé :
" Une nouvelle nationalité," et en m'attribuant la paternité de la phrase destinée
à
devenir prophétique dont un personnage
très-distingué a fait usage dans le discours
du trône, à l'ouverture de la session. II est
vrai que l'un de mes premiers essais sur la
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politique canadienne portait ce titre ; mais
il est également vrai que la feuille presque
oubliée dans laquelle il a été publié n'a
jamais été connue, même de nom, de l'illustre
fonctionnaire qui a prononcé ce discours.
Je dois avouer que lorsque je vis l'hon.
député d'Hochelaga, de ses mains tendres
et délicates, offrir mon poupon à l'admiration de la chambre, j'en fus orgueilleux,
surtout lorsque je me rappelai que l'attitude
que j'indiqais, il y a dix ans, comme étant
celle que devaient prendre ces provinces,
était sur le point d'être adoptée par toutes
les colonies sous d'aussi favorables circonstances. Je ne pense pas que ce soit
un
sujet de reproche contre moi, ou une raison
d'amoindrir l'importance du sujet, que j'aie
employé il y a dix ans la phrase même dont
on s'est servi dans le discours du trône.
L'idée elle-méme est bonne, et elle peut
avoir flotté dans l'esprit de beaucoup de
gens, et avoir été partagée par l'hon.
membre pour Hochelaga lui-même. Cela
me rappelle ce que disait
Puff dans le
Critic.—" Il arriva que deux personnes
eurent la même idée,
Shakespeare en fit
usage le premier.—Et voilà! " (Rires.)
Mon hon. ami est sans aucun doute sous ce
rapport le
Shakespeare de la nouvelle
nationalité. (Rires) S'il y a quelque
chose dans l'article qu'il a lu à la chambre
qui mérite désapprobation, il est particepe criminis et également blâmable,
sinon plus blâmable que moi-méme. Il
est en realité le premier coupable et je m'incline devant lui sous ce rapport en toute
humilité. (Nouveaax rires.) En vérité, M.
l'0RATEUR, il eut été tout à fait absurde et
futile d'essayer à établir la paternité d'un
enfant réclamé par tant de pères. Ce serait
presque aussi ridicule que la tentative de
donner un nom à cette confédération, avant
la décision de la Gracieuse Souveraine à
laquelle la question doit étre soumise. J'ai
vu dans un journal de l'ouest au moins une
douzaine d'essais de ce genre. Un individu
choisissait Tuponia et un autre Hochelaga
comme nom convenable pour la nouvelle
nationalité. Or, je demanderai aux hon.
membres de cette chambre quel sentiment
ils éprouveraient, en s'éveillant un beau
matin, de s'entendre appeler des Tuponiens
ou des Hochelagains (Rires) Je pense que
nous pouvons en toute sûreté laisser de de côté
pour le moment la discussion du nom aussi
bien que de l'origine de la confédération ;
lorsqu'elle aura sa place parmi les nations du
monde, et qu'elle ouvrira une nouvelle page
dans l'histoire, il sera temps d'en rechercher
les antécédents, et alors il y aura quelques
hommes qui ayant travaillé pour l'obtenir
dans ses moments difficiles, mériteront d'être
honorablement mentionnés. Je ne me rendrai
pas coupable du mauvais goût de complimenter ceux avec qui j'ai l'honneur d'être
associés ; mais lorsqu'il s'agira de se rappeler
les services rendus à la cause, ce qui n aura
lieu que longtemps après les délibérations
actuelles, il y a certains noms qui ne devront
pas être oubliés. "Dès 1800, l'hon. M.
UNIACKE, l'un des principaux hommes
politiques de la Nouvelle-Ecosse à cette
époque, soumit un projet d'union coloniale
aux autorités impériales. En 1815, le juge
en chef SEWELL, dont on se rappelera le
nom comme celui de l'un des principaux
avocats de cette ville, et comme un homme
politique d'une grande clairvoyance, soumit
aussi un projet. En 1822, Sir JOHN BEVERLEY ROBINSON proposa aussi, à la demande
du bureau colonial, un projet de même
nature ; et je n'ai pas besoin de parler du
rapport de lord DURHAM sur l'union coloniale en 1839. Ce sont là tous des noms
mémorables, et quelques une sont de grands
noms. Si nous avons rêvé à l'union (comme
quelques députés de l'autre côté le disent),
l'on peut au moins penser qu'un rêve qui
a été fait par des hommes aussi sages
et aussi honnêtes, peut être en réalité
une espèce de vision—une vision qui
reflète les événements futurs naturels dans
une intelligence lucide,—une vision (je le
dis sans irréverence, car l'événement intéresse des millions d'hommes vivants, et
d'autres qui doivent venir,) qui ressemble à
celle des DANIEL et des JOSEPH de l'ancien
temps , faisant entrevoir les épreuves de l'avenir, le sort des tribus et des peuples,
la
naissance et la chute des dynasties. Mais
l'histoire récente de la mesure est suffisamment étonnante sans que j'aie à m'étendre
sur les anciennes prédictions de tant de
sages. Celui qui, en 1862, ou même en
1863, nous aurait dit que nous verrions
ce soir, sur les banquettes que j'occupe, une
pareille représentation d'intérêts agissant de
concert, aurait été regardé comme à moitié fou ;
et celui qui, dans les provinces inférieures vers
la même époque, aurait cherché à prédire la
composition de leur délégation qui a siégé avec
nous sous ce toit en octobre dernier, aurait
été également considéré comme atteint de
démence. (Rires.) Mais ces événements
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ont eu lieu, et si les messieurs qui n'ont
pas directement contribué à amener ces
résultats, et qui, naturellement, portent
moins d'intérêt au projet que nous, nous
accordent seulement le bénéfice du doute,
s'ils veulent bien admettre que nous n'avons
pas absolument tort, nous espérons pouvoir
leur montrer, comme nous croyons le
leur avoir déjà prouvé, que nous n'avions
pas tout à fait perdu la raison lorsque nous
avons commencé cette entreprise. Je pense,
cependant, que nous pouvons abandonner
l'histoire passée de la question pour nous
occuper de son histoire présente ; de faible
et précaire plante qu'elle était, elle est de-
venue un grand arbre florissant ; libre à
chacun de dire qu'il a contribué à sa croissance, quant à moi, tout ce que je demande
pour l'avenir c' est qu'il me réserve ma part
d'abri et d'ombre ! (Applaudissements.)
Mais, dans l'état actuel de la question, la
première phase réelle de son succès, qui a
donné de l'importance à la théorie dans l'esprit
public, est la célèbre dépêche signée par
deux membres du gouvernement actuel et
un membre de l'autre chambre, autrefois
leur collègue. Je veux parler de la dépêche
de 1858. Les recommandations qu'elle
contenaient ont sommeillé jusqu'à ce qu'elles
aient été ressuscitées par le comité constitutionnel de la dernière session, qui a
produit
la coalition, laquelle a produit la conférence
de Québec, laquelle a produit le projet de
constitution qui nous est soumis, lequel
produira, je crois, l'union de toutes les
provinces. (Ecoutez ! ) Mais tout en
mentionant les hommes politiques distingués qui se sont occupés de la question, je
crois que nous ne devons pas
oublier les zélés et laborieux collaborateurs
de la presse, qui, bien que n'étant pas liés
avec les gouvernements, et sans être eux-
mêmes alors dans la vie politique, se sont
adressés à l'esprit public et ont puissamment
contribué à donner de la vie et de l'intérêt
à cette question, et indirectement à lui faire
atteindre l'heureuse position où elle se
trouve maintenant. Je ne mentionnerai que
deux de ces messieurs. Je ne sais si les hons.
membres de cette chambre ont lu quelques
lettres sur l'union coloniale écrites en 1855,
dont la dernière était adressée au feu duc de
Newcastle, par M. P. S.
Hamilton, publiciste habile de la Nouvelle-Ecosse, et aujourd'hui commissaire des mines d'or
de
cette province ; mais je saisis cette occasion
pour payer un tribut à son jugement bien
équilibré, à sa sagacité politique, et à la
manière habile avec laquelle il sut traiter le
sujet il y a déjà bien longtemps. (Ecoutez !
écoutez !) Il existe aussi un autre livre écrit
dans la langue anglaise, il y a six ou sept
ans, et auquel je dois faire allusion. C'est
un pamphlet qui a eu un succès extraordinaire et qui porte pour titre : " Nova
Britannia ;" i1 a été écrit par mon hon.
ami le député de Lanark sud, (M. MORRIS),
et comme cet hon. membre a été l'un des
principaux agents de la création du présent
gouvernement, qui dans le moment met à
exécution l'idée contenue dans son livre, j'ai
confiance qu'il me pardonnera de lire, en sa
présence, un simple paragraphe pour démontrer combien il était prophétique et
combien il était digne de l'évènement pro-
chain que nous sommes maintenant occupés
à considérer. A la page 57 de son pamphlet qui, je l'espère, sera publié de nouveau
pour être placé parmi les archives
politiques des provinces lorsque nous ne
formerons qu'un seul pays et un seul peuple,
je trouve ce paragraphe :—
" L'étude des destinées d'un empire britannique futur, la direction de sa marche,
la base de
ses fondations larges et solides, et la création
d'institutions grandes et durables, voilà des motifs
suffisants pour réveiller l'énergie de notre population, relever la force et donner
de la puissance et de l'enthousiasme aux aspirations de
tous les vrais patriotes. L'immensité même des
intérêts affectés aura l'effet, j'en suis convaincu,
de placer beaucoup d'entre nous au-dessus des
simples exigences de localité, et de leur permettre
de faire preuve d'une étendue d'esprit suffisante
pour traiter en véritables hommes d'état des questions aussi importantes, et faire
naître et développer une politique commerciale et générale qui
pourra s'adapter aux besoins de notre position.
L'ouvrage renferme plusieurs autres passages excellents, mais je ne désire aucunement
prendre le temps de la chambre
pour les citer. L'extrait que je viens de
lire suffira pour donner une idée de l'esprit
qui règne dans tout le livre. Mais quelles
qu'aient été les conceptions de l'écrivain
enseveli dans son cabinet, quelsqu'aient été
les desseins imaginés par l'homme d'état,—
aussi longtemps que l'esprit public ne s'est
pas trouvé intéressé à l'adoption, et même à
la discussion d'un changement dans notre
position aussi important que celui qui se
présente,—l'union de ces provinces séparées,
—l'individu a travaillé en vain, peut être
pas entièrement en vain, M. l'Orateur, car
bien que son travail puisse ne pas avoir alors
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porté de fruits, il allumait un feu qui, avec le
temps, devait éclairer tout l'horizon politique,
et annoncer l'aurore d'un jour meilleur pour
notre pays et pour notre peuple. Des évènements plus forts que la parole, des évènements
plus forts que les hommes, se sont
enfin produits comme ce feu qui brûle dans
les écrits, pour en faire surgir la vérité et
pour les graver dans l'esprit de tout homme
refléchi qui a étudié la position et l'avenir
probable de ces provinces éparses. (Applaudissements.) Avant de procéder plus loin
dans l'examen des détails de mon sujet,
profiterai de cette circonstance pour féliciter
cette chambre et le peuple de toutes les provinces de l'activité extraordinaire qu'ils
ont
déployée relativement à cette question depuis
qu'elle est devenue le sujet par excellence
des discussions publiques dans les provinces
maritimes et dans ce que je puis appeler,
relativement à ces dernières, les provinces
de l'intérieur. Il est vraiment étonnant de
constater avec quelle activité l'esprit public
dans tous ces centres s'est occupé du projet
depuis qu'il a été définitivement lancé J'ai
étudié dans un profond recueillement l'opinion publique tant dans les provinces d'en-bas
que dans celles-ci, et j'ai été réjoui de voir
que même dans la plus petite de ces provinces, on avait publié des écrits et prononcé
des discours qui auraient fait honneur à des
sociétés plus anciennes et plus avancées,—
articles et discours dignes de n'importe quelle
presse, de n'importe quel auditoire. Il semblerait que l'esprit de ces provinces,
enthousiasmé par cette grande question, aurait
fait un bond suprême pour sortir de l'ornière où il luttait misérablement pour
le pouvoir, et se serait élevé sur des
hauteurs dignes de la grande question
qui venait de surgir ; l'esprit public s'est
tout-à-coup élevé à la dignité qui convenait
à cette discussion avec une facilité qui fait
honneur aux sociétés qui en ont donné le
spectacle, et qui nous assure que nous avons
chez nous les éléments qui constituent les
nationalités jeunes et pleines de sève. (Applaudissements.) Nous trouvons dans les
journaux et dans les discours des hommes
publics des provinces d'en-bas les premiers
principes de gouvernement, ansi que la loi
constitutionnelle discutés ; on y constate
aussi la connaissance essentielle et l'application raisonnée des principaux faits
de l'histoire constitutionnelle, ce qui me donne, à
moi du moins, la satisfaction et l'assurance
que, si nous ne poursuivons pas plus loin le
projet actuel, nous aurons mis fin pour le
présent, et j'espère pour longtemps, à des
controverses envenimées autant que mesquines. Nous avons donné à l'esprit du peuple
une nourriture saine, et à tout homme qui a
des aptitudes pour la discussion, nous avons
offert un sujet sur lequel il peut donner
libre cours à ses facultés ; en ce sens on n'aurait plus à mordre à la lime et à dépenser
ses
talents pour servir les misérables ambitions
d'une infime faction ou d'un parti. Je félicite
cette chambre ainsi que la province et les
provinces d'en-bas qu'il en soit ainsi, et je puis
me permettre de remarquer avec une certaine
satisfaction que les différents écrivains et
orateurs semblent parler et écrire comme si
de fait ils se trouvaient en présence de toutes
les colonies. (Ecoutez ! écoutez !) Ils ont
cessé d'être des célébrités de clocher ; ils
semblent être sous l'impression que leurs
paroles seront pesées et commentées tant à
l'étranger que chez eux. Nous avons, en
Canada, je pense, plusieurs centaines de
célebrités, et si je ne me trompe, mon ami
M. MORGAN en a dressé la liste. (On rit.)
Mais aujourd'hui elles ont cessé d'être des
célébrités locales et pour peu qu'elles le
veuillent, il leur faudra devenir des célébrités
de l'Amérique Britannique du Nord ; car le
moindre de leurs discours est lu et commenté par toutes les provinces, et, de fait,
la
simple apparition de notre union politique a
crée entre les diverses populations de ces provinces une union mentale ; plusieurs
orateurs aujourd'hui s'expriment avec une
dignité et une réflexion dont ils n'étaient pas
coutumiers lorsqu'ils n'avaient pour les surveiller qu'une section peu importante
qui, au
milieu des luttes de parti, ne pouvait les
juger qu'au point de vue des égoïsmes de
localité. (Ecoutez ! écoutez !) J'ai confiance
que la fédération fournira à tous nos hommes
publics une belle occasion de s'unir pour des
luttes plus nobles et plus fructueuses que
celles qui ont signalé le passé (Eooutez !
écoutez !) M. l'0RATEUR, nous proposons, de
ce côté de la chambre, comme garantie d'un
meilleur avenir, notre plan actuel d'union ;
et, si vous me le permettez, je vais énumérer les principaux motifs qui doivent nous
faire accepter et désirer cette union. Mon
hon. ami le ministre des finances a développé, l'autre soir, de très forts motifs
en faveur
de l'union, tels que le libre accès de la mer,—
un marché plus étendu, — l'abolition des
tarifs hostiles, — un plus grand champ
pour l'emploi du capital et de la main
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d'œuvre, — un meilleur crédit en Anleterre,—et une plus grande capacité,
lorsque nous serons unis, à nous protéger en
cas de danger. ( Applaudissements. ) L'hon.
président du conseil a aussi énuméré les différents motifs qui doivent nous engager
à
accepter l'union, ainsi que d'autres raisons
puissantes qui plaident en sa faveur. Mais
les motifs justifiant un changement aussi
considérable que celui que nous proposons,
doivent être de différente nature ; ils doivent
être en partie commerciaux, en partie militaires, et en partie politiques, et je vais
passer
en revue quelques uns de ces motifs, qui sont
ceux de beaucoup de gens dans toutes ces
provinces, et qui sont d'une nature sociale,
ou, à strictement parler, politique plutôt que
commerciale. En premier lieu, je dois dire
que je crois, comme mon hon. ami (M.
BROWN ) l'a dit hier soir, que nous ne pouvons rester immobiles,—que nous ne pouvons
éviter certains grands changements,—que
nous ne pouvons rester séparés, province
contre province, même si nous le voulions,—
et que nous sommes dans un état de transition politique. Chacun admet, même ceux
qui repoussent l'union, que nous devons
avoir recours à d'autres moyens qu'à des
expédients temporaires. Nous sommes forcés
par les avertissements de l'intérieur et de
l'extérieur de modifier notre constitution sur
une grande échelle. Nous, les unionistes,
déclarons tous d'une seule voix, que nous ne
pouvons continuer à marcher comme nous
avons marché jusqu'à présent ; mais vous, anti-
unionistes, vous dites :—" Oh ! c'est déplacer la question, car vous n'avez pas encore
prouvé cela. " Eh bien! quelles preuves
veulent donc ces messieurs ? Je pense qu'il
y a trois influences qui déterminent tout
grand changement dans l'existence d'un individu ou d'un état. Premièrement,—son
patron, propriétaire, maître, protecteur,
allié ou ami, ou, dans notre politique, " la
connexion impériale. " Secondement,—son
associé, camarade ou compagnon, ou son
proche voisin. Et troisiémement,—l'homme
ou l'Etat lui-même. Eh bien ! dans notre
cas, ces trois causes ont été pour nous autant
d'avertissements qui ont concouru à nous
forcer d'adopter une nouvelle ligne de conduite. Quels sont ces avertissements ? Nous
en avons eu au moins trois. Le premier
nous est venu de l'Angleterre, et il a été
amical. L'Angleterre nous a avertis par des
faits réitérés, comme c'est son habitude,
plutôt que par du verbiage, que les colonies
étaient entrées dans une nouvelle ère d'existence, une nouvelle phase de leur carrière.
Elle nous a donné cet avertissement sous
plusieurs formes,—lorsqu'elle nous a concédé le gouvernement responsable,—lorsqu'elle
a adopté le libre échange,—lorsqu'elle
à abrogé les lois de navigation,—et lorsque,
il y a trois ou quatre ans, elle a commencé
cette série de dépêches officielles relativement à la milice et la défense du pays
qu'elle a constamment fait pleuvoir sur
nous depuis, et qui portaient toujours
cet avis solennel :—Préparez-vous ! préparez-vous ! préparez-vous ! — Ces avertissements
nous disaient que l'ancien
ordre des choses entre les colonies et la mère-
patrie avait cessé, et qu'il fallait qu'un autre
ordre de choses le remplaçat. ( Ecoutez !)
Il y a quatre ans environ, les premières
dépêches commencèrent à être adressées à
ce pays par le bureau colonial à ce sujet.
Depuis cette époque jusqu'à présent, les
dépêches se sont constamment suivies dans
ce sens, soit à propos de points généraux ou
particuliers rattachés à notre défense, et
j'oserai dire que si les dépéches du feu duc
de NEWCASTLE seul étaient reliées ensemble,
elles formeraient un volume respectable.
Toutes avertissaient ce pays, que ses relations—les relations militaires à part des
relations politiques ou commerciales,—avec la
mère-patrie étaient changées ; et l'on nous
disait de la manière la plus explicite que
nous ne devions plus nous considérer, à
l'égard des défenses, dans la même position
que nous occupions auparavant vis-à-vis la
mère-patrie. Eh bien ! ces avertissements
étaient ceux d'un ami, et si nous ne les avons
pas écoutés, nous devons dire qu'ils ont été
si fréquents et si continus qu'ils déchargent
le gouvernement impérial de la responsabilité des conséquences, parce qu'ils montraient
clairement aux colonies ce que, dans le cas
de certaines éventualités, elles devaient espérer. Nous pouvons murmurer si nous le
voulons à cause des préparatifs que l'Angleterre nous impose, mais que nous les aimions
ou non, l'on nous a avertis que nous sommes
entrés dans une nouvelle ère dans nos relations militaires avec le reste de l'Empire.
( Ecoutez ! écoutez !) Ensuite nous avons eu
le second avertissement, celui du dehors, l'avertissement américain. ( Ecoutez ! écoutez
!)
L'Amérique républicaine nous a aussi donné
des avertissements dans le passé, par la voie
de la presse, de ses démagogues et de ses
hommes d'état;—mais, dernièrement, elle
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nous a donné des avertissements beaucoup
plus intelligibles—tels que l'avis de l'abrogation du traité de réciprocité, et l'avis
qu'elle se proposait d'armer les lacs, contrairement aux dispositions du protocole
du
traité de 1818. Elle nous a donné un autre
avis en nous imposant un système vexatoire
de passeports ; puis encore un autre dans
son projet avoué de construire un canal
autour des chutes de Niagara, de manière
à pouvoir " faire passer des navires de
guerre du lac Ontario au lac Erié ;" et
encore un autre, plus significatif que
tous les autres, dans l'énorme accroissement
de l'armée et de la marine des Etats-Unis.
Je me permettrai de soumettre à la chambre
quelques chiffres pour faire voir le développement étonnant et sans précédent—développement
dont les annales du passé ne nous
donnent peut-être pas d'exemple—de la
puissance militaire de nos voisins dans les
trois ou quatre dernières années. J'ai en
mes mains tous les détails, mais je me contenterai de donner simplement les résultats
généraux, pour que la chambre comprenne
bien la signification emphatique de ce grave
avertissement. Au mois de janvier 1861,
l'armée américaine régulière, y compris
tous les états, ne comptait pas au-delà de
15,000 hommes. Par suite de désertion et
autres causes, elle perdit 5,000 hommes,
laissant par conséquent 10,000 hommes pour
représenter l'armée des Etats-Unis. En
décembre 1862,—c'est-à-dire de janvier 1861
à janvier 1863,—cette armée fut portée à
800,000 hommes sous les armes. ( Ecoutez !
écoutez !) Il y a sans doute exagération dans
quelques-uns de ces chiffres—je ne doute
pas que dans certains cas les cadres furent
remplis avec des noms fictifs, dans le but
d'obtenir la prime ; mais même allouant
deux tiers pour cette défection, nous trouvons que ce peuple qui, en 1861, avait une
armée de 10,000 hommes seulement, en a
maintenant une de 600,000 ; et cette augmentation s'est effectuée en deux ans. Quant
à ce qui est de leurs armements lors de l'ouverture des hostilités,—c'est-a-dire à
l'époque
de l'attaque du Fort Sumter,—nous voyons
que les Etats-Unis avaient 1952 canons
de siége et, de gros calibre, 231 pièces
d'artillerie de campagne, 473,000 carabines d'infanterie, 31,000 carabines de
cavalerie, et 363,000 boulets et bombes..
A la fin de 1863,—mes statistiques ne vont
pas au-delà de cette date, — ces 1952
canons de gros calibre étaient rendus à
2116 ; les 231 pièces de campagne à 2965 ;
les 473,000 carabines d'infanterie à 2,423,
000 ; les 31,000 carabines de cavalerie à
369,000 ; et les 363,000 boulets et bombes à
2,925,000. Maintenant, quant à ce qui
regarde la marine des Etats-Unis, je désire
démontrer que ce développement étonnant
de leur puissance militaire est le second
avertissement que nous ayons reçu qu'il nous
est impossible de rester dans l'inaction comme
nous avons fait. (Ecoutez ! écoutez !) En
janvier 1861 le nombre de vaisseaux de
guerre de la marine américaine était de 83 ;
en décembre 1864, il était de 671, dont 54
moniteurs et vaisseaux blindés, portant 4,610
canons, jaugeant 500,010 tonneaux et montés
par 51,000 marins. Voilà des chiffres terribles par la capacité de destruction, les
hécatombes, les ruisseaux de sang, les
désirs immodérés de conquête, les passions
mauvaises et l'enraiement du progrès de
la civilisation qu'ils représentent. Cependant, ce ne sont pas ces chiffres qui montrent
la situation sous son plus mauvais
jour ; l'Angleterre n'a-telle pas autant de
canons sur mer que nos belliqueux voisins ?
(Ecoutez !) Ce qui est plus grave, c'est le
changement qui s'est opéré dans l'esprit du
peuple des Etats du Nord. Combien il différait d'à présent lorsque le philantrope
CHANNING prêchait l'illégalité de la guerre,
lorsque le comtemporain SUMNER se faisait
entendre devant un congrès de la paix ! Je
me souviens d'un poète accompli, un des
plus accomplis auxquels les Etats de la Nouvelle-Angleterre aient donné le jour, qui
se
fit l'ennemi de la guerre mexicaine et publia
les Bigelow Papers, si bien connus dans la
littérature américaine, afin d'inspirer l'horreur de la guerre. Voici, entre autres,
ce
qu'il fait dire à son héros SAWIN :
" Ef you take a soaord an' draor it, *
" An go stick a feller thru,
" Guv'ment won't answer for it,
" God'll send the bill to you ! "
( Hilarité bruyante !)
C'était à la fois s'exprimer avec audace et
d'une manière peu révérencieuse ; mais à
cette époque ce chant n'en devint pas moins
remarquablement populaire dans le pays du
barde. L'écrivain est aujourd'hui l'un des
rédacteurs, à Boston, d'une publication périodique
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en vogue, et serait, j'en suis sûr,
un des derniers maintenent à empêcher un
soldat du Nord de trenspercer l'ennemi qu'il
aurait au bout de son glaive. (On rit.) Toutefois, ce ne sont pas les changements
qui
s'opèrent ainsi dans les idées d'hommes
d'une grande intelligence qu'il faut déplorer ;
la volonté puissante de ces hommes peut les
ramener à des sentiments de paix ; ce sont
plutôt les intérêts mercenaires et militaires
créés sous la présidence de M. LINCOLN, et
représentés, les premiers parr le budget de
cette année qui excède 100 ,000,000, et les
derniers par les 800,000 hommes dont le
sang doit être ainsi acheté et payé ; par les
armées de spéculateurs qui pillent l'armée ;
par l'armée de fournisseurs qui est chargée
de nourrir, vêtir et armer le soldat ; par
cette autre armée, celle des percepteurs de
taxes, répandue sur tout le sol et qui veille à
ce que nulle industrie, nul domicile, voire
même nulle affection, n'échappent à l'impôt.
L'impôt ! l'impôt ! c'est le cri qui se fait
entendre à l'arrière ! du sang ! du sang ! criet-on à l'avant ! de l'or ! de l'or
! exclement
avec joie les riches parvenus, si bien désignés sous le vocable d'aristocratie de
boutique. Eh ! bien, tous ces intérêtes serviles qui ont
surgi ne sont pas encore le pire conséquence
de cette guerre. La pire de toute, c'est le
changement qui s'est fait dans l'esprit et les
principes du peuple, qui est aujourd'hui familiarisé avec la guerre, au point même
d'y
être porté. Après la première bataille, ou,
pour me servir du langage du duc de WELLINGTON, when the butcher's bill was sent
im (*), un frisonnement d'horreur parcourut
le pays d'un bout à l'autre ; mais, petit à
petit, et à mesure que le carnage allait en
augmentant, un journal cessait de mériter
qu'on le lut au déjeûner s'il ne contenait pas
la relation d'une boucherie de quelques mille
hommes ! " Seulement deux mille morts ?
Ah l bah ! ce n'est rien ! " s'écriait M. Grosdrap en sirotant son café dans son riche
appartement ; et bientôt, pour créer de
l'excitation, il fallait que les nouvelles rapportassent que dix, quinze, vingt mille
étaient tombés en un seul jour sur les
champs de bataille ; ces chiffres seuls satisfaisaient cette soif d'émotion devenue
impossible à exciter chez le peuple autrement que
par le meurtre en grand de ses semblables.
Est-ce que dans tous ces faits on ne voit pas
d'avertissement pour nous ? Sommes-nous
comme ceux qui ont des yeux et qui ne
voient point ; des oreilles et qui n'entendent
point ; de le raison, et qui ne veulent point
comprendre. Si nous sommes fidèles au Canada, si nous ne désirons pas être absorbés
par nos voisins, nous ne pouvons rester paisibles en face de la révolution qui gronde
à
nos portes ! Que l'on n'oublie pas, lorsque
de l'autre côté des frontières on entend
ces trois cris : Impôt! Or ! Sang ! qu'il
est temps de songer à notre sécurité. Dans
le première session de 1861, j'ai dit en
cette chambre que le premier coup de canon
tiré du fort Sumpter " avait pour nous un
message." On n'y fit pas attention alors, mais
je répète encore aujourd'hui que lorsque
chacun des 2,700 canons de gros calibre en
campagne, ou chacun des 4,600 que porte la
flotte fait entendre sa voix de tonnerre, il
répète le solennel avertissement que nous a
donné l'Angleterre : "préparez-vous ! préparez-vous ! préparez-vous !" (Applaudissements.)
Oh ! mais, pourra me dire un ami
philosophe, quand nos voisins auront terminé leur guerre, ils en seront tellement
aise
qu'ils ne songeront plus qu'à se reposer sur
leurs lauriers. Eux ! Qui ? L'aristocratie de
boutique satisfaite ? L'armée débandée des
percepteurs d'impôts, ou les fabricants de
fausses nouvelles ? Les soldats même ? Je
pense bien que toute l'armée aimerait à
avoir un congé ; or, l'experience nous a
appris que ce n'était pas de le guerre que le
soldat se fatiguait, mais bien de la paix ; et
il en est de même du matelot, i1 ne se
fatigue pas de la mer. Le marin aime à
débarquer, pour s'amuser et dépenser son
argent ; le soldat éprouve le même désir,
mais éloignés de ses camarades, l'un autant
que l'autre se trouve bientôt en dehors de
son élément. Le soldat se prend à regretter
les joies de la vie aventureuse,—de ne plus
sentir à son côté l'arme qu'il voit pendue
au clou, et bientôt il soupire après le moment
où il pourra le reprendre. Si le pays continue à rester en paix, il aimera mieux
s'expatrier, même aller prendre du service
à l'étranger plutôt que de rester inactif.
(Ecoutez !) C'est avec ces faits acquis à
l'expérience que je demande humblement la
permission de combattre l'optimisme de
mon ami philosophe. (Ecoutez ! écoutez !)
Dans son discours de l'autre soir, l'hon.
proc.-gén. du B.-C. nous a dit que l'un des
articles du projet primitif de constitution
américaine contenait des dispositions relatives à l'annexion du Canada aux Etats-Unis
;
133
mais aujourd'hui qu'ils sont engagés dans
une guerre, les Etats-Unis, au lieu de cette
prétention, affectent de faire peu de cas de
notre pays. Je me rappelle, cependant, qu' à
l'inauguration du chemin de fer de Worcester
à Albany, feu M. WEBSTER, qui n'était pas
un démagogue et pensait de nous tout autrement que ses compatriotes actuels, exprima
l'espoir que les voies ferrées de la Nouvelle-
Angleterre se prolongeraient toutes vers le
Canada, pays destiné à faire un jour partie
de l'union, grâce aux relations commerciales
que ces chemins allaient établir. (Ecoutez !
Ecoutez !) Je ne me trompe pas, M. l'ORATEUR, en comptant la guerre américaine au
nombre des avertissements que nous avons
reçus. Le pays est dans une position
pénible dont il faut qu'il sorte, et sur ce
point, nous trouvons dans l'expérience du
gouvernement de ces provinces un troisième
avertissement. (Ecoutez ! Ecoutez !) Quant
à nos difficultés constitutionnelles, dont mon
honorable ami, le président du conseil, a fait
un si complet exposé hier soir, je n'ai que
peu à dire ; nous en admettons tous la réalité.
Le vénérable chevalier et premier ministre
en a démontré ailleurs l'existence de la
manière la plus claire, en faisant observer
que nous avions eu cinq administrations dans
le cours de deux ans, et qu'il était temps de
chercher un remède efficace à cet état de
choses. C'est la pure vérité : le gouvernement constitutionnel de ce pays s'abaissait
au dernier point lorsque son existence dependait de la réussite d'un messager ou d'un
page envoyé à la recherche d'un député
absent à dessein ou involontairement de son
siége. Le premier venu alors aurait pu
être le sauveur de son pays. (Rires !) Tout
ce qu'il avait à faire, lorsque les cinq gouvernements successifs étaient en danger,
c'était
de se lever de son siége et de dire : " oui !"
et le pays était sauvé ! Cette chambre perdait
ainsi beaucoup de son prestige ; les départements administratifs allaient se désorganisant
par suite des fréquents changements de chefs
et de systèmes politiques. Nous étions presque aussi à plaindre que l'armée du Potomac,
avant qu'elle eut pour chef le général GRANT.
Ainsi donc, nous avons eu nos trois avertissements, l'un de l'intérieur et les deux
autres du dehors. Je suppose, M. l'Orateur,
que nous nous rappelons tous l'ancienne histoire du livre classique de madame TRAILL,
intitulé Les trois avertissements, et dans
laquelle on voit comment la Mort avait promis de ne pas venir chercher certain indi
vidu qu'elle avait visité sans intention le
jour de son mariage. Je dis sans intention,
car la Mort, qui est de bonne maison, entre
rarement quelquepart sans se faire annoncer...
(Rires.) Elle promit, dis-je, de ne pas
prendre ce particulier sans lui avoir donné
trois avertissements distincts. Or, le personnage en question, qui était probablement
honorable et membre de quelque chambre,
espérait, comme chacun de nous, de survivre
à tout le monde, mais au bout de quelques
années, il devint boiteux, ensuite, il devint
muet, et en dernier lieu, il devint aveugle :
l'heure de la mort était venue, et en dépit
de tout admirable plaidoyer en faveur du
défendeur dans la cause, il se trouvait avoir
reçu, tout comme le journaliste parisien récalcitrant, ses trois avertissements ;
sa cause
était jugée ; il dût disparaître de la surface
de la terre, et la mort triompha ! (Ecoutez !
écoutez !) Maintenant, M. l'Orateur, que
nous avons été averti par trois fois de songer à la position future qui pouvait nous
être faite, malheur à nous si nous ne sommes
pas prêts quand l'heure de notre destinée
sonnera. (Applaudissements !) Nous avons
soumis un projet dont le but est de parer à
ces éventualités, lequel a été analysé au
point de vue constitutionnel par les procureurs généraux du Haut et du Bas-Canada,
et au point de vue financier par le ministre
des finances et le président du conseil. Je
comprends que l'on ait pu apporter quelques
objections au plan, mais je ne crois pas
qu'aucun membre saurait se montrer anti-
unioniste au point de déclarer inutile la confédération. ( Ecoutez ! écoutez !) Sur
les
130 députés qui composent cette chambre, je
ne sache pas qu'il en soit un seul, dans les
circonstances actuelles où nous nous trouvons,
qui soit prêt à se déclarer contre toute union
quelconque avec les provinces maritimes. Il
se peut que l'on ne veuille pas de tel article
ou de tel autre ; que l'on n'aime pas telle
et telle disposition du projet, mais tous
reconnaissent qu'une union quelconque augmenterait nos moyens de défense en même
temps que notre force. Tout en admettant que
pendant cette décade nous sommes entrés dans
une période de transition politique, d'honorables députés ont soutenu ne nous aurions
pu franchir l'abîme à l'aide de ce ponton
prussien appelé Zollverein; mais si l'on
réfléchit que le commerce du Nouveau-
Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse gravite
aujourd'hui vers Portland et Boston, et que
celui du Haut-Canada, à l'ouest de Kingston,
134"
s'achemine depuis longtemps à New-York
par la voie des lacs, on verra qu'un simple
zollverein ou traité qui n'aurait pas un but
politique et qui ne serait pas appuyé par
quelque puissance politique n'équivaudrait
qu'à un chiffon de papier dans les circonstances où nous nous trouvons. (Ecoutez !
écoutez !) Le reproche qui nous est fait
de ne nous être pas prononcés hardiment pour
une union législative au lieu d'une confédération avec juridictions locales, mérite
quelque attention de notre part. A ce reproche, je répondrai que si nous avions eu,
comme on le voulait il y a vingt ans, un
chemin de fer intercolonial , peut-être alors,
mais seulement à cette condition, aurions
nous été en mesure de nous unir sous l'égide
d'un seul gouvernement ; mais certains
hommes politiques, aidés de capitalistes,
ayant fait tomber ce projet il y a vingt ans,
des intérêts particuliers ont pris la place que
de grands intérêts d'une nature générale
eussent pu alors occuper ; les droits acquis
et les ambitions de localités surgirent et
furent reconnus, toutes choses dont il
fallut bien admettre l'existence lorsque nos
conférences eurent lieu. (Ecoutez !) La
leçon que nous avons à tirer du quart de
siècle ainsi perdu pour les anglo-américains,
est que si nous perdons l'occasion propice
que nous avons à présent, nous verrons que
dans quelques années il sera aussi difficile de
s'entendre au sujet de n'importe quelle union,
(l'union américaine exceptée) qu'il l'eut été
l'année dernière à l'égard d'une union législative, à cause de la longue période qui
s'était écoulée sans que ces provinces eussent
de relations entre elles, et par suite des intérêts spéciaux qui s'étaient créés et
développés dans chacune d'elles pendant ce temps.
(Applaudissements !) Il est un autre motif,
ou plutôt une autre manière d'envisager le
motif déjà donné en faveur d'une union immédiate de ces provinces, c'est cette tendance
immodérée des démocrates américains à
l'annexion de nouveaux territoires. Ils ont
convoité la Floride, et ils l'ont absorbée ; la
Louisiane, et ils l'ont achetée ; le Texas, et
ils s'en sont emparés ; vint ensuite la guerre
avec le Mexique, qui se termina en leur
apportant la Californie. (Ecoutez ! ) Ils font
parfois mine de mépriser ces colonies tout
comme si elles étaient indignes de leurs convoitises, mais si l'Angleterre ne nous
avait
pas servi d'égide, nous n'existerions pas aujourd'hui comme peuple. (Applaudissements
!) L'annexion du Canada a été la
première ambition de la confédération américaine, ambition à laquelle elle n'a jamais
renoncé, même quand ses troupes ne formaient qu'une poignée d'hommes et que sa
marine se composait à peine d'une escadre.
Est-il raisonnable de supposer qu'elle y renoncera, maintenant quelle compte les canons
de sa flotte par milliers et ses troupes
par centaines de mille ! A cet égard, l'archevêque d'Halifax, le Dr. Connolly, a fait connaître son opinion dans une lettre récemment
publiée. Qui donc est l'archevêque d'Halifax ?
Dans les colonies maritimes, où il a exercé
son ministère pendant près d'un tiers de
siècle, cette question serait absurde ; mais
en Canada, il se peut qu'il ne soit pas aussi
avantageusement connu. Quelques uns de
mes hons. amis de cette chambre et de l'autre, et qui, l'année dernière, furent ses
hôtes,
ont dû pouvoir juger de ses qualités et de
l'hospitalité cordiale qu'il leur a donnée. Eh !
bien, dans toutes ces colonies, il est connu
comme un des hommes les plus sagaces et
le plus élevé en dignités ; on sait là qu'il
a été l'ami intime de feu son confrère si distingué l'archevêque Hughes, de New-York,
et qu'il connaît aussi bien les Etats-Unis
que ces provinces. Les lignes qui vont suivre
sont l'expression de ses vues sur ce point
particulier ; la lecture en paraitra peut-être
longue, mais elles sont si bien écrites que je
suis convaincu que la chambre me saura gré
de lui donner connaissance du tout :
" Au lieu de faire comme des enfants qui, en
murmurant, se laissent entraîner par le navire
jusque sur le bord de la cataracte, nous devons
sans délai prier et nous élancer vers la rive, avant
que nous ne nous soyons trop avancés dans le
courant. Nous devons, dans le moment le plus
critique, invoquer l'arbitre des nations pour en
obtenir la sagesse, et abandonner à temps notre
périlleuse position ; nous élancer hardiment, et,
même malgré les dangers des écueils, nous diriger
vers la rive la plus rapprochée pour y trouver un
abri plus sûr. Une incursion de cavalerie ou une
visite de nos amis les " féniens," à travers les
plaines du Canada et les fertiles vallées du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse,
pourrait,
dans une seule semaine, nous coûter plus que nous
coûtera la confédération pendant 50 ans à venir.
Et, si nous devons vous en croire, quelle sécurité
avons-nous, même dans le moment actuel, contre
un tel désastre ? Privés de la protection de la
mère-patrie, par terre et par mer, et de la concentration dans une seule main, de
toutes les forces de
l'Amérique Britannique, les dangers de notre position ne sont que trop visibles. Quand
les présentes
difficultés se termineront, et qui peut en préciser
le moment ? nous serons à la merci de nos voisins ;
et, victorieux ou non, ils sont un peuple éminemment militaire. Malgré leur indifférence
apparente
135
au sujet de l'annexion de ce pays, et leurs sentiments d'amitié, ils auront le pouvoir
de frapper
quand il leur plaira, et c'est là le point culminant
de toute la question. A-t-on jamais vu une nation,
ayant le pouvoir de conquérir, ne pas l'exercer,
ou même ne pas en abuser, à 1a première occasion
favorable ? Tout ce que l'on dit de la magnanimité
et de la clémence des nations puissantes se réduit
au principe de pure convenance (expediency] que
que tout le monde connaît. La face entière de
l'Europe a changé et les dynasties de plusieurs
siècles ont été broyées de notre temps même, par
la seule raison de la force, qui est la plus ancienne,
la plus puissante, et, comme plusieurs le prétendent, le plus sacré de tous les titres.
Les treize
états d'Amérique, avec toutes leurs prétentions
d'abnégation, ont, au moyen de l'argent, de la
guerre et des négociations, reculé leurs frontières
jusqu'à ce qu'ils aient plus que quadruplé leurs
territoires, et ce, dans une période de moins de
soixante ans ; et, le croire qui voudra, peut-on
supposer qu'ils sont disposés à s'en tenir là ? Non ;
tant qu'ils en auront le pouvoir, ils avanceront,
car il est de la nature même du pouvoir d'accaparer tout ce qui se trouve à sa portée.
Ce ne sont
donc pas leurs sentiments hostiles, mais c'est leur
puissance et leur puissance seule que je crains,
et je dis que c'est ma solennelle conviction
qu'il est du devoir de tout sujet anglais, dans
ces provinces, de contrôler cette puissance, non
pas en adoptant la politique insensée de l'attaquer
ou de l'affaiblir, mais en nous fortifiant, et en nous
élevant à son niveau, en ayant la Grande-Bretagne pour nous appuyer. C'est ainsi que
nous serons
prêts à toute éventualité. Il n'est pas un seul
homme sensé et sans préjugé qui ne voit pas que
le seul moyen possible de nous éviter les horreurs
d'une guerre telle que le monde n'en a jamais vue,
est de s'y préparer vigoureusement et en temps
utile. Etre suffisamment prêt est le seul argument
pratique qui peut avoir du poids auprès d'un ennemi puissant et qui peut l'engager
et réfléchir
avant de se lancer dans l'entreprise. Et comme
je désire pour nous cette condition que nous
sommes incapables d'atteindre sans l'union des
provinces, je sens qu'il est de mon devoir de me
déclarer nettement en faveur d'une confédération
au prix de tous les sacrifices raisonnables.
" Après la plus mûre considération du sujet, et
tous les arguments que j'ai entendus de part et
d'autre, dans le cours du dernier mois, c'est ma
conviction la plus profonde que la confédération
est nécessaire, qu'elle est la mesure seule qui,
avec le secours de la Providence, peut nous assurer l'ordre social, la paix, la liberté
rationnelle et
tous les bienfaits dont nous jouissons maintenant
sous le gouvernement le plus doux et les institutions du pays le plus libre et le
plus heureux du
monde. "
Ces paroles sont celles d'un homme d'état,
d'un homme d'état mîtré, d'un des représentants de cette classe de génies puissants
sortis des moules éprouvés de la discipline
théologique qui a produit les Ximenes et
les Wolsey. Personne plus que moi n'est
opposé à l'intervention du clergé dans la
politique de parti et tel est aussi, je crois,
l'avis de sa grâce l'archevêque d'Halifax ;
mais lorsqu'il s'agit de paix ou de guerre,
d'indépendance ou de conquête, qui a le droit
d'élever une voix plus autorisée que ces
ministres de paix, de justice et de vraie
liberté ? Rappelez-vous ces deux phrases de
la fin :—" Et comme je désire, pour nous
cette condition que nous sommes incapables
d'atteindre sans l'union des provinces, dit
l'illustre archevêque, je sens qu'il est de mon
devoir de me déclarer nettement en faveur
d'une confédération au prix de tous les
sacrifices raisonnables. Après la plus mûre
considération du sujet, et tous les arguments
que j'ai entendus de part et d'autre, dans le
cours du dernier mois, c'est ma conviction
la plus profonde que la confédération est
nécessaire, qu'elle est la mesure seule qui, avec
le secours de la providence, peut nous assurer
l'ordre social, la paix, la liberté rationnelle
et tous les bienfaits dont nous jouissons main-
tenant, sous le gouvernement le plus doux
et les institutions du pays le plus libre et le
plus heureux du monde. " (Ecoutez ! écoutez !)
Un autre motif de notre union est qu'elle
raffermira au lieu de l'affaiblir le lien qui
unit les colonies à la métropole et qui est si
essentiel à leur prospérité future. Ceux
que l'on peut appeler anti-unionistes prétendent que le projet en question devra
amener la séparation de la mère-patrie. De
quelle manière, je vous le demande ? Est-ce
qu'en donnant plus d'importance à ces provinces vous rendrez leur possession moins
précieuse à l'Angleterre ? Est-ce qu'en
développant et en augmentant leur commerce vous n'inspirerez pas à celle-ci un
plus vif regret de s'en séparer ? Est-ce en
réduisant leur tarif fédéral que vous les
rendrez moins favorables à l'Angleterre ?
Est-ce qu'en leur donnant les moyens d'être
plus redoutables vous n'arrivez qu'à donner
à la métropole plus de répugnance à se
charger d'une responsabilité d'autant moins
forte ? Mais, que dis-je? L'Angleterre n'a-
t-elle pas déjà répondu à cette objection en
nous signifiant qu' " elle approuvait cordialement " notre projet d'union, et il semble
qu'elle doit être assez bon juge de ses
propres intérêts? ( Ecoutez ! écoutez !) Loin
de regarder notre union comme devant être
défavorable à ses intérêts, loin de lui faire
un accueil décourageant et froid, elle l'accepte au contraire avec joie et bonheur,
et
nous souhaite mille succès dans la nouvelle
carrière où nous entrons. ( Ecoutez ! écoutez !)
136
Ramenée sur le terrain des intérêts provinciaux, la question ne se présente pas avec
moins de force. La première raison est que
nous ne pouvons nous soutenir par nous-
mêmes, et que si nous l'essayions nous
courrions à une destruction certaine :—or,
cette vérité étant établie, et ne désirant pas
du tout nous annexer aux Etats-Unis, il est
du devoir de chacun de travailler le plus
possible a raffermir et resserrer les liens qui
nous unissent à la Grande-Bretagne. Mais,
comment pourrons-nous obtenir un résultat
aussi précieux? Sera-ce en obligeant le
gouvernement impérial de négocier à Charlottetown, puis à Halifax, puis à Frederickton,
puis à St. Jean, puis enfin à
Québec' le chiffre de soldats et de fusils
nécessaire à notre défense ? Sera-ce en
formant cinq gouvernements séparés et dis-
tincts que nous rendrons ces liens désirables
et si bien appréciées, ou bien sera-ce en remettant tous ces pouvoirs entre les mains
d'un seul gouvernement général, en réduisant à deux le chiffre des parties contractantes,
et en simplifiant ainsi l'expédition de
toutes les affaires entre les deux pays ?
(Ecoutez, écoutez !) Je me bornerai, M. l'ORATEUR, aux principaux motifs que je viens
de passer en revue au soutien de notre projet
de confédération et qui sont :—premièrement, que nous sommes entraînés par le
courant et qu'il nous faut le suivre ;—secondement, notre voisinage qui ne nous permettra
pas de rester oisifs, quand même nous
ne serions pas forcés d'agir ;—troisièmement
enfin, la consolidation du lien qui nous unit
à la métropole. (Applaudissements.) Qu'il
me soit permis, maintenant, M. l'Orateur,
d'appeler votre attention sur les difficultés
présentes et passées que ce grand projet a
eu à vaincre avant d'en arriver au point
où il en est maintenant. Les chances de
succès qui se présentèrent d'abord aux personnages éminents qui les premiers mirent
cette question en avent furent assez faibles.
(Ecoutez ! écoutez !) Lorsqu'ensuite, en 1822
et en 1839, elle fut ressuscitée par le bureau
de Downing Street, elle devint l'objet des
soupçons universels dans les provinces, et
ayant été plus tard mêlée au projet du chemin de fer de Québec et Halifax elle en
partagea le sort et succomba avec lui sous le
coup des jalousies et des tiraillements de
l'opinion publique. Plus tard, sur la proposition faite en 1858 par M. Galt et sur une
autre présentée par moi en 1860, le sujet fut
de nouveau ramené devant les chambres par
un simple député ; le ministère du jour ne
voulant pas souffrir que personne ne s'en occupât que lui-même, s'empara de la question,
comme il l'avait fait en 1858 ; mais l'opposition se plaignit que le parlement n'avait
pas été consulté. Lorsqu'en 1859 le Canada voulut agir, il n'y eut que Terre-
neuve qui se montra décidée à coopérer
avec nous ;—et lorsque la Nouvelle-Ecosse
se montra disposée à faire des démarches en 1860, il n'y eut que le Nouveau-
Brunswick qui se déclara prêt à marcher
avec elle : le Canada ne voulut consentir
alors à rien. (Ecoutez ! écoutez !) De la
part du bureau colonial le langage n'avait
cessé d'être le même :—" Entendez-vous,
messieurs, ont tour à tour répété M. Labouchère, Sir Bulwer Lytton et le regretté
duo de Newcastle, et soyez sûrs que
nous ne vous apporterons pas le moindre obstacle." Cette entente était plus
facile à souhaiter qu'à opérer entre cinq
colonies, étrangères depuis si longtemps, et
qui n'étaient venues en contact que pour
se manifester leurs différences d'opinion.
Aucune occasion favorable ne s'était encore
présentée avant l'année dernière de soulever
la question, et il est probable que si nous
laissons passer celle-ci nous n'en retrouverons
jamais une autre pour nous permettre de
nous entendre aussi bien entre nous que
nous l'avons fait jusqu'ici. Par un concours
de circonstances que je ne craindrai pas
d'appeler providentiel, vu la gravité des
évènements, le gouvernement canadien modifia son personnel de telle sorte le printemps
dernier qu'il lui devint possible de s'occuper
sans crainte de la question, précisément au
moment où les colonies du golfe, convaincues
de l'impossibilité d'une union avec les
Canadas, prenaient ensemble les moyens
d'effectuer cette union entre elles. On sait
que le nouveau ministère comptait parmi
ses membres du Haut-Canada les chefs de
l'administration précédente et de l'opposition
de cette partie de la province. Aussitôt
qu'il fut formé, il annonça à cette chambre
qu'une partie de son programme politique
était de tâcher d'opérer, avec les colonies
d'en-bas, une conférence dans le but d'effectuer une union générale avec elles. Cette
déclaration reçut l'approbation formelle de
l'assemblée, et sans vouloir donner aux
choses plus de sens qu'elles n'en comportent,
il me semble qu'en le fesant elle a accepté
le principe du projet dans le cas où il serait
possible. Telle est, M. l'Orateur, ma
137
manière d'envisager la position de la chambre
vis-à-vis du gouvernement après qu'elle lui
eut exprimé aussi explicitement son approbation. D'autres membres de cette chambre
envisagent la position sous un autre point
de vue et prétendent qu'ils ne se voient en
rien tenus d'acquiescer même au principe et
encore bien moins aux détails de la mesure.
(Ecoutez !) Après que l'administration fut
montée au pouvoir, un incident se produisit
qui, sans avoir d'importance nationale, ne doit
pas cependant être passé sous silence et que
j'aurais mauvaise grâce d'oublier, je veux
parler de l'excursion aux provinces maritimes,
projetée et organisée par deux représentants
de notre plus grand chemin de fer, MM.
Ferrier et Brydges (Applaudissements.)
On a dit tant de mal de ces deux messieurs
que je me crois obligé d'en dire du bien
aujourd'hui. Quarante députés de cette
chambre, vingt-cinq du conseil législatif et
quarante autres personnes appartenant au
journalisme et à d'autres professions en
Canada, prirent part à cette excursion. Un
si grand nombre de canadiens n'avaient
jamais si minutieusement visité les provinces
d'en-bas, et jamais celles-ci n'avaient vu
auparavant un si grand nombre de canadiens.
La réception dont nous fûmes l'objet surpasse
en cordialité tout ce que l'on peut en dire.
Partout se manifestèrent les sentiments les
plus favorables à l'union ; aussi, m'est-il pénible de voir aujourd'hui que parmi
ceux qui
applaudissaient d'abord au projet, alors qu'il
n'était que théorique, plusieurs aient changé
d'avis depuis qu'il est placé devant cette
chambre sous une forme tangible, et je crains
bien qu'ils n'agissent pas suivant leur déclaration d'alors. Il pourrait se faire
cependant
que le contraire arrive, mais ce serait tout de
même une manière assez singulière d'en agir.
(Rires). Ces choses se passaient en août ; le
mois suivant eut lieu la conférence de Charlottetown, puis en octobre celle de Québec,
et enfin les délégués purent en novembre
parcourir le Canada et faire plus ample connaissance avec ses institutions et ses
progrès
en tout genre. C'est donc quatre mois sur
huit, à partir du jour où nous nous engageâmes devant la chambre à régler cette question,
que nous avons consacrés à l'étude et à
l'accomplissement de cette grande idée.
Puisque je parle de la conférence, me
sera-t-il permis, M. l'Orateur, d'exprimer
les sentiments de haute estime que les délégués des provinces d'en-bas m'ont inspirés
durant les nombreuses heures où nous
sommes venus nous asseoir ensemble autour
de la table de nos délibérations ? (Applaudissements.) Ayant eu à me rendre à
Montréal un jour ou deux avant le banquet,
un citoyen haut placé de cette ville me fit
d'un air assez emphatique la question
suivante :—" Quelle espèce de gens sont ces
délégués d'en-bas ?"—Je lui répondis ce
que je répète ici,—qu'ils étaient comme
corps des hommes les plus distingués et les
plus supérieurs qu'aucun jeune pays pût
produire,—et que plusieurs d'entr'eux pouvaient soutenir la comparaison en capacités
et en connaissances avec les membres les
plus remarquables des communes d'Angleterre. De même que notre gouvernement
contenait des représentants de l'ancienne
opposition et de l'ancien ministère, de même
leur délégation était composée d'à peu près
autant de membres de la gauche que de la
droite des diverses provinces. Il m'est
impossible d'espérer jamais voir réuni à la
même table de délibérations un assemblage
d'hommes plus studieux, plus attachés à
leurs droits et en même temps plus équitables pour ceux des autres, plus féconde
dans la discussion, plus aimables dans les
relations et plus disposés qu'eux à faire ce
qui est bien et juste. (Applaudissements.)
Pourquoi insister davantage sur ce sujet ?
N'ont-ils pas été vus et entendus dans toutes
nos principales villes, et celui qui les a connus
une fois n'a-t-il pas été fier d'appartenir avec
eux au même pays et d'espérer que bientôt
il pourrait les appeler " concitoyens " de
fait comme de nom. (Applaudissements.)
Ce fut donc à la suite de cette combinaison
d'esprits distingués, et de cette coalition
de chefs sans cesse opposés jusqu'à ce
jour,— à la suite de cette suspension
d'armes entre les partis de chaque province, après tous ces travaux et tous ces
sacrifices et après que tous les obstacles
antérieurs eurent été tous vaincus,—que le
traité fut conclu et signé par nous tous. Les
propositions qu'il renferme ont soulevé de
fortes objections, et c'est l'hon. député de
Chateauguay qui nous rappelait, l'autre soir,
que nous n'avions pas le pouvoir et la faculté
de conclure des traités. Pour répondre à
cette observation, je dois dire qu'en certains
cas, le gouvernement impérial a concédé à
ces provinces le droit d'agir simultanément,
comme dans le cas du traité de réciprocité par
exemple ; et, à propos de la question actuelle,
on connaît la depêche impériale adressée en
1862 au lord MULGRAVE, comme gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, qui autorise les
hommes publics des colonies à s'entendre
138
ensemble sur le sujet et à soumettre au gouvernement de la métropole le résultat de
leurs
délibérations. (Ecoutez! écoutez ! ) C'est en
vertu de cette dépêche que la conférence du
10 octobre eut lieu et c'est sous sa sanction
que nous élaborâmes le projet d'union actuel. Rien de ce que nous avons fait ne l'a
été sans autorisation, ou sans observer les
formes, et le résultat de nos travaux a été la
convention que l'on désigne ici sous le nom
de traité soumis à l'approbation du gouvernement impérial de même qu'à celle de cette
chambre. Et pour éviter tout malentendu
quant à notre position vis-à-vis de ce document, nous vous disons :—vous pouvez l'examiner,
— rejeter ou l'accepter, mais vous
ne pouvez pas le modifier, ( Ecoutez !
écoutez !) car cela est au-dessus de votre
pouvoir et du nôtre. Pas une phrase, pas
une ligne, pas un mot même de ce document
ne doit être changé sans qu'il ne soit rejeté
entièrement. Modifiez-le, et sans tarder,
nous devinons immédiatement quelle est
votre intention,—car vous vous déclarez
anti-unionistes (Ecoutez ! écoutez ! ) Sur
ce sujet je concours parfaitement avec
tous mes honorables amis qui ont parlé de la
question—modifier le traité c'est le détruire,
c'est l'annuler et rien autre chose Soyons
donc francs les uns envers les autres, et vous
qui ne voulez pas de notre travail, et nous
mêmes qui sommes décidés de l'appuyer
article par article, ligne par ligne, lettre par
lettre.—Mais, direz-vous, tel article devrait-
être rédigé comme ceci, et tel autre comme
cela ? Est-il, vous répondons-nous, est-il par-
mi vous un seul député qui croit qu'un traité
conclu entre cinq provinces puisse donner
pleine et entière satisfaction à chacune ?
Est-il un seul député qui s'attende sérieusement d'avoir une constitution rédigée
suivant
sa fantaisie ou son ordre, ou celui d'aucun
autre homme ?—Non, M. l'Orateur, je ne
crois pas que jamais un législateur ait eu
cette idée, pas au moins depuis que Anacharsis Clootz a occupé le poste de
" Procureur-général de l'humanité.' (Rires.)
Il se peut que quelques uns reconnaissent la
vérité du principe, tout en prétendant qu'on
doit traiter cette question comme toute
mesure parlementaire et en la forme accoutumée. Non, M. l'Orateur, cette question
n'en est pas une ordinaire, car nous ne som-
mes pas appelés à en faire une loi et nous
n'en pouvons pas faire une loi ; seul un
pouvoir plus élevé que nous le peut. Supposons que l'adresse soit passée demain par
cette chambre, ce vote sera-t-il final et décisif ?
non ;—ne sera-ce pas au contraire au parlement impérial de dire le dernier mot sur
le sujet ? (Ecoutez ! écoutez !) C'est ce
corps qui sera chargé de donner la forme
de loi aux diverses propositions du projet
actuel dont le texte tout probablement sera
celui de la loi même. Mais, dit-on, si la
mesure comporte des défauts on devrait
tâcher d'y remédier et le gouvernement
devrait être heureux de se les voir signalés :
ce raisonnement, très juste pour un acte du
parlement canadien, tombe ici à faux parce
que l'union projetée n'est pas le fait du
Canada. C'est une adresse au trône dont
les termes doivent être acceptée par d'autres
colonies, et quand bien même nous y
apporterions des modifications nous ne saurions les obliger à y acquiescer. Si donc
nous sommes assez faibles et d'assez mauvaise
foi pour changer une convention solennelle
que nous avons faite avec les autres provinces
juste au moment où les représentants venaient
de nous quitter pour retourner chez eux,
une telle 1igne de conduite ne sera propre
qu'à faire tomber la mesure et à la jeter
ainsi que le pays dans le chaos ! (Ecoutez !
écoutez !) Je veux bien croire, M. l'ORATEUR, que notre devoir à tous est de tendre
vers la perfection, ainsi qu'on l'a dit, mais
qui peut se flatter d'y être jamais arrivé à
part le député de Brome? (Rires.) Nous
avons néanmoins fait tous nos efforts pour
atteindre le but, et nous sommes fiers du
succès que nous avons eu, différant en cela
de mon hon. ami de Chateauguay — cet
ambitieux archer !—qui ne sera satisfait que
quand nous aurons atteint le blanc. (Rires.)
Mon honorable ami connaît assez la littérature politique,—eh ! bien, pourrait-il me
citer un seul auteur, du premier au dernier,
qui ait jamais prétendu que les gouvernements humains pussent être quelque chose
de plus que " un pas vers le droit" suivant le
mot d'un moderne, et " le mieux possible "
suivant le mot d'un ancien ? Or, nous croyons
avoir donné à nos concitoyens de toutes les
provinces ce " mieux possible,"— et nous le
leur avons donné dans le moment le plus
pressant ; leurs représentants et les nôtres y
ont tous contribué, dans la lettre et l'esprit,
la forme et la substance tant qu'ils n'ont pas
trouvé cette base commune d'accord mutuel
qui, je l'espère, ne sera renversée ni aujourd'hui, ni de longtemps. Avant de passer
à
une autre partie de mon discours, je prendrai
la liberté, M. l'Orateur, de payer mon
tribut de respect le plus sincère à l'un de
nos collègues canadiens aujourd'hui vice-
139
chancelier du Haut-Canada, M. Mowatt, et
qui a pris une part si active et si honorable
à l'élaboration du projet (Applaudissements).
Je dirai maintenant quelque chose sur ce
que j'appellerai les relations sociales qui,
suivant moi, devraient exister et existeront
entre les populations d'en-bas et nous-mêmes
dans le cas de l'union fédérale,—et je parlerai
aussi des aptitudes sociales de chacune des
parties contractantes à vivre sous le même régime —Je commencerai d'abord par quelques
observations à l'adresse de quelques-uns des
députés canadiens-français que l'on dit opposés à notre projet parce qu'il blesse
leurs
intérêts nationaux. Qu'ils se rappellent que
toutes les colonies que l'on veut aujourd'hui
unir sous une même constitution l'ont été
autrefois sous le nom de Nouvelle-France !
( Applaudissements ). Terreneuve la plus
éloignée de toutes en fesait partie, et l'on
sait qu'une grande étendue de ses côtes s'appelle encore " la côte française ; " le
Cap Breton en fesait également partie jusqu'à la chute
de Louisbourg ; l'Ile du Prince-Edouard
était l'Ile St. Jean; et Charlottetown était
Port-Joli ;—au cœur de la Nouvelle-Ecosse se
trouvait cette noble terre acadienne célébrée
par LONGFELLOW, dont la rime poétique se
répète sur chaque vague qui vient se briser
au pied du cap Blomedon ! ( Applaudissements. ) Dans les comtés septentrionaux du
Nouveau-Brunswick, depuis Miramichi jusqu'à Métapédiac, les Français n'ont-ils pas
eu leurs forts, leurs fermes, leurs églises et
leurs fêtes longtemps avant qu'une seule
parole anglaise eut été proférée sur tout ce
territoire ? Qu'on ne croie pas que la race
forte des normands et des bretons ait disparu
de ces anciens établissements. J'ai entendu
un membre de la conférence parler en termes
les plus flatteurs de ceux qui habitaient son
comté, et je crois être exact en disant que
M. LE VISCONTE ex-ministre des finances
de la Nouvelle-Écosse, était un Acadien
M. COZZANS, de New-York, auteur d'un petit
livre très-attrayant qu'il vient de publier sur
la Nouvelle-Ecosse, parle des Français qui
résident près du bassin de Minos, et dit
surtout en parlant des femmes qu'elles paraissaient sortir de la Normandie d'il y
a un siècle !
On trouve au nord du Nouveau-Brunswick,
plus d'un comté où les affaires, la loi et la
politique exigent de celui qui s'y livre une
connaissance des deux langues française et
anglaise. Un de mes dignes amis, l'hon. M.
MITCHELL, de Chatham, qui se trouvait ici
aux premières séances de la conférence, n'a
dû sa première élection dans l'un de ses com
tés qu'au fait qu'on l'avait surnommé le père
Michel et qu'il pouvait parler à ses électeurs dans leur propre langue. Je lirai à ce
sujet avec la permission de la chambre, une
esquisse très bien écrite du district français
du Nouveau-Brunswick, en 1863, par le lieut.-
gouverneur Gordon (Galston's vacation
tourist, 1864), et qui offre le plus vif intérêt :
" La population française qui forme une proportion si considérable des habitants des
comtés
de Westmoreland, Kent et Gloucester, me parait
aussi heureuse que celle de Victoria, quoique
pas aussi à l'aise. Tout dans ces grandes maisons
à deux étages, peintes d'un rouge brun sauvage,
et se détachant au milieu des arbres,—ces chevaux vigoureux,— ces champs bien cultivés
et
ces troupeaux de moutons,— respirait un air de
confort et de bien-être inconnu sur les bords
de la mer. Après avoir parcouru les divers en
droits d'où l'on peut mieux apercevoir le beau pic
de la montagne de la Grande Rivière, nous vînmes
mettre pied à terre à la porte de M. VIOLETTE, à
l'embouchure de la Grande Rivière, dont nous
avions fait notre point de départ. L'aspect qu'offrait cette habitation était celui
d'une métairie
de Normandie ; les ouvertures de la maison étaient
peintes en couleurs éclatantes et différentes pour
les paneaux et les cadres ;—la grande salle avec
ses fenêtres ; son plancher nu mais reluisant de
propreté ;—les jeunes filles occupées à filer au
rouet, —le costume français et les manières de
madame VIOLETTE, de ses garçons et de ses filles,
tout me transporta de l'autre côté de l''Atlantique.
Après avoir conversé quelque temps avec cette
famille, nous nous dirigeames vers le pont où deux
canots nous attendaient montés par des français,
—trois CYR et un THIBAUDEAU. En un instant
nous fûmes au large. Bientôt après un coude de
la rivière nous déroba la vue du pont et des habitations, de notre voiture vide et
de nos amis qui
nous avaient accompagnés jusqu'à là et qui, sur le
bord de la côte et éclairés par les rayons du soleil
couchant, nous criaient adieu !—j'avouerai que
ce ne fut pas sans un sentiment de plaisir que je
m'aperçus que le méandre de la rivière qui nous
cachait tout cela venait aussi de nous séparer,
pour quelques semaines, du monde civilisé. "
Ainsi, l'on voit que le gouverneur GORDON
parle de quatre comtés dans le nord du Nouveau-Brunswick qui portent encore un
caractère français très marqué. Eh bien !
messieurs d'origine française, nous proposons
de remettre sous votre protection ces compatriotes depuis si longtemps perdus ; car
dans
l'union fédérale nous reconnaîtrons l'égalité
des deux langues, et ils se rallieront naturellement à vous ; leurs requêtes vous
seront
adressées, et leurs représentants s'allieront
naturellement à vous. En supposant que
ces quatre comtés du Nouveau-Brunswick
soient représentés par des membres français,
et qu'il y en ait deux dans la Nouvelle-
Ecosse, et un dans Terreneuve, vous les
auriez, en cas de besoin, pour alliés sûrs,
140
et vos rangs déjà serrés en acquerraient une
plus grande influence dans le conseil fédéral.
(Applaudissements.) Je vais continuer l'anal
lyse générale de la population maritime,
afin d'établir la proposition que l'union projetée est naturelle et congénère. Le
plus
ancien élément de cette population, après
l'élément français, est l'établissement irlandais de Ferryland, dans Terreneuve, fondé
par lord Baltimore et lord Falkland
(lord lieutenant d'Irlande à cette époque,)
immédiatement après la restauration de
CHARLES I, peu de temps après-1660. A
Terreneuve, l'élément irlandais conserve sa
puissance et cela est bien naturel, puisque
c'est la paroisse voisine de l'Irlande, (rires) ;
et je pense que nous avons vu un excellent
échantillon de ses irlandais indigènes à notre
conférence, dans la personne de M. AMBROSE
SHEA. (Ecoutez ! écoutez !) Pour moi,
j'avoue que je suis extrêment heureux de
penser que la seule véritable colonie irlandaise de notre groupe, comme on peut
l'appeler, doit faire partie de l'union. Un
autre grand élément de la population des provinces maritimes est celui des montagnards
écossais. De grandes étendues de l' Ile du
Prince-Edouard et du Cap Breton ont été
concédées, après la paix de Paris, à des officiers et soldats des montagnards de FRAZER
et autres régiments écossais, qui s'étaient
distingués durant la guerre de sept ans. Si
mon hon. ami le député de Glengarry (M.
D. A. MACDONALD), était venu avec nous à
Charlottetown, en septembre dernier, il aurait
rencontré des membres de différents clans
qu'il aurait été fier de connaître, et qui aurait
conversé avec lui dans la langue gaélique
qu'il chérit tant.
L'HON. M. McGEE.—Tant mieux ! (Applaudissements). Et je lui dirai, — ce
que je crois être à leur honneur, —
que les montagnards de toutes ces provinces conservent fidèlement la religion,
le langage et les traditions de leurs pères.
L'évêque catholique de Charlottetown est
un McINTYRE ; l'évêque d'Arichat (Cap
Breton) est un McKINNON; et, dans la liste
du clergé, je trouve une suite incessante de
noms comme les McDONALD, McGILLIS,
McGILLAVRY, McLEOD, McKENZIE et CAMERON,—tous " anglo-saxons," comme de
raisons (rires) et, parmi eux, je trouve des
FOURNIER, des GAUVREAU, des PAQUET et
des MARTEL, dont il est facile de deviner
l'origine. (Applaudissements). Il me reste à
parler d'un autre élément de cette population,
et c'est celui des loyalistes de l'empire-uni,
qui ont fondé le Nouveau-Brunswiek, aussi sûrement qu'ils ont fondé le Haut-Canada,
pour
lesquels le Nouveau-Brunswick a été déclaré
province distincte en 1794, comme le Haut-
Canada l'a été en 1791. Leurs descendants
prospèrent encore dans le pays ; ils occupent
bon nombre de positions honorables, et
comme représentant de cette classe, je
me contenterai de nommer le juge
Wilmot,
qui a déclaré l'autre jour, en prononçant son allocution à. un grand jury, que
s'il était nécessaire, pour faire accepter la
confédération dans le Nouveau-Bruswick,
qu'il résignât sa charge, il n'hésiterait pas à
le faire pour rentrer dans la politique, tant il
était convaincu de la nécessité de la mesure
pour maintenir l'existence mêmes des lois
anglaises et des institutions britanniques.
(Ecoutez ! écoutez !) Il y a aussi d'autres
éléments qu'il ne faut pas dédaigner,—les
riches allemands de Lunebourg, qui ont sur
terre les maisonnettee les plus gentilles, et
sur mer des embarcations si coquettes, ainsi
que d'autres subdivisions moins importantes.
Mais je ne veux pas prolonger cette analyse.
Je dois dire, cependant, que cette population est presque universellement une
population indigène de trois ou quatre générations. Dans le Nouveau-Brunswick, il
n'y
a pas plus de 12 pour cent d'immigrants sur
le chiffre de la population ; dans la Nouvelle-
Ecosse, 8 pour cent, et dans les deux îles
beaucoup moins encore. Aux yeux de la loi,
nous n'admettons aucune différence entre
les indigènes et les émigrés en ce pays ;
mais il faut remarquer que quand des hommes sont nés en présence des tombeaux de
leurs pères, même pendant quelques générations, l'influence de ce fait est considérable
pour accroître leur attachement au sol qui
les a vue naître. J'admets, pour ma part, que
comme immigré, je ne dois d'allégeance qu au
Canada, mais ce serait froisser la vérité
que de dire que mon affection n'est pas partagée entre mon pays natal et mon pays
d'adoption. Maintenue dans de justes bornes,
une pareille affection est raisonnable, juste
et honorable pour ceux qui l'éprouvent !
(Ecoutez !) Mais la raison pour laquelle
je parle de ce fait qui distingue les
quatre provinces maritimes autant que le
Bas-Canada lui-même, c'est que je veux
faire voir la fixité et la stabilité de leur
population ; qu'ils sont nés anglo-américains, qu'ils peuvent presque tous prononcer
cette fière et noble parole en regar
141
dant chaque jour leurs campagnes : " c'est .
là mon propre pays, ma patrie !" (Ecoutez!'
écoutez ! ) Que cette population et la nôtre
se réunissent pendant une génération ou
deux—tels sont les éléments qui la composent
et les conditions qui l'entourent—et nos
descendants verront avec étonnement, lorsque
l'histoire actuelle sera écrite, que ce projet
d'union ait jamais pu rencontrer de ] opposition de la part d'hommes d'état, en Canada
ou ailleurs. (Ecoutez ! écoutez !) Mais un
ou deux membres de cette chambre me
disent, ainsi que d'autres Canadiens à vues
étroites, qu'ils ne peuvent avoir aucun sentiment patriotique pour cette union avec
le
Nouveau-Brunswick ou la Nouvelle-Ecosse,
et qu'ils ne peuvent éprouver d'intérêt pour
ces colonies, avec lesquelles nous avons
jusqu'ici eu si peu de relations. " Et que
me font à moi les Grecs et les Romains ? "
A cela je réponds, connaissez-les et croyez
moi, vous saurez les apprécier. J'ai fait
sept ou huit voyages dans ces provinces, et
j'ai vu une grande partie de leurs populations,
et plus je suis venu en communication avec
elles plus j'ai appris à les aimer et respecter.
(Ecoutez ! écoutez !) Je leur dis donc, s'ils
veulent éprouver des sentiments patriotiques
à ce sujet et faire naître un sentiment com-
mun d'affection entre ces provinces et nous :
mettez-nous en relations plus intimes, et
comme nous avons les éléments d'une nationalité vigoureuse, chacune des provinces
trouvera quelque chose à. aimer et respecter
chez l'autre, et le sentiment que nous serions
engagés dans une cause commune pour le
bien d'une nationalité commune, naîtra de
lui-même sans être produit par les arguments de qui que ce soit. (Ecoutez !)
L'être dont le cœur reste froid et glacé en
face des malheurs qui peuvent affliger ses
proches, ses voisins et ses compatriotes,
peut figurer fort bien dans une assemblée de
paroisse ; mais pouvez-vous donner le nom
d'homme à un pareil bipède? (Rires.)
N'abusez pas ainsi du plus beau mot de la
langue! ( Écoutez.) Il y a un autre argument en faveur de cette union, ou plutôt
une preuve de ses avantages mutuels, dans
la géographie et les ressources physiques
de tout le territoire que l'on propose d'unir;
mais avant que j'y attire l'attention de la
chambre, je dirai un mot d'une accusation
que l'on portera probablement contre moi,
c'est-à-dire que je fais ce que l'on appelle un
discours non politique. S'il n'est pas politique
dans le sens de n'être pas suggéré par l'esprit
de parti, alors je plaide coupable ; mais je
crois que sur quelques uns des points dont
j'ai parlé, le pays désire avoir des renseignements ; et comme beaucoup des hons.
membres
n'ont pas eu le temps de voyager dans ces
provinces, ceux qui ont pu le faire ne peuvent, je crois, mieux servir la société,
qu'en
donnant un aperçu impartial, juste et véridique de ces provinces et de leur population,
et par là renseigner ceux qui, en Canada,
n'ont pas eu l'occasion de faire des observations par eux-mêmes sur les lieux. (Ecoutez
!] Sir
John Beverley Robinson, dans
sa lettre à lord
John Russell en 1839,
disait que si le gouvernement anglais avait
essayé de maintenir les anciennes frontières
de la Nouvelle-France, dans le traité qui reconnaissait les Etats-Unis, il aurait
été impossible de le faire. Ces frontières s'étendent
jusqu'à. l'Ohio au sud, et comprennent une
grande partie de ce que nos voisins appellent
aujourd hui le " Nord-Ouest." Il y a une
grande force, je crois, dans cette observation.
Mais a l'égard de ce que je puis appeler la
fondation sur laquelle nous proposons d'ériger le nouvel édifice, son unité naturelle
est
admirable à contempler. Il n'y a pas un seul
port ou havre dans toutes les provinces, dont
l'union est projetée, auquel ne puisse aborder
tous les navires, pourvu que leur tirant d'eau
ne soit pas trop grand, sans quitter une seule
fois nos propres eaux. Depuis la tête du lac
Supérieur le même navire peut suivre la
côte sans interruption, toujours en vue de
notre territoire, jusqu'à St. Jean du Nouveau-Brunswick—ce qui est presque aussi
long qu'un voyage en Angleterre. [Ecoutez !]
Nous nous plaignons souvent de notre navigation intérieure parce qu'elle n'est ouverte
que six mois de l'année ; mais ce qu'elle
perd en durée, elle le gagne en importance.
L'été dernier, lorsque nous avons visité Halifax dans le Queen Victoria (que l'honnête
population de cette ville, repaire de coureurs
de blocus, prenait pour un croiseur confédéré), nous avons été pendant près d'une
semaine faisant toute vapeur toujours dans
les eaux de l'Amérique Britannique en vue
des côtes accidentées et magnifiques que
nous avions l'orgueil de considérer comme
nôtres ! (Ecoutez ! écoutez !) Pendant que
nous suivions ainsi ce réseau de fleuves et de
rivières jusqu'à la haute mer, je ne pouvais
m'empêcher de penser souvent à l'immense
étendue de notre navigation. Si quelques uns
de mes collègues qui n'ont jamais fait et qui
n'ont pas le temps de faire un voyage à travers leur propre pays, veulent seulement
aller à la bibliothèque, ils trouveront un ex
142
cellent ouvrage qui leur en tiendra lieu: c'est l'Atlas physique de KEITH JOHNSTON,—livre
qui ouvre l'esprit à mesure que l'on en ouvre les pages. (Rires). Ils y verront que
notre beau St. Laurent arrose une étendue de pays de 298,000 milles carrés, dont 94,000
seulement sont occupés par les cinq grands lacs réunis. Je n'essaierai pas de suivre
mes deux hons. voisins (MM. GALT et BROWN) en faisant un exposé des avantages que
le commerce trouverait dans cette union. J'ai dressé un tableau sur cette matière
en général [que je ne donne que comme approximativement exact], et je demande à la
chambre qu'il me soit permis de le lire:
TERRITOIRE |
POPULATION |
REPRESENTA- TION |
PROVINCE |
No. de milles carrés. |
Etendue Compa -arative |
No. d'acres en culture 1863. |
No. d'acres par tête. |
Nombre de personnes |
Nombre Comparatif. |
Nombre de personnes par mille carré. |
No. de mem- bres propos- sés |
Nombre de personnes representées par chaque deputé |
Haut-Canada *............... |
120 ,260 |
28.91 |
6,051,619 |
4.33 |
1,396,091 |
42.38 |
11.51 |
85 |
17,025 |
Bas-Canada .............. |
210,020 |
52.48 |
4,084,235 |
4.32 |
1,111,566 |
33.75 |
5.29 |
65 |
17,101 |
Nouvelle-Ecosse........... |
18,671 |
4.45 |
1,027,792 |
3.10 |
330,857 |
10.04 |
17.72 |
19 |
17,413 |
Nouveau-Brunswick.......... |
27,105 |
6.46 |
835, 108 |
3.25 |
252,047 |
7.65 |
9.29 |
15 |
16,803 |
Ile Du Prince Edouard... |
2,173 |
0.51 |
300,000 |
3.70 |
80,857 |
2.45 |
37.20 |
8 |
15,239 |
Terreneuve........ |
40,200 |
9.58 |
....... |
....... |
122,638 |
3.73 |
3.05 |
5 |
16,171 |
Totaux........ |
410,429 |
100.00 |
13,018.754 |
4.10 |
† 3,294,056 |
100.00 |
7.85 |
194 |
16,979 |
* Canada -- L'étendue en milles carrés désigne les terres connues ou arpentées,
la véritable étendue de tout le pays n'étant pas connue |
† Tous les calculs concernant la population sont faits d'après le recen- sement
de 1861. |
|
DETTE |
REVENU. |
DEPENSE |
EXCEDANT |
PROVINCE |
1863 Montant. |
Compara- tive. |
Montant par tête |
1863 Montant. |
Compara- tive. |
Montant par tête |
1863 Montant. |
Compara- tive. |
Montant par tête |
de dépense. |
de revenu |
Canada....... |
$ 67,293,994 |
85.14 |
$ 26 82 |
$ 9,760,316 |
77.94 |
$ 3 89 |
$ 10,742,897 |
80.46 |
$ 4 28 |
$ 982, 491 |
$ .......... |
Nouvelle Ecosse...... |
4,858,547 |
6.14 |
14 68 |
1,385,629 |
9.46 |
3 58 |
1,072,274 |
8.04 |
3 24 |
........ |
513,355 |
Nouveau Brunswick........... |
5,702,991 |
7.21 |
22 62 |
899,991 |
7.15 |
3 56 |
884 613 |
6.62 |
3 50 |
......... |
15,378 |
Ile du Prince Edouard |
244,673 |
0.31 |
2 97 |
197,384 |
1.58 |
2.44 |
171,718 |
1.29 |
2 12 |
......... |
25,666 |
Terreneuve(1862) |
946,000 |
1.20 |
7.71 |
480,000 |
3.84 |
3 91 |
479,420 |
3.59 |
3 90 |
........ |
580 |
|
$70,012,205 |
100.00 |
$23 98 |
$12,523,320 |
100.00 |
$ 380 |
$13,350,832 |
100.00 |
$4 05 |
$962, 491 |
$354,979 |
IMPORTATIONS |
EXPORTATIONS. |
--- |
Province |
1863. Montant. |
Compara- tives. |
Montant par tête |
1863. Montant. |
Compara- tives. |
Montant par tête |
1863. Tonnage-- Entrée et sortie. |
Tarif moyen. |
Canada........ |
$ 45,964,000 |
65.10 |
$ 18 12 |
$ 41,841,000 |
62.58 |
$ 16 68 |
$ 2,133,000 |
20 £ ct. |
Nouvelle Ecosse...... |
10,210,391 |
14.46 |
30 36 |
3,420,568 |
12.58 |
25 45 |
1,431,953 |
10 £ ct. |
Nouveau-Brunswick |
7,764,824 |
11.00 |
30.80 |
8,984,784 |
13.44 |
35 56 |
1,386,980 |
15 1/2 £ ct. |
Ile du Prince Edouard..... |
1,428,028 |
2.02 |
17 66 |
1,627,540 |
2.43 |
20 12 |
Nul rapport. |
11 £ ct. |
Terreneuve.......... |
5,242,720 |
7.42 |
42 75 |
6,002,212 |
8.97 |
48 96 |
" (6,907,000 |
10 £ ct. sue les lacs.) |
Totaux.......... |
$70,600,963 |
100.00 |
$21 43 |
$66,846,604 |
100.00 |
$20 29 |
$11,854,934 |
13.3 £ ct. |
Il y a cependant une source de richesse dans les provinces maritimes dont mes hons.
amis m'ont dit que peu de chose. Je veux parler des houillières. Je pense que dans
plusieurs parties du Canada nous aurons bientôt à ne plus compter sur le bois comme
combustible, qu'il faudra songer à remplacer par le charbon. Tous les ans, dans la
ville que j'habite, les pauvres souffrent cruellement par suite du haut prix du combustible,
et pour empêcher que des familles entières ne periment de froid, des sociétés nationales
et
des personnes charitables dépensent de fortes
sommes. Avec Sir William Logan, je pense que nous devons tous croire qu'il n'y a pas de charbon eu Canada, et de
ma propre autorité, je crois pouvoir me permettre d'affirmer que nous avons un hiver
de cinq mois généralement très froid. Voyons main- tenant quelles sont les ressources
houillières de nos soeurs provinces auxquelles la confédération nous donnerait libre
accès. Je tire ces renseignements de l'autorité que j'ai en mains, la meilleure que
l'on puisse trouver sur le sujet: Taylor's coal fields of the New World:
" Dans une lettre à la société géologique de
Londres, en 1843, le DR. A. GESNER dit que l'étendue des terrains houilliers du Nouveau—Brunswick
ont été récemment estimés à 7500 milles carrés —
10,000 milles carrés en comprenant la Nouvelle—
Ecosse mais à part du Cap Breton. Depuis son
premier rapport, il a exploré toute cette vaste
région et constaté que l'espace couvert par cette
formation houillière était d'au moins 8,000 milles
carrés dans le Nouveau-Brunswick. Il ajoute que
les couches houillières les plus productives sont
plus nombreuses a l'intérieur, tandis qu'à le Nouvelle-Ecosse elles se trouvent sur
les rives des
baies et rivières, et elles offrent tous les avantages
à l'exploitation. Les terrains houilliers des deux
provinces sont réunis à la ligne frontière et appartiennent au système carbonifère.
Les développements de chaque saison font encore mieux voir
l'immensité de ces champs houilliers qui s'étendent
depuis Terreneuve, per le Cap Breton. l'Ile du
Prince-Edouard, la Nouvelle-Ecosse et à travers
une grande partie du Nouveau-Brunswick jusque
dans l'Etat du Maine. Un géologue marquant, M.
HADWOOD a dit que la grandeur et l'immensité de
ces richesses houillières étaient impossibles a dé
crire. Dans le Nouvelle-Ecosse, le DR. GESNER
porte l'étendue de la formation houillière à 2,500
milles carrés, mais MM. LOGAN, DAWSON et BROWN
lui donnent de beaucoup plus grandes dimensions.
A la suite d'une laborieuse exploration, Sir W. E.
LOGAN a pu démontrer que l'épaisseur ou profondeur de tout le groupe au nord de la
Nouvelle—
Ecosse était au-delà de 2 3/4 milles, chiffre qui excède
de beaucoup celui d'aucune formation houillière
connue dans d'autres parties de l'Amérique du
Nord. Dans ce groupe, il y a soixante-et-seize
couches superposées."
Je dois avouer, M. l'Orateur, que ce
sont là de précieux renseignements pour
nous, d'autant plus qu'ils se trouvent confirmés par la plus haute autorité ; je dois
en
même temps ajouter qu'il est impossible de
traiter ce sujet des charbons sans éprouver
une certaine chaleur. [Rires] Ces houillières inépuisablcs deviendront par la suite
avec ce projet,—qui est de fait notre traité de
réciprocité avec les provinces inférieures—
la grande ressource de nos villes pour le
combustible. Je sais qu'au dire des anti-
unionistes d'en-bas, la confédération serait
144
la perte du marché de la Nouvelle-Angleterre
pour leur charbon ; mais je ne vois guère
sur quoi ils se fondent pour arriver à cette
conclusion. Un anti-unioniste même devrait
savoir que la population du Canada égale à peu
près celle de toute la Nouvelle-Angleterre,
que nous consommons par année autant
de combustible qu'elle, et qu'avec l'union
ces provinces trouveront chez nous un
marché aussi avantageux que celui que
ces théoriciens les menacent de perdre.
Une autre objection soulevée par les anti-
unionistes des provinces maritimes, est qu'ils
redoutent d'être obligés dans l'avenir de
défendre le Canada. On ne niera pas que
cet argument ne soit spécieux. Mais quoi !
trois millions d'individus s'unissent à un
million, et voila qu'on prétend que c'est sur
ce dernier million d'hommes que va retomber
tout le fardeau de la défense ! Nul doute
qu'ils ne soient obligés de s'armer et de combattre en proportion de leur nombre,
si
jamais le pays en vient à cette extrémité,
mais ils n'auront a fournir en dehors de leur
contingent proportionnel pas un sou ni un
homme de plus que le Canada. Au contraire,
c'est eux que nous devrons défendre si nous
ne somme pas attaqués les premiers et
j'affirme que tout soldat qui s'armera pour
la défense de la vallée et du havre de St.
Jean ou même celui d'Halifax, s'armera en
même temps pour la défense du Canada.
Supposons un autre cas non moins possible :
une armée américaine, par suite d'une guerre
amenée par les pêcheries ou pour d'autres
motifs, envahit les provinces ; trouvant plus
facile et moins coûteux de s'emparer des
colonies maritimes par terre, elle part de
quelque point du lac Champlain, s'avance à
travers le Bas-Canada, arrive dans le haut du
Nouveau-Brunswick et descend de là vers la
mer, répétant ainsi la tactique de SHERMAN
dans sa dernière expédition de Knoxville à
Savannah :— au profit de qui, je vous le
demande, arrêterons-nous la marche de cette
armée d'invasion, et hérisserons-nous de
mille obstacles le pays compris entre le
Richelieu et la Rivière du Loup ? Nous combattrons pour empêcher l'envahissement des
ports de mer des colonies, c'est-à-dire pour
la liberté et le salut de tous. ( Ecoutez!
écoutez !) Mais laissons de côté toutes ces
objections étroites, mesquines, indignes de
la question et de ceux qui les soulèvent, car
au point de vue commercial de même que
militaire nos intérêts sont tous liés les uns
aux autres. La clé du golfe St. Laurent
est Terreneuve dont l'illustre lord Chatham
disait qu'il fallait tout autant s'en désaisir
que d'abandonner Plymouth : — la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick sont,
comme les jumeaux Siamois, attachés l'un
à l'autre par cette courte lisière de terrain
qui s'étend entre la Baie-Verte et le Bassin de
Cumberland ; leur sort est commun et la
destinée de l'un devra suivre celle de l'autre,
( Ecoutez ! écoutez ! ) L'Ile du Prince-
Edouard n'est rien autre chose qu'un fragment de ces deux provinces séparées par le
détroit de Northumberland ; et l'on sait que le
Haut et le Bas-Canada sont essentiels l'un à
l'autre ; notre situation géographique rend naturelle l'union entre nous et nous en
fait connaître les avantages. Pendant qu'ici, en Canada, nous ne doutons pas un instant
de la ratification de ce traité intercolonial par le parlement et le pays, je ne puis
me dissimuler, M.
l'Orateur, que nos amis des provinces d'en-
bas se laissent entraîner par des vues étroites
et des intérêts personnels si acharnés et si
intraitables d'ordinaire dans les petits pays.
On a mis en jeu les intérêts du cabotage et
des chemins de fer, de même qu'on a tout fait
pour soulever l'ignorance honnête et la malhonnêteté habile. Que peuvent vouloir ces
hommes du moins ceux à qui il reste du sens
commun ? S'imaginent-ils qu'ils vont avoir
par ce moyen un gouvernement fait à leur
ordre ? Prétendent-ils revenir à l'ancien
système ? Veulent-ils livrer le pays aux
américains ? Mais alors pourquoi ne pas
afficher l'écriteau suivant : — Provinces à
vendre ! Conditions, comptant ! greenbacks
acceptés au pair. Je me réjouis de voir, de
leur côté, les unionistes de ces mêmes colonies
si résolus, si convaincus et si unis ; ils finiront par remporter la victoire, j'en
suis certain, quelque disputée et quelque difficile
qu'elle soit. Si l'opinion honnête mais égarée
voulait songer un instant aux malheurs qui
suivraient le rejet ou même l'ajournement du
projet, je n'ai pas le moinde doute qu'elle ne
changeât sur le champ. ( Ecoutez ! écoutez !)
Car, en le mettant de côté, sommes-nous sûrs
de voir jamais un concours de circonstances
aussi favorables à produire le même résultat ?
Et nous savons tous comment ce concours
de circonstances a eu lieu. ( Ecoutez ! écoutez ! ) Nous n'ignorons pas les évènements
extraordinaires et heureux qui sont
arrivés en Canada, et les concessions surprenantes faites par les chefs du gouvernements
d'en-bas. C'est ainsi qu'on a vu le Dr. Tupper,
premier ministre de la Nouvelle-Ecosse, se
faire accompagner ici de MM. Archibald
et McCulley, ses deux adversaires poli
145
tiques les plus acharnés et les admettre
dans ses secrets, — Pouvons-nous espérer,
en rejetant le projet que de semblables circonstances nous favoriseront une autre
fois ?
Pouvons-nous espérer de voir se renouveler
le spectacle dont nous jouissons en en moment, et de voir comme aujourd'hui le chef
du parti conservateur du Haut-Canada, assis
côte à côte avec le chef du parti libéral et
s'entendre ensemble au moyen de compromis
et de concessions mutuelles pour régler
nos difficultés constitutionnelles ? Non, M.
l'Orateur, ce serait trop espérer, et les
miracles qui se renouvellent tous les jours
finissent par n'être plus des miracles ; il faut
qu'ils soient rares pour conserver leur nature;
or, n'est-il rien de plus merveilleux que de
voir comme aujourd'hui les chefs de cabinet
des cinq provinces s'unir pour le bien
commun aux chefs des partis qu'ils ont
toujours combattus, s'associer ensemble et
ne pas hésiter devant le risque de se
faire imputer à mal les motifs de leur conduite ? ( Applaudissements. ) J'ai parlé,
M.
l'Orateur, des dangers que nous courrions
en rejetant cette mesure ; en effet ne nous
exposons-nous pas en ajournant l'union à
être envahis par l'esprit de démocratie universelle qui domine aujourd'hui aux Etats-
Unis et dont la devise favorite est—
(*) No pent up Utica contracts our powers,
But the whole continent is ours ?
Voilà la doctrine Monroe. Les plus grands
hommes d'état américains ont regardé
comme inévitable l'extension des principes
démocratiques sur ce continent, et l'opinion
publique s'y est aussi déclarée en ce sens.
Mais, supposons que la démocratie universelle ne nous convienne pas plus que
la monarchie universelle n'a convenu à
l'Europe, pouvons-nous oublier que pendant
trois siècles, de CHARLES V à NAPOLÉON,—
la Grande-Bretagne a combattu contre l'asservissement de l'Europe à un seul maître
ou à un seul système,—et que ces guerres
ont accumulé une dette qui n'a cessé depuis
de peser sur la classe industrielle d'Angleterre en sus d'autres taxes énormes et
que
seul le peuple de cette île entreprenante et
industrieuse aurait pu supporter ? ( Ecoutez !
écoutez !) L'idée d'une démocratie universelle en Amérique ne sourit pas plus à
l'esprit des hommes réfléchis que celle de la
monarchie universelle ne plaisait à ceux qui
se sont enrôlés sous l'étendard de GUILLAUME
III en Europe, ou ont combattu avec MARLBOROUGH les armées de la dynastie qui
voulait s'imposer à toute l'Europe ( Ecoutez !
écoutez ! ) Cependant, s'il devait arriver que
la démocratie dût s'établir et régner en
maître sur ce continent, les provinces d'en-
bas, divisées comme elles le sont en fragments, seront d'abord englouties, puis ensuite
le Canada comme dessert. ( Rires. ) Avec la
confédération, nous nous serrons côte à côte
et nous offrons plus de résistance à ces envahissements ; nous devenons plus attachés
à la métropole, et nous nous élevons du rang
de simples colonies indépendantes à une
position plus importante ; nous entrons
enfin dans une ère nouvelle sous des
auspices plus favorables,—et nous évitons
l'annexion aux Etats-Unis qui serait la conséquence finale de notre opposition au
projet
actuel. [ Applaudissements. ] Mais je m'oublie
et ne fais pas attention que ce sont là des considérations pleines de frivolité, et
tout à fait
indignes de l'attention des Smith, des
Annand et des Palmer, qui n'ont pas craint
de se mettre à la tête des adversaires de l'union
de l'Amérique anglaise ? Avant de terminer,
M. l'Orateur, ce qui me reste à dire, et
quoique je sente que j'ai déjà trop longtemps
fatigué l'attention de la chambre ( cris de
" Non ! non ! continuez ! continuez ! "), je
prendrai la liberté d'ajouter quelques observations en ma qualité de député anglais
du
Bas-Canada, et ferai observer en premier
lieu qu'on semble avoir exagéré de beaucoup
les préjugés de race qui divisent la population
de cette partie de la province. Je félicite
surtout mon hon. ami, le procureur-général
du Bas-Canada, d'être exempt de ces sortes de
préjugés quoique sa première pensée en fait
de patronage et autres matières semblables soit toujours pour ses compatriotes, ce
dont je ne le blâme en aucune façon. Je
pense qu'on a poussé cette théorie des races
à un point où elle est devenue anti-chrétienne
et illogique. Où se trouvent écrites, je vous le
demande, ces sublimes paroles : " Dieu a fait
du même sang toutes les nations qui habitent
la surface du globe ? "—Voilà la véritable
théorie des races—et c'est là ce qui fait que
je suis aucunement effrayé de la perspective
d'une majorité française dans la législature locale ; car si elle est injuste ce ne
pourra être qu'accidentellement, et qu'on
sache bien que si je parle ainsi ce n'est pas
parceque je partage la même croyance reli
146
gieuse, car la langue et le sang sont des barrières que la religion elle-même est
impuissante à faire disparaître. Je ne crois pas non
plus que mes compatriotes protestants doivent
avoir aucune crainte que ce soit, parceque
les canadiens français n'ont jamais été intolérants ; leur caractère ne s'y prête
pas, à
moins toutefois d'être persécutés, mais alors
il n'arrive que ce qui a lieu pour toutes les
autres races de toutes les croyances. Je
citerai, avec la permission de la chambre, un
exemple bien frappant de la tolérance des
franco canadiens, que j'emprunte au Digest
of the Synod Minutes of the Presbyterian
Church of Canada, de mon révérend ami M.
KEMP, de l'église libre de Montréal : voici
ce qu'on y lit à la page 7 de l'introduction :
" Vers 1799, les presbytériens de Montréal de
toutes les dénominations, tant anglaise qu'américaine, formèrent une congrégation
et s'assurèrent l'année suivante des services du Rév. JOHN
YOUNG. Leurs réunions avaient lieu à cette époque
dans l'église catholique des Récollets, mais l'année suivante ils construisirent l'édifice
de la rue
St Gabriel, l'église presbytérienne la plus ancienne de la province. On trouve dans
leurs premiers
procès-verbaux un témoignage de leur reconnaissance envers les frères Récollets, car
ils leur firent
cadeau " d'une boîte de chandelles de 56 lbs. à
3d., et d'une pièce de vin d'Espagne à £6 5s. "
( Rires. ) Voilà un fait sur lequel j'appelerai
l'attention de mes hons. amis qui pourraient
avoir des notions différentes sur les relations
chrétiennes du jour ;—d'un côté, nous voyons
les RR. PP. Récollets permettant l'usage de
l'une de leurs églises à un disciple de JOHN
KNOX qui peut-être devra y tourner le papisme en dérision, ( rires bruyants ) ; de
l'autre, ce sont les presbytériens reconnaissants qui présentent à ces mêmes prêtres
du
vin et des cierges en guise de remerciments
pour l'usage de leur église. Il semble qu'il
serait difficile de trouver dans aucune histoire un exemple plus caractéristique de
tolérance d'un côté comme de l'autre. La
morale que je tirerai aussi de ce fait est que
ceux qui demandent, non sans justice peut-
être, la réorganisation sur des principes plus
solides de l'éducation protestante dans le Bas-
Canada, pourraient très-bien laisser en paix
les deux grands séminaires de Québec et de
Montréal. Il n'y a pas deux institutions au
monde qui se soient acquittées aussi consciencieusement de l'objet de leur création,
et il reste beaucoup à apprendre, à cet égard,
à ceux qui soupçonnent à peine les services
précieux de toute espèce qu'elles n'ont cessé
de rendre au peuple et au gouvernement du
Bas-Canada, à la civilisation et à l'établissement du pays. ( Ecoutez ! écoutez !
) Aussi, ma
ferme conviction est-elle qu'avec de la modération et de la fermeté la minorité protestante
du Bas-Canada obtiendra de cette chambre
toutes les garanties raisonnables pour son système d'éducation. Comme catholique,
je suis
prêt a seconder et appuyer n'importe quels
amendements rationnels sur le sujet. A ce
propos, j'ajouterai aux remarques faites hier
soir par mon hon. ami, ( l'hon. M. BROWN )
sur la question des écoles catholiques séparées
de Haut-Canada, que moi aussi j'ai accepté
comme final l'acte amendé de 1863, parce
qu'il accordait tout ce que les pétitionnaires
avaient demandé ; et mon opinion est qu'ils
devraient être satisfaits. Mais tout en affirmant que je ne les aiderai certainement
pas
à remettre cette question sur le tapis, je dois
cependant dire que si l'on se prépare à accorder à la minorité protestante du Bas-Canada
des garanties spéciales, l'on devra les accorder
aussi à la minorité catholique du Haut-
Canada,—sans rien retrancher ni ajouter.
C'est là mon dernier mot sur le sujet, ignorant
d'ailleurs la nature des amendements que l'on
demande à l'heure qu'il est soit dans le Bas,
soit dans le Haut-Canada. ( Ecoutez ! écoutez ! ) Tous ceux qui ont parlé sur la question
ont beaucoup insisté sur la nature des intérêts
en jeu dans le rejet ou l'adoption du plan
actuel de confédération ; on me permettra
de dire quelques mots maintenant sur le
principe de la mesure en lui-même. Dans
toutes les constitutions où le principe fédéral
a été adopté, il est indubitable que l'on rencontre toujours le même vice fatal ,
la faiblesse
de l'autorité centrale. Cette maladie à été la
maladie mortelle de toutes les confédérations
dont j'ai entendu parler ou dont j'ai lu l'histoire ; elles sont mortes de consomption.
( Rires. ) Cependant n'on ne croie pas que,
parce que la Ligue Toscane élisait ses premiers magistrats pour deux mois, et qu'elle
a duré pendant un siècle, le principe féderal
n'a pas réussi ; au contraire, il y a dans
l'adoption fréquente de ce régime par les
peuples les plus libres, dans leurs plus grands
dangers, quelque chose qui me porte à
croire qu'il est en quelque sorte inhérent
à la nature humaine même et que par conséquent son point de départ est rationnel.
Quelle est, en effet, M. l'Orateur, la principale question, si non celle de la distribution
des pouvoirs ? Sans vouloir entrer ce soir
dans la discussion de cette question, il me
semble cependant que le principe est suscep
147
tible de nous procurer la paix à l'intérieur
comme à l'extérieur, et de développer le
patriotisme le plus pur et le plus durable.
C'est en vertu de ce principe que l'Italie
moderne peut envisager avec regret et fierté
sept siècles perdus de son histoire jusqu'au
champ de bataille de Legnano,—c'est à la
faveur de ce régime que s'allumèrent les feux
d'Uri, et que se brisèrent les dignes de la
Hollande pour engloutir l'Espagne et sceller
le sort de l'cppresseur de l'Egypte. Le
principe fédéral peut inspirer une noble
ambition et l'émulation la plus salutaire
Vous avez envoyé vos fils à la frontière, et
vous voulez un gouvernement qui puisse être
pour eux un motif de force et par conséquent
qui puisse exciter leur courage ;—car quelle
est la cause pour laqelle doivent combattre
les hommes de cœur? Est-ce pour une ligne
d'écriture, ou un trait de craie, pour un prétexte ou pour un principe ? Qui-est ce
qui tient
unies et compactes les nations sinon les principes ? Lorsque imitant la jeunesse d'autres
pays, nos jeunes gens pourront dire avec
orgueil : " notre fédération," " notre patrie,"
" notre royaume," alors, je redouterai moins
les épreuves que peut nous réserver l'avenir.
(Applaudissements.) On a dit que le constitutuon des Etats-Unis n'avait pas réussi.
Je n'ai jamais émis cette opinion et, l'autre
soir, le proc.-gén. du Haut-Canada nous a dit
qu'il ne la considérait pas comme un échec.
En 1861, dans cette chambre, je faisais la
même observation et je me souviens que le
proc.-gén. du Haut-Canada fut le seul à
applaudir à mes vues ; ce n'était donc pas
un argument de circonstance qu'il invoquait
l'autre jour en faveur d'une confédération
parmi nous. Je prétends même, toute paradoxale que puisse sembler cette assertion,
que ce système peut ne pas réussir chez nous
sans être un échec chez nos voisins. I s
l'appliquent depuis quatre-vingts ans, ils en
ont découvert les défauts, ils y remédieront
et pourront encore l'appliquer pendant
quatre-vingts ans. Mais nous qui sommes
spectateurs, nous voyons les défauts du
mécanisme et nous l'avons pecfectionné par
de nouvelles combinaisons qui lui assurent une
plus longue durée lorsque nous l'emploierons.
Un des hommes d'état les plus éminents de
l'Angleterre, aussi habile polititique que
littérateur distingué, a reconnu d'après ce
que nous a dit l'hon. président du conseil,
que nous avions pris ce qu'il y a de mieux
dans les systèmes américains et anglais, et
cette opinion, formée délibérément à une dis
tance, a été exprimée sans parti pris et par
une personne entièrement désintéressée.
(Ecoutez !) En ce qui concerne le chef du
gouvernement, l'administration de la justice,
la deuxième chambre de la législature, la
responsabilité financière du gouvernement
général, les emplois publics qui sent assurés
aux titulaires durant bonne conduite, et ne
sont pas à la merci de tous les partis, nous
avons adopté le système anglais ; nous avons
emprunté quelques détails au système américain et j'ose dire que nous avons fait une
assez bonne combinaison des deux systèmes.
Le principe de la fédération est fécond en
ressources de tout genre ; il donne aux
représentants du peuple des devoirs locaux
à remplir et leur confère en même temps des
pouvoirs généraux propres à développer
chez eux le sentiment d'une intelligente
responsabilité. Tous les pays qui l'ont
adopté lui doivent des hommes politiques
aussi dévoués qu'habiles. Ce principe est
éminemment favorable à la liberté, parce
qu'il laisse aux corps locaux l'administration
des affaires locales, sans danger d'y voir
intervenir ceux qui n'y ont pas d'intérêt
direct, tandis que les questions d'un caractère
général sont exclusivement laissées au gouvernement général ; ce principe est d'accord
avec le programme de tous les gouvernements
qui ont rendu de grands services à leur pays,
parce que tous les gouvernements ont admis
plus ou moins, dans la pratique, le principe de
la confédération. L' Espagne est une confédération car bien qu'elle eût un roi gouvernant
tout le pays, des gouvernements locaux étaient
chargés de l'administration des affaires locales. Les Iles Britanniques sont une confédération
et les anciens duchés français étaient
confédérés dans le royaume de France. Sous
une forme ou sous une autre le prinipe de
la confédération se manifeste à chaque page
de l'histoire de la civilisation universelle, et
existe dans les monarchies aussi bien que
dans les républiques ; nous l'avons adopté
comme principe de notre futur gouvernement,
il ne reste qu'à régler certains détails ; ces
détails vous sont soumis et il n'est pas au
pouvoir du gouvernement d'y rien changer
si même c'était le désir de la chambre. La
chambre peut rejeter ce traité, mais nous ne le
pouvons pas, et les autres provinces qui ont
pris part aux négociations sont dans la même
impossibilité ; nous ne pouvons consentir à
changer le moindre des détails. (Ecoutez !)
M. l'Orateur, je m'aperçois que j'ai retenu
la chambre trop longtemps, et que ma force
148
physique n'était pas proportionnée à la tâche
que je me suis imposée, celle d'expliquer les
points sur lesquels mes collègues ne se sont
pas spécialement étendus. Voici en deux
mots notre position : nous sommes engagés
sur l'honneur et la bonne foi vis-à-vis de
quatre de nos sœurs-colonies à exécuter le
projet adopté ici dans la dernière semaine
d'octobre. Nous sommes engagés, d'après la
premiére résolution de l'adresse, à soumettre
ce projet à Sa Majesté afin qu'il lui plaise
ordonner qu'une loi soit passée à cet effet.
Nous nous adresserons au gouvernement
impérial pour lui demander notre charte
fondamentale. Nous espérons que cette charte
qui ne pourra être amendée que par les
autorités compétentes sera la base permanente
de notre futur gouvernement. Les deux
éléments principaux que tout le monde
cherche à obtenir dans un gouvernement
libéral, sont la liberté et la permanence.
Jusqu'à présent nous avons eu assez de
liberté, trop peut-être, mais enfin, nous en
avons eu à cœur-joie. Il n'y a pas sur terre
de peuple plus libre que les habitants de ces
colonies. Mais ce qui nous manque c'est le
sentiment de soumission à la loi; il nous
faut une haute autorité centrale et la vertu
de l'obéissance qui nous dit de nous soumettre à la loi quand bien même la conscience
y verrait du mal, et qui nous empêche de
résister à la volonté du pays exprimée par
l'autorité reconnue. Il nous faut et nous
demandons pour ces provinces une grande
démonstration d'autorité. Le défaut de la
nouvelle constitution ne sera pas d'avoir des
tendances trop conservatrices. Si tel est le
cas aujourd'hui la baisse des idées politiques
qui caractérise ce siècle démocratique serait
une garantie d'un prompt amendement. Tel
est le principe qui fera la force de cette
constitution et doit lui assurer l'appui de
toutes les colonies et l'approbation chaleureuse des autorités impériales. Nous n'avons
ici aucune tradition à vénérer. Nous n'avons
point d'aristocratie consacrée par le temps
ou les hauts faits. Ici tout homme est le
premier colon du sol ou le descendant à une
ou deux générations près du premier colon ;
nous n'avons pas de monument évoquant
d'anciens souvenirs. Nous n'avons ici aucune
de ces légendes populaires qui, dans d'autres
pays, ont une grande influence sur le gouvernement ; ici enfin chaque homme est le
fils de
ses œuvres. ( Ecoutez ! écoutez ! ) Nous n'avons
ici aucune de ces influences qui ailleurs exercent sur le gouvernement le même effet
que
l'atmosphère invisible sur la vie animale et
végétale. Nous sommes dans un pays nouveau—ou tout homme à l'ambition d'arriver
parce que les castes et les systèmes n'ont
pas eu le temps de prendre racine. Nous
n'avons ici d'autre aristocratie que celle de la
vertu et du talent, seule véritable aristocratie
comme l'indique le sens même du mot
( Ecoutez! écoutez ! ) Il y a dans les colonies des
hommes remarquables et qu'on pourrait comparer avantageusement à ceux des autres
pays. Je serais donc heureux de voir une
delégation de notre aristocracie canadienne
et acadienne porter au pied du trône le
projet actuel pour y solliciter la sanction
royale qui mettrait ainsi le sceau à une
œuvre que personne n'a cherché à nous
imposer, qui est le fruit de nos travaux, en
un mot l'œuvre de notre intelligence et
de notre libre volonté. Je voudrais voir
nos hommes les plus distingués se transporter
devant le parlement impérial pour y plaider
la cause de notre confédération, et faire
entendre ces paroles à notre Gracieuse Souveraine.—" Sous votre auguste règne on
nous a accordé le gouvernement responsable.
Nous vivons sous ce régime depuis près d'un
quart de siècle ; durant cette période nous
avons doublé notre population et quadruplé
nos ressources commerciales. Les petites
colonies que vos ancêtres pouvaient à peine
distinguer sur la carte, sont devenues de
grands centres. Un grand danger nous
menace, l'horizon politique est chargé de
nuages, l'orage peut éclater d'un moment à
l'autre, nos propres forces nous laissent à la
merci de nos adversaires,—néanmoins nous
lutterons avec courage et loyauté, mais il
nous faut le temps de grandir, de développer
nos vastes ressources, d'augmenter encore
notre population. Nous, vos sujets de l'Amérique Britannique du Nord, voulons nous
unir pour augmenter nos forces. Vous nous
avez donné la liberté, donnez nous l'union
qui assurera à jamais cette liberté. La
constitution que dans votre sagesse, aidée des
avis de votre parlement, vous voudrez bien
nous accorder, nous la respecterons aussi
longtemps qu'il plaira à votre majesté et à
vos successeurs de maintenir l'union de la
Grande-Bretagne et de ses colonies ". ( Applaudissements ).
L'HON. Proc.-Gén. MACDONALD propose que les débats soient ajournés à jeudi,
le 18 du courant, et qu'ils soient alors le
premier ordre du jour après sept heures et
demie.
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L'HON. M. HOLTON.—M. l'
Orateur,
nous avons douté un instant si l'on avait pas
fait une position désavantageuse à l'opposition en laissant se répandre par le pays,
sans commentaires, les discours des ministres;
mais si les cinq que nous avons entendus contiennent tout ce que l'on peut arguer
en
faveur de ce projet, on peut sans danger les
laisser passer sans réplique. Celui de l'hon.
proc.-gén. Ouest m'a laissé sous le coup d'un
grand désappointement, que l'on trouvera
tout simple dès que l'on aura constaté que
le discours de cet hon. monsieur est une
parfaite répudiation des vingt années de sa
vie politique. Pendant tout ce discours il a
lutté contre la conscience de sa fausse position politique, et ce que chacun a pu
prendre
pour le plus grand effort de sa vie a été la
plus faible harangue qu'il ait prononcée sur
une question importante pendant les vingt
ans qu'il a siégé sur les banquettes de cette
chambre. Après lui est venu l'hon. proc.-
gén. du Bas Canada, et je suis bien empêché
de définir le discours de cet hon. monsieur,
autrement que par la qualification de caractéristique, car il l'est réellement. Je
doute
que depuis l'invention des procureurs-généraux, il s'en soit trouvé d'autres que l'hon.
monsieur qui ait pu faire un semblable discours dans une circonstance comme celle-ci.
On peut lui appliquer ce que disait un poète
d'un tout autre homme,—qui n'était pas un
personnage honorable dans l'acception que
je donne ici à ce mot :—" On ne saurait
te comparer qu'à toi-même." (Rires) Non,
jamais, depuis que les procureurs généraux
existent, il a pu s'en trouver un qui ait fait
un discours approchant de celui que cet hon.
monsieur à prononcé sur la grande question
actuellement soumise aux délibérations du
parlement. Nous eûmes ensuite le discours
on ne peut plus habile de mon hon. ami le
ministre des finances, lequel fut prononcé
avec toute la grâce et l'aisance qui appartiennent à son auteur et avec cette facilité
de diction que nous admirons tous et que je
suis toujours prêt à reconnaître ; cependant,
je pense que les amis de cet hon. monsieur
admettront aussi que ce discours était surtout
remarquable par la manière habile avec
laquelle son auteur a su éviter d'effleurer
même les véritables points sur lesquels on
s'attendait ou sur lesquels on aurait pu
s'attendre qu'il parlerait, et par la façon
adroite dont il s'est pris pour affirmer toutes
ces choses dont on pouvait attendre de lui la
preuve. Voila l'impression que ce discours
à laissé dans mon esprit. Vint ensuite le discours,—que dis-je ? l'effort herculéen,—de
mon
hon. ami le président du conseil, que je vois
avec peine n'être pas à son poste, et
duquel discours je ne ferai pas les observations que j'aurais pu faire s'il y était.
Mais,
puisqu'il faut que je me prononce, je vais dire
qu'il n'a pas répondu à l'attente. (Cris de
" Oh ! oh ! " et de " Ecoutez ! écoutez ! ")
D'après le rôle marquant qu'il joue depuis
longtemps dans la politique du pays et d'après
le rôle principal qu'il s'est créé dans tous
les travaux qui ont abouti au projet actuellement devant la chambre, j'attendais au
moins de lui quelque justification des mesures
qu'il a jugé nécessaire de prendre, quelque
justification des principes de l'union projetée
si contraires à tous les principes qu'il avait
jusqu'ici soutenus. Je le répète, nous attendions de cet hon. monsieur,—quelque chose
comme ce que je viens de dire ; mais au
lieu de cela, son discours n'a été qu'une
apologie de son abandon de tout ce qu'il avait
professé durant sa vie politique—sauf l'ombre
de la représentation d'après la population—
à la poursuite de laquelle il semble avoir tout
sacrifié. Nous avons donc eu ce soir le discours de mon hon. ami le ministre de
l'agriculture, discours très intéressant, je le
reconnais, comme essai historique, qu'on
aimera beaucoup à lire dans ces feuilles que
nous allons avoir dans quelques jours, et qui
fait grand honneur à ses études et à son
goût litteraires, mais qui, je ne crains pas de
le dire, est d'une très faible portée au point
de vue de la question qui nous occupe en ce
moment. Je le répète, j'ai raison de ne rien
craindre de l'effet que ces discours pourront
produire en les faisant répandre sans leurs
réfutations. Par eux, le peuple va voir que
ces hons. messieurs sont loin d'avoir prouvé
la nécessité d'une révolution politique,—et
comme il sait que tous ces bouleversements
politiques sont injustifiables, excepté dans
le cas d'absolue nécessité, il saura comprendre
également que ces hons. messieurs étaient
tenus de prouver cette nécessité. Le pays
verra qu'ils n'ont pu expliquer ni justifier
le mépris de la loi et des usages parlementaires dont ils se sont rendus coupables
en
essayant d'extorquer à cette chambre son
adhésion, non pas seulement au principe de
l'union—ce qui eut parfaitement été dans
l'ordre—mais à toutes les élucubrations
adoptées par cette junte constituée de
sa propre autorité qui a siégé à Québec,
pour donner effet à cette union et à tous ces
150
arrangements mesquins à l'aide desquels les
représentants des provinces inférieures furent
induits à donner leur consentement et celui
de leurs provinces à ce projet. Je le dis
hautement, ils ont été incapables d'expliquer,
de justifier ces faits. Le pays verra de même
que ces hons. messieurs se sont soigneusement abstenus de donner des explications
sur les accessoires de ce projet, sur les
constitutions des gouvernements locaux, par
exemple, lesquelles sont au moins aussi
importantes que celle du gouvernement
fédéral. Il est complétement avéré qu'une
union, fût-elle généralement désirée, pourrait
n'être pas désirable par rapport aux arrangements défectueux ou trop dispendieux
que pourrait nécessiter son adoption. Cette
supposition définit clairement la position de
beaucoup d'hons membres qui, comme moi,
ne sont pas contre le principe fédéral, mais
qui se voient obligés d'agir à l'encontre
de leurs convictions parce qu'ils ne
peuvent accepter une union aux conditions
faites à celle-ci. ( Ecoutez ! écoutez ! )
On aurait pu aussi nous fournir de plus
complets renseignements sur l'importante
question de l'enseignement, à l'égard de
laquelle on nous a donné à entendre que
cette législature, en vue de la fédération des
provinces, adopterait un système permanent.
On aurait pu faire la même chose à l'égard
du chemin de fer intercolonial, dont nous
allons de fait voter la construction sans nous
former en comité général, et sans que l'on nous
ait donné un aperçu de ce que pourrait coûter
cette voie, qui coûtera certainement $20,000,000, sinon $40,000,000. Je pense que
ces hons. messieurs, afin que le pays ait
une idée de ce que coûtera ce chemin,
auraient dû donner des renseignements
nécessaires. (Ecoutez ! écoutez !) Et quant
aux défenses du pays, que nous en a-t-on
fait connaitre ? Le président du conseil
nous a dit que le gouvernement impérial était saisi de cette question, et qu'il
voulait l'union parce qu'avec elle nous
pourrions mieux les organiser que ne le
peuvent des colonies séparées. Que nous
a dit ce soir le ministre de l'agriculture ? Que des dépêches arrivaient à toutes
les secondes malles d'Angleterre, et nous
disaient que nous entrions dans une nouvelle
ère relativement à la question des défenses.
Qu'est-ce que tout cela peut vouloir dire ?
Cela signifie qu'avec cette union nous serons
exposés, pour les défenses du pays, à des
dépenses que l'on ne veut pas faire connaître
maintenant. (Ecoutez ! écoutez !) Ne devrait-on pas mettre ces renseignements,
ces dépêches, devant la chambre et devant
le pays avant qu'il ne soit pris aucune décision irrévocable touchant le projet ?
Ce n'est
la ne le petit nombre, que le plus petit
nom re des questions importantes embrassées dans ce projet de fédération, et à. l'égard
desquelles nous avons droit aux renseignements les plus complets possible, mais au
sujet desquels les hons. messieurs se sont
étudié à garder le silence, ou s'il leur est
arrivé d'en parler, ça été, comme dans le cas
des Oracles de
Delphes, dans un langage qui
défiait toute interprétation. (On rit.) Je dis
donc, qu'après que ces discours :se seront
répandus par le pays, si le peuple ne s'émeut
pas à la vue des dangers dont le menace ce pro-
jet inconsidéré des hons. messieurs,—ce
projet qui va plonger le pays dans la banqueroute et dans des difficultés sans nombre
et inconnues au système de constitution
actuel, tout imparfait qu'il soit, que je ne
désespérerai pas de mon pays,—non, jamais
je n'en désespérerai !—(applaudissements)
mais j'appréhendrai pour lui une période
de o calamités et de troubles qui lui auront
été étrangers jusqu'ici. (Acclamations et
mouvements de désapprobation.)
L'ajournement des débats est adopté, après
quoi la chambre ajourne.