VENDREDI, 3 mars 1865.
M. PERRAULT—M.le PRÉSIDENT:—Ce
n'est pas sans une hésitation facilement
comprise que j'ose aujourd'hui motiver mon
vote sur la question de la confédération des
provinces de l'Amérique Britannique du
Nord. J'hésite parce que je sais tout ce
qu'il me manque d'études approfondies et
d'expérience politique pour me permettre de
juger sainement le pour et le contre d'une
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question aussi vaste, et dont les résultats
doivent être aussi graves pour l'avenir du
pays. J'hésite encore, M. le PRÉSIDENT,
parce que je vois sur les bancs ministériels
des hommes vieillis dans les luttes politiques,
des hommes qui, depuis de longues années,
sont les chefs et les guides de la majorité
des deux Canadas, appuyer le projet qui nous
est soumis et nous dire que lui seul peut
remédier aux difficultés de la situation.
J'hésite aussi, M. le PRÉSIDENT, parce que
je sais combien la presse ministérielle est
sévère pour tous les adversaires du projet
de confédération,—combien elle est sévère
et quelquefois peu juste dans son appréciation des motifs de ceux qui s'opposent à
ce
projet de constitution, quelle que soient la
sincérité de leurs convictions et la pureté de
leurs motifs. Mais je croirais manquer à
mon devoir comme député si, dominé par
ces hésitations, je ne motivais pas dans cette
chambre mon opposition au projet de confédération. Sur une question aussi grave, je
dois à mes constituants, comme je me dois à
moi-même, de justifier la responsabilité que
j'assume en combattant une mesure aussi
fortement appuyée dans cette chambre, et je
croirais manquer à mon devoir, être indigne
du mandat qui m'est confié, si je n'avais, pour
appuyer mon opposition, l'histoire du passé,
la prospérité du présent et les dangers de
l'avenir que l'on nous propose. J'ai depuis
longtemps étudié la question générale d'une
confédération, et je suis d'opinion que les
provinces de l'Amérique Britannique du
Nord sont appelées à former, dans un avenir
plus ou moins prochain, une vaste confédération, dans laquelle les deux races anglaise
et
française lutteront de progrès pour la prospérité commune. Et dans le but de mieux
étudier la question j'ai dû visiter les provinces
inférieures en 1863 par la voie du golfe, et
en 1864 par la Baie de Fundy. Je dois dire
que j'ai trouvé partout une population aisée
et intelligente, faisant honneur à cette partie
du continent. C'est alors que j'ai pu me
rendre compte des avantages et des inconvénients attachés à la solution de la question
générale de la confédération. Au retour de
mon dernier voyage fait au mois d'août 1864,
en compagnie d'un certain nombre de membres des deux chambres, on a dit dans la
presse que je m'étais déclaré, dans certaines
réunions, en faveur du projet de confédération de toutes les provinces. A cette époque,
la conférence de Charlottetown n'avait pas
encore eu lieu, et déjà l'opinion publique se
plaisait à classer les membres de cette chambre en partisans et adversaires de la
confédération. J'ai à cette époque exprimé
publiquement mon opinion sur la question
par la voie de la presse, afin de la soumettre
à mes commettants, et je dois déclarer que
l'opinion que j'exprimais alors me sert encore
de ligne de conduite aujourd'hui, et que je
ne suis pas obligé de modifier en quoi que ce
soit la position que je pris alors. Pour
établir nettement cette position, je lirai ce
que j'écrivais au mois d'août dernier, car
cette correspondance explique parfaitement
ce que j'ai toujours pensé du projet de confédération des provinces de l'Amérique
Britannique du Nord. Voici ce que j'écrivais:—
"Cette grave question qui préoccupe vivement notre monde politique dans la crise
actuelle, est tellement difficile à résoudre, que
ce serait présomption de ma part de vouloir même
la discuter, au moment où nos hommes publics
les plus haut placés hésitent à se prononcer pour
ou contre. Toutefois, comme la Minerve, dans
son dernier numéro, me donne comme une des
adhésions nouvelles à ce grand projet de réforme
consitutionnelle, je croirais manquer à mon devoir
et à mes convictions si je ne donnais ici mon
appréciation de la situation telle que je la comprends.
"Pour tous ceux qui étudient les ressources
inépuisables des provinces de l'Amérique Britannique du Nord, il n'est pas douteux
que nous ne
possédions tous les éléments d'une grande puissance. Comme territoire, nous possédons
un
dixième du globe habitable, capable d'alimenter
une population de 100,000,000. Borné à l'est
par l'Atlantique et à l'ouest par le Pacifique, ce
territoire est encore accessible à la navigation par
les mers intérieures qui le bornent au sud. Nos
fleuves et nos rivières complètent le réseau incomparable de nos communications par
eau et, comme
autant d'artères vivifiantes, transportent vers
l'océan et sur les marchés de l'univers les lourds
produits des plaines de l'Ouest, les grands pins de
nos forêts, nos minerais d'or et de cuivre, les fourrures de nos territoires de chasse,
et les produits
de nos pêcheries du golfe. Dans ce vaste champ
de production, où se trouvent tous les matériaux
d'une immense richesse, il faut une force motrice,
et les houillères inépuisables de la Nouvelle- Ecosse sont là pour l'alimenter.
"L'Amérique Britannique du Nord prend donc
dans l'avenir les proportions d'un géant, et il ne
tient qu'à nous que l'élément français n'y ait sa
large part de puissance. Avec de l'énergie et de
l'ensemble, nous maintiendrons le terrain conquis
par un siècle de luttes. Notre passé est une
garantie pour l'avenir. Mais encore ne faut-il
pas brusquer les événements et les devancer.
Tant que nous ne serons pas assez nombreux pour
prendre l'offensive, notre politique doit être
une politique de résistance. Aussi, avant de
me prononcer en faveur d'une confédération,
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qui change entièrement les bases de notre
constitution actuelle, je veux être bien sûr que
nous ne perdrons pas un pouce de terrain. Bien
plus, je ne veux de changements à la constitution
telle qu'elle est, qu'autant que ces changements
assurent une plus grande prospérité pour notre
pays, une protection plus puissante de nos institutions et l'inviolabilité de nos
droits. Car je
n'ai pas devié d'une ligne de mon adresse aux
électeurs de Richelieu, lorsque j'ai eu l'honneur
de solliciter leurs suffrages comme leur représentant à l'assemblée législative, et
dans cette adresse
je déclare "m'opposer à toute concession quelconque faite au Haut-Canada."
"Aussi, dans le cas où le projet de confédération, qui sera soumis à la prochaine
session du parlement provincial, garantirait au Canada Français
des avantages plus considérables que ceux qui
lui sont faits par la constitution actuelle, je
serais nécessairement en faveur de cette confédération.
"Mais dans le cas contraire, pour peu que le
projet de confédération soit une concession quelconque faite au Haut-Canada au détriment
de nos
institutions, de notre langue ou de nos lois, je
m'opposerai avec toute l'énergie dont je suis
capable à tout changement à la constitution
actuelle.
"Certes, je ne suis pas de ceux qui veulent
restreindre notre horizon politique et placer des
limites à notre agrandissement comme peuple.
Rien au contraire ne me rendrait plus heureux
que la création d'une vaste organisation politique,
couvrant de son ombre un immense territoire.
Alors les luttes de localités et de personnes disparaîtraient peut-être dans leur
insignifiance, comparée aux grands intérêts qui seraient confiés à
la vigilance de nos hommes d'Etat et à leurs délibérations dans les conseils de la
nation. Alors
aussi nous verrions une carrière brillante ouverte
à l'intelligence et au travail, libres des entraves
que leur suscite trop souvent aujourd'hui l'esprit
de parti, avec son cortège d'égoïsme et de vues
étroites. Alors la louable ambition de mériter un
grand nom dans un grand pays produirait une
génération de grands hommes dont nous pourrions
être justement fiers:
"Mais si ce glorieux avenir ne pouvait s'acheter qu'au prix de notre assimilation,
de la perte de
notre langue et de tout ce qui nous est cher comme
Français, moi pour un, je ne saurais hésiter entre
ce que nous pouvons espérer en restant ce que
nous sommes, et l'abâtardissement de notre race,
payée comme prix de l'avenir.
"Je me résume donc en me prononçant pour
la constitution telle qu'elle est, qui, jusqu'à ce
jour, nous offre plus d'avantages que tous les
changements proposés, et c'est là, j'oserais dire,
l'opinion de la majorité de notre assemblée législative.
"Mais si le projet proposé nous assure dans le
congrès tous les priviléges dont le Canada Français jouit dans le parlement actuel,
et si, dans son
ensemble comme dans ses détails, il nous assure
des avantages plus considérables que ceux qui
nous sont garantis par la constitution, je préférerai la confédération à tous les
autres changements proposés."
Je dois déclarer que cette manière dont
j'envisageais la question au mois d'août
dernier, n'a pas changé pour moi après les
explications données par les membres du
gouvernement. L'habileté dont ils ont donné
des preuves leur fait certainement honneur,
mais les arguments des ministres, pas plus
que ceux des membres de cette chambre qui
supportent le projet, ne m'ont convaincu;
et j'espère, dans mes remarques, établir
quelles sont les raisons de mon opposition,
et justifier à mon point de vue la responsabilité que je prends en opposant un projet
aussi fortement appuyé dans cette chambre.
J'espère pouvoir établir: premièrement,
l'inopportunité d'un changement constitutionnel; secondement, le but hostile de la
confédération; troisièmement, les conséquences désastreuses de l'adoption du projet
de confédération. L'inopportunité d'un changement constitutionnel doit être parfaitement
évident pour tous ceux qui jettent
un regard sur la prospérité actuelle du
Canada, et pour tous ceux qui veulent
étudier les progrès réalisés par le Canada- Uni depuis 1840. L'hon. procureur-général
Est a dit que "l'union avait terminé son
œuvre." Mais cela est-il bien sûr? Quand
on regarde le passé et qu'on le compare au
présent, ne devons-nous pas être fiers de
voir combien nous avons grandi depuis 1840,
et de voir que, depuis 25 ans, nous avons
rivalisé de progrès, progrès social et progrès
matériel, avec les nations les plus avancées
du monde? Depuis vingt-cinq ans, nos progrès en politique ont été sans précédent dans
l'histoire coloniale, et le Canada a donné le
magnifique exemple de ce que pouvait un
gouvernement responsable dans une colonie
anglaise, malgré la diversité des races et des
religions. En 1840, nous sortions d'une
lutte glorieuse dans laquelle, malheureusement, plusieurs têtes étaient tombées, —
d'une lutte entreprise pour obtenir le gouvernement responsable refusé jusque là,
et
qui nous était alors accordé comme prix de
la lutte. A cette époque, le Bas-Canada était
mu comme un seul homme; il avait envoyé
en Angleterre des requêtes couvertes de
60,000 signatures, demandant le gouvernement responsable. Dans nos rangs, nous
avions alors des hommes qui ne craignaient
pas les luttes, des hommes habitués à résister à l'oppression, des hommes qui avaient
grandi en luttant contre une minorité arrogante tendant à dominer la majorité;—
et ce sont ces hommes forts qui ont fait
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triompher notre nationalité et maintenu les
droits du Bas-Canada, en obtenant le gouvernement responsable, en même temps que
l'union nous était imposée. Aujourd'hui,—
regardons leur œuvre? Est-il vrai de dire
que nous mons progressé dans l'ordre social
comme dans l'ordre matériel depuis cette
époque? Quiconque étudie ce qu'était le
Canada en 1840, et ce qu'il est en 1865, ne
peut s'empêcher de reconnaître que nous
avons fait des progrès presque sans exemple
dans l'histoire de la prospérité des peuples,
que nous avons étendu au loin les défrichements de notre territoire, que notre population
s'est accrue, que cette population est
heureuse et prospère, en un mot, que nous
avons progressé matériellement et socialement d'une manière jusque là inconnue
sous le système colonial. Voyons, dans
l'ordre social, notre législation, et notre
système municipal d'abord. En existe-t-il
quelque part qui soit plus parfait, et
chaque localité n'a-t-elle pas tous les
pouvoirs nécessaires aux améliorations reconnues urgentes? C'est depuis l'union
que nous avons perfectionné ce système, et
que nous avons doté nos campagnes des
moyens d'effectuer toutes les améliorations
qu'elles peuvent désirer, plus particulièrement
dans le système de voierie et la création de
nouvelles routes facilitant le transport des
produits agricoles aux marchés voisins.
(Ecoutez! écoutez!) Je n'ai pas besoin
d'appuyer sur les progrès que nous avons
faits et les réformes ne nous avons réalisées
au point de vue de la législation. Ce qui
avait le plus contribué, depuis la domination
anglaise, à arrêter nos progrès sous ce rapport, c'était le conseil législatif de
l'ancienne
chambre d'assemblée, et celui que nous
avons eu depuis l'union jusqu'en 1856.
Depuis cette époque, n'avons-nous pas obtenu
l'élection des conseillers législatifs, et les
plus grandes réformes ne doivent-elles pas
en être la conséquence? Avec l'union et le
gouvernement responsable, n'avons-nous pas
également obtenu le droit d'être représentés
par des compatriotes Canadiens-Français
dans le conseil exécutif, et depuis n'avons- nous pas joui de tous les avantages d'un
système de gouvernement qui permet au
peuple d'exprimer ses besoins et même d'imposer ses volontés? Voilà des réformes de
la plus grande importance; mais nous en
avons obtenu d'autres encore. Lorsque, en
1840, on nous donna l'union des Canadas, la
propriété territoriale dans le Bas-Canada était
soumise au système féodal, qui y avait été
introduit avec tout ce qu'il avait de blessant
pour la dignité de l'homme, avec toutes ses
charges et ses vexations pour le censitaire.
Sous ce régime, aucune propriété ne pouvait
changer de main sans être soumise à un droit
onéreux sous forme de lods et ventes en
faveur du seigneur, et à des cens et rentes
qui diminuaient considérablement sa valeur.
Avec les droits politiques que nous avait
conféré l'union, le régime seigneurial a dû
disparaître pour faire place à la propriété
libre, telle qu'elle est chez nos voisins et
chez toutes les nations civilisées. C'est aussi
depuis l'union que nous avons consolidé nos
lois; que nous avons créé un système d'enseignement qui fait arriver l'instruction
jusque dans les parties les plus reculées de
la province. Aujourd'hui, nous avons un
système scolaire qui fait honneur au pays, et
l'enfant intelligent, mais déshérité de la
fortune, trouve partout les moyens d'obtenir
une éducation à peu près gratuite. Aujourd'hui chaque village, chaque concession,
possède une maison d'éducation, et l'enfant
du bucheron qui habite encore l'épaisse forêt
peut y trouver les éléments d'une instruction
suffisante pour le mettre sur la voie des
honneurs et de la fortune, si ses talents, son
travail et son énergie le prédestinent à jouer
un rôle dans la politique, les sciences, les
arts, ou le clergé de son pays. Un fait
remarquable, M. le PRÉSIDENT, et que je
dois mentionner, c'est que la plupart des
hommes marquants que nous avons vus sur
le banc judiciaire, sur le banc des ministres et
jusque dans la chaise épiscopale, sont sortis
de l'humble toit de chaume de nos campagnes, se sont formés dans nos maisons d'éducation
presque gratuite, à force de talents,
de persévérance, d'étude et de travail. Ce
sont les besoins de la gêne éprouvée au foyer
de la famille qui bien souvent ont créé, chez
la plupart de nos hommes les plus éminents,
un vif désir de se faire une brillante position
par l'étude et le travail. Depuis l'union,
notre système et nos moyens d'instruction
publique ont fait d'immenses progrès. Avant
l'union, nous n'avions pas d'université catholique dans le pays; les jeunes gens qui
se
destinaient aux professions libérales étaient
obligés de faire leurs cours dans les bureaux
de leurs patrons, qui n'étaient pas toujours
à la hauteur de la tâche qu'ils assumaient, ou
de s'exiler à grands frais pendant plusieurs
années pour aller en Angleterre ou en France
gagner leur diplôme de capacité. Aujour
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d'hui, nous avons des universités dans le
Bas et dans le Haut-Canada qui rivalisent
avec les institutions européennes du même
genre, et nous avons aussi une classe de
jeunes élèves qui prouveront, dans quinze
ou vingt ans, l'excellence de notre système
universitaire et des études fortes qu'il généralise aujourd'hui.-Eh bien! en face
du
progrès que je viens de signaler dans l'ordre
social, est-il vrai de dire que l'union a fait
son tempos, quand elle a créé toutes ces
merveilles? Quand nous sommes plus forts,
plus instruits que nous ne l'étions il y a
vingt ans, quand nous avons de nouveaux
droits politiques, quand nous possédons
librement le sol et que nous avons créé un
système d'instruction publique comme celui
que nous possédons, peut-on dire que l'union a
fait son œuvre et qu'il faut la briser? Pur
ma part, M. le PRÉSIDENT, je ne suis pas
prêt à maintenir cette assertion. L'union a
été pour nous un grand moyen de progrès,
puisqu'elle nous a permis d'obtenir tous ces
résultats dans l'ordre social.-L'hon. procureur-général Est nous dit que la confédération
nous procurera des avantages matériels plus
grands encore, et que c'est là tout ce que nous
voulons. Je nie, M. le PRÉSIDENT, que les
intérêts matériels soient la seule préoccupation de la population franco-canadienne;
nous plaçons avant eux la conservation de
nos institutions propres. Mais même au
point de vue de nos intérêts matériels, à part
les avantages dans l'ordre social que nous a
conférés l'union, nous avons encore un vaste
champ à parcourir dans la voie des progrès
matériels que nous avons faits depuis 1840.
Pour savoir ce qu'a fait l'union sous ce
rapport, il suffit de regarder notre système
de voies ferrées, et surtout l'immense voie
ferrée du Grand Tronc, qui a, de Sarnia à la
Rivière-du-Loup, décuplé notre commerce,
ouvert à la colonisation nos forêts vierges,
et multiplié nos ressources dans un proportion incalculable; il suffit encore de regarder
nos ports de Québec ou de Montréal pendant
la saison de navigation, et d'y voir cette
forêt de mâts qui le remplit; - il suffit de
voir partir chaque semaine nos vapeurs
transatlantiques, qui vont porter nos produits
sur les marchés les plus éloignés de l'Europe
pour les échanger contre les articles d'importation dont nous avons besoin. Et si
nous
remontons notre grand fleuve St. Laurent,
que voyons-nous? Nous rencontrons des
canaux qui, par leurs dimensions, les matériaux dont ils sont construits et leur étendue,
n'ont pas de rivaux dans le monde entier.
Je maintiens, M. le PRÉSIDENT, qu'en
Europe on ne rencontre rien, en fait de
communications artificielles par eau, qui
puisse rivaliser avec nos canaux. En Angleterre, par exemple, les canaux ne sont que
de misérables rigoles dont les gamins touchent
les deux berges à la fois du bout des avirons
chaque fois qu'ils parcourent les canaux en
esquif. Ici, nos canaux traversent toute la
province et relient les parties les plus reculées
du pays avec les marchés européens. En
effet, un navire de 400 tonneaux peut aujourd'hui partir de Chicago, traverser l'océan
et
opérer son déchargement sur les quais de
Liverpool. L'union qui nous a donné de
pareils canaux, de pareils chemins de fer,
n'a pas fait son temps, n'a pas terminé son
œuvre, comme le prétend le procureur- général Est; au contraire, avec de pareils
moyens nous sommes en droit d'attendre
de l'union de plus grands avantages encore
dans l'avenir. Si nous jetons les yeux sur
notre colonisation, nous voyons les forêts
reculer devant la hache du défricheur, notre
territoire décupler ses produits, et notre
population devancer l'arpentage de nos terres
incultes. Ce que l'union nous a déjà donné
est certainement énorme; mais l'avenir
qu'elle nous réserve est encore plus grand,
si nous savons profiter des moyens qu'elle
met à notre disposition. C'est pour cela que
je ne crois pas que l'union ait terminé son
œuvre, et qu'au contraire elle peut encore
faire notre prospérité; et c'est pourquoi je
veux conserver l'union, rester dans l'allégeance à Sa Très-Gracieuse Majesté la Reine
d'Angleterre, et ne pas accepter de changements constitutionnels qui ne peuvent
que compromettre notre avenir comme
nation. (Ecoutez! écoutez!) On a dit souvent que le Bas-Canada était un boulet
attaché aux pieds du Haut-Canada pour le
retarder dans sa marche progressive, et
qu'il fallait une nouvelle constitution. Je nie
la justice de cette accusation et je prétends
qu'il n'y a que le fanatisme Haut-Canadien
qui a pu jamais motiver une semblable accusation. Il est vrai que la race canadienne-
française a été caractérisée à Toronto, par
un gouverneur-général, comme "race inférieure," mais pas un fait ne peut justifier
cette insulte jetée au Bas-Canada. De plus,
je suis heureux d'avoir le témoignange de
l'hon. ministre des finances (M. GALT),
pour réfuter ces assertions, répondre à ces
insultes, et prouver que la prospérité du
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Canada est due au concours actif des Canadiens-Français, non seulement dans l'exécutif
mais dans l'assemblée législative. Dans une
lettre qu'il écrivait de Londres en 1860,
l'hon. ministre des finances disait:
"Depuis 1849 jusqu'à ce jour, la majorité
canadienne-française a été justement représentée
dans le ministère, et c'est avec son puissant concours et son initiative dans chaque
mesure, et le
support de ses votes en parlement, que toutes les
grandes réformes ont été réalisées."
Eh bien! s'il est vrai que les membres
du gouvernement, depuis 1849, ont pu, par
leur initiative et leur concours, obtenir la
réalisation de ces réformes, pourquoi veut- on briser la constitution qui a amené
ces
progrès et créer un nouvel état de choses
qui diminuera notre influence, aujourd'hui
si heureuse? Ah! c'est que, malgré notre
prospérité matérielle, l'ancienne agression
d'une race contre l'autre, l'ancien état d'antagonisme et de mauvais vouloir n'ont
pas
disparu. Le but que le gouvernement se
propose d'atteindre en faisant ces changements est un vaste et noble but, je le reconnais;
c'est la création d'un immense empire
qui sera une gloire pour nous et pour l'Angleterre. Mais il me semble que ce but ne
sera pas le résultat nécessaire des moyens
que l'on prend pour y arriver. (Ecoutez!)
Tant que les grandes réformes dont j'ai fait
l'histoire ont été soumises aux délibérations
du parlement canadien, nous avons vu les
hommes publics s'en occuper exclusivement
et travailler à leur réalisation; nous avons
vu les partis se ranger pour ou contre ces
grandes questions: l'abolition de la tenure
seigneuriale, l'élection des membres du
conseil législatif, la construction de nos
chemins de fer et de nos canaux, etc.
Devant ces grandes questions, il n'y avait
pas place pour les mesquines considérations
personnelles et les misérables luttes de
clocher. Mais aussitôt que les grandes
réformes furent obtenues, aussitôt que tous
ces projets furent réalisés, il n'y eut plus
de raison d'opposition au gouvernement
sur ces sujets; cependant, il fallait créer des
causes de mécontentement et d'opposition,
afin d'arriver au pouvoir et de satisfaire
quelques ambitions personnelles. C'est alors
qu'on s'est adressé aux préjugés de races et
de religion. On a crié bien haut, dans le
Haut-Canada, que la domination des Canadiens-Français n'était plus supportable et
qu'il fallait y mettre fin. On ne regardait
plus aux progrès qu'il y avait encore à
réaliser, mais il semblait qu'il ne restait
plus, pour terminer la tâche, qu'à briser le
caractère national d'une grande partie du
Canada. L'on se plaignait de la domination française, de l'influence cléricale et
du trop grand nombre d'institutions religieuses en Canada, et quel fut le remède
que l'on proposa pour mettre fin à tous
ces maux que le Haut-Canada ne pouvait
plus tolérer? L'on importa l'hon. député de
South Oxford (M. BROWN), que l'on fit
venir d'Ecosse ici pour jeter le brandon de
la discorde entre les deux populations et les
enflammer l'une contre l'autre! Je crois
que depuis ce temps l'hon. M. BUCHANAN
a dû plus d'une fois regretter cette importation, qui n'entrait pas dans la ligne
régulière
de ses opérations commerciales. Et quand
on eut importé cet homme, qui a été la cause
de toutes nos dissensions jusqu'à ce jour, les
partis s'organisèrent à sa voix comme ils le
sont aujourd'hui. Pour diminuer ou faire
disparaître l'influence des Canadiens-Français
en parlement, l'hon. député de South Oxford
jeta le cri de la représentation basée sur la
population, qui reçut un écho dans toutes
les parties du Haut-Canada. Ce cri inspiré
par le fanatisme fut repoussé par le Bas- Canada avec l'unanimité de nos hommes
publics. L'hon. député de South Oxford
trouvant que ce cri de la représentation
basée sur la population était un magnifique
cheval de bataille, il s'en servit pour se
former un parti. Depuis cette époque, rien
ne lui a coûté. ll a lancé la calomnie contre
tous les hommes et toutes les institutions que
vénéraient les habitants du Bas-Canada; il a
attaqué avec fureur tout ce qui nous était cher
comme Français et comme catholiques. Ce
moyen lui a réussi, et on a vu tous les
western farmers, tous les habitants du Canada-Ouest, crier que nous étions tous, ici,
sous la domination cléricale, que la population anglaise et protestante ne devait
pas,
ne pouvait pas, subir un joug aussi inique.
ll savait que l'élément anglais était fanatique
et agressif, et avec ce cri le chef de l'opposition d'alors dans le Haut-Canada réussit
à
former une phalange tellement forte, que le
Bas-Canada dut céder une partie du terrain
qu'il avait conquis dans ses luttes d'autrefois.
Je ne crois pas qu'il y ait un seul représentant du Bas-Canada qui voulût changer
notre
constitution actuelle, dans le sens de celle
qu'on nous propose, s'il n'y était forcé par le
Haut-Canada. (Ecoutez! écoutez!) Nous
abandonnons donc quelque chose de nos
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libertés et de nos droits dans cette nouvelle
lutte contre l'esprit d'envahissement et de
domination de la race anglaise? Les hon.
membres qui supportent la mesure nous
disent qu'ils cèdent quelque chose de nos
droits afin de sauver ce qu'il en reste du
naufrage et de ne pas tout perdre dans un
avenir plus ou moins rapproché. Mais ce
cri en faveur de la représentation basée sur
la population était-il au moins sincère de la
part de ceux qui s'en faisait une arme contre
nous? Etait-ce bien un remède aux maux
dont ils se plaignaient? Non, M. le PRÉSIDENT, je ne le crois pas. C'était tout
simplement une plateforme électorale pour
arriver au pouvoir et consommer l'envahissement de nos droits médité par les chefs
du
mouvement. Je n'ai pas besoin de renouveler
ici les arguments apportés contre la demande
de la représentation d'après la population,
dans plus de quatre-vingt discours prononcés
en 1860, lors de la discussion de cette brûlante question; mais je me rappelle cette
discussion avec d'autant plus de plaisir
qu'alors le parti canadien-français a montré
qu'il avait conservé quelque chose de l'obstination dans la lutte et de la persévérance
dans la défense de nos droits, dont nos pères
ont si souvent donné la preuve. A cette
époque, l'hon. procureur-général Est (M.
CARTIER) méritait l'approbation de son pays,
pour la résistance qu'il faisait à cette demande injuste du HautCanada, avec l'énergie
et la tenacité qu'on lui connait, car
il s'était noblement constitué le champion
de nos droits. Pourquoi vient-il donc aujourd'hui proposer un compromis avec ses
adversaires d'alors? Est-ce au moment où
les chefs de l'opposition du Haut-Canada
avaient, en entrant dans le gouvernement
MACDONALD-SICOTTE, renié absolument
le principe de la représentation basée sur
la population, qu'il devait abandonner la
lutte? Est-ce au moment où le gouvernement MACDONALD-SICOTTE avait obtenu
des écoles séparées en faveur des catholiques
du Bas-Canada, que le parti de l'hon.
membre de South Oxford était à redouter?
Est-ce au moment où la loi des écoles
séparées pour les catholiques du Haut- Canada constituait un triomphe que n'avait
pu remporter l'hon. procureur-général pendant tout le temps qu'il avait été au pouvoir,
que l'hon. procureur-général devait cesser
la lutte, jeter ses armes et prétendre, comme
Canadien-Français, que nous ne pouvions
plus tenir sur la brèche, et qu'il fallait faire
des concessions au Haut-Canada? Est-ce
que le gouvernement de M. SICOTTE n'avait
pas fait de la représentation basée sur la
population une question morte? Est-ce que
tous les membres de ce gouvernement
n'étaient pas tenus de l'opposer? Oui,
monsieur le PRÉSIDENT, l'hon. procureur- général Est s'est rendu coupable d'une grave
faute en renversant ce gouvernement, soutenu
par une majorité hostile composée de Canadiens-Français. C'est à la suite de ce vote
hostile que le Haut-Canada a eu le droit
de réclamer de nouveau la représentation
d'après le nombre, et qu'il faut aujourd'hui
lui faire des concessions. Pour ma part,
monsieur le PRÉSIDENT, je n'ai jamais été
convaincu de la sincérité de ceux qui employaient le cri de la représentation basée
sur la population, car je n'y ai jamais vu
qu'un moyen employé auprès des western
farmers, pour arriver plus sûrement au
pouvoir. Est-ce que le principe de la représentation basée sur la population a jamais
servi de base à un gouvernement aux idées
monarchiques comme celles qui sont émises
par le gouvernement actuel? Ici, l'on veut
une confédération sans exemple, non pas une
confédération comme celles qui existent dans
les pays qui ont adopté cette forme de gouvernement, mais une confédération monarchique.
(Ecoutez! écoutez!) On veut
conserver quelque chose de la constitution de
l'Angleterre,—et cependant on dit que la
représentation basée sur la population est un
principe juste et qu'il faut l'accorder au
Haut-Canada! L'hon. procureur-général Est
(M. CARTIER) ne se rappelle-t-il pas ses
arguments de 1860 contre ce principe? Ne
disait-il pas alors, pour faire voir que ce
principe n'est ni juste ni reconnu dans la
constitution anglaise, que s'il était appliqué
pour le parlement anglais, la ville de Londres
aurait 30 députés à elle seule, au lieu de 16,
et que l'Ecosse enverrait au parlement beaucoup plus de députés qu'elle n'en envoie
aujourd'hui? Ne disait-il pas encore que
des bourgs-pourris de quelque centaines
d'habitants avaient un représentant, et que
des comtés qui contenaient 100,000 âmes n'en
avaient pas davantage? Est-ce que ces arguments si puissants alors n'ont plus la même
valeur aujourd'hui? Est-ce qu'ils ont moins
de force depuis l'alliance de l'hon. procureur- général avec l'hon. député de South
Oxford?
Est-ce qu'ils ne peuvent plus être employés
pour sauver notre constitution et nos libertés?
Comment se fait-il que le parti qui a si
597
longtemps vécu de son opposition au principe
de la représentation basée sur la population,
dise aujourd'hui que c'est un principe juste
et qu'il faut le concéder? J'avoue, monsieur
le PRÉSIDENT, que je ne comprends pas pourquoi l'on cède aujourd'hui ce qu'on refusait
en
1860. Il est vrai que je n'ai pas l'expérience
des hon. députés qui occupent aujourd'hui
les banquettes ministérielles, et qu'il vaut
peut-être mieux plier aujourd'hui que d'être
brisé demain; mais quand j'étudie le passé,
que j'examine le présent et que je songe
à l'avenir qu'on nous propose, je ne vois
dans le projet de confédération qu'un remède
plus violent que le mal et qui, au lieu
de faire disparaître les difficultés auxquelles on veut remédier, ne peut que
produire les plus fâcheux résultats pour
la paix et la prospérité de notre pays.—
Je disais donc, M. le PRÉSIDENT, que la
question de la représentation basée sur la
population, qui a été la principale cause du
projet de confédération, avait été écartée du
programme politique de l'administration
MACDONALD—SICOTTE, et que la majorité
Haut-Canadienne, dont les chefs, pendant
toute leur carrière politique, avaient demandé
si haut cette concession en faveur du Haut- Canada, avait contracté l'engagement de
ne
plus soulever dans l'assemblée législative
cette question brûlante, au moins sous l'administration MACDONALD-SICOTTE. (Ecoutez!
écoutez!) Que, grâce à la fermeté
patriotique des chefs de cette administration,
le Bas-Canada, pendant deux ans, put vivre
en paix et goûter les fruits d'une tranquillité inconnue depuis 10 ans, et pendant
deux sessions la question de la représentation basée sur le nombre cessa d'être le
sujet
des contestations et des discussions fanatiques du Haut-Canada. (Ecoutez! écoutez!)
C'est à cette époque que l'hon. député
de South Oxford demanda à la chambre un
comité chargé de s'enquérir des moyens de
régler les difficultés sectionnelles, en changeant les bases de la constitution actuelle.
(Ecoutez! écoutez!) Eh bien! M. le PRÉSIDENT, qu'a-t-on vu alors? On a vu cet
orateur à la parole brûlante, cet avocat infatigable et puissant des prétentions du
Haut- Canada contre la section Bas-Canadienne,
incapable de trouver plus de quatre hommes
pour l'appuyer dans sa demande injuste d'un
changement de constitution, que l'administration du jour est prête à lui concéder.
(Ecoutez! écoutez!) On a vu ce puissant
tribun, humilié et désespéré de ne rien
obtenir de la chambre, —et pour ma part,
M. le PRÉSIDENT, j'avoue que sa position
me faisait peine, —demander un congé
d'absence pour échapper à une défaite humiliante, et retourner dans son pays pleurer
sa
chute et la perte de son influence basée
seulement sur le fanatisme et les préjugés.
(Ecoutez! écoutez!) Plus tard, M. le PRÉSIDENT, cette chambre a été témoin d'un
acte que je ne veux pas caractériser aujourd'hui; —nous avons vu cette administration
qui avait eu assez de courage et de fermeté
pour bâillonner cette hydre de la représentation basée sur le nombre, renversée par
une majorité canadienne-française. (Ecoutez!
écoutez!) Oui, M. le PRÉSIDENT, ce gouvernement libéral qui avait donné tant de
sécurité, —sécurité à nos institutions en
maintenant inviolable la constitution actuelle,
—fut renversé par une majorité canadienne- française de cette chambre. Je n'ai pas
l'intention, quand je parle ainsi, de me faire
l'accusateur de mes compatriotes: loin de là;
mais je veux tracer l'histoire parlementaire de notre pays, et je n'hésite pas à dire
que ce vote a porté un coup fatal à notre
influence comme Canadiens-Français, et que
la postérité enregistrera ce vote, qui restera
dans l'histoire comme une époque fatale où
nos hommes publics ont sacrifié à l'esprit de
parti nos intérêts les plus chers. (Ecoutez!
écoutez!) Je ne crains pas de le dire, M. le
PRÉSIDENT, depuis quinze ans nous n'avions
pas eu à la tête de l'administration d'hommes
plus sincèrement dévoués et plus en position
de sauvegarder les libertés politiques, les
intérêts et les institutions du Bas-Canada.
Qu'avons-nous vu, depuis quinze ans, dans
cette chambre? Nous avons vu l'esprit de
parti s'adresser aux préjugés et aux personnalités les plus blessantes, et amener
comme
résultat l'abaissement du niveau moral de
notre représentation nationale. Les hommes
les mieux qualifiés à faire valoir dans cette
enceinte les intérêts du peuple, s'abstenir
des luttes électorales, parce que la position
de député ne portait plus avec elle la dignité
qui en faisait un objet d'ambition dans des
jours meilleurs. Nous avons vu des hommes
éminents, et qui avaient travaillé dans l'intérêt de leurs compatriotes pendant de
longues années, abandonner de dégoût la
carrière politique et se retirer dans leurs
foyers. C'est à cette époque que nous avons
vu une majorité canadienne-française voter
la défaite d'un ministère dont le programme
politique offrait plus de garanties pour les
598
intérêts Bas-Canadiens que celui d'aucun
autre gouvernement. (Ecoutez! écoutez!)
Mais un esprit de parti à la fois mesquin et
aveugle devait placer un succès momentané
au-dessus des intérêts généraux, et la majorité décréta par son vote notre déchéance
nationale. (Ecoutez! écoutez!) Eh bien!
M. le PRÉSIDENT, avec le nouveau gouvernement, nous avons vu la question de la représentation
basée sur la population revenir
dans la discussion générale de notre législature, et aujourd'hui, il n'y a pas à se
le cacher, cette malheureuse concession,
qui nous met à la merci du Haut-Canada,
est devenue un fait accompli. (Ecoutez!)
J'ai dit, il y a un instant, M. le PRÉSIDENT, que l'hon. député de South Oxford
n'avait pu obtenir le comité qu'il demandait
sous l'administration MACDONALD-SICOTTE,
—administration essentiellement libérale.
(Ecoutez!) Si l'on réfère aux journaux de la chambre de cette époque, que
trouve-t-on? A peine l'administration qui
lui avait succédé eût-elle pris possession des
bancs de la trésorerie que l'hon. M. BROWN
revenait devant la chambre demander de
nouveau un comité, et cette fois avec plus
de succès. J'eus l'honneur de présenter un
amendement à la motion, mais cet amendement
fut repoussé, et parmi les noms qui figurent
dans cette malheureuse division, on remarque
ceux du ministre des travaux publics, du
solliciteur-général et du procureur-général
Est. M. le PRÉSIDENT, c'est là un fait extrêmement significatif et dont il faut prendre
note sous les circonstances actuelles. Quand
je pressai cette motion devant la chambre,
je maintins qu'il fallait prendre l'offensive
et non garder la défensive, comme nous
l'avions fait jusqu'alors; qu'il fallait nous
unir comme un seul homme pour obtenir
que l'on remette en vigueur le proviso de la
26me clause de l'acte d'union, qui nous avait
été honteusement enlevé en 1856, au moment
où nous obtenions le conseil législatif électif.
(Ecoutez! écoutez!) Eh bien! sur cette
question, qui était parfaitement motivée, on
a vu ces mêmes ministres voter pour rejeter
cet amendement qui revendiquait un droit
sacré pour les Canadiens-Français. Ce vote
n'impliquait-il pas chez ceux qui faisaient
cette lâche concession, qu'ils étaient prêts à
céder encore dans les changements constitutionnels proposés. Oui, M. le PRÉSIDENT,
je
n'hésite pas à le dire, dès cet instant le
Haut-Canada comprit que nos chefs, jusque- là inébranlables, allaient céder le terrain
conquis. Aussi, lorsque M. BROWN soumit à
la chambre sa proposition, tous les députés
anglais s'unirent dans une majorité écrasante, et il l'emporta vigoureusement malgré
la totalité des députés Canadiens-Français
qui votèrent tous contre cette proposition, à
l'exception du député de Rouville (M.
POULIN), qui eut le triste courage de commettre cet acte inqualifiable. (Ecoutez!
écoutez!) Il n'est pas besoin de rappeler ici
les conséquences de ce vote, car elles sont
connues aujourd'hui de tout le pays, et l'hon.
député de South Oxford lui-même nous a dit
dans cette chambre que la confédération
avait pris naissance dans son comité constitutionnel; que la nomination de ce comité
avait été le premier pas fait dans la voie qui
menait surement au but vers lequel il avait
toujours tendu pendant toute sa carrière
politique, et que le projet de confédération,
maintenant soumis, était une ample récompense pour ses efforts constants et une justification
complète des principes qu'il avait
soutenus dans la lutte du Haut contre le Bas- Canada. (Ecoutez! écoutez!) Plus tard,
M. le
PRÉSIDENT, le gouvernement TACHÉ-MACDONALD tombait sur une question de finances
et, dans l'impossibilité de se maintenir sans
le secours de l'opposition, ce même gouvernement appelait dans son cabinet l'homme
le plus hostile aux intérêts Bas-Canadiens, et
avec lequel de tout temps il avait été dans
un antagonisme sans exemple. De cette
alliance naquit le projet de confédération
qui nous est soumis aujourd'hui, et qui concède le principe de la représentation basée
sur la population. Le parti Bas-Canadien
devait-il faire cette grave concession au
Haut-Canada? Je suis prêt à établir par
des chiffres que cette question portait avec
elle son propre remède, et ceux qui ont
voté en faveur de sa concession ne sont
nullement justifiables, à quelque point de
vue qu'on se place. L'avenir nous garantissait que cette demande n'aurait plus sa
raison d'être à une époque fort rapprochée.
Quand on examine la question de la population respective des deux Canadas, on
remarque, tout d'abord, que celle du Haut- Canada est en grande partie anglaise et
protestante; et, en regardant un dernier recensement, on voit que l'immigration dans
cette
section est entrée pour une proportion très
considérable dans l'augmentation annuelle.
De 90,000 âmes qu'elle était pendant la seule
année de 1847, l'immigration est graduellement tombée a 10,000 en 1860. Mais il y
599
a un autre fait important qu'il est bon de
noter: c'est que le Bas-Canada, qui augmentait lentement d'abord parce qu'il était
gêné
dans son développement matériel et moral
par les institutions politiques sous lesquelles
il était gouverné, parce qu'il n'avait pas de
chemins de colonisation dans ses forêts,
voyait encore ses robustes enfants émigrer
aux Etats-Unis pour y trouver du pain et de
la liberté. L'augmentation de la population
du Bas-Canada était faible et lente alors;
mais à mesure que les chemins de fer ont
été construits, que des routes ont été pratiquées, on l'a vu augmenter en population
presque dans la même proportion que s'opérait
la diminution dans la proportion d'accroissement annuel du Haut-Canada. Je prétends
encore, M. le PRÉSIDENT, que le recensement
de 1861 n'est pas une base sur laquelle on
puisse se fonder pour apprécier exactement le
chiffré de la population des deux sections;
que ce recensement n'est qu'un tissu d'erreurs
graves et qui démontrent l'inexactitude de
l'ensemble. Ainsi, quand on y voit qu'à
Trois-Rivières il n'y a pas une seule église
catholique; qu'à Hamilton il n'y en a qu'une
seule; qu'en 1861 il n'a été construit que
trois vaisseaux dans le Bas-Canada, et que
l'on sait qu'à Québec seul il s'en est construit
plus de soixante, l'on peut affirmer en toute
sûreté que de semblables inexactitudes ont
dû se répéter dans les chiffres de la population des deux sections. On sait que, dans
le Haut-Canada, le chiffre de la population
réelle a été considérablement surfait. Tous
leurs journaux ne disaient-ils pas qu'il fallait
que le recensement de 1861 indiquât, en
faveur du Haut-Canada, une très-forte population de plus que dans le Bas? Aussi, le
résultat a-t-il constaté une majorité de près
de 300,000 âmes en sa faveur. On a
tellement augmenté le nombre des vivants
et diminué celui des morts, que l'addition
du nombre des enfants vivants, au-dessous
d'un an, se trouve être de 8,000 de plus
que celui de toutes les naissances de
l'année. (Ecoutez! et rires.) Je veux bien
admettre que le climat du Haut-Canada soit
très salubre et très favorable au développement de la population au-dessous d'un an;
mais encore peut-on difficilement s'expliquer
qu'il n'en meure pas quelques uns en douze
mois et qu'il puisse y en avoir, en une seule
année, 8000 de plus, au-dessous d'un an,
qu'il n'en est né pendant les douze mois
écoulés. (Ecoutez! et rires.) Quand je vois
de pareils résultats dans notre recensement
officiel, je suis forcé de croire qu'il est inexact
et qu'il peut être tout aussi erroné sous tous
les rapports de la population générale. Mais
si on a surfait la population dans le recensement du Haut-Canada, dans le Bas-Canada,
au contraire, on l'a diminuée considérablement. Ici, nos cultivateurs ont toujours
eu
peur des recensements, parce qu'ils soupçonnent qu'ils sont faits dans le seul but
d'asseoir quelques taxes ou de faire quelque
levée d'hommes pour la défense du pays.
Sous ces circonstances, je crois que la différence dans le chiffre de la population
du
Haut et du Bas-Canada n'est pas aussi bien
établie qu'on veut le faire croire. Je maintiens qu'elle est moindre en réalité qu'elle
ne l'est en apparence, et que les chiffres du
recensement ne sont pas suffisamment exacts
pour que l'on puisse les prendre pour base
d'une demande de changements constitutionnels aussi graves. Mais si l'on étudie
l'accroissement de la population canadienne- française, l'on verra que les Canadiens-
Français ont augmenté jusqu'au chiffre de
1,700,000, s'étant décuplés deux fois et demi
de 1760 à 1860, ce qui équivaut à 3.40 pour
cent par année, ou le doublement de la
population en 21 ans, ou 25 fois leur nombre
en 100 ans. Depuis 1860, l'augmentation
a été de 3.60 pour cent par an dans le Bas- Canada. Voilà des chiffres qui prouvent
que l'augmentation naturelle de la population
dans le Bas-Canada est plus forte que partout
ailleurs. Dans le Haut-Canada, la moyenne
des naissances a été de 3.40 pour cent par
an, et dans le Bas-Canada, elle a été de 4.10
pour cent, ce qui égale une augmentation
relative plus considérable de 20 pour cent
dans le Bas que dans le Haut-Canada. Si
l'on fait un calcul de la progression de
l'accroissement de la population française
dans le Bas-Canada, de 1784 à 1851, l'on
arrive aux résultats suivants:—
|
p. c. par année. |
De 1784 à 1831, l'augmentation a été égale à |
2.60 |
De 1831 à 1844, e11e a été égale à.......... |
3.20 |
De 1844 à 1851 do do .................. |
4.25 |
Mais l'augmentation de population qui en
serait résultée a été diminuée par l'émigration aux Etats-Unis. Les difficultés de
sections ont chassé nos jeunes gens à
l'étranger pendant de longues années, et
c'est là pourquoi cette augmentation considérable ne paraît pas, dans les recensements,
aussi forte qu'elle l'a été en réalité. Ainsi,
le chiffre des émigrés Canadiens-Français
aux Etats-Unis en 1844, s'élevait à 34,000;
600
de 1844 à 1850, l'émigration s'est élevée à
30,000—ce qui, en 1850, s'élève à 64,000 le
chiffre de nos compatriotes passés à l'étranger.
Avec une pareille émigration, il est évident
que notre population ne pouvait augmenter
rapidement; mais aujourd'hui, heureusement,
le mouvement de notre population se fait en
sens contraire. Un grand nombre de familles
nous sont déjà revenues, tandis que beaucoup
d'autres n'attendent qu'une occasion favorable pour revenir au pays qu'elles auraient
dû ne jamais quitter. La population canadienne-française aux Etats-Unis est encore
très considérable, comme on peut le voir par
les chiffres suivants:—l'Etat du Vermont
compte 14,000 Canadiens-Français; celui de
New-York, 20,000; l'Ohio et la Pensylvanie,
6,000; le Michigan, 30,000; l'Illinois, 20,000;
le Wisconsin, 12,000; l'Indiana, 5,000; le
Minnesota, 15,000—sans compter qu'il y a
encore à peu près 35,000 de nos jeunes
gens enrôlés dans l'armée des Etats-Unis.
Ce qui a eu lieu en Canada a aussi eu lieu
en Acadie, où la population française a
augmenté d'une manière vraiment étonnante.
Cette augmentation a été, de 1707 à 1737,
dans une proportion de 6 pour cent par an;
en 30 ans, elle avait quintuplé. Elle a continué à s'accroître à peu près dans la
même
proportion jusqu'en 1755, l'époque mémorable de la déportation des Acadiens. De
1755 à 1855, les Acadiens ont décuplé par
eux-mêmes, et aujourd'hui la population
franco-acadienne dans les provinces maritimes et dans le Maine, se répartit comme
suit:—
Terreneuve,................. |
15,000 |
Cap Breton,................. |
16,000 |
Ile du Prince-Edouard,...... |
15,000 |
Nouvelle-Ecosse,............ |
22,000 |
Nouveau-Brunswick,.......... |
25,000 |
Maine,...................... |
5,000 |
|
Ce qui forme un total de 98,000 |
Voyons maintenant, M. le PRÉSIDENT,
quelle est l'augmentation annuelle du Haut- Canada. Cette considération est importante,
car elle tend à prouver que dans dix ans le
chiffre des populations du Haut et du Bas- Canada seront égales, et par conséquent
que
les changements constitutionnels motivés par
la question de la représentation basée sur le
nombre n'ont pas de raison d'être:
En 1830, cette augmentation a été de |
10 p. |
c. p. an, |
En1832, elle a été de............... |
8.77 |
" |
En1842, do do ............... |
6.42 |
" |
En1852, do do ............... |
5.62 |
" |
En1861, do do ............... |
4.35 |
" |
En1865, elle sera probablement de .. |
3.00 |
" |
Ce qui équivaut à dire qu'en trente ans
la proportion de cette augmentation a diminué de plus de 50 pour cent, et c'est avec
la diminution de l'immigration que s'est
produit cette diminution dans l'accroissement annuel. Les chiffres suivants, qui
donnent le nombre d'immigrants arrivés
dans le Haut-Canada depuis 1829, le prouvent abondamment:—
Années. |
Immigration. |
1829 à 1833............... |
167,697 |
1834 à 1838............... |
96,351 |
1839 à 1843............... |
123,860 |
1844...................... |
20,142 |
1845...................... |
25,375 |
1846...................... |
32,753 |
1847...................... |
90,150 |
1848...................... |
27,939 |
1849...................... |
38,494 |
1850...................... |
32,292 |
1851...................... |
41,076 |
1852...................... |
39,176 |
1853...................... |
36,699 |
1854...................... |
53,183 |
1855...................... |
21,274 |
1856...................... |
22,439 |
1857...................... |
32,097 |
1858...................... |
12,810 |
1859...................... |
8,778 |
1860...................... |
10,150 |
1861...................... |
19,923 |
1862...................... |
22,176 |
1863...................... |
19,419 |
1864...................... |
19,000 |
En 1854, nous n'avions pas de chemins
de fer comme ceux que nous possédons
aujourd'hui, et par conséquent l'immigration
européenne, qui se dirigeait vers les Etats- Unis, ne passait pas par le Canada, comme
elle le fait aujourd'hui pour les Etats de
l'Ouest. En 1854, l'immigration était de
53,000, et tous ceux qui arrivaient en
Canada s'y fixaient invariablement, mais en
1864, cette immigration est tombée à 19,000,
dont il ne reste pas plus de la moitié dans
le pays; le reste se dirige vers les Etats de
l'Ouest. Ainsi, l'on peut dire que l'immigration, qui était de plus de 53,000 âmes
en
1854, est tombée en dix ans à 8,000 seulement pour le Haut-Canada, tandis que dans
le Bas-Canada nous avons augmenté, par
notre accroissement naturel, dans la proportion de 2-20 pour cent à 3-60 pour cent
durant la même période. Et c'est justement
au moment où notre population augmente
dans cette proportion que l'on veut accorder
au Haut-Canada la représentation basée sur
la population! Pourquoi ne pas résister
encore? On nous dit que si nous attendons
plus tard la disproportion sera plus grande,
601
Je maintiens en m'appuyant sur ces calculs
et sur d'autres considérations, que j'aurai
bientôt l'honneur de soumettre à cette
chambre, que nous ne pouvons que gagner à
attendre, puisque la proportion de notre
accroissement augmente et que l'immigration
diminue. En trente ans, de 1820 à 1860, il
nous est arrivé 942,735 émigrants, qui se sont
presque tous établis dans le Haut-Canada.
De plus, il y a un autre fait que je désire faire
ressortir: c'est que l'émigration irlandaise,
qui s'était élevée, en 1851, à 22,381, a
diminué dans les dix années suivantes, à
376 on 186l, et l'on sait que c'est cette
déportation en masse des enfants de la Verte
Erin qui a fait la population du Haut- Canada ce qu'elle est aujourd'hui. Du
reste, il ne s'agit que de consulter le recensement pour conclure de suite que la
différence
de proportion dans l'augmentation de la
population respective des deux sections,
n'est due qu'à l'arrivée de ce million d'immigrants dans le pays. Si on étudie la
proportion des naissances, ou de l'accroissement naturel, on verra que le Bas-Canada
s'est accru dans une proportion plus rapide
que celle du Haut, et qu'il y a plus de
naissances proportionnellement dans notre
section. A mesure que ces causes factices
d'augmentation diminuent dans le Haut- Canada, nous avons donc la certitude de
rétablir l'équilibre entre les deux populations.
Il y a encore une autre cause qui doit contribuer à rétablir cet équilibre, et je
la
trouve dans un rapport officiel écrit par
l'hon. secrétaire-provincial actuel (M.
MCDOUGALL), lorsqu'il était commissaire
des terres de la couronne. La cause de la
colonisation a attiré, depuis quelques années,
l'attention toute spéciale de notre clergé et
des meilleurs citoyens du pays, du moment
qu'on s'est aperçu que l'augmentation rapide
de la population du Haut-Canada amènerait
bientôt des changements constitutionnels,
ayant pour but la représentation basée sur
la population, et ses conséquences désastreuses pour la minorité.—Depuis cette
époque, de nouvelles routes de colonisation
ont été ouvertes au surplus de la population
des anciens comtés, et nos jeunes gens, au
lieu de s'expatrier, s'enfoncent dans la forêt
pour la défricher et multiplier ainsi la force
de l'élément français. La cause de la diminution de l'accroissement dans le Haut-
Canada, dont je veux parler, se trouve dans
le fait important que les meilleures terres
disponibles sont à peu près épuisées. Je
ne veux pas dire qu'elles ont perdu leur
fertilité, mais seulement qu'elles sont à peu
près toutes occupées. Il n'y a pas besoin
d'autre preuve à mon avancé que le rapport
de l'hon. ministre des terres de la couronne
en 1862, dont je citerai le paragraphe qui
suit:—
"L'on remarquera que la quantité totale des
terres vendues, en 1862, est moindre que celle
vendue en 1861, de 252,471 acres. La diminution équivaut à environ 38 1/2 pour cent.
Ce fait
est significatif et mérite qu'on en recherche la
cause. On peut l'attribuer, je crois, aux perturbations commerciales et monétaires
qui résultent
de la guerre civile dans le pays voisin,—à l'influence de la guerre qui décourage
l'immigration
en Amérique, et à la diminution des ressources
des acheteurs du pays, à raison de la récolte généralement mauvaise de 1862. L'on
peut encore mentionner une autre cause qui, au point de vue officiel,
est plus importante qu'aucune de celles-ci, parce
que son influence n'est pas seulement accidentelle
ou passagère. Et cette cause est que la quantité
de terre réellement bonne qui se trouve aujourd'hui sur le marché est, malgré les
arpentages
récents, beaucoup moindre qu'elle n'était autrefois, et diminue rapidement. Les nouveaux
arpentages faits dans le Haut-Canada durant les cinq
dernières années, n'ont pas ajouté moins de
2,808,172 acres au tableau des terres du département. Dans le Bas-Canada, l'accroissement
durant la même période a été de 1,968,168 acres.
Cependant, il est douteux qu'il y ait aujourd'hui
une aussi grande quantité de terres, de première
qualité, à la disposition du département, qu'il y
en avait en l857. Les terres du clergé, des écoles
et de la couronne de la Péninsule Occidentale, les
plus précieuses sous le rapport de la qualité et de
la situation, de toutes les terres incultes de la
province. sont presque toutes vendues; les quelques lots qui restent sont généralement
d'une
qualité inférieure. Les nouveaux cantons situés
entre Outaouais et le lac Huron contiennent beaucoup de bonne terre, mais ils sont
séparés des
cantons établis qui bordent le St. Laurent et la
rive nord du lac Ontario par une ceinture rocheuse
et aride qui varie en largeur de dix à vingt milles,
et qui présente des obstacles sérieux à l'établissemont des colons. De plus, les bonnes
terres de
ces nouveaux cantons sont en petites étendues,
éparses çà et là, et séparées les unes des autres
par des crêtes rocheuses, des marais et des lacs,
qui rendent difficile la construction de chemins, et
interrompent la continuité de l'établissement.
Ces circonstances défavorables ont induit les
meilleurs colons du Haut-Canada à chercher des
terres appartenant aux particuliers, de meilleure
qualité et mieux situées, quoique le prix et les
conditions de vente soient plus élevés et moins
faciles que pour les terres de la couronne."
Je crois qu'il y a dans ce rapport officiel
un fait très important pour le Bas Canada,
et qu'il est bon de constater avant de décider
si nous devons changer la constitution actuelle. Quand la population n'augmente
602
plus sensiblement par l'immigration dans le
Haut-Canada, et qu'elle augmente plus
rapidement dans le Bas-Canada par son
accroissement naturel; quand l'émigration
de nos compatriotes aux Etats-Unis a cessé;
quand les meilleures terres du Haut-Canada
sont occupées et que le territoire du Bas- Canada commence à peine à s'ouvrir, je
ne
vois pas pourquoi nous nous hâterions tant
d'abandonner la lutte que nous avons faite
avec tant de succès jusqu'ici pour accorder,
sans raison, la représentation basée sur la
population. Et voici à ce sujet ce que
disait, dans le même rapport, l'hon. secrétaire- provincial actuel,—dont les paroles
confirment parfaitement mon avancé:—
"Dans le Bas-Canada, les terres vendues en
1862 ont atteint un chiffre d'un peu plus du
double de la quantité vendue dans le Haut-Canada.
Les découvertes de mines de cuivre et autres dans
les cantons de l'Est, et l'ouverture de meilleures
voies de communication, ont causé une affluence
de population considérable dans cette partie du
Bas-Canada, et une augmentation correspondante
dans la demande de terres publiques disponibles.
Les nouveaux arpentages faits sur le versant sud
des hauteurs qui bordent le St. Laurent, entre
Montréal et Québec, ont développé une quantité
très considérable de bonnes terres, qui sont
rapidement prises."
Voici la conséquence de ce fait signalé par
le commissaire des terres de la couronne
de cette époque: c'est que si les terres puques ne se vendent qu'à des colons, du
moment que l'on établit que la quantité de
terres vendues dans le Bas-Cana est double
de celles vendues dans le Haut-Canada, je
suis en droit de conclure que l'étendue
défrichée est réellement double, et comme
conséquence nécessaire que la population
doit augmenter dans la même proportion.
De là je conclus que la question de la représentation basée sur la population tend
chaque
jour à se résoudre d'elle-même. Ainsi, voici
un homme que l'on ne peut certainement
pas accuser de partialité pour le Bas-Canada,
et dont on ne contestera pas les connaissances
approfondies, qui déclare officiellement que
nous augmentons dans une beaucoup plus
grande proportion que le Haut. Et c'est au
moment où nous sommes sur le point de
nous maintenir sur la brèche que nous allons
céder le terrain et abandonner la lutte! Nos
jeunes gens émigraient aux Etats-Unis, il y
a quelques années, parce que nous n'avions
pas de chemins de colonisation pour leur
ouvrir les forêts du Bas-Canada, comme nous
en avons aujourd'hui. Et pourquoi n'en
avions-nous pas? Parce que, jusqu'à tout
dernièrement, le ministère des terres de la
couronne, de même que celui de l'agriculture
et de l'immigration, ont toujours été confiés
aux membres Haut-Canadiens de l'administration. Le Haut-Canada comprenait l'importance
de ces départements pour le développement matériel de sa section du pays.
Aussi toutes les améliorations se faisaient- elles dans l'Ouest, et toute l'immigration
était-elle dirigée de ce côté. Aujourd'hui
que l'on s'est aperçu des résultats de cette
politique habilement tramée, la partie Bas- Canadienne du ministère s'occupe davantage
de la colonisation de nos terres incultes, et
nous voyons le clergé, de même que tous les
hommes politiques et influents, seconder ses
efforts. Nous avons des sociétés de colonisation partout, et le résultat de leur travail.
c'est que les terres publiques sont prises et
occupées à mesure qu'on les arpente, et que
les colons devancent même très souvent les
routes que le gouvernement fait ouvrir à
travers la forêt. Ces faits sont assez importants pour mériter notre sérieuse considération,
d'autant plus que le rapport de l'hon.
secrétaire-provincial appuie sur certains
points les faits que je signale. Les familles
canadiennes, aujourd'hui aux Etats-Unis, sont
heureuses de revenir parmi nous pour développer les ressources de notre territoire,
et
si le gouvernement, au lieu de faire des
changements constitutionnels, établissait un
vaste système de colonisation, et attirait ici
nos compatriotes des Etats de l'Union Américaine ainsi qu'une immigration européenne
congénère, nous n'aurions pas besoin de nous
occuper des changements politiques qu'on
nous propose, et dont le but évident est
l'anéantissement de notre influence en Amérique. (Ecoutez!) Le but du projet de
confédération, au point de vue du ministère,
est la formation d'un vaste empire limité
par l'océan Pacifique d'un côté, par l'océan
Atlantique de l'autre, au sud par l'Union
Américaine et s'étendant jusqu'au pôle nord,
laissant à l'ouest l'Amérique Russe. Certes,
ce projet est grandiose, est magnifique, et
est bien fait pour exciter l'ambition des
hommes les plus marquants de l'Amérique
Britannique du Nord. L'opposition comprend parfaitement le noble but des promoteurs
de cette confédération que l'on veut
établir sur une base monarchique,—en
opposition à l'Union Américaine basée sur le
principe démocratique et républicain; —
mais l'opposition comprend aussi que cette
603
création d'un empire offre de graves difficultés, non seulement parce qu'il s'élève
en
opposition à la puissante république voisine,
essentiellement opposée aux institutions monarchiques, mais parce que les différences
de nationalités, de religions et d'intérêts
sectionnels sont autant de pierres d'achoppement contre lesquelles viendront se heurter
les dispositions principales du projet de
confédération. Il ne faut pas croire que
l'opposition ne combat ce projet que parce
qu'elle n'en comprend pas la portée.
Elle le comprend, au contraire, et n'y voit
que des dispositions qui lui sont hostiles.
Aujourd'hui le Canada, avec l'égalité sectionnelle, ne forme qu'un seul peuple dont
les tendances et les aspirations sont communes; mais avec la confédération il n'en
sera plus ainsi: nous aurons une minorité contre une majorité, dont les tendances
agressives se sont toujours manifestées chaque
fois qu'elle a eu la puissance du nombre. Si
les populations de toutes les provinces étaient
homogènes, si leurs intérêts, leurs idées,
leurs croyances, leur nationalité étaient identiques, nous serions peut-être plus
portés à
accepter les dispositions peu judicieuses du
projet qui nous est soumis,—mais comme
rien de tout cela n'est identique, nous croyons
qu'il y a danger pour nous à les accepter.
Autrefois, la France possédait toute cette
partie du continent, et les colons de cette
époque,—cultivateurs, pêcheurs, chasseurs
ou coureurs de bois,—parcouraient toute
1'étendue de ces immenses possessions qui
avaient nom la Nouvelle-France; aujourd'hui, que lui reste-t-il d'un territoire dont
l'étendue égale celle de l'Europe même?
Une pauvre petite île située à l'entrée du
golfe, un pied à terre pour ses pêcheurs, et
quelques arpents de grève sur les côtes de
Terreneuve.—Quand on étudie ce fait, quand
on voit la puissance française complètement
détruite sur ce continent,—n'avons-nous pas
le droit de nous montrer sévères dans l'appréciation du projet de constitution qui
nous
est soumis, et qui n'a d'autre but, je le répète,
que de compléter l'œuvre de la destruction
de l'influence de la race française en Amérique? Est-ce que le passé ne nous a pas
appris à nous défier de l'avenir? Oui, M. le
PRÉSIDENT, la politique de l'Angleterre a
toujours été agressive et a toujours eu pour but
notre anéantissement comme peuple—et ce
projet de confédération n'est que la continuation de l'application de cette politique
sur ce continent; son véritable but n'est que
l'anéantissement de l'influence française en
Canada. En recherchant si les moyens d'action employés aujourd'hui n'ont pas de précédents
dans l'histoire, il est facile de trouver
des renseignements précieux. Il fut un
temps après la conquête de l'Angleterre par
les Normands, où la langue française était la
langue générale et officielle. Pendant quatre
siècles, le français fut la langue de la nation;
mais plus tard, les conquérants furent obligés
d'adopter la langue des vaincus. En étudiant l'histoire du parlement anglais, on voit
qu'avant l'année 1425 il n'avait pas été introduit dans la législature un seul projet
de loi
qui ne fût en français. Mais à cette époque
le premier projet de loi en anglais fut présenté au parlement; et vingt-cinq ans plus
tard, en 1450, on trouve le dernier acte présenté en français dans le gouvernement
anglais. Après cette date, on ne voit plus de
trace de la langue française au parlement;
il n'avait fallu que vingt-cinq ans pour la
faire disparaître entièrement. Il y a un autre
fait historique qui se rattache à l'existence
politique des peuples, et qu'il est bon de
noter. On sait pendant combien de temps
l'Ecosse et l'Irlande résistèrent à l'envahissement de l'Angleterre. La lutte fut
longue et obstinée, mais ces deux nations
durent céder à la politique d'envahissement
et à la puissance d'assimilation de la nation
anglaise. Mais voyons quels moyens l'Angleterre a employés pour arriver à son
but. L'histoire impartiale nous le dit —
comme elle dira aussi quels sont les moyens
employés aujourd'hui pour anéantir notre
race sur ce continent. L'histoire inscrit en
lettres d'or, sur ses plus belles pages, les noms
des hommes qui ont combattu pour les droits
et les libertés des peuples; mais aussi elle
inscrit sur ses pages les plus sombres les
noms de ceux qui vendent ces libertés et ces
droits pour des titres, des honneurs, du pouvoir et de l'or. Nous jouissons aujourd'hui
d'un gouvernement responsable chèrement
acheté au prix d'un siècle de luttes héroïques,
et, avant que de céder un pouce de terrain
conquis, nous devons examiner ce que nous
promettent les changements constitutionnels
projetés. Profitons de l'exemple des peuples
qui pleurent amèrement aujourd'hui la
perte de leurs droits politiques, amenés par
des changements constitutionnels du genre
de ceux qui sont aujourd'hui proposés au
Bas-Canada.—Voici ce que je lis à propos
de la réunion de l'Ecosse à |'Angleterre, en
1706:—
604
"La reine ANNE exécuta, en 1706, un projet
inutilement tenté par GUILLAUME III, la réunion
de l'Angleterre et de l'Ecosse en un seul royaume
sous la domination de la Grande-Bretagne. L'indocilité des Ecossais, l'antipathie
mutuelle des
deux peuples, les troubles sans cesse renaissants
de ces principes, rendaient le projet fort utile et
en même temps multipliaient les obstacles."
Ainsi, l'on voit que l'antipathie des deux
races suscitait de nombreux obstacles au projet
de l'Angleterre, et pour faire disparaître ces
obstacles on prit exactement les mêmes
moyens que ceux adoptés ici pour préparer la
confédération, c'est-à-dire que l'on nomma
une conférence, ou des commissaires chargés
de préparer l'acte de réunion. Ces commissaires s'entendirent sur la question générale,
mais, dit. M. EMILE DE BONNECHOSE,—
"Les dissentiments éclatèrent sur la manière
dont les Anglais entendaient composer le nouveau
parlement des royaumes-unis, et tandis que la
population de l'Ecosse était le sixième de la populution anglaise, ils n'accordaient
à la représentation de ce royaume, dans les communes, que quarante-quatre membres,
ou un treizième de la
représentation totale. Seize pairs seulement
devaient être choisis par élection dans le corps
entier de la pairie écossaise pour siéger dans la
chambre des lords en Angleterre. La rigueur de
ces dernières clauses, dans lesquelles le peuple
écossais vit une offense, excita un mécontentement
général: il devait résulter, pour les premiers
temps surtout, d'un traité d'union entre les deux
peuples un froissement d'intérêt matériel préjudiciable à un grand nombre, comme il
arrive à la
suite de toute importante commotion politique:
les blessures de l'amour-propre national auraient
suffi d'ailleurs pour rendre les Ecossais insensibles
aux avantages éloignés de ce pacte, et tous les
partis, whigs et torys, jacobistes et williamistes,
presbytériens, épiscopaux et cameroniens, s'unirent pour le rejeter."
Ainsi, nous voyons ici une population
presque toute entière s'unir pour repousser
le projet d'union qu'on veut lui imposer, et
cependant, malgré l'opposition presque unanime de l'Ecosse, l'Angleterre parvient
à
imposer cette union par les moyens dont elle
n'hésite pas à faire l'emploi.
"Les commissaires du gouvernement furent en
butte aux insultes de la population qui brisa les
maisons de plusieurs officiers de l'État partisans
de l'union, tandis qu'elle portait aux nues le duc
de HAMILTON, le plus illustre entre les opposants
Les ducs de QUEENSBERRY et d'ARGYLE, les comtes
de MONTROSE, de STAIR, de ROXBURGH et de MARCHMONT essayèrent en vain d'opposer la
raison à
l'explosion du sentiment patriotique et de fureur
nationale, et ce que les meilleurs arguments ne
purent obtenir la corruption le fit. Une partie de
l'or promis par les commissaires anglais, comme
dédommagement des charges nouvelles qui allaient
peser sur le royaume voisin, fut répartie entre
leurs collègues écossais et plusieurs membres
influents du parlement siégeant à Edimbourg: dès
lors, tous les obstacles furent aplanis; le traité
d'union, que la majorité du peuple écossais considérait comme un suicide, et que n'eussent
point
sanctionné les hommes les plus purs et les plus
irréprochables, obtint l'assentiment d'une majorité
vénale: ce pacte fameux, enfin, réputé un opprobe
pour l'Ecosse, où elle voyait l'immolation de ses
intérêts et de sa gloire, et qui devait lui ouvrir,
dans la suite des temps, une ère jusque-là inconnue de paix et de prospérité, fut
signé le ler
mai 1707, et fut considéré comme une grande
victoire par l'Angleterre, tout enivrée déjà du
succès de ses armes sur le continent."
Voilà, M. le PRÉSIDENT, un exemple frappant de la manière dont la politique de
l'Angleterre sait triompher des résistances
les mieux motivées, même contre la volonté
unanime d'une race. On voit l'Ecosse considérer l'union avec l'Angleterre comme un
suicide, et cependant l'union trouve une
majorité en sa faveur dans le parlement
d'Edimbourg Je n'ai pas besoin, M. le PRÉSIDENT de commenter ces faits plus longuement:
ils parlent assez éloquemment par
eux-mêmes. (Ecoutez! écoutez!) Il y a un
autre fait dans l'histoire politique de l'Angleterre qu'il est bon de rappeler à cette
chambre; c'est l'abolition du parlement de
Dublin. L'hon. ministre de l'agriculture
(M. MCGEE) nous a dit, dans ce langage
fleuri qui caractérise les enfants de son pays,
que lui-même avait combattu, lorsqu'il n'avait
encore que vingt ans à peine, pour soustraire son pays à la tyrannie de l'Angleterre,
et que n'ayant pu réussir dans sa noble
entreprise, il avait préféré s'exiler sur cette
terre d'Amérique plutôt que d'être chaque
jour témoin des malheurs et des souffrances
de sa patrie. Et, cependant, que fait-il
aujourd'hui? ll veut, avec l'appui d'une
majorité hostile, imposer au Bas-Canada, sa
patrie d'adoption, une union qui lui répugne,
et renouveler ici le système d'oppression qu'il
a pleuré en Irlande. (Ecoutez! écoutez!)
Voici les moyens dont on s'est servi pour
imposer à l'Irlande cette union qui devait
amener l'exode en masse de sa population:—
"Quant à l'lrlande, la lutte fut plus longue;
mais l'Angleterre finit aussi par triompher. Après
la crise de 1798, dit M. GUSTAVE DE BEAUMONT,
l'Angleterre, tenant sous sa main l'Irlande rebelle
et vaincue, l'a châtié sans réserve et sans pitié.
Vingt ans auparavant, l'lrlande était rentrée en
possession de ses libertés politiques; l'Angleterre
conserve un souvenir amer de ces succès de
l'Irlande, et elle va profiter de l'abaissement de
celle-ci pour la replacer sont son joug absolu.
605
Le parlement d'Irlande, depuis qu'il a recouvré
son indépendance, est devenu gênant pour l'Angleterre; il faut, pour s'en rendre maître,
des
soins infinis de corruption, en dépit desquels on
rencontre encore chez lui des résistances; l'occasion est favorable pour le supprimer:
en conséquence; le gouvernement anglais résout de l'abolir. A cette nouvelle, la pauvre
Irlande s'agite
un instant, comme un corps qui vient d'être privé
de vie, se remue encore sous le fer qui le mutile et
le déchire. Sur trente-deux comtés, vingt-et-un
réclament énergiquement contre la destruction
du parlement irlandais. Ce parlement, auquel on
est obligé de demander un acte de suicide, le
refuse et maintient par son vote son existence
constitutionnelle.
"Indigné de la servilité qu'on ose demander au
corps dont il fait partie, GRATTAN repousse avec
véhémence le projet ministériel. Mais toutes ces
résistances seront veines. La seule qui, en définitive, élève un obstacle sérieux
aux vues de
l'Angleterre est celle du parlement irlandais qui
ne veut pas voter son anéantissement. Eh bien!
jusqu'alors, on avait acheté ses actes, on va cette
fois acheter sa mort. La corruption est aussitôt
pratiquée sur une vaste échelle; des places, des
pensions, des faveurs de toute sorte, des pairies,
des sommes d'argent sont prodiguées, et les mêmes
hommes qui, en 1799, avaient repoussé le projet
d'union, l'adoptent, le 26 mai 1800, à une majorité
de cent-dix-huit voix contre soixante-treize, et
cette majorité était composée d'hommes qui
étaient ou pensionnaires de l'Etat, ou fonctionnaires publics. Ainsi s'accomplit,
imposé par la
violence, aidé par la corruption, l'acte destructif du
parlement irlandais, non sans soulever en Irlande
tout ce qu'il y restait de passions nationales et
de sentiments patriotiques."
M. le PRÉSIDENT, quand on a pour
apprécier la politique de l'Angleterre des
actes comme ceux- là, il est juste que ceux
qui n'ont pas les mêmes raisons que les hon.
députés qui siégent sur les banquettes ministérielles, pour désirer les changements
constitutionnels, aient au moins l'occasion d'étudier
attentivement tous les détails de la mesure
qu'on nous propose. Pour ma part, je suis
satisfait de la constitution actuelle, et prêt à
la défendre contre tout ennemi qui voudrait
attaquer notre territoire. Mais je dois le
dire, si on change cette constitution malgré
la volonté du peuple, ou ne trouvera plus
chez les Canadiens Français cet élan qui les
a toujours distingué par le passé, et qui leur
a permis de vaincre des ennemis dix fois
plus nombreux. (Ecoutez! écoutez!) L'antagonisme des deux races anglaise et française,
que j'ai signalé en Europe, semblait n'avoir
pas de raison d'être en Amérique. Cependant,
la lutte s'est continuée dans le Nouveau
Monde après avoir commencé sur l'ancien
continent. Aujourd'hui encore, cette lutte
se continue et, malgré les protestations
d'amitié sincère échangées entre Paris et
Londres, nous voyons toujours la France et
l'Angleterre face à face, l'épée au poing, ayant
l'une pour l'autre le respect que la crainte
peut seule leur inspirer. Et ces sentiments
de rivalité et d'antagonisme qui ont toujours
existé, et qui existent encore aujourd'hui
entre les deux races, s'effaceront-ils chez leurs
descendants canadiens pour les fondre en
une seule nation? Mais c'est là l'impossible!
Quoique vous fassiez les mêmes sentiments
existeront toujours. Ils sont blâmables peut- être, mais ils existent, et sont dans
la nature
même des deux peuples. Il y a dans la
langue, dans la religion, dans les institutions,
dans les habitudes d'un peuple autant d'obstacles à l'union avec un autre peuple dont
la langue, la religion, les institutions et les
habitudes sont différentes des siennes Et
pense-t-on que ces sentiments de rivalité et
ces raisons d'éloignement disparaîtront avec
l'adoption du projet de confédération que l'on
nous propose? Pour ma part, je voudrais
voir en Canada les deux nationalités rivaliser
de progrès dans les travaux utiles de la paix.
Cette rivalité, non pas dans des luttes corps à
corps, mais dans la louable ambition de
réaliser la plus grande prospérité, comme
d'arriver aux plus hautes sphères de la
science et aux plus profonds secrets des arts,
donnerait à notre pays une puissance égale à
la résultante des forces réunies de la France
et de l'Angleterre, employées jusqu'à ce jour
à pousser le monde vers les prodiges réalisés
par le dix-neuvième siècle. Avec l'égalité
du nombre et de la représentation sectionnelle,
les deux nationalités ne peuvent se heurter
l'une contre l'autre; mais avec la confédération, comme nous serons dans une très
grande minorité dans le parlement général,
qui a tous les pouvoirs importants de la
législation, nous aurons à lutter constamment
pour la défense et la conservation de nos
droits politiques et de nos libertés. Sous
l'union, les Canadiens-Français sont divisés
dans cette chambre en deux camps opposés,
parce qu'ils n'ont rien à craindre pour leurs
intérêts nationaux; mais, avec la confédération, comme nous n'aurons que 48 membres
français contre 146 dans la législature fédérale, il faudra que ces députés marchent
comme un seul homme, et le fait seul de
cette union des Canadiens-Français en une
phalange serrée, fera que l'élément anglais
s'unira de son côté pour la briser et la vaincre.
C'est parce que je crains ces luttes que je ne
puis approuver une constitution qui ne
606
garantit pas nos droits politiques, et dont le
fonctionnement amènera nécessairement des
conséquences désastreuses pour notre race.
(Ecoutez! écoutez!) La lutte des nationalités, qui s'est trop longtemps faite en Europe,
semblait ne pas avoir de raison d'être en
Amérique. Il semblait qu'il y avait sur ce
continent assez d'espace et assez d'avenir pour
permettre à tout le monde, à tous les principes
et à toutes les nationalités, d'y vivre en paix
sans se coudoyer et sans se heurter. Il
semblait que ceux qui avaient émigré de
l'ancien monde devaient avoir à coeur de
former sur ce continent de puissantes nations,
sans y apporter les haines religieuses et
nationales qui avaient divisé et ensanglanté
l'Europe pendant si longtemps. Et, cependant, qu'avons-nous vu ici? Nous avons vu
la France qui, la première, avait lancé les
premiers apôtres du christianisme dans les
vastes solitudes de l'Amérique du Nord, la
France, qui la première avait planté son
noble drapeau sur l'Ile de Montréal et les
hauteurs de Québec; nous avons vu la France
perdre jusqu'au dernier pouce de terrain
qu'elle avait conquis sur ce continent, et ne
laisser à ses enfants abandonnés en Canada
qu'un avenir de luttes et de combats contre
l'esprit d'envahissement de sa puissante
rivale. (Ecoutez! écoutez!) Dès le commencement de la domination française en
Amérique, nous avons vu se reproduire ici
les luttes qui divisaient le continent Européen.
On détruisait les bourgs et les villages comme
s'il n'y avait pas eu assez d'espace dans ce
nouveau monde pour les quelques poignées
d'hommes venus pour l'habiter. Les premières scènes de cette guerre inqualifiable
se sont passées en Acadie dès 1613 . Voici
ce que je trouve dans GARNEAU à ce sujet:
"LA SAUSSAYE commença en 1612, sur la rive
gauche de la rivière Penobscot, un établissement qu'il nomma St Sauveur. Tout alla
bien
d'abord, et l'on se flattait déjà d'un succès au- delà de toute espérance, lorsqu'un
orage inattendu
vint fondre sur la colonie et l'étouffer dans son
berceau. L'Angleterre réclamait le pays jusqu'au
45e degré de latitude septentrionale, c'est-à-dire
tout le continent en remontant au nord jusque
dans le cœur de l'Acadie. La France, au contraire, prétendait descendre vers le sud
jusqu'au
40e degré. Il résultait de ce conflit que, tandis
que LA SAUSSAYE se croyait dans les limites de la
Nouvelle-France, à St. Sauveur, les Anglais le
disaient fort avant sur leur territoire. Pour soutenir
leur prétention, le capitaine ARGALL, de la Virginie, résolut d'aller le déloger,
aiguillonné par
l'espoir de faire un riche butin et par ses préjugés
contre les catholiques, qui avaient été cause de la
ruine de POUTRINCOURT."
Ainsi, dès 1612, c'est-à-dire deux ou trois
ans seulement après la fondation de Québec,
on voit déjà les luttes de religion et de race
commencer leur œuvre d'exclusivisme sur
notre continent, et nous aurons encore à
faire ces luttes, quelque désagréables qu'elles
soient. Je continue:—
"Il parut tout à coup devant St Sauveur avec
un vaisseau de 14 canons, et jeta la terreur
parmi les habitants sans défense qui le prirent
d'abord pour un corsaire. Le P. GILBERT DU THET
voulut en vain opposer quelque résistance. Il
fut tué et l'établissement livré au pillage. Tout
fut pris ou saccagé, ARGALL lui-même donnant le
premier exemple. Pour légitimer cet acte de piraterie, car c'en était un, il déroba
la commission de
LA SAUSSAYE et fit semblant de le regarder, lui et
les siens, comme des gens sans aveu. Peu à peu
cependant il parut se radoucir, et proposa à ceux
qui avaient des métiers de le suivre à Jamestown,
d'où, après avoir travaillé un an, ils seraient
rendus à leur patrie. Une douzaine acceptèrent
cette offre. Les autres, avec LA SAUSSAYE et le P.
MASSE, préférèrent se risquer sur une frêle embarcation pour atteindre la Hève, où
ils trouvèrent un
bâtiment de St. Malo qui les transporta en France.
"Ceux qui s'étaient fiés à la parole d'ARGALL
furent bien surpris, en arrivant à Jamesown, de se
voir jeter en prison et traiter comme pirates. Ils
réclamèrent vainement l'exécution du traité conclu
avec lui: ils furent condamnés à mort. ARGALL,
qui n'avait pas songé que la soustraction de la
commission de LA SAUSSAYE finirait d'une manière
aussi grave, ne crut pas devoir pousser la dissimulation plus loin, remit cette commission
au
gouverneur, le chevalier THOMAS DALE, et avoua
tout. Ce document et les renseignements puisés
dans le cours de l'affaire, engagèrent le gouvernement de la Virginie à chasser les
Français de
tous les points qu'ils occupaient au sud de la ligne
45e. Une escadre de trois vaisseaux fut mise sous
les ordres du même ARGALL pour aller exécuter
cette résolution.
"La flotte commença par ruiner tout ce qui
restait de l'ancienne habitation de Ste. Croix,
vengeance inutile, puisqu'elle était abandonnée
depuis plusieurs années, et cingla vers Port Royal
où elle ne trouva personne, tout le monde étant
aux champs à deux lieues de là et, en moins de
deux heures, toutes les maisons furent réduites en
cendre avec le fort."
Eh bien! M. le PRÉSIDENT, cette scène
de dévastation et de vandalisme sur notre
continent, qui comptait alors à peine 1,000
blancs, donne la clé de tous les événements
qui ont eu lieu depuis cette époque jusqu'à
la conquête du Canada par les Anglais. Il
y a dans ce fait la corroboration du principe
qui veut que la nation la plus forte opprime
la plus faible, à moins que des circonstances
spéciales ne protégent l'une contre l'autre. Il
y a ici la preuve que l'égalité sectionnelle
garantie par le système de gouvernement
607
que nous possédons, a pu seule permettre en
Canada aux différentes nationalités de vivre
paisiblement l'une près de l'autre et de
travailler avec succès à la prospérité commune. (Ecoutez! écoutez!) Mais la lutte
commencée en 1613 entre la France et l'Angleterre devint plus meurtrière après un
siècle et demi d'occupation; elle se répandit
sur toute la frontière de la Nouvelle-France.
A l'instigation de la race rivale, les tribus
sauvages se ruèrent sur tous les établissements français du pays; et une guerre
acharnée se poursuivit sans relâche, dans le
but seul de chasser les Français de ce continent. Nous savons aujourd'hui quel a
été le résultat de cette lutte. On nous dit
que nous n'avons pas à nous plaindre du
système de gouvernement que nous avons
aujourd'hui. C'est vrai; mais si nous avons
ce gouvernement, c est parce que depuis la
conquête les débris de la nation française
restés au pays ont vaillamment lutté pour
l'obtenir. Sans la révolution américaine,
nous aurions eu aussi notre large part de souffrances et d'humiliations comme celles
que
l'on a fait subir aux Acadiens. Le traitement
que l'Angleterre leur a fait subir est un
exemple de ce qui aurait pu nous arriver,
sans notre nombre, et plus tard sans notre
voisinage de la république américaine. Il
existait en Acadie un noyau de Français qui
vivaient paisibles et heureux, et qui s'étaient
soumis à la domination anglaise sans murmurer, et cependant, parce qu'ils étaient
faibles et qu'ils n'avaient plus le bras de la
France pour les protéger, on les a vus
déportés comme des nègres sur la côte d'Afrique par la philanthropique Angleterre.
C'est là un fait historique important qu'il
ne faut pas oublier, et dont il est bon de
mettre les détails sous les yeux de notre
population, au moment où l'élément anglais
poursuit avec une ténacité digne d'une cause
plus noble, une politique agressive et envahissante, cachée sous le projet de confédération
qui nous est soumis. L'hon. député de
Lanark Sud (M. MORRIS) nous disait,
l'autre jour, que nous devions remercier
l'Angleterre et lui être très reconnaissants
du système de gouvernement que nous avions
reçu d'elle. Mais à qui le doit-on, ce
système? Est-ce à la libéralité de l'Angleterre? N'avons-nous pas obtenu nos droits
politiques qu'au moment où elle ne pouvait
plus sûrement nous les refuser? Non! M.
le PRÉSIDENT, nous ne devons de reconnaissance et de remerciements qu'à nos com patriotes qui, de tout temps, ont vaillamment
combattu pour les obtenir. Quand nous
voyons des colonies françaises qui gémissent
encore aujourd'hui sous le régime colonial
anglais, et qui se plaignent à l'Europe des
traitements qu'on leur fait subir, nous devons
conclure que nous ne devons rien à l'Angleterre, mais qu'au contraire nous devons
tout à
ceux qui, après un siècle de luttes, nous ont
obtenu les réformes gouvernementales dont
nous jouissons. Afin que notre population
sache à quoi s'en tenir sur cette libéralité
qu'on nous vante si souvent, permettez-moi,
M. le PRÉSIDENT, de citer ici quelques
pages de l'histoire du peuple acadien:
"La guerre de 1774 commença ses infortunes;
celle de sept ans consomma sa ruine totale. Depuis
quelque temps, les agents anglais agissaient avec la
plus grande rigueur; les tribunaux, par des violations flagrantes de la loi, par des
dénis systématiques de justice, étaient devenus pour les pauvres
habitans un objet à la fois de terreur et de haine. Le
moindre employé voulait que sa volonté fût obéie.
"Si vous ne fournissez pas de bois à mes troupes,
disait un capitaine MURRAY, je démolirai vos
maisons pour en faire du feu." "Si vous ne
voulez pas prêter le serment de fidélité, ajoutait
le gouverneur HOPSON, je vais faire pointer mes
canons sur vos villages." Rien ne pouvait engager
ces hommes honorables à faire un acte qui
répugnait à leur conscience et que, dans l'opinion
de bien des gens, l'Angleterre n'avait pas même
le droit d'exiger. " Les Acadiens, observe M.
HALIBURTON, n'étaient pas des sujets britanniques,
puisqu'ils n'avaient point prêté le serment de
fidélité, et ils ne pouvaient être conséquemment
regardés comme des rebelles; ils ne devaient pas
être non plus considérés comme prisonniers de
guerre, ni envoyés en France, puisque depuis près
d'un demi-siècle on leur laissait leurs possessions
à la simple condition de demeurer neutres." Mais
beaucoup d'intrigants et d'aventuriers voyaient
leurs belles fermes avec envie; quels beaux
héritages! et, par conséquent, quel appât. Il ne
lui fut pas difficile de trouver des raisons politiques pour justifier l'expulsion
des Acadiens. La
très grande majorité n'avait fait aucun acte pour
porter atteinte à la neutralité; mais, dans la
grande catastrophe qui se préparait, l'innocent
devait être enveloppé avec le coupable. Pas un
habitant n'avait mérité grâce. Leur sort fut
décidé dans le conseil du gouverneur LAWRENCE,
auquel assistèrent les amiraux BOSCAWEN et
MOSTYN, dont les flottes croisaient sur les côtes.
Il fut résolu de disperser dans les colonies anglaises ce qui restait de ce peuple
infortuné; et,
afin que personne ne pût échapper, le secret le
plus profond fut ordonné jusqu'au moment fixé
pour l'enlèvement, qui devait avoir lieu le même
jour et à la même heure sur tous les points
de l'Acadie à la fois. On décida aussi, pour
rendre le succès plus complet, de réunir les habitants dans les principales localités.
Des proclamations, dressées avec une perfide habileté, les
invitèrent à s'assembler dans certains endroits
608
sous les peines les plus rigoureuses. Quatre cent
dix-huit chefs de famille, se fiant sur la foi britannique se réunirent ainsi le 5
septembre dans
l'église du Grand-Pré. Le colonel WlNSLOW s'y
rendit avec un grand appareil. Là il leur montra
la commission qu'il tenait du gouverneur, et leur
dit qu'ils avaient été assemblés pour entendre la
décision finale du roi à leur égard. Il leur déclara
que quoique ce fût pour lui un devoir bien
pénible à remplir, il devait, en obéissance à ses
ordres, les informer " que leurs terres et leurs
bestiaux de toutes sortes étaient confisqués au
profit de la couronne avec tous les autres effets,
excepté leur argent et leur linge, et qu'ils allaient
être eux-mêmes déportés hors de la province."
Aucun motif ne fut donné de cette décision, et il
n'en pouvait être donné aucun. En pleine civilisation et en temps de calme politique
et religieux,
une pareille spoliation n'était point justifiable
et il devait, comme l'usurier, dissimuler son forfait
par le silence. Un corps de troupes, qui s'était
tenu caché jusque-là, sortit de sa retraite et cerna
l'église: les habitants, surpris et sans armes, ne
firent aucune résistance. Les soldats rassemblèrent les femmes et les enfants; 1023
hommes,
femmes et enfants, se trouvèrent réunis au Grand- Pré seulement. Leurs bestiaux consistaient
en
1269 boeufs, 1557 vaches, 5007 veaux, 493 chevaux, 3690 moutons, 4197 cochons. Quelques
Acadiens s'étant échappés dans les bois, on dévasta le pays pour les empêcher de subsister.
Dans les Mines l'on brûla 276 granges, 155 autres
petits bâtiments, onze moulins et une église.
Ceux qui avaient rendu les plus grands services
au gouvernement, comme le vieux notaire LE
BLANC, qui mourut à Philadelphie de chagrin et
de misère, en cherchant ses fils dispersés dans les
provinces anglaises, ne furent pas mieux traités
que ceux qui avaient favorisé les Français. On
ne fit aucune distinction. Il fut permis aux
hommes de l'une comme de l'autre catégorie, et
c'est le seul adoucissement qu'on leur permit avant
de s'embarquer, de visiter, dix par dix, leurs
familles, et de contempler pour la dernière fois
ces champs naguères si calmes et si heureux qui
les avaient vus naîtres et qu'ils ne devaient plus
revoir. Le 10 fut fixé pour l'embarquement. Une
résignation calme avait succédé à leur premier
désespoir. Mais lorsqu'il fallut dire un dernier
adieu à leur pays pour aller vivre dispersés au
milieu d'une population étrangère de langue, de
coutume, de mœurs et de religion, le courage
abandonna ces malheureux, qui se livrèrent à la
plus profonde douleur. En violation de la promesse qui leur avait été faite, et, par
un rafinement
de barbarie sans exemple les mêmes familles
furent séparées et dispersées sur différents vaisseaux. Pour les embarquer, on rangea
les prisonniers sur six de front, les jeunes gens en tête.
Ceux-ci ayant refusé de marcher, réclamant l'exécution de la promesse d'être embarqués
avec
leurs parents, on leur répondit en faisant avancer
contre eux les soldats la bayonnette croisée. Le
chemin de la chapelle du Grand-Pré à la rivière
Gaspareaux avait un mille de longueur; il était
bordé des deux côtés de femmes et d'enfants qui,
à genoux et fondant en larmes, les encourageaient
en leur adressant leurs bénédictions. Cette
lugubre procession défila lentement en priant et
en chantant des hymnes. Les chefs de famille
marchaient après les jeunes gens. Enfin, la procession atteignit le rivage. Les hommes
furent
mis sur des vaisseaux, les femmes et les enfants
sur d'autres, pêle-mêle, sans qu'on prit le moindre
soin pour leur commodité. Des gouvernements
ont commis des actes de cruauté dans un mouvement de colère irréfléchie; mais ils
avaient été
provoqués, irrités par des agressions et des
attaques répétées; il n'y a pas d'exemple dans les
temps modernes de châtiment infligé sur un peuple
paisible et inoffensif avec autant de calcul, de
barbarie et de sang-froid, que celui dont il est ici
question.
"Tous les autres établissements des Acadiens
présentèrent, le même jour et à la même heure, le
même spectacle de désolation. Les vaisseaux,
chargés de leurs nombreuses victimes, firent voile
pour les différentes provinces où ils devaient les
disperser. Ils les semèreut sur le rivage depuis
Boston jusqu'à la Caroline, sans pain, sans protection, les abandonnant à la charité
du pays où ils
pouvaient se trouver. Pendant de longs jours
après leur départ, on vit leurs bestiaux s'assembler
autour des ruines de leurs habitations, et les chiens
passer les nuits à pleurer par de longs hurlements
l'absence de leurs maîtres. Heureux encore dans
leur douleur, ils ignoraiont jusqu'à quel excès
l'avarice et l'ambition peuvent porter les hommes."
Eh bien! M. le PRÉSIDENT, voici des
faits qu'il est important de se rappeler.
Voici une colonie française située à quelques
cents lieues du Canada, qui est déportée en
masse et dont les débris sont revenus longtemps après sur le même territoire. Bien
plus, c'est avec les descendants d'une partie
de ces exilés qu'on nous propose aujourd'hui
de nous unir. Il y a quelques mois à peine
je passais parmi ces populations, et quand
je voyais les magnifiques propriétés dont on
les avait dépouillés si brutalement pour les
donner à leur bourreaux, je me rappelais
malgré moi leur navrante histoire,—et cette
vue, je dois le dire, n'était pas faite pour me
faire accepter le projet de confédération sans
le bien étudier dans tous ses détails. Je le
répète, M. le PRÉSIDENT, ce sont là des
faits qu'il ne faut pas oublier. (Rires et
chuchottements à droite.) Avoir la manière
dont certains membres de cette chambre
accueillent le récit des pages les plus sombres
de l'histoire de la Nouvelle-France, M. le
PRÉSIDENT, on croirait vraiment que les
faits que je cite n'ont jamais existé et qu'ils
n'ont pas leur enseignement pour l'avenir.
Au reste, cela ne m'étonne pas de leur part,
du moment qu'ils peuvent approuver un
projet de constitution qui contient une clause
par laquelle le gouvernement impérial pourra
même changer notre nom de Canadiens pour
609
nous donner celui qu'il lui plaira. Il faut
que les souvenirs de nos luttes ne soient pas
bien vivaces dans leur mémoire et que
l'amour de leur nationalité ait de bien faibles
racines dans leur coeur pour qu'ils consentent
à perdre, avec le nom du Canada, la gloire
d'un passé héroïque. (Ecoutez! écoutez!)
Avec la confédération, le Canada ne sera
plus un pays ayant son individualité propre,
son histoire et ses mœurs distinctes, mais il
sera un Etat de la confédération dont le nom
général fera disparaître les noms particuliers
de chaque province dont elle sera composée.
Voyez les Etats de l'Union Américaine: le
nom des Etats-Unis fait disparaître celui des
Etats particuliers; de même pour le Canada,
le nom de la confédération sera le seul sous
lequel nous serons connu à l'étranger. Pour
moi, je suis fier de l'histoire de notre pays
et de mon nom de Canadien, et je veux les
conserver. Je ne suis pas de ceux qui
peuvent entendre sans intérêt le récit des
luttes héroïques de la race française en
Amérique, ainsi que peut le faire l'hon.
député de Rouville (M POULIN); pour moi,
les considérations de nationalité, de famille,
de langage et de race doivent être les plus
chères d'un peuple, bien qu'elles paraissent
n'avoir aucune importance ou aucun intérêt
aux yeux de l'hon. député. (Ecoutez!
écoutez!)
Six heures sonnent et la chambre s'ajourne
à 7 1/2 heures. p m.
M. le PRÉSIDENT,—Au moment où j'interrompais mes remarques à l'ajournement
de six heures, j'en étais à montrer l'esprit
d'antagonisme et de lutte qui avait régné sur
le continent américain jusqu'en 1755. L'on
a vu l'Acadie en proie aux attaques des
habitants de la Nouvelle-Angleterre, et, en
dernier lieu, on a vu la population dispersée
sur les côtes inhospitalières de ce continent
bordées par l'Atlantique. La Nouvelle-France
avait donc perdu la plus grande partie de
son territoire en Amérique. La guerre de
sept ans avançait à pas de géant, et tous les
jours l'élément français était restreint dans
des limites plus étroites. Après de longues
luttes où des poignées d'hommes combattirent contre des armées dix fois plus nombreuses,
lorsqu'ils étaient sans pain, sans
munitions et presque sans espoir, la bataille
des plaines d'Abraham vint porter le dernier
coup à la puissance française en Amérique.
L'année suivante, la bataille de Ste. Foye,
qui eût lieu le 28 avril 1760, forçait bientôt
les Canadiens à capituler, bien qu'ils eussent
été vainqueurs dans cette bataille, et que les
Anglais eussent été obligés de fuir derrière
les murs de Québec. Dans le traité de
capitulation, l'Angleterre garantissait aux
Canadiens-Français le libre exercice de leur
culte, la conservation de leurs institutions,
l'usage de leur langue et le maintien de leurs
lois. Après cette lutte sur le champ d'honneur, qui attira aux Canadiens-Français
le
plus magnifique éloge de leur gouverneur,
nous allons les voir aux prises dans une nouvelle lutte, lutte politique plus glorieuse
encore que celle qui avait précédé la cession
du Canada à l'Angleterre. Mais permettez- moi, M. le PRÉSIDENT, de citer d'abord
l'éloge que faisait des Canadiens le gouverneur VAUDREUIL, dans une lettre qu'il écrivait
aux ministres de LOUIS XIV:—"Avec
ce beau et vaste pays la France perd 70,600
âmes, dont l'espèce est d'autant plus rare que
jamais peuples n'ont été aussi dociles, aussi
braves et aussi attachés à leur prince " Ces
qualités qui distinguaient les Canadiens- Français à cette époque existent encore
dans
le cœur de la population d'aujourd'hui.
Aujourd'hui encore ils sont loyaux, braves
et monarchiques, ils aiment les institutions
stables et les garanties de paix que donne un
grand pouvoir, et les luttes qu'ils ont eu à
faire sous la domination anglaise ont été la
meilleure preuve de leur loyauté. Quand on
étudie l'histoire de nos luttes depuis la cession du Canada, on voit que nos hommes
publics ont toujours été attachés à la couronne de l'Angleterre, jusqu'au moment où
ils ont été forcés, par l'arbitraire et l'injustice
du gouvernement impérial, à recourir aux
armes pour obtenir que nos droits politiques
et nos libertés fussent respectés, et c'est
ainsi qu'en 1837 nous avons conquis le gouvernement responsable. (Ecoutez! écoutez!)
Mais, afin de faire voir quel a toujours été
l'esprit d'agression et d'envahissement de la
population anglaise, en Amérique, je vais
faire l'historique des luttes que nous avons
eu à subir depuis un siècle, pour arriver
enfin à la constitutlon actuelle que je veux
conserver, mais que nos ministres veulent
détruire pour y substituer le projet de confédération; nous verrons dans cet historique
que nous ne devons aucune reconnaissance à
l'Angleterre pour les réformes politiques
que nous n'avons obtenues que grâce au patriotisme inébranlable de nos grands hommes,
qui ont vaillament lutté avec intelligence,
610
énergie et persévérance, pour la défense
constante de nos droits. On verra aussi que
s'ils ont obtenu le système de gouvernement
et les libertés politiques pour lesquels ils
combattaient, c'est parce que nous avions
pour voisins les Etats de l'Union Américaine, et qu'à côté du mal se trouvait le
remède. On verra que chaque fois que
l'Angleterre a eu besoin de nous, pour défendre sa puissance, elle nous a fait des
concessions, mais qu'une fois le danger passé, le
fanatisme impérial a toujours essayé de
reprendre ces concessions et d'anéantir l'influence et les libertés de la race française
en
Canada. Chaque page de l'histoire parlementaire de notre pays en offre de nouvelles
preuves. Mais nous avions alors des hommes
qui savaient lutter pour une noble cause et
qui ne craignaient pas les dangers de la lutte.
J'espère M. le PRÉSIDENT, que nous avons
encore de ces hommes sans peur et sans
reproche dans le Bas-Canada. J'espère que
les ministres actuels sont sincères au moment
où ils abandonnent les garanties de la constitution actuelle. S'ils peuvent arriver
à un
heureux résultat avec leur projet de confédération, je serai le premier à les en féliciter
et la postérité les remerciera d'avoir eu la
hardiesse de proposer un aussi vaste projet.
Mais, je dois le dire, il y a des hommes aussi
intelligents, aussi dévoués aux plus chers
intérêts de notre pays, que les hon. membres
assis sur les bancs du ministère, qui sont
convaincus que ce projet, loin d'être un
remède aux difficultés actuelles, n'est qu'un
nouvel engin monté par nos adversaires
naturels pour mieux anéantir l'influence de
la race française en Amérique,—influence
pour la conservation de laquelle il nous a
fallu combattre à chaque pas depuis l'époque
de la domination anglaise en Canada (Ecoutez! écoutez!) La première lutte politique
entre l'élément français et l'élément anglais
dans le pays, a eu lieu quelques années
seulement après que le traité de capitulation
eût été signé. Le général qui commandait
alors en Canada établit un système de gouvernement militaire. Ce système pouvait
avoir sa raison d'être après une guerre aussi
longue et aussi meurtrière que celle que
l'on venait de traverser, et qui avait laissé
tant d'animosités légitimes dans le cœur des
vainqueurs et des vaincus. Toutefois, le
traité de capitulation portait que les Canadiens
seraient "sujets du roi," et, comme tels, ils avaient droit à un gouvernement représentatif.
La foi des traités fut donc brisée dès
les premiers jours de la domination anglaise
en Canada et, comme j'aurai l'honneur de le
démontrer à cette chambre, ce n'était là que
le premier anneau de cette longue chaîne
d'actes arbitraires que nous avons eu à subir
depuis cette époque. Voici, M. le PRÉSIDENT, le premier acte agressif que je me
permettrai de citer à l'appui de mon avancé:
"Le général MURRAY, suivant ses instructions,
forma un nouveau conseil, cumulant les pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire, et composé des
lieutenants—gouverneurs de Montréal et des Trois- Rivières, du juge-en-chef, de l'inspecteur
des
douanes et de huit personnes influentes. On ne
prit qu'un seul homme obscur du pays pour faire
nombre."
C'était là le premier acte dont on eût à se
plaindre:—
"Un proposa de prendre possession de l'évêché
de Québec avec ses propriétés et de les donner à
l'évêque de Londres, de n'accorder aux catholiques qu'une tolérance limitée, d'exiger
d'eux le
serment de fidélité, et de les déclarer incapables,
comme catholiques, de posséder des charges publiques. La justice était administrée
par des
hommes ignorant les lois du pays et dans une
langue inconnue aux Canadiens."
Il n'y a pas besoin de faire de longs commentaires sur la manière tout à fait injuste
dont on traita ainsi les Canadiens, et sur la
violation flagrante des conditions du traité
de capitulation de Montréal. Mais on
verra bientôt que la crainte d'un danger
prochain a pu seule nous obtenir des libertés
politiques, car alors l'élément français pouvait
seul maintenir la puissance anglaise en
Amérique.
"Les partisans anglais s'assemblèrent à Québec
on octobre 1773, pour rédiger une adresse dans
le but d'obtenir une chambre d'assemblée."
Et voici ce que le gouvernement impérial
leur répondit par l'intermédaire d'un de ses
ministres:
"
As to on assembly of protestants only, I see no
objection to the establishment of one, but the danger
of disobliging the catholics of the province, who are
so much superior in number." (
*)
Voilà la seule considération qui a pu
empêcher la réalisation de la proposition
faite, on 1773, d'établir une chambre d'assemblé canadienne composée de protestants
seulement, et pourtant, sur une population de
80,000 âmes 500 familles seulement étaient
611
alors anglaises et protestantes. Quelle plus
grande injustice pouvait-on nous faire?
Mais l'élément anglais fit encore d'autres
propositions au gouvernement impérial:
"Six suggestions différentes furent faites relativement à la nouvelle forme de gouvernement
que
l'on voulait introduire: 1°—L'on demandait d'établir une chambre d'assemblée composée
exclusivement de protestants, tels que l'entendaient les
Anglais par la proclamation royale du mois d'octobre 1763. 2°—Une assemblée composée
également
de catholiques et de protestants. 3°—Une assemblée composée presqu'entièremeut de
protestants
avec un nombre limité de catholiques. 4°—De déléguer au gouverneur et à son conseil
un pouvoir
suffisant pour lier la province, en augmentant le
nombre des membres qui seraient tous protestants; ou, 5°—Protestants et catholiques;
6°—Ou
encore de protestants avec un nombre restreint et
limité de catholiques."
Ainsi, dès la première tentative faite pour
donner au Canada français une organisation
politique, nous voyons l'exclusivisme le plus
éhonté former la base des propositions suggérées. Il y avait à peine trois mille colons
Anglais, contre 75,000 Français, et déjà on
nous refusait d'être représentés dans le
conseil du gouverneur, pour y exposer les
besoins du pays et veiller à la défense de nos
droits.
"Le baron del'échiquier (MASÈRES) fit un projet
de loi par lequel il suggérait d'élever à trente-un
le nombre des membres du conseil, que celui-ci
fût indépendant du gouverneur au lieu d'être
sujet à suspension, que le quorum fût fixé à dix- sept; de plus, qu'il n'eût point
le pouvoir d'imposer de taxes, qu'il fût créé pour sept ans, et
composé que de protestants—dispositions calculées
pour écarter des affaires et des emplois l'élément
français et catholique."
Toujours l'exclusion des catholiques et
par conséquent de l'élément français! Mais
qu'arriva-t-il? Est-ce que les Français restèrent apathiques en face du danger qui
les menaçait? Non! à cette nouvelle, ils
signèrent des pétitions, et ils obtinrent de
l'Àngleterre la justice qu'on leur refusait
ici:—
"Nos malheureux ancêtres, néanmoins, ne restèrent point oisifs devant les menaces
et les injustices de leurs adversaires; la colonie possédait des
hommes capables de juger et de prévoir les événements; des requêtes furent faites
et l'on signa dans
le mois de décembre 1773, une pétition qui s'exprimait en ces termes:
"Dans l'année 1764, Votre Majesté daigna faire
cesser le gouvernement militaire ans cette colonie
pour y introduire le gouvernement civil. Et, dès
l'époque de ce changement, nous commençâmes à
nous apercevoir des inconvénients qui résultaient
des lois britanniques qui nous étaient jusqu'alors
inconnues. Nos anciens citoyens, qui avaient réglé
sans frais nos difficultés, furent remerciés. Cette
milice, qui se faisait une gloire de porter ce beau
nom sous votre empire, fut supprimée. On nous
accorda à la vérité le droit d'être jurés, mais en
même temps on nous fit éprouver qu'il y avait des
obstacles pour nous à la possession des emplois.
On parla d' introduire les lois d'Angleterre, infiniment sages et utiles pour la mère-patrie,
mais qui
ne pourraient s'allier avec nos coutumes sans renverser nos fortunes et détruire entièrement
nos
possessions ...............................................................
"Daignez, illustre et généreux monarque, dissiper ces craintes en nous accordant
nos anciennes
lois, priviléges et coutumes, avec les limites du
Canada telles qu'elles étaient ci-devant. Daignez
répandre également vos bontés sur tous vos sujets
sans distinction ..... et nous accorder en commun,
avec les autres, les droits et priviléges de citoyens
anglais; alors ...... nous serons toujours prêts à les
sacrifier pour la gloire de notre prince et le bien de
notre patrie."
Et c'est toujours le sentiment de la population française en Amérique: elle a toujours
été loyale envers le pouvoir du moment
qu'elle en a obtenu la protection à laquelle
elle avait droit. Dans les circonstances
difficiles où se trouvait l'Angleterre, les
demandes des Canadiens ayant été accueillies favorablement, servirent de base à l'acte
de 1774. En effet, les circonstances étaient
difficiles La politique de la mère-patrie
avait aliéné ses sujets de la Nouvelle-Angleterre. L'idée de taxer les colonies pour
subvenir aux besoins du trésor impérial
avait soulevé une profonde indignation de ce
côté de l'Atlantique. Et c'est cette politique
coloniale, mal conseillée, qui a fait perdre
à l'Angleterre ses colonies américaines.
Instruite par cette révolte, l'Angleterre
comprit qu'elle devait accorder des libertés
politiques plus grandes à ses colons français
du Canada. Ils ne voulaient pas se soustraire
à la domination anglaise. Ils voulaient au
contraire rester sous son drapeau, car ils
craignaient d'être entraînés dans la république voisine, dont on ne prévoyait pas
alors
la grandeur future. Poussé par la crainte
de perdre ce qu'il lui restait en Amérique,
l'Angleterre dût se prêter aux concessions
que lui demandait le Canada au moment où
la guerre de l'indépendance exigeait le concours de l'élément français:
"Quand, dit GARNEAU, on appréhenda la guerre
avec les colonies anglaises d'Amérique, on sut taire
les préjugés pour se rendre favorables les Canadiens
en leur accordant l'acte de 1774, connu nous le nom
d'"Acte de Québec." Cette loi impériale établissant
un conseil législatif chargé, avec le gouverneur, de
faire des lois, nous garantissait de nouveau le libre
exercice de notre religion, maintenait nos lois et
nos coutumes, et dispensait les catholiques, pour
devenir membres du conseil, de prêter le serment
contre leur religion."
612
Voilà ce que nous mérite la guerre de
l'indépendance des Etats-Unis. L'Angleterre vit qu'en mécontentant les Canadiens,
c'en était fait de sa puissance en Amérique,
et c'est alors seulement qu'elle concèda au
Canada français l'"Acte de Québec," qui était
un acheminement vers de plus grandes
libertés. L'hon procureur-général du Bas- Canada nous a lu, l'autre jour, plusieurs
passages de notre histoire pour nous prouver
que les bras des Canadiens-Français avaient
seuls empêché l'anéantissement de la domination anglaise sur ce continent. Mais il
n'a pas tiré toutes les conclusions auxquelles
il aurait pu arriver des prémisses qu'il avait
posées et des faits qu'il avait cités. Il
aurait dû nous dire si, en face de ces
services vaillamment rendus, il est juste que
l'élément anglais, s'appuyant sur son nombre,
nous impose aujourd'hui la représentation
basée sur la population, dût-il, par cette
mesure agressive, ébranler notre loyauté
pour l'Angleterre en créant un système de
gouvernement qui nous répugne et dans
lequel l'élément français perdra sa juste part
d'influence dans l'administration des affaires
de notre pays —C'est à cette époque qu'une
adresse fut envoyée aux Canadiens par le
congrès américain, leur demandant de s'unir
à lui dans la révolte contre la métropole:
"Saisissez, disait le congrès, saisissez l'occasion
que la Providence elle-même vous présente; si vous
agissez de façon à conserver votre liberté, vous
serez effectivement libres."
M. le PRÉSIDENT, tout le monde sait
la réponse que firent les Canadiens à cet
appel. Des armées envahirent notre territoire et prirent possession d'une partie du
pays. Québec seul tenait encore, grâce à
une garnison en partie Canadienne-Française qui la défendait. Et, si nous sommes
encore aujourd'hui abrités sous les plis du
drapeau britannique, c'est aux Canadiens- Français qu'on le doit, et ce sont eux que
l'Angleterre doit remercier. Mais si l'on
veut maintenant nous imposer un système
politique dont le seul but est de nous noyer
dans une majorité hostile, nous devons en
remercier les Anglais à qui nos pères ont, en
1775, conservé ce pays. Après la défaite
des Américains devant Québec, le congrès ne
se découragea pas; un second manifeste fut
envoyé un Canada, promettant de nouveaux
renforts; des hommes éminents vinrent dans
le pays: FRANKLIN, CHASE, CARROLL, sollicitèrent en vain les Canadiens de se joindre
à eux. Le Dr. CARROLL, mort on 1815,
évêque de Baltimore, fut envoyé auprès du
clergé canadien sans plus de succès, et l'on
dût enfin renoncer à tout espoir de s'emparer
de cette importante colonie. Ces faits
devaient nécessairement éclairer l'opinion
publique, et l'Angleterre comprit qu'il
valait mieux pour elle satisfaire aux justes
demandes du peuple canadien, afin de pouvoir
compter sur lui aux jours du danger et s'en
servir comme d'un rempart contre les Etats- Unis. C'est alors qu'on nous accorda une
constitution plus libérale,—celle de l791
"PITT, éclairé par les anciennes fautes de l'Angleterre dans l'administration des
Etats-Unis, et
par le grand exemple de son père, Lord CHATHAM,
présenta à la chambre des communes un projet de
loi tendant à octroyer au Canada une nouvelle
constitution consacrant le principe électif et divisant la colonie en deux provinces
distinctes, le
Haut et le Bas-Canada.
"Le bill, après quelques amendements, dont l'un
fut de porter la représentation de trente à cinquante
membres, passa sans division dans les deux
chambres Le célèbre homme d'état BURKE, en
donnant son assentiment au bill, disait: "Essayer
d'unir des peuples qui diffèrent de langue, de lois,
de mœurs, c'est très absurde. C'est semer des
germes de discorde, chose indubitablement fatale
à l'établissement d'un nouveau gouvernement. Que
leur constitution soit prise dans la nature de
l'homme, la seule base solide de tout gouvernement." Le chef non moins célèbre du
parti whig,
FOX, opposé à la division des provinces, se prononça pour obtenir un conseil législatif
électif en
Canada. "Avec une colonie comme celle-là, observait cet orateur susceptible de progrès,
il est important qu'elle n'ait rien à envier à ses voisins.
Le Canada doit rester attaché à la Grande-Bretagne
par le choix de ses habitants: il sera impossible
de le conserver autrement. Mais, pour cela, il faut
que les habitants sentent que leur situation n'est
pas pire que celle des Américains."
Cette constitution de 1791 fut une
grande concession faite au Bas-Canada.
Il avait enfin une chambre élective, où le
peuple put exprimer ses opinions et porter
ses vœux jusqu'au pied du trône. Aussi
vit-on de suite une génération d'hommes
éminents dont l'histoire conservera honorablement les noms bénis, représenter les
intérêts qui leur étaient confiés avec une
habileté étonnante et un succès peu commus.
"Les élections furent fixées pour le mois de juillet,
et la réunion des chambres pour le mois de décembre. Sur 50 membres, 16 Anglais furent
élus
malgré l'opposition constante que ces derniers,
avaient montrée aux intérêts canadiens-français"
Ainsi, dès la première chambre élective,
et malgré toute l'oppoütion que le parti
français rencontrait de la part du parti
anglais, nous voyons seize députés anglais
élus en grande partie par les votes de nos
613
nationaux. Nous avons entendu, il y a quelques jours, dans cette chambre, des membres
du Haut-Canada faire l'éloge de notre libéralité et avouer que jamais le fanatisme
national ou religieux n'était venu de
notre part. Cela est vrai; nous sommes
essentiellement libéraux et tolérants, et il
suffit, pour en avoir la preuve la plus frappante, de compter le nombre de députés
de
cette chambre qui, bien que de religion et
de race différentes des nôtres, représentent
cependant des comtés en grande partie ou
exclusivement français et catholiques. C'est
là un motif d'orgueil pour nous! Malheureusement, nous ne sommes pas payés de
retour, et nous ne rencontrons pas la même
libéralité chez la population anglaise. Partout où elle est en majorité, elle nous
ferme
la porte des honneurs et des emplois. Elle
nous exclut partout où elle est assez puissante
pour le faire.—Dès le premier parlement du
Bas-Canada, les Anglais, bien que dans une
insignifiante minorité, s'efforcent de proscrire
l'usage de la langue française, et de ce jour
commencent entre les deux races les mêmes
luttes que celle dont nous sommes aujourd'hui les témoins. L'on nous dit que les
temps sont changés: c'est vrai; mais si leurs
tentatives d'oppression sont moins hardies,
si elles se cachent sous des dehors mieux
faits pour nous tromper, c'est seulement
parce que nous sommes plus nombreux
aujourd'hui que nous ne l'étions alors, et
que l'on craint plus que jamais le voisinage
de l'Union américaine, où plus que jamais il
serait facile à notre population de trouver
un remède énergique aux maux dont elle
aurait à se plaindre. Mais voyons maintenant, M. le PRÉSIDENT, ce qui se passa
à l'ouverture de notre première chambre
d'assemblée: je cite un auteur qui a toujours
appuyé le parti de l'hon. procureur-général
EST:—
"Le parlement s'ouvrit le l7 décembre dans le
palais épiscopal occupé par le gouvernement depuis
la conquête. Il fallut choisir un président, et M.
J. PANET fut proposé. C'est alors que l'on vit des
membres anglais renouveler leurs tentatives pour
tenir la suprématie et mépriser les intérêts de
ceux par qui ils avaient été élus. Sans la moindre délicatesse et en dépit de leurminorité,
ils proposèrent
en opposition à M. PANET, MM. GRANT. MCGILL
et JORDAN. L'élection de M. PANET fut emportée
par une majorité de 28 contre 18, deux Canadiens
ayant voté contre lui. La haine que le parti anglais
portait au nom canadien, se manifesta davantage
lorsqu'une proposition fut faite pour rédiger les
procédés de la chambre dans les deux langues.
"Une discussion très vive et très animée s'éleva
des deux partis opposés, et cette demande si raisonnable fut considérée comme une
espèce de
révolte contre la métropole. L'on taxa les membres
français d'insubordination; l'on sembla méconnaître
les motifs qui les faisaient agir, l'on chercha même
à les intimider; mais ce fut en vain, les arguments
inébranlables sur lesquels s'appuyaient les députés
canadiens, leurs paroles pleines de dignité comme
leur éloquence, finirent par triompher des attaques
de leurs fanatiques adversaires."
Ainsi, l'élément français demande la rédaction des procédés de la chambre dans sa
langue, mais on voit l'élément anglais s'y
opposer de toutes ses forces. On regardait
cela comme une révolte contre la métropole!
C'est à n'y pas croire. Voilà une assemblée
législative presque exclusivement française,
et dès la première séance, les quelques députés anglais qui la composent, après avoir
voulu imposer à la très-grande majorité un
président de leur origine, refusent ensuite,
aux neuf dixièmes de la population du pays,
le droit imprescriptible de sa langue comme
langue officielle. Mais ils comptaient sans
la fermeté inébranlable dont les anciens Canadiens ont donné si souvent la preuve
dans
la défense de leurs droits, et je ne saurais
donner aux hon. députés de cette chambre
une plus haute opinion des sentiments élevés
de ces grands patriotes des anciens jours
qu'en citant les remarques faites par un des
députés, M. DE LOTBINIÈRE, pendant cette
discussion:
"La seconde raison, qui est d'assimiler et d'attacher plus promptement les Canadiens
à la mère- patrie, devrait faire passer par-dessus toutes espèces
de considérations, si nous n'étions pas certains de
la fidélité du peuple de cette province; mais rendons justice à sa conduite de tous
les temps, et
surtout rappelons-nous l'année 1775. Ces Canadiens
qui ne parlaient que français, ont montré leur attachement à leur souverain de la
manière la moins
équivoque. Ils ont aidé à défendre cette province.
Cette ville, ces murailles, cette chambre même où
j'ai l'honneur de faire entendre ma voix, ont été
en partie sauvées par leur zèle et par leur courage.
On les a vus se joindre aux fidèles sujets de Sa
Majesté, et repousser les attaques que des gens qui
parlaient bien bon anglais faisaient sur cette ville.
Ce n'est donc pas, M. le PRÉSIDENT l'uniformité
du langage qui rend les peuples plus fidèles ni plus
unis entre eux. Pour nous en convaincre, voyons
la France en ce moment, et jetons les yeux sur tous
les royaumes de l'Europe.
"Non, je le répète encore, ce n'est point l'uniformité du langage qui maintient et
assure la fidélité d'un peuple; c'est la certitude de son bonheur
actuel et le nôtre en est parfaitement convaincu.
Il sait qu'il a un bon roi et le meilleur des rois. Il
sait qu'il est sous un gouvernement juste et libéral;
il sait enfin qu'il ne pourrait que perdre beaucoup
dans un changement ou une révolution, et il sera
toujours prêt à s'y opposer avec vigueur et courage."
614
M. DUFRESNE (de Montcalm)—M. le
PRÉSIDENT, si l'hon. député de Richelieu
veut bien me permettre de l'interrompre un
instant, je lui poserai une simple question.
Je voudrais savoir de l'hon. député quelle est
la différence entre un député qui lit son discours, et celui qui lit l'histoire du
Canada
devant cette chambre?
M. PERRAULT—Je répondrai à l'hon.
député de Montcalm que le discours que nous
a lu l'hon. député de Montmorency, l'autre
soir, était écrit depuis la première jusqu'à
la dernière ligne. Il nous a lu non-seulement
les passages qu'il tirait de l'histoire ou les
citations qu'il faisait des discours des autres
membres de cette chambre, mais encore ses
propres remarques sur ces extraits. Moi, je
ne lis ici que des citations d'auteurs qui sont
autant de pièces justificatives sur lesquelles
j'appuie mon argumentation. Si je ne les
lisais pas, on pourrait croire que je ne fais
qu'exprimer mes opinions propres, tandis
qu'elles sont celles d'un ami du gouvernement actuel. Bien que je partage entièrement
toutes les idées et toutes les opinions
que je cite, cependant je ne veux pas me les
approprier comme miennes, mais j'en veux
laisser tout le mérite et toute la responsabilité à leur auteur.
M. DUFRESNE (de Montcalm)—La
seule différence que je puisse découvrir entre
l'hon. député de Montmorency et l'hon. député de Richelieu, c'est que le premier lisait
son œuvre propre, et que l'autre se rend coupable de plagiat. (Ecoutez! et rires.)
M. PERRAULT—Tout le monde sait,
M. le PRÉSIDENT, que l'hon. député de
Montcalm n'a pas à craindre la même accusation, pour l'excellente raison que ses écrits
ou ses discours ne se trouvent nulle part.
Au moment de l'interruption bien inoffensive
du député de Montcalm, je citais, M. le
PRÉSIDENT, un passage du discours de M.
DE LOTBINIÈRE, au sujet de l'opposition faite
à la publication en français des procédés de
la chambre d'assemblée en 1791, pour démontrer l'esprit d'exclusivisme de l'élément
anglais, dès le commencement de notre
système parlementaire, malgré sa minorité
insignifiante à cette époque. Mais cette
tentative hardie échoua, et l'amendement
proposé pour proscrire la langue française
fut repoussé par les deux tiers de l'assemblée.
Définitivement il fut résolu que les procédés
de la chambre seraient dans les deux langues,
et que l'anglais ou le français serait le texte
des actes législatifs, selon que ceux-ci auraient
rapport aux lois anglaises ou françaises. On
voit donc l'opposition à l'élément français
se manifester dès le commencement de notre
système parlementaire en ce pays, par le refus
de la langue française comme langue officielle.
Mais grâce à notre résistance opiniâtre,
l'usage de cette langue a toujours été un de
nos priviléges, privilége qui a été maintenu
dans toute son intégrité jusque dans le projet
de confédération qu'on nous propose. Sans
le courage et l'énergie des hommes de ces
temps d'épreuve, l'élément français aurait
perdu son terrain et diminué d'importance,
jusqu'à ce qu'enfin il eût été assimilé par
l'élément anglais. Déjà à cette époque nos
hommes publics voulaient le gouvernement
responsable, et nous verrons que la lutte
qu'ils ont faite pendant un demi-siècle pour
l'obtenir a été sans résultat marquant, jusqu'à
ce qu'en 1837 ils aient dû recourir à la révolte; et c'est depuis cette sombre date
de notre
histoire que nous avons la constitution actuelle
et le gouvernement responsable. Aujourd'hui
que nous avons obtenu nos droits politiques
les plus sacrés au prix d'un siècle de persécutions, au prix du sang versé sur le
champ
d'honneur et sur l'échafaud, devons-nous
l'abandonner pour accepter une nouvelle
constitution dont le but évident est de faire
disparaître notre influence comme race dans
ce pays? Depuis quinze ans la majorité
française n'a-t-elle pas toujours imposé sa
volonté dans l'exécutif et dans la législature,
grâce à l'égalité sectionnelle dans la représentation? Pourquoi abandonner les avantages
de la constitution actuelle pour un
projet de confédération, dans laquelle nous
serons dans une minorité pleine de dangers
pour nous et pour nos institutions? La responsabilité prise par la section française
du
ministère en réunissant l'unanimité du Haut- Canada avec la minorité anglaise du Bas-
Canada, est énorme. Et aujourd'hui, alors
même qu'elle voudrait se retirer de la lutte
en voyant les dangers de l'avenir, elle ne le
pourrait pas; elle serait emportée par le
torrent de l'élément anglais. C'est pour
montrer les dangers de l'avenir, M. le
PRÉSIDENT, que je fais ici l'historique des
luttes du passé. Les circonstances qui les ont
motivées existent encore et amènent les
mêmes tentatives d'agression; je dois le dire,
afin d'arrêter mes compatriotes, s'il en est
temps encore, sur le bord de l'abîme vers
lequel ils se laissent entraîner.—
Le Canadien
discuta vivement la question du gouvernement responsable et prit à cœur les intérêts
615
de ses compatriotes. On cria à la violence,
à la trahison. Mais, dit l'historien GARNEAU:—
"Nous avons parcouru attentivement, page par
page, le journal en question jusqu'à sa saisie par
l'autorité, et nous avons trouvé à côté d'une réclamation de droits parfaitement constitutionnels
l'expression constante de la loyauté et de l'attachement
les plus illimités à la monarchie anglaise."
L'importante question de la votation des
subsides était aussi le sujet des débats les
plus violents. M. BÉDARD insistait sur ce
droit imprescriptible de toute assemblée législative sous la couronne d'Angleterre.
Mais
il était constamment refusé par la minorité
anglaise de la chambre et par la métropole.
Amenée avec plus de force par M. BÉDARD,
la chambre se prononça par une forte majorité en faveur de la votation des subsides
par les représentants du peuple. Dans la
division qui se fit, nous voyons l'élement
anglais d'un côté et l'élément français de
l'autre. Je vous le demande, M. le PRÉSIDENT, que sont les droits d'un sujet anglais
si on lui enlève celui de voter les subsides;
s'il n'a pas le contrôle des deniers prélevés
sur le peuple pour l'administration des
affaires de l'Etat; si on lui arrache ainsi le
plus important des priviléges garantis par le
gouvernement constitutionnel? Cette grande
injustice va-t-elle être consommée? Va-t-on
refuser aux mandataires du peuple le plus
précieux de ses droits? Oui, M. l'ORATEUR,
on ne reculera pas devant cette infamie.
Nos patriotes les plus éminents, ceux dont
la voix éloquente revendiquait dans toutes
les occasions nos immunités menacées, seront
d'abord accusés de trahison pour avoir formulé une pareille demande, puis détenus
pendant quatorze mois dans les sombres
cachots d'une prison, au mépris des articles
de la capitulation qui nous garantissait les
droits et les immunités de sujets anglais.
Cette proposition de voter nos dépenses
publiques, qui nous paraît aujourd'hui si
simple, souleva alors dans tout le pays une
tempête violente qui ne se calma jamais
entièrement qu'à l'anéantissement de la
constitution alors existante. En dépit de la
rage et de la calomnie, la proposition de M.
BÉDARD fut acceptée, et voici la division
de la chambre:—
POUR:—MM. Bédard, Durocher, J. L. Papineau,
Lee, Borgia, Meunier, Taschereau, Viger, Drapeau,
Bernier, St.-Julien, Hébert, Duclos, Robitaille,
Huot, Caron, C. Panet, Ls. Roi, Blanchet,
Debartsch et Beauchamp.—21.
CONTRE:-—MM. McCord, Bowen, Mure, Bell,
Dénéchau, Jones de Bedford, Blackwood, Gugy
et Ross Cuthbert.—9.
Un seul nom anglais, celui de M. LEE,
figure parmi la phalange canadienne-française, mais en revanche nous voyons un nom
canadiens-français voter cette négation inqualifiable d'un droit que nous devions
si chèrement payer. Je ne désire pas faire de
commentaires sur cette division, M. le PRÉSIDENT, mais je ne puis m'empêcher de
remarquer qu'il démontre que toujours nous
avons eu à lutter contre les empiétements et
l'antagonisme de l'élément anglais en Canada.
Cependant on ne cessa pas de demander la
votation des subsides tant qu'on ne l'eut
pas obtenu, et il est remarquable que durant
tout le temps où les Canadiens-Français furent
en majorité dans notre pays, l'Angleterre
nous a systématiquement refusé nos demandes
les plus justes et le contrôle de l'administration générale. Bien plus, les actes
les plus
arbitraires nous ont été imposés par la métropole, parfaitement aidée au reste par
le fanatisme colonial anglais, qui ne perdait pas une
occasion d'appliquer à notre préjudice son
exclusivisme bien connu. Mais du moment
que ses nationaux l'emportèrent sur nous
par leur nombre et que l'élément anglais
prévalut dans la chambre d'assemblée au
moyen de l'Union de 1840, l'Angleterre nous
octroya tous les droits politiques que nous
lui demandions en vain depuis un siècle, car
elle savait parfaitement que ces droits
seraient contrôlés et au besoin utilisés contre
nous par une majorité représentative essentiellement hostile. Mais, grâce au patriotisme
de nos hommes d'alors, nous réussîmes
à déjouer les projets du gouvernement britannique. Jusqu'à l'Union, ces hommes ont
eu à lutter constamment, et avec un héroïsme
digne de la cause qu'ils servaient, contre
l'autocratie anglaise liguée contre nos compatriotes. Nous, leurs descendants, nous
sommes prêts à recommencer la même lutte
avec la même énergie pour maintenir nos
droits chèrement acquis, et garder l'héritage
que nous avons reçu et que nous voulons
transmettre intact aux enfants du sol.
(Ecoutez! écoutez!) Voyons maintenant
ce qu'étaient la liberté de la presse et la liberté
du sujet à cette sombre époque de notre
histoire parlementaire. Le Canadien ayant
osé demander le gouvernement responsable,
et M. BÉDARD ayant obtenu en chambre une
majorité de 21 contre 9 en faveur de la
votation des subsides, le conseil exécutif
616
voulut à tout prix nuire à l'influence du
Canadien et paralyser les efforts des chefs
canadiens. Il scrutina le Canadien pour cher- cher matière à accusation, et sur la déposition
de deux personnes, on fit saisir, par une
escouade de soldats, l'imprimerie, qui fut
transportée dans les voûtes du greffe, et
emprisonner M. BÉDARD sous l'accusation
de menées traîtresses (treasonable practices).
Et une pareille tyrannie était motivée sur
le fait que ces martyrs politiques avaient eu
le courage de demander pour le Canada la
votation des subsides. Le Canadien rendait
compte de cette atroce incarcération dans le
paragraphe qui suit:
"Là ne se borna point la conduite infâme du
conseil. Ce dernier, dans le but de frapper d'épouvante le grand parti national, fit
emprisonner MM.
LAFORCE, PAPINEAU (de Chambly), CORBEIL,
TASCHEREAU et BLANCHET.
Ainsi, M. le PRÉSIDENT, on jetait, à cette
époque, un représentant du peuple en prison
pour avoir demandé la reddition d'un droit
injustement refusé et, pour comble de tyrannie, on le laissait pourrir dans son cachot,
pendant quatorze mois, et on lui refusait un
procès devant les tribunaux quand il pouvait
si facilement réfuter et prouver qu'il avait
agi constitutionnellement. Je ne puis passer
cette page de notre histoire parlementaire
sans la citer:
"Cependant les chefs que l'on avait eu la
bassesse d'emprisonner ne fléchirent point devant
l'orage. M. BÉDARD, du fond de son cachot, brava
la fureur des ennemis de son pays; sa grande âme
resta calme et impassible, son cœur ne désespéra
point. Fier de ses droits, et confiant dans la
justice de sa cause, en vain demanda-t-il à ses persécuteurs la justification de sa
conduite; les
oreilles de ses géôliers restèrent sourdes à sa
demande, et, refusant la liberté qu'on voulait lui
accorder, il insista même pour qu'on lui fit son
procès.
"Les nouvelles élections ne changèrent point la
représentation nationale. Le gouverneur, dans son
discours, ne fit aucune allusion aux mesures rigoureuses qu'il avait prisse relativement
à M. BEDARD
et à ses compagnons, et la session se passa sans
l'élargissement du noble prisonnier. Ce ne fut
qu'après treize mois de captivité et après avoir
contracté une maladie mortelle, que ce grand
citoyen laissa la prison pour aller rejoindre une
famille chérie dénuée de tout et qui dût ses
moyens d'existence à l'honorable générosité des
citoyens de Québec."
Malgré ces injustices criantes, M. BÉDARD
se ne plaignit point; il trouvait que ce
n'était pas acheter trop cher les libertés du
peuple, et que quelques mois de prison
n'étaient rien à côté des grandes libertés
pour lesquelles il luttait et souffrait. Ecoutons les nobles paroles que prononçait
devant
les électeurs ce grand patriote rendu à la
liberté:
"Le passé ne doit pas nous décourager ni diminuer notre admiration pour notre constitution.
Toute autre forme de gouvernement serait sujette
aux mêmes inconvénients et à de bien plus grands
encore; ce que celle-ci a de particulier, c'est qu'elle
fournit les moyens d'y remédier." Plus loin, il
ajoutait: Il faut, d'ailleurs acheter de si grands
avantages par quelques sacrifices."
Tel était le langage de ce grand patriote;
pas un mot d'amertume, de plainte ou de
récrimination, mais de la noblesse dans
l'expression, et une conviction sincère des
avantages de la constitution. Oh! qu'il y a
loin de ces temps de dévouement et de
courage civique aux jours égoïstes et froids
d'aujourd'hui, où l'intérêt est partout et le
patriotisme nulle part! Voilà, M. le PRÉSIDENT, une page de notre histoire qui mérite
d'être lue plus souvent, et que nos législateurs devraient consulter. Ils y trouveraient
un exemple de patriotisme bien digne d'être
suivi. Il fait bon de contempler et d'étudier
ces grandes luttes de notre passé, de voir la
victoire couronner les efforts de ces nobles
patriotes, victoire chèrement gagnée et dont
nous avons conservé jusqu'à nos jours les
fruits précieux. (Ecoutez! écoutez!) Mais
la guerre de 1812 éclata; et l'Angleterre,
qui ne nous a accordé de libertés et de
priviléges que lorsqu'elle a eu besoin de nous
pour sa défense sur ce continent, changea
de tactique. Elle craignait pour sa suprématie sur les provinces britanniques, et
de ce
moment elle jugea prudent de gagner notre
concours pour la lutte qui se préparait, en
plaçant d'abord M. BÉDARD sur le banc
judiciaire. Elle comprenait qu'en effet elle
ne pouvait rien contre les Etats-Unis sans
l'aide de l'élément français-canadien, et le
gouvernement impérial pensait ainsi reconquérir l'influence et les services de la
race
qu'il avait tyrannisée. C'est ainsi que l'homme
qu'elle avait jeté dans ses cachots et qu'elle
avait accusé de trahison, devint juge de la
première cour du pays! Toujours de la
bassesse pour se gagner des adhésions; telle
était la tactique du gouvernement à cette
époque. Il pensait qu'en plaçant ainsi
l'homme qui avait été l'un des plus vaillants
défenseurs des droits de notre nationalité,
il s'attacherait les enfants du sol, et il ne se
trompa pas. En prenant ce moyen, M. le PRÉSIDENT, le gouvernement impérial avait bien
compris le caractère de la nation qu'il voulait
617
ainsi gagner à sa cause; car, il faut l'avouer—
et c'est peut-être notre malheur—l'élément
français est ainsi fait, que bien souvent il
oublie trop vite les persécutions dont il a été
victime et qui devraient réveiller en lui un
juste ressentiment au souvenir du passé—
Trop confiants dans la sincérité bienveillante
de nos adversaires, nous sommes toujours
pris par surprise à chaque nouvelle tentative d'agression. Et aujourd'hui même,
quelques années de prospérité nous aveuglent
et nous font voir un avenir brillant là où il
n'y a que l'anéantissemcnt de notre influence
comme race, décrété dans le projet de confédération qu'on veut imposer au peuple
(Ecoutez!) Mais l'armée américaine menaçait nos frontières, et il faillait songer
à la
défence. Dans le but de prévenir toute
agression, le gouverneur assembla deux fois
les chambres en 1812, et des mesures furent
prises pour armer la milice et voter les
sommes nécessaires afin d'organiser la
défense de la province. Sir GEORGE PROVOST, à l'ouverture du parlement en 1813,
félicita la nation sur son courage et son
énergie, et les délibérations furent moins
orageuses que d'ordinaire: on vota de nouveaux subsides pour la guerre, et le gouverneur
et les chambres restèrent en bonne
intelligence pendant la session. A cette
héroïque époque de notre histoire, on voit
encore nos compatriotes canadiens, à qui on
avait fait de nouvelles concessions, obéir à
la voix de leurs chefs, courir à la frontière
et repousser l'invasion. Mais en 1812 comme
en 1775, le dévouement et le patriotisme de
nos nationaux devaient être bientôt oubliés.
Le moment du danger était à peine passé,
que ceux qui, au prix de leur sang, avaient
sauvé la puissance de l'Angleterre en Amérique, furent de nouveau en butte aux attaques
incessantes de l'oligarchie anglaise, comme
je le démontrerai dans un instant M. GARNEAU peint à grands traits la conduite de
ses compatriotes à cette époque critique de
notre histoire:—
"Une seconde fois, dit-il, le Canada fut conervé à l'Angleterre par ceux mêmes que
l'on avait
à coeur de faire disparaître; par leur bravoure, la
colonie fut préservée des malheurs inévitables
d'une guerre acharnée. Pour un moment, la haine
que l'on portait au nom canadien avait été étouffée:
le bureau colonial, sentant la difficulté de la position, avait imposé silence aux
cris fanatiques de
ses valets d'outre-mer; mais une fois le danger
passé et le Canada sauvé, les anciennes antipathies devaient renaître, la guerre à
nos institutions
et à nos lois recommencer, et l'ingratitude faire
place à la reconnaissance dans le coeur des enfants
d'Albion."
Il était évident qu'on n'avait ainsi usé de
ménagements que parce que les circonstances ne permettaient pas de mécontenter
une partie importante de la population qui
pouvait seule sauver le pays. L'Angleterre
n'a jamais été libérale qu'en face du danger.
Aujourd'ui, c'est la même œuvre qu'elle
poursuit en travaillant à faire disparaître
notre nationalité dans le projet de confédération qui nous est soumis; mais elle
trouve pour l'aider dans cette tâche un
élément de force qui lui manquait alors:
l'appui d'une majorité canadienne-française.
(Ecoutez!) L'année suivante eut lieu la
glorieuse bataille de Chateauguay. Dans cette
journée mémorable, une poignée de braves,
commandés par DE SALABERRY, affronta un
ennemi plus de trente fois supérieur en
nombre, arrêta la marche envahissante de
l'ennemi, et par son dévouement et sa bravoure conserva ces riches provinces à la
couronne d'Angleterre. Eh bien! M. le
PRÉSIDENT, ce que les Canadiens-Français
ont fait dans la guerre de 1812, ils sont
encore prêts à le faire sous la constitution
telle qu'elle est. C'est parce qu'ils sentaient
qu'ils avaient à défendre quelque chose de
plus cher qu'une confédération, qui ne saurait pas mieux sauvegarder leurs intérêts
que leurs institutions, leur langue, leurs lois
et leur nationalité, qu'ils ne regardaient pas
au nombre de l'ennemi et qu'ils combattaient
vaillamment un contre dix. Et aujourd'hui
encore, pour défendre la constitution telle
qu'elle est, avec les droits et priviléges qu'elle
nous garantit, les Canadiens n'hésiteront
pas un seul instant à tout sacrifier pour la
sauvegarde du précieux dépôt qui nous est
confié. Certes, M. le PRÉSIDENT, il n'est
pas besoin de remonter bien haut dans notre
histoire pour en trouver une preuve récente.
On se rappelle comment en 1862, lors de
l'affaire du Trent, quand une rupture avec nos
voisins semblait imminente, les Canadiens- Français ont couru aux armes avec cet
entrain et cet élan irrésistible des héros de la
Nouvelle-France. Ce n'est pas, M. le PRÉSIDENT, que le Canadien désire la lutte; mais
il aime à se retremper sur les champs de
bataille, et si la génération actuelle était
appelée à repousser l'ennemi, elle saurait
montrer au monde entier que son sang n'a
point dégénéré, et qu'elle est digne, sous
tous les rapports, de ses héroïques ancêtres.
618
(Ecoutez!) Après la guerre de 1812, qui
avait mis les possessions anglaises sur ce
continent dans un si grand péril, les mêmes
tentatives d'agression furent renouvelées sans
retard, tant il est vrai que le danger seul
pouvait les suspendre. Les troupes ayant
pris leurs quartiers d'hiver, le gouverneur,
Sir G. PRÉVOST, descendit à Québec pour
ouvrir le parlement, et les dissensions entre
la branche populaire et le conseil législatif
ne tardèrent point à se ranimer peu à peu.
STUART ramena sur le tapis la question des
règles de pratique, et formula contre le juge
SEWELL les accusations les plus graves, telle
que celle d'avoir voulu imposer ces règles de
pratique sans l'autorité du parlement; de
l'avoir fait destituer de sa place de solliciteur-général pour y substituer son frère,
ET. SEWELL; d'avoir violé la liberté de la
presse, en faisant saisir sans motif plausible
le Canadien, et la liberté de la chambre, en
faisant emprisonner plusieurs de ses membres. Ces accusations, dont quelques-unes
étaient véritables, furent transmises en Angleterre; mais STUART n'ayant pu aller
les
soutenir, SEWELL se lava de ces assusations.
Il en fut ainsi du juge MONK, accusé en
même temps de diverses malversations, et,
comme l'observe M. F. X. GARNEAU, le
juge SEWELL ne crut pouvoir mieux se venger des accusations portées contre lui qu'en
proposant au Prince Régent l'union de
toutes les provinces britanniques, et de noyer
par la la nationalité française. Voilà, M. le
PRÉSIDENT, dans quelle circonstance fut
proposé pour la première fois le projet de
confédération; et, il faut le dire, avec la
recommandation de M. SEWELL, il doit
éveiller bien des craintes de la part de nos
députés vraiment français. En effet, par
qui ce mot de confédération est-il prononcé?
Par un homme qui avait violé la liberté de la
presse et la liberté du parlement! par un
homme qui rêvait depuis de longues années
l'anéantissement de la nationalité canadienne- française! Plus tard, après la révolution
de
1837, lord DURHAM ne trouvait pas d'organisation politique mieux faite pour nous
perdre que la confédération. Et aujourd'hui,
ses compatriotes au pouvoir subissent—que
dis-je? ils proposent au peuple ce projet
d'anéantissement froidement calculé pour
nous perdre, et qui nous perdra, M. le
PRÉSIDENT, si, en dehors de cette chambre,
l'opinion publique ne proteste pas par tous
les moyens constitutionnels contre le suicide
politique de la race française en Canada.
A la prorogation du parlement en 1814,
le président, L. J. PAPINEAU, adressa les
paroles suivantes au gouverneur, Sir GEORGE
PREVOST:—
"Les événements de la dernière guerre ont
resserré les liens qui unissent ensemble la Grande- Bretagne et le Canada. Ces provinces
lui ont été
conservées dans des circonstances extrêmement
difficiles."
Ces paroles méritent à plus d'un titre
d'être méditées, et j'appelle l'attention des
hon. députés de cette chambre sur ce
passage remarquable:—
"Lorsque la guerre a éclaté—continue M.
PAPINEAU,—ce pays était sans troupes et sans
argent, et Votre Excellence, en tête d'un peuple en
qui, disait-on, l'habitude de plus d'un demi-siècle
de repos avait détruit tout esprit militaire. Au- dessus de ces préjugés, vous avez
su trouver dans
le dévouement de ce peuple brave et fidèle, quoique injustement calomnié, des ressources
pour déjouer les projets de conquête d'un ennemi nombreux
et plein de confiance dans ses propres forces. Le
sang des enfants du Canada a coulé, mêlé à celui
des braves envoyés pour les défendre. Les preuves
multipliées de la puissante protection de l'Angleterre et l'inviolable fidélité de
ses colons, sont
devenues pour ceux-ci de nouveaux titres en vertu
desquels ils prétendent conserver le libre exercice
de tous les avantages que leur assurent la constitution et les lois."
Ce président de l'assemblée législative à
vingt-six ans, qui a lutté avec tant d'héroïsme
pour l'obtention de nos libertés et de nos
droits politiques, est le même qui, à une
des dernières séances de cette chambre,
a été ignominieusement traîné devant cette
par chambre par le député de Montmorency et
l'hon. procureur-général Est (M. CARTIER).
Son nom, qui est vénéré par la nation toute
entière comme celui de son libérateur, a été
jeté comme une insulte à la figure des hon.
députés de cette chambre qui s'honorent de
l'avoir pour chef et qui continuent aujourd'hui son œuvre de protection de nos droits
politiques contre les sourdes menées d'une majorité hostile. Mais, M. le PRÉSIDENT,
ce vieillard qui a blanchi au service de son pays est à
l'abri des insinuations menteuses qui n'arrivent pas plus à sa calme retraite qu'au
cœur
des amis sincères de notre pays. Là, ce grand
patriote des mauvais jours, après avoir
fait sa tâche, jouit en paix et avec orgueil
de l'estime de ceux qu'il a su défendre de sa
voix puissante aux époques néfastes de notre
histoire politique. Contre un pareil homme,
l'injure grossière, les calomnies éhontées
retombent de tout leur poids contre ceux qui
sont assez lâches pour s'attaquer à une de
nos plus belles gloires nationales. Le nom
619
de l'hon. L. J. PAPINEAU est entouré d'une
auréole brillante que les calomnies haineuses
ne réussirent jamais à ternir. Sa mémoire
est à l'abri de leurs atteintes envieuses, car
elle est sous la garde du peuple qu'il a
arraché à l'oppression systématique coloniale
dont je fais l'histoire. En vérité, M. le
PRÉSIDENT, il faut qu'une cause soit bien
près d'être perdue pour que l'hon. procureur- général Est ait recours à de pareils
moyens
pour la sauver. Il faut que le procureur- général Est ait bien peu confiance dans
sa
cause pour soulever les préjugés de ses partisans, en traînant dans la boue une des
plus
grandes figures de notre histoire. (Ecoutez!
écoutez!) Un pareil langage dans la bouche
du procureur- général est d'autant plus
coupable, qu'il a été lui-même un des
révoltés de 1837-38 et un des plus zélés
partisans du grand patriote qu'il insulte
aujourd'hui. N'a-t-il pas lui-même voté en
faveur des 92 résolutions, ce monument
impérissable des droits canadiens? Oui, M.
le PRÉSIDENT, c'est cet homme dont la tête
fut mise à prix, cet homme qui fut obligé de
fuir sa patrie et de demander à nos voisins
le droit d'asile qu'il refuse aujourd'hui aux
révoltés du Sud, c'est cet homme qui, devenu
le procureur-général de Son Excellence, a
l'audace d'appeler ce grand homme "le bonhomme PAPINEAU," et l'opposition dans
cette chambre "la queue du bonhomme
PAPINEAU!" M. le PRÉSIDENT, je n'hésite
pas à le dire, des expressions comme celles-là
sont indignes de cette chambre et indignes
de la position du procureur-général, qui a eu
le triste courage de les laisser tomber de ses
lèvres. (Ecoutez! écoutez!) Ces expressions sont tout au plus dignes des carrefours,
et il faut en vérité que le niveau de cette
chambre ait bien baissé pour qu'on ose ainsi
souiller cette enceinte. Il faut avoir perdu
tout sentiment de dignité pour avoir permis
au procureur-général de traîner ainsi sur
notre parquet le nom d'un homme vénéré
par tous les Canadiens vraiment français.
Qu'on ne se fasse pas illusion: les opinions
et les idées qui tendent au bonheur des
peuples, de même que les hommes qui les
soutiennent et luttent en leur faveur, sont
toujours au-dessus des atteintes des calomniateurs et des envieux. Et quel peut donc
être
le but du député de Montmorency et du
procureur général en s'attaquant au nom de
hon. M. PAPINEAU? Leur but est d'abord
de jeter du discrédit sur l'opposition qui le
représente, et ensuite de se grandir eux
mêmes en ramenant à leur niveau ces géants
de notre histoire, auprès desquels ils ne sont
que des pygmées. Car il y a deux manières
d'être grand—la première consiste à rendre
à son pays des services éminents et à se
distinguer par une supériorité reconnue.
Mais comme le procureur-général et le député
de Montmorency n'ont ni l'étoffe ni la supériorité qui font les grands hommes, ils
adoptent la seconde manière d'être grands. Elle
consiste à rapetisser et à briser tous ceux qui
sont supérieurs. C'est ainsi qu'ils espèrent
grandir en s'élevant sur les débris des réputations perdues par leurs calomnies envieuses
et leurs attaques incessantes. Ils démolissent hardiment sans s'arrêter devant les
noms qui personnifient toute une époque de
notre histoire, et si une grande figure se
dresse dans notre passé comme une statue de
la gloire, de suite leurs mains sacriléges la
mutilent et, restés seuls debouts sur ses tronçons épars, ils contemplent avec orgueil
tous
ceux qui, tombés sous les coups de leur
vandalisme, gisent à leurs pieds. Tel est,
M. le PRÉSIDENT, le motif qui explique les
efforts faits pour abaisser ainsi une de nos
plus belles gloires nationales. (Un membre:
Très bien! et cris de: Ecoutez! écoutez!)
Mais nous ne sommes pas encore arrivés à la
fin de nos luttes. A l'ouverture du parlement
en l816, un message fut communiqué à la
chambre, l'informant que les accusations
proférées contre les juges SEWELL et MONK
avaient été repoussées. L'amertume des
paroles de ce message blessa vivement
l'assemblée, qui se proposait de répondre,
lorsqu'eut lieu la dissolution du parlement
pour prévenir la manifestation de ces plaintes.
Et quelle était la position prise par le gouvernement impérial au sujet de ces difficultés?
Nous les trouvons dans la lettre qu'envoya
lord BATHURST, en réponse au gouverneur
SHERBROOKE, qui lui faisait part de la fausse
voie suivie par le bureau colonial en opprimant ainsi notre race:—
"Jusqu'ici le gouvernement a trouvé dans toutes
les occasions ordinaires une ressource constante
dans la fermeté et les dispositions du conseil
législatif, et il n'y a aucune raison de douter qu'il
ne continue tant n'il pourra à contrecarrer les
mesures les plus injudicieuses et les plus violentes
de l'assemblée."
En effet, c'était des mesures bien peu
judicieuses et bien violentes que celles de
la chambre d'assemblée d'alors; elle demandait que le peuple eût une voix dans la
disposition des deniers qu'on prélevait sur
620
lui! Et voilà pourquoi le conseil législatif
contrecarrait toutes les mesures demandées
par le peuple. Je continue à citer:—
"Il est donc désirable pour toutes sortes de
raisons que vous profitiez de son assistance pour
réprimer les actes de cette assemblée que vous
trouverez sujets à objection, au lieu de mettre
votre autorité ou celle du gouvernement en
opposition immédiate à celle de la chambre, et
ainsi de lui donner un prétexte pour refuser à la
couronne les subsides nécessaires pour le service
de la colonie."
Oui, M. le PRÉSIDENT, le conseil législatif
nommé à vie a toujours été la pierre d'achoppement dans la réalisation de toutes les
réformes demandées par les Canadiens- Français. La chambre élective a toujours
rencontré de sa part, une opposition systématique à toutes les mesures demandées par
le peuple, opposition qu'il lui était impossible de renverser. Ce n'est qu'en 1856
que nous réussissions, après cinquante ans
de luttes constantes, à introduire le principe
électif dans la chambre haute. Aujourd'hui,
malgré les enseignements d'un passé malheureux, écrit en caractère de sang, on veut
revenir à l'ancien système, on veut lâchement abandonner un privilége, un droit
politique qui nous a coûté tant de luttes et
tant de malheurs. Oui, M. le PRÉSIDENT,
tel est le projet du gouvernement actuel; il
veut que dans la confédération le conseil
législatif soit nommé à vie comme aux
mauvais jours de notre histoire. Mais heureusement que le peuple est là, qui sait
parfaitement ce que lui vaudrait ces nominations à vie. Il sait que la grande majorité
de ces hommes, ainsi nommés par un gouvernement général numériquement hostile
à notre race, serait toujours prête à rejeter
les mesures les plus favorables à nos intérêts
comme nation. Le conseil législatif, sous
la confédération, sera ce qu'il était aux jours
d'oppression lorsque lord BATHURST, donnant les instructions du gouvernement
impérial au gouverneur SHERBROOKE, lui
disait: "Ayez soin de vous servir du conseil
législatif pour contrecarrer les mesures de
la chambre élective." C'est cela; on s'abrite
derrière un conseil composé de créatures
nommées à vie, puis, tout en vantant bien
haut la libéralité du régime colonial de
l'Angleterre, en tire les ficelles et on fait
jouer à ces hommes le rôle d'oppresseurs.
Et c'est absolument la même organisation
politique qui nous est proposée dans le
projet de confédération. Avec le conseil
législatif nommé à vie, nous aurons des
hommes qui, dans leur morgue aristocratique,
seront toujours prêts à nier au peuple les
mesures dont il aura besoin; si ces mesures
touchent à quelque privilége des classes
aristocratiques, quelles que soient les instances des députés envoyés à la chambre
élective, nous serons dans l'impossibilité
constitutionnelle d'obtenir ces mesures. De
plus, ces conseillers à vie, dont la majorité
sera hostile, feront tout pour plaire au pouvoir qui les aura nommés et au gouvernement
impérial qui, de tout temps, a su largement
récompenser ses créatures. Voilà, M. le
PRÉSIDENT, les dangers qui nous attendent
si nous retournons à l'ancien système des
nominations à vie proposé par le gouvernement dans le projet de confédération.
(Ecoutez! écoutez!) Mais les premières
instructions données par lord BATHURST au
gouverneur SHERBROOKE n'étaient pas suffisamment explicites, paraît-il; car peu de
temps après il lui transmit celles qui suivent:
"Je vous recommande fortement de veiller
à ce que la chambre d'assemblée ne dispose
pas des deniers publics sans le consentement
du conseil législatif; "violant ainsi sans scrupule l'essence même de la constitution,
dans
un but évident de fanatisme national. En
effet, c'est un principe de la constitution
anglaise que la chambre populaire, qui
représente l'opinion du peuple, a seule le
droit de voter les subsides pour l'administration du gouvernement, et que les deniers
prélevés à cette fin sur le peuple ne doivent
être dépensés qu'avec le consentement de
cette chambre et pas autrement. Eh bien!
M. le PRÉSIDENT, que voyons-nous ici?
Nous voyons le gouvernement impérial
recommander expressément au représentant
de Sa Majesté en Canada de ne pas souffrir
que les subsides soient votés sans le consentement du conseil législatif, nommé à
vie
par la couronne, et dont les efforts constants
étaient de résister aux justes demandes des
Canadiens-Français. Cette question des
subsides, qui a été la cause principale de
tous les troubles qui ont bouleversé notre
société avant et depuis cette époque, ne
devait pas rester la. Nous avions alors des
hommes qui ne cédaient pas devant la résistance! Aussi les voit-on, ces nobles champions
de nos droits et de nos libertés, revenir
tous les ans avec la même demande, ne se
rebutant devant aucun refus, et luttant
jusqu'à ce qu'enfin on leur eût accordé ce
qu'ils demandaient aussi légitimement. En
621
janvier 1819 s'ouvrirent les chambres, et la
première question qui souleva des débats
très-vifs fut encore celle des finances. La
discussion s'éleva pour savoir si la chambre
basse, qui avait déjà obtenu le vote annuel
des subsides, pouvait de plus obtenir une
liste civile en détail et voter séparément
chaque objet. La majorité le voulait, afin
de s'assurer de l'intégrité des officiers
publics, et tenir en échec les membres du
conseil exécutif, sur lesquels elle n'avait
aucun contrôle. D'autres s'y opposèrent
avec force comme étant un principe nouveau
et violant les droits de la couronne. Un
comité nommé à cet effet fit rapport de
réduire les dépenses bien trop considérables
pour le revenu, et demanda la suppression
des pensions comme étant sujettes à beaucoup
d'abus. Prenant un milieu entre les deux
extrêmes, quelques-uns voulurent voter les
subsides par chapitres, ou en sommes rondes
pour chaque département. Mais les partisans du vote en détail l'emportèrent, le bill
fut passé, envoyé au conseil, qui, comme on
s'y attendait, le rejeta, et motiva le rejet
dans les termes suivants:
"Que le mode adopté pour l'octroi de la liste
civile était inconstitutionnel, sans exemple, comportait une violation directe à des
droits et des prérogatives de la couronne: que si le bill devenait
loi, il donnerait aux communes non seulement le
privilége de voter les subsides, mais aussi de
prescrire à la couronne le nombre et la qualité de
ses serviteurs en réglant et en récompensant leurs
services comme elle le jugerait convenable, ce qui
les mettrait dans la dépendance des électeurs et
pourrait leur faire rejeter l'autorité de la couronne
que leur serment de fidélité les obligeait de soutenir."
Ainsi, M. le PRÉSIDENT, le conseil nommé
à vie rejetait cette mesure essentiellement
juste: la votation, item par item, des subsides par la chambre basse; c'est-à-dire
la
distribution des deniers prélevés sur le
peuple, et il allait même jusqu'à dire que
cette mesure était inconstitutionnelle. Comprend-on, aujourd'hui, qu'il pût pousser
le
servilisme aussi loin? A cette époque, la
population du Haut-Canada avait augmenté
dans une proportion considérable, et le Bas- Canada comptait une population anglaise
assez nombreuse pour motiver un projet
d'union des deux Canadas sous un même
gouvernement, et en 1823 la proposition en fut
faite à l'Angleterre. C'est donc à cette
époque de trouble, d'agitation et de rivalité
entre les chambres que se trama en Angleterre un complot pour anéantir d'un seul
coup la nationalité canadienne-française.
Les guerres avaient fait ajourner le projet
de l'union des provinces, car on avait eu
besoin du secours du peuple canadien. La
paix étant établie, on résolut de faire passer
la mesure, et un bill à cet effet fut présenté
dans le parlement impérial à l'insu de ceux
dont on décidait le sort, sans les consulter,
car on les savait opposés à cet acte oppressif.
Oui, sans consulter le Bas-Canada, on voulait
lui imposer une constitution dans laquelle
il avait moins de représentants que le Haut- Canada; de plus, on mettait à sa charge
la
dette de l'autre province, qui était considérable, et on proscrivait sa langue dans
le
parlement. Grâce à une heureuse opposition qui se forma dans le parlement impérial,
malgré toutes les intrigues et les
démarches de nos ennemis, le bill fut rejeté
à sa seconde lecture. Alors, comme aujourd'hui, ceux qui voulaient notre perte criaient
bien haut qu'il fallait presser la passation de
ce bill avant que le peuple ne puisse protester; de même aujourd'hui ceux qui veulent
nous imposer la confédération, malgré les
pétitions qui s'opposent au projet, nous disent
qu'il faut accepter cette nouvelle constitution sans retard et avant que le peuple
n'en
connaisse les monstrueux détails." Je vous
supplie de passer ce bill immédiatement,
disait M. WILMOTT; si vous attendez à
l'an prochain, vous recevrez tant de pétitions
pour protester contre la mesure qu'il sera
fort difficile de l'adopter, quelque utile
qu'elle puisse être à ceux qui s'y opposent
par ignorance ou par préjugé. D'ailleurs,
elle est indispensable pour faire disparaître
les difficultés qui existent entre l'exécutif et
l'assemblée." Lorsque la nouvelle de ces
tentatives injustes, mais heureusement
vaines, parvint en Canada, elle y causa la
plus vive agitation, et le peuple canadien
tout entier fut indigné d'une conduite semblable. Des assemblées nombreuses se
tinrent à Montréal et à Québec dans le but
de protester contre le bill, et des pétitions
au gouvernement anglais se couvrirent de
60,000 signatures. A cette époque, comme
aujourd'hui, on voulait passer ce projet
d'union sans consulter le peuple, et le parlement impérial soumettait à sa législature
un
projet contre lequel 60,000 Canadiens-Français protestèrent. Je n'hésite par à le
dire.
M le PRÉSIDENT, le projet de confédération
qu'on veut aujourd'hui imposer au peuple
ne sera pas rejeté par 60,000 signatures
canadiennes-françaises seulement, mais par
622
600,000. Oui, le réveil vient de se faire
dans notre population, et, dans cette protestation en masse, nous ne resterons pas
en
arrière de ceux qui ont réclamé avant nous
chaque fois qu'on a voulu leur imposer d'injustes prétentions. Comme eux, nous enverrons
en Angleterre des milliers de signatures pour plaider contre la constitution dont
nous ne voulons pas, et si, après cela, on ne
nous fait pas justice, eh bien! fiat justitia
ruat cœlum, nous aurons employé tous les
moyens constitutionnels; la responsabilité
des conséquences de ce déni de justice
retombera sur la tête de ceux qui auront
travaillé à amener un pareil état de choses.
L'hon. DENIS BENJAMIN VIGER, l'un des
plus valeureux champions de nos droits, disait
à propos de l'introduction de ce projet
d'union dans le parlement impérial, sans
consulter le peuple:—
"C'est après plus de soixante ans de paix et de
bonheur, quand la génération qui vit la conquête
est dans le tombeau, quand il reste a peine des
témoins de cet événement au milieu de la génération actuelle, quand le souvenir comme
le sentiment en est éteint dans le cœur des Canadiens,
quand enfin il n'y a plus dans cette province
que des hommes nés sujets britanniques, et jouissant de leurs droits à ce titre, qu'on
a pu former
le projet de nous traiter, je ne dirai pas comme
un peuple conquis, à qui le droit public des
nations civilisées ne permet plus d'arracher ses
établissements et ses lois plus que ses propriétés,
mais bien comme ces peuples sauvages, à qui les
lumières et les arts, ainsi que les principes et les
devoirs de la vie civile, sont inconnus."
En effet, M. le PRÉSIDENT, ces expressions
ne sont pas trop fortes pour qualifier la conduite du gouvernement impérial à cette
époque. Il fallait du sang à St. Denis et à
St. Charles, et que les têtes roulassent sur
l'échafaud pour obtenir justice. Alors seulement, et lorsqu'on vit que le peuple n'hésitait
pas à sacrifier ses plus nobles enfants
pour acheter sa liberté et ses droits politiques, on nous donna le gouvernement responsable
que nous avons aujourd'hui et que
nous prétendons garder. A l'ouverture de
la session suivante on s'attendait à la répétition des débats sur les finances; mais
le
gouverneur ayant séparé dans les estimés la
liste civile des autres dépenses, les subsides
furent votés. C'est ainsi que chaque fois
qu'on a persisté dans la lutte on a obtenu
ce qu'on demandait, et je me demande pourquoi nos hommes politiques, qui ont lutté
depuis l'union pour la conservation de la
constitution, telle qu'elle est, avec un si grand
succès, cèdent aujourd'hui aux prétentions
du Haut-Canada. Maintenons donc la constitution actuelle, qui offre la plus grande
somme d'avantages pour les Canadiens- Français! On avait cru pendant quelque
temps que la question des finances était parfaitement réglée; mais au retour de DALHOUSIE,
elle fut soulevée de nouveau plus
menaçante que jamais, et les subsides furent
refusés (1827.) Le gouverneur, dès le lendemain, prorogea les chambres, en insultant
à la dignité des communes et en félicitant
le conseil législatif. Cet acte tyrannique
causa une surexcitation chez le peuple.
Le presse tonna contre le pouvoir et, pour
faire voir l'exaspération dans lequel on avait
jeté les esprits, je citerai un extrait d'un
journal de ce temps-là:
"Canadiens! on travaille à vous forger des
chaînes; il semble que l'on veuille vous anéantir
ou vous gouverner avec un sceptre de fer. Vos
libertés sont envahies, vos droits violés, vos priviléges abolis, vos réclamations
méprisées, votre
existence politique menacée d'une ruine totale....
Voici que le temps est arrivé de déployer vos
ressources, démontrer votre énergie et de convaincre la mère-patrie et la horde qui,
depuis un
demi-siècle, vous tyrannise dans vos propres foyers,
que si vous êtes sujets, vous n'êtes pas esclaves."
Les élections furent favorables au parti
populaire. A la réunion du parlement, M.
PAPINEAU fut choisi comme orateur, mais
le gouverneur refusa de sanctionner ce choix,
et dit à la chambre d'assemblée d'en élire
un autre. Devant un pareille conduite, que
devait faire la chambre d'assemblée? Se
plier? Non! M. le PRÉSIDENT, nous avions à
cette époque dans notre chambre d'assemblée
des hommes qui ne reculaient pas devant
leur devoir et devant la responsabilité de leur
juste opposition. Sur motion de M. CUVILLIER, il fut résolu que le choix du président
devait être fait librement et indépendamment
du gouverneur; que M. PAPINEAU avait
été choisi, que la loi n'exigeait pas d'approbation, et qu'elle était, comme la présentation,
une simple formalité d'usage. M. PAPINEAU
ayant été reconduit au fauteuil, le gouverneur
ne voulut point approuver ce choix, et le
soir même le parlement était dissout. Ainsi,
M. le PRÉSIDENT, ce parlement n'exista
qu'une journée, parce que son président, dans
son indépendance, n'était pas homme à se
plier aux vengeances d'un pouvoir mal conseillé. En vérité, si ce sont là les libertés
que
nous devons au système colonial, je n'ai pas
besoin d'en faire connaître la valeur dérisoire.
Le peuple comprit la position qu'on voulait
lui faire et prit les moyens de repousser ces
623
nouvelles tentatives d'agression. L'agitation ne fit que s'accroître; des assemblées
publiques se firent dans les villes et les campagnes, les discours se ressentirent
du
trouble où étaient plongés les esprits; on alla
même jusqu'à sévir contre la presse; et
pour la seconde fois fut arrêté M. WALLER,
l'éditeur du Spectateur, de Montréal. Des
adresses, couvertes de plus de 80,000 signatures, furent envoyées en Angleterre et
portées par MM. NEILSON, CUVILLIER et
D. B. VIGER. M. GALE porta celle du parti
oligarchique. Une grande assemblée des
comtés de Verchères, Chambly, Rouville et
St. Hyacinthe, se tint à St. Charles, où l'on
protesta énergiquement contre l'ordre de
choses existant, et on alla jusqu'à dire que
l'on devait s'attendre aux conséquences qui
pourraient résulter d'une violation aussi
manifeste des droits les plus sacrés du peuple
canadien. Si, M. le PRÉSIDENT, le peuple
du Bas-Canada dût à cette époque traverser
l'océan pour faire entendre sa voix et obtenir
justice du gouvernement britannique; s'il
fallut que nos chefs allassent déposer au
pied du trône de Sa Majesté la protestation
de 80,000 Canadiens-Français qui, aux mauvais jours de notre histoire, avaient su
sacrifier leurs vies pour maintenir la souverainté
britannique sur ce continent; aujourd'hui
encore, au moment où on veut nous imposer
une nouvelle constitution que nous n'avons
jamais demandée et que le peuple du BasCanada condamne énergiquement, le même
moyen de protestation nous est laissé, et le
gouvernement peut compter que nous saurons
être aussi ferme dans la défense de nos droits
et de nos libertés politiques que l'ont été
les députés d'une autre époque. Notre protestation, s'il est possible, sera plus énergique
encore contre le projet de confédération
qu'on veut nous imposer.
"La chambre s'assembla en 1831, et le gouverneur, dans le cours de la session, lui
transmit
la réponse de l'Angleterre relativement à la queston des subsides. Le gouvernement
impérial
abandonnait aux députés le contrôle sur le revenu,
à l'exception du revenu casuel et territorial, consistant dans les biens des jésuites,
les postes du
roi, les droits du quint, les lods et ventes, les
terres et bois, etc., pour une liste civile de £19,000
votée pour la vie du roi."
En 1831, on accordait la votation par item
d'une partie seulement des subsides. Cette
restriction ne fut pas acceptée par ceux qui
représentaient le peuple dans la chambre
d'assemblée! Un pareil état de choses ne
pouvait se prolonger sans amener une collision,
et les évènements de 1837 vinrent justifier
les appréhensions de ceux qui n'avaient cessé
d'avertir le gouvernement qu'il était impossible que le peuple souffrît plus longtemps
une aussi affreuse négation de ses droits, et
qu'il y avait danger imminent de lasser sa
patience. Les évènements se succédèrent, et
le clergé de cette époque comme aujourd'hui
était opposé à toute démonstration énergique.
Monseigneur LARTIGUE, de Montréal, publiait un mandement dans lequel il disait:
"Qui oserait dire que dans ce pays la totalité
des citoyens veut la destruction de son gouvernement?" Sans doute, M. le PRÉSIDENT,
personne ne le voulait, mais la minorité de
cette époque, comme la minorité d'aujourd'hui,
se plaignait des injustices dont elle souffrait,
et elle avait contre elle le clergé. La minorité
d'alors combattait pour les libertés politiques
du peuple, comme elle le fait aujourd'hui, et
avait contre elle toutes les fortes influences
et toutes les autorités établies. Il y a dans
ce rapprochement un fait dont nous devons
prendre note. Aujourd'hui, le gouvernement
nous jette à tout instant cette insulte à la
figure: "Vous ne représentez rien ici;
l'opinion publique est contre vous." Eh
bien! M. le PRÉSIDENT, j'aimerais beaucoup
savoir de l'hon. procureur-général du Bas- Canada si lui et son hon. collègue, le
premier
ministre, avaient pour eux la majorité du
peuple et le clergé bas-canadien, alors qu'en
1837 ils protestaient énergiquement contre
les injustices faites à leurs compatriotes.
Non! M. le PRÉSIDENT, à cette époque ils
faisaient partie de la petite phalange qui alla
jusqu'à lever l'étendard de la révolte dans
les plaines de St. Denis et de St. Charles.
Les temps sont bien changés, n'est-ce pas?
Aujourd'hui, ces mêmes hommes, les révolutionnaires d'autrefois, font l'impossible
pour
refuser au peuple le droit de se prononcer
pour ou contre les changements constitutionnels qu'on veut lui imposer. Un pareil
oubli de leur passé est réellement déplorable.
M. le PRÉSIDENT, je ne désire pas, pour de
graves raisons, insister sur ce qui s'est passé
en 1837. En 1838, restait à faire le procès
de ceux qui se trouvaient impliqués dans les
troubles. Lord DURHAM se trouva dans
une situation embarrassante, car il est
toujours difficile pour un gouvernement de
faire des procès politiques; souvent il y
perd sa force et sa popularité. Pour obvier
aux difficultés du moment, le gouverneur
résolut d'adopter une grande mesure. Le
jour du couronnement de la reine VICTORIA,
624
il proclama une amnistie génerale, et accorda
le pardon aux Canadiens, à l'exception de
vingt-quatre des plus dévoués du parti révolutionnaire. Il est assez important, M.
le
PRÉSIDENT, de savoir quels étaient les vingt- quatre hardis révolutionnaires contre
lesquels
le gouvernement britannique sévissait aussi
sévèrement, et contre lesquels le clergé
s'était si fortement prononcé. Ces hommes
étaient MM. WOLFRED NELSON, R. S. M.
ROUCHETTE, BONAVENTURE VIGER, SIMÉON
MARCHESSAULT, H. A. GAUVIN, T. H.
GODIN, ROD. DESRIVIÈRES, L.H. MASSON,
LOUIS J. PAPINEAU, C. H. CÔTÉ, JULIEN
GAGNON, ROBERT NELSON, E. B. O'CALLAGHAN, ED. ET. RODIER, T. S. BROWN,
LUDGER DUVERNAY, ET. CHARTIER, PTRE,
G. ET. CARTIER, J. RYAN, fils, Ls. PERREAULT, P. L. DEMARAY, J. F. DAVIGNON
et LS. GAUTHIER." Ainsi, M. le PRÉSIDENT,
parmi ces hommes sanguinaires, je trouve
l'hon. procureur-général du Bas-Canada
(M. CARTIER). (Ecoutez! écoutez!) Loin
de moi la pensée de lui reprocher sa
conduite à cette époque; je l'ai toujours
regardée comme celle d'un patriote et d'un
ami sincère de son pays. D'ailleurs, cet
hon. député nous a déclaré, dans plusieurs occasions, qu'il ne regrettait pas
les luttes qu'il avait autrefois soutenues
pour revendiquer les libertés politiques de
son pays, et je comprends parfaitement qu'il
persiste dans ces sentiments, car il est
aujourd'hui acquis à l'histoire que tous ceux
qui ont pris part à ces luttes ont noblement
joué leur vie pour jouir de leurs convictions, et
la minorité d'alors comme la minorité actuelle
ne pouvait attendre que des mécomptes de
son opposition au pouvoir. Il ne m'appartient point de décider jusqu'à quel point
ce
mouvement insurrectionnel était motivé par
les circonstances déplorables de cette époque;
mais j'ai l'entière conviction que ceux qui y
ont présidé étaient mus par un sentiment
patriotique et un généreux désir d'obtenir
pour leurs compatriotes les libertés politiques
qu'on leur refusait. Ils ont donc amplement
mérité de leur pays pour les sacrifices qu'ils
lui ont faits. Voyez plutôt, M. le PRÉSIDENT:
les hommes qui, il y a vingt ans, se trouvaient dans une minorité révolutionnaire,
bravaient le clergé, et levaient l'étendard de
la révolte contre la Grande-Bretagne, sont
aujourd'hui dans la majorité et appuyés par
la puissante influence de l'Angleterre et du
clergé dont ils ont l'entière confiance! Ils
ont leurs petites entrées à Windsor, occupent
les charges les plus lucratives et les plus élevées
de notre pays, et sont décorés même des
titres dont Sa Majesté sait récompenser ses
plus loyaux sujets. La minorité aujourd'hui,
pas plus qu'en 1837, ne veut avoir recours
aux moyens que donne la révolution après
avoir épuisé ceux que donne la constitution,
mais elle a l'intime conviction que, dans vingt
ans, quand le peuple aura pu apprécier ce
qu'elle fait aujourd'hui pour lui, il éprouvera
pour l'opposition qui se dévoue un sentiment
de reconnaissance dont le résultat sera de
lui donner son entière confiance après la lui
avoir refusé aux jours de l'épreuve. Oui,
M. le PRÉSIDENT, de même que la minorité
en 1837 est la majorité aujourd'hui, de
même la minorité actuelle sera la majorité
dans un avenir plus ou moins prochain. Je
ne veux pas, M. le PRÉSIDENT, suivre jusque
sur l'échafaud les victimes de cette époque
malheureuse de notre histoire. Ils ont payé
de leur tête leur dévouement à la cause de
leur pays, et s'il est besoin de sang et de
dévouement pour mériter à un peuple ses
droits d'existence, les leurs sont là pour
dire que le Canada-français a largement et
noblement sacrifié ses plus nobles enfants au
génie de la Liberté! (Ecoutez! écoutez!)
Mais avant de terminer cet historique de
nos luttes, depuis la conquête jusqu'aux
évènements malheureux de 1837-38, il est
important de constater que c'est à notre
résistance héroïque dans le parlement et à
main armée que nous devons les libertés
politiques que nous garantit la constitution
actuelle. Je ne veux pas laisser cet aperçu
du système colonial de l'Angleterre, en
Canada, sans détruire la fausse impression
que ce système. colonial s'est sensiblement
amélioré, grâce à la libéralité des vues politiques des hommes d'Etat de la Grande-
Bretagne; que les luttes que nous avons
faites étaient dues aux idées d'une autre
époque, et qu'aujourd'hui toutes les libertés
dont nous jouissons s'étendent à toutes les
colonies anglaises auxquelles le régime colonial de notre époque garantit les avantages
et
les bienfaits du gouvernement responsable. Je
crois, M. le PRÉSIDENT, pouvoir détruire
facilement ces arguments erronés, et, pour
cela, je n'ai qu'à consulter le régime colonial
de l'Angleterre à l'île Maurice. Cette
colonie française, qui n'est pas aussi ancienne
que la nôtre et qui est devenue la conquête
de l'Angleterre, est tombée sous le joug de
la Grande-Bretagne en 1810. C'était alors
l'Ile de France. Depuis sa conquête, on en
625
a changé le nom en celui d'île Maurice.
Elle renferme une population presque toute
française; mais malheureusement pour ses
droits politiques elle n'a pas, comme nous,
l'avantage de demeurer dans le voisinage immédiat d'une grande république comme celle
des Etats-Unis, servant pour ainsi dire de garantie à la protection de ses libertés.
L'Ile de
France, grâce à son isolement, est justement
dans des circonstances qui nous permettent
de juger ce que valent les prétendues liber
tés du système colonial, lorsqu'il n'a rien à
craindre de la faiblesse des colons ou de
l'intervention d'un voisin puissant en faveur
des opprimés. Ainsi, M. le PRÉSIDENT, voilà
une magnifique occasion de juger si le système colonial, appliqué sous ces circonstances,
possède ce caractère de libéralité qu'on
lui attribue. Eh bien! je regrette de le dire,
on voit ici, comme nous l'avons vu en Canada,
la même politique agressive et tyrannique que
nous avons eue à combattre pendant tout un
siècle. Le système colonial a soulevé ici un
profond mécontentement. Je vais énumérer
les griefs dont on s'y plaint,—griefs qui ne
sont que trop fondés. Quand l'île Maurice
a été cédée à l'Angleterre, on a stipulé, comme
on l'avait fait pour le Canada, que la population française de l'île conserverait
l'usage
de sa langue, ses institutions religieuses
ainsi que ses lois qui l'avaient régie jusque
là: trois libertés d'un grand prix pour les
descendants de la vieille France! Eh bien!
M. le PRÉSIDENT, nous allons voir maintenant si l'Angleterre a respecté ces trois
clauses du traité. Je tiens en main une
correspondance dont la date n'est pas plus
ancienne que le 6 mai 1862; elle est écrite
par un colon français de l'île Maurice, et fait
un exposé du système colonial qui régit ses
compatriotes. Avant de lire cette correspondance, je dois d'abord dire que la population
de cette île est de deux cent mille âmes:
cette population est administrée par un conseil exécutif et un conseil législatif,
nommé
à vie, de 18 membres, dont 8 sont des fonctionnaires publics nommés et payés par le
gouvernement de la colonie; les dix autres
sont presque tous d'origine anglaise. Ainsi,
l'élément français dans le conseil législatif
de l'île Maurice est dans la proportion de 1
contre 5 environ, bien que la population soit
presque entièrement française.
"M. le rédacteur de l'Economiste Français,
"Vous promettez aux anciennes colonies françaises aide et protection dans vos colonnes;
il est
donc naturel que, confiant en cette promesse, je
vienne mettre sous les yeux de vos lecteurs et
dévoiler à un public intelligent, à des juges impartiaux, les actes d'un gouvernement
qui, depuis
1810, exerce sur nous le despotisme le plus absolu,
voilé sous le grand nom de liberté. En effet,
monsieur, nous avons la liberté de la presse,
mais on ne l'écoute pas. Vaines sont les réclamations; le gouvernement "se bouche
les oreilles
et nous laisse crier." Ensuite il nous dit que
nous n'aurons jamais une administration plus
sage, plus paternelle, plus libérale.—" Que voulez- vous de plus que la liberté de
penser et d'écrire?"
demande-t-il.
"Ce que nous voulons, c'est que cette liberté
de la presse nous soit utile à quelque chose; c'est
que le gouvernement écoute les organes de l'opinion publique; c'est qu'il ne gaspille
pas nos
fonds, malgré les protestations de la presse; (
*)
c'est qu'il fasse observer les lois telles quelles
ont été faites et également pour chacun; c'est
que, entre autres lois, celle sur la quarantaine soit
fidèlement observée, et qu'on ne tasse pas d'exceptions pour les navires de guerre
de Sa Majesté
britannique ou pour ceux qui portent des troupes;
c'est qu'on apporte plus d'attention aux communications avec les navires arrivant
de l'Inde; c'est
qu'on nous mette à l'abri des épidémies qui
viennent décimer notre population; c'est qu'on
empêche le choléra de devenir endémique dans le
pays, afin de conserver la population française
et créole de Maurice; c'est que l'on fasse une
enquête sur les causes qui ont pu nous donner le
choléra; c'est qu'on revise les lois insuffisantes;
c'est qu'on garde nos réserves chez nous, au lieu
de les prêter à la métropole ou à d'autres colonies;
c'est qu'on respecte notre traité de capitulation;
c'est qu'on ne cherche pas à introduire ici des lois;
anglaises, quand il est convenu que les codes
français seuls doivent nous régir; c'est qu'on
nous rende l'usage de la langue française qui nous
a été ravi au mépris de la foi jurée; c'est qu'on ne
fasse pas d'injustices criantes en faveur des Anglais
et au détriment des créoles; c'est que ces derniers
soient appelés aux différents emplois, et qu'on
ne les donne pas à des protégés incapables; c'est
encore le conseil législatif; le
self-government, etc.,
etc., Voilà ce que nous voulons!
"Vous croyez que nous voulons beaucoup
de choses! Mais n'est-ce pas que toutes ces
choses sont justes et raisonnables?
"Passons maintenant à l'énumération de quelques unes, et suivant l'ordre chronologique,
commençons par la langue française.
"L'acte de capitulation, signé en 1810 par les
représentants de la France et de l'Angleterre,
contenait les clauses suivantes que nous, peuple
conquis, nous imposions à nos vainqueurs:
"1o. Le respect de notre religion;
"2o. Le maintien de nos lois;
"3o. La garantie de nous laisser parler français.
"Eh bien! de ces trois principales clauses, inscrites en grosses lettres dans notre
acte de capitulation, acceptées et promises sous la foi du
626
serment, signées et approuvées par l'Angleterre,
l'une a déjà été violée; on travaille à en saper
une autre! Répudiant tout scrupule, le gouvernement anglais nous a d'abord ravi l'usage
de la
langue française devant les hautes cours de justice.
Nous avons réclamé; mais on est resté sourd à
nos réclamations.
"Ce premier pas fait, jusqu'où n'ira-t-on pas
dans ce grand œuvre de destruction de tout ce
qui nous vient de la France?
"Sur la demande de quelques Anglais, en s'occupe déjà de faire un remaniement dans
nos
codes, et, quand la population entière s'adresse
à la métropole pour obtenir la révocation d'un
ordre qui rend les affaires impossibles sans l'intervention très-coûteuse d'hommes
de loi et de traducteurs, et qui, de plus, blesse profondément les
cœurs créoles, on lui dit de se taire! Quand elle
demande à grands cris la révision des lois insuffisantes qui facilitent la propagation
de miasmes
méphitiques, on ne l'entend pas! Quand elle
réclame une enquête sur les circonstances qui
ont pu introduire chez elle la cruelle épidémie
qui, depuis plus de quatre mois, porte la mort
dans ses rangs, on lui dit qu'elle se crée des chimères! En même temps, et comme pour
éloigner
l'esprit public de cette idée, on a l'air de remettre
sur le tapis une question déjà résolue et votée:
celle des chemins de fer!
"Autre grief. Lorsque l'épidémie règne chez nous,
que notre municipalité a besoin d'argent pour les
soins à donner à la classe pauvre, le gouvernement
n'en a pas à prêter, parce que les réserves financières de la colonie se prêtent au
Cap, à l'lnde, à
Ceylan, à la métropole même."
Ainsi, M. le PRÉSIDENT, l'Ile Maurice
qui, aux termes de son traité de capitulation, devait conserver l'usage de sa langue,
de ses institutions particulières et de ses
lois, se voit bientôt enlever l'usage de sa
langue; ses lois sont changées et ses institution sont opprimées. C'est là, M. le
PRÉSIDENT, l'espèce de liberté dont une colonie
française peut jouir sous le régime colonial
de l'Angleterre, lorsque cette colonie est
faible et qu'elle ne se trouve pas, comme le
Canada, dans le voisinage d'une république
puissante comme celle des Etats-Unis.—Je
crois, M. le PRÉSIDENT, avoir démontré
amplement quel a été de tout temps l'esprit
d'antagonisme des deux races anglaise et
française sur les deux continents, et quel a
été l'esprit d'agression de l'élément anglais
contre notre population depuis l'origine de
la colonie jusqu'à nos jours; nous avons
vu le fanatisme colonial s'attaquer à nos
institutions, à notre langue, à nos lois, et
notre anéantissement comme race être le
but évident de ses constants efforts. Aujourd'hui, pouvons-nous croire qu'il en est
autrement, et cette unanimité de l'élément
anglais en faveur de la confédération ne
doit-elle pas nous effrayer? Sous ces dehors
de conciliation, n'y a-t-il pas notre perte?
Oui, consultons l'histoire de notre pays
avant d'opérer un changement aussi radical
dans notre constitution; rappelons-nous avec
terreur ces luttes et cet antagonisme qui
ont prévalu dans le passé, et efforçons-nous
de juger sûrement des résultats nécessaires
d'un changement constitutionnel aussi grave
que celui qui nous est proposé. (Ecoutez!
écoutez!) Voyons maintenant, M. le PRÉSIDENT, les conséquences désastreuses de
l'adoption du projet de confédération. Les
membres du gouvernement nous ont dit
que la confédération nous constituerait en
puissance militaire de premier ordre, et nous
permettrait de résister aux agressions de
l'Union Américaine. La défense de nos frontières est certainement une question de
la
plus haute importance, car personne n'ignore
que nos relations avec nos voisins sont
extrêmement tendues. Ils ont établi un
système de passeports dont le but est de
gêner notre commerce.—Le congrès a passé
une résolution presque unanime pour rappeler
le traité de réciprocité qui existe entre les
deux pays. Dans quelques mois, nos lacs
seront sillonnés par des vaisseaux de guerre,
dont l'armement ne peut être dirigé que sur
le Canada! Voilà, M. le PRÉSIDENT, qu'elle
est la position des Etats-Unis à notre égard,
et, pour faire face à ce danger, le gouvernement proposc de former une confédération
qui sera, nous dit-il, une puissance de premier ordre, pouvant maintenir sur ce continent
la suprématie de la Grande-Bretagne.
Mais le but qu'on se propose sera-t-il atteint?
Serons-nous plus forts avec la confédération
que nous ne le sommes aujourd'hui? Le gouverneur-général des provinces de l'Amérique
Britannique du Nord ne peut-il pas lever des
troupes dans toute l'étendue des provinces
placées sous sa juridiction? Les milices de
toutes ces provinces ne sont-elles pas sous
son commandement immédiat? On nous dit,
M. le PRÉSIDENT, que la confédération nous
donnera une organisation militaire plus uniforme que celle que nous avons aujourd'hui.
Mais rien n'empêche que cette organisation
soit créée sous la constitution actuelle: et je
n'hésite pas à le dire, sous cette constitution
les diverses provinces se défendront mieux
que sous la confédération. N'est-ce pas
précisément en créant ici une puissance
militaire hostile à la puissante république
voisine qu'on amènera la guerre et ses
calamités? Du moment que les Etats-Unis
627
verront dans cette confédération une organisation dont le but avoué est de balancer
leur
pouvoir en Amérique, ils n'attendront point
que nos fortifications soient élevées ou que
le chemin de fer intercolonial soit construit,
mais ils nous assaillierons de suite. D'un
autre côté, nous portons le défi à la république américaine en créant ici une organisation
politique contraire aux principes du
gouvernement démocratique qui la régit,
contraire à la fameuse doctrine MONROE qui,
comme on le sait, s'oppose à l'établissement
de gouvernements monarchiques sur ce
continent. Le projet du gouvernement actuel
est donc d'établir ici un système politique
essentiellement hostile aux Etats-Unis, puis qu'il sera essentiellement monarchique
et, au
lieu d'être pour nous un moyen de défense,
il ne peut qu'amener la guerre et ses conséquences désastreuses. Pour la sécurité
et
la prospérité de notre pays, le gouvernement,
au lieu de saigner le peuple, comme il se
propose de le faire pour bâtir çi et là des
fortifications ruineuses et insuffisantes après
tout, devrait appliquer les revenus du trésor
à la création de nouvelles industries, à
l'amélioration de nos voies de communication, et à la colonisation de nos terres
incultes. Ces sources inépuisables de richesses, sagement administrées, doubleraient
notre nombre, doubleraient nos revenus, doubleraient notre puissance, et nous donneraient
ainsi des moyens de défense plus efficaces
que ceux que nous donnera la confédération,
en écrasant le peuple sous les impôts pour
subvenir à une défense imparfaite de nos
frontières. Et croit-on, pour un instant, que,
lorsque nous aurons ainsi décrété d'urgence
la fortification de nos frontières, l'armement
de nos miliciens, et la création d'une flotte
sur nos mers intérieures, les Etats-Unis
en feront autant et qu'ils nous suivront
dans cette ruineuse folie? Croit-on que les
hommes d'Etat américains ne comprendront
pas de suite que, puisque nous voulons
nous ériger en ennemi sur leurs frontières
et les forcer ainsi à des dépenses énormes
pour nous tenir en échec, ce ne sera pas
pour eux une question d'économie pure et
simple de nous assaillir maintenant et prendre possession du pays avant que nous ne
puissions les forcer à maintenir cet état de
guerre ruineuse? Et comment ferions-nous
pour résister à une armée d'invasion de 2 à
300,000 hommes avec notre trésor épuisé
par ces fortifications et à peine aidés par
l'Angleterre, dont la politique est anti-
coloniale en ce moment? Je ne comprends
pas comment, en face du danger qui nous
menace et pour lequel nous sommes si peu
préparés, le gouvernement peut ainsi jeter
le défi à la puissante nation qui nous avoisine
et dont les armées aujourd'hui en campagne
défient toute résistance à un envahissement
immédiat. Je le dis avec certitude, M. le
PRÉSIDENT, les Etats Unis n'ont pas la
moindre intention de nous assaillir, si nous
restons paisibles spectateurs de leur lutte fratricide, et si nous continuons à pratiquer
les
arts de la paix. Mais si, au contraire, nous
créons ici une puissance militaire hostile, si
nous élevons ici un trône à un vice-roi,
ou à quelque monarque étranger, comme
un défi aux principes qui forment la base
sur laquelle s'appuie le système politique
des Etats-Unis, alors nous pourrons être
persuadés que la république voisine balaiera
cette organisation monarchique. (Ecoutez!
écoutez!) Voilà, M. le PRÉSIDENT, la question
sous son aspect le plus sérieux. Je n'entrerai pas dans la discussion des détails
du
projet de confédération, qui ont été si habilement critiqués par les hon. membres
qui
m'ont précédé; d'ailleurs, j'aurai occasion
de les discuter lorsque les amendements
au projet seront soumis à cette chambre.
Mais je puis dire de suite que ces détails ne
sauraient être acceptés par le peuple. Déjà
nous avons reçu de nombreuses pétitions
demandant le rejet de la mesure, et ces
pétitions continuent de nous arriver tous les
jours. Eh bien! je vous le demande, M. le
PRÉSIDENT, quels seront les sentiments du
peuple si ce projet est adopté et si dans deux
mois il nous revient d'Angleterre, après avoir
été sanctionné par le parlement impérial,
sans que nous ayons pu en changer le plus
petit détail? Croit-on qu'après avoir ainsi
imposé au Canada-Français une constitution
qu' il aura repoussée de toute son énergie, il
sera bien enthousiaste pour la défense de cette
constitution, qui lui aura enlevé une partie
des droits politiques dont il jouissait? Et il
n'y a pas à le nier: en acceptant la confédération proposée, nous cédons quelque chose
des priviléges dont nous jouissons aujourd'hui. Les ministres eux-mêmes ne nous ont-
ils pas dit que, sous la pression des demandes
du Haut-Canada, il leur avait fallu faire des
concessions à la conférence de Québec pour
assurer l'adoption du projet actuel? Et ces concessions quelles sont-elles? La majorité
hostile
du Haut-Canada a obtenu la représentation
basée sur la population, contre laquelle le
628
Bas-Canada a lutté si énergiquement depuis
quinze ans parce qu'il voyait dans cette concession l'anéantissement de notre influence
comme race. Sous ces circonstances, M. le
PRÉSIDENT, croit-on qu'on pourra compter
sur le concours de ces Canadiens-Français
autrefois si terribles dans l'attaque, et qui se
battaient sans hésitation un contre dix,—proportion dans laquelle nous nous trouverions
encore vis-à-vis des Américains dans le cas
probable d'une guerre. Espérer qu'ils combattraient avec le même élan aujourd'hui
quand on leur enlève les plus sûres garanties
de leur existence nationale et leurs droits
politiques les plus sacrés, c'est se tromper
grandement et ne pas connaître quel a toujours été la cause de leur héroïsme dans
la
lutte. Sous la constitution telle qu'elle est, ils
combattaient encore avec le même courage,
sans égard au nombre, parce qu'ils aiment
cette constitution qui leur garantit ce qu'ils
ont de plus cher et qu'ils veulent la conserver.
Sous la confédération, au contraire, il ne
nous reste plus rien à défendre; notre influence comme race est nulle, et plutôt que
d'être absorbé dans une confédération dont
l'existence sera une cause de luttes constantes, sans avantages correspondants, le
peuple mécontent cherchera d'autres alliances
politiquement et commercialement plus avantageuses, et c'est ainsi que je considère
que
le projet de confédération nous conduit
directement à l'annexion aux EtatsUnis.
Quand les commissaires du Nord et du Sud
ont eu dernièrement une entrevue pour
déterminer les conditions possibles d'une
paix honorable, une des trois propositions
soumises par le Nord était que les deux
armées ne seraient pas licenciées après la
cessation des hostilités, mais réunies pour
la guerre à l'étranger. Et, M. le PRÉSIDENT,
que veut dire la guerre à l'étranger pour les
Etats-Unis, si ce n'est la guerre au Canada?
Et que pourraient faire contre les deux
armées réunies du Nord et du Sud, dont la
force s'est élevée à 1,000,000 d'hommes, les
cinquante bataillons que l'Angleterre pourrait nous envoyer. Placée à mille lieues
de
nous, la Grande-Bretagne, avec tout son
matériel de guerre et nos milices, ne pourrait
défendre le Canada qu'au prix des plus
grands sacrifices contre un ennemi aussi
puissant. Ce n'est donc pas quand nous
sommes placés dans des circonstances aussi
difficiles qu'il convient de crier bien haut
que nous ne craignons point la lutte et que
nous sommes prêts à nous mesurer contre
les Etats de l'Union Américaine. Il est
également absurde de donner de l'ombrage
à leurs institutions en créant à côté d'elles
une organisation politique qui leur répugne
souverainement. Croit-on que nos prétentions monarchiques et nos menaces sont de
nature à intimider les hommes d'Etat américains? Nous ne sommes pour eux que des
pygmées menaçant des géants. Vienne la
guerre, sous la constitution actuelle, et
nous trouverons cent mille volontaires
prêts à voler à la défense de nos frontières.
Mais si le gouvernement impose au Canada- Français ce projet de confédération, dont
il
a tout à craindre et qui peut avoir les conséquences les plus désastreuses pour ses
institutions, sa langue et ses lois, alors, je
dois le dire, il y aura de l'hésitation dans
nos rangs au moment où chaque homme
marchera vers une mort à peu près certaine pour la défense d'un drapeau qui
n'aura plus pour notre race les garanties
de protection qu'il nous donne aujourd'hui.
Je dis donc que le moment est mal choisi
pour opérer des changements aussi graves
et pour jeter les bases d'un empire dont
l'existence, menacée à l'intérieur et à l'extérieur, n'aura que quelques jours de
durée.
Car avec le mécontentement du Canada- Français, froissé dans ses droits et privilèges,
il est impossible à l'Angleterre de se maintenir ici contre trois cent mille hommes
envahissant notre territoire sur dix points
de nos frontières. La politique la plus sage
que nous puissions suivre dans ce moment
de crise, est donc de rester paisibles spectateurs de la lutte de nos voisins, d'ouvrir
nos
forêts à la colonisation, d'exploiter nos mines
et nos pouvoirs d'eau, de défricher nos
terres incultes et de travailler sans relâche
à rappeler nos infortunés compatriotes dispersés aujourd'hui sur le sol américain.
Etablissons des voies pierrés, doublons notre
industrie manufacturière, agrandissons nos
canaux, étendons notre réseau de chemin de
fer jusqu'aux provinces maritimes, et lorsque
nous aurons atteint de grandes proportions
comme peuple, lorsque notre prospérité se
sera quadruplée, et surtout lorsque le terrible
cataclysme qui menace de tout détruire dans
l'Amérique du Nord aura fini son œuvre de
ruine, et lorsque enfin nous serons assez forts
pour nous protéger contre l'extérieur et que
le Canada-Français surtout aura acquis assez
de puissance pour avoir à peu près l'égalité
de représentation dans le parlement général,
il sera temps alors de jeter les bases d'une
629
grande confédération des provinces britanniques de l'Amérique du Nord, appuyée sur
le
principe protecteur de la souveraineté des
Etats. Dans ces conditions, la confédération
produira des fruits abondants et sera acclamée par le peuple de ce pays, et surtout
par
les Canadiens-Français qui, ayant doublé leur
nombre dans l'intervalle, seront en position
d'obtenir des conditions infiniment plus
avantageuses que celles qui leur sont imposées aujourd'hui. On ne viendra pas alors
remplacer nos droits politiques actuels si
chèrement acquis, au prix d'un siècle de
luttes, par des gouvernements locaux qui ne
seront que des conseils municipaux revêtus
de pouvoirs mesquins et ridicules, indignes
d'un peuple libre, qui nous permettront tout
au plus le contrôle de nos chemins, de nos
écoles et de nos terres. Mais nous obtiendrons alors des législatures locales basées
sur la souveraineté des Etats, comme elle le
sont sous la constitution des Etats-Unis. Il
ne faut pas se le cacher: la constitution
américaine a été créée par de grands hommes,
en face d'une foule d'intérêts locaux considérables et opposés, et il leur a fallu
plusieurs
années d'études approfondies pour concilier
ces intérêts divergents, et former enfin cette
constitution admirable qui, comme l'a si bien
dit l'hon. député de Brome, défie la critique
la plus sévère sur ses bases les plus importantes. Avec une constitution comme celle
des Etats-Unis, basée sur le principe de la
souveraineté des Etats, le Bas-Canada élira
lui-même son gouverneur, ses représentants
au parlement et au conseil législatif fédéral,
ainsi que tous les ministres de l'exécutif.
M. DUFRESNE (de Montcalm)—Nous
nommerons aussi les juges.
M. PERRAULT—Si l'hon. député de
Montcalm avait écouté avec attention le
remarquable discours de l'hon. député de
Brome, il aurait appris que, dans la majorité
des Etats de l'Union américaine, les juges ne
sont pas nommés par le peuple, mais par
l'exécutif du gouvernement local absolument
comme on le fait au Canada, et qu'ils sont,
sous tous les rapports, aussi intègres et aussi
distingués que nos propres juges. Si nos
ministres canadiens-français n'avaient pas
été dans une minorité aussi impuissante à
la conférence de Québec (quatre contre trente- deux) ils n'auraient certainement pas
accepté
un projet de confédération aussi plein de
dangers pour la race française que celui qui
nous a été soumis. Ils auraient obtenu des
conditions plus favorables que celles qui nous
sont imposées, et au nombre desquelles se
trouve la nomination à vie des conseillers
législatifs par l'exécutif du gouvernement
général. Pour ma part, M. le PRÉSIDENT,
je ne suis pas en faveur des nominations à
vie d'hommes qu'on prend dans la foule,
pour en faire des instruments d'oppression,
et qui servent trop souvent à enrayer les mesures les plus importantes au point de
vue
des libertés et des droits du peuple. Le nomination à vie des conseillers législatifs,
par
une majorité hostile à notre race, est aussi
dangereuse aujourd'hui qu'elle l'était aux
plus mauvais jours de notre histoire, et l'accepter, c'est mettre nos plus précieuses
libertés à la merci des ennemis de notre
race. Avec de pareilles dispositions dans
la constitution qu'on veut nous imposer, il
est impossible que l'élément français soit
protégé dans le conseil législatif. Il est
également impossible que les tendances
agressives dont j'ai fait l'historique dans la
première partie de mes remarques, ne soient
pas à l'œuvre dans l'exécutif fédéral lors qu'il s'agira des nominations de ces conseillers
à vie. On nous a dit: la section
canadienne-française résignera si l'exécutif
fédéral veut être injuste au détriment de
ses nationaux. Eh bien! M. le PRÉSIDENT,
je veux bien supposer qu'elle résigne et
qu'elle ne trouve pas de remplaçants (ce
qui est encore plus improbable), j'aimerais à
savoir où nous conduira cette résignation et
quelle espèce de remède ce sera apporter à
notre position humiliante? Nous aurons
quarante-huit membres français dans le parlement général contre cent quarante membres
d'origine anglaise, c'est-à-dire que nous
serons dans la proportion de un contre
quatre. Que pourra faire cette infime minorité pour obtenir justice? Evidemment, la
résignation de la section française la rendra
plus impuissante encore, et il lui faudra
accepter les dictées tyranniques de ses adversaires. Les membres français du gouvernement
actuel, eux-mêmes, motivent la nécessité des changements proposés sur le fait
que la constitution actuelle ne nous offre
pas de garanties suffisantes. Mais, alors,
quelle espèce de garanties aurons-nous sous
la confédération qu'ils veulent nous imposer
et avec laquelle nous serons dans une minorité deux fois plus grande? Supposons le
cas très probable où notre législature locale
viendrait en collision avec le gouvernement
fédéral, et par suite du rejet d'une mesure
passée par la province du Bas-Canada et rejetée
630
par le parlement général,—dans quelle position nous trouvons-nous? Rappelons-nous
que l'exécutif fédéral nomme le conseil
législatif, préside à la législation criminelle
du pays, nomme les juges qui l'administre,
enfin que le gouvernement fédéral possède
tous les pouvoirs souverains, à l'exclusion
des gouvernements locaux. (Ecoutez!)
Eh bien! M. le PRÉSIDENT, je le dis sans
hésitation, en cas de collision nous nous trouverons complètement à la merci de la
majorité
hostile fédérale; et elle peut nous opprimer,
assimiler nos lois, suspendre nos juges, armer
la milice contre nous et nous envoyer à
l'échafaud ou à l'exil de la manière qu'il lui
plaira, malgré nos protestations et celles de
la minorité canadienne-française dans le
parlement fédéral. Cela s'est déjà vu et le
passé est là pour le dire, et tout nous porte à
croire que les mêmes tentatives d'agression
fanatique se renouvelleront de nos jours,
si ce projet de confédération est adopté.
(Ecoutez! écoutez!) L'hon. député de
Brome, dont on ne mettra certainement pas
la loyauté en doute, a lui-même déclaré dans
cette chambre que ce projet fera naître des
difficultés et amènera des collisions déplorables. Eh bien! M. le PRÉSIDENT, supposons
que ces collisions et ces difficultés se
produisent, que ferons-nous? Tous les pouvoirs ne seront-ils pas entre les mains du
gouvernement fédéral et d'une majorité
hostile? N'est-ce pas parce que le peuple le
comprend qu'il rejette cette mesure avec
une menace dans le regard et sur les lèvres;
qu'il vous envoie tous les jours des pétitions
nombreuses, dans lesquelles il présage les
plus graves mécontentements? Jusqu'à
quand les yeux et les oreilles des députés
de cette chambre resteront-ils fermés pour
ne pas être témoins de cette protestation de
leurs compatriotes alarmés? Le procureur- général Est lui-même refuse de nous communiquer
un seul des détails du projet de
confédération, et il veut que nous renonçions
à tous les droits que nous confère la constitions actuelle en votant en faveur d'une
législature locale dont les attributions seraient
nulles, et d'un parlement général où nous
serons dans la proportion de 1 contre 4. Eh
bien! M. le PRÉSIDENT, il n'est pas étonnant
que la population française du Bas-Canada
soit unanime à repousser une confédération
qui nous offre un avenir aussi sombre,
(écoutez! écoutez!) et je ne crains pas de
le dire, nos ministres commettent une imprudence bien grande en imposant au peuple
des
changements constitutionnels aussi graves et
aussi fortement dénoncés comme un attentat
à ses droits et à ses privilèges. Jamais
aucune époque de notre histoire n'a été
témoin d'un pareil changement de constitution sous des circonstances aussi extraordinaires.
Et c'est au moment où nous nous
préparons à résister aux armées d'invasion
d'un puissant voisin qu'on nous enlève les
libertés dont nous jouissons après les avoir
gagnées par un siècle de luttes! Mais il me
semble qu'on devrait plutôt nous donner de
nouvelles garanties de securité pour nous
engager à combattre des adversaires aguerris,
dix fois plus nombreux, et dont l'organisation
politique est moins hostile peut-être à notre
race que la confédération proposée. Les
ministres actuels ne nous ont-ils pas appris
à considérer le semblant de gouvernement
local qu'ils nous proposent comme une protection suffisante pour tout ce qui nous
est
cher, et à accepter une minorité impuissante
dans le gouvernement général parce que là
les intérêts commerciaux seraient les seuls
mis en jeu? Si cette proposition est juste, la
constitution des Etats-Unis, avec la souveraineté du Bas-Canada reconnue, offre bien
plus de securité encore pour nos institutions,
notre langue et nos lois—car la souveraineté
des Etats implique leur conservation dans
l'Etat, qui ne cède au gouvernement général
qu'un nombre très restreint de pouvoirs.
Oui, M. le PRÉSIDENT, en proposant un
changement de constitution, le ministère a
commis une grave faute, et il n'a pas le droit
de s'opposer à ce que le peuple de cette province envisage la question des changements
possibles sous tous les aspects. Il y a six
mois à peine, le Canada-français vivait
heureux et confiant dans la garantie de la
constitution actuelle. Aujourd'hui, il ne peut
plus en être ainsi, tant que les changements
proposés menaceront son existence comme
race. (Ecoutez! écoutez!) Imposez-lui
ces changements et vienne l'heure du danger,
l'Angleterre s'apercevra, mais trop tard,
qu'elle aura perdu ses plus loyaux sujets.
Notre population aura appris que de deux
maux il faut choisir le moindre, et que,
entre la confédération et l'annexion, le
moindre ne se trouve pas, malheureusement,
avec la confédération. Avant de marcher à
une boucherie certaine, le soldat se demandera pourquoi il va combattre, et si la
constitution qu'il va défendre mérite le sacrifice de
sa vie? Le jour où le soldat canadien-français
se fera cette question, sera le dernier de la
631
puissance anglaise en Amérique. Je désire me
tromper, M. le PRÉSIDENT, et j'aime à croire
le gouvernement mieux avisé que moi au
moment où il propose une mesure aussi pleine
de danger que celle qui nous est soumise.
J'aime à croire surtout qu'il n'a nullement
l'intention de nous entraîner dans une collision avec nos voisins, qui nous mènerait
directement à l'annexion et qui porterait un
coup mortel à la domination de l'Angleterre
sur ce continent.—Je termine, M. le PRÉSIDENT, en résumant mes remarques. L'union
des deux Canadas n'a pas fait toute son œuvre;
elle est encore susceptible de progrès, et il
faut la continuer. L'hon. procureur-général
du Bas-Canada (M. CARTIER) prétend au contraire qu'elle n'a plus de raison d'être
et
qu'il nous faut une nouvelle organisation
politique. Eh bien! M. le PRÉSIDENT, je
me permets de différer de l'opinion du député
de Montréal Est, et je n'hésite pas à dire
qu'avec l'union nous pourrons encore doubler notre prospérité et notre nombre, si
on
met dans l'administration des affaires un peu
moins d'esprit de parti et un peu plus de
patriotisme (Ecoutez! écoutez!) Je dis de
plus que la demande de la représentation
basée sur la population n'a pas sa raison
d'être; qu'elle a été repudiée par le parti
conservateur et ensuite par le parti libéral
sous l'administration MACDONALD—SICOTTE.
Quand on a vu les partisans les plus ardents
et les plus sincères de la représentation basée
sur la population abandonner cette base
principale de leur politique et en faire, dans
leur gouvernement, une question contre laquelle ils s'engagaient à voter, je dis qu'on
a grandement tort d'en faire une des raisons
qui nous forcent à accepter le projet de confédération. Ce cri, jeté dans l'arène
par le
fanatisme, sera étouffé naturellement par
l'augmentation plus rapide de la population
du Bas-Canada, et par la diminution annuelle de l'immigration. Ces deux causes
aidant, notre population égalera, avant dix
ans, celle du Haut-Canada. Pour ces diverses
considérations, M. le PRÉSIDENT, je dis que
le projet de confédération n'est pas opportun.
Mais lors même que le projet de confédération serait opportun, je maintiens que son
but est hostile. J'ai fait l'historique de l'esprit
d'envahissement de la race anglaise sur les
deux continents. J'ai démontré l'antagonisme sans cesse existant entre elle et la
race
française. Notre passé nous a rappelé les
luttes incessantes que nous avons dû faire
pour résister à l'agression et à l'exclusivisme
de l'élément anglais en Canada. Ce n'est que
par une résistance héroïque et un heureux
concours de circonstances que nous avons pu
obtenir les droits politiques qui nous sont
garanties par la constitution actuelle. Le
projet de confédération n'a d'autre but que
de nous enlever les plus précieux de ces
droits, en leur substituant une organisation
politique qui nous est vraiment hostile.
L'hostilité du projet de confédération admise, je maintiens que son adoption aura
les conséquences les plus désastreuses.
Imposer au Canada-français cette nouvelle
constitution dont il ne veut pas, c'est tenter
sa colère, et s'exposer à des collisions déplorables. (Ecoutez! écoutez!) Il faut
nécessairement la lui soumettre avant de l'adopter;
s'il l'accepte, il sera temps alors d'aller la
faire sanctionner par l'Angleterre. Mais le
gouvernement, et surtout l'hon. procureur- général, ne peut pas ignorer les requêtes
qui
nous sont présentées contre le projet, et
surtout une requête aussi imposante que celle
de la ville de Montréal, qui compte 6,000
signataires canadiens-français, et qui est la
plus nombreuse requête qu'une ville ait
jamais présentée à notre législature. Je dis
encore que ceux qui voteront pour le projet
de confédération prennent le plus court
moyen de nous annexer aux Etats-Unis. Je
ne suis pas le premier à exprimer cette
opinion; plusieurs hon. députés du Haut- Canada l'ont l'exprimée avant moi dans cette
enceinte, et c'est parce que ces députés du
Haut-Canada veulent l'annexion aux Etats- Unis qu'ils votent en faveur du projet de
confédération. Les hon. députés de l'Ouest,
si loyaux en paroles, seraient les premiers à
passer à l'ennemi armes et bagages si jamais
une armée d'invasion se montrait sur la
frontière. Voilà, M. le PRÉSIDENT, la position telle qu'elle est. Si Son Excellence
le
gouverneur-général croit devoir suivre les
conseils de ceux dont les regards sont
tournés vers Washington, libre à lui de
le faire, mais je pense qu'il est grandement
temps de parler ici avec franchise et de
l'avertir du danger. (Ecoutezl écoutez!)
M. le PRÉSIDENT—Je ne suis pas un
vieillard, ayant déjà un pied dans la tombe
et sur le point de glisser dans l'éternité, et je
me conduis en vue de l'avenir. Nos ministres
qui, dans une longue carrière, ont épuisé la
coupe des honneurs et des dignités de notre
pays, sont peut-être tentés de risquer l'avenir
de leur pays pour des titres, des honneurs,
des salaires plus considérables sous la confé
632
dération, et peut-être par l'ambition d'être
gouverneur d'une des provinces confédérées:
nous savons que l'Angleterre récompense
noblement et royalement ceux qui la servent
sans scrupule. D'ailleurs, la perspective de
fonder un vaste empire mérite bien le
sacrifice de quelques mois d'une carrière
usée, au risque de ne pas réussir tout-à-fait
dans un projet aussi gigantesque. (Ecoutez! écoutez!) Mais pour moi, M. le PRÉSIDENT,
qui appartient à la génération qui
commence et qui a vingt ans d'avenir devant
moi, je ne puis pas approuver, par mon vote,
un projet de constitution qui se présente à
nous sous une perspective aussi sombre pour
notre nationalité et pour tout ce qui nous est
le plus cher comme Français. Si je suis aussi
sévère dans mes remarques, M. le PRÉSIDENT,
on voudra bien croire qu'elles sont dictées par
une conviction profonde. Et puis, on sait
que ce ne sont pas toujours ceux qui ont le
miel sur les lèvres qui ont le plus de sincérité
au cœur. Je sais aussi que quelquefois ceux
qui disent hardiment leur façon de penser
paient bien cher leur hardiesse et leur indépendance; mais cette crainte, M. le PRÉSIDENT,
ne me fera jamais reculer devant
l'expression de mes convictions quand je
croirai qu'elles peuvent être de quelque
utilité à mon pays. (Ecoutez! écoutez!
—L'hon. membre reprend son
siège au milieu
des applaudissements prolongés de la gauche.)
Cris de:—Ajourner! ajourner! du côté
de l'opposition.
L'HON. A. A. DORION—J'avais proposé
l'ajournement des débats hier soir, afin d'avoir l'opportunité de répondre à l'honorable
député de Montmorency (M. CAUCHON).
Mais comme l'hon. député n'était pas à son
siège cette après-midi, j'ai cédé la parole en
faveur de l'hon. député de Richelieu (M.
PERRAULT). J'observe encore que l'hon.
député de Montmorency n'est pas dans cette
chambre, et je désirerais différer mes remarques jusqu'à ce que l'hon. monsieur soit
à
son siége: (cris de: ajourner!—et continuez!)
Le
Col. HAULTAIN—Si la chambre
veut le permettre, je prendrai la place de l'hon.
membre pour Hochelaga (M. DORION). Je
ne suis pas surpris, M. l'ORATEUR, que les
hon. membres hésitent à exprimer leurs vues
sur ce sujet, car on a tellement parlé sur la
question qu'elle est maintenant plus que
rebattue. Pour ma part, et comme les hon.
membres qui parleront après moi, je me fais
presque un scrupule d'abuser des instants
de la chambre. Toutefois, je ne devrais pas
avoir cette crainte, car c'est un devoir pour
moi d'exprimer mon opinion. Sur une
question aussi importante et qui doit affecter
les intérêts d'une si vaste portion de ce continent, je crois qu'il est de notre devoir
d'exprimer notre opinion aussi complétement
que possible. (Ecoutez!) La question a
été discutée à tant de point de vues par les
hommes les plus éminents du Canada, qu'un
humble mortel comme moi se sent néanmoins
timide en l'abordant à son tour. Toutefois,
une réflexion m'encourage à parler en faveur
de ce projet, c'est que je me trouverai en noble
compagnie avec les hommes les plus distingués du Canada, des autres provinces et
même de l'Angleterre, qui n'ont qu'une voix
pour reconnaître l'à-propos de cette mesure
et la sagesse qui a présidé à la rédaction du
projet qui nous est actuellement soumis.
On ne doit pas s'attendre à ce que je dise
quelque chose de nouveau, et c'est la crainte
de répéter ce qui a été dit qui me fait hésiter
à parler; si je ne consultais que mes propres
talents, je garderais le silence et ne me leverais, M. l'ORATEUR, que quand vous demanderez
le vote pour ou contre la motion qui
est entre vos mains. Tous les hon. membres
qui ont pris la parole dans ce débat, ont
vivement senti la responsabilité qui pesaient
sur eux en traitant devant la chambre une
question aussi importante pour nous tous.
Je comprends comme les autres l'étendue
de cette responsabilité, et j'ai appliqué
toutes les forces de mon esprit à l'examen
de la question. Plus on l'examine, plus on
songe à l'influence qu'elle devra avoir sur
notre avenir, et plus elle prend de vastes
proportions. Elle n'intéresse pas seulement
le Canada, mais toutes les provinces anglaises
sur le continent. Ses résultats pourront
affecter l'avenir de l'empire britannique et
de la république qui nous avoisine, par suite
ils intéresseront plus ou moins tout le
monde politique en général. Et, en disant
cela, je ne crois point exagérer. En examinant la question, je me suis assuré qu'elle
contient des principes de la plus haute importance pour le monde en général; ces
principes devront affecter considérablement
le caractère des institutions qui auront, dans
l'avenir, la préséance. Je suis persuadé que,
si le projet réussit, les principes fondamentaux de la constitution anglaise y gagneront
encore plus de solidité et de permanence;
633
s'il échoue, au contraire, nous verrons bientôt
que ces principes disparaîtront et seront
remplacés par ceux qui règlent la république
voisine. (Ecoutez!) Plus je l'examine et
plus je demeure convaincu qu'il s'agit d'une
lutte définitive entre le principe rnonarchique
et le principe républicain, et, à ce point de
vue, le projet mérite le ferme appui de tous
ceux qui ont apprécié la stabilité, la modération et la justice qui caractérisent
la nation
anglaise comparée à toutes les autres nations
globe. La question qui nous occupe est
l'union pratique de provinces qui doivent
allégeance au même souverain, qui possèdent,
généralement parlant, des institutions analogues, le même système de gouvernement,
la même langue, les mêmes lois et qui sont
menacées des mêmes dangers, entourées des
mêmes ennemis. Nos institutions sont généralement les mêmes: toutefois, ayant été
isolées depuis longtemps et n'ayant eu pour
ainsi dire aucun rapport entre elles, les
provinces possèdent chacune une sorte
d'idiosyncrase, et plus nous resterons isolés
plus il sera difficile d'accomplir notre union.
Les partisans du projet proposent l'union de
toutes ces provinces. Le proverbe dit:
"L'union fait la force et la division est la
source de toute faiblesse." Ceci est un
axiome que personne ne songe à nier.
Comme partisan de l'union je me crois dans
une position inattaquable, et il faudrait des
arguments bien forts pour me convaincre
que nous ne marchons pas dans la bonne
direction en tâchant de réaliser ce projet.
(Ecoutez!) A part de la force intrinsèque
que nous donnera l'union, le Canada a des
des raisons spéciales pour désirer que les provinces anglaises s'unissent plus étroitement
entre elles. Cette mesure fera disparaître
une grande cause de difficultés parmi nous.
Cet argument n'est certes pas indispensable,
mais puisque l'union doit nous délivrer de
ces difficultés, je trouve qu'il arrive fort à
propos et doit faire désirer encore plus cette
union. Quand même nous n'aurions, en
Canada, aucune de ces difficultés, quand
même nous serions parfaitement satisfaits
de notre situation politique, nous devrions
encore désirer l'union en raison des avantages qui en résulteront pour nous. Or,
en outre de ces avantages, en outre de
la force que nous donnera cette union,
elle va encore nous aider à surmonter
les graves difficultés qui nous accablent;
par un heureux concours de circonstances,
nous appliquons un principe fécond en
résultats pour nous et nous échappons à des
difficultés qui auraient pu nous être funestes.
De plus, la mère-patrie verra avec la plus
profonde satisfaction la réalisation de ce
projet. (Ecoutez!) Personne ne peut nier
l'accueil qu'a reçu le projet dans la presse
et de la part des hommes politiques de
toutes les nuances en Angleterre. (Ecoutez!)
Ce n'a été qu'un cri universel d'approbation
en faveur de la sagesse et de la prudence
qui nous ont fait faire ce pas vers l'union.
Les voeux de la Grande-Bretagne sont entièrement pour nous. (Ecoutez!) Une autre
cause rend cette union nécessaire, c'est
l'hostilité des Etats-Unis à notre égard, si
ouvertement manifestée pendant les derniers
mois. En un mot, M. l'ORATEUR, tous
nos intérêts commerciaux et sociaux, notre
sûreté, notre harmonie intérieure et même
notre existence comme peuple indépendant,
nous font un devoir de marcher dans cette
direction. Je ne dirai que peu de mots des
difficultés politiques du Canada; ce point a
été admirablement traité par les hon. messieurs qui m'ont précédé. Ces difficultés
sont palpables à tous, néanmoins certains
hon messieurs, qui sont opposés au projet,
ont fait semblant de les ignorer, et n'ont pas
voulu en tenir compte dans la discussion du
projet. Je suis fâché que mon hon. ami pour
Brome (M. DUNKIN) ne soit pas à son siége,
car je vais parler de quelques-unes de ses
observations. A l'exemple de certains autres
députés, cet hon. monsieur a prétendu que
nos difficultés avaient cessé,—que, depuis
1862, le Haut-Canada était satisfait de sa
position; que l'agitation avait cessé, et
que le Haut-Canada ne se plaignait plus
d'aucune injustice. Cette assertion suffit
pour prouver combien ces hon. messieurs
sont étrangers au sujet qu'ils traitent, combien ils ignorent les sentiments qui animent
les populations du Haut-Canada, et enfin
jusqu'à quel point ils sont par là même
inaptes à discuter cette question. D'après
tout ce que j'ai entendu dire du mécontentement qui existe dans le Haut-Canada, je
crois bien faire en ne passant point cet important détail sous silence. Nous ne devons
pas
nous arrêter à ce sentiment de déplaisir manifesté à la passation de certaines mesures
nuisibles à cette section du pays, et au
principe injuste de la distribution égale
des deniers publics entre les deux sections
de la province. (Ecoutez!) Il est vrai que cet
état de choses a éveillé l'attention sur une
cause plus importante de mécontentement,
634
et n'a pas peu contribué à irriter les esprits
d'hommes dont le caractère national se révolte à l'idée de l'intolérance et l'injustice.
(Ecoutez). Ils ont toujours gémi intérieurement de la position inégale que leur avait
faite
l'union de 1840, et n'ont jamais cessé de
demander une réforme dans la représentation. (Ecoutez!) Aucun peuple sur terre,
plus que les populations du
Haut-Canada,
ne sait ressentir une injustice permanente
et y résister avec une plus longue obstination.
C'est à ce sentiment d'injustice fortement
imprimé dans l'esprit des populations du
Haut-Canada, que nous devons d'être dans
une position embarrassante qui durera tant
que nous ne leur aurons pas donné satisfaction. (Ecoutez! écoutez). J'ai donc été
fort surpris d'entendre dire à certains honorable membres que tout mécontentement
avait disparu dans le Haut-Canada On a
cité la formation du ministère MACDONALD- SICOTTE comme une preuve que nous étions
désormais indifférents à la question de la
représentation, si énergiquement et si fréquemment agitée, et que, en retour de quelques
avantages matériels, les populations du
Haut-Canada étaient prêtes à abandonner
un principe pour lequel elles combattent
depuis tant d'années. Mais on disait, pour
se consoler, que ce gouvernement n'était
que provisoire (Ecoutez). Je ne craindrais
pas d'en appeler, sur ce point, à aucun des
districts électoraux du Haut-Canada, où a
été débattue cette question, et je suis certain
d'y rencontrer un vif sentiment de désapprobation pour la conduite du gouvernement
qui avait exclu cette mesure de son programme.
M. M. C. CAMERON—Dans le district
d'Ontario Nord, un membre de ce gouvernement fut élu.
M. M. C. CAMERON—Dans Ontario
Nord, un membre du gouvernement qui n'y
avait jamais été élu auparavant, se présenta
et battit l'autre candidat favorable à la représentation d'après la population.
COL. HAULTAlN—Je tiens à me tenir
parfaitement en dehors des questions de
parti (Ecoutez!) Dans la discussion importante qui nous occupe, il ne s'agit pas de
savoir ce qui était bien ou mal en 1862 ou
1863. La seule question est de savoir si
nous faisons bien en cherchant à former
une union, ou si nous sommes complètement
dans l'erreur; lorsque je suis forcé de faire
allusion à la conduite de tel ou tel parti, j'y
suis conduit par mon raisonnement et n'ai
aucune prétention de juger ce qui est bien
ou mal. Je disais, M. l'ORATEUR, que
l'abandon de la question de la représentation
par le ministère MACDONALD-SICOTTE avait
fait naître dans le Haut-Canada un vif sentiment de désapprobation ou, pour mieux
dire,
de désappointement. Je ressentis aussi
vivement que personne la triste position
dans laquelle nous nous trouvions placés;
mais, après avoir sérieusement étudié la
question, et persuadé qu'un changement de
ministère était urgent en tous cas, je consentis, bien qu'à contre-cœur. Je crois
qu'à
l'époque on ne pouvait rien faire de plus.
C'était l'opinion de tout le parti auquel
j'appartenais; il est possible que nous ayions
eu tort, mais là n'est pas la question. Persuadés que nous ne pouvions assurer le
succès de la mesure pour laquelle nous combattions depuis si longtemps, nous jugeâmes
à propos de reconnaître et de soutenir un
gouvernement provisoire, car tel était, selon
moi, et d'après l'opinion générale dans le
Haut-Canada, le caractère du gouvernement
d'alors; on le tolérait, mais il ne pouvait
exister longtemps. La formation de ce
ministère avait un but spécial, et c'est dans
ce but, considéré comme de la plus haute
importance, que le Haut-Canada l'acceptait.
C'est bien peu connaître l'esprit du Haut- Canada de prétendre qu'il y avait alors
indifférence à l'endroit de la réforme parlementaire. La position de l'un et l'autre
parti n'était pas enviable; l'inconséquence
apparente de l'un était le résultat de la mauvaise administration de l'autre. Il n'est
pas
agréable de se ranger tout-à-coup du côté
d'hon. messieurs qu'on a combattus énergiquement, et si je pris cette détermination
c'est que je m'en faisais un devoir. (Ecoutez!) Or, M. l'ORATEUR, combien de temps
dura ce gouvernement provisoire? Au bout
d'un an, il était battu et n'osait plus se présenter dans le
Haut-Canada, et pourquoi?
parce qu'il avait abandonné la question la
plus chère à cette partie le la province.
Col. HAULTAIN—Ce fait prouve à
l'évidence qu'il était nécessaire d'appeler au
pouvoir des hommes représentant dignement
les vues du Haut-Canada, et, pour le Bas- Canada, des hommes mieux disposés à faire
les concessions demandées. Sans cette reconstruction, que serait devenu ce gouvernement
dans le Haut-Canada? Si on n'eût pas intro
635
duit de nouveaux éléments dans le ministère,
celui-ci eût rencontré une hostilité générale.
Le premier ministre lui-même savait parfaitement cela et il se rendit aux désirs du
Haut- Canada. Il est ainsi démontré par là que si
le gouvernement n'eût pas abandonné la
question de la représentation, il aurait conservé toutes les sympathies Haut-Canadiennes.
Le gouvernement qui l'abandonna
fut littéralement balayé et remplacé par un
autre qui en fit une question ouverte. Telle
est M. l'ORATEUR la vraie source de toutes
nos difficultés, qui auraient duré jusqu'à présent si on n'y avait pas apporté un
remède
efficace. J'ai dit dans une autre circonstance,
et je répète ici que le Haut-Canada était
vivement préoccupé de l'aspect peu rassurant
de l'avenir. Il craignait que le Bas-Canada
lui refusât ses demandes; il craignait que
le Bas-Canada lui refusât ce qui, dans l'opinion générale, était juste et équitable
et il
redoutait les conséquences de ce refus.
J'avoue que je partageais moi-même ce sentiment; on disait partout que l'état de
choses actuel ne pouvait durer. Le Haut- Canada, avec sa supériorité en nombre et
en
richesse, ne pouvait conserver dans la législature unie une position inférieure. Si
on
avait persisté dans ce refus on ne peut prévoir les difficultés qui en auraient résulté.
Les hon. membres du Bas-Canada qui ont
déclaré que cette question avait perdu son
importance dans l'ouest, font voir combien
ils ignorent les sentiments et les aspirations
qu'ils veulent contrarier. Mon hon. ami pour
Brome est un de ceux qui semblent faire peu
de cas de nos difficultés. Il a dit, dans la
péroraison de son discours, qu'un peu de
patience arrangerait toutes choses. Mais, M.
l'ORATEUR, il a été obligé d'avouer qu'une
légère réforme parlementaire était urgente
et s'est montré disposé à l'accorder. Certains
autres membres libéraux du Bas-Canada ont
également insinué que si on abandonnait le
projet actuel, il ne serait pas impossible au
Haut-Canada d'obtenir ce qu'il demande avec
tant de raison. Mais si telle est l'opinion de
ces messieurs, pourquoi, je le demande, ne
l'ont-ils pas franchement déclaré plus tôt? Je
demanderai à mon hon. ami pour Brome,—
et je regrette infiniment qu'il ne soit pas à
son siège,—pourquoi, on 1862, il ne parla
pas de concessions au Haut-Canada, et semblait plutôt avoir à cœur de nous prouver,
par ses raisonnements et ses votes, que nous
n'avions rien à attendre ni de lui ni de ses
amis. Aujourd'hui, les membres du Bas-
Canada tiennent un langage que nous n'étions
point habitués à entendre. Ceux qui admettent la justice des réclamations du Haut-
Canada, et qui naguères s'y sont opposés, ne
devraient pas songer à combattre ce projet
qui règle nos difficultés d'une manière satisfaisante pour tous. L'hon. membre pour
Brome et les membres anglais du Bas- Canada, qui se sont opposés à la réforme
demandée, devraient être les premiers à
appuyer le projet actuel; je suis donc fâché
de voir que mon hon. ami fait preuve d'une
grande inconséquence. S'il avait toujours
demandé une réforme parlementaire, il
pourrait aujourd'hui combattre avec raison
l'union proposée. Telle est, à plus forte
raison, la position des membres libéraux
français du Bas-Canada. Ils étaient les
alliés avoués du parti de la réforme dans le
Haut-Canada, et savaient parfaitement qu'un
gouvernement réformiste ne pourrait se maintenir s'il abandonnait la question de la
représentation. Il me semble donc, M. l'ORA TEUR, que le parti libéral français a
été singulièrement infidèle à ses alliés du Haut- Canada.
COL. HAULTAIN—Je répète, M. l'ORATEUR que les membres libéraux français du
Bas-Canada ont, par leur conduite, amené
l'état de choses actuel. Je parle de ce que
j'ai observé depuis 1862. Un nouveau parlement fut convoqué. La question de la
représentation devenait de plus en plus
pressante. Le parti réformiste s'était catégoriquement expliqué à cet égard. Si ses
alliés du Bas-Canada eussent été disposés à
rester fidèles, ils auraient sans doute évité de
soulever des difficultés inutiles. Mais, M.
l'ORATEUR, quelle fut leur conduite? On
se rappelle qu'un amendement à l'adresse
comportait que le principe de la représentation égale était devenu nécessaire. C'était
une inconséquence gratuite et qui avait une
haute signification. Mais cette disposition
devint plus manifeste lorsqu'à la formation
du ministère MACDONALD-SICOTTE le parti
réformiste fut obligé d'acheter l'alliance
des libéraux au prix de l'abandon de son
principe le plus cher. Or, que penser
lorsqu'on entend ces hon. messieurs déclarer
qu'on peut accorder ce principe? Si les
membres libéraux du Bas-Canada avaient
franchement et courageusement abordé cette
question, ils seraient encore au pouvoir et s'occuperaient de régler nos difficultés
actuelles.
636
J'ai fait allusion, M. l'ORATEUR, à l'opinion
de l'Angleterre sur ce projet, et j'affirme
que cette opinion est entièrement favorable.
Toutefois, comme les opinions les plus
diverses ont été exprimées en ce qui concerne
les intentions de la mère-patrie à l'égard de
ses colonies, et celles de l'Amérique du Nord
en particulier, je crois bien faire en m'étentendant un peu plus sur ce sujet, dont
j'apprécie toute l'importante. Je ne sais rien
de plus propre à décourager les populations
de notre pays que l'idée d'abandon de la part
de l'Angleterre. Je ne doute pas, M. l'ORATEUR, que si cette idée existe réellement
en
Angleterre, et si elle est mise en pratique
aujourd'hui ou à une époque peu éloignée,
nous n'ayons plus qu'une seule alternative,
celle de l'annexion aux Etats-Unis. (Ecoutez!) Je crois donc qu'il est important que
nous sachions quels sont les sentiments de
la métropole à notre égard. Mon hon. ami
pour Brome a longuement détaillé ce point.
Il a exprimé, avec la plus grande sincérité,
je crois, un vif désir de voir se perpétuer
notre union avec l'Angleterre; toutefois, j'ai
remarqué avec quel soin il a insisté sur
toutes les traces qu'il a pu découvrir dans
les discours ou brochures publiés en Angleterre, du désir de voir cesser cette union;
j'ai aussi observé que les sentiments qu'il
a exprimés ont été fortement applaudis.
Ses observations m'ont paru, pour dire le
mot, ou ne peut plus étranges. Les conclusions
qu'il a tirées des discours de certains nobles
lords et membres du parlement impérial,
m'ont semblé si opposées aux intentions et
aux tendances des auteurs de ces discours,
que je ne puis mieux expliquer ce procédé
étrange qu'en supposant que mon hon. ami
n'était pas en très bonne santé, et que sa
sagacité ordinaire l'avait abandonné pour
un moment. (Ecoutez!) Il m'a semblé
qu'il examinait tous les détails de la question
au travers d'une prisme. J'ai assisté avec
grand plaisir à la dissection que l'hon.
membre a faite du projet, et à l'analyse
qu'il a faite au microscope de ses moindres
dispositions. L'hon. membre a fait preuve
d'une grande finesse d'observation, et d'études
vastes et approfondies. Mais je n'ai pu
m'empêcher de refléchir qu'il étudiait la
question au travers des lentilles ternies
d'un microscope intellectuel très-puissant.
(Rires) Je ne doute pas que telle ait été
l'impression produite sur la chambre en
général. Ses talents et son habileté sont
reconnus, tous les hon. membres ont, comme
moi, assisté avec plaisir à la dissection impitoyable qu'il a faite de ces importantes
résolutions. (Ecoutez! et rires.) Mais je dois
ajouter que le résultat de cette analyse et le
résumé de ses observations m'ont convaincu
que les partisans de ce projet se sont placeé
sur un terrain inattaquable, et que les
les objections qu'on lui trouve sont d'une faiblesse
extraordinaire. Mon hon. ami pour Brome
a dû naturellement s'étendre à plaisir sur
l'article qui a paru dernièrement dans l'
Edinburgh Review. Je dois reconnaître que,
dans cet article, il y a des passages fort
scabreux, que j'ai été, comme sujet anglais,
fort désolé de lire dans une publication
anglaise. Si je pouvais croire que cet article
est un reflet des opinions de l'un ou l'autre
des partis en Angleterre, j'admettrais, comme
conséquence, que notre union avec la mère- patrie est bien mal assurée, et qu'il est
de
notre devoir de demander catégoriquement
aux hommes d'état et au public anglais
quelles sont leurs intentions à notre égard.
Mais il est bien établi que cet article ne
représente aucunement les vues ni de l'un ni
l'autre des grands partis qui divisent le parlement anglais. C'est peut-être l'opinion
de quelques individus isolés; il peut représenter les vues de l'école de Manchester,
et je ne suis pas surpris que cette catégorie
d'hommes politiques exprime de pareils
sentiments. Je crois que l'école de Manchester, dont les tendances sont toutes
républicaines, nous verrait sans peine unis
à la république voisine et affranchis de
notre allégeance à la couronne anglaise.
Mais l'école de Manchester n'a-t-elle pas ses
raisons de vouloir se débarrasser de nous?
On l'a dit avec vérité: "Les ennemis ont
leur utilité, que n'ont pas toujours les amis;
ils nous montrent nos fautes et ils nous
disent des vérités." Nous ne pouvons pas si
nous tenons à rester unis à l'Angleterre, nous
devons examiner comment nous pourrions
bien concilier tous les partis qui s'y combattent. Persuadé que notre indépendance
et notre prospérité sont intimement liés à
notre union avec la mère-patrie, je voudrais
qu'on s'attachât à faire disparaître tous les
sujets de plainte qui peuvent exister. Je
suis persuadé, en outre, que tout homme
public de ce pays doit être pénétré de l'importance de cette question. Et de quoi
se
plaignent ceux qui traitent si légèrement
notre union avec l'Angleterre? Ils se
plaignent, et avec une certaine raison, de ce
637
que nous taxons l'Angleterre pour notre défense sans vouloir rien nous imposer à nous-
mêmes. A mesure que nous augmentons en
nombre et en richesse, ces publicistes trouvent
qu'il est injuste, et ils ont raison, de les
taxer si fortement pour la défense d'un pays
qui, sous ce rapport, n'a encore presque
rien fait par lui-même. (Ecoutez! écoutez!)
D'année en année, de décade en décade, à
mesure que nos ressources augmentent, nous
devrions songer à aider la mère-patrie dans les
frais qu'elle fait pour notre défense. Je crois
aussi qu'autant que le permet notre position
financière, nous devrions adopter le système
financier de l'Angleterre; si nous devons continuer à dépendre de ce pays, nous devrions
abolir les tarifs élevés qui entravent le libre
échange et peuvent devenir une cause de
griefs amers et de mécontentement. J'admets
pourtant, que, dans le moment actuel, nous
ne pouvons nous mettre sur ce pied avec la
mère-patrie. Je dis seulement que nous ne
devrions pas perdre cela de vue, et que ceux
qui désirent voir se perpétuer notre union
avec la mère-patrie devraient songer à diminuer graduellement le tarif suivant que
notre position le permettra, et faire ainsi
disparaître peu à peu toute cause de mécontentement en Angleterre. (Ecoutez!)
J'ai fait allusion, M. l'ORATEUR, à l'article
de l'Edinburgh Review, dont bien des
passages sont outrageants pour les colonies.
Mais il y a d'autres passages qui semblent
contredire l'intention générale de cet article.
On a fait grand bruit de cet article, on a
voulu y voir la preuve qu'en Angleterre on
se souciait fort peu de nous; c'est pourquoi
je signalerai aux hon. membres le passage
suivant, qui est assez significatif:—
"L'Angleterre ne désire nullement briser tout- à-coup les faibles liens qui l'unissent
avec ses
concitoyens d'outre-mer, ou abréger d'une heure
la durée de notre commune allégeance. Au contraire, en fortifiant les liens qui existent
encore, elle
changera en une noble alliance une sujétion
pénible et factice."
Ce passage est à remarquer parce que,
comme je viens de le dire, tout le reste de
l'article semble indiquer que l'écrivain désire
voir l'union brisée, et, malgré cela, il avance
qu'il ne désire pas "abréger d'une heure la
durée de notre commune allégeance!" Mais
cet article, dont on a fait tant de bruit, qu'on
a répandu comme exprimant l'opinion de
l'Angleterre, cet article indique un vif désir
de voir l'union maintenue!
COL. HAULTAIN—Je ne prétends point
que la fin de l'article ne contredise pas le
commencement. Mais l'article exprime bien
la position que l'écrivain voudrait nous voir
occuper.
L'HON. J. S. MACDONALD—Je vous
demande pardon; dans la dernière partie de
l'article, l'écrivain exprime la satisfaction de
nous voir bientôt indépendants.
COL. HAULTAIN—Je n'ai pas la
Revue
sous la main, et il se peut que mon hon. ami
ait raison. Mais j'ai indiqué exactement.
quel est l'esprit général de l'article. Je ne
veux pas dire que les opinions les plus contradictoires n'y soient pas exprimées.
Pour
en revenir à mon raisonnement, je dis que
si nous voulions faire disparaître certains
sujets de plainte, l'école de Manchester,
même M GOLDWIN SMITH et ses amis,
verraient avec plaisir le maintien de notre
union avec l'Angleterre. Mais mon hon.
ami pour Brome ne s'en est pas tenu à la
Revue d
'Edimbourg, il a trouvé, au moyen du
microscope dont je parlais tout à l'heure,
dans les discours de certains lords, l'expression de sentiments analogues à ceux de
l'écrivain que je viens de citer. L'hon.
monsieur ne veut rien voir en faveur du
projet, et semble admettre que l'Angleterre
devra, bon gré mal gré, se séparer de nous.
Il a reconnu que le projet était bien vu en
Angleterre, mais—que lord GRANVILLE l'approuvait, mais—que lord DERBY avait parlé
en faveur de l'union; mais—enfin, toute la
force de son raisonnement réside dans des
"si" et des "mais." On ne saurait satisfaire
l'hon. membre, on ne saurait donner satisfaction à l'Angleterre, qui sera d'autant
plus
contente qu'elle se débarrassera plus tôt de
nous. (Rires.) Mais quel est en réalité le
ton des discours cités par l'hon. monsieur?
Lord HOUGHTON a dit en
secondant la
motion en faveur de l'adresse, dans la
chambre des pairs, le 7 février: "J'espère
que les colonies reconnaîtront la valeur de
leur union avec l'Angleterre, et que la confédération leur donnera une position plus
sûre sans compromettre leur allégeance.
638
(Applaudissements.)" Peut-on parler plus
clairement, je le demande? L'orateur en
secondant l'adresse n'exprime-t-il pas, pour
lui-même et pour tout son parti, un vif désir
que "notre union avec la couronne anglaise
ne soit en aucune manière affaiblie!" Cependant, mon hon. ami pour Brome a découvert,
toujours avec sa puissante lentille, qu'il y
avait là un doute, un " si," un "mais"......
Lord DERBY s'est exprimé d'une manière
encore plus énergique:
"Si je voyais dans cette confédération un désir
de se séparer de nous, certes, je la considérerals
comme fort peu désirable; mais je la vois avec
satisfaction. Il est peut-être prématuré de discuter des résolutions qui n'ont pas
été finalement
adoptées; mais je crois voir, dans la confédération
projetée, un vif désir de conserver les avantages
de l'union avec l'Angleterre, un profond sentiment
de loyauté, une préférence marquée pour les institutions monarchiques sur les institutions
républicaines, et le ferme désir de voir se perpétuer
paisiblement l'union amicale qui existe entre
l'Angleterre et ses colonies."
(Applaudissements)
Je remarque que la chambre des lords a
chaleureusement applaudi lorsque lord
HOUGHTON et lord DERBY ont exprimé
cet attachement aux colonies; et, pourtant,
dans un moment d'hallucination mentale,
(rires), l'hon. membre pour Brome a dit
qu'il avait découvert l'indice que l'Angleterre voulait nous abandonner à notre sort,
et que cette opinion était celle des deux
grands partis représentés dans la chambre
par le comte GRANVILLE et par le comte
DERBY. Or, considérons la position de lord
DERBY: il exprime son opinion en parlement,—cette opinion, comme celle d'hommes
moins importants que lui dans le parlement,
est soigneusement notée et sera souvent
consultée dans cinq ans, dans dix ans peut- être. Lord DERBY, chef du plus grand parti
politique de la Grande-Bretagne, du plus
nombreux parti en ce moment, exprime dans
les termes les plus chaleureux le désir de
voir se perpétuer notre union avec la mère- patrie; n'est-ce pas la preuve irréfragable
qu'à l'heure du danger l'Angleterre ne nous
fera pas défaut si, pour notre part, nous lui
restons fidèles? (Applaudissements.) Lord
GRANVILLE a dit:
"Il est consolant de voir que, tout en essayant de
mettre à exécution leurs propres désirs, les colonies de l'Amérique Britannique du
Nord ne
demandent qu'à rester unies à l'Angleterre. "
Or, d'après mon hon. ami pour Brome,
lord GRANVILLE aurait dit, au contraire,
qu'il regrettait de nous voir animés du désir
de perpétuer cette union. Malgré l'énergie
des paroles que je viens de citer, mon hon.
ami pour Brome veut, à toute force, voir
dans le langage des nobles lords le désir
d'abandonner les riches provinces de l'Amérique Britannique du Nord. En parlant de
lord DERBY il a dit que le noble lord
"espérait", "avait la confiance" "que telle
et telle chose arriverait", et que du fait
même que lord DERBY exprime l'espoir que
nous resterons unis à l'Angleterre il résulte
qu'une séparation est inévitable. (Rires.)
Qu'adviendrait-il si mon hon. ami appliquait
ce procédé dans les relations ordinaires de
la vie? Il est à craindre que la civilité n'y
trouvât point son compte. Mon hon. ami a
dans ce moment un gros rhume; supposez
que je le rencontre demain matin et, qu'en
lui demandant de des nouvelles, j'exprime
"l'espoir" que son mal diminue. S'il interprête mon "espoir" dans le même sens qu'il
a
voulu comprendre "l'espoir" de lord DERBY,
il me répondra sans doute que je l'ai cru
bien plus malade qu'il n'est réellement, et
qu'il n'a eu jusqu'alors aucune intention de
faire creuser sa tombe. Car, dans l'état
d'esprit où il se trouve et dont témoignent
ses observations sur le projet, il interprétera
mon espoir dans ce sens: "que je le crois
aux portes du tombeau." (Ecoutez! et
rires.) Et pour mieux faire voir combien
l'hon. membre est incapable de traiter cette,
grande question avec impartialité, je ferai
remarquer à la chambre que lord DERBY, en
exprimant un "espoir", ne faisait pas
allusion à l'opinion publique en Angleterre
mais à l'opinion dans les colonies. Il a dit
qu'il espérait nous voir maintenir l'union
avec la mère-patrie. Mais, en parlant de
l'opinion publique en Angleterre, il n'a pas
dit "j'espère", mais: "Je suis sûr que l'appui
de l'Angleterre ne leur manquera jamais
au besoin." (Ecoutez!) Les observations
de lord DERBY nous avaient été communiquées précédemment, mais je ne regrette
pas de m'être étendu sur ce point, car il est
de la plus haute importance que nous
sachions précisément quelle est l'opinion de
l'Angleterre à notre égard. (Ecoutez!) On
nous a également cité les paroles prononcées
par Sa Majesté, dans le discours du trône
lorsque la Colombie devint une province
anglaise. Je vais relire cette phrase:
"Sa Majesté espère que cette nouvelle colonie sur
le Pacifique ne fera que hâter le jour où les possessions de Sa Majesté dans l'Amérique
du Nord
639
seront peuplées de l'Atlantique au Pacifique, par
une nation active et loyalement soumise à la couronne anglaise."
Ces déclarations venant de si haut lieu,
sont généralement pleines de réticences, mais
dans ce cas, elles ont une force et une précision remarquables. Mais s'il existait
aucun
doute sur les sentiments des hommes les plus
distingués de l'empire, ne devrait-il pas s'évanouir quand on se rappelle la visite
de Son
Altesse Royale le PRINCE DE GALLES en Canada? Etait-ce une feinte, une vaine démonstration
pour nous faire croire que le gouvernement de Sa Majesté et l'Angleterre même
désiraient conserver l'allégeance des populations de l'Ouest? Je ne l'ai jamais cru
un seul
instant. Je me rappelle les paroles mêmes du
PRINCE DE GALLES qui m'avaient beaucoup
frappé à l'époque. C'était dans son discours
au régiment canadien, vers 1858 ou au commencement de 1859. Des drapeaux furent
présentés à ce régiment par Son Altesse
Royale. C'était la première fois qu'il paraissait en public depuis qu'il avait obtenu
une
commission dans l'armée anglaise. Je citerai
les paroles prononcées par Son Altesse Royale
en cette circonstance,—paroles qui me remplirent de joie parce que j'avais passé plusieurs
années de ma vie, avant cette époque.
comme officier anglais dans ces provinces.
En présentant au régiment son drapeau,
Son Altesse Royale dit:—
"La cérémonie actuelle comporte une signification et une solennité toutes particulières,
parce
qu'en vous remettant pour la première fois ce
signe de la fidélité et de la valeur militaire, je ne
consacre pas seulement votre enrôlement dans les
rangs de l'armée anglaise, mais je célèbre un
fait qui proclame et raffermit l'unité des diverses
parties de ce vaste empire sous le sceptre de notre
souveraineté à tous."
A ce propos, je rappellerai une ou deux des
réponses faites par Son Altesse Royale aux
différentes adresses qui lui furent présentées
dans sa visite parmi nous. L'une de celles
qui me plaît le plus et qui doit le plus plaire
à tout homme qui veut conserver l'union
avec la métropole, est celle que Son Altesse
Royale fit en réponse à l'adresse du conseil
législatif, et dans laquelle se trouve le passage suivant:
"Je m'unis le plus cordialement du monde à
votre désir de voir les liens qui unissent ensemble
la Reine et le peuple canadien se raffermir et
durer."
(Ecoutez! écoutez!)
Mais, il serait superflu de citer davantage
les réponses de Son Altesse Royale, car l'aspect général de sa visite en ce pays,
les
paroles prononcées par les chefs des deux
grands partis de l'Angleterre, les voeux bien
connus de notre Reine et de son Héritier présomptif, tout indique, en autant qu'on
peut
l'inférer des paroles et des actes, que le peuple
anglais n'a qu'une voix pour désirer la continuation de l'union de ces provinces avec
les
trois royaumes. Il ne dépend donc que de
nous que cette union se prolonge en non.
(Ecoutez! écoutez!) Et je ne doute pas que
ce ne soit ce désir unanime qui ait fait envisager au peuple anglais avec tant de
faveur
notre mouvement fédéral. Il comprend que
l'union de ces provinces aura pour effet de
consolider notre pouvoir et notre force et de
développer nos ressources, car il envisage la
chose à un point de vue beaucoup plus élevé
que ceux de nos mesquines jalousies et de
nos querelles de parti. Je ne vois pas de nécessité absolue d' ici à longtemps, et
pendant
que nous grandissons, pour laquelle nous devions nous séparer; mais il est plutôt
de notre
devoir, à mesure que nous augmentons en
richesse et en population, d'alléger peu à peu
la métropole, en temps de paix, du fardeau
qu'elle s'impose actuellement pour nous défendre. (Ecoutez!) Un autre motif de nous
faire désirer l'union des provinces anglaises
afin de développer notre nationalité, de nous
faire mieux connaître et d'ouvrir de nouvelles voies au commerce, consiste dans les
sentiments hostiles qu'ont manifestés les
Etats-Unis envers ce pays durant les derniers
mois. Quelle conduite a, en effet, tenue la
république voisine envers le Canada depuis
quelque temps? Elle a d'abord mis en force
le système de passeports, qui est un reste de
despotisme que l'on a vu abolir même par les
gouvernements absolus;—puis, ensuite, elle
s'est mise à embarrasser et à empêcher les re
lations commerciales entre les deux pays;—
elle a donné avis de l'expiration de la convention touchant l'armement des lacs;—elle
a, encore, je crois, donné avis de l'abrogation
du traité de réciprocité;—un comité des
voies et moyens du congrès a rappelé un
projet de loi pour remettre en ordre les défenses des frontières, en recommandant
d'affecter à ce sujet un crédit de plus d'un million
de piastres;—nous avons vu, enfin, les autorités américaines donner avis, ou se proposer
de donner avis, de l'abrogation du traité d'extradition, et projeter la construction
d'un
canal à navires aux chutes de Niagara pour
les canonnières et vaisseaux de guerre:—
640
voilà la conduite que les Etats-Unis ont adoptée à l'égard du Canada! (Ecoutez! écoutez!)
Ne devons-nous pas réfléchir et nous demander ce qui va venir ensuite? Chacun de nous
doit songer dans quelle situation nous nous
trouverions si l'abolition du système actuel
de transit venait tout à coup mettre les Etats- Unis entre l'océan et nous,—et quelle
position humiliante nous est faite aujourd'hui
par le fait que notre existence nationale dépend presqu'en entier d'une puissance
étrangère et hostile! (Ecoutez! écoutez!) Ce
n'est pas du bon vouloir que le peuple américain nous a témoigné depuis quelque temps,
et la façon dont-il s'y est pris pour nous le
faire sentir n'est peut-être qu'un avant- coureur de ce qui doit venir ensuite. Cependant,
qu'il ait recours aux mesures extrêmes ou non, est-ce que notre situation
actuelle nous offre aucune garantie d'indépendance, ou de continuation de relations
avec l'Angleterre. Est-ce que la condition de ce continent et les avertissements
éclairés des hommes d'état anglais ne nous
disent pas de nous tenir prêts à tout évènement, à moins toutefois que nous ne voulions
faire partie, et une infime partie de la grande
république? Je comprends jusqu'à quel
point ceux qui nourrissent des tendances
annexionistes et républicaines doivent se réjouir de notre situation actuelle, et
combien
ceux qui veulent voir tout ce continent converti en une immense république doivent
espérer des difficultés qui pourraient s'élever
entre l'Angleterre et ses colonies d'Amérique:
mais pour ceux qui pensent différemment,
n'est-il pas évident que nous devons adopter
quelques mesures, que nous devons travailler
à former une nationalité indépendante, mais
non ennemie des Etats Unis, afin de résister aux
influences si nombreuses qui nous poussent
dans leurs bras? Nous ne pouvons nous
faire illusion sur les conséquences de leurs
démarches actuelles, car à moins d'en adopter
de contraires, à moins de nous trouver
un autre débouché vers l'océan, à moins
de créer d'autres débouchés à notre commerce et à nos affaires, ils savent que
nous devons inévitablement tomber sous
leur dépendance. C'est là une autre raison
pour laquelle je désire, et immédiatement,
l'union des provinces anglaises; je voudrais
que nous puissions de suite ne former qu'un
seul peuple, renverser les barrières qui nous
séparent les uns des autres, et nous convaincre de plus en plus que nos intérêts sont
communs avec les colonies du golfe et que
nous dépendons les uns des autres, ce qui
ne pourra jamais s'accomplir tant que nous
serons isolés entre nous, comme nous le
sommes aujourd'hui. C'est pourquoi je reste
tellement étonné de voir que, du moment où
l'on veut concourir à la formation sur ce
continent d'une nationalité indépendante des
Etats-Unis, on puisse néanmoins faire de
l'opposition sans aucun prétexte au projet
qui est actuellement devant les chambres.
(Ecoutez! écoutez!) Quant au point de
vue financier et commercial, on a tellement
discuté cette partie de la question que je
crois tout-à-fait inutile d'y rien ajouter. Je
sais bien que je ne réussirais pas à traiter le
sujet aussi habilement que ceux qui m'ont précédé. Mais il est naturel que chaque
orateur
insiste plus longuement sur le point qui l'a
frappé davantage. Je suis persuadé que sous
tous les rapports, en vue de nos relations peu
rassurantes avec les Etats-Unis, dont nous
dépendons actuellement, en vue de notre
union avec les provinces anglaises, en vue
de notre union avec la métropole, nous manquerions à nos devoirs les plus sacrés si
nous
différions davantage de chercher à ouvrir de
nouveaux débouchés à notre commerce et à
notre industrie. Tout le monde sait qu'aujourd'hui nos produits ont à passer par les
mains des marchands de New-York avant
d'atteindre les provinces maritimes; ces
marchands jouissent ainsi de tous les bénéfices de ce transit qui, vu le désavantage
de
notre position, est très considérable et est en
particulier susceptible d'un accroissement
énorme. Il n'y a qu'à jeter un coup-d'œil
sur la position et sur ce qui caractérise
chacune de ces provinces, pour juger combien
les unes suppléent précisément à ce qui
manque aux autres. Il suffira de remarquer
à ce propos que, tandis que nous sommes
un peuple d'agriculteurs et d'industriels, la
population de ces provinces est surtout et
demeurera maritime, et manquant, par conséquent, de tout ce que nous serons en état
de
lui fournir. Je sais fort bien qu'on a prétendu pouvoir ouvrir ces nouveaux débouchés
sans union: —mais tout nous presse
de devenir un peuple uni, tout nous presse
d'identifier nos intérêts et tout nous rend
dépendants les uns des autres et comment
accomplir ce résultat sinon par une union
politique qui soumettra toutes les colonies à
une même législation et à un même gouvernement? J'irai même plus loin, et ce ne
sera peut-être pas trop me hasarder que
d'assurer que dix années d'union politique
641
feront plus pour avancer nos intérêts commerciaux que trente années sans union,
(Ecoutez! écoutez!) A ce sujet, se rattache
naturellement celui du chemin de fer intercolonial. Or, il me semble, M. L'ORATEUR,
que quoique cette entreprise ait été mêlée à
cette question, quoique le coût de ce chemin
ait été présenté par les adversaires du projet
comme fesant partie de celui-ci, et de celui-ci
seulement, le chemin de fer intercolonial
restera toujours une nécessité de notre position, qu'il y ait confédération ou non
et
quelques soient les événements. Cette question du coût de ce chemin est donc un hors-
d'œuvre et ne peut par conséquent être prise
en considération ni pour ni contre le projet.
Qu'on ne croie pas cependant que je regarde
ce chemin de fer comme une entreprise
profitable au point de vue commercial, ni
même comme un ouvrage militaire d'une
grande valeur. (Cris de la gauche: écoutez!
écoutez!) Sans doute qu'en temps de guerre ce
chemin nous serait d'une grande importance
pour nous mettre, à toute époque de l'année,
en communication avec la mer. Avant que
les hostilités n'éclatent, comme, par exemple,
lors de l'affaire du Trent, nous en aurions
besoin afin d'échapper à la dépendance
des Etats-Unis pour transporter promptement, dans les provinces, des troupes et des
munitions de guerre; mais, une fois la
guerre déclarée l'histoire de nos voisins
nous a démontré que les chemins de fer
peuvent se détruire facilement et devenir
tout-à-fait inutiles, à moins d'avoir les
moyens de les défendre. Ce n'est donc que
comme engin social et politique qu'il me
paraît absolument nécessaire dans le cas
où nous devrons effectuer l'union; et quand
même cette union n'aurait pas lieu aujourd'hui et dans dix ans seulement, je maintiens
encore que nous devons sur le champ nous
mettre à le construire. L'union est encore
désirable parce qu'elle ajoutera grandement
à nos moyens de défense. Il est bien vrai
qu'elle ne nous donnera aucun accroissement
de forces en fait de territoire ou même en
fait de soldats: mais il n'est pas nécessaire
d'être militaire pour savoir qu'il n'est pas
une administration qui ait autant besoin
d'une seule tête que l'organisation d'une
armée et la direction des opérations militaires. Quelle serait, je vous le demande,
notre position dans le cas où la guerre viendrait
à éclater? Tels que nous sommes aujourd'hui,
nous constituons cinq provinces distinctes,
soumises chacune à un gouvernement séparé;
ces diverses populations se connaissent peu
entr'elles et ont, par conséquent, peu d'intérêts
communs: or, qu'il arrive, en cas de guerre,
qu'on ait besoin de l'action combinée de deux
de ces provinces ou plus, tout le succès dépendra de la coopération immédiate des
corps
qui seront appelés à marcher. Eh bien!
est-ce que ce genre d'opération ne sera pas
des plus difficiles par suite de la nécessité
où l'on sera d'avoir à prendre l'avis d'autant
de gouvernements séparés, jaloux les uns des
autres et intéressés uniquement à leur salut
en particulier? (Ecoutez! écoutez!) Un
tel état de choses demande donc d'être
changé quand même il n'y aurait pas d'autres
raisons de le faire. Si nous voulons rester
indépendants des Etats-Unis, mettons en
commun, le mieux qu'il nous sera possible,
tous nos moyens de défense. Il nous faut
entrer en connaissance les uns avec les autres
et faire tout en notre pouvoir pour créer un
sentiment d'unité et d'action, non seulement
dans une province, mais dans toute l'Amérique Britannique du Nord. Les Canadiens
devraient cesser de croire qu'ils ont seuls
intérêt à défendre le Canada, de même que
les habitants de la Nouvelle-Ecosse devraient
apprendre à voir plus loin que les frontières
de leur province. Si nous voulons organiser
une résistance combinée, il nous faut de toute
nécessité avoir des intérêts communs dans
tout le pays. Comment arriver à ce résultat
d'une façon certaine sans union? Mettons
ce projet à exécution et nous verrons bien
par la suite que nous serons intéressés au
salut de la moindre fraction de la confédération. Une fois unis, nous trouverons la
population des provinces maritimes admirablement propre à la défense des lacs,—cette
clé du Haut-Canada,—et nous aurons la
Nouvelle-Ecosse pour nous secourir comme
nous pourrons la secourir nous aussi. (Ecoutez! écoutez ) Je ne saurais trop essayer
de faire pénétrer dans l'esprit de mes hon.
auditeurs la conviction dont je suis animé
sur l'importance de la consommation immédiate de cette union. Nos propres intérêts
et ceux de l'empire demandent que nous
puissions résister à la puissance si pleine
d'énergie et de vitalité qui se trouve au sud
de ce pays; en face d'un tel devoir, nous
devons faire taire nos querelles de localité
et nous mettre sous la conduite d'hommes
qui puissent nous guider lorsque l'époque de
crise se présentera. Personne plus que moi
ne désire la continuation de la paix, mais
nous devons, pour le moment où elle devra
642
cesser, apprendre à obéir aux ordres de nos
chefs avec zèle et promptitude, et nous tenir
prêts à voler au secours d'aucun point menacé
de l'Amérique Britannique du Nord. Or,
jamais nous ne pourrons espérer un tel état
de choses tant que la Nouvelle-Ecosse
voudra se constituer en nationalité distincte,
tant que le Nouveau-Brunswick, Terre- neuve et l'Ile du Prince-Edouard demeureront
isolés les uns des autres, et tant que
le Bas et le Haut-Canada différeront autant
de sentiments et d'opinion de toutes les
autres provinces. Car, en effet, c'est en
restant ainsi divisés que nos forces s'éparpillent et que nous nous affaiblissons.
Il
n'y a pas de raison de nécessité aussi force
en faveur d'une union des provinces que la
question de notre sûreté nationale. Le
Canada n'est pas aussi difficile à défendre
qu'on pourrait le croire, à en juger d'après
l'immense développement de ses frontières;
il nous suffira de pouvoir garder quelques
points saillants pour n'avoir rien à craindre;
car, si notre frontière est immense, celle des
Etats-Unis ne l'est pas moins, et si nous
avons plusieurs villes sur la frontière elles
ne sauraient être comparées en importance
et en richesses à celles des Etats-Unis; c'est
pourquoi, notre situation n'est donc pas, après
tout, si désavantageuse à cet égard. Il y a
certains points qui sont la clé et comme la
porte du Canada; en les fortifiant, nous
pouvons nous flatter de nous défendre contre
n'importe quelle armée, et il est de la plus
haute importance de faire comprendre au
peuple canadien la nécessité de fortifier ces
quelques postes. Si nous sommes pour rester
indépendants, si nous désirons réellement
former une nationalité à part celle des Etats- Unis, nous devons prendre toutes ces
choses
en considération et regarder la situation en
face, afin de la comprendre et de nous convaincre de la nécessité de nous entendre
avec
le gouvernement de la métropole sur la
proportion des frais que nous devons assumer.
Si nous voulons sincèrement conserver notre
indépendance, nous ne reculerons devant
aucun impôt, devant aucun sacrifice pour le
faire. Le seul fait de l'existence de doutes dans
l'esprit de plusieurs quant au consentement
des Canadiens à se laisser taxer pour cet objet
est, suivant moi, l'un des motifs les plus
concluants que nous n'avons pas une minute
à perdre dans l'accomplissement de l'union
des provinces de l'Amérique Britannique du
Nord. Pour moi, il n'est rien de plus évident
que tant que le Canada sera isolé du reste
des colonies, il ne saura éprouver le sentiment de la nationalité, car le Canada ne
peut
exister seul. Nous avons besoin de comprendre qu'il est une nationalité sur ce
continent dont nous fesons partie, et je ne
connais rien de plus propre à étendre le
cercle de nos idées et de nos vues que le
projet actuel qui embrasse, dans son action,
toute l'Amérique Anglaise. Nous nous
apercevrons qu'un pays tel que celui que
formera la confédération vaudra la peine
d'être défendu. Toutes les nations du
monde consentent à se laisser taxer pour
leur défense, et il ne manque pas de pays
plus faibles que nous en population, en
revenus et en commerce, qui conservent
sur pied des armées qui, à tout prendre
sont considérables. Eh! quoi, lorsque nous
parlons de défenses, lorsque nous disons
qu'il faudra se taxer pour construire ces
ouvrages militaires et mettre la milice sur
un bon pied, nous entendons murmurer
autour de nous des gens qui se demandent
si le Canada consentira à faire sa part! Ces
hésitations me prouvent que quelques uns
d'entre nous manquent de la fibre nationale et
qu'il faut à tout prix l'éveiller ou la faire naître
en eux, car le peuple qui en est doué n'hésite
pas à faire aucun sacrifice pour conserver
son indépendance. Combien de pays qui
ont témoigné leur amour pour leur nationalité et leur drapeau en sacrifiant pour ainsi
dire jusqu'à leurs dernières ressources?
—" Mais, dit on, laissez l'occasion se présenter et vous verrez le Canada dépenser
jusqu'à la dernière goutte de son sang pour
purger le sol de ses envahisseurs." —Voilà
sans doute, un beau sentiment, mais je ne puis
pas croire que si ceux qui en font parade
désiraient le voir mettre à l'épreuve, ils ne
s'empresseraient pas d'insister sur la nécessité de faire les dépenses nécessaires
pour
parer aux éventualités. Ce serait pour eux
le moyen de faire quelque chose de pratique et de ne pas s'exposer à passer pour
de purs idéalistes. (Ecoutez!) La question
en effet, est une des plus pratiques qui
puissent se présenter, et on doit mépriser
comme inutile et de mauvais aloi le sentiment qui n'aboutit pas aux faits. Restons
donc convaincus de ceci, savoir: que si
aujourd'hui nous hésitons à voter les fonds
nécessaires pour mettre le pays sur un pl
de défense, nous aurons la même répugnance
à répandre notre sang lorsque l'occasion
l'exigera. (Ecoutez! écoutez!) Nous devrions
considérer qu'il ne suffit pas de notre sang
643
pour nous défendre, et si nous ne nous
préparons pas pour les éventualités, à quoi
nous servira-t-il d'aller exposer notre vie?
En vérité, quoi de moins raisonnable et de
moins sensé que de dire que nous allons
tout laisser incomplet, et l'éducation militaires de nos soldats et la fortification
des
principaux points de défense, jusqu'à ce
que notre salut dépende précisément de nos
troupes et de nos points fortifiés? N'est-ce
pas là le raisonnement de celui qui dit:—
"Oh! j'apprendrai à nager quand je serai
à la veille de me noyer?"—Est-ce que
l'homme sensé qui se saura exposé au danger
de se noyer n'apprendrait pas à nager avant
de risquer sa vie? Or, nous fesons le même
raisonnement que le premier de ces individus
lorsque nous prétendons que nous saurons
bien donner notre vie pour la défense de notre
pays, et que nous négligeons de prendre
d'abord toutes les précautions qu'il faut
prendre en pareil cas. Je n'aime ni n'ai
confiance dans l'expression d'un tel sentiment et je lui préfère le raisonnement des
hommes pratiques sur une question de cette
importance. J'ai lu avec attention le rapport
du Colonel JERVOIS, envoyé ici en mission
spéciale, et je crois que tous mes hon. auditeurs l'ont également parcouru: or, cet
officier après avoir indiqué certains points à
fortifier, conclut en disant: " Il est tout-à- inutile de conserver des troupes anglaises
en Canada tant que ces ouvrages ne seront
pas construits."
COL. HAULTAIN—L'hon. monsieur crie
"écoutez! écoutez!" Je ne saurais dire ce
qui se passe dans son esprit, mais j'ai observé
-et l' hon. député verra si cette observation
s'applique à lui ou non—j'ai observé que
lorsque mon hon. ami de North Ontario
fesait connaître les frais qu'entraînera l'armement du Canada, il y eut un cri d'"écoutez!
écoutez!" qui signifiait avec quel enthousiasme
on concourait dans les vues exprimées par
l'hon. député. Mais, M. l'ORATEUR, quand
mon hon. ami, avec son éloquenee persuasive,
déclara que, lorsque l'occasion l'exigerait, il
serait prêt à répandre la dernière goutte de
son sang pour la défense de son pays, nous
n'avons plus entendu les mots d'approbation
"écoutez! écoutez!" auxquels j'ai fait allusion.
(On rit.) Si j'ai bien compris mon hon.
ami, il ne veut pas que l'on encourre de
dépenses pour des travaux de fortification;
mais, M. l'ORATEUR, il a parlé en vrai
Breton, et je suis sûr qu'il était sincère
et que ce n'est pas un sentiment de convention qu'il a exprimé lorsqu'il s'est dit
prêt à verser son sang jusqu'à la dernière
goutte pour la défense du pays. Je suis
convaincu qu'il est capable de ce dévouement,
mais je lui demanderai s'il serait plus raisonnable de verser son sang que de dépenser
quelques louis? Qui peut dire à combien de
mille personnes, que dis-je, de cent mille,
une judicieuse dépense de quelques cent
mille louis épagnerait la mort? Je tiens à
ce que mon hon. ami sache que je suis
profondément convaincu que ce serait sous
tous rapports une économie—une économie
d'argent et de vie humaine—que de dépenser
aujourd'hui quelques sommes pour mettre le
pays en état de se défendre. Je pense que,
depuis quelques années, l'opinion sur ce sujet
a bien changé, car l'on commence à s'en
occuper sérieusement. Nous sommes un
peuple nombreux et riche, et il est de notre
devoir de faire plus qu'on a fait jusqu'ici
pour nos défenses. Je désire attirer maintenant l'attention sur des travaux qui, par
leur
importance, sont d'une valeur incalculable.
Je veux parler du canal de l'Outaouais. Il
me fait peine que l'état de nos finances ne
nous permette pas de songer à présent à sa
construction, et si j'en parle c'est pour qu'on
ne l'oublie pas; c'est pour que les représentants et nos hommes d'état ne l'oublient
pas non plus. Pour rendre sûre la défense
du pays,—de sa section ouest surtout,—et
conserver son indépendance, il faut que le
canal de l'Outaouais soit construit, car il
nous vaudra autant que 50,000 hommes de
troupe. Avec ce canal et l'aide de la mère- patrie, laquelle, nous en avons la certitude,
ne nous fera jamais défaut dans le besoin,
nous serons capables de tenir tête à l'ennemi
sur les lacs et de le menacer sur plusieurs
points importants, tout en garantissant le
pays d'une invasion. A l'heure qu'il est,
nous sommes dans une triste condition quant
à nos voies de navigation artificielle considérées au point de vue de la défense.
Sous
ce rapport, nos canaux du St. Laurent sont
presque tout à fait inutiles. Je suis content
de voir que le gouvernement américain a
donné avis de son intention de rompre la
convention à l'effet de ne pas tenir sur les
lacs de navires armés en guerre. J'en suis
d'autant plus satisfait que cette convention
était réellement nuisible à nos intérêts, et je
n'ai aucun doute qu'avant la fin de l'année
nous aurons des canonnières sur nos lacs.
S'il en eût été autrement, il est probable que
644
nous aurions pu être maintes fois à la merci
des Etats-Unis. Il est indubitable que, s'ils
se décidaient à entrer en guerre avec nous
avant l'ouverture de la navigation, nous ne
pourrions faire passer de canonnières anglaises
par les canaux du St. Laurent, qui sont d'un
accès si facile pour l'ennemi, et que, sans
trop de difficulté, il pourrait rendre inutiles
comme voies navigables. Quant au canal
Rideau, comment pourrions-nous y faire
passer des canonnières, bien qu'il est une
certaine classe de ces vaisseaux qui pourrait
peut-être y passer?
COL. HAULTAlN—Oui; je crois que
les écluses de ce canal ont une longueur de
130 pieds, et permettraient à une certaine
classe de canonnières d'y passer; mais,
comme l'a fait remarquer mon hon. ami, le
canal Rideau serait tout de même inutile,
attendu que la seule voie pour s'y rendre est
celle du canal de Grenville, dont les écluses
n'ont que 70 pieds de long. Ainsi, nous
serions donc entièrement à la merci des
Etats-Unis, car, à moins d'être maîtres du
lac Ontario, la province supérieure tomberait
inévitablement entre les mains de l'ennemi.
Eh bien! M. l'ORATEUR, il me semble que
tous nos intérêts—au point de vue de la politique, du commerce et des défenses,—et
les
circonstances où nous nous trouvons, parlent
en faveur d'une union des provinces anglaises.
Les motifs et les interêts qui l'exigent sont
si grands que je suis surpris de voir que, tout
en désirant que ces provinces restent indépendantes des Etats-Unis, il se trouve des
députés qui hésitent à adopter ce projet, non
pas parce que je le trouve parfait, mais parce
qu'il est le seul qui nous soit offert. (Ecoutez! écoutez!) Je passe maintenant à
quelques observations sur le caractère de l'opposition, que je trouve en quelque sorte
remarquable, mais qui est certainement hétérogène.
La grande différence qui existe entre elle et
le gouvernement me semble être celle-ci:
ce dernier est désireux de consolider, d'édifier, tandis que le seul but de l'opposition,
le
seul but qui maintient intacts ses rangs, me
paraît être celui de détruire, d'affaiblir et de
diviser. (Ecoutez! écoutez!) Plusieurs des
observations que ses divers membres ont fait
entendre auraient pu être faites aussi bien
contre elle-même que contre le gouvernement.
Pour me servir d'une phrase usitée chez le
militaire, je dirai que ses membres ont lutté
entre eux; mais, comme ce n'est qu'une
guerre de mots et d'arguments qu'ils se sont
faite, ils peuvent encore se combattre, bien
que, logiquement parlant, ils soient hors
de combat. L'un dit qu'un changement est
devenu nécessaire; un autre pense le contraire et désire que nous restions comme
nous sommes. Un troisième est contre la
confédération parce qu'il croit que, jusqu'ici,
le principe fédéral n' a produit que l'impuissance, tandis qu'un quatrième ente sur
ce
principe ses espérances pour le gouvernement futur de l'univers. Un autre ne veut
entendre parler que d'une union législative,
et cela quand il sait, je pense, que beaucoup
d'entre ceux qui agissent dans le même sens
que lui seraient prêts à nous menacer d'une
rébellion si seulement on essayait d'établir
une union législative. La plus grande des
variétés d'opinion existe dans cette opposition, et, ainsi que je l'ai déjà dit, elle
offre
le spectacle d'une réunion des plus hétérogènes, dont le seul but est la destruction.
Col. HAULTAIN—Les membres du
gouvernement ont un but commun. Ils se
sont réunis non pour lutter l'un contre l'autre
en faveur d'opinions et de principes différents, mais pour s'entendre, comme des
hommes raisonnables, dans l'accomplissement
d'un grand but qui leur est commun, et ils
ont délibéré sur ce qui rencontrerait le mieux
les vues de chacun, c'est-à-dire en se faisant
de mutuelles concessions. En cela, ils se
sont conformés à la loi qui lie la société, et
sans laquelle la société ne peut exister. Ils
se sont unis dans cet esprit afin d'augmenter
les forces de ces provinces et la puissance
de l'empire auquel elles appartiennent; mais
je ne vois rien d'analogue chez l'opposition.
Je n'entends pas dire qu'elle s'est formée
pour préparer et proposer au pays quelque
projet préférable à celui qui est actuellement
soumis à notre adoption, et de ce silence je
me plains amèrement. Je maintiens que
l'importance de cette question devrait l'obliger à ne pas se prévaloir de ce qu'on
appelle
ordinairement la latitude de l'opposition parlementaire Les circonstances où se trouve
le pays sont trop graves pour que nous nous
faisions un jouet d'une pareille question. Si
nous présentons à la chambre une mesure
qui peut obvier aux difficultés de notre position, je dis que les hon. messieurs qui
s'opposent au projet ne remplissent pas leur
devoir envers le pays, et qu'ils n'ont pas
645
apprécié ces difficultés comme ils auraient
dû le faire, si, de leur côté, ils n'offrent rien
pour y remédier. Je ne puis, en réalité,
faire autrement que de désapprouver leur
conduite. (Ecoutez!) Je vais parler maintenant, M. l'ORATEUR, d'une opposition qui
est faite à ce projet, et qui a été fortement
exprimée par une certaine partie de la minoté protestante du Bas-Canada. Dans mes
relations personnelles avec plusieurs personnes appartenant à cette partie de la
société, j'ai pu savoir qu'elles éprouvaient une
forte aversion pour ce projet, parce que par
lui elles vont se trouver à la merci des Franco- Canadiens. A cet égard, et bien que
les
circonstances exigent que nous nous parlions
franchement et ouvertement, je veux assurer
mes hon. amis du Bas-Canada que ce n'est
et que ce ne sera que sous l'impression d'un
sentiment d'amitié pour eux que je parlerai.
Je suis contraint de dire ici qu'il n'est
aucune partie du projet sur laquelle j'éprouve
autant de doute que celle qui concerne l'enseignement et les intérêts politiques des
protestants du Bas-Canada. On a dit que
les Franco-Canadiens avaient toujours fait
preuve de tolérance et de générosité envers
leurs concitoyens protestants. J'ai entendu
dire que toujours ils avaient montré le même
esprit de justice en favorisant du mieux
qu'ils le pouvaient les écoles de la minorité
protestante; mais, d'un autre côté, des personnes qui ont porté beaucoup d'attention
à
ce sujet, ont aussi dit qu'autrefois, bien que
l'hostilité ne fut pas flagrante, l'éducation
de la minorité protestante avait éprouvé en
sous-main de très sérieux obstacles. Cela
m'a été dit par des hommes qui ont pris un
intérêt particulier dans cette affaire, et qui,
j'en suis convaincu, n'eussent pas fait cette
assertion s'ils ne l'avaient cru fondée. Pour
ma part, je pense que la minorité protestante
a raison d'entretenir cette crainte, et voici
pourquoi: la majorité du Bas-Canada, nous
le savons, est catholique romaine, et reçoit
ses inspirations du chef de l'église romaine;
elle est guidée par des principes qui sont posés
et promulgués publiquement de temps à autre
par le chef de cette église romaine. Ses choses
étant ainsi, je ne crois donc pas que mes
concitoyens de cette religion, auxquels je
veux parler franchement, mais avec courtoisie, aient lieu de s'étonner de ces soupçons
et craintes de leurs frères protestants. Ils ne
doivent pas s'en étonner, parce que, naturellement, ils savent quels sont les principes
de
la hiérarchie catholique romaine.
COL. HAULTAlN—Ils ne sont pas tolérants. (Murmures de désapprobation dans
plusieurs parties de la chambre.)
L'HON. M. ALLEYN—Les presbytériens
sont-ils plus tolérants? L'hon. monsieur
a avancé que les principes de la hiérarchie catholique romaine n'étaient pas tolérants,
voudrait-il nous dire s'il entend par là
qu'ils ne le sont pas pour la liberté civile ou
seulement pour la liberté religieuse? Nous
tenons à savoir au juste ce que l'hon. monsieur veut dire.
COL. HAULTAIN—Etre bien compris,
c'est précisément ce que je désire. La liberté
civile et religieuse sont tellement liées l'une
à l'autre que nous ne pouvons pas les séparer.
COL. HAULTAIN—Je crois qu'il suffit
de consulter la dernière lettre encyclique de
Rome pour trouver une réponse plausible à
la question que vient de me faire l'hon. député de Québec. Je vois dans cette lettre,
qui porte ce cachet de gravité et d'autorité
qui est particulier à tout message du chef de
l'église catholique romaine, je vois, dis-je,
entre autres choses, que l'on condamne
comme une erreur ce qui suit: "ceux qui
émigrent dans les pays catholiques devraient
jouir de la liberté des cultes." (Ecoutez!
écoutez!) Personne plus que moi n'est disposé à éloigner de cette enceinte toute discussion
ou animosité religieuse; mais quand
nous avons à délibérer sur un projet de la
plus grande importance, dans lequel se
trouvent en jeu les divers intérêts de la
société, je crois qu'alors il est permis à tout
homme de dire franchement sa pensée.
(Ecoutez! écoutez!) J'ai dit que la minorité protestante du Bas-Canada ne cesserait
de craindre que du moment où complète
justice lui serait faite, et cela parce qu'elle
connaît l'immense pouvoir que la hiérarchie
papiste exerce en Bas-Canada. Elle sait
jusqu'à quel point toute chose se fait selon
les vues de cette puissance, qui reçoit ses
inspirations de Rome, et, depuis les cinq
dernières semaines, nous avons pu voir quel
était le caractère de cette inspiration. ( Nouveaux murmures désapprobateurs.) Lorsque
vient du pape, du chef de l'église catholique
romaine, une lettre revêtue de toute l'autorité
que les Franco-Canadiens reconnaissent à ce
pontife, et lorsque nous voyons déclarer ici
646
que c'est une erreur de dire que dans quelques pays réputés catholiques les immigrants
devraient jouir de la liberté de leur culte....
(écoutez! écoutez!)—je vois que les cris de
"écoutez! écoutez!" que font entendre
quelques-uns de mes hon. amis sont articulés
sur le ton de la raillerie, mais je leur demande
de refléchir honnêtement sur l'opinion que
j'émets. Supposons qu'il soit possible aux
protestants du Canada de parler de la même
manière que l'a fait le chef de l'église romaine, et qu'il leur soit donné d'ériger
en
principe que nous ne devons pas accorder la
liberté de culte à ceux qui diffèrent avec nous
de croyance religieuse, ne pensez-vous pas
que les catholiques du Haut-Canada auraient
raison d'être alarmés? Or, mes hon. amis, je
vous demande de me faire la justice de juger
ce que je dis à son bon point de vue et non de
croire que je veuille attaquer votre religion.
Je vous demande de me faire cette justice,
surtout dans un cas comme celui-ci, où les
protestants du Bas-Canada sont à la veille,
si non d'être livrés au pouvoir de la hiérarchie catholique romaine, au moins d'être
assujétis à son influence, ce qui, je crois,
reviendrait au même. Je vous demande de
vous figurer ce qu'ils ont pu penser lorsqu'ils
ont lu le passage de la lettre encyclique que
j'ai citée.
L'HON. Proc.-Gén. CARTIER—Je demande à l'hon. monsieur de me permettre de
dire un mot. La minorité protestante du
Bas-Canada a toujours vécu d'accord, non
seulement avec les catholiques, mais même
avec le clergé catholique de cette section, et,
au nom des protestants du Bas-Canada,—de
la majorité d'entre eux au moins,—je puis
de même dire qu'ils sont assez bien convaincus de la libéralité de notre clergé et
des catholiques en général pour n'avoir
aucune des craintes que l'hon. monsieur
manifeste en ce moment. (Ecoutez!)
COL. HAULTAIN—Tant mieux; mais
il ne s'ensuit pas moins que, dans une affaire
comme celle-ci, ce qui émane de mon hon.
ami le proc-gén. Est est de peu de poids
comparativement à ce qui émane du chef de
l'église catholique romaine. Remarquez que
je n'accuse pas mes compatriotes Franco- Canadiens d'intolérance. Je dis seulement
que les protestants du Bas-Canada ont raison
d'avoir des craintes, sachant dans quelle position ils vont se trouver vis-à-vis de
la hiérarchie catholique, et que ce trait d'intolérance
que je viens de citer émane de celui qui
inspire cette hiérarchie. Pourquoi faire
mention de cela? Serait-ce pour susciter
quelque difficulté à l'égard du projet? Tout
au contraire. Je parle en temps opportun et
dans le seul but de faire donner à mes co-religionnaires du Bas-Canada des garanties
qui
leur assureront cette tolérance et ces généreux sentiments dont les catholiques romains
ont jusqu'ici fait preuve à leur égard; et
si je demande maintenant ces garanties, c'est
pour éviter la nécessité où l'on pourrait se
trouver de les donner plus tard. Je n'ai que
faire de déclarer quels sont mes sentiments,
—ce sont ceux de tout protestant anglais;
nous accordons volontiers à nos compatriotes
catholiques romains ce que nous voulons
pour nous: la liberté de conscience et le
libre exercice de tout droit politique.
(Ecoutez! écoutez!)
L'HON. J. S. MACDONALD—L'hon.
proc-gén. Est a parlé au nom des protestants du Bas-Canada, et mon hon. ami, le
député de Peterborough, (Colonel. HAULTAIN), a fait la même chose avant lui.
Comment allons-nous décider entre les deux?
L'HON. M. McGEE—L'hon. représentant de Cornwall est comme la feuille blanche
qui sépare l'ancien et le nouveau testament,
et n'appartient ni à l'un ni à l'autre (Hilarité.)
L'HON. J. S. MACDONALD—Je trouve
réellement cette question très importante.
L'hon. député de Peterborough parle au
nom des protestants du Bas-Canada, et l'hon.
proc.-gén. Est prétend, lui aussi, exprimer
leur opinion. En faveur duquel allons-nous
décider?
L'HON. Proc.-Gén CARTIER—Ainsi
que le sait l'hon. député, j'ai déjà fourni
une longue carrière politique, et , pendant tout
ce temps, j'ai toujours pris fait et cause,
lorsque je la savais attaquée, pour la hiérarchie catholique du Bas-Canada, mais,
en
même temps, je n'ai jamais manqué d'agir
de même pour le maintien des droits de la
minorité protestante, et c'est à cela que je
dois d'avoir toujours eu la confiance de ce
corps.
L'HON. M. ALLEYN—Je propose que
cette partie de la discussion soit remise à
dimanche. (On rit.)
COL. HAULTAIN—Je crois, M. l'ORATEUR, que ce sujet est trop sérieux pour
qu'il soit une occasion de plaisanteries insignifiantes. Je parle de ce que je sais
quand
647
je dis qu'il existe des craintes chez un grand
nombre de protestants du Bas-Canada, et je
ne parle pas inconsidérément lorsque je dis
que ce que j'ai cité, comme émanant du chef
de l'église catholique romaine, a eu pour effet
de raviver ces craintes. Si, à l'avenir, nous
devons progresser amicalement, il est clair
qu'il vaut mieux que nous nous entendions
franchement avant d'entrer dans cette union,
et que nous travaillions tous à éviter l'introduction de tout système ou la commission
de
tout acte qui, plus tard, pourrait créer des
difficultés. Qu'est-ce que disent mes hon.
amis du Bas-Canada à l'égard du fait que
j'ai cité? Un hon. monsieur a voulu railler
en proposant de remettre à dimanche cette
discussion (écoutez! écoutez!); j'aimerais
à savoir ce qu'il pense de passage que j'ai
lu. Y adhère-t-il?
L'HON. M. ALLEYN—Je donne ma
parole que je n'ai pas lu cette lettre dans
son entier.
L'HON. M. ALLEYN—Je suis pour la
liberté de conscience dans toute l'acception
du mot.
COL. HAULTAIN—En justice pour eux- mêmes, je crois que les hon. messieurs qui
appartiennent à la foi catholique devraient
se tenir au courant de ce qui leur vient de
Rome. Je sens que je suis justifiable d'avoir
fait ces observations, et que j'eusse manqué à
ce que je dois aux protestants du Bas-Canada
si, en leur nom, je n'eusse pas fait connaître
sur quoi ils fondent leurs craintes pour
l'avenir. J 'espère que les hon. messieurs
prendront connaissance du document dont
j'ai parlé. J'ignore si la longue liste des
erreurs condamnées a été lue dans les églises
catholiques romaines, mais je sais que la
lettre encyclique, qui l'accompagne, a été
communiquée à ceux qui vont à l'église. Je
ne sais, par exemple, si mon hon. ami a pour
habitude d'y aller.
L'HON. J. S. MACDONALD—J'aimerais
à savoir comment mon hon. ami de Peterborough va contenter ceux dont il plaide la
cause s'il vote ce projet de confédération.
COL. HAULTAIN—J'ai assez de confiance en mon hon. ami le proc.-gén. Est
pour croire qu'il s'opposera à toute oppression dont la population protestante du
Bas- Canada pourrait être l'objet. Je suis également convaincu qu'il s'acquittera
de la
promesse qu'il a faite en cette enceinte au
sujet d'amendements à l'acte scolaire du
Bas-Canada.
L'HON. Proc.-Gén. CARTIER—Et je
puis ajouter que ma promesse sera facile à
remplir, d'autant que le clergé catholique et
la majorité des catholiques du Bas-Canada
n'ont jamais eu l'idée de vouloir opprimer
leurs concitoyens protestants. (Ecoutez!
écoutez!)
COL. HAULTAIN—Eh bien! après
tout ce qui m'a été dit, je demande aux hon.
messieurs qui appartiennent à la religion
catholique romaine, de lire ce que le chef de
cette église a écrit et fait répandre par le
monde, et de dire s'ils n'ont pas confiance
dans ce que le chef de leur église a énoncé,
ou, s'ils y ont confiance, s'ils agiront dans le
même sens.
L'HON. M. McGEE—J'espère que l'hon.
monsieur accordera volontiers à la minorité
catholique du Haut-Canada les mêmes priviléges que nous sommes prêts à accorder à
la minorité protestante du Bas.
L'HON. J. S. MACDONALD—L'hon.
député de Peterborough croit à la sincérité
des intentions de l'hon. procureur-général
Est, et dit qu'il s'en rapporte à lui; mais,
d'un autre côté, il donne lecture à cette
chambre d'un décret qui surseoit à toute
promesse que l'hon. procureur-général peut
faire. Telle est la difficulté dans laquelle
l'hon. monsieur se trouve placé.
M. BELLEROSE—Alors, il faut que
vous ne l'ayiez pas comprise.
L'HON. J. S. MACDONALD—Tout ce
que je voulais dire, c'est qu'à mon avis
l'hon. député de Peterborough a traité cette
question à un très juste point de vue.
COL. HAULTAIN—Que cela soit ou non,
que l'hon. monsieur approuve ou n'approuve
pas ce que j'ai dit, cela ne me touche en
rien. Je n'ai fait que m'acquitter envers
mes co-religionnaires du Bas-Canada de ce
que je jugeais être pour moi un devoir. J 'ai
voulu attirer l'attention des députés catholiques sur des choses que beaucoup d'entre
eux paraissaient ignorer. On n'est pas justifiable de chercher à ignorer le fait que
j'ai porté devant eux. Nous savons que
dans quelques pays catholiques l'intolérance
648
absolue domine. En Espagne, par exemple,
il n'est pas permis d'y élever de temple protestant. On n'a donc pas raison d'opposer
la
raillerie à ce que je dis; et quand un
décret entaché d'intolérance est promulgué
et répandu par le monde, et que ce décret
émane du véritable chef de l'église romaine,
est-il surprenant, puisque les protestants de
cette section sont en petite minorité et
savent qu'ils seront à la merci de la hiérarchie qui partage ces vues, est-il surprenant
qu'ils aient manifesté quelque répugnance à
rester dans cette position? Je sais très bien
que la généralité des catholiques se déclarera,
comme elle l'a déjà fait, adverse à l'esprit
d'intolérance que renferme le passage par
moi cité, et j'ai la confiance que pratiquement
elle le désavouera aussi; mais quant à savoir
si elle se plaît dans le dilemme où elle se
trouve placée, c'est une toute autre chose.
(Ecoutez! écoutez!) Composée, comme
l'est notre société, de différents éléments,
lorsque nous avons à discuter des sujets
semblables à ceux qui nous occupent en ce
moment, lorsque nous avons à adopter un
projet qui va mettre en jeu les intérêts de
minorités et de sections, il est bon de le faire
ouvertement, sans arrière pensée ni réticence;
mais si je me suis conformé à ce précepte,
j'ai en même temps conservé le désir de ne
blesser personne ni de manquer de courtoisie,
et, en cela, j'espère avoir réussi autant que
ma dignité de représentant l'exige.
M. DENIS—L'hon. député me permettra-t-il de lui faire une question? Par le
fait qu'il a parlé de cette lettre du chef de
l'église, prétend-il que tout hon. membre a
le droit de critiquer ici de la même manière
les actes du clergé protestant? Si cela se
faisait, comment serait-il possible de délibérer? L'hon. député peut avoir ses opinions
à l'égard de cette lettre, mais il ne devrait
pas les exprimer ici, sinon tout autre député
se croira dans le droit de venir ici critiquer
la conduite de ministres respectables de
l'église libre, de l'église épiscopale ou de
toute autre église protestante, et de faire tels
commentaires qu'il jugera à propos. Cela
ne doit pas être. L'hon. député a dit que
cette lettre devait être regardée comme dangereuse. Eh bien! tout ce que je puis dire,
c'est que si nous abordons le chapitre des
soupçons, on trouvera que tout homme en
est susceptible. Nous pouvons avoir des
soupçons sur toute chose, quelque digne de
respect qu'elle soit, mais s'il fallait s'y arrêter,
il serait impossible de s'entendre sur rien.
Mon hon. ami a employé le mot "hiérarchie,"
eh bien! il suffit quelquefois qu'un mot soit
prononcé pour que le désaccord s'en suive.
Il peut avoir son opinion sur toutes ces
choses, et cette opinion doit être respectée
parce que je la crois sincère; mais s'il
s'arroge le droit de parler de "Papisme."
et de toute sorte de chose concernant notre
église, cela nous donnera celui d'en faire
autant des ministres de l'église libre, de la
haute et basse église, et de toutes les autres
églises, et tout cela n'aura pour résultat que
de créer des animosités à propos de rien.
COL. HAULTAIN—M. l'ORATEUR,
lorsque quelqu'un aura le droit ou l'autorité
de parler pour les protestants et qu'il énoncera une doctrine du genre de celle promulguée
par le pape de Rome, je consentirai
volontiers à ce qu'on l'en accuse devant moi
n'importe où. J'apprendrai à l'hon. ami
qui vient de m'interpeller une chose qu'il
devrait savoir: c'est qu'il n'existe aucune
analogie, aucune similitude que ce soit entre
le pape de l'église de Rome et un ministre
quelconque d'aucun autre corps de chrétiens.
Pour en finir avec ce sujet, M. l'ORATEUR,
je me bornerai à dire que je me suis servi
des termes ordinairement usités, et qu'en
les employant je n'ai nullement cherché à
offenser qui que ce soit. Entre autres raisons
que l'on donne pour s'opposer au projet dont
chambre est saisie, la principale est qu'il la
n'est pas parfait, et qu'il renferme des principes propres à nuire au fonctionnement
de la constitution projetée. Quant à moi,
M. l'ORATEUR, je suis aussi d'avis que dans
un sens ce projet est défectueux.
COL. HAULTAIN—Toute constitution
élaborée pour obvier aux difficultés où les
cinq provinces, je puis dire les six, se
trouvent placées, doit nécessairement offrir
quelques anomalies. Des concessions mutuelles sont inévitables si nous voulons avoir
l'union. Il est inutile d'être bien clairvoyant pour découvrir qu'il en résultera
probablement des difficultés. Les hon. messieurs qui se sont prononcés contre ce projet
se sont plu, surtout l'hon. député de Brome,
à en exagérer le nombre et la grandeur. Je
pense, M. l'ORATEUR, que si, avec la même
rigueur et la même hostilité on faisait l'analyse de n'importe quelle forme de gouvernement,
ou de n'importe quelle constitution,
soit monarchique ou républicaine, établie
à l'effet d'unir des peuples distincts et
649
isolés, il ne serait pas difiicile de prévoir
les dangers auxquels, vraisemblablement,
elle pourrait donner lieu. On pourrait
en dire autant de la constitution anglaise
si elle subissait la même analyse. Pour
la constitution soumise à notre vote, comme
pour toutes les autres, son bon fonctionnement dépendra du caractère et des
principes de ceux qui auront à la faire fonctionner. L'hon. député de Brome a certainement
cherché à montrer ces résolutions sous
leur plus mauvais jour. Sur presque tous
les points, il s'est efforcé de trouver des
défectuosités qui, selon lui, étaient de nature
à mettre en danger les intérêts du peuple.
Il s'est appliqué à les démontrer comme
autant de sources intarissables de difficultés.
Il a dit que nous pourrions voir les provinces
maritimes agir de concert avec le Bas-Canada
contre le Haut, et vice versâ. Il est évident,
M. l'ORATEUR, que sous ce rapport les
objections de l'hon. député s'appliquaient
avec autant de force à une union législative
qu'à une union fédérale, et cela, quand il est
lui-même en faveur d'une union législative.
L'HON. M. HOLTON—ll faut que je
rectifie mon hon. ami; l'hon. député de
Brome, qui est absent à l'heure qu'il est,
s'est déclaré adverse à toute autre union que
celle qui existe aujourd'hui entre les deux
provinces, et toute son argumentation tendait
à le démontrer.
L'HON. M. McGEE—Si l'hon. monsieur
me le permet, je dirai que j'ai écouté attentivement l'hon. député de Brome, et que,
d'après ce que j'ai pu comprendre, il se serait
prononcé pour une fédération, mais sans une
union comme celle projetée. Son argumentation comportait que nous devrions nous
fédérer avec le gouvernement impérial et
avoir un conseil à Londres.
L'HON. M. McGEE—Non, c'était bien
la question. Sa proposition a été celle-ci:
nous devrions avoir un conseil semblable à
celui des Indes Orientales,—et il est le seul
député de la gauche qui ait émis une contre- proposition à celle qui est déjà devant
cette
chambre. Je me réserve de répondre à cet
argument en temps opportun, et j'ajouterai
que mon hon. ami de Peterborough a eu
raison dans ce qu'il a dit.
COL. HAULTAIN—Mon opinion est que
hon. député de Brome, quoique ne la
croyant pas désirable en ce moment, s'est
néanmoins déclaré en faveur d'une union
devant s'accomplir dans un temps plus ou
moins éloigné.
L'HON. M. HOLTON—Oui, il voudrait
une union législative, si nous sommes pour
en avoir une: mais il s'est déclaré énergiquement pour le maintien du régime actuel.
COL. HAULTAIN—C'est précisément ce
que j'ai dit, et je répète encore que les mêmes
arguments dont j'ai parlé et que l'on a fait
valoir contre une union fédérale, pouraient
également être dirigés contre une union
législative, et qu'on rencontrera autant de
difficultés dans l'un comme dans l'autre cas.
COL. HAULTAIN—Autant, dans tous
les cas. Je pense que mon hon. ami de
North Ontario s'est servi du même argument
contre l'union fédérale et, cependant, je le
crois en faveur d'une union législative.
COL. HAULTAIN—Mais, mon hon. ami
n'est pas sans voir que ce raisonnement contre
l'union fédérale pourrait être dirigé avec
une égale force contre toute autre union.
M. M. C. CAMERON—On me permettra
de faire remarquer que la position que j'ai prise
est celle-ci:—j'ai dit qu'il serait préférable
d'avoir une union législative parce que le
pays l'accepterait avec l'intention de la faire
tourner à l'avantage du peuple, tandis que,
dans le cas d'une union fédérale, les intérêts
locaux de chaque province prendraient le
pas sur ceux de tous
COL. HAULTAIN—Envisagé ainsi, l'argument, suivant moi, devient entièrement
favorable au principe fédéral, lequel fait
disparaître quelques-unes des causes d'embarras, précisément en ce qu'il enlève au
gouvernement général le contrôle des affaires
locales pour l'abandonner aux législatures
de chaque province. Bien plus, à tous les
points de vue, de dépense, de danger de
collision entre les gouvernements, et de la
répartition de souveraineté dans le régime
fédéral, je suis convaincu que l'union législative est, de toutes les formes de gouvernement,
celle qui est la plus simple et la
meilleure. (Ecoutez! écoutez!) A ceux
qui s'opposent à la première de ces formes
parce qu'ils sont en faveur de la dernière, je
prendrai la liberté de faire remarquer qu'en
attaquant comme ils le font le système fédéral,
il fournissent tout bonnement des raisonnements à ceux qui ne veulent d'aucune espèce
d'union. Ils devraient réfléchir que l'on
650
convient de toutes parts de l'impossibilité
d'une union législative et, par conséquent, il
est parfaitement oiseux d'en discuter le
mérite comparatif. C'est, suivant moi, perdre
le temps inutilement que de demander un
certain système d'union politique et de faire
de ce raisonnement le point de départ pour
battre en brèche un autre système d'union
possible, dans le même temps que ceux avec
qui nous devons nous unir et qui sont libres
de choisir entre les deux se prononcent
contre le premier. (Ecoutez! écoutez!) Car,
il faut se rappeler que nous avons à prendre
l'avis de six provinces indépendantes les
unes des autres, et s'il arrive que cinq
d'entre elles s'opposent à une union législative, quelle raison avons-nous, à moins
de prétendre que l'union fédérale est la meilleure
de toutes, de faire de notre préférence pour
ce dernier régime le motif de notre opposition à la seule union possible entre nous?
Mais, pour revenir au discours de l'hon.
député de Brome, je crois devoir exprimer
le plaisir avec lequel je l'ai vu passer à une
analyse microscopique le projet actuel de
confédération; il ne s'est arrêté qu'après
avoir décrit tous les dangers possibles qui
pourraient s'en suivre; il s'est appliqué,
avec une espèce de satisfaction, à nous indiquer la succession de coquins et de fous
auxquels pourrait se trouver remis le destin
du pays, et la possibilité de voir à la suite du
régime fédéral surgir dans notre monde politique une race d'hommes dépourvus de toute
espèce de moralité et d'intelligence. Pour
ma part, M. l'ORATEUR, j'envisage la question au point de vue du bon sens, et je crois
que le pays fera de même; car, appliquez le
même procédé analytique à tous les régimes
politiques, à toutes les institutions humaines,
et vous pouvez grossir et imaginer les dangers
et toutes les difficultés possibles, et le patriotisme, la vertu et la justice ne
seront plus que
de vaines abstractions dont la réalité ne sera
plus qu'un souvenir du passé. Ce raisonnement
est également vrai pour toute espèce d'associations soit commerciales, politiques
ou
nationales; appliquons-le, par exemple, à
notre situation actuelle. Nous voici réunis
pour l'administration des affaires du pays;
les règles et usages nous servent à nous
guider sont le fruit de l'expérience et de la
sagesse de plusieurs siècles, et cependant,
dites moi, est-ce qu'il ne suffirait pas d'une
demi-douzaine d'hommes sans principes et
déterminés pour empêcher l'expédition des
affaires et enrayer complètement le jeu de
notre gouvernement? La seule conclusion pratique qui découle, suivant moi, du raisonnement
de l'hon. député de Brome, est d'abolir
toute forme de gouvernement et toute association. Mon hon. ami s'est trop avancé et
n'a
fait que fortifier la position de ceux qu'il
voulait combattre. Il est évident, pour moi,
que l'expérience de tous les jours a fait
disparaître les dangers et les difficultés qu'il
signale et qui se sont présentées dans le
mêmes circonstances, et nous donne à espérer
que l'avenir nous fournira des hommes à
la hauteur des évènements qui pourront se
présenter. On m'objectera peut-être nos
difficultés actuelles comme prouvant le contraire; mais la différence est essentielle,
car c'est le sentiment de l'injustice qui a
fait naître ces difficultés, et on ne peut,
dans le projet actuel, découvrir aucune
clause qui tende à être une source d'injustices envers qui que ce soit: et, d'ailleurs,
n'avons-nous pas eu des hommes à la hauteur
de ces difficultés? (Ecoutez! écoutez!)
Si les hommes qui sont à la tête de nos
affaires sont animés de sentiments de justice
et de droiture, je ne vois rien dans tout ce
qu'a prétendu le principal adversaire de la
mesure actuelle, l'hon. député de Brome,
qui me fasse craindre pour l'avenir. D'un
autre côté, dans les circonstances actuelles
il est du devoir de l'opposition, si elle n'est
pas satisfaite du projet, de mettre devant la
chambre un autre projet.
COL. HAULTAIN—Je n'ai pas besoin,
ce me semble, de rappeler à mon hon. ami,
aujourd'hui un des chefs de l'opposition,
ses propres aveux qu'il n'était ni juste ni
possible de conserver l'état actuel des choses.
D'ailleurs, il a déjà dit que l'union actuelle
du Haut et du Bas-Canada ne pouvait être
maintenue, ce en quoi il a eu raison: car,
en effet, nous ne pouvons demeurer ce que
nous sommes, et mon hon. ami le député
d'Hochelaga (M. A. A. DORION) est aussi
de cet avis. Il est convenu qu'il fallait des
changements et en cela nous sommes de la
même opinion. Or, voici qu'un projet de
changement constitutionnel nous est proposé,
et nous, les appuis de ce projet, nous disons
à l'opposition que s'il ne lui plait point,
qu'elle en propose un autre pour prouver son
patriotisme et être conséquente avec ses propres aveux. (Ecoutez). Alors, mais alors
seulement, elle pourra voter contre celui qui
nous est proposé en ce moment. (Ecoutez!
651
écoutez!) Le seul député qui ait jusqu'ici
proposé quelque chose à la place de l'union
fédérale est l'hon. député de Brome. (M.
DUNKIN). Mais, je confesse que ce n'est pas
sans surprise, et presque avec désappointement, que je l'ai entendu résumer et conclure
son discours tout-à-fait remarquable, car tout
le monde reconnaît la perspicacité d'intelligence et l'esprit d'analyse de cet hon.
orateur,
et son discours a été goûté par tous ceux qui
ont eu le plaisir de l'entendre. Mais, M. l'ORATEUR, pourquoi faut-il que tant d'énergie
soit dépensée, tant de travail d'intelligence
soit perdu et demeure sans résultat? En
quoi le pays profitera-t-il de tant d'efforts?
A-t-il proposé quelque chose digne de la
dissection minutieuse que nous lui avons
entendu faire? A-t-il entré dans les difficultés de notre situation politique et émis
un
projet de constitution sans défaut? Qu'a-t-il
proposé pour unir ensemble ces membres
isolés de l'empire britannique, en faire un
seul peuple et ajouter ainsi à leur force et à
leur prospérité futures? Pour satisfaire aux
besoins les plus pressants et satisfaire les
intérêts de chacun, il propose de nommer
"un conseil colonial à Londres, dans le
genre à peu près du conseil des Indes, au
moyen duquel nos ministres pourraient se
consulter avec Sa Majesté sur les affaires
concernant ces provinces." (Ecoutez! écoutez!) Or, qu'est-ce que le conseil des Indes
que mon hon. ami veut mettre à la place de
l'union générale par laquelle nous voulons
réunir ensemble des colonies qui ont été
séparées depuis trop longtemps? Quelle est
la position des Indes et quel est le but et la
composition du conseil dont il est ici question?
D'abord, ce pays forme un apanage de la
couronne anglaise, et est régi par un gouverneur assisté d'un conseil, soumis aux
ordres du secrétaire d'Etat qui en même
temps préside le conseil des lndes à Londres.
Le revenu et les dépenses de l'empire des
Indes sont sous le contrôle du secrétaire
assisté de son conseil, et aucune dépense ne
peut se faire sans le concours d'une majorité
de ce dernier. Voilà le régime que mon
hon. ami nous propose et dont il parle comme
devant nous "donner les meilleurs moyens
d'assurer et raffermir nos relations avec la
métropole," et il ajoute: "que rien de tel
n'existe dans le projet actuel." En vérité,
quel est l'homme sensé qui oserait proposer un
tel plan? Il est difficile de concevoir que
mon hon. ait pris sur lui de nous recommander sérieusemeut de l'adopter, et on
s'imagine à peine qu'une idée aussi crue et
aussi mal digérée (pour me servir de ses
propres expressions) ait pu sortir de sa tête.
Qu'a-t-il donc fait de cette perspicacité et de
cette force d'analyse dont il a fait preuve
dans la discussion des résolutions de la conférence de Québec? Quand il parle d' "un
conseil colonial à Londres à peu près dans le
genre de celui des Indes," entend-il dire
que nous devrions avoir à Londres un conseil
chargé de diriger nos actes, de nous envoyer
des gouverneurs généraux pour nous dicter
nos lois et nous indiquer la manière dont
nous devons dépenser le revenu public, parce
que le conseil des Indes, sous la présidence
du secrétaire d'Etat, a le contrôle des dépenses de la compagnie des Indes Orientales
et que le gouverneur-général agit sous ses
ordres? Je ne répète ces choses qu'afin de
montrer quelle est la position où se trouvent
les adversaires du projet actuel, et à quelle
espèce d'arguments ils sont réduits pour
trouver de quoi mettre à la place de ce qui
leur est proposé.
L'HON. M. HOLTON—J'espère que
mon hon. ami ne désire pas faire dire à
l'hon. député de Brome qu'il proposait de
substituer au régime actuel une organisation
dans le genre du conseil des Indes. Mon
hon. ami ne saurait en vérité imputer a
l'hon. député de Brome, en son absence, de
telles idées.
COL. HAULTAIN—Je trouve difficile
de lui imputer quoique ce soit. (On rit.) Je
crois avoir cité ses propres paroles et avoir
donné aux mots leur vraie signification. Je
ne puis comprendre ce qui se passait dans
l'esprit de mon hon. ami, mais il me semble
qu'il n'était point dans son assiette ordinaire.
(On rit.) Du commencement à la fin mon
hon. ami a paru être sous le coup d'une
hallucination, (on rit),—et je ne saurais
m'empêcher de croire qu'elle n'est pas
partagée par mon hon. ami de Chateauguay.
(Rires)
COL. HAULTAIN—Je ne veux pas par
ces remarques imputer à l'hon. député de
Brome le désir de nous mettre sous le contrôle d'un secrétaire d'état et d'un conseil
à
Londres, car je ne suppose pas qu'il a perdu
complétement l'esprit: mais en se servant
à l'égard de son discours, du même procédé
analytique qu'il a employé contre le projet
de confédération actuel, il ne serait que juste
d'en tirer cette conclusion. Je ne crois pas
652
que mon hon. ami de Brome ou l'opposition
ait raison de s'énorgueillir du plan qu'il a
proposé. N'est-il pas extraordinaire de voir
un homme de sa perspicacité et de son érudition s'oublier au point de nous proposer
sérieusement, après avoir analysé soigneusement et d'une façon remarquable les présentes
résolutions, l'adoption d'un plan aussi
avorté? (On rit.) Je suis fâché que mon hon.
ami ne soit pas ici présent pour écouter ma
réponse à ses observations, et je n'ai pas
besoin de dire ne je l'ai faite le plus amicalement du monde et d'accord avec l'amitié
et la considération que je lui porte. En face
de l'insignifiance des objections et de la
grandeur des questions qui se trouvent ici
en jeu, je ne puis m'empêcher, M. l'ORATEUR, d'en conclure qu'il est du plus haut
intérêt pour la métropole et pour nous- mêmes que le projet actuel soit mis à exécution.
Si le temps me l'eut permis, j'aurais
désiré dire quelques mots sur la coïncidence
des événements qui ont accompagné le mouvement actuel et l'unanimité non moins
remarquable qui a régné dans la conférence.
On se rappelle, en effet, qu'à l'époque de la
réunion des délégués, on répétait de tous
côtés combien il était difficile, pour ne pas
dire impossible, que des hommes d'opinions
si diverses et représentant des intérêts si
variés pussent finir par tomber d'accord. Il
n'en pouvait être ainsi que parce que tous
furent unanimes à vouloir remplir la fin
pour laquelle ils s'étaient assemblées. Aujourd'hui, que ce projet nous est offert
après
qu'il a été l'œuvre commune des principaux
hommes d'état des provinces, devons-nous
le rejeter pour adopter à la place quelque
misérable expédient tel que celui qu'a proposé mon hon ami de Brome? Il reste
encore à savoir ce que peuvent nous proposer
les autres députés de la gauche, mais j'espère
pour leur honneur qu'ils nous feront des
propositions d'accord avec la gravité de
notre situation. Sur les deux projets qui
nous ont été présentés, je n'éprouve aucune
difficulté à faire mon choix. On a beaucoup
parlé et avec sincérité, je crois, de l'incertitude de notre avenir; —en effet, l'avenir
nous échappe, et ce n'est ni notre prudence
ni notre sagesse qui peuvent en décider.
Nous discutons tous les jours notre situation
présente; nous combinons de nouveaux plans
pour l'avenir, et nous fesons des calculs sur
les probabilités de leur réussite ou de leur
insuccès: de tels faits proclament notre
faiblesse et notre dépendance absolue d'un
pouvoir supérieur. Je crois sincèrement, et
je me fais gloire de cette croyance, que nous
devrions demander l'assistance d'en haut
pour diriger notre conduite; —je regrette
que la diversité de nos opinions religieuses
nous empêche d'appeler tous ensemble les
bénédictions divines sur nos actes, car sans
l'aide de Dieu le succès ne couronnera
jamais nos délibérations (Applaudissements)
L'HON Proc.-Gén. CARTIER—Je propose en amendement que la discussion soit
ajournée pour être reprise aussitôt après les
affaires de routine, lundi prochain.
Après quelque discussion, l'amendement
est voté sur division.
La chambre s'ajourne.