VENDREDI, 3 mars 1865.
               
               
               
               M. PERRAULT—M.le PRÉSIDENT:—Ce  
                  n'est pas sans une hésitation facilement  
                  comprise que j'ose aujourd'hui motiver mon  
                  vote sur la question de la confédération des  
                  provinces de l'Amérique Britannique du  
                  Nord. J'hésite parce que je sais tout ce  
                  qu'il me manque d'études approfondies et  
                  d'expérience politique pour me permettre de  
                  juger sainement le pour et le contre d'une  
                  
                  
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                  question aussi vaste, et dont les résultats  
                  doivent être aussi graves pour l'avenir du  
                  pays. J'hésite encore, M. le PRÉSIDENT,  
                  parce que je vois sur les bancs ministériels  
                  des hommes vieillis dans les luttes politiques,  
                  des hommes qui, depuis de longues années,  
                  sont les chefs et les guides de la majorité  
                  des deux Canadas, appuyer le projet qui nous  
                  est soumis et nous dire que lui seul peut  
                  remédier aux difficultés de la situation.  
                  J'hésite aussi, M. le PRÉSIDENT, parce que  
                  je sais combien la presse ministérielle est  
                  sévère pour tous les adversaires du projet  
                  de confédération,—combien elle est sévère  
                  et quelquefois peu juste dans son appréciation des motifs de ceux qui s'opposent à
                  ce  
                  projet de constitution, quelle que soient la  
                  sincérité de leurs convictions et la pureté de  
                  leurs motifs. Mais je croirais manquer à  
                  mon devoir comme député si, dominé par  
                  ces hésitations, je ne motivais pas dans cette  
                  chambre mon opposition au projet de confédération. Sur une question aussi grave, je
                  
                  dois à mes constituants, comme je me dois à  
                  moi-même, de justifier la responsabilité que  
                  j'assume en combattant une mesure aussi  
                  fortement appuyée dans cette chambre, et je  
                  croirais manquer à mon devoir, être indigne  
                  du mandat qui m'est confié, si je n'avais, pour  
                  appuyer mon opposition, l'histoire du passé,  
                  la prospérité du présent et les dangers de  
                  l'avenir que l'on nous propose. J'ai depuis  
                  longtemps étudié la question générale d'une  
                  confédération, et je suis d'opinion que les  
                  provinces de l'Amérique Britannique du  
                  Nord sont appelées à former, dans un avenir  
                  plus ou moins prochain, une vaste confédération, dans laquelle les deux races anglaise
                  et  
                  française lutteront de progrès pour la prospérité commune. Et dans le but de mieux
                  
                  étudier la question j'ai dû visiter les provinces  
                  inférieures en 1863 par la voie du golfe, et  
                  en 1864 par la Baie de Fundy. Je dois dire  
                  que j'ai trouvé partout une population aisée  
                  et intelligente, faisant honneur à cette partie  
                  du continent. C'est alors que j'ai pu me  
                  rendre compte des avantages et des inconvénients attachés à la solution de la question
                  
                  générale de la confédération. Au retour de  
                  mon dernier voyage fait au mois d'août 1864,  
                  en compagnie d'un certain nombre de membres des deux chambres, on a dit dans la  
                  presse que je m'étais déclaré, dans certaines  
                  réunions, en faveur du projet de confédération de toutes les provinces. A cette époque,
                  
                  la conférence de Charlottetown n'avait pas  
                  encore eu lieu, et déjà l'opinion publique se  
                  
 plaisait à classer les membres de cette chambre en partisans et adversaires de la
                  confédération. J'ai à cette époque exprimé  
                  publiquement mon opinion sur la question  
                  par la voie de la presse, afin de la soumettre  
                  à mes commettants, et je dois déclarer que  
                  l'opinion que j'exprimais alors me sert encore  
                  de ligne de conduite aujourd'hui, et que je  
                  ne suis pas obligé de modifier en quoi que ce  
                  soit la position que je pris alors. Pour  
                  établir nettement cette position, je lirai ce  
                  que j'écrivais au mois d'août dernier, car  
                  cette correspondance explique parfaitement  
                  ce que j'ai toujours pensé du projet de confédération des provinces de l'Amérique
                  
                  Britannique du Nord. Voici ce que j'écrivais:— 
 
               
               
               
               
                  
                  
                   "Cette grave question qui préoccupe vivement notre monde politique dans la crise
                     
                     actuelle, est tellement difficile à résoudre, que  
                     ce serait présomption de ma part de vouloir même  
                     la discuter, au moment où nos hommes publics  
                     les plus haut placés hésitent à se prononcer pour  
                     ou contre. Toutefois, comme la Minerve, dans  
                     son dernier numéro, me donne comme une des  
                     adhésions nouvelles à ce grand projet de réforme  
                     consitutionnelle, je croirais manquer à mon devoir  
                     et à mes convictions si je ne donnais ici mon  
                     appréciation de la situation telle que je la comprends.  
                  
                  
                   "Pour tous ceux qui étudient les ressources  
                     inépuisables des provinces de l'Amérique Britannique du Nord, il n'est pas douteux
                     que nous ne  
                     possédions tous les éléments d'une grande puissance. Comme territoire, nous possédons
                     un  
                     dixième du globe habitable, capable d'alimenter  
                     une population de 100,000,000. Borné à l'est  
                     par l'Atlantique et à l'ouest par le Pacifique, ce  
                     territoire est encore accessible à la navigation par  
                     les mers intérieures qui le bornent au sud. Nos  
                     fleuves et nos rivières complètent le réseau incomparable de nos communications par
                     eau et, comme  
                     autant d'artères vivifiantes, transportent vers  
                     l'océan et sur les marchés de l'univers les lourds  
                     produits des plaines de l'Ouest, les grands pins de  
                     nos forêts, nos minerais d'or et de cuivre, les fourrures de nos territoires de chasse,
                     et les produits  
                     de nos pêcheries du golfe. Dans ce vaste champ  
                     de production, où se trouvent tous les matériaux  
                     d'une immense richesse, il faut une force motrice,  
                     et les houillères inépuisables de la Nouvelle- Ecosse sont là pour l'alimenter.  
                  
                  
                  
                   "L'Amérique Britannique du Nord prend donc  
                     dans l'avenir les proportions d'un géant, et il ne  
                     tient qu'à nous que l'élément français n'y ait sa  
                     large part de puissance. Avec de l'énergie et de  
                     l'ensemble, nous maintiendrons le terrain conquis  
                     par un siècle de luttes. Notre passé est une  
                     garantie pour l'avenir. Mais encore ne faut-il  
                     pas brusquer les événements et les devancer.  
                     Tant que nous ne serons pas assez nombreux pour  
                     prendre l'offensive, notre politique doit être  
                     une politique de résistance. Aussi, avant de  
                     me prononcer en faveur d'une confédération,  
                     
                     
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                     qui change entièrement les bases de notre  
                     constitution actuelle, je veux être bien sûr que  
                     nous ne perdrons pas un pouce de terrain. Bien  
                     plus, je ne veux de changements à la constitution  
                     telle qu'elle est, qu'autant que ces changements  
                     assurent une plus grande prospérité pour notre  
                     pays, une protection plus puissante de nos institutions et l'inviolabilité de nos
                     droits. Car je  
                     n'ai pas devié d'une ligne de mon adresse aux  
                     électeurs de Richelieu, lorsque j'ai eu l'honneur  
                     de solliciter leurs suffrages comme leur représentant à l'assemblée législative, et
                     dans cette adresse  
                     je déclare "m'opposer à toute concession quelconque faite au Haut-Canada."  
                  
                  
                   "Aussi, dans le cas où le projet de confédération, qui sera soumis à la prochaine
                     session du parlement provincial, garantirait au Canada Français  
                     des avantages plus considérables que ceux qui  
                     lui sont faits par la constitution actuelle, je  
                     serais nécessairement en faveur de cette confédération.  
                  
                  
                   "Mais dans le cas contraire, pour peu que le  
                     projet de confédération soit une concession quelconque faite au Haut-Canada au détriment
                     de nos  
                     institutions, de notre langue ou de nos lois, je  
                     m'opposerai avec toute l'énergie dont je suis  
                     capable à tout changement à la constitution  
                     actuelle.  
                  
                  
                   "Certes, je ne suis pas de ceux qui veulent  
                     restreindre notre horizon politique et placer des  
                     limites à notre agrandissement comme peuple.  
                     Rien au contraire ne me rendrait plus heureux  
                     que la création d'une vaste organisation politique,  
                     couvrant de son ombre un immense territoire.  
                     Alors les luttes de localités et de personnes disparaîtraient peut-être dans leur
                     insignifiance, comparée aux grands intérêts qui seraient confiés à  
                     la vigilance de nos hommes d'Etat et à leurs délibérations dans les conseils de la
                     nation. Alors  
                     aussi nous verrions une carrière brillante ouverte  
                     à l'intelligence et au travail, libres des entraves  
                     que leur suscite trop souvent aujourd'hui l'esprit  
                     de parti, avec son cortège d'égoïsme et de vues  
                     étroites. Alors la louable ambition de mériter un  
                     grand nom dans un grand pays produirait une  
                     génération de grands hommes dont nous pourrions  
                     être justement fiers:  
                  
                  
                   "Mais si ce glorieux avenir ne pouvait s'acheter qu'au prix de notre assimilation,
                     de la perte de  
                     notre langue et de tout ce qui nous est cher comme  
                     Français, moi pour un, je ne saurais hésiter entre  
                     ce que nous pouvons espérer en restant ce que  
                     nous sommes, et l'abâtardissement de notre race,  
                     payée comme prix de l'avenir.  
                  
                  
                   "Je me résume donc en me prononçant pour  
                     la constitution telle qu'elle est, qui, jusqu'à ce  
                     jour, nous offre plus d'avantages que tous les  
                     changements proposés, et c'est là, j'oserais dire,  
                     l'opinion de la majorité de notre assemblée législative.  
                  
                  
                   "Mais si le projet proposé nous assure dans le  
                     congrès tous les priviléges dont le Canada Français jouit dans le parlement actuel,
                     et si, dans son  
                     ensemble comme dans ses détails, il nous assure  
                     des avantages plus considérables que ceux qui  
                     nous sont garantis par la constitution, je préférerai la confédération à tous les
                     autres changements proposés."  
  
               
               
               
               
               
               Je dois déclarer que cette manière dont  
                  j'envisageais la question au mois d'août  
                  dernier, n'a pas changé pour moi après les  
                  explications données par les membres du  
                  gouvernement. L'habileté dont ils ont donné  
                  des preuves leur fait certainement honneur,  
                  mais les arguments des ministres, pas plus  
                  que ceux des membres de cette chambre qui  
                  supportent le projet, ne m'ont convaincu;  
                  et j'espère, dans mes remarques, établir  
                  quelles sont les raisons de mon opposition,  
                  et justifier à mon point de vue la responsabilité que je prends en opposant un projet
                  
                  aussi fortement appuyé dans cette chambre.  
                  J'espère pouvoir établir: premièrement,  
                  l'inopportunité d'un changement constitutionnel; secondement, le but hostile de la
                  
                  confédération; troisièmement, les conséquences désastreuses de l'adoption du projet
                  
                  de confédération. L'inopportunité d'un changement constitutionnel doit être parfaitement
                  évident pour tous ceux qui jettent  
                  un regard sur la prospérité actuelle du  
                  Canada, et pour tous ceux qui veulent  
                  étudier les progrès réalisés par le Canada- Uni depuis 1840. L'hon. procureur-général
                  
                  Est a dit que "l'union avait terminé son  
                  œuvre." Mais cela est-il bien sûr? Quand  
                  on regarde le passé et qu'on le compare au  
                  présent, ne devons-nous pas être fiers de  
                  voir combien nous avons grandi depuis 1840,  
                  et de voir que, depuis 25 ans, nous avons  
                  rivalisé de progrès, progrès social et progrès  
                  matériel, avec les nations les plus avancées  
                  du monde? Depuis vingt-cinq ans, nos progrès en politique ont été sans précédent dans
                  
                  l'histoire coloniale, et le Canada a donné le  
                  magnifique exemple de ce que pouvait un  
                  gouvernement responsable dans une colonie  
                  anglaise, malgré la diversité des races et des  
                  religions. En 1840, nous sortions d'une  
                  lutte glorieuse dans laquelle, malheureusement, plusieurs têtes étaient tombées, —
                  
                  d'une lutte entreprise pour obtenir le gouvernement responsable refusé jusque là,
                  et  
                  qui nous était alors accordé comme prix de  
                  la lutte. A cette époque, le Bas-Canada était  
                  mu comme un seul homme; il avait envoyé  
                  en Angleterre des requêtes couvertes de  
                  60,000 signatures, demandant le gouvernement responsable. Dans nos rangs, nous  
                  avions alors des hommes qui ne craignaient  
                  pas les luttes, des hommes habitués à résister à l'oppression, des hommes qui avaient
                  
                  grandi en luttant contre une minorité arrogante tendant à dominer la majorité;— 
                  et ce sont ces hommes forts qui ont fait  
                  
                  
                  593
                  
                  triompher notre nationalité et maintenu les  
                  droits du Bas-Canada, en obtenant le gouvernement responsable, en même temps que 
                  
                  l'union nous était imposée. Aujourd'hui,— 
                  regardons leur œuvre? Est-il vrai de dire  
                  que nous mons progressé dans l'ordre social  
                  comme dans l'ordre matériel depuis cette  
                  époque? Quiconque étudie ce qu'était le  
                  Canada en 1840, et ce qu'il est en 1865, ne  
                  peut s'empêcher de reconnaître que nous  
                  avons fait des progrès presque sans exemple  
                  dans l'histoire de la prospérité des peuples,  
                  que nous avons étendu au loin les défrichements de notre territoire, que notre population
                  s'est accrue, que cette population est  
                  heureuse et prospère, en un mot, que nous  
                  avons progressé matériellement et socialement d'une manière jusque là inconnue  
                  sous le système colonial. Voyons, dans  
                  l'ordre social, notre législation, et notre  
                  système municipal d'abord. En existe-t-il  
                  quelque part qui soit plus parfait, et  
                  chaque localité n'a-t-elle pas tous les  
                  pouvoirs nécessaires aux améliorations reconnues urgentes? C'est depuis l'union  
                  que nous avons perfectionné ce système, et  
                  que nous avons doté nos campagnes des  
                  moyens d'effectuer toutes les améliorations  
                  qu'elles peuvent désirer, plus particulièrement  
                  dans le système de voierie et la création de  
                  nouvelles routes facilitant le transport des  
                  produits agricoles aux marchés voisins.  
                  (Ecoutez! écoutez!) Je n'ai pas besoin  
                  d'appuyer sur les progrès que nous avons  
                  faits et les réformes ne nous avons réalisées  
                  au point de vue de la législation. Ce qui  
                  avait le plus contribué, depuis la domination  
                  anglaise, à arrêter nos progrès sous ce rapport, c'était le conseil législatif de
                  l'ancienne  
                  chambre d'assemblée, et celui que nous  
                  avons eu depuis l'union jusqu'en 1856.  
                  Depuis cette époque, n'avons-nous pas obtenu  
                  l'élection des conseillers législatifs, et les  
                  plus grandes réformes ne doivent-elles pas  
                  en être la conséquence? Avec l'union et le  
                  gouvernement responsable, n'avons-nous pas  
                  également obtenu le droit d'être représentés  
                  par des compatriotes Canadiens-Français  
                  dans le conseil exécutif, et depuis n'avons- nous pas joui de tous les avantages d'un
                  
                  système de gouvernement qui permet au  
                  peuple d'exprimer ses besoins et même d'imposer ses volontés? Voilà des réformes de
                  
                  la plus grande importance; mais nous en  
                  avons obtenu d'autres encore. Lorsque, en  
                  1840, on nous donna l'union des Canadas, la  
                  propriété territoriale dans le Bas-Canada était  
                   soumise au système féodal, qui y avait été  
                  introduit avec tout ce qu'il avait de blessant  
                  pour la dignité de l'homme, avec toutes ses  
                  charges et ses vexations pour le censitaire.  
                  Sous ce régime, aucune propriété ne pouvait  
                  changer de main sans être soumise à un droit  
                  onéreux sous forme de lods et ventes en  
                  faveur du seigneur, et à des cens et rentes  
                  qui diminuaient considérablement sa valeur.  
                  Avec les droits politiques que nous avait  
                  conféré l'union, le régime seigneurial a dû  
                  disparaître pour faire place à la propriété  
                  libre, telle qu'elle est chez nos voisins et  
                  chez toutes les nations civilisées. C'est aussi  
                  depuis l'union que nous avons consolidé nos  
                  lois; que nous avons créé un système d'enseignement qui fait arriver l'instruction
                  
                  jusque dans les parties les plus reculées de  
                  la province. Aujourd'hui, nous avons un  
                  système scolaire qui fait honneur au pays, et  
                  l'enfant intelligent, mais déshérité de la  
                  fortune, trouve partout les moyens d'obtenir  
                  une éducation à peu près gratuite. Aujourd'hui chaque village, chaque concession,
                  
                  possède une maison d'éducation, et l'enfant  
                  du bucheron qui habite encore l'épaisse forêt  
                  peut y trouver les éléments d'une instruction  
                  suffisante pour le mettre sur la voie des  
                  honneurs et de la fortune, si ses talents, son  
                  travail et son énergie le prédestinent à jouer  
                  un rôle dans la politique, les sciences, les  
                  arts, ou le clergé de son pays. Un fait  
                  remarquable, M. le PRÉSIDENT, et que je  
                  dois mentionner, c'est que la plupart des  
                  hommes marquants que nous avons vus sur  
                  le banc judiciaire, sur le banc des ministres et  
                  jusque dans la chaise épiscopale, sont sortis  
                  de l'humble toit de chaume de nos campagnes, se sont formés dans nos maisons d'éducation
                  presque gratuite, à force de talents,  
                  de persévérance, d'étude et de travail. Ce  
                  sont les besoins de la gêne éprouvée au foyer  
                  de la famille qui bien souvent ont créé, chez  
                  la plupart de nos hommes les plus éminents,  
                  un vif désir de se faire une brillante position  
                  par l'étude et le travail. Depuis l'union,  
                  notre système et nos moyens d'instruction  
                  publique ont fait d'immenses progrès. Avant  
                  l'union, nous n'avions pas d'université catholique dans le pays; les jeunes gens qui
                  se  
                  destinaient aux professions libérales étaient  
                  obligés de faire leurs cours dans les bureaux  
                  de leurs patrons, qui n'étaient pas toujours  
                  à la hauteur de la tâche qu'ils assumaient, ou  
                  de s'exiler à grands frais pendant plusieurs  
                  années pour aller en Angleterre ou en France  
                  gagner leur diplôme de capacité. Aujour
                  
                  
                  594
                  
                  d'hui, nous avons des universités dans le  
                  Bas et dans le Haut-Canada qui rivalisent  
                  avec les institutions européennes du même  
                  genre, et nous avons aussi une classe de  
                  jeunes élèves qui prouveront, dans quinze  
                  ou vingt ans, l'excellence de notre système  
                  universitaire et des études fortes qu'il généralise aujourd'hui.-Eh bien! en face
                  du  
                  progrès que je viens de signaler dans l'ordre  
                  social, est-il vrai de dire que l'union a fait  
                  son tempos, quand elle a créé toutes ces  
                  merveilles? Quand nous sommes plus forts,  
                  plus instruits que nous ne l'étions il y a  
                  vingt ans, quand nous avons de nouveaux  
                  droits politiques, quand nous possédons  
                  librement le sol et que nous avons créé un  
                  système d'instruction publique comme celui  
                  que nous possédons, peut-on dire que l'union a  
                  fait son œuvre et qu'il faut la briser? Pur  
                  ma part, M. le PRÉSIDENT, je ne suis pas  
                  prêt à maintenir cette assertion. L'union a  
                  été pour nous un grand moyen de progrès,  
                  puisqu'elle nous a permis d'obtenir tous ces  
                  résultats dans l'ordre social.-L'hon. procureur-général Est nous dit que la confédération
                  
                  nous procurera des avantages matériels plus  
                  grands encore, et que c'est là tout ce que nous  
                  voulons. Je nie, M. le PRÉSIDENT, que les  
                  intérêts matériels soient la seule préoccupation de la population franco-canadienne;
                  
                  nous plaçons avant eux la conservation de  
                  nos institutions propres. Mais même au  
                  point de vue de nos intérêts matériels, à part  
                  les avantages dans l'ordre social que nous a  
                  conférés l'union, nous avons encore un vaste  
                  champ à parcourir dans la voie des progrès  
                  matériels que nous avons faits depuis 1840.  
                  Pour savoir ce qu'a fait l'union sous ce  
                  rapport, il suffit de regarder notre système  
                  de voies ferrées, et surtout l'immense voie  
                  ferrée du Grand Tronc, qui a, de Sarnia à la  
                  Rivière-du-Loup, décuplé notre commerce,  
                  ouvert à la colonisation nos forêts vierges,  
                  et multiplié nos ressources dans un proportion incalculable; il suffit encore de regarder
                  
                  nos ports de Québec ou de Montréal pendant  
                  la saison de navigation, et d'y voir cette  
                  forêt de mâts qui le remplit; - il suffit de  
                  voir partir chaque semaine nos vapeurs  
                  transatlantiques, qui vont porter nos produits  
                  sur les marchés les plus éloignés de l'Europe  
                  pour les échanger contre les articles d'importation dont nous avons besoin. Et si
                  nous  
                  remontons notre grand fleuve St. Laurent,  
                  que voyons-nous? Nous rencontrons des  
                  canaux qui, par leurs dimensions, les matériaux dont ils sont construits et leur étendue,
                    
                  n'ont pas de rivaux dans le monde entier.  
                  Je maintiens, M. le PRÉSIDENT, qu'en  
                  Europe on ne rencontre rien, en fait de  
                  communications artificielles par eau, qui  
                  puisse rivaliser avec nos canaux. En Angleterre, par exemple, les canaux ne sont que
                  
                  de misérables rigoles dont les gamins touchent  
                  les deux berges à la fois du bout des avirons  
                  chaque fois qu'ils parcourent les canaux en  
                  esquif. Ici, nos canaux traversent toute la  
                  province et relient les parties les plus reculées  
                  du pays avec les marchés européens. En  
                  effet, un navire de 400 tonneaux peut aujourd'hui partir de Chicago, traverser l'océan
                  et  
                  opérer son déchargement sur les quais de  
                  Liverpool. L'union qui nous a donné de  
                  pareils canaux, de pareils chemins de fer,  
                  n'a pas fait son temps, n'a pas terminé son  
                  œuvre, comme le prétend le procureur- général Est; au contraire, avec de pareils 
                  
                  moyens nous sommes en droit d'attendre  
                  de l'union de plus grands avantages encore  
                  dans l'avenir. Si nous jetons les yeux sur  
                  notre colonisation, nous voyons les forêts  
                  reculer devant la hache du défricheur, notre  
                  territoire décupler ses produits, et notre  
                  population devancer l'arpentage de nos terres  
                  incultes. Ce que l'union nous a déjà donné  
                  est certainement énorme; mais l'avenir  
                  qu'elle nous réserve est encore plus grand,  
                  si nous savons profiter des moyens qu'elle  
                  met à notre disposition. C'est pour cela que  
                  je ne crois pas que l'union ait terminé son  
                  œuvre, et qu'au contraire elle peut encore  
                  faire notre prospérité; et c'est pourquoi je  
                  veux conserver l'union, rester dans l'allégeance à Sa Très-Gracieuse Majesté la Reine
                  
                  d'Angleterre, et ne pas accepter de changements constitutionnels qui ne peuvent  
                  que compromettre notre avenir comme  
                  nation. (Ecoutez! écoutez!) On a dit souvent que le Bas-Canada était un boulet  
                  attaché aux pieds du Haut-Canada pour le  
                  retarder dans sa marche progressive, et  
                  qu'il fallait une nouvelle constitution. Je nie  
                  la justice de cette accusation et je prétends  
                  qu'il n'y a que le fanatisme Haut-Canadien  
                  qui a pu jamais motiver une semblable accusation. Il est vrai que la race canadienne-
                  française a été caractérisée à Toronto, par  
                  un gouverneur-général, comme "race inférieure," mais pas un fait ne peut justifier
                  
                  cette insulte jetée au Bas-Canada. De plus,  
                  je suis heureux d'avoir le témoignange de  
                  l'hon. ministre des finances (M. GALT),  
                  pour réfuter ces assertions, répondre à ces  
                  insultes, et prouver que la prospérité du
                  
                  
                  595
                  
                  Canada est due au concours actif des Canadiens-Français, non seulement dans l'exécutif
                  
                  mais dans l'assemblée législative. Dans une  
                  lettre qu'il écrivait de Londres en 1860,  
                  l'hon. ministre des finances disait:  
               
               
               
               
                  
                  
                   "Depuis 1849 jusqu'à ce jour, la majorité  
                     canadienne-française a été justement représentée  
                     dans le ministère, et c'est avec son puissant concours et son initiative dans chaque
                     mesure, et le  
                     support de ses votes en parlement, que toutes les  
                     grandes réformes ont été réalisées."  
                     
  
               
               
               
                Eh bien! s'il est vrai que les membres  
                  du gouvernement, depuis 1849, ont pu, par  
                  leur initiative et leur concours, obtenir la  
                  réalisation de ces réformes, pourquoi veut- on briser la constitution qui a amené
                  ces  
                  progrès et créer un nouvel état de choses  
                  qui diminuera notre influence, aujourd'hui  
                  si heureuse? Ah! c'est que, malgré notre  
                  prospérité matérielle, l'ancienne agression  
                  d'une race contre l'autre, l'ancien état d'antagonisme et de mauvais vouloir n'ont
                  pas  
                  disparu. Le but que le gouvernement se  
                  propose d'atteindre en faisant ces changements est un vaste et noble but, je le reconnais;
                  c'est la création d'un immense empire  
                  qui sera une gloire pour nous et pour l'Angleterre. Mais il me semble que ce but ne
                  
                  sera pas le résultat nécessaire des moyens  
                  que l'on prend pour y arriver. (Ecoutez!)  
                  Tant que les grandes réformes dont j'ai fait  
                  l'histoire ont été soumises aux délibérations  
                  du parlement canadien, nous avons vu les  
                  hommes publics s'en occuper exclusivement  
                  et travailler à leur réalisation; nous avons  
                  vu les partis se ranger pour ou contre ces  
                  grandes questions: l'abolition de la tenure  
                  seigneuriale, l'élection des membres du  
                  conseil législatif, la construction de nos  
                  chemins de fer et de nos canaux, etc.  
                  Devant ces grandes questions, il n'y avait  
                  pas place pour les mesquines considérations  
                  personnelles et les misérables luttes de  
                  clocher. Mais aussitôt que les grandes  
                  réformes furent obtenues, aussitôt que tous  
                  ces projets furent réalisés, il n'y eut plus  
                  de raison d'opposition au gouvernement  
                  sur ces sujets; cependant, il fallait créer des  
                  causes de mécontentement et d'opposition,  
                  afin d'arriver au pouvoir et de satisfaire  
                  quelques ambitions personnelles. C'est alors  
                  qu'on s'est adressé aux préjugés de races et  
                  de religion. On a crié bien haut, dans le  
                  Haut-Canada, que la domination des Canadiens-Français n'était plus supportable et
                  
                  qu'il fallait y mettre fin. On ne regardait  
                  plus aux progrès qu'il y avait encore à  
                   réaliser, mais il semblait qu'il ne restait  
                  plus, pour terminer la tâche, qu'à briser le  
                  caractère national d'une grande partie du  
                  Canada. L'on se plaignait de la domination française, de l'influence cléricale et
                  
                  du trop grand nombre d'institutions religieuses en Canada, et quel fut le remède 
                  
                  que l'on proposa pour mettre fin à tous  
                  ces maux que le Haut-Canada ne pouvait  
                  plus tolérer? L'on importa l'hon. député de  
                  South Oxford (M. BROWN), que l'on fit  
                  venir d'Ecosse ici pour jeter le brandon de  
                  la discorde entre les deux populations et les  
                  enflammer l'une contre l'autre! Je crois  
                  que depuis ce temps l'hon. M. BUCHANAN  
                  a dû plus d'une fois regretter cette importation, qui n'entrait pas dans la ligne
                  régulière  
                  de ses opérations commerciales. Et quand  
                  on eut importé cet homme, qui a été la cause  
                  de toutes nos dissensions jusqu'à ce jour, les  
                  partis s'organisèrent à sa voix comme ils le  
                  sont aujourd'hui. Pour diminuer ou faire  
                  disparaître l'influence des Canadiens-Français  
                  en parlement, l'hon. député de South Oxford  
                  jeta le cri de la représentation basée sur la  
                  population, qui reçut un écho dans toutes  
                  les parties du Haut-Canada. Ce cri inspiré  
                  par le fanatisme fut repoussé par le Bas-  Canada avec l'unanimité de nos hommes 
                  
                  publics. L'hon. député de South Oxford  
                  trouvant que ce cri de la représentation  
                  basée sur la population était un magnifique  
                  cheval de bataille, il s'en servit pour se  
                  former un parti. Depuis cette époque, rien  
                  ne lui a coûté. ll a lancé la calomnie contre  
                  tous les hommes et toutes les institutions que  
                  vénéraient les habitants du Bas-Canada; il a  
                  attaqué avec fureur tout ce qui nous était cher  
                  comme Français et comme catholiques. Ce  
                  moyen lui a réussi, et on a vu tous les  
                  western farmers, tous les habitants du Canada-Ouest, crier que nous étions tous, ici,  
                  sous la domination cléricale, que la population anglaise et protestante ne devait
                  pas,  
                  ne pouvait pas, subir un joug aussi inique.  
                  ll savait que l'élément anglais était fanatique  
                  et agressif, et avec ce cri le chef de l'opposition d'alors dans le Haut-Canada réussit
                  à  
                  former une phalange tellement forte, que le  
                  Bas-Canada dut céder une partie du terrain  
                  qu'il avait conquis dans ses luttes d'autrefois.  
                  Je ne crois pas qu'il y ait un seul représentant du Bas-Canada qui voulût changer
                  notre  
                  constitution actuelle, dans le sens de celle  
                  qu'on nous propose, s'il n'y était forcé par le  
                  Haut-Canada. (Ecoutez! écoutez!) Nous  
                  abandonnons donc quelque chose de nos  
                  
                  
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                  libertés et de nos droits dans cette nouvelle  
                  lutte contre l'esprit d'envahissement et de  
                  domination de la race anglaise? Les hon.  
                  membres qui supportent la mesure nous  
                  disent qu'ils cèdent quelque chose de nos  
                  droits afin de sauver ce qu'il en reste du  
                  naufrage et de ne pas tout perdre dans un  
                  avenir plus ou moins rapproché. Mais ce  
                  cri en faveur de la représentation basée sur  
                  la population était-il au moins sincère de la  
                  part de ceux qui s'en faisait une arme contre  
                  nous? Etait-ce bien un remède aux maux  
                  dont ils se plaignaient? Non, M. le PRÉSIDENT, je ne le crois pas. C'était tout  
                  simplement une plateforme électorale pour  
                  arriver au pouvoir et consommer l'envahissement de nos droits médité par les chefs
                  du  
                  mouvement. Je n'ai pas besoin de renouveler  
                  ici les arguments apportés contre la demande  
                  de la représentation d'après la population,  
                  dans plus de quatre-vingt discours prononcés  
                  en 1860, lors de la discussion de cette brûlante question; mais je me rappelle cette
                  
                  discussion avec d'autant plus de plaisir  
                  qu'alors le parti canadien-français a montré  
                  qu'il avait conservé quelque chose de l'obstination dans la lutte et de la persévérance
                  
                  dans la défense de nos droits, dont nos pères  
                  ont si souvent donné la preuve. A cette  
                  époque, l'hon. procureur-général Est (M.  
                  CARTIER) méritait l'approbation de son pays,  
                  pour la résistance qu'il faisait à cette demande injuste du HautCanada, avec l'énergie
                  et la tenacité qu'on lui connait, car  
                  il s'était noblement constitué le champion  
                  de nos droits. Pourquoi vient-il donc aujourd'hui proposer un compromis avec ses 
                  
                  adversaires d'alors? Est-ce au moment où  
                  les chefs de l'opposition du Haut-Canada  
                  avaient, en entrant dans le gouvernement  
                  MACDONALD-SICOTTE, renié absolument  
                  le principe de la représentation basée sur  
                  la population, qu'il devait abandonner la  
                  lutte? Est-ce au moment où le gouvernement MACDONALD-SICOTTE avait obtenu  
                  des écoles séparées en faveur des catholiques  
                  du Bas-Canada, que le parti de l'hon.  
                  membre de South Oxford était à redouter?  
                  Est-ce au moment où la loi des écoles  
                  séparées pour les catholiques du Haut- Canada constituait un triomphe que n'avait
                  
                  pu remporter l'hon. procureur-général pendant tout le temps qu'il avait été au pouvoir,
                  
                  que l'hon. procureur-général devait cesser  
                  la lutte, jeter ses armes et prétendre, comme  
                  Canadien-Français, que nous ne pouvions  
                  plus tenir sur la brèche, et qu'il fallait faire  
                   des concessions au Haut-Canada? Est-ce  
                  que le gouvernement de M. SICOTTE n'avait  
                  pas fait de la représentation basée sur la  
                  population une question morte? Est-ce que  
                  tous les membres de ce gouvernement  
                  n'étaient pas tenus de l'opposer? Oui,  
                  monsieur le PRÉSIDENT, l'hon. procureur- général Est s'est rendu coupable d'une grave
                  
                  faute en renversant ce gouvernement, soutenu  
                  par une majorité hostile composée de Canadiens-Français. C'est à la suite de ce vote
                  
                  hostile que le Haut-Canada a eu le droit  
                  de réclamer de nouveau la représentation  
                  d'après le nombre, et qu'il faut aujourd'hui  
                  lui faire des concessions. Pour ma part,  
                  monsieur le PRÉSIDENT, je n'ai jamais été  
                  convaincu de la sincérité de ceux qui employaient le cri de la représentation basée
                  
                  sur la population, car je n'y ai jamais vu  
                  qu'un moyen employé auprès des western  
                  farmers, pour arriver plus sûrement au  
                  pouvoir. Est-ce que le principe de la représentation basée sur la population a jamais
                  
                  servi de base à un gouvernement aux idées  
                  monarchiques comme celles qui sont émises  
                  par le gouvernement actuel? Ici, l'on veut  
                  une confédération sans exemple, non pas une  
                  confédération comme celles qui existent dans  
                  les pays qui ont adopté cette forme de gouvernement, mais une confédération monarchique.
                  (Ecoutez! écoutez!) On veut  
                  conserver quelque chose de la constitution de  
                  l'Angleterre,—et cependant on dit que la  
                  représentation basée sur la population est un  
                  principe juste et qu'il faut l'accorder au  
                  Haut-Canada! L'hon. procureur-général Est  
                  (M. CARTIER) ne se rappelle-t-il pas ses  
                  arguments de 1860 contre ce principe? Ne  
                  disait-il pas alors, pour faire voir que ce  
                  principe n'est ni juste ni reconnu dans la  
                  constitution anglaise, que s'il était appliqué  
                  pour le parlement anglais, la ville de Londres  
                  aurait 30 députés à elle seule, au lieu de 16,  
                  et que l'Ecosse enverrait au parlement beaucoup plus de députés qu'elle n'en envoie
                  
                  aujourd'hui? Ne disait-il pas encore que  
                  des bourgs-pourris de quelque centaines  
                  d'habitants avaient un représentant, et que  
                  des comtés qui contenaient 100,000 âmes n'en  
                  avaient pas davantage? Est-ce que ces arguments si puissants alors n'ont plus la même
                  
                  valeur aujourd'hui? Est-ce qu'ils ont moins  
                  de force depuis l'alliance de l'hon. procureur- général avec l'hon. député de South
                  Oxford?  
                  Est-ce qu'ils ne peuvent plus être employés  
                  pour sauver notre constitution et nos libertés?  
                  Comment se fait-il que le parti qui a si  
                  
                  
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                  longtemps vécu de son opposition au principe  
                  de la représentation basée sur la population,  
                  dise aujourd'hui que c'est un principe juste  
                  et qu'il faut le concéder? J'avoue, monsieur  
                  le PRÉSIDENT, que je ne comprends pas pourquoi l'on cède aujourd'hui ce qu'on refusait
                  en  
                  1860. Il est vrai que je n'ai pas l'expérience  
                  des hon. députés qui occupent aujourd'hui  
                  les banquettes ministérielles, et qu'il vaut  
                  peut-être mieux plier aujourd'hui que d'être  
                  brisé demain; mais quand j'étudie le passé,  
                  que j'examine le présent et que je songe  
                  à l'avenir qu'on nous propose, je ne vois  
                  dans le projet de confédération qu'un remède  
                  plus violent que le mal et qui, au lieu  
                  de faire disparaître les difficultés auxquelles on veut remédier, ne peut que  
                  produire les plus fâcheux résultats pour  
                  la paix et la prospérité de notre pays.— 
                  Je disais donc, M. le PRÉSIDENT, que la  
                  question de la représentation basée sur la  
                  population, qui a été la principale cause du  
                  projet de confédération, avait été écartée du  
                  programme politique de l'administration  
                  MACDONALD—SICOTTE, et que la majorité  
                  Haut-Canadienne, dont les chefs, pendant 
                  toute leur carrière politique, avaient demandé  
                  si haut cette concession en faveur du Haut- Canada, avait contracté l'engagement de
                  ne  
                  plus soulever dans l'assemblée législative  
                  cette question brûlante, au moins sous l'administration MACDONALD-SICOTTE. (Ecoutez!
                  écoutez!) Que, grâce à la fermeté  
                  patriotique des chefs de cette administration,  
                  le Bas-Canada, pendant deux ans, put vivre  
                  en paix et goûter les fruits d'une tranquillité inconnue depuis 10 ans, et pendant
                  
                  deux sessions la question de la représentation basée sur le nombre cessa d'être le
                  sujet  
                  des contestations et des discussions fanatiques du Haut-Canada. (Ecoutez! écoutez!)
                  
                  C'est à cette époque que l'hon. député  
                  de South Oxford demanda à la chambre un  
                  comité chargé de s'enquérir des moyens de  
                  régler les difficultés sectionnelles, en changeant les bases de la constitution actuelle.
                  
                  (Ecoutez! écoutez!) Eh bien! M. le PRÉSIDENT, qu'a-t-on vu alors? On a vu cet  
                  orateur à la parole brûlante, cet avocat infatigable et puissant des prétentions du
                  Haut- Canada contre la section Bas-Canadienne,  
                  incapable de trouver plus de quatre hommes  
                  pour l'appuyer dans sa demande injuste d'un  
                  changement de constitution, que l'administration du jour est prête à lui concéder.
                  
                  (Ecoutez! écoutez!) On a vu ce puissant  
                  tribun, humilié et désespéré de ne rien  
                   obtenir de la chambre, —et pour ma part,  
                  M. le PRÉSIDENT, j'avoue que sa position  
                  me faisait peine, —demander un congé  
                  d'absence pour échapper à une défaite humiliante, et retourner dans son pays pleurer
                  sa  
                  chute et la perte de son influence basée  
                  seulement sur le fanatisme et les préjugés.  
                  (Ecoutez! écoutez!) Plus tard, M. le PRÉSIDENT, cette chambre a été témoin d'un  
                  acte que je ne veux pas caractériser aujourd'hui; —nous avons vu cette administration
                  
                  qui avait eu assez de courage et de fermeté  
                  pour bâillonner cette hydre de la représentation basée sur le nombre, renversée par
                  
                  une majorité canadienne-française. (Ecoutez!  
                  écoutez!) Oui, M. le PRÉSIDENT, ce gouvernement libéral qui avait donné tant de  
                  sécurité, —sécurité à nos institutions en  
                  maintenant inviolable la constitution actuelle,  
                  —fut renversé par une majorité canadienne- française de cette chambre. Je n'ai pas
                  
                  l'intention, quand je parle ainsi, de me faire  
                  l'accusateur de mes compatriotes: loin de là;  
                  mais je veux tracer l'histoire parlementaire de notre pays, et je n'hésite pas à dire
                  
                  que ce vote a porté un coup fatal à notre  
                  influence comme Canadiens-Français, et que  
                  la postérité enregistrera ce vote, qui restera  
                  dans l'histoire comme une époque fatale où  
                  nos hommes publics ont sacrifié à l'esprit de  
                  parti nos intérêts les plus chers. (Ecoutez!  
                  écoutez!) Je ne crains pas de le dire, M. le  
                  PRÉSIDENT, depuis quinze ans nous n'avions  
                  pas eu à la tête de l'administration d'hommes  
                  plus sincèrement dévoués et plus en position  
                  de sauvegarder les libertés politiques, les  
                  intérêts et les institutions du Bas-Canada. 
                  Qu'avons-nous vu, depuis quinze ans, dans  
                  cette chambre? Nous avons vu l'esprit de  
                  parti s'adresser aux préjugés et aux personnalités les plus blessantes, et amener
                  comme  
                  résultat l'abaissement du niveau moral de  
                  notre représentation nationale. Les hommes  
                  les mieux qualifiés à faire valoir dans cette  
                  enceinte les intérêts du peuple, s'abstenir  
                  des luttes électorales, parce que la position  
                  de député ne portait plus avec elle la dignité  
                  qui en faisait un objet d'ambition dans des  
                  jours meilleurs. Nous avons vu des hommes  
                  éminents, et qui avaient travaillé dans l'intérêt de leurs compatriotes pendant de
                  
                  longues années, abandonner de dégoût la  
                  carrière politique et se retirer dans leurs  
                  foyers. C'est à cette époque que nous avons  
                  vu une majorité canadienne-française voter  
                  la défaite d'un ministère dont le programme  
                  politique offrait plus de garanties pour les  
                  
                  
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                  intérêts Bas-Canadiens que celui d'aucun  
                  autre gouvernement. (Ecoutez! écoutez!)  
                  Mais un esprit de parti à la fois mesquin et  
                  aveugle devait placer un succès momentané  
                  au-dessus des intérêts généraux, et la majorité décréta par son vote notre déchéance
                  
                  nationale. (Ecoutez! écoutez!) Eh bien!  
                  M. le PRÉSIDENT, avec le nouveau gouvernement, nous avons vu la question de la représentation
                  basée sur la population revenir  
                  dans la discussion générale de notre législature, et aujourd'hui, il n'y a pas à se
                  
                  le cacher, cette malheureuse concession,  
                  qui nous met à la merci du Haut-Canada,  
                  est devenue un fait accompli. (Ecoutez!)  
                  J'ai dit, il y a un instant, M. le PRÉSIDENT, que l'hon. député de South Oxford  
                  n'avait pu obtenir le comité qu'il demandait  
                  sous l'administration MACDONALD-SICOTTE,  
                  —administration essentiellement libérale.  
                  (Ecoutez!) Si l'on réfère aux journaux de la chambre de cette époque, que  
                  trouve-t-on? A peine l'administration qui  
                  lui avait succédé eût-elle pris possession des  
                  bancs de la trésorerie que l'hon. M. BROWN  
                  revenait devant la chambre demander de  
                  nouveau un comité, et cette fois avec plus  
                  de succès. J'eus l'honneur de présenter un  
                  amendement à la motion, mais cet amendement  
                  fut repoussé, et parmi les noms qui figurent  
                  dans cette malheureuse division, on remarque  
                  ceux du ministre des travaux publics, du  
                  solliciteur-général et du procureur-général  
                  Est. M. le PRÉSIDENT, c'est là un fait extrêmement significatif et dont il faut prendre
                  
                  note sous les circonstances actuelles. Quand  
                  je pressai cette motion devant la chambre,  
                  je maintins qu'il fallait prendre l'offensive  
                  et non garder la défensive, comme nous  
                  l'avions fait jusqu'alors; qu'il fallait nous  
                  unir comme un seul homme pour obtenir  
                  que l'on remette en vigueur le proviso de la  
                  26me clause de l'acte d'union, qui nous avait  
                  été honteusement enlevé en 1856, au moment  
                  où nous obtenions le conseil législatif électif.  
                  (Ecoutez! écoutez!) Eh bien! sur cette  
                  question, qui était parfaitement motivée, on  
                  a vu ces mêmes ministres voter pour rejeter  
                  cet amendement qui revendiquait un droit  
                  sacré pour les Canadiens-Français. Ce vote  
                  n'impliquait-il pas chez ceux qui faisaient  
                  cette lâche concession, qu'ils étaient prêts à  
                  céder encore dans les changements constitutionnels proposés. Oui, M. le PRÉSIDENT,
                  je  
                  n'hésite pas à le dire, dès cet instant le  
                  Haut-Canada comprit que nos chefs, jusque-   là inébranlables, allaient céder le terrain
                  
                   conquis. Aussi, lorsque M. BROWN soumit à  
                  la chambre sa proposition, tous les députés  
                  anglais s'unirent dans une majorité écrasante, et il l'emporta vigoureusement malgré
                  
                  la totalité des députés Canadiens-Français  
                  qui votèrent tous contre cette proposition, à  
                  l'exception du député de Rouville (M.  
                  POULIN), qui eut le triste courage de commettre cet acte inqualifiable. (Ecoutez!
                  
                  écoutez!) Il n'est pas besoin de rappeler ici  
                  les conséquences de ce vote, car elles sont  
                  connues aujourd'hui de tout le pays, et l'hon.  
                  député de South Oxford lui-même nous a dit  
                  dans cette chambre que la confédération  
                  avait pris naissance dans son comité constitutionnel; que la nomination de ce comité
                  
                  avait été le premier pas fait dans la voie qui  
                  menait surement au but vers lequel il avait  
                  toujours tendu pendant toute sa carrière  
                  politique, et que le projet de confédération,  
                  maintenant soumis, était une ample récompense pour ses efforts constants et une justification
                  complète des principes qu'il avait  
                  soutenus dans la lutte du Haut contre le Bas- Canada. (Ecoutez! écoutez!) Plus tard,
                  M. le  
                  PRÉSIDENT, le gouvernement TACHÉ-MACDONALD tombait sur une question de finances  
                  et, dans l'impossibilité de se maintenir sans  
                  le secours de l'opposition, ce même gouvernement appelait dans son cabinet l'homme
                  
                  le plus hostile aux intérêts Bas-Canadiens, et  
                  avec lequel de tout temps il avait été dans  
                  un antagonisme sans exemple. De cette  
                  alliance naquit le projet de confédération  
                  qui nous est soumis aujourd'hui, et qui concède le principe de la représentation basée
                  
                  sur la population. Le parti Bas-Canadien  
                  devait-il faire cette grave concession au  
                  Haut-Canada? Je suis prêt à établir par  
                  des chiffres que cette question portait avec  
                  elle son propre remède, et ceux qui ont  
                  voté en faveur de sa concession ne sont  
                  nullement justifiables, à quelque point de  
                  vue qu'on se place. L'avenir nous garantissait que cette demande n'aurait plus sa
                  
                  raison d'être à une époque fort rapprochée.  
                  Quand on examine la question de la population respective des deux Canadas, on  
                  remarque, tout d'abord, que celle du Haut- Canada est en grande partie anglaise et
                  protestante; et, en regardant un dernier recensement, on voit que l'immigration dans
                  cette  
                  section est entrée pour une proportion très  
                  considérable dans l'augmentation annuelle.  
                  De 90,000 âmes qu'elle était pendant la seule  
                  année de 1847, l'immigration est graduellement tombée a 10,000 en 1860. Mais il y
                  
                  
                  
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                  a un autre fait important qu'il est bon de  
                  noter: c'est que le Bas-Canada, qui augmentait lentement d'abord parce qu'il était
                  gêné  
                  dans son développement matériel et moral  
                  par les institutions politiques sous lesquelles  
                  il était gouverné, parce qu'il n'avait pas de  
                  chemins de colonisation dans ses forêts,  
                  voyait encore ses robustes enfants émigrer  
                  aux Etats-Unis pour y trouver du pain et de  
                  la liberté. L'augmentation de la population  
                  du Bas-Canada était faible et lente alors;  
                  mais à mesure que les chemins de fer ont  
                  été construits, que des routes ont été pratiquées, on l'a vu augmenter en population
                  
                  presque dans la même proportion que s'opérait  
                  la diminution dans la proportion d'accroissement annuel du Haut-Canada. Je prétends
                  
                  encore, M. le PRÉSIDENT, que le recensement  
                  de 1861 n'est pas une base sur laquelle on  
                  puisse se fonder pour apprécier exactement le  
                  chiffré de la population des deux sections;  
                  que ce recensement n'est qu'un tissu d'erreurs  
                  graves et qui démontrent l'inexactitude de  
                  l'ensemble. Ainsi, quand on y voit qu'à  
                  Trois-Rivières il n'y a pas une seule église  
                  catholique; qu'à Hamilton il n'y en a qu'une  
                  seule; qu'en 1861 il n'a été construit que  
                  trois vaisseaux dans le Bas-Canada, et que  
                  l'on sait qu'à Québec seul il s'en est construit  
                  plus de soixante, l'on peut affirmer en toute  
                  sûreté que de semblables inexactitudes ont  
                  dû se répéter dans les chiffres de la population des deux sections. On sait que, dans
                  
                  le Haut-Canada, le chiffre de la population  
                  réelle a été considérablement surfait. Tous  
                  leurs journaux ne disaient-ils pas qu'il fallait  
                  que le recensement de 1861 indiquât, en  
                  faveur du Haut-Canada, une très-forte population de plus que dans le Bas? Aussi, le
                  
                  résultat a-t-il constaté une majorité de près  
                  de 300,000 âmes en sa faveur. On a  
                  tellement augmenté le nombre des vivants  
                  et diminué celui des morts, que l'addition  
                  du nombre des enfants vivants, au-dessous  
                  d'un an, se trouve être de 8,000 de plus  
                  que celui de toutes les naissances de  
                  l'année. (Ecoutez! et rires.) Je veux bien  
                  admettre que le climat du Haut-Canada soit  
                  très salubre et très favorable au développement de la population au-dessous d'un an;
                  
                  mais encore peut-on difficilement s'expliquer  
                  qu'il n'en meure pas quelques uns en douze  
                  mois et qu'il puisse y en avoir, en une seule  
                  année, 8000 de plus, au-dessous d'un an,  
                  qu'il n'en est né pendant les douze mois  
                  écoulés. (Ecoutez! et rires.) Quand je vois  
                  de pareils résultats dans notre recensement  
                   officiel, je suis forcé de croire qu'il est inexact  
                  et qu'il peut être tout aussi erroné sous tous  
                  les rapports de la population générale. Mais  
                  si on a surfait la population dans le recensement du Haut-Canada, dans le Bas-Canada,
                  
                  au contraire, on l'a diminuée considérablement. Ici, nos cultivateurs ont toujours
                  eu  
                  peur des recensements, parce qu'ils soupçonnent qu'ils sont faits dans le seul but
                  
                  d'asseoir quelques taxes ou de faire quelque  
                  levée d'hommes pour la défense du pays.  
                  Sous ces circonstances, je crois que la différence dans le chiffre de la population
                  du  
                  Haut et du Bas-Canada n'est pas aussi bien  
                  établie qu'on veut le faire croire. Je maintiens qu'elle est moindre en réalité qu'elle
                  
                  ne l'est en apparence, et que les chiffres du  
                  recensement ne sont pas suffisamment exacts  
                  pour que l'on puisse les prendre pour base  
                  d'une demande de changements constitutionnels aussi graves. Mais si l'on étudie  
                  l'accroissement de la population canadienne- française, l'on verra que les Canadiens-
                  Français ont augmenté jusqu'au chiffre de  
                  1,700,000, s'étant décuplés deux fois et demi  
                  de 1760 à 1860, ce qui équivaut à 3.40 pour  
                  cent par année, ou le doublement de la  
                  population en 21 ans, ou 25 fois leur nombre  
                  en 100 ans. Depuis 1860, l'augmentation  
                  a été de 3.60 pour cent par an dans le Bas- Canada. Voilà des chiffres qui prouvent
                  
                  que l'augmentation naturelle de la population  
                  dans le Bas-Canada est plus forte que partout  
                  ailleurs. Dans le Haut-Canada, la moyenne  
                  des naissances a été de 3.40 pour cent par  
                  an, et dans le Bas-Canada, elle a été de 4.10  
                  pour cent, ce qui égale une augmentation  
                  relative plus considérable de 20 pour cent  
                  dans le Bas que dans le Haut-Canada. Si  
                  l'on fait un calcul de la progression de  
                  l'accroissement de la population française  
                  dans le Bas-Canada, de 1784 à 1851, l'on  
                  arrive aux résultats suivants:—
               
               
               
               
                  
                  
                     
                      
                        
                         
                           
                           |   | 
                           
                           p. c. par année. |  
                        
                        
                         
                           
                           |  De 1784 à 1831, l'augmentation a été égale à | 
                           
                           2.60 |  
                        
                        
                         
                           
                           |  De 1831 à 1844, e11e a été égale à.......... | 
                           
                           3.20 |  
                        
                        
                         
                           
                           |  De 1844 à 1851 do do .................. | 
                           
                           4.25 |  
 
                      
                   
               
               
               
                Mais l'augmentation de population qui en  
                  serait résultée a été diminuée par l'émigration aux Etats-Unis. Les difficultés de
                  
                  sections ont chassé nos jeunes gens à  
                  l'étranger pendant de longues années, et  
                  c'est là pourquoi cette augmentation considérable ne paraît pas, dans les recensements,
                  
                  aussi forte qu'elle l'a été en réalité. Ainsi,  
                  le chiffre des émigrés Canadiens-Français  
                  aux Etats-Unis en 1844, s'élevait à 34,000;  
                  
                  
                  600
                  
                  de 1844 à 1850, l'émigration s'est élevée à  
                  30,000—ce qui, en 1850, s'élève à 64,000 le  
                  chiffre de nos compatriotes passés à l'étranger.  
                  Avec une pareille émigration, il est évident  
                  que notre population ne pouvait augmenter  
                  rapidement; mais aujourd'hui, heureusement,  
                  le mouvement de notre population se fait en  
                  sens contraire. Un grand nombre de familles  
                  nous sont déjà revenues, tandis que beaucoup  
                  d'autres n'attendent qu'une occasion favorable pour revenir au pays qu'elles auraient
                  
                  dû ne jamais quitter. La population canadienne-française aux Etats-Unis est encore
                  
                  très considérable, comme on peut le voir par  
                  les chiffres suivants:—l'Etat du Vermont  
                  compte 14,000 Canadiens-Français; celui de  
                  New-York, 20,000; l'Ohio et la Pensylvanie,  
                  6,000; le Michigan, 30,000; l'Illinois, 20,000;  
                  le Wisconsin, 12,000; l'Indiana, 5,000; le  
                  Minnesota, 15,000—sans compter qu'il y a  
                  encore à peu près 35,000 de nos jeunes  
                  gens enrôlés dans l'armée des Etats-Unis.  
                  Ce qui a eu lieu en Canada a aussi eu lieu  
                  en Acadie, où la population française a  
                  augmenté d'une manière vraiment étonnante.  
                  Cette augmentation a été, de 1707 à 1737,  
                  dans une proportion de 6 pour cent par an;  
                  en 30 ans, elle avait quintuplé. Elle a continué à s'accroître à peu près dans la
                  même  
                  proportion jusqu'en 1755, l'époque mémorable de la déportation des Acadiens. De  
                  1755 à 1855, les Acadiens ont décuplé par  
                  eux-mêmes, et aujourd'hui la population  
                  franco-acadienne dans les provinces maritimes et dans le Maine, se répartit comme
                  
                  suit:— 
               
               
               
               
                  
                  
                     
                      
                        
                        
                           
                           | Terreneuve,................. | 
                           
                           15,000 | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | Cap Breton,................. | 
                           
                           16,000 | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | Ile du Prince-Edouard,...... | 
                           
                           15,000 | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | Nouvelle-Ecosse,............ | 
                           
                           22,000 | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | Nouveau-Brunswick,.......... | 
                           
                           25,000 | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | Maine,...................... | 
                           
                           5,000 | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           |   | 
                           
                           Ce qui forme un total de 98,000 | 
                           
                        
                      
                   
               
               
               
                Voyons maintenant, M. le PRÉSIDENT,  
                  quelle est l'augmentation annuelle du Haut- Canada. Cette considération est importante,
                  
                  car elle tend à prouver que dans dix ans le  
                  chiffre des populations du Haut et du Bas- Canada seront égales, et par conséquent
                  que  
                  les changements constitutionnels motivés par  
                  la question de la représentation basée sur le  
                  nombre n'ont pas de raison d'être:  
               
               
               
               
                  
                  
                     
                      
                        
                        
                           
                           | En 1830, cette augmentation a été de | 
                           
                           10 p. | 
                           
                           c. p. an, | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | En1832, elle a été de............... | 
                           
                           8.77 | 
                           
                           " | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | En1842, do do ............... | 
                           
                           6.42 | 
                           
                           " | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | En1852, do do ............... | 
                           
                           5.62 | 
                           
                           " | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | En1861, do do ............... | 
                           
                           4.35 | 
                           
                           " | 
                           
                        
                        
                        
                           
                           | En1865, elle sera probablement de .. | 
                           
                           3.00 | 
                           
                           " | 
                           
                        
                      
                   
               
               
               
               
               
                Ce qui équivaut à dire qu'en trente ans  
                  la proportion de cette augmentation a diminué de plus de 50 pour cent, et c'est avec
                  
                  la diminution de l'immigration que s'est  
                  produit cette diminution dans l'accroissement annuel. Les chiffres suivants, qui 
                  
                  donnent le nombre d'immigrants arrivés  
                  dans le Haut-Canada depuis 1829, le prouvent abondamment:— 
                  
                  
                  
                  
                     
                     
                        
                         
                           
                           
                              
                              | Années. | 
                              
                              Immigration. | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1829 à 1833............... | 
                              
                              167,697 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1834 à 1838............... | 
                              
                              96,351 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1839 à 1843............... | 
                              
                              123,860 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1844...................... | 
                              
                              20,142 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1845...................... | 
                              
                              25,375 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1846...................... | 
                              
                              32,753 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1847...................... | 
                              
                              90,150 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1848...................... | 
                              
                              27,939 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1849...................... | 
                              
                              38,494 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1850...................... | 
                              
                              32,292 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1851...................... | 
                              
                              41,076 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1852...................... | 
                              
                              39,176 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1853...................... | 
                              
                              36,699 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1854...................... | 
                              
                              53,183 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1855...................... | 
                              
                              21,274 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1856...................... | 
                              
                              22,439 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1857...................... | 
                              
                              32,097 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1858...................... | 
                              
                              12,810 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1859...................... | 
                              
                              8,778 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1860...................... | 
                              
                              10,150 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1861...................... | 
                              
                              19,923 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1862...................... | 
                              
                              22,176 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1863...................... | 
                              
                              19,419 | 
                              
                           
                           
                           
                              
                              | 1864...................... | 
                              
                              19,000 | 
                              
                           
                         
                      
                   
               
               
               
                En 1854, nous n'avions pas de chemins  
                  de fer comme ceux que nous possédons  
                  aujourd'hui, et par conséquent l'immigration  
                  européenne, qui se dirigeait vers les Etats- Unis, ne passait pas par le Canada, comme
                  
                  elle le fait aujourd'hui pour les Etats de  
                  l'Ouest. En 1854, l'immigration était de  
                  53,000, et tous ceux qui arrivaient en  
                  Canada s'y fixaient invariablement, mais en  
                  1864, cette immigration est tombée à 19,000,  
                  dont il ne reste pas plus de la moitié dans  
                  le pays; le reste se dirige vers les Etats de  
                  l'Ouest. Ainsi, l'on peut dire que l'immigration, qui était de plus de 53,000 âmes
                  en  
                  1854, est tombée en dix ans à 8,000 seulement pour le Haut-Canada, tandis que dans
                  
                  le Bas-Canada nous avons augmenté, par  
                  notre accroissement naturel, dans la proportion de 2-20 pour cent à 3-60 pour cent
                  
                  durant la même période. Et c'est justement  
                  au moment où notre population augmente  
                  dans cette proportion que l'on veut accorder  
                  au Haut-Canada la représentation basée sur  
                  la population! Pourquoi ne pas résister  
                  encore? On nous dit que si nous attendons  
                  plus tard la disproportion sera plus grande,  
                  
                  
                  601
                  
                  Je maintiens en m'appuyant sur ces calculs  
                  et sur d'autres considérations, que j'aurai  
                  bientôt l'honneur de soumettre à cette  
                  chambre, que nous ne pouvons que gagner à  
                  attendre, puisque la proportion de notre  
                  accroissement augmente et que l'immigration  
                  diminue. En trente ans, de 1820 à 1860, il  
                  nous est arrivé 942,735 émigrants, qui se sont  
                  presque tous établis dans le Haut-Canada.  
                  De plus, il y a un autre fait que je désire faire  
                  ressortir: c'est que l'émigration irlandaise,  
                  qui s'était élevée, en 1851, à 22,381, a  
                  diminué dans les dix années suivantes, à  
                  376 on 186l, et l'on sait que c'est cette  
                  déportation en masse des enfants de la Verte  
                  Erin qui a fait la population du Haut- Canada ce qu'elle est aujourd'hui. Du  
                  reste, il ne s'agit que de consulter le recensement pour conclure de suite que la
                  différence  
                  de proportion dans l'augmentation de la  
                  population respective des deux sections,  
                  n'est due qu'à l'arrivée de ce million d'immigrants dans le pays. Si on étudie la
                  
                  proportion des naissances, ou de l'accroissement naturel, on verra que le Bas-Canada
                  
                  s'est accru dans une proportion plus rapide  
                  que celle du Haut, et qu'il y a plus de  
                  naissances proportionnellement dans notre  
                  section. A mesure que ces causes factices 
                  d'augmentation diminuent dans le Haut- Canada, nous avons donc la certitude de  
                  rétablir l'équilibre entre les deux populations.  
                  Il y a encore une autre cause qui doit contribuer à rétablir cet équilibre, et je
                  la  
                  trouve dans un rapport officiel écrit par  
                  l'hon. secrétaire-provincial actuel (M.  
                  MCDOUGALL), lorsqu'il était commissaire  
                  des terres de la couronne. La cause de la  
                  colonisation a attiré, depuis quelques années,  
                  l'attention toute spéciale de notre clergé et  
                  des meilleurs citoyens du pays, du moment  
                  qu'on s'est aperçu que l'augmentation rapide  
                  de la population du Haut-Canada amènerait  
                  bientôt des changements constitutionnels,  
                  ayant pour but la représentation basée sur  
                  la population, et ses conséquences désastreuses pour la minorité.—Depuis cette  
                  époque, de nouvelles routes de colonisation  
                  ont été ouvertes au surplus de la population  
                  des anciens comtés, et nos jeunes gens, au  
                  lieu de s'expatrier, s'enfoncent dans la forêt  
                  pour la défricher et multiplier ainsi la force  
                  de l'élément français. La cause de la diminution de l'accroissement dans le Haut-
                  Canada, dont je veux parler, se trouve dans  
                  le fait important que les meilleures terres  
                  disponibles sont à peu près épuisées. Je  
                   ne veux pas dire qu'elles ont perdu leur  
                  fertilité, mais seulement qu'elles sont à peu  
                  près toutes occupées. Il n'y a pas besoin  
                  d'autre preuve à mon avancé que le rapport  
                  de l'hon. ministre des terres de la couronne  
                  en 1862, dont je citerai le paragraphe qui  
                  suit:— 
               
               
                
                  
                  "L'on remarquera que la quantité totale des  
                     terres vendues, en 1862, est moindre que celle  
                     vendue en 1861, de 252,471 acres. La diminution équivaut à environ 38 1/2 pour cent.
                     Ce fait  
                     est significatif et mérite qu'on en recherche la  
                     cause. On peut l'attribuer, je crois, aux perturbations commerciales et monétaires
                     qui résultent  
                     de la guerre civile dans le pays voisin,—à l'influence de la guerre qui décourage
                     l'immigration 
                     en Amérique, et à la diminution des ressources  
                     des acheteurs du pays, à raison de la récolte généralement mauvaise de 1862. L'on
                     peut encore mentionner une autre cause qui, au point de vue officiel, 
                     est plus importante qu'aucune de celles-ci, parce  
                     que son influence n'est pas seulement accidentelle  
                     ou passagère. Et cette cause est que la quantité  
                     de terre réellement bonne qui se trouve aujourd'hui sur le marché est, malgré les
                     arpentages  
                     récents, beaucoup moindre qu'elle n'était autrefois, et diminue rapidement. Les nouveaux
                     arpentages faits dans le Haut-Canada durant les cinq  
                     dernières années, n'ont pas ajouté moins de  
                     2,808,172 acres au tableau des terres du département. Dans le Bas-Canada, l'accroissement
                     
                     durant la même période a été de 1,968,168 acres.  
                     Cependant, il est douteux qu'il y ait aujourd'hui  
                     une aussi grande quantité de terres, de première  
                     qualité, à la disposition du département, qu'il y  
                     en avait en l857. Les terres du clergé, des écoles  
                     et de la couronne de la Péninsule Occidentale, les  
                     plus précieuses sous le rapport de la qualité et de  
                     la situation, de toutes les terres incultes de la  
                     province. sont presque toutes vendues; les quelques lots qui restent sont généralement
                     d'une  
                     qualité inférieure. Les nouveaux cantons situés  
                     entre Outaouais et le lac Huron contiennent beaucoup de bonne terre, mais ils sont
                     séparés des  
                     cantons établis qui bordent le St. Laurent et la  
                     rive nord du lac Ontario par une ceinture rocheuse  
                     et aride qui varie en largeur de dix à vingt milles,  
                     et qui présente des obstacles sérieux à l'établissemont des colons. De plus, les bonnes
                     terres de  
                     ces nouveaux cantons sont en petites étendues,  
                     éparses çà et là, et séparées les unes des autres  
                     par des crêtes rocheuses, des marais et des lacs,  
                     qui rendent difficile la construction de chemins, et  
                     interrompent la continuité de l'établissement. 
                     Ces circonstances défavorables ont induit les  
                     meilleurs colons du Haut-Canada à chercher des  
                     terres appartenant aux particuliers, de meilleure  
                     qualité et mieux situées, quoique le prix et les  
                     conditions de vente soient plus élevés et moins 
                     faciles que pour les terres de la couronne."
  
               
               
                Je crois qu'il y a dans ce rapport officiel  
                  un fait très important pour le Bas Canada,  
                  et qu'il est bon de constater avant de décider  
                  si nous devons changer la constitution actuelle. Quand la population n'augmente  
                  
                  
                  602
                  
                  plus sensiblement par l'immigration dans le  
                  Haut-Canada, et qu'elle augmente plus  
                  rapidement dans le Bas-Canada par son  
                  accroissement naturel; quand l'émigration  
                  de nos compatriotes aux Etats-Unis a cessé;  
                  quand les meilleures terres du Haut-Canada  
                  sont occupées et que le territoire du Bas- Canada commence à peine à s'ouvrir, je
                  ne  
                  vois pas pourquoi nous nous hâterions tant  
                  d'abandonner la lutte que nous avons faite  
                  avec tant de succès jusqu'ici pour accorder,  
                  sans raison, la représentation basée sur la  
                  population. Et voici à ce sujet ce que  
                  disait, dans le même rapport, l'hon. secrétaire-  provincial actuel,—dont les paroles
                  confirment parfaitement mon avancé:— 
 
               
                
                  
                  "Dans le Bas-Canada, les terres vendues en  
                     1862 ont atteint un chiffre d'un peu plus du  
                     double de la quantité vendue dans le Haut-Canada.  
                     Les découvertes de mines de cuivre et autres dans  
                     les cantons de l'Est, et l'ouverture de meilleures  
                     voies de communication, ont causé une affluence  
                     de population considérable dans cette partie du  
                     Bas-Canada, et une augmentation correspondante  
                     dans la demande de terres publiques disponibles.  
                     Les nouveaux arpentages faits sur le versant sud  
                     des hauteurs qui bordent le St. Laurent, entre  
                     Montréal et Québec, ont développé une quantité  
                     très considérable de bonnes terres, qui sont  
                     rapidement prises." 
                    
               
                Voici la conséquence de ce fait signalé par  
                  le commissaire des terres de la couronne  
                  de cette époque: c'est que si les terres puques ne se vendent qu'à des colons, du
                  
                  moment que l'on établit que la quantité de  
                  terres vendues dans le Bas-Cana est double  
                  de celles vendues dans le Haut-Canada, je  
                  suis en droit de conclure que l'étendue  
                  défrichée est réellement double, et comme  
                  conséquence nécessaire que la population  
                  doit augmenter dans la même proportion.  
                  De là je conclus que la question de la représentation basée sur la population tend
                  chaque  
                  jour à se résoudre d'elle-même. Ainsi, voici  
                  un homme que l'on ne peut certainement  
                  pas accuser de partialité pour le Bas-Canada,  
                  et dont on ne contestera pas les connaissances  
                  approfondies, qui déclare officiellement que  
                  nous augmentons dans une beaucoup plus  
                  grande proportion que le Haut. Et c'est au  
                  moment où nous sommes sur le point de  
                  nous maintenir sur la brèche que nous allons  
                  céder le terrain et abandonner la lutte! Nos  
                  jeunes gens émigraient aux Etats-Unis, il y  
                  a quelques années, parce que nous n'avions  
                  pas de chemins de colonisation pour leur  
                  ouvrir les forêts du Bas-Canada, comme nous  
                  en avons aujourd'hui. Et pourquoi n'en  
                   avions-nous pas? Parce que, jusqu'à tout  
                  dernièrement, le ministère des terres de la  
                  couronne, de même que celui de l'agriculture  
                  et de l'immigration, ont toujours été confiés  
                  aux membres Haut-Canadiens de l'administration. Le Haut-Canada comprenait l'importance
                  de ces départements pour le développement matériel de sa section du pays.  
                  Aussi toutes les améliorations se faisaient- elles dans l'Ouest, et toute l'immigration
                  
                  était-elle dirigée de ce côté. Aujourd'hui  
                  que l'on s'est aperçu des résultats de cette  
                  politique habilement tramée, la partie Bas- Canadienne du ministère s'occupe davantage
                  
                  de la colonisation de nos terres incultes, et  
                  nous voyons le clergé, de même que tous les  
                  hommes politiques et influents, seconder ses  
                  efforts. Nous avons des sociétés de colonisation partout, et le résultat de leur travail.
                  
                  c'est que les terres publiques sont prises et  
                  occupées à mesure qu'on les arpente, et que  
                  les colons devancent même très souvent les  
                  routes que le gouvernement fait ouvrir à 
                  travers la forêt. Ces faits sont assez importants pour mériter notre sérieuse considération,
                  d'autant plus que le rapport de l'hon.  
                  secrétaire-provincial appuie sur certains  
                  points les faits que je signale. Les familles  
                  canadiennes, aujourd'hui aux Etats-Unis, sont  
                  heureuses de revenir parmi nous pour développer les ressources de notre territoire,
                  et  
                  si le gouvernement, au lieu de faire des  
                  changements constitutionnels, établissait un  
                  vaste système de colonisation, et attirait ici  
                  nos compatriotes des Etats de l'Union Américaine ainsi qu'une immigration européenne
                  
                  congénère, nous n'aurions pas besoin de nous  
                  occuper des changements politiques qu'on  
                  nous propose, et dont le but évident est  
                  l'anéantissement de notre influence en Amérique. (Ecoutez!) Le but du projet de  
                  confédération, au point de vue du ministère,  
                  est la formation d'un vaste empire limité  
                  par l'océan Pacifique d'un côté, par l'océan  
                  Atlantique de l'autre, au sud par l'Union  
                  Américaine et s'étendant jusqu'au pôle nord,  
                  laissant à l'ouest l'Amérique Russe. Certes,  
                  ce projet est grandiose, est magnifique, et  
                  est bien fait pour exciter l'ambition des  
                  hommes les plus marquants de l'Amérique  
                  Britannique du Nord. L'opposition comprend parfaitement le noble but des promoteurs
                  de cette confédération que l'on veut  
                  établir sur une base monarchique,—en  
                  opposition à l'Union Américaine basée sur le  
                  principe démocratique et républicain; — 
                  mais l'opposition comprend aussi que cette  
                  
                  
                  603
                  
                  création d'un empire offre de graves difficultés, non seulement parce qu'il s'élève
                  en  
                  opposition à la puissante république voisine,  
                  essentiellement opposée aux institutions monarchiques, mais parce que les différences
                  
                  de nationalités, de religions et d'intérêts  
                  sectionnels sont autant de pierres d'achoppement contre lesquelles viendront se heurter
                  
                  les dispositions principales du projet de  
                  confédération. Il ne faut pas croire que  
                  l'opposition ne combat ce projet que parce  
                  qu'elle n'en comprend pas la portée.  
                  Elle le comprend, au contraire, et n'y voit  
                  que des dispositions qui lui sont hostiles.  
                  Aujourd'hui le Canada, avec l'égalité sectionnelle, ne forme qu'un seul peuple dont
                  
                  les tendances et les aspirations sont communes; mais avec la confédération il n'en
                  
                  sera plus ainsi: nous aurons une minorité contre une majorité, dont les tendances
                  
                  agressives se sont toujours manifestées chaque  
                  fois qu'elle a eu la puissance du nombre. Si  
                  les populations de toutes les provinces étaient  
                  homogènes, si leurs intérêts, leurs idées,  
                  leurs croyances, leur nationalité étaient identiques, nous serions peut-être plus
                  portés à  
                  accepter les dispositions peu judicieuses du  
                  projet qui nous est soumis,—mais comme  
                  rien de tout cela n'est identique, nous croyons  
                  qu'il y a danger pour nous à les accepter.  
                  Autrefois, la France possédait toute cette  
                  partie du continent, et les colons de cette  
                  époque,—cultivateurs, pêcheurs, chasseurs  
                  ou coureurs de bois,—parcouraient toute  
                  1'étendue de ces immenses possessions qui  
                  avaient nom la Nouvelle-France; aujourd'hui, que lui reste-t-il d'un territoire dont
                  
                  l'étendue égale celle de l'Europe même?  
                  Une pauvre petite île située à l'entrée du  
                  golfe, un pied à terre pour ses pêcheurs, et  
                  quelques arpents de grève sur les côtes de  
                  Terreneuve.—Quand on étudie ce fait, quand  
                  on voit la puissance française complètement  
                  détruite sur ce continent,—n'avons-nous pas  
                  le droit de nous montrer sévères dans l'appréciation du projet de constitution qui
                  nous  
                  est soumis, et qui n'a d'autre but, je le répète,  
                  que de compléter l'œuvre de la destruction  
                  de l'influence de la race française en Amérique? Est-ce que le passé ne nous a pas
                  
                  appris à nous défier de l'avenir? Oui, M. le  
                  PRÉSIDENT, la politique de l'Angleterre a  
                  toujours été agressive et a toujours eu pour but  
                  notre anéantissement comme peuple—et ce  
                  projet de confédération n'est que la continuation de l'application de cette politique
                  
                  sur ce continent; son véritable but n'est que  
                   l'anéantissement de l'influence française en  
                  Canada. En recherchant si les moyens d'action employés aujourd'hui n'ont pas de précédents
                  dans l'histoire, il est facile de trouver  
                  des renseignements précieux. Il fut un  
                  temps après la conquête de l'Angleterre par  
                  les Normands, où la langue française était la  
                  langue générale et officielle. Pendant quatre  
                  siècles, le français fut la langue de la nation;  
                  mais plus tard, les conquérants furent obligés  
                  d'adopter la langue des vaincus. En étudiant l'histoire du parlement anglais, on voit
                  
                  qu'avant l'année 1425 il n'avait pas été introduit dans la législature un seul projet
                  de loi  
                  qui ne fût en français. Mais à cette époque  
                  le premier projet de loi en anglais fut présenté au parlement; et vingt-cinq ans plus
                  
                  tard, en 1450, on trouve le dernier acte présenté en français dans le gouvernement
                  anglais. Après cette date, on ne voit plus de  
                  trace de la langue française au parlement;  
                  il n'avait fallu que vingt-cinq ans pour la  
                  faire disparaître entièrement. Il y a un autre  
                  fait historique qui se rattache à l'existence  
                  politique des peuples, et qu'il est bon de  
                  noter. On sait pendant combien de temps  
                  l'Ecosse et l'Irlande résistèrent à l'envahissement de l'Angleterre. La lutte fut
                  
                  longue et obstinée, mais ces deux nations  
                  durent céder à la politique d'envahissement  
                  et à la puissance d'assimilation de la nation  
                  anglaise. Mais voyons quels moyens l'Angleterre a employés pour arriver à son  
                  but. L'histoire impartiale nous le dit — 
                  comme elle dira aussi quels sont les moyens  
                  employés aujourd'hui pour anéantir notre  
                  race sur ce continent. L'histoire inscrit en  
                  lettres d'or, sur ses plus belles pages, les noms  
                  des hommes qui ont combattu pour les droits  
                  et les libertés des peuples; mais aussi elle  
                  inscrit sur ses pages les plus sombres les  
                  noms de ceux qui vendent ces libertés et ces  
                  droits pour des titres, des honneurs, du pouvoir et de l'or. Nous jouissons aujourd'hui
                  
                  d'un gouvernement responsable chèrement  
                  acheté au prix d'un siècle de luttes héroïques,  
                  et, avant que de céder un pouce de terrain  
                  conquis, nous devons examiner ce que nous  
                  promettent les changements constitutionnels  
                  projetés. Profitons de l'exemple des peuples  
                  qui pleurent amèrement aujourd'hui la  
                  perte de leurs droits politiques, amenés par  
                  des changements constitutionnels du genre  
                  de ceux qui sont aujourd'hui proposés au  
                  Bas-Canada.—Voici ce que je lis à propos  
                  de la réunion de l'Ecosse à |'Angleterre, en  
                  1706:— 
               
               
               604
               
               
               
                
                  
                  "La reine ANNE exécuta, en 1706, un projet  
                     inutilement tenté par GUILLAUME III, la réunion  
                     de l'Angleterre et de l'Ecosse en un seul royaume  
                     sous la domination de la Grande-Bretagne. L'indocilité des Ecossais, l'antipathie
                     mutuelle des  
                     deux peuples, les troubles sans cesse renaissants  
                     de ces principes, rendaient le projet fort utile et  
                     en même temps multipliaient les obstacles." 
   
               
                Ainsi, l'on voit que l'antipathie des deux  
                  races suscitait de nombreux obstacles au projet  
                  de l'Angleterre, et pour faire disparaître ces  
                  obstacles on prit exactement les mêmes  
                  moyens que ceux adoptés ici pour préparer la  
                  confédération, c'est-à-dire que l'on nomma  
                  une conférence, ou des commissaires chargés  
                  de préparer l'acte de réunion. Ces commissaires s'entendirent sur la question générale,
                  
                  mais, dit. M. EMILE DE BONNECHOSE,— 
 
               
                
                  
                  "Les dissentiments éclatèrent sur la manière  
                     dont les Anglais entendaient composer le nouveau  
                     parlement des royaumes-unis, et tandis que la  
                     population de l'Ecosse était le sixième de la populution anglaise, ils n'accordaient
                     à la représentation de ce royaume, dans les communes, que quarante-quatre membres,
                     ou un treizième de la  
                     représentation totale. Seize pairs seulement  
                     devaient être choisis par élection dans le corps  
                     entier de la pairie écossaise pour siéger dans la  
                     chambre des lords en Angleterre. La rigueur de  
                     ces dernières clauses, dans lesquelles le peuple  
                     écossais vit une offense, excita un mécontentement  
                     général: il devait résulter, pour les premiers  
                     temps surtout, d'un traité d'union entre les deux  
                     peuples un froissement d'intérêt matériel préjudiciable à un grand nombre, comme il
                     arrive à la  
                     suite de toute importante commotion politique:  
                     les blessures de l'amour-propre national auraient  
                     suffi d'ailleurs pour rendre les Ecossais insensibles  
                     aux avantages éloignés de ce pacte, et tous les  
                     partis, whigs et torys, jacobistes et williamistes,  
                     presbytériens, épiscopaux et cameroniens, s'unirent pour le rejeter." 
   
               
               Ainsi, nous voyons ici une population  
                  presque toute entière s'unir pour repousser  
                  le projet d'union qu'on veut lui imposer, et  
                  cependant, malgré l'opposition presque unanime de l'Ecosse, l'Angleterre parvient
                  à  
                  imposer cette union par les moyens dont elle  
                  n'hésite pas à faire l'emploi.  
 
               
                
                  
                  "Les commissaires du gouvernement furent en  
                     butte aux insultes de la population qui brisa les  
                     maisons de plusieurs officiers de l'État partisans  
                     de l'union, tandis qu'elle portait aux nues le duc  
                     de HAMILTON, le plus illustre entre les opposants  
                     Les ducs de QUEENSBERRY et d'ARGYLE, les comtes  
                     de MONTROSE, de STAIR, de ROXBURGH et de MARCHMONT essayèrent en vain d'opposer la
                     raison à  
                     l'explosion du sentiment patriotique et de fureur  
                     nationale, et ce que les meilleurs arguments ne  
                     purent obtenir la corruption le fit. Une partie de  
                     l'or promis par les commissaires anglais, comme  
                     dédommagement des charges nouvelles qui allaient  
                      peser sur le royaume voisin, fut répartie entre  
                     leurs collègues écossais et plusieurs membres  
                     influents du parlement siégeant à Edimbourg: dès  
                     lors, tous les obstacles furent aplanis; le traité  
                     d'union, que la majorité du peuple écossais considérait comme un suicide, et que n'eussent
                     point  
                     sanctionné les hommes les plus purs et les plus  
                     irréprochables, obtint l'assentiment d'une majorité  
                     vénale: ce pacte fameux, enfin, réputé un opprobe  
                     pour l'Ecosse, où elle voyait l'immolation de ses  
                     intérêts et de sa gloire, et qui devait lui ouvrir,  
                     dans la suite des temps, une ère jusque-là inconnue de paix et de prospérité, fut
                     signé le ler  
                     mai 1707, et fut considéré comme une grande  
                     victoire par l'Angleterre, tout enivrée déjà du  
                     succès de ses armes sur le continent." 
   
               
                Voilà, M. le PRÉSIDENT, un exemple frappant de la manière dont la politique de  
                  l'Angleterre sait triompher des résistances  
                  les mieux motivées, même contre la volonté  
                  unanime d'une race. On voit l'Ecosse considérer l'union avec l'Angleterre comme un
                  
                  suicide, et cependant l'union trouve une  
                  majorité en sa faveur dans le parlement  
                  d'Edimbourg Je n'ai pas besoin, M. le PRÉSIDENT de commenter ces faits plus longuement:
                  ils parlent assez éloquemment par  
                  eux-mêmes. (Ecoutez! écoutez!) Il y a un  
                  autre fait dans l'histoire politique de l'Angleterre qu'il est bon de rappeler à cette
                  
                  chambre; c'est l'abolition du parlement de  
                  Dublin. L'hon. ministre de l'agriculture  
                  (M. MCGEE) nous a dit, dans ce langage  
                  fleuri qui caractérise les enfants de son pays,  
                  que lui-même avait combattu, lorsqu'il n'avait  
                  encore que vingt ans à peine, pour soustraire son pays à la tyrannie de l'Angleterre,
                  
                  et que n'ayant pu réussir dans sa noble  
                  entreprise, il avait préféré s'exiler sur cette  
                  terre d'Amérique plutôt que d'être chaque  
                  jour témoin des malheurs et des souffrances  
                  de sa patrie. Et, cependant, que fait-il  
                  aujourd'hui? ll veut, avec l'appui d'une  
                  majorité hostile, imposer au Bas-Canada, sa  
                  patrie d'adoption, une union qui lui répugne,  
                  et renouveler ici le système d'oppression qu'il  
                  a pleuré en Irlande. (Ecoutez! écoutez!)  
                  Voici les moyens dont on s'est servi pour  
                  imposer à l'Irlande cette union qui devait  
                  amener l'exode en masse de sa population:— 
 
               
                
                  
                  "Quant à l'lrlande, la lutte fut plus longue;  
                     mais l'Angleterre finit aussi par triompher. Après  
                     la crise de 1798, dit M. GUSTAVE DE BEAUMONT,  
                     l'Angleterre, tenant sous sa main l'Irlande rebelle  
                     et vaincue, l'a châtié sans réserve et sans pitié.  
                     Vingt ans auparavant, l'lrlande était rentrée en  
                     possession de ses libertés politiques; l'Angleterre  
                     conserve un souvenir amer de ces succès de  
                     l'Irlande, et elle va profiter de l'abaissement de  
                     celle-ci pour la replacer sont son joug absolu. 
                     
                     
                     605
                     
                     Le parlement d'Irlande, depuis qu'il a recouvré  
                     son indépendance, est devenu gênant pour l'Angleterre; il faut, pour s'en rendre maître,
                     des  
                     soins infinis de corruption, en dépit desquels on  
                     rencontre encore chez lui des résistances; l'occasion est favorable pour le supprimer:
                     en conséquence; le gouvernement anglais résout de l'abolir. A cette nouvelle, la pauvre
                     Irlande s'agite  
                     un instant, comme un corps qui vient d'être privé  
                     de vie, se remue encore sous le fer qui le mutile et  
                     le déchire. Sur trente-deux comtés, vingt-et-un  
                     réclament énergiquement contre la destruction  
                     du parlement irlandais. Ce parlement, auquel on  
                     est obligé de demander un acte de suicide, le  
                     refuse et maintient par son vote son existence  
                     constitutionnelle. 
   
               
                
                  
                  "Indigné de la servilité qu'on ose demander au  
                     corps dont il fait partie, GRATTAN repousse avec  
                     véhémence le projet ministériel. Mais toutes ces  
                     résistances seront veines. La seule qui, en définitive, élève un obstacle sérieux
                     aux vues de  
                     l'Angleterre est celle du parlement irlandais qui  
                     ne veut pas voter son anéantissement. Eh bien!  
                     jusqu'alors, on avait acheté ses actes, on va cette  
                     fois acheter sa mort. La corruption est aussitôt  
                     pratiquée sur une vaste échelle; des places, des  
                     pensions, des faveurs de toute sorte, des pairies,  
                     des sommes d'argent sont prodiguées, et les mêmes  
                     hommes qui, en 1799, avaient repoussé le projet  
                     d'union, l'adoptent, le 26 mai 1800, à une majorité 
                     de cent-dix-huit voix contre soixante-treize, et  
                     cette majorité était composée d'hommes qui  
                     étaient ou pensionnaires de l'Etat, ou fonctionnaires publics. Ainsi s'accomplit,
                     imposé par la  
                     violence, aidé par la corruption, l'acte destructif du  
                     parlement irlandais, non sans soulever en Irlande  
                     tout ce qu'il y restait de passions nationales et  
                     de sentiments patriotiques." 
   
               
                M. le PRÉSIDENT, quand on a pour  
                  apprécier la politique de l'Angleterre des  
                  actes comme ceux- là, il est juste que ceux  
                  qui n'ont pas les mêmes raisons que les hon.  
                  députés qui siégent sur les banquettes ministérielles, pour désirer les changements
                  constitutionnels, aient au moins l'occasion d'étudier  
                  attentivement tous les détails de la mesure  
                  qu'on nous propose. Pour ma part, je suis  
                  satisfait de la constitution actuelle, et prêt à  
                  la défendre contre tout ennemi qui voudrait  
                  attaquer notre territoire. Mais je dois le  
                  dire, si on change cette constitution malgré  
                  la volonté du peuple, ou ne trouvera plus  
                  chez les Canadiens Français cet élan qui les  
                  a toujours distingué par le passé, et qui leur  
                  a permis de vaincre des ennemis dix fois  
                  plus nombreux. (Ecoutez! écoutez!) L'antagonisme des deux races anglaise et française,
                  
                  que j'ai signalé en Europe, semblait n'avoir  
                  pas de raison d'être en Amérique. Cependant,  
                  la lutte s'est continuée dans le Nouveau  
                  Monde après avoir commencé sur l'ancien  
                  continent. Aujourd'hui encore, cette lutte  
                  se continue et, malgré les protestations  
                   d'amitié sincère échangées entre Paris et  
                  Londres, nous voyons toujours la France et  
                  l'Angleterre face à face, l'épée au poing, ayant  
                  l'une pour l'autre le respect que la crainte  
                  peut seule leur inspirer. Et ces sentiments  
                  de rivalité et d'antagonisme qui ont toujours  
                  existé, et qui existent encore aujourd'hui  
                  entre les deux races, s'effaceront-ils chez leurs  
                  descendants canadiens pour les fondre en  
                  une seule nation? Mais c'est là l'impossible!  
                  Quoique vous fassiez les mêmes sentiments  
                  existeront toujours. Ils sont blâmables peut- être, mais ils existent, et sont dans
                  la nature  
                  même des deux peuples. Il y a dans la  
                  langue, dans la religion, dans les institutions,  
                  dans les habitudes d'un peuple autant d'obstacles à l'union avec un autre peuple dont
                  
                  la langue, la religion, les institutions et les  
                  habitudes sont différentes des siennes  Et  
                  pense-t-on que ces sentiments de rivalité et  
                  ces raisons d'éloignement disparaîtront avec  
                  l'adoption du projet de confédération que l'on  
                  nous propose? Pour ma part, je voudrais  
                  voir en Canada les deux nationalités rivaliser  
                  de progrès dans les travaux utiles de la paix.  
                  Cette rivalité, non pas dans des luttes corps à  
                  corps, mais dans la louable ambition de  
                  réaliser la plus grande prospérité, comme  
                  d'arriver aux plus hautes sphères de la  
                  science et aux plus profonds secrets des arts,  
                  donnerait à notre pays une puissance égale à 
                  la résultante des forces réunies de la France  
                  et de l'Angleterre, employées jusqu'à ce jour  
                  à pousser le monde vers les prodiges réalisés  
                  par le dix-neuvième siècle. Avec l'égalité 
                  du nombre et de la représentation sectionnelle,  
                  les deux nationalités ne peuvent se heurter  
                  l'une contre l'autre; mais avec la confédération, comme nous serons dans une très
                  
                  grande minorité dans le parlement général,  
                  qui a tous les pouvoirs importants de la  
                  législation, nous aurons à lutter constamment  
                  pour la défense et la conservation de nos  
                  droits politiques et de nos libertés. Sous  
                  l'union, les Canadiens-Français sont divisés  
                  dans cette chambre en deux camps opposés,  
                  parce qu'ils n'ont rien à craindre pour leurs  
                  intérêts nationaux; mais, avec la confédération, comme nous n'aurons que 48 membres
                  
                  français contre 146 dans la législature fédérale, il faudra que ces députés marchent
                  
                  comme un seul homme, et le fait seul de  
                  cette union des Canadiens-Français en une  
                  phalange serrée, fera que l'élément anglais  
                  s'unira de son côté pour la briser et la vaincre.  
                  C'est parce que je crains ces luttes que je ne  
                  puis approuver une constitution qui ne  
                  
                  
                  606
                  
                  garantit pas nos droits politiques, et dont le  
                  fonctionnement amènera nécessairement des  
                  conséquences désastreuses pour notre race.  
                  (Ecoutez! écoutez!) La lutte des nationalités, qui s'est trop longtemps faite en Europe,
                  
                  semblait ne pas avoir de raison d'être en  
                  Amérique. Il semblait qu'il y avait sur ce  
                  continent assez d'espace et assez d'avenir pour  
                  permettre à tout le monde, à tous les principes  
                  et à toutes les nationalités, d'y vivre en paix  
                  sans se coudoyer et sans se heurter. Il  
                  semblait que ceux qui avaient émigré de  
                  l'ancien monde devaient avoir à coeur de  
                  former sur ce continent de puissantes nations,  
                  sans y apporter les haines religieuses et  
                  nationales qui avaient divisé et ensanglanté  
                  l'Europe pendant si longtemps. Et, cependant, qu'avons-nous vu ici? Nous avons vu
                  
                  la France qui, la première, avait lancé les  
                  premiers apôtres du christianisme dans les  
                  vastes solitudes de l'Amérique du Nord, la  
                  France, qui la première avait planté son  
                  noble drapeau sur l'Ile de Montréal et les  
                  hauteurs de Québec; nous avons vu la France  
                  perdre jusqu'au dernier pouce de terrain  
                  qu'elle avait conquis sur ce continent, et ne  
                  laisser à ses enfants abandonnés en Canada  
                  qu'un avenir de luttes et de combats contre  
                  l'esprit d'envahissement de sa puissante  
                  rivale. (Ecoutez! écoutez!) Dès le commencement de la domination française en  
                  Amérique, nous avons vu se reproduire ici  
                  les luttes qui divisaient le continent Européen.  
                  On détruisait les bourgs et les villages comme  
                  s'il n'y avait pas eu assez d'espace dans ce  
                  nouveau monde pour les quelques poignées  
                  d'hommes venus pour l'habiter. Les premières scènes de cette guerre inqualifiable
                  
                  se sont passées en Acadie dès 1613 . Voici  
                  ce que je trouve dans GARNEAU à ce sujet:  
 
               
                
                  
                  "LA SAUSSAYE commença en 1612, sur la rive  
                     gauche de la rivière Penobscot, un établissement qu'il nomma St Sauveur. Tout alla
                     bien  
                     d'abord, et l'on se flattait déjà d'un succès au- delà de toute espérance, lorsqu'un
                     orage inattendu  
                     vint fondre sur la colonie et l'étouffer dans son  
                     berceau. L'Angleterre réclamait le pays jusqu'au  
                     45e degré de latitude septentrionale, c'est-à-dire 
                     tout le continent en remontant au nord jusque  
                     dans le cœur de l'Acadie. La France, au contraire, prétendait descendre vers le sud
                     jusqu'au  
                     40e degré. Il résultait de ce conflit que, tandis  
                     que LA SAUSSAYE se croyait dans les limites de la  
                     Nouvelle-France, à St. Sauveur, les Anglais le  
                     disaient fort avant sur leur territoire. Pour soutenir  
                     leur prétention, le capitaine ARGALL, de la Virginie, résolut d'aller le déloger,
                     aiguillonné par  
                     l'espoir de faire un riche butin et par ses préjugés  
                     contre les catholiques, qui avaient été cause de la  
                     ruine de POUTRINCOURT." 
   
               
               Ainsi, dès 1612, c'est-à-dire deux ou trois  
                  ans seulement après la fondation de Québec,  
                  on voit déjà les luttes de religion et de race  
                  commencer leur œuvre d'exclusivisme sur  
                  notre continent, et nous aurons encore à  
                  faire ces luttes, quelque désagréables qu'elles  
                  soient. Je continue:— 
 
               
                
                  
                  "Il parut tout à coup devant St Sauveur avec  
                     un vaisseau de 14 canons, et jeta la terreur  
                     parmi les habitants sans défense qui le prirent  
                     d'abord pour un corsaire. Le P. GILBERT DU THET  
                     voulut en vain opposer quelque résistance. Il  
                     fut tué et l'établissement livré au pillage. Tout  
                     fut pris ou saccagé, ARGALL lui-même donnant le  
                     premier exemple. Pour légitimer cet acte de piraterie, car c'en était un, il déroba
                     la commission de  
                     LA SAUSSAYE et fit semblant de le regarder, lui et  
                     les siens, comme des gens sans aveu. Peu à peu  
                     cependant il parut se radoucir, et proposa à ceux  
                     qui avaient des métiers de le suivre à Jamestown,  
                     d'où, après avoir travaillé un an, ils seraient  
                     rendus à leur patrie. Une douzaine acceptèrent  
                     cette offre. Les autres, avec LA SAUSSAYE et le P.  
                     MASSE, préférèrent se risquer sur une frêle embarcation pour atteindre la Hève, où
                     ils trouvèrent un  
                     bâtiment de St. Malo qui les transporta en France. 
   
               
                
                  
                  "Ceux qui s'étaient fiés à la parole d'ARGALL 
                     furent bien surpris, en arrivant à Jamesown, de se  
                     voir jeter en prison et traiter comme pirates. Ils  
                     réclamèrent vainement l'exécution du traité conclu  
                     avec lui: ils furent condamnés à mort. ARGALL,  
                     qui n'avait pas songé que la soustraction de la  
                     commission de LA SAUSSAYE finirait d'une manière  
                     aussi grave, ne crut pas devoir pousser la dissimulation plus loin, remit cette commission
                     au  
                     gouverneur, le chevalier THOMAS DALE, et avoua  
                     tout. Ce document et les renseignements puisés  
                     dans le cours de l'affaire, engagèrent le gouvernement de la Virginie à chasser les
                     Français de  
                     tous les points qu'ils occupaient au sud de la ligne  
                     45e. Une escadre de trois vaisseaux fut mise sous  
                     les ordres du même ARGALL pour aller exécuter  
                     cette résolution. 
   
               
                
                  
                  "La flotte commença par ruiner tout ce qui  
                     restait de l'ancienne habitation de Ste. Croix,  
                     vengeance inutile, puisqu'elle était abandonnée  
                     depuis plusieurs années, et cingla vers Port Royal  
                     où elle ne trouva personne, tout le monde étant  
                     aux champs à deux lieues de là et, en moins de  
                     deux heures, toutes les maisons furent réduites en  
                     cendre avec le fort." 
   
               
               Eh bien! M. le PRÉSIDENT, cette scène  
                  de dévastation et de vandalisme sur notre  
                  continent, qui comptait alors à peine 1,000  
                  blancs, donne la clé de tous les événements  
                  qui ont eu lieu depuis cette époque jusqu'à  
                  la conquête du Canada par les Anglais. Il  
                  y a dans ce fait la corroboration du principe  
                  qui veut que la nation la plus forte opprime  
                  la plus faible, à moins que des circonstances  
                  spéciales ne protégent l'une contre l'autre. Il  
                  y a ici la preuve que l'égalité sectionnelle  
                  garantie par le système de gouvernement  
                  
                  
                  607
                  
                  que nous possédons, a pu seule permettre en  
                  Canada aux différentes nationalités de vivre  
                  paisiblement l'une près de l'autre et de  
                  travailler avec succès à la prospérité commune. (Ecoutez! écoutez!) Mais la lutte
                  
                  commencée en 1613 entre la France et l'Angleterre devint plus meurtrière après un
                  
                  siècle et demi d'occupation; elle se répandit  
                  sur toute la frontière de la Nouvelle-France.  
                  A l'instigation de la race rivale, les tribus  
                  sauvages se ruèrent sur tous les établissements français du pays; et une guerre  
                  acharnée se poursuivit sans relâche, dans le  
                  but seul de chasser les Français de ce continent. Nous savons aujourd'hui quel a 
                  
                  été le résultat de cette lutte. On nous dit  
                  que nous n'avons pas à nous plaindre du  
                  système de gouvernement que nous avons  
                  aujourd'hui. C'est vrai; mais si nous avons  
                  ce gouvernement, c est parce que depuis la  
                  conquête les débris de la nation française  
                  restés au pays ont vaillamment lutté pour  
                  l'obtenir. Sans la révolution américaine,  
                  nous aurions eu aussi notre large part de souffrances et d'humiliations comme celles
                  que  
                  l'on a fait subir aux Acadiens. Le traitement  
                  que l'Angleterre leur a fait subir est un  
                  exemple de ce qui aurait pu nous arriver,  
                  sans notre nombre, et plus tard sans notre  
                  voisinage de la république américaine. Il  
                  existait en Acadie un noyau de Français qui  
                  vivaient paisibles et heureux, et qui s'étaient  
                  soumis à la domination anglaise sans murmurer, et cependant, parce qu'ils étaient
                  
                  faibles et qu'ils n'avaient plus le bras de la  
                  France pour les protéger, on les a vus  
                  déportés comme des nègres sur la côte d'Afrique par la philanthropique Angleterre.
                  
                  C'est là un fait historique important qu'il  
                  ne faut pas oublier, et dont il est bon de  
                  mettre les détails sous les yeux de notre  
                  population, au moment où l'élément anglais  
                  poursuit avec une ténacité digne d'une cause  
                  plus noble, une politique agressive et envahissante, cachée sous le projet de confédération
                  
                  qui nous est soumis. L'hon. député de  
                  Lanark Sud (M. MORRIS) nous disait,  
                  l'autre jour, que nous devions remercier  
                  l'Angleterre et lui être très reconnaissants  
                  du système de gouvernement que nous avions  
                  reçu d'elle. Mais à qui le doit-on, ce  
                  système? Est-ce à la libéralité de l'Angleterre? N'avons-nous pas obtenu nos droits
                  
                  politiques qu'au moment où elle ne pouvait  
                  plus sûrement nous les refuser? Non! M.  
                  le PRÉSIDENT, nous ne devons de reconnaissance et de remerciements qu'à nos com patriotes qui, de tout temps, ont vaillamment  
                  combattu pour les obtenir. Quand nous  
                  voyons des colonies françaises qui gémissent  
                  encore aujourd'hui sous le régime colonial  
                  anglais, et qui se plaignent à l'Europe des  
                  traitements qu'on leur fait subir, nous devons  
                  conclure que nous ne devons rien à l'Angleterre, mais qu'au contraire nous devons
                  tout à  
                  ceux qui, après un siècle de luttes, nous ont  
                  obtenu les réformes gouvernementales dont  
                  nous jouissons. Afin que notre population  
                  sache à quoi s'en tenir sur cette libéralité  
                  qu'on nous vante si souvent, permettez-moi,  
                  M. le PRÉSIDENT, de citer ici quelques  
                  pages de l'histoire du peuple acadien:  
 
               
                
                  
                  "La guerre de 1774 commença ses infortunes;  
                     celle de sept ans consomma sa ruine totale. Depuis  
                     quelque temps, les agents anglais agissaient avec la  
                     plus grande rigueur; les tribunaux, par des violations flagrantes de la loi, par des
                     dénis systématiques de justice, étaient devenus pour les pauvres  
                     habitans un objet à la fois de terreur et de haine. Le  
                     moindre employé voulait que sa volonté fût obéie. 
                  
                  
                   "Si vous ne fournissez pas de bois à mes troupes,  
                     disait un capitaine MURRAY, je démolirai vos  
                     maisons pour en faire du feu." "Si vous ne  
                     voulez pas prêter le serment de fidélité, ajoutait  
                     le gouverneur HOPSON, je vais faire pointer mes  
                     canons sur vos villages." Rien ne pouvait engager  
                     ces hommes honorables à faire un acte qui  
                     répugnait à leur conscience et que, dans l'opinion  
                     de bien des gens, l'Angleterre n'avait pas même  
                     le droit d'exiger. " Les Acadiens, observe M.  
                     HALIBURTON, n'étaient pas des sujets britanniques,  
                     puisqu'ils n'avaient point prêté le serment de  
                     fidélité, et ils ne pouvaient être conséquemment  
                     regardés comme des rebelles; ils ne devaient pas  
                     être non plus considérés comme prisonniers de  
                     guerre, ni envoyés en France, puisque depuis près  
                     d'un demi-siècle on leur laissait leurs possessions  
                     à la simple condition de demeurer neutres." Mais 
                     beaucoup d'intrigants et d'aventuriers voyaient  
                     leurs belles fermes avec envie; quels beaux  
                     héritages! et, par conséquent, quel appât. Il ne  
                     lui fut pas difficile de trouver des raisons politiques pour justifier l'expulsion
                     des Acadiens. La  
                     très grande majorité n'avait fait aucun acte pour  
                     porter atteinte à la neutralité; mais, dans la  
                     grande catastrophe qui se préparait, l'innocent  
                     devait être enveloppé avec le coupable. Pas un  
                     habitant n'avait mérité grâce. Leur sort fut  
                     décidé dans le conseil du gouverneur LAWRENCE,  
                     auquel assistèrent les amiraux BOSCAWEN et  
                     MOSTYN, dont les flottes croisaient sur les côtes.  
                     Il fut résolu de disperser dans les colonies anglaises ce qui restait de ce peuple
                     infortuné; et,  
                     afin que personne ne pût échapper, le secret le  
                     plus profond fut ordonné jusqu'au moment fixé  
                     pour l'enlèvement, qui devait avoir lieu le même  
                     jour et à la même heure sur tous les points  
                     de l'Acadie à la fois. On décida aussi, pour  
                     rendre le succès plus complet, de réunir les habitants dans les principales localités.
                     Des proclamations, dressées avec une perfide habileté, les  
                     invitèrent à s'assembler dans certains endroits  
                     
                     
                     608
                     
                     sous les peines les plus rigoureuses. Quatre cent  
                     dix-huit chefs de famille, se fiant sur la foi britannique se réunirent ainsi le 5
                     septembre dans  
                     l'église du Grand-Pré. Le colonel WlNSLOW s'y  
                     rendit avec un grand appareil. Là il leur montra  
                     la commission qu'il tenait du gouverneur, et leur  
                     dit qu'ils avaient été assemblés pour entendre la  
                     décision finale du roi à leur égard. Il leur déclara  
                     que quoique ce fût pour lui un devoir bien  
                     pénible à remplir, il devait, en obéissance à ses  
                     ordres, les informer " que leurs terres et leurs  
                     bestiaux de toutes sortes étaient confisqués au  
                     profit de la couronne avec tous les autres effets,  
                     excepté leur argent et leur linge, et qu'ils allaient  
                     être eux-mêmes déportés hors de la province."  
                     Aucun motif ne fut donné de cette décision, et il  
                     n'en pouvait être donné aucun. En pleine civilisation et en temps de calme politique
                     et religieux,  
                     une pareille spoliation n'était point justifiable  
                     et il devait, comme l'usurier, dissimuler son forfait  
                     par le silence. Un corps de troupes, qui s'était  
                     tenu caché jusque-là, sortit de sa retraite et cerna  
                     l'église: les habitants, surpris et sans armes, ne  
                     firent aucune résistance. Les soldats rassemblèrent les femmes et les enfants; 1023
                     hommes,  
                     femmes et enfants, se trouvèrent réunis au Grand- Pré seulement. Leurs bestiaux consistaient
                     en  
                     1269 boeufs, 1557 vaches, 5007 veaux, 493 chevaux, 3690 moutons, 4197 cochons. Quelques
                     
                     Acadiens s'étant échappés dans les bois, on dévasta le pays pour les empêcher de subsister.
                     
                     Dans les Mines l'on brûla 276 granges, 155 autres  
                     petits bâtiments, onze moulins et une église.  
                     Ceux qui avaient rendu les plus grands services  
                     au gouvernement, comme le vieux notaire LE  
                     BLANC, qui mourut à Philadelphie de chagrin et  
                     de misère, en cherchant ses fils dispersés dans les  
                     provinces anglaises, ne furent pas mieux traités  
                     que ceux qui avaient favorisé les Français. On  
                     ne fit aucune distinction. Il fut permis aux  
                     hommes de l'une comme de l'autre catégorie, et  
                     c'est le seul adoucissement qu'on leur permit avant  
                     de s'embarquer, de visiter, dix par dix, leurs  
                     familles, et de contempler pour la dernière fois  
                     ces champs naguères si calmes et si heureux qui  
                     les avaient vus naîtres et qu'ils ne devaient plus  
                     revoir. Le 10 fut fixé pour l'embarquement. Une 
                     résignation calme avait succédé à leur premier  
                     désespoir. Mais lorsqu'il fallut dire un dernier  
                     adieu à leur pays pour aller vivre dispersés au  
                     milieu d'une population étrangère de langue, de  
                     coutume, de mœurs et de religion, le courage  
                     abandonna ces malheureux, qui se livrèrent à la  
                     plus profonde douleur. En violation de la promesse qui leur avait été faite, et, par
                     un rafinement  
                     de barbarie sans exemple les mêmes familles  
                     furent séparées et dispersées sur différents vaisseaux. Pour les embarquer, on rangea
                     les prisonniers sur six de front, les jeunes gens en tête.  
                     Ceux-ci ayant refusé de marcher, réclamant l'exécution de la promesse d'être embarqués
                     avec  
                     leurs parents, on leur répondit en faisant avancer  
                     contre eux les soldats la bayonnette croisée. Le  
                     chemin de la chapelle du Grand-Pré à la rivière  
                     Gaspareaux avait un mille de longueur; il était  
                     bordé des deux côtés de femmes et d'enfants qui,  
                     à genoux et fondant en larmes, les encourageaient  
                     en leur adressant leurs bénédictions. Cette  
                      lugubre procession défila lentement en priant et  
                     en chantant des hymnes. Les chefs de famille  
                     marchaient après les jeunes gens. Enfin, la procession atteignit le rivage. Les hommes
                     furent  
                     mis sur des vaisseaux, les femmes et les enfants  
                     sur d'autres, pêle-mêle, sans qu'on prit le moindre  
                     soin pour leur commodité. Des gouvernements  
                     ont commis des actes de cruauté dans un mouvement de colère irréfléchie; mais ils
                     avaient été  
                     provoqués, irrités par des agressions et des  
                     attaques répétées; il n'y a pas d'exemple dans les  
                     temps modernes de châtiment infligé sur un peuple  
                     paisible et inoffensif avec autant de calcul, de  
                     barbarie et de sang-froid, que celui dont il est ici  
                     question. 
                  
                  
                   "Tous les autres établissements des Acadiens  
                     présentèrent, le même jour et à la même heure, le  
                     même spectacle de désolation. Les vaisseaux,  
                     chargés de leurs nombreuses victimes, firent voile  
                     pour les différentes provinces où ils devaient les  
                     disperser. Ils les semèreut sur le rivage depuis  
                     Boston jusqu'à la Caroline, sans pain, sans protection, les abandonnant à la charité
                     du pays où ils  
                     pouvaient se trouver. Pendant de longs jours  
                     après leur départ, on vit leurs bestiaux s'assembler  
                     autour des ruines de leurs habitations, et les chiens  
                     passer les nuits à pleurer par de longs hurlements  
                     l'absence de leurs maîtres. Heureux encore dans  
                     leur douleur, ils ignoraiont jusqu'à quel excès  
                     l'avarice et l'ambition peuvent porter les hommes." 
   
               
               Eh bien! M. le PRÉSIDENT, voici des  
                  faits qu'il est important de se rappeler.  
                  Voici une colonie française située à quelques  
                  cents lieues du Canada, qui est déportée en  
                  masse et dont les débris sont revenus longtemps après sur le même territoire. Bien
                  
                  plus, c'est avec les descendants d'une partie  
                  de ces exilés qu'on nous propose aujourd'hui  
                  de nous unir. Il y a quelques mois à peine  
                  je passais parmi ces populations, et quand  
                  je voyais les magnifiques propriétés dont on  
                  les avait dépouillés si brutalement pour les  
                  donner à leur bourreaux, je me rappelais  
                  malgré moi leur navrante histoire,—et cette  
                  vue, je dois le dire, n'était pas faite pour me  
                  faire accepter le projet de confédération sans  
                  le bien étudier dans tous ses détails. Je le  
                  répète, M. le PRÉSIDENT, ce sont là des  
                  faits qu'il ne faut pas oublier. (Rires et  
                  chuchottements à droite.) Avoir la manière  
                  dont certains membres de cette chambre  
                  accueillent le récit des pages les plus sombres  
                  de l'histoire de la Nouvelle-France, M. le  
                  PRÉSIDENT, on croirait vraiment que les  
                  faits que je cite n'ont jamais existé et qu'ils  
                  n'ont pas leur enseignement pour l'avenir.  
                  Au reste, cela ne m'étonne pas de leur part,  
                  du moment qu'ils peuvent approuver un  
                  projet de constitution qui contient une clause  
                  par laquelle le gouvernement impérial pourra  
                  même changer notre nom de Canadiens pour  
                  
                  
                  609
                  
                  nous donner celui qu'il lui plaira. Il faut  
                  que les souvenirs de nos luttes ne soient pas  
                  bien vivaces dans leur mémoire et que  
                  l'amour de leur nationalité ait de bien faibles  
                  racines dans leur coeur pour qu'ils consentent  
                  à perdre, avec le nom du Canada, la gloire  
                  d'un passé héroïque. (Ecoutez! écoutez!)  
                  Avec la confédération, le Canada ne sera  
                  plus un pays ayant son individualité propre,  
                  son histoire et ses mœurs distinctes, mais il  
                  sera un Etat de la confédération dont le nom  
                  général fera disparaître les noms particuliers  
                  de chaque province dont elle sera composée.  
                  Voyez les Etats de l'Union Américaine: le  
                  nom des Etats-Unis fait disparaître celui des  
                  Etats particuliers; de même pour le Canada,  
                  le nom de la confédération sera le seul sous  
                  lequel nous serons connu à l'étranger. Pour  
                  moi, je suis fier de l'histoire de notre pays  
                  et de mon nom de Canadien, et je veux les  
                  conserver. Je ne suis pas de ceux qui  
                  peuvent entendre sans intérêt le récit des  
                  luttes héroïques de la race française en  
                  Amérique, ainsi que peut le faire l'hon.  
                  député de Rouville (M POULIN); pour moi,  
                  les considérations de nationalité, de famille,  
                  de langage et de race doivent être les plus  
                  chères d'un peuple, bien qu'elles paraissent  
                  n'avoir aucune importance ou aucun intérêt  
                  aux yeux de l'hon. député. (Ecoutez!  
                  écoutez!)  
               
               
               
               Six heures sonnent et la chambre s'ajourne  
                  à 7 1/2 heures. p m.  
               
               
               
               
               
               
               
               M. le PRÉSIDENT,—Au moment où j'interrompais mes remarques à l'ajournement  
                  de six heures, j'en étais à montrer l'esprit  
                  d'antagonisme et de lutte qui avait régné sur  
                  le continent américain jusqu'en 1755. L'on  
                  a vu l'Acadie en proie aux attaques des  
                  habitants de la Nouvelle-Angleterre, et, en  
                  dernier lieu, on a vu la population dispersée  
                  sur les côtes inhospitalières de ce continent  
                  bordées par l'Atlantique. La Nouvelle-France  
                  avait donc perdu la plus grande partie de  
                  son territoire en Amérique. La guerre de  
                  sept ans avançait à pas de géant, et tous les  
                  jours l'élément français était restreint dans  
                  des limites plus étroites. Après de longues 
                  luttes où des poignées d'hommes combattirent contre des armées dix fois plus nombreuses,
                  lorsqu'ils étaient sans pain, sans  
                  munitions et presque sans espoir, la bataille  
                  des plaines d'Abraham vint porter le dernier  
                  coup à la puissance française en Amérique.  
                  L'année suivante, la bataille de Ste. Foye,  
                   qui eût lieu le 28 avril 1760, forçait bientôt  
                  les Canadiens à capituler, bien qu'ils eussent  
                  été vainqueurs dans cette bataille, et que les  
                  Anglais eussent été obligés de fuir derrière  
                  les murs de Québec. Dans le traité de  
                  capitulation, l'Angleterre garantissait aux  
                  Canadiens-Français le libre exercice de leur  
                  culte, la conservation de leurs institutions,  
                  l'usage de leur langue et le maintien de leurs  
                  lois. Après cette lutte sur le champ d'honneur, qui attira aux Canadiens-Français
                  le  
                  plus magnifique éloge de leur gouverneur, 
                  nous allons les voir aux prises dans une nouvelle lutte, lutte politique plus glorieuse
                  
                  encore que celle qui avait précédé la cession  
                  du Canada à l'Angleterre. Mais permettez- moi, M. le PRÉSIDENT, de citer d'abord 
                  
                  l'éloge que faisait des Canadiens le gouverneur VAUDREUIL, dans une lettre qu'il écrivait
                  aux ministres de LOUIS XIV:—"Avec  
                  ce beau et vaste pays la France perd 70,600  
                  âmes, dont l'espèce est d'autant plus rare que  
                  jamais peuples n'ont été aussi dociles, aussi  
                  braves et aussi attachés à leur prince " Ces  
                  qualités qui distinguaient les Canadiens- Français à cette époque existent encore
                  dans  
                  le cœur de la population d'aujourd'hui.  
                  Aujourd'hui encore ils sont loyaux, braves  
                  et monarchiques, ils aiment les institutions  
                  stables et les garanties de paix que donne un  
                  grand pouvoir, et les luttes qu'ils ont eu à  
                  faire sous la domination anglaise ont été la  
                  meilleure preuve de leur loyauté. Quand on  
                  étudie l'histoire de nos luttes depuis la cession du Canada, on voit que nos hommes
                  
                  publics ont toujours été attachés à la couronne de l'Angleterre, jusqu'au moment où
                  
                  ils ont été forcés, par l'arbitraire et l'injustice  
                  du gouvernement impérial, à recourir aux  
                  armes pour obtenir que nos droits politiques  
                  et nos libertés fussent respectés, et c'est  
                  ainsi qu'en 1837 nous avons conquis le gouvernement responsable. (Ecoutez! écoutez!)
                  
                  Mais, afin de faire voir quel a toujours été  
                  l'esprit d'agression et d'envahissement de la  
                  population anglaise, en Amérique, je vais  
                  faire l'historique des luttes que nous avons  
                  eu à subir depuis un siècle, pour arriver  
                  enfin à la constitutlon actuelle que je veux  
                  conserver, mais que nos ministres veulent  
                  détruire pour y substituer le projet de confédération; nous verrons dans cet historique
                  
                  que nous ne devons aucune reconnaissance à  
                  l'Angleterre pour les réformes politiques  
                  que nous n'avons obtenues que grâce au patriotisme inébranlable de nos grands hommes,
                  
                  qui ont vaillament lutté avec intelligence,  
                  
                  
                  610
                  
                  énergie et persévérance, pour la défense  
                  constante de nos droits. On verra aussi que  
                  s'ils ont obtenu le système de gouvernement  
                  et les libertés politiques pour lesquels ils  
                  combattaient, c'est parce que nous avions  
                  pour voisins les Etats de l'Union Américaine, et qu'à côté du mal se trouvait le 
                  
                  remède. On verra que chaque fois que  
                  l'Angleterre a eu besoin de nous, pour défendre sa puissance, elle nous a fait des
                  concessions, mais qu'une fois le danger passé, le  
                  fanatisme impérial a toujours essayé de  
                  reprendre ces concessions et d'anéantir l'influence et les libertés de la race française
                  en  
                  Canada. Chaque page de l'histoire parlementaire de notre pays en offre de nouvelles
                  
                  preuves. Mais nous avions alors des hommes  
                  qui savaient lutter pour une noble cause et  
                  qui ne craignaient pas les dangers de la lutte.  
                  J'espère M. le PRÉSIDENT, que nous avons  
                  encore de ces hommes sans peur et sans  
                  reproche dans le Bas-Canada. J'espère que  
                  les ministres actuels sont sincères au moment  
                  où ils abandonnent les garanties de la constitution actuelle. S'ils peuvent arriver
                  à un  
                  heureux résultat avec leur projet de confédération, je serai le premier à les en féliciter
                  
                  et la postérité les remerciera d'avoir eu la  
                  hardiesse de proposer un aussi vaste projet.  
                  Mais, je dois le dire, il y a des hommes aussi  
                  intelligents, aussi dévoués aux plus chers  
                  intérêts de notre pays, que les hon. membres  
                  assis sur les bancs du ministère, qui sont  
                  convaincus que ce projet, loin d'être un  
                  remède aux difficultés actuelles, n'est qu'un  
                  nouvel engin monté par nos adversaires  
                  naturels pour mieux anéantir l'influence de  
                  la race française en Amérique,—influence  
                  pour la conservation de laquelle il nous a  
                  fallu combattre à chaque pas depuis l'époque  
                  de la domination anglaise en Canada (Ecoutez! écoutez!) La première lutte politique
                  
                  entre l'élément français et l'élément anglais  
                  dans le pays, a eu lieu quelques années  
                  seulement après que le traité de capitulation  
                  eût été signé. Le général qui commandait  
                  alors en Canada établit un système de gouvernement militaire. Ce système pouvait 
                  
                  avoir sa raison d'être après une guerre aussi  
                  longue et aussi meurtrière que celle que  
                  l'on venait de traverser, et qui avait laissé  
                  tant d'animosités légitimes dans le cœur des  
                  vainqueurs et des vaincus. Toutefois, le  
                  traité de capitulation portait que les Canadiens  
                  seraient "sujets du roi," et, comme tels, ils avaient droit à un gouvernement représentatif.
                  La foi des traités fut donc brisée dès  
                   les premiers jours de la domination anglaise  
                  en Canada et, comme j'aurai l'honneur de le  
                  démontrer à cette chambre, ce n'était là que  
                  le premier anneau de cette longue chaîne  
                  d'actes arbitraires que nous avons eu à subir  
                  depuis cette époque. Voici, M. le PRÉSIDENT, le premier acte agressif que je me  
                  permettrai de citer à l'appui de mon avancé:  
 
               
                
                  
                   "Le général MURRAY, suivant ses instructions,  
                     forma un nouveau conseil, cumulant les pouvoirs  
                     exécutif, législatif et judiciaire, et composé des  
                     lieutenants—gouverneurs de Montréal et des Trois- Rivières, du juge-en-chef, de l'inspecteur
                     des  
                     douanes et de huit personnes influentes. On ne  
                     prit qu'un seul homme obscur du pays pour faire  
                     nombre." 
   
               
                C'était là le premier acte dont on eût à se  
                  plaindre:— 
 
               
                
                  
                   "Un proposa de prendre possession de l'évêché  
                     de Québec avec ses propriétés et de les donner à  
                     l'évêque de Londres, de n'accorder aux catholiques qu'une tolérance limitée, d'exiger
                     d'eux le  
                     serment de fidélité, et de les déclarer incapables,  
                     comme catholiques, de posséder des charges publiques. La justice était administrée
                     par des  
                     hommes ignorant les lois du pays et dans une  
                     langue inconnue aux Canadiens." 
   
               
                Il n'y a pas besoin de faire de longs commentaires sur la manière tout à fait injuste
                  
                  dont on traita ainsi les Canadiens, et sur la  
                  violation flagrante des conditions du traité  
                  de capitulation de Montréal. Mais on  
                  verra bientôt que la crainte d'un danger  
                  prochain a pu seule nous obtenir des libertés  
                  politiques, car alors l'élément français pouvait  
                  seul maintenir la puissance anglaise en  
                  Amérique.  
 
               
                
                  
                   "Les partisans anglais s'assemblèrent à Québec  
                     on octobre 1773, pour rédiger une adresse dans  
                     le but d'obtenir une chambre d'assemblée." 
   
               
                Et voici ce que le gouvernement impérial  
                  leur répondit par l'intermédaire d'un de ses  
                  ministres:  
 
               
                
                  
                   "
As to on assembly of protestants only, I see no  
                        objection to the establishment of one, but the danger  
                        of disobliging the catholics of the province, who are  
                        so much superior in number." (
*) 
                     
    
               
                Voilà la seule considération qui a pu  
                  empêcher la réalisation de la proposition  
                  faite, on 1773, d'établir une chambre d'assemblé canadienne composée de protestants
                  
                  seulement, et pourtant, sur une population de  
                  80,000 âmes 500 familles seulement étaient  
                  
                  
                  
                  
                  611
                  
                  alors anglaises et protestantes. Quelle plus  
                  grande injustice pouvait-on nous faire?  
                  Mais l'élément anglais fit encore d'autres  
                  propositions au gouvernement impérial:  
 
               
                
                  
                   "Six suggestions différentes furent faites relativement à la nouvelle forme de gouvernement
                     que  
                     l'on voulait introduire: 1°—L'on demandait d'établir une chambre d'assemblée composée
                     exclusivement de protestants, tels que l'entendaient les  
                     Anglais par la proclamation royale du mois d'octobre 1763. 2°—Une assemblée composée
                     également  
                     de catholiques et de protestants. 3°—Une assemblée composée presqu'entièremeut de
                     protestants  
                     avec un nombre limité de catholiques. 4°—De déléguer au gouverneur et à son conseil
                     un pouvoir  
                     suffisant pour lier la province, en augmentant le  
                     nombre des membres qui seraient tous protestants; ou, 5°—Protestants et catholiques;
                     6°—Ou  
                     encore de protestants avec un nombre restreint et  
                     limité de catholiques." 
   
               
                Ainsi, dès la première tentative faite pour  
                  donner au Canada français une organisation  
                  politique, nous voyons l'exclusivisme le plus  
                  éhonté former la base des propositions suggérées. Il y avait à peine trois mille colons
                  
                  Anglais, contre 75,000 Français, et déjà on  
                  nous refusait d'être représentés dans le  
                  conseil du gouverneur, pour y exposer les  
                  besoins du pays et veiller à la défense de nos  
                  droits.  
 
               
                
                  
                   "Le baron del'échiquier (MASÈRES) fit un projet  
                     de loi par lequel il suggérait d'élever à trente-un  
                     le nombre des membres du conseil, que celui-ci  
                     fût indépendant du gouverneur au lieu d'être  
                     sujet à suspension, que le quorum fût fixé à dix- sept; de plus, qu'il n'eût point
                     le pouvoir d'imposer de taxes, qu'il fût créé pour sept ans, et  
                     composé que de protestants—dispositions calculées  
                     pour écarter des affaires et des emplois l'élément  
                     français et catholique." 
   
               
                Toujours l'exclusion des catholiques et  
                  par conséquent de l'élément français! Mais  
                  qu'arriva-t-il? Est-ce que les Français restèrent apathiques en face du danger qui
                  
                  les menaçait? Non! à cette nouvelle, ils  
                  signèrent des pétitions, et ils obtinrent de  
                  l'Àngleterre la justice qu'on leur refusait  
                  ici:—
 
               
                
                  
                   "Nos malheureux ancêtres, néanmoins, ne restèrent point oisifs devant les menaces
                     et les injustices de leurs adversaires; la colonie possédait des  
                     hommes capables de juger et de prévoir les événements; des requêtes furent faites
                     et l'on signa dans  
                     le mois de décembre 1773, une pétition qui s'exprimait en ces termes: 
                  
                  
                     "Dans l'année 1764, Votre Majesté daigna faire  
                     cesser le gouvernement militaire ans cette colonie  
                     pour y introduire le gouvernement civil. Et, dès  
                     l'époque de ce changement, nous commençâmes à  
                     nous apercevoir des inconvénients qui résultaient  
                     des lois britanniques qui nous étaient jusqu'alors  
                     inconnues. Nos anciens citoyens, qui avaient réglé  
                      sans frais nos difficultés, furent remerciés. Cette  
                     milice, qui se faisait une gloire de porter ce beau  
                     nom sous votre empire, fut supprimée. On nous  
                     accorda à la vérité le droit d'être jurés, mais en  
                     même temps on nous fit éprouver qu'il y avait des  
                     obstacles pour nous à la possession des emplois.  
                     On parla d' introduire les lois d'Angleterre, infiniment sages et utiles pour la mère-patrie,
                     mais qui  
                     ne pourraient s'allier avec nos coutumes sans renverser nos fortunes et détruire entièrement
                     nos  
                     possessions ...............................................................  
                  
                  
                   "Daignez, illustre et généreux monarque, dissiper ces craintes en nous accordant
                     nos anciennes  
                     lois, priviléges et coutumes, avec les limites du  
                     Canada telles qu'elles étaient ci-devant. Daignez  
                     répandre également vos bontés sur tous vos sujets  
                     sans distinction ..... et nous accorder en commun,  
                     avec les autres, les droits et priviléges de citoyens  
                     anglais; alors ...... nous serons toujours prêts à les  
                     sacrifier pour la gloire de notre prince et le bien de  
                     notre patrie." 
   
               
                Et c'est toujours le sentiment de la population française en Amérique: elle a toujours
                  été loyale envers le pouvoir du moment  
                  qu'elle en a obtenu la protection à laquelle  
                  elle avait droit. Dans les circonstances  
                  difficiles où se trouvait l'Angleterre, les  
                  demandes des Canadiens ayant été accueillies favorablement, servirent de base à l'acte
                  
                  de 1774. En effet, les circonstances étaient  
                  difficiles  La politique de la mère-patrie  
                  avait aliéné ses sujets de la Nouvelle-Angleterre. L'idée de taxer les colonies pour
                  
                  subvenir aux besoins du trésor impérial  
                  avait soulevé une profonde indignation de ce  
                  côté de l'Atlantique. Et c'est cette politique  
                  coloniale, mal conseillée, qui a fait perdre  
                  à l'Angleterre ses colonies américaines.  
                  Instruite par cette révolte, l'Angleterre  
                  comprit qu'elle devait accorder des libertés  
                  politiques plus grandes à ses colons français  
                  du Canada. Ils ne voulaient pas se soustraire  
                  à la domination anglaise. Ils voulaient au  
                  contraire rester sous son drapeau, car ils  
                  craignaient d'être entraînés dans la république voisine, dont on ne prévoyait pas
                  alors  
                  la grandeur future. Poussé par la crainte  
                  de perdre ce qu'il lui restait en Amérique,  
                  l'Angleterre dût se prêter aux concessions  
                  que lui demandait le Canada au moment où  
                  la guerre de l'indépendance exigeait le concours de l'élément français:  
 
               
                
                  
                   "Quand, dit GARNEAU, on appréhenda la guerre  
                     avec les colonies anglaises d'Amérique, on sut taire  
                     les préjugés pour se rendre favorables les Canadiens  
                     en leur accordant l'acte de 1774, connu nous le nom  
                     d'"Acte de Québec." Cette loi impériale établissant  
                     un conseil législatif chargé, avec le gouverneur, de  
                     faire des lois, nous garantissait de nouveau le libre  
                     exercice de notre religion, maintenait nos lois et  
                     nos coutumes, et dispensait les catholiques, pour  
                     devenir membres du conseil, de prêter le serment  
                     contre leur religion."  
  
               
               
               612
               
               
               
                Voilà ce que nous mérite la guerre de  
                  l'indépendance des Etats-Unis. L'Angleterre vit qu'en mécontentant les Canadiens,
                  
                  c'en était fait de sa puissance en Amérique,  
                  et c'est alors seulement qu'elle concèda au  
                  Canada français l'"Acte de Québec," qui était  
                  un acheminement vers de plus grandes  
                  libertés. L'hon procureur-général du Bas- Canada nous a lu, l'autre jour, plusieurs
                  
                  passages de notre histoire pour nous prouver  
                  que les bras des Canadiens-Français avaient  
                  seuls empêché l'anéantissement de la domination anglaise sur ce continent. Mais il
                  
                  n'a pas tiré toutes les conclusions auxquelles  
                  il aurait pu arriver des prémisses qu'il avait  
                  posées et des faits qu'il avait cités. Il  
                  aurait dû nous dire si, en face de ces  
                  services vaillamment rendus, il est juste que  
                  l'élément anglais, s'appuyant sur son nombre,  
                  nous impose aujourd'hui la représentation  
                  basée sur la population, dût-il, par cette  
                  mesure agressive, ébranler notre loyauté  
                  pour l'Angleterre en créant un système de  
                  gouvernement qui nous répugne et dans  
                  lequel l'élément français perdra sa juste part  
                  d'influence dans l'administration des affaires  
                  de notre pays —C'est à cette époque qu'une  
                  adresse fut envoyée aux Canadiens par le  
                  congrès américain, leur demandant de s'unir  
                  à lui dans la révolte contre la métropole:  
 
               
                
                  
                  "Saisissez, disait le congrès, saisissez l'occasion  
                     que la Providence elle-même vous présente; si vous  
                     agissez de façon à conserver votre liberté, vous  
                     serez effectivement libres." 
   
               
               M. le PRÉSIDENT, tout le monde sait  
                  la réponse que firent les Canadiens à cet  
                  appel. Des armées envahirent notre territoire et prirent possession d'une partie du
                  
                  pays. Québec seul tenait encore, grâce à 
                  une garnison en partie Canadienne-Française qui la défendait. Et, si nous sommes 
                  
                  encore aujourd'hui abrités sous les plis du  
                  drapeau britannique, c'est aux Canadiens- Français qu'on le doit, et ce sont eux que
                  
                  l'Angleterre doit remercier. Mais si l'on  
                  veut maintenant nous imposer un système  
                  politique dont le seul but est de nous noyer  
                  dans une majorité hostile, nous devons en  
                  remercier les Anglais à qui nos pères ont, en  
                  1775, conservé ce pays. Après la défaite  
                  des Américains devant Québec, le congrès ne  
                  se découragea pas; un second manifeste fut  
                  envoyé un Canada, promettant de nouveaux  
                  renforts; des hommes éminents vinrent dans  
                  le pays: FRANKLIN, CHASE, CARROLL, sollicitèrent en vain les Canadiens de se joindre
                  
                  à eux. Le Dr. CARROLL, mort on 1815,  
                   évêque de Baltimore, fut envoyé auprès du  
                  clergé canadien sans plus de succès, et l'on  
                  dût enfin renoncer à tout espoir de s'emparer  
                  de cette importante colonie. Ces faits  
                  devaient nécessairement éclairer l'opinion  
                  publique, et l'Angleterre comprit qu'il  
                  valait mieux pour elle satisfaire aux justes  
                  demandes du peuple canadien, afin de pouvoir  
                  compter sur lui aux jours du danger et s'en  
                  servir comme d'un rempart contre les Etats- Unis. C'est alors qu'on nous accorda une
                  
                  constitution plus libérale,—celle de l791  
 
               
                
                  
                  "PITT, éclairé par les anciennes fautes de l'Angleterre dans l'administration des
                     Etats-Unis, et  
                     par le grand exemple de son père, Lord CHATHAM, 
                     présenta à la chambre des communes un projet de  
                     loi tendant à octroyer au Canada une nouvelle  
                     constitution consacrant le principe électif et divisant la colonie en deux provinces
                     distinctes, le  
                     Haut et le Bas-Canada.  
                  
                  
                  "Le bill, après quelques amendements, dont l'un  
                     fut de porter la représentation de trente à cinquante  
                     membres, passa sans division dans les deux  
                     chambres  Le célèbre homme d'état BURKE, en  
                     donnant son assentiment au bill, disait: "Essayer  
                     d'unir des peuples qui diffèrent de langue, de lois,  
                     de mœurs, c'est très absurde. C'est semer des  
                     germes de discorde, chose indubitablement fatale  
                     à l'établissement d'un nouveau gouvernement. Que  
                     leur constitution soit prise dans la nature de  
                     l'homme, la seule base solide de tout gouvernement." Le chef non moins célèbre du
                     parti whig,  
                     FOX, opposé à la division des provinces, se prononça pour obtenir un conseil législatif
                     électif en  
                     Canada. "Avec une colonie comme celle-là, observait cet orateur susceptible de progrès,
                     il est important qu'elle n'ait rien à envier à ses voisins.  
                     Le Canada doit rester attaché à la Grande-Bretagne  
                     par le choix de ses habitants: il sera impossible  
                     de le conserver autrement. Mais, pour cela, il faut  
                     que les habitants sentent que leur situation n'est  
                     pas pire que celle des Américains." 
   
               
               Cette constitution de 1791 fut une  
                  grande concession faite au Bas-Canada.  
                  Il avait enfin une chambre élective, où le  
                  peuple put exprimer ses opinions et porter  
                  ses vœux jusqu'au pied du trône. Aussi  
                  vit-on de suite une génération d'hommes  
                  éminents dont l'histoire conservera honorablement les noms bénis, représenter les
                  
                  intérêts qui leur étaient confiés avec une  
                  habileté étonnante et un succès peu commus.  
 
               
                
                  
                  "Les élections furent fixées pour le mois de juillet,  
                     et la réunion des chambres pour le mois de décembre. Sur 50 membres, 16 Anglais furent
                     élus  
                     malgré l'opposition constante que ces derniers,  
                     avaient montrée aux intérêts canadiens-français" 
   
               
               Ainsi, dès la première chambre élective,  
                  et malgré toute l'oppoütion que le parti  
                  français rencontrait de la part du parti  
                  anglais, nous voyons seize députés anglais  
                  élus en grande partie par les votes de nos  
                  
                  
                  613
                  
                  nationaux. Nous avons entendu, il y a quelques jours, dans cette chambre, des membres
                  
                  du Haut-Canada faire l'éloge de notre libéralité et avouer que jamais le fanatisme
                  
                  national ou religieux n'était venu de  
                  notre part. Cela est vrai; nous sommes  
                  essentiellement libéraux et tolérants, et il  
                  suffit, pour en avoir la preuve la plus frappante, de compter le nombre de députés
                  de  
                  cette chambre qui, bien que de religion et  
                  de race différentes des nôtres, représentent  
                  cependant des comtés en grande partie ou  
                  exclusivement français et catholiques. C'est  
                  là un motif d'orgueil pour nous! Malheureusement, nous ne sommes pas payés de  
                  retour, et nous ne rencontrons pas la même  
                  libéralité chez la population anglaise. Partout où elle est en majorité, elle nous
                  ferme  
                  la porte des honneurs et des emplois. Elle  
                  nous exclut partout où elle est assez puissante  
                  pour le faire.—Dès le premier parlement du  
                  Bas-Canada, les Anglais, bien que dans une  
                  insignifiante minorité, s'efforcent de proscrire  
                  l'usage de la langue française, et de ce jour  
                  commencent entre les deux races les mêmes  
                  luttes que celle dont nous sommes aujourd'hui les témoins. L'on nous dit que les 
                  
                  temps sont changés: c'est vrai; mais si leurs  
                  tentatives d'oppression sont moins hardies,  
                  si elles se cachent sous des dehors mieux  
                  faits pour nous tromper, c'est seulement 
                  parce que nous sommes plus nombreux  
                  aujourd'hui que nous ne l'étions alors, et  
                  que l'on craint plus que jamais le voisinage  
                  de l'Union américaine, où plus que jamais il  
                  serait facile à notre population de trouver  
                  un remède énergique aux maux dont elle  
                  aurait à se plaindre. Mais voyons maintenant, M. le PRÉSIDENT, ce qui se passa  
                  à l'ouverture de notre première chambre  
                  d'assemblée: je cite un auteur qui a toujours  
                  appuyé le parti de l'hon. procureur-général  
                  EST:—
 
               
                
                  
                  "Le parlement s'ouvrit le l7 décembre dans le  
                     palais épiscopal occupé par le gouvernement depuis  
                     la conquête. Il fallut choisir un président, et M.  
                     J. PANET fut proposé. C'est alors que l'on vit des  
                     membres anglais renouveler leurs tentatives pour  
                     tenir la suprématie et mépriser les intérêts de  
                     ceux par qui ils avaient été élus. Sans la moindre délicatesse et en dépit de leurminorité,
                     ils proposèrent  
                     en opposition à M. PANET, MM. GRANT. MCGILL  
                     et JORDAN. L'élection de M. PANET fut emportée  
                     par une majorité de 28 contre 18, deux Canadiens  
                     ayant voté contre lui. La haine que le parti anglais  
                     portait au nom canadien, se manifesta davantage  
                     lorsqu'une proposition fut faite pour rédiger les  
                     procédés de la chambre dans les deux langues.  
                  
                  
                  "Une discussion très vive et très animée s'éleva  
                      des deux partis opposés, et cette demande si raisonnable fut considérée comme une
                     espèce de  
                     révolte contre la métropole. L'on taxa les membres  
                     français d'insubordination; l'on sembla méconnaître  
                     les motifs qui les faisaient agir, l'on chercha même  
                     à les intimider; mais ce fut en vain, les arguments  
                     inébranlables sur lesquels s'appuyaient les députés  
                     canadiens, leurs paroles pleines de dignité comme  
                     leur éloquence, finirent par triompher des attaques  
                     de leurs fanatiques adversaires."  
   
               
               Ainsi, l'élément français demande la rédaction des procédés de la chambre dans sa
                  
                  langue, mais on voit l'élément anglais s'y  
                  opposer de toutes ses forces. On regardait  
                  cela comme une révolte contre la métropole!  
                  C'est à n'y pas croire. Voilà une assemblée  
                  législative presque exclusivement française,  
                  et dès la première séance, les quelques députés anglais qui la composent, après avoir
                  
                  voulu imposer à la très-grande majorité un  
                  président de leur origine, refusent ensuite,  
                  aux neuf dixièmes de la population du pays,  
                  le droit imprescriptible de sa langue comme  
                  langue officielle. Mais ils comptaient sans  
                  la fermeté inébranlable dont les anciens Canadiens ont donné si souvent la preuve
                  dans  
                  la défense de leurs droits, et je ne saurais  
                  donner aux hon. députés de cette chambre  
                  une plus haute opinion des sentiments élevés  
                  de ces grands patriotes des anciens jours  
                  qu'en citant les remarques faites par un des  
                  députés, M. DE LOTBINIÈRE, pendant cette  
                  discussion:  
 
               
                
                  
                  "La seconde raison, qui est d'assimiler et d'attacher plus promptement les Canadiens
                     à la mère- patrie, devrait faire passer par-dessus toutes espèces  
                     de considérations, si nous n'étions pas certains de  
                     la fidélité du peuple de cette province; mais rendons justice à sa conduite de tous
                     les temps, et  
                     surtout rappelons-nous l'année 1775. Ces Canadiens  
                     qui ne parlaient que français, ont montré leur attachement à leur souverain de la
                     manière la moins  
                     équivoque. Ils ont aidé à défendre cette province.  
                     Cette ville, ces murailles, cette chambre même où  
                     j'ai l'honneur de faire entendre ma voix, ont été  
                     en partie sauvées par leur zèle et par leur courage.  
                     On les a vus se joindre aux fidèles sujets de Sa  
                     Majesté, et repousser les attaques que des gens qui  
                     parlaient bien bon anglais faisaient sur cette ville.  
                     Ce n'est donc pas, M. le PRÉSIDENT l'uniformité  
                     du langage qui rend les peuples plus fidèles ni plus  
                     unis entre eux. Pour nous en convaincre, voyons  
                     la France en ce moment, et jetons les yeux sur tous  
                     les royaumes de l'Europe.  
                  
                  
                  "Non, je le répète encore, ce n'est point l'uniformité du langage qui maintient et
                     assure la fidélité d'un peuple; c'est la certitude de son bonheur  
                     actuel et le nôtre en est parfaitement convaincu.  
                     Il sait qu'il a un bon roi et le meilleur des rois. Il  
                     sait qu'il est sous un gouvernement juste et libéral;  
                     il sait enfin qu'il ne pourrait que perdre beaucoup  
                     dans un changement ou une révolution, et il sera  
                     toujours prêt à s'y opposer avec vigueur et courage." 
  
               
               
               614
               
               
               
                M. DUFRESNE (de Montcalm)—M. le  
                  PRÉSIDENT, si l'hon. député de Richelieu  
                  veut bien me permettre de l'interrompre un  
                  instant, je lui poserai une simple question.  
                  Je voudrais savoir de l'hon. député quelle est  
                  la différence entre un député qui lit son discours, et celui qui lit l'histoire du
                  Canada  
                  devant cette chambre?  
 
               
               
               
                M. PERRAULT—Je répondrai à l'hon.  
                  député de Montcalm que le discours que nous  
                  a lu l'hon. député de Montmorency, l'autre  
                  soir, était écrit depuis la première jusqu'à  
                  la dernière ligne. Il nous a lu non-seulement  
                  les passages qu'il tirait de l'histoire ou les  
                  citations qu'il faisait des discours des autres  
                  membres de cette chambre, mais encore ses  
                  propres remarques sur ces extraits. Moi, je  
                  ne lis ici que des citations d'auteurs qui sont  
                  autant de pièces justificatives sur lesquelles  
                  j'appuie mon argumentation. Si je ne les  
                  lisais pas, on pourrait croire que je ne fais  
                  qu'exprimer mes opinions propres, tandis  
                  qu'elles sont celles d'un ami du gouvernement actuel. Bien que je partage entièrement
                  toutes les idées et toutes les opinions  
                  que je cite, cependant je ne veux pas me les  
                  approprier comme miennes, mais j'en veux  
                  laisser tout le mérite et toute la responsabilité à leur auteur.  
 
               
               
               
               M. DUFRESNE (de Montcalm)—La  
                  seule différence que je puisse découvrir entre  
                  l'hon. député de Montmorency et l'hon. député de Richelieu, c'est que le premier lisait
                  
                  son œuvre propre, et que l'autre se rend coupable de plagiat. (Ecoutez! et rires.)
                  
 
               
               
               
               M. PERRAULT—Tout le monde sait,  
                  M. le PRÉSIDENT, que l'hon. député de  
                  Montcalm n'a pas à craindre la même accusation, pour l'excellente raison que ses écrits
                  
                  ou ses discours ne se trouvent nulle part.  
                  Au moment de l'interruption bien inoffensive  
                  du député de Montcalm, je citais, M. le  
                  PRÉSIDENT, un passage du discours de M.  
                  DE LOTBINIÈRE, au sujet de l'opposition faite  
                  à la publication en français des procédés de  
                  la chambre d'assemblée en 1791, pour démontrer l'esprit d'exclusivisme de l'élément
                  
                  anglais, dès le commencement de notre  
                  système parlementaire, malgré sa minorité  
                  insignifiante à cette époque. Mais cette  
                  tentative hardie échoua, et l'amendement  
                  proposé pour proscrire la langue française  
                  fut repoussé par les deux tiers de l'assemblée.  
                  Définitivement il fut résolu que les procédés  
                  de la chambre seraient dans les deux langues,  
                  et que l'anglais ou le français serait le texte  
                  des actes législatifs, selon que ceux-ci auraient  
                  
 rapport aux lois anglaises ou françaises. On  
                  voit donc l'opposition à l'élément français  
                  se manifester dès le commencement de notre  
                  système parlementaire en ce pays, par le refus  
                  de la langue française comme langue officielle.  
                  Mais grâce à notre résistance opiniâtre,  
                  l'usage de cette langue a toujours été un de  
                  nos priviléges, privilége qui a été maintenu  
                  dans toute son intégrité jusque dans le projet  
                  de confédération qu'on nous propose. Sans  
                  le courage et l'énergie des hommes de ces  
                  temps d'épreuve, l'élément français aurait  
                  perdu son terrain et diminué d'importance,  
                  jusqu'à ce qu'enfin il eût été assimilé par  
                  l'élément anglais. Déjà à cette époque nos  
                  hommes publics voulaient le gouvernement  
                  responsable, et nous verrons que la lutte  
                  qu'ils ont faite pendant un demi-siècle pour  
                  l'obtenir a été sans résultat marquant, jusqu'à  
                  ce qu'en 1837 ils aient dû recourir à la révolte; et c'est depuis cette sombre date
                  de notre  
                  histoire que nous avons la constitution actuelle  
                  et le gouvernement responsable. Aujourd'hui  
                  que nous avons obtenu nos droits politiques  
                  les plus sacrés au prix d'un siècle de persécutions, au prix du sang versé sur le
                  champ  
                  d'honneur et sur l'échafaud, devons-nous  
                  l'abandonner pour accepter une nouvelle  
                  constitution dont le but évident est de faire  
                  disparaître notre influence comme race dans  
                  ce pays? Depuis quinze ans la majorité  
                  française n'a-t-elle pas toujours imposé sa  
                  volonté dans l'exécutif et dans la législature,  
                  grâce à l'égalité sectionnelle dans la représentation? Pourquoi abandonner les avantages
                  de la constitution actuelle pour un  
                  projet de confédération, dans laquelle nous  
                  serons dans une minorité pleine de dangers  
                  pour nous et pour nos institutions? La responsabilité prise par la section française
                  du  
                  ministère en réunissant l'unanimité du Haut- Canada avec la minorité anglaise du Bas-
                  Canada, est énorme. Et aujourd'hui, alors  
                  même qu'elle voudrait se retirer de la lutte  
                  en voyant les dangers de l'avenir, elle ne le  
                  pourrait pas; elle serait emportée par le  
                  torrent de l'élément anglais. C'est pour  
                  montrer les dangers de l'avenir, M. le  
                  PRÉSIDENT, que je fais ici l'historique des  
                  luttes du passé. Les circonstances qui les ont  
                  motivées existent encore et amènent les  
                  mêmes tentatives d'agression; je dois le dire,  
                  afin d'arrêter mes compatriotes, s'il en est  
                  temps encore, sur le bord de l'abîme vers  
                  lequel ils se laissent entraîner.—
Le Canadien  
                  discuta vivement la question du gouvernement responsable et prit à cœur les intérêts
                  
                  
                  
                  615
                  
                  de ses compatriotes. On cria à la violence,  
                  à la trahison. Mais, dit l'historien GARNEAU:— 
  
               
                
                  
                  "Nous avons parcouru attentivement, page par  
                     page, le journal en question jusqu'à sa saisie par  
                     l'autorité, et nous avons trouvé à côté d'une réclamation de droits parfaitement constitutionnels
                     l'expression constante de la loyauté et de l'attachement  
                     les plus illimités à la monarchie anglaise."  
   
               
                L'importante question de la votation des  
                  subsides était aussi le sujet des débats les  
                  plus violents. M. BÉDARD insistait sur ce  
                  droit imprescriptible de toute assemblée législative sous la couronne d'Angleterre.
                  Mais  
                  il était constamment refusé par la minorité  
                  anglaise de la chambre et par la métropole.  
                  Amenée avec plus de force par M. BÉDARD,  
                  la chambre se prononça par une forte majorité en faveur de la votation des subsides
                  
                  par les représentants du peuple. Dans la  
                  division qui se fit, nous voyons l'élement  
                  anglais d'un côté et l'élément français de  
                  l'autre. Je vous le demande, M. le PRÉSIDENT, que sont les droits d'un sujet anglais
                  
                  si on lui enlève celui de voter les subsides;  
                  s'il n'a pas le contrôle des deniers prélevés  
                  sur le peuple pour l'administration des  
                  affaires de l'Etat; si on lui arrache ainsi le  
                  plus important des priviléges garantis par le  
                  gouvernement constitutionnel? Cette grande  
                  injustice va-t-elle être consommée? Va-t-on  
                  refuser aux mandataires du peuple le plus  
                  précieux de ses droits? Oui, M. l'ORATEUR,  
                  on ne reculera pas devant cette infamie.  
                  Nos patriotes les plus éminents, ceux dont  
                  la voix éloquente revendiquait dans toutes  
                  les occasions nos immunités menacées, seront  
                  d'abord accusés de trahison pour avoir formulé une pareille demande, puis détenus
                  
                  pendant quatorze mois dans les sombres  
                  cachots d'une prison, au mépris des articles  
                  de la capitulation qui nous garantissait les  
                  droits et les immunités de sujets anglais.  
                  Cette proposition de voter nos dépenses  
                  publiques, qui nous paraît aujourd'hui si  
                  simple, souleva alors dans tout le pays une  
                  tempête violente qui ne se calma jamais  
                  entièrement qu'à l'anéantissement de la  
                  constitution alors existante. En dépit de la  
                  rage et de la calomnie, la proposition de M.  
                  BÉDARD fut acceptée, et voici la division  
                  de la chambre:— 
               
               
               POUR:—MM. Bédard, Durocher, J. L. Papineau,  
                  Lee, Borgia, Meunier, Taschereau, Viger, Drapeau,  
                  Bernier, St.-Julien, Hébert, Duclos, Robitaille,  
                  Huot, Caron, C. Panet, Ls. Roi, Blanchet,  
                  Debartsch et Beauchamp.—21.  
  
               
               CONTRE:-—MM. McCord, Bowen, Mure, Bell,  
                  Dénéchau, Jones de Bedford, Blackwood, Gugy  
                  et Ross Cuthbert.—9.  
               
               
               Un seul nom anglais, celui de M. LEE,  
                  figure parmi la phalange canadienne-française, mais en revanche nous voyons un nom
                  
                  canadiens-français voter cette négation inqualifiable d'un droit que nous devions
                  si chèrement payer. Je ne désire pas faire de  
                  commentaires sur cette division, M. le PRÉSIDENT, mais je ne puis m'empêcher de  
                  remarquer qu'il démontre que toujours nous  
                  avons eu à lutter contre les empiétements et  
                  l'antagonisme de l'élément anglais en Canada.  
                  Cependant on ne cessa pas de demander la  
                  votation des subsides tant qu'on ne l'eut  
                  pas obtenu, et il est remarquable que durant  
                  tout le temps où les Canadiens-Français furent  
                  en majorité dans notre pays, l'Angleterre  
                  nous a systématiquement refusé nos demandes  
                  les plus justes et le contrôle de l'administration générale. Bien plus, les actes
                  les plus  
                  arbitraires nous ont été imposés par la métropole, parfaitement aidée au reste par
                  le fanatisme colonial anglais, qui ne perdait pas une  
                  occasion d'appliquer à notre préjudice son  
                  exclusivisme bien connu. Mais du moment  
                  que ses nationaux l'emportèrent sur nous  
                  par leur nombre et que l'élément anglais  
                  prévalut dans la chambre d'assemblée au  
                  moyen de l'Union de 1840, l'Angleterre nous  
                  octroya tous les droits politiques que nous  
                  lui demandions en vain depuis un siècle, car  
                  elle savait parfaitement que ces droits  
                  seraient contrôlés et au besoin utilisés contre  
                  nous par une majorité représentative essentiellement hostile. Mais, grâce au patriotisme
                  de nos hommes d'alors, nous réussîmes  
                  à déjouer les projets du gouvernement britannique. Jusqu'à l'Union, ces hommes ont
                  
                  eu à lutter constamment, et avec un héroïsme  
                  digne de la cause qu'ils servaient, contre  
                  l'autocratie anglaise liguée contre nos compatriotes. Nous, leurs descendants, nous
                  
                  sommes prêts à recommencer la même lutte  
                  avec la même énergie pour maintenir nos  
                  droits chèrement acquis, et garder l'héritage  
                  que nous avons reçu et que nous voulons  
                  transmettre intact aux enfants du sol.  
                  (Ecoutez! écoutez!) Voyons maintenant  
                  ce qu'étaient la liberté de la presse et la liberté  
                  du sujet à cette sombre époque de notre  
                  histoire parlementaire. Le Canadien ayant  
                  osé demander le gouvernement responsable,  
                  et M. BÉDARD ayant obtenu en chambre une  
                  majorité de 21 contre 9 en faveur de la  
                  votation des subsides, le conseil exécutif  
                  
                  
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                  voulut à tout prix nuire à l'influence du  
                  Canadien et paralyser les efforts des chefs  
                  canadiens. Il scrutina le Canadien pour cher- cher matière à accusation, et sur la déposition  
                  de deux personnes, on fit saisir, par une  
                  escouade de soldats, l'imprimerie, qui fut  
                  transportée dans les voûtes du greffe, et  
                  emprisonner M. BÉDARD sous l'accusation  
                  de menées traîtresses (treasonable practices).  
                  Et une pareille tyrannie était motivée sur  
                  le fait que ces martyrs politiques avaient eu  
                  le courage de demander pour le Canada la  
                  votation des subsides. Le Canadien rendait  
                  compte de cette atroce incarcération dans le  
                  paragraphe qui suit:  
 
               
                
                  
                  "Là ne se borna point la conduite infâme du  
                     conseil. Ce dernier, dans le but de frapper d'épouvante le grand parti national, fit
                     emprisonner MM.  
                     LAFORCE, PAPINEAU (de Chambly), CORBEIL,  
                     TASCHEREAU et BLANCHET.  
   
               
               Ainsi, M. le PRÉSIDENT, on jetait, à cette  
                  époque, un représentant du peuple en prison  
                  pour avoir demandé la reddition d'un droit  
                  injustement refusé et, pour comble de tyrannie, on le laissait pourrir dans son cachot,
                  
                  pendant quatorze mois, et on lui refusait un  
                  procès devant les tribunaux quand il pouvait  
                  si facilement réfuter et prouver qu'il avait  
                  agi constitutionnellement. Je ne puis passer  
                  cette page de notre histoire parlementaire  
                  sans la citer:  
 
               
                
                  
                  "Cependant les chefs que l'on avait eu la  
                     bassesse d'emprisonner ne fléchirent point devant  
                     l'orage. M. BÉDARD, du fond de son cachot, brava  
                     la fureur des ennemis de son pays; sa grande âme  
                     resta calme et impassible, son cœur ne désespéra  
                     point. Fier de ses droits, et confiant dans la  
                     justice de sa cause, en vain demanda-t-il à ses persécuteurs la justification de sa
                     conduite; les  
                     oreilles de ses géôliers restèrent sourdes à sa  
                     demande, et, refusant la liberté qu'on voulait lui  
                     accorder, il insista même pour qu'on lui fit son  
                     procès.  
                  
                  
                  "Les nouvelles élections ne changèrent point la  
                     représentation nationale. Le gouverneur, dans son  
                     discours, ne fit aucune allusion aux mesures rigoureuses qu'il avait prisse relativement
                     à M. BEDARD  
                     et à ses compagnons, et la session se passa sans  
                     l'élargissement du noble prisonnier. Ce ne fut  
                     qu'après treize mois de captivité et après avoir  
                     contracté une maladie mortelle, que ce grand  
                     citoyen laissa la prison pour aller rejoindre une  
                     famille chérie dénuée de tout et qui dût ses  
                     moyens d'existence à l'honorable générosité des  
                     citoyens de Québec."  
   
               
               Malgré ces injustices criantes, M. BÉDARD  
                  se ne plaignit point; il trouvait que ce  
                  n'était pas acheter trop cher les libertés du  
                  peuple, et que quelques mois de prison  
                  n'étaient rien à côté des grandes libertés  
                   pour lesquelles il luttait et souffrait. Ecoutons les nobles paroles que prononçait
                  devant  
                  les électeurs ce grand patriote rendu à la  
                  liberté:  
 
               
                
                  
                  "Le passé ne doit pas nous décourager ni diminuer notre admiration pour notre constitution.
                     
                     Toute autre forme de gouvernement serait sujette  
                     aux mêmes inconvénients et à de bien plus grands  
                     encore; ce que celle-ci a de particulier, c'est qu'elle  
                     fournit les moyens d'y remédier." Plus loin, il  
                     ajoutait: Il faut, d'ailleurs acheter de si grands  
                     avantages par quelques sacrifices."  
   
               
               Tel était le langage de ce grand patriote;  
                  pas un mot d'amertume, de plainte ou de  
                  récrimination, mais de la noblesse dans  
                  l'expression, et une conviction sincère des  
                  avantages de la constitution. Oh! qu'il y a  
                  loin de ces temps de dévouement et de  
                  courage civique aux jours égoïstes et froids  
                  d'aujourd'hui, où l'intérêt est partout et le  
                  patriotisme nulle part! Voilà, M. le PRÉSIDENT, une page de notre histoire qui mérite
                  
                  d'être lue plus souvent, et que nos législateurs devraient consulter. Ils y trouveraient
                  
                  un exemple de patriotisme bien digne d'être  
                  suivi. Il fait bon de contempler et d'étudier  
                  ces grandes luttes de notre passé, de voir la  
                  victoire couronner les efforts de ces nobles  
                  patriotes, victoire chèrement gagnée et dont  
                  nous avons conservé jusqu'à nos jours les  
                  fruits précieux. (Ecoutez! écoutez!) Mais  
                  la guerre de 1812 éclata; et l'Angleterre,  
                  qui ne nous a accordé de libertés et de  
                  priviléges que lorsqu'elle a eu besoin de nous  
                  pour sa défense sur ce continent, changea  
                  de tactique. Elle craignait pour sa suprématie sur les provinces britanniques, et
                  de ce  
                  moment elle jugea prudent de gagner notre  
                  concours pour la lutte qui se préparait, en  
                  plaçant d'abord M. BÉDARD sur le banc  
                  judiciaire. Elle comprenait qu'en effet elle  
                  ne pouvait rien contre les Etats-Unis sans  
                  l'aide de l'élément français-canadien, et le  
                  gouvernement impérial pensait ainsi reconquérir l'influence et les services de la
                  race  
                  qu'il avait tyrannisée. C'est ainsi que l'homme  
                  qu'elle avait jeté dans ses cachots et qu'elle  
                  avait accusé de trahison, devint juge de la  
                  première cour du pays! Toujours de la  
                  bassesse pour se gagner des adhésions; telle  
                  était la tactique du gouvernement à cette  
                  époque. Il pensait qu'en plaçant ainsi  
                  l'homme qui avait été l'un des plus vaillants  
                  défenseurs des droits de notre nationalité,  
                  il s'attacherait les enfants du sol, et il ne se  
                  trompa pas. En prenant ce moyen, M. le PRÉSIDENT, le gouvernement impérial avait bien
                  
                  compris le caractère de la nation qu'il voulait  
                  
                  
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                  ainsi gagner à sa cause; car, il faut l'avouer— 
                  et c'est peut-être notre malheur—l'élément  
                  français est ainsi fait, que bien souvent il  
                  oublie trop vite les persécutions dont il a été  
                  victime et qui devraient réveiller en lui un  
                  juste ressentiment au souvenir du passé— 
                  Trop confiants dans la sincérité bienveillante  
                  de nos adversaires, nous sommes toujours  
                  pris par surprise à chaque nouvelle tentative d'agression. Et aujourd'hui même,  
                  quelques années de prospérité nous aveuglent  
                  et nous font voir un avenir brillant là où il  
                  n'y a que l'anéantissemcnt de notre influence  
                  comme race, décrété dans le projet de confédération qu'on veut imposer au peuple 
                  
                  (Ecoutez!) Mais l'armée américaine menaçait nos frontières, et il faillait songer
                  à la 
                  défence. Dans le but de prévenir toute  
                  agression, le gouverneur assembla deux fois  
                  les chambres en 1812, et des mesures furent  
                  prises pour armer la milice et voter les  
                  sommes nécessaires afin d'organiser la  
                  défense de la province. Sir GEORGE PROVOST, à l'ouverture du parlement en 1813,  
                  félicita la nation sur son courage et son  
                  énergie, et les délibérations furent moins  
                  orageuses que d'ordinaire: on vota de nouveaux subsides pour la guerre, et le gouverneur
                  et les chambres restèrent en bonne  
                  intelligence pendant la session. A cette  
                  héroïque époque de notre histoire, on voit  
                  encore nos compatriotes canadiens, à qui on  
                  avait fait de nouvelles concessions, obéir à  
                  la voix de leurs chefs, courir à la frontière  
                  et repousser l'invasion. Mais en 1812 comme  
                  en 1775, le dévouement et le patriotisme de  
                  nos nationaux devaient être bientôt oubliés.  
                  Le moment du danger était à peine passé,  
                  que ceux qui, au prix de leur sang, avaient  
                  sauvé la puissance de l'Angleterre en Amérique, furent de nouveau en butte aux attaques
                  
                  incessantes de l'oligarchie anglaise, comme  
                  je le démontrerai dans un instant M. GARNEAU peint à grands traits la conduite de
                  
                  ses compatriotes à cette époque critique de  
                  notre histoire:— 
               
               
               
               
                  
                  
                  "Une seconde fois, dit-il, le Canada fut conervé à l'Angleterre par ceux mêmes que
                     l'on avait  
                     à coeur de faire disparaître; par leur bravoure, la  
                     colonie fut préservée des malheurs inévitables  
                     d'une guerre acharnée. Pour un moment, la haine  
                     que l'on portait au nom canadien avait été étouffée:  
                     le bureau colonial, sentant la difficulté de la position, avait imposé silence aux
                     cris fanatiques de  
                     ses valets d'outre-mer; mais une fois le danger 
                     passé et le Canada sauvé, les anciennes antipathies devaient renaître, la guerre à
                     nos institutions  
                     et à nos lois recommencer, et l'ingratitude faire 
                     
                     
                     
                     place à la reconnaissance dans le coeur des enfants  
                     d'Albion."  
                   
               
               
               
               Il était évident qu'on n'avait ainsi usé de  
                  ménagements que parce que les circonstances ne permettaient pas de mécontenter  
                  une partie importante de la population qui  
                  pouvait seule sauver le pays. L'Angleterre  
                  n'a jamais été libérale qu'en face du danger.  
                  Aujourd'ui, c'est la même œuvre qu'elle  
                  poursuit en travaillant à faire disparaître  
                  notre nationalité dans le projet de confédération qui nous est soumis; mais elle 
                  
                  trouve pour l'aider dans cette tâche un  
                  élément de force qui lui manquait alors:  
                  l'appui d'une majorité canadienne-française.  
                  (Ecoutez!) L'année suivante eut lieu la  
                  glorieuse bataille de Chateauguay. Dans cette  
                  journée mémorable, une poignée de braves,  
                  commandés par DE SALABERRY, affronta un  
                  ennemi plus de trente fois supérieur en  
                  nombre, arrêta la marche envahissante de  
                  l'ennemi, et par son dévouement et sa bravoure conserva ces riches provinces à la
                  
                  couronne d'Angleterre. Eh bien! M. le  
                  PRÉSIDENT, ce que les Canadiens-Français  
                  ont fait dans la guerre de 1812, ils sont  
                  encore prêts à le faire sous la constitution  
                  telle qu'elle est. C'est parce qu'ils sentaient  
                  qu'ils avaient à défendre quelque chose de  
                  plus cher qu'une confédération, qui ne saurait pas mieux sauvegarder leurs intérêts
                  
                  que leurs institutions, leur langue, leurs lois  
                  et leur nationalité, qu'ils ne regardaient pas  
                  au nombre de l'ennemi et qu'ils combattaient  
                  vaillamment un contre dix. Et aujourd'hui  
                  encore, pour défendre la constitution telle  
                  qu'elle est, avec les droits et priviléges qu'elle  
                  nous garantit, les Canadiens n'hésiteront  
                  pas un seul instant à tout sacrifier pour la  
                  sauvegarde du précieux dépôt qui nous est  
                  confié. Certes, M. le PRÉSIDENT, il n'est  
                  pas besoin de remonter bien haut dans notre  
                  histoire pour en trouver une preuve récente.  
                  On se rappelle comment en 1862, lors de  
                  l'affaire du Trent, quand une rupture avec nos  
                  voisins semblait imminente, les Canadiens- Français ont couru aux armes avec cet 
                  
                  entrain et cet élan irrésistible des héros de la  
                  Nouvelle-France. Ce n'est pas, M. le PRÉSIDENT, que le Canadien désire la lutte; mais
                  
                  il aime à se retremper sur les champs de  
                  bataille, et si la génération actuelle était  
                  appelée à repousser l'ennemi, elle saurait  
                  montrer au monde entier que son sang n'a  
                  point dégénéré, et qu'elle est digne, sous  
                  tous les rapports, de ses héroïques ancêtres.  
                  
                  
                  618
                  
                  (Ecoutez!) Après la guerre de 1812, qui  
                  avait mis les possessions anglaises sur ce  
                  continent dans un si grand péril, les mêmes  
                  tentatives d'agression furent renouvelées sans  
                  retard, tant il est vrai que le danger seul  
                  pouvait les suspendre. Les troupes ayant  
                  pris leurs quartiers d'hiver, le gouverneur,  
                  Sir G. PRÉVOST, descendit à Québec pour  
                  ouvrir le parlement, et les dissensions entre  
                  la branche populaire et le conseil législatif  
                  ne tardèrent point à se ranimer peu à peu.  
                  STUART ramena sur le tapis la question des  
                  règles de pratique, et formula contre le juge  
                  SEWELL les accusations les plus graves, telle  
                  que celle d'avoir voulu imposer ces règles de  
                  pratique sans l'autorité du parlement; de  
                  l'avoir fait destituer de sa place de solliciteur-général pour y substituer son frère,
                  
                  ET. SEWELL; d'avoir violé la liberté de la  
                  presse, en faisant saisir sans motif plausible  
                  le Canadien, et la liberté de la chambre, en  
                  faisant emprisonner plusieurs de ses membres. Ces accusations, dont quelques-unes
                  
                  étaient véritables, furent transmises en Angleterre; mais STUART n'ayant pu aller
                  les  
                  soutenir, SEWELL se lava de ces assusations.  
                  Il en fut ainsi du juge MONK, accusé en  
                  même temps de diverses malversations, et,  
                  comme l'observe M. F. X. GARNEAU, le  
                  juge SEWELL ne crut pouvoir mieux se venger des accusations portées contre lui qu'en
                  
                  proposant au Prince Régent l'union de  
                  toutes les provinces britanniques, et de noyer  
                  par la la nationalité française. Voilà, M. le  
                  PRÉSIDENT, dans quelle circonstance fut  
                  proposé pour la première fois le projet de  
                  confédération; et, il faut le dire, avec la  
                  recommandation de M. SEWELL, il doit  
                  éveiller bien des craintes de la part de nos  
                  députés vraiment français. En effet, par  
                  qui ce mot de confédération est-il prononcé?  
                  Par un homme qui avait violé la liberté de la  
                  presse et la liberté du parlement! par un  
                  homme qui rêvait depuis de longues années  
                  l'anéantissement de la nationalité canadienne- française! Plus tard, après la révolution
                  de  
                  1837, lord DURHAM ne trouvait pas d'organisation politique mieux faite pour nous 
                  
                  perdre que la confédération. Et aujourd'hui,  
                  ses compatriotes au pouvoir subissent—que  
                  dis-je? ils proposent au peuple ce projet  
                  d'anéantissement froidement calculé pour  
                  nous perdre, et qui nous perdra, M. le  
                  PRÉSIDENT, si, en dehors de cette chambre,  
                  l'opinion publique ne proteste pas par tous  
                  les moyens constitutionnels contre le suicide  
                  politique de la race française en Canada.  
                  
                  
                  
                  A la prorogation du parlement en 1814,  
                  le président, L. J. PAPINEAU, adressa les  
                  paroles suivantes au gouverneur, Sir GEORGE  
                  PREVOST:— 
               
               
               
               
                  
                  
                  "Les événements de la dernière guerre ont  
                     resserré les liens qui unissent ensemble la Grande- Bretagne et le Canada. Ces provinces
                     lui ont été  
                     conservées dans des circonstances extrêmement  
                     difficiles."  
                   
               
               
               
               Ces paroles méritent à plus d'un titre  
                  d'être méditées, et j'appelle l'attention des  
                  hon. députés de cette chambre sur ce  
                  passage remarquable:— 
               
               
               
               
                  
                  
                  "Lorsque la guerre a éclaté—continue M.  
                     PAPINEAU,—ce pays était sans troupes et sans  
                     argent, et Votre Excellence, en tête d'un peuple en  
                     qui, disait-on, l'habitude de plus d'un demi-siècle  
                     de repos avait détruit tout esprit militaire. Au- dessus de ces préjugés, vous avez
                     su trouver dans  
                     le dévouement de ce peuple brave et fidèle, quoique injustement calomnié, des ressources
                     pour déjouer les projets de conquête d'un ennemi nombreux  
                     et plein de confiance dans ses propres forces. Le  
                     sang des enfants du Canada a coulé, mêlé à celui  
                     des braves envoyés pour les défendre. Les preuves  
                     multipliées de la puissante protection de l'Angleterre et l'inviolable fidélité de
                     ses colons, sont  
                     devenues pour ceux-ci de nouveaux titres en vertu  
                     desquels ils prétendent conserver le libre exercice  
                     de tous les avantages que leur assurent la constitution et les lois."  
                   
               
               
               
               Ce président de l'assemblée législative à  
                  vingt-six ans, qui a lutté avec tant d'héroïsme  
                  pour l'obtention de nos libertés et de nos  
                  droits politiques, est le même qui, à une  
                  des dernières séances de cette chambre,  
                  a été ignominieusement traîné devant cette  
                  par chambre par le député de Montmorency et  
                  l'hon. procureur-général Est (M. CARTIER).  
                  Son nom, qui est vénéré par la nation toute  
                  entière comme celui de son libérateur, a été  
                  jeté comme une insulte à la figure des hon.  
                  députés de cette chambre qui s'honorent de  
                  l'avoir pour chef et qui continuent aujourd'hui son œuvre de protection de nos droits
                  
                  politiques contre les sourdes menées d'une majorité hostile. Mais, M. le PRÉSIDENT,
                  ce vieillard qui a blanchi au service de son pays est à  
                  l'abri des insinuations menteuses qui n'arrivent pas plus à sa calme retraite qu'au
                  cœur  
                  des amis sincères de notre pays. Là, ce grand  
                  patriote des mauvais jours, après avoir  
                  fait sa tâche, jouit en paix et avec orgueil  
                  de l'estime de ceux qu'il a su défendre de sa  
                  voix puissante aux époques néfastes de notre  
                  histoire politique. Contre un pareil homme,  
                  l'injure grossière, les calomnies éhontées  
                  retombent de tout leur poids contre ceux qui  
                  sont assez lâches pour s'attaquer à une de  
                  nos plus belles gloires nationales. Le nom  
                  
                  
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                  de l'hon. L. J. PAPINEAU est entouré d'une  
                  auréole brillante que les calomnies haineuses  
                  ne réussirent jamais à ternir. Sa mémoire  
                  est à l'abri de leurs atteintes envieuses, car  
                  elle est sous la garde du peuple qu'il a  
                  arraché à l'oppression systématique coloniale  
                  dont je fais l'histoire. En vérité, M. le  
                  PRÉSIDENT, il faut qu'une cause soit bien  
                  près d'être perdue pour que l'hon. procureur- général Est ait recours à de pareils
                  moyens  
                  pour la sauver. Il faut que le procureur- général Est ait bien peu confiance dans
                  sa  
                  cause pour soulever les préjugés de ses partisans, en traînant dans la boue une des
                  plus  
                  grandes figures de notre histoire. (Ecoutez!  
                  écoutez!) Un pareil langage dans la bouche  
                  du procureur- général est d'autant plus  
                  coupable, qu'il a été lui-même un des  
                  révoltés de 1837-38 et un des plus zélés  
                  partisans du grand patriote qu'il insulte  
                  aujourd'hui. N'a-t-il pas lui-même voté en  
                  faveur des 92 résolutions, ce monument  
                  impérissable des droits canadiens? Oui, M.  
                  le PRÉSIDENT, c'est cet homme dont la tête  
                  fut mise à prix, cet homme qui fut obligé de  
                  fuir sa patrie et de demander à nos voisins  
                  le droit d'asile qu'il refuse aujourd'hui aux  
                  révoltés du Sud, c'est cet homme qui, devenu  
                  le procureur-général de Son Excellence, a  
                  l'audace d'appeler ce grand homme "le bonhomme PAPINEAU," et l'opposition dans  
                  cette chambre "la queue du bonhomme  
                  PAPINEAU!" M. le PRÉSIDENT, je n'hésite  
                  pas à le dire, des expressions comme celles-là  
                  sont indignes de cette chambre et indignes  
                  de la position du procureur-général, qui a eu  
                  le triste courage de les laisser tomber de ses  
                  lèvres. (Ecoutez! écoutez!) Ces expressions sont tout au plus dignes des carrefours,
                  
                  et il faut en vérité que le niveau de cette  
                  chambre ait bien baissé pour qu'on ose ainsi  
                  souiller cette enceinte. Il faut avoir perdu  
                  tout sentiment de dignité pour avoir permis  
                  au procureur-général de traîner ainsi sur  
                  notre parquet le nom d'un homme vénéré  
                  par tous les Canadiens vraiment français.  
                  Qu'on ne se fasse pas illusion: les opinions  
                  et les idées qui tendent au bonheur des  
                  peuples, de même que les hommes qui les  
                  soutiennent et luttent en leur faveur, sont  
                  toujours au-dessus des atteintes des calomniateurs et des envieux. Et quel peut donc
                  être  
                  le but du député de Montmorency et du  
                  procureur général en s'attaquant au nom de  
                  hon. M. PAPINEAU? Leur but est d'abord  
                  de jeter du discrédit sur l'opposition qui le  
                  représente, et ensuite de se grandir eux
                  
                  
                  
                  mêmes en ramenant à leur niveau ces géants  
                  de notre histoire, auprès desquels ils ne sont  
                  que des pygmées. Car il y a deux manières  
                  d'être grand—la première consiste à rendre  
                  à son pays des services éminents et à se  
                  distinguer par une supériorité reconnue.  
                  Mais comme le procureur-général et le député  
                  de Montmorency n'ont ni l'étoffe ni la supériorité qui font les grands hommes, ils
                  adoptent la seconde manière d'être grands. Elle  
                  consiste à rapetisser et à briser tous ceux qui  
                  sont supérieurs. C'est ainsi qu'ils espèrent  
                  grandir en s'élevant sur les débris des réputations perdues par leurs calomnies envieuses
                  
                  et leurs attaques incessantes. Ils démolissent hardiment sans s'arrêter devant les
                  
                  noms qui personnifient toute une époque de  
                  notre histoire, et si une grande figure se  
                  dresse dans notre passé comme une statue de  
                  la gloire, de suite leurs mains sacriléges la  
                  mutilent et, restés seuls debouts sur ses tronçons épars, ils contemplent avec orgueil
                  tous  
                  ceux qui, tombés sous les coups de leur  
                  vandalisme, gisent à leurs pieds. Tel est,  
                  M. le PRÉSIDENT, le motif qui explique les  
                  efforts faits pour abaisser ainsi une de nos  
                  plus belles gloires nationales. (Un membre:  
                  Très bien! et cris de: Ecoutez! écoutez!)  
                  Mais nous ne sommes pas encore arrivés à la  
                  fin de nos luttes. A l'ouverture du parlement  
                  en l816, un message fut communiqué à la  
                  chambre, l'informant que les accusations  
                  proférées contre les juges SEWELL et MONK  
                  avaient été repoussées. L'amertume des  
                  paroles de ce message blessa vivement  
                  l'assemblée, qui se proposait de répondre,  
                  lorsqu'eut lieu la dissolution du parlement  
                  pour prévenir la manifestation de ces plaintes.  
                  Et quelle était la position prise par le gouvernement impérial au sujet de ces difficultés?
                  
                  Nous les trouvons dans la lettre qu'envoya  
                  lord BATHURST, en réponse au gouverneur  
                  SHERBROOKE, qui lui faisait part de la fausse  
                  voie suivie par le bureau colonial en opprimant ainsi notre race:— 
               
               
               
               
                  
                  
                  "Jusqu'ici le gouvernement a trouvé dans toutes  
                     les occasions ordinaires une ressource constante  
                     dans la fermeté et les dispositions du conseil  
                     législatif, et il n'y a aucune raison de douter qu'il  
                     ne continue tant n'il pourra à contrecarrer les  
                     mesures les plus injudicieuses et les plus violentes  
                     de l'assemblée."  
                   
               
               
               
               En effet, c'était des mesures bien peu  
                  judicieuses et bien violentes que celles de  
                  la chambre d'assemblée d'alors; elle demandait que le peuple eût une voix dans la
                  
                  disposition des deniers qu'on prélevait sur  
                  
                  
                  620
                  
                  lui! Et voilà pourquoi le conseil législatif  
                  contrecarrait toutes les mesures demandées  
                  par le peuple. Je continue à citer:— 
               
               
               
               
                  
                  
                  "Il est donc désirable pour toutes sortes de  
                     raisons que vous profitiez de son assistance pour  
                     réprimer les actes de cette assemblée que vous  
                     trouverez sujets à objection, au lieu de mettre  
                     votre autorité ou celle du gouvernement en  
                     opposition immédiate à celle de la chambre, et  
                     ainsi de lui donner un prétexte pour refuser à la  
                     couronne les subsides nécessaires pour le service  
                     de la colonie."  
                   
               
               
               
               Oui, M. le PRÉSIDENT, le conseil législatif  
                  nommé à vie a toujours été la pierre d'achoppement dans la réalisation de toutes les
                  
                  réformes demandées par les Canadiens- Français. La chambre élective a toujours  
                  rencontré de sa part, une opposition systématique à toutes les mesures demandées par
                  
                  le peuple, opposition qu'il lui était impossible de renverser. Ce n'est qu'en 1856
                  
                  que nous réussissions, après cinquante ans  
                  de luttes constantes, à introduire le principe  
                  électif dans la chambre haute. Aujourd'hui,  
                  malgré les enseignements d'un passé malheureux, écrit en caractère de sang, on veut
                  
                  revenir à l'ancien système, on veut lâchement abandonner un privilége, un droit  
                  politique qui nous a coûté tant de luttes et  
                  tant de malheurs. Oui, M. le PRÉSIDENT,  
                  tel est le projet du gouvernement actuel; il  
                  veut que dans la confédération le conseil  
                  législatif soit nommé à vie comme aux  
                  mauvais jours de notre histoire. Mais heureusement que le peuple est là, qui sait
                  
                  parfaitement ce que lui vaudrait ces nominations à vie. Il sait que la grande majorité
                  
                  de ces hommes, ainsi nommés par un gouvernement général numériquement hostile  
                  à notre race, serait toujours prête à rejeter  
                  les mesures les plus favorables à nos intérêts  
                  comme nation. Le conseil législatif, sous  
                  la confédération, sera ce qu'il était aux jours  
                  d'oppression lorsque lord BATHURST, donnant les instructions du gouvernement  
                  impérial au gouverneur SHERBROOKE, lui 
                  disait: "Ayez soin de vous servir du conseil  
                  législatif pour contrecarrer les mesures de  
                  la chambre élective." C'est cela; on s'abrite  
                  derrière un conseil composé de créatures  
                  nommées à vie, puis, tout en vantant bien  
                  haut la libéralité du régime colonial de  
                  l'Angleterre, en tire les ficelles et on fait  
                  jouer à ces hommes le rôle d'oppresseurs.  
                  Et c'est absolument la même organisation  
                  politique qui nous est proposée dans le  
                  projet de confédération. Avec le conseil  
                  
                  
                  
                  législatif nommé à vie, nous aurons des  
                  hommes qui, dans leur morgue aristocratique,  
                  seront toujours prêts à nier au peuple les  
                  mesures dont il aura besoin; si ces mesures  
                  touchent à quelque privilége des classes  
                  aristocratiques, quelles que soient les instances des députés envoyés à la chambre
                  
                  élective, nous serons dans l'impossibilité  
                  constitutionnelle d'obtenir ces mesures. De  
                  plus, ces conseillers à vie, dont la majorité  
                  sera hostile, feront tout pour plaire au pouvoir qui les aura nommés et au gouvernement
                  
                  impérial qui, de tout temps, a su largement  
                  récompenser ses créatures. Voilà, M. le  
                  PRÉSIDENT, les dangers qui nous attendent  
                  si nous retournons à l'ancien système des  
                  nominations à vie proposé par le gouvernement dans le projet de confédération.  
                  (Ecoutez! écoutez!) Mais les premières  
                  instructions données par lord BATHURST au  
                  gouverneur SHERBROOKE n'étaient pas suffisamment explicites, paraît-il; car peu de
                  
                  temps après il lui transmit celles qui suivent:  
                  "Je vous recommande fortement de veiller  
                  à ce que la chambre d'assemblée ne dispose  
                  pas des deniers publics sans le consentement  
                  du conseil législatif; "violant ainsi sans scrupule l'essence même de la constitution,
                  dans  
                  un but évident de fanatisme national. En  
                  effet, c'est un principe de la constitution  
                  anglaise que la chambre populaire, qui  
                  représente l'opinion du peuple, a seule le  
                  droit de voter les subsides pour l'administration du gouvernement, et que les deniers
                  
                  prélevés à cette fin sur le peuple ne doivent  
                  être dépensés qu'avec le consentement de  
                  cette chambre et pas autrement. Eh bien!  
                  M. le PRÉSIDENT, que voyons-nous ici?  
                  Nous voyons le gouvernement impérial  
                  recommander expressément au représentant  
                  de Sa Majesté en Canada de ne pas souffrir  
                  que les subsides soient votés sans le consentement du conseil législatif, nommé à
                  vie  
                  par la couronne, et dont les efforts constants  
                  étaient de résister aux justes demandes des  
                  Canadiens-Français. Cette question des  
                  subsides, qui a été la cause principale de  
                  tous les troubles qui ont bouleversé notre  
                  société avant et depuis cette époque, ne  
                  devait pas rester la. Nous avions alors des  
                  hommes qui ne cédaient pas devant la résistance! Aussi les voit-on, ces nobles champions
                  de nos droits et de nos libertés, revenir  
                  tous les ans avec la même demande, ne se  
                  rebutant devant aucun refus, et luttant  
                  jusqu'à ce qu'enfin on leur eût accordé ce  
                  qu'ils demandaient aussi légitimement. En  
                  
                  
                  621
                  
                  janvier 1819 s'ouvrirent les chambres, et la  
                  première question qui souleva des débats  
                  très-vifs fut encore celle des finances. La  
                  discussion s'éleva pour savoir si la chambre  
                  basse, qui avait déjà obtenu le vote annuel  
                  des subsides, pouvait de plus obtenir une  
                  liste civile en détail et voter séparément  
                  chaque objet. La majorité le voulait, afin  
                  de s'assurer de l'intégrité des officiers  
                  publics, et tenir en échec les membres du  
                  conseil exécutif, sur lesquels elle n'avait  
                  aucun contrôle. D'autres s'y opposèrent  
                  avec force comme étant un principe nouveau  
                  et violant les droits de la couronne. Un  
                  comité nommé à cet effet fit rapport de  
                  réduire les dépenses bien trop considérables  
                  pour le revenu, et demanda la suppression  
                  des pensions comme étant sujettes à beaucoup  
                  d'abus. Prenant un milieu entre les deux  
                  extrêmes, quelques-uns voulurent voter les  
                  subsides par chapitres, ou en sommes rondes  
                  pour chaque département. Mais les partisans du vote en détail l'emportèrent, le bill
                  
                  fut passé, envoyé au conseil, qui, comme on  
                  s'y attendait, le rejeta, et motiva le rejet  
                  dans les termes suivants:  
               
               
               
               
                  
                  
                  "Que le mode adopté pour l'octroi de la liste  
                     civile était inconstitutionnel, sans exemple, comportait une violation directe à des
                     droits et des prérogatives de la couronne: que si le bill devenait  
                     loi, il donnerait aux communes non seulement le  
                     privilége de voter les subsides, mais aussi de  
                     prescrire à la couronne le nombre et la qualité de  
                     ses serviteurs en réglant et en récompensant leurs  
                     services comme elle le jugerait convenable, ce qui  
                     les mettrait dans la dépendance des électeurs et  
                     pourrait leur faire rejeter l'autorité de la couronne  
                     que leur serment de fidélité les obligeait de soutenir."  
                   
               
               
               
               Ainsi, M. le PRÉSIDENT, le conseil nommé  
                  à vie rejetait cette mesure essentiellement  
                  juste: la votation, item par item, des subsides par la chambre basse; c'est-à-dire
                  la  
                  distribution des deniers prélevés sur le  
                  peuple, et il allait même jusqu'à dire que  
                  cette mesure était inconstitutionnelle. Comprend-on, aujourd'hui, qu'il pût pousser
                  le  
                  servilisme aussi loin? A cette époque, la  
                  population du Haut-Canada avait augmenté  
                  dans une proportion considérable, et le Bas- Canada comptait une population anglaise
                  
                  assez nombreuse pour motiver un projet  
                  d'union des deux Canadas sous un même  
                  gouvernement, et en 1823 la proposition en fut  
                  faite à l'Angleterre. C'est donc à cette  
                  époque de trouble, d'agitation et de rivalité  
                  entre les chambres que se trama en Angleterre un complot pour anéantir d'un seul 
                  
                  
                  
                  
                  coup la nationalité canadienne-française.  
                  Les guerres avaient fait ajourner le projet  
                  de l'union des provinces, car on avait eu  
                  besoin du secours du peuple canadien. La  
                  paix étant établie, on résolut de faire passer  
                  la mesure, et un bill à cet effet fut présenté  
                  dans le parlement impérial à l'insu de ceux  
                  dont on décidait le sort, sans les consulter,  
                  car on les savait opposés à cet acte oppressif.  
                  Oui, sans consulter le Bas-Canada, on voulait  
                  lui imposer une constitution dans laquelle  
                  il avait moins de représentants que le Haut- Canada; de plus, on mettait à sa charge
                  la  
                  dette de l'autre province, qui était considérable, et on proscrivait sa langue dans
                  le  
                  parlement. Grâce à une heureuse opposition qui se forma dans le parlement impérial,
                  malgré toutes les intrigues et les  
                  démarches de nos ennemis, le bill fut rejeté  
                  à sa seconde lecture. Alors, comme aujourd'hui, ceux qui voulaient notre perte criaient
                  
                  bien haut qu'il fallait presser la passation de  
                  ce bill avant que le peuple ne puisse protester; de même aujourd'hui ceux qui veulent
                  
                  nous imposer la confédération, malgré les  
                  pétitions qui s'opposent au projet, nous disent  
                  qu'il faut accepter cette nouvelle constitution sans retard et avant que le peuple
                  n'en  
                  connaisse les monstrueux détails." Je vous  
                  supplie de passer ce bill immédiatement,  
                  disait M. WILMOTT; si vous attendez à  
                  l'an prochain, vous recevrez tant de pétitions  
                  pour protester contre la mesure qu'il sera  
                  fort difficile de l'adopter, quelque utile  
                  qu'elle puisse être à ceux qui s'y opposent  
                  par ignorance ou par préjugé. D'ailleurs,  
                  elle est indispensable pour faire disparaître  
                  les difficultés qui existent entre l'exécutif et  
                  l'assemblée." Lorsque la nouvelle de ces  
                  tentatives injustes, mais heureusement  
                  vaines, parvint en Canada, elle y causa la  
                  plus vive agitation, et le peuple canadien  
                  tout entier fut indigné d'une conduite semblable. Des assemblées nombreuses se  
                  tinrent à Montréal et à Québec dans le but  
                  de protester contre le bill, et des pétitions  
                  au gouvernement anglais se couvrirent de  
                  60,000 signatures. A cette époque, comme  
                  aujourd'hui, on voulait passer ce projet  
                  d'union sans consulter le peuple, et le parlement impérial soumettait à sa législature
                  un  
                  projet contre lequel 60,000 Canadiens-Français protestèrent. Je n'hésite par à le
                  dire.  
                  M le PRÉSIDENT, le projet de confédération  
                  qu'on veut aujourd'hui imposer au peuple  
                  ne sera pas rejeté par 60,000 signatures  
                  canadiennes-françaises seulement, mais par  
                  
                  
                  622
                  
                  600,000. Oui, le réveil vient de se faire  
                  dans notre population, et, dans cette protestation en masse, nous ne resterons pas
                  en  
                  arrière de ceux qui ont réclamé avant nous  
                  chaque fois qu'on a voulu leur imposer d'injustes prétentions. Comme eux, nous enverrons
                  en Angleterre des milliers de signatures pour plaider contre la constitution dont
                  
                  nous ne voulons pas, et si, après cela, on ne  
                  nous fait pas justice, eh bien! fiat justitia  
                     ruat cœlum, nous aurons employé tous les  
                  moyens constitutionnels; la responsabilité  
                  des conséquences de ce déni de justice  
                  retombera sur la tête de ceux qui auront  
                  travaillé à amener un pareil état de choses.  
                  L'hon. DENIS BENJAMIN VIGER, l'un des  
                  plus valeureux champions de nos droits, disait  
                  à propos de l'introduction de ce projet  
                  d'union dans le parlement impérial, sans  
                  consulter le peuple:— 
               
               
               
               
                  
                  
                  "C'est après plus de soixante ans de paix et de  
                     bonheur, quand la génération qui vit la conquête  
                     est dans le tombeau, quand il reste a peine des  
                     témoins de cet événement au milieu de la génération actuelle, quand le souvenir comme
                     le sentiment en est éteint dans le cœur des Canadiens,  
                     quand enfin il n'y a plus dans cette province  
                     que des hommes nés sujets britanniques, et jouissant de leurs droits à ce titre, qu'on
                     a pu former  
                     le projet de nous traiter, je ne dirai pas comme  
                     un peuple conquis, à qui le droit public des  
                     nations civilisées ne permet plus d'arracher ses  
                     établissements et ses lois plus que ses propriétés,  
                     mais bien comme ces peuples sauvages, à qui les  
                     lumières et les arts, ainsi que les principes et les  
                     devoirs de la vie civile, sont inconnus."  
                   
               
               
               
               En effet, M. le PRÉSIDENT, ces expressions  
                  ne sont pas trop fortes pour qualifier la conduite du gouvernement impérial à cette
                  
                  époque. Il fallait du sang à St. Denis et à  
                  St. Charles, et que les têtes roulassent sur  
                  l'échafaud pour obtenir justice. Alors seulement, et lorsqu'on vit que le peuple n'hésitait
                  pas à sacrifier ses plus nobles enfants  
                  pour acheter sa liberté et ses droits politiques, on nous donna le gouvernement responsable
                  que nous avons aujourd'hui et que  
                  nous prétendons garder. A l'ouverture de  
                  la session suivante on s'attendait à la répétition des débats sur les finances; mais
                  le  
                  gouverneur ayant séparé dans les estimés la  
                  liste civile des autres dépenses, les subsides  
                  furent votés. C'est ainsi que chaque fois  
                  qu'on a persisté dans la lutte on a obtenu  
                  ce qu'on demandait, et je me demande pourquoi nos hommes politiques, qui ont lutté
                  
                  depuis l'union pour la conservation de la  
                  constitution, telle qu'elle est, avec un si grand  
                  succès, cèdent aujourd'hui aux prétentions  
                  
                  
                  
                  du Haut-Canada. Maintenons donc la constitution actuelle, qui offre la plus grande
                  
                  somme d'avantages pour les Canadiens- Français! On avait cru pendant quelque  
                  temps que la question des finances était parfaitement réglée; mais au retour de DALHOUSIE,
                  elle fut soulevée de nouveau plus  
                  menaçante que jamais, et les subsides furent  
                  refusés (1827.) Le gouverneur, dès le lendemain, prorogea les chambres, en insultant
                  
                  à la dignité des communes et en félicitant  
                  le conseil législatif. Cet acte tyrannique  
                  causa une surexcitation chez le peuple.  
                  Le presse tonna contre le pouvoir et, pour  
                  faire voir l'exaspération dans lequel on avait  
                  jeté les esprits, je citerai un extrait d'un  
                  journal de ce temps-là:  
               
               
               
               
               "Canadiens! on travaille à vous forger des  
                  chaînes; il semble que l'on veuille vous anéantir  
                  ou vous gouverner avec un sceptre de fer. Vos  
                  libertés sont envahies, vos droits violés, vos priviléges abolis, vos réclamations
                  méprisées, votre  
                  existence politique menacée d'une ruine totale.... 
                  Voici que le temps est arrivé de déployer vos  
                  ressources, démontrer votre énergie et de convaincre la mère-patrie et la horde qui,
                  depuis un  
                  demi-siècle, vous tyrannise dans vos propres foyers,  
                  que si vous êtes sujets, vous n'êtes pas esclaves."  
               
               
               
               
               Les élections furent favorables au parti  
                  populaire. A la réunion du parlement, M.  
                  PAPINEAU fut choisi comme orateur, mais  
                  le gouverneur refusa de sanctionner ce choix,  
                  et dit à la chambre d'assemblée d'en élire  
                  un autre. Devant un pareille conduite, que  
                  devait faire la chambre d'assemblée? Se  
                  plier? Non! M. le PRÉSIDENT, nous avions à  
                  cette époque dans notre chambre d'assemblée  
                  des hommes qui ne reculaient pas devant  
                  leur devoir et devant la responsabilité de leur  
                  juste opposition. Sur motion de M. CUVILLIER, il fut résolu que le choix du président
                  
                  devait être fait librement et indépendamment  
                  du gouverneur; que M. PAPINEAU avait  
                  été choisi, que la loi n'exigeait pas d'approbation, et qu'elle était, comme la présentation,
                  
                  une simple formalité d'usage. M. PAPINEAU  
                  ayant été reconduit au fauteuil, le gouverneur  
                  ne voulut point approuver ce choix, et le  
                  soir même le parlement était dissout. Ainsi,  
                  M. le PRÉSIDENT, ce parlement n'exista  
                  qu'une journée, parce que son président, dans  
                  son indépendance, n'était pas homme à se  
                  plier aux vengeances d'un pouvoir mal conseillé. En vérité, si ce sont là les libertés
                  que  
                  nous devons au système colonial, je n'ai pas  
                  besoin d'en faire connaître la valeur dérisoire.  
                  Le peuple comprit la position qu'on voulait  
                  lui faire et prit les moyens de repousser ces  
                  
                  
                  623
                  
                  nouvelles tentatives d'agression. L'agitation ne fit que s'accroître; des assemblées
                  
                  publiques se firent dans les villes et les campagnes, les discours se ressentirent
                  du  
                  trouble où étaient plongés les esprits; on alla  
                  même jusqu'à sévir contre la presse; et  
                  pour la seconde fois fut arrêté M. WALLER,  
                  l'éditeur du Spectateur, de Montréal. Des  
                  adresses, couvertes de plus de 80,000 signatures, furent envoyées en Angleterre et
                  
                  portées par MM. NEILSON, CUVILLIER et  
                  D. B. VIGER. M. GALE porta celle du parti  
                  oligarchique. Une grande assemblée des  
                  comtés de Verchères, Chambly, Rouville et  
                  St. Hyacinthe, se tint à St. Charles, où l'on  
                  protesta énergiquement contre l'ordre de  
                  choses existant, et on alla jusqu'à dire que  
                  l'on devait s'attendre aux conséquences qui  
                  pourraient résulter d'une violation aussi  
                  manifeste des droits les plus sacrés du peuple  
                  canadien. Si, M. le PRÉSIDENT, le peuple  
                  du Bas-Canada dût à cette époque traverser  
                  l'océan pour faire entendre sa voix et obtenir  
                  justice du gouvernement britannique; s'il  
                  fallut que nos chefs allassent déposer au  
                  pied du trône de Sa Majesté la protestation  
                  de 80,000 Canadiens-Français qui, aux mauvais jours de notre histoire, avaient su
                  sacrifier leurs vies pour maintenir la souverainté  
                  britannique sur ce continent; aujourd'hui  
                  encore, au moment où on veut nous imposer  
                  une nouvelle constitution que nous n'avons  
                  jamais demandée et que le peuple du BasCanada condamne énergiquement, le même  
                  moyen de protestation nous est laissé, et le  
                  gouvernement peut compter que nous saurons  
                  être aussi ferme dans la défense de nos droits  
                  et de nos libertés politiques que l'ont été  
                  les députés d'une autre époque. Notre protestation, s'il est possible, sera plus énergique
                  
                  encore contre le projet de confédération  
                  qu'on veut nous imposer.  
               
               
               
               
                  
                  
                  "La chambre s'assembla en 1831, et le gouverneur, dans le cours de la session, lui
                     transmit  
                     la réponse de l'Angleterre relativement à la queston des subsides. Le gouvernement
                     impérial  
                     abandonnait aux députés le contrôle sur le revenu,  
                     à l'exception du revenu casuel et territorial, consistant dans les biens des jésuites,
                     les postes du  
                     roi, les droits du quint, les lods et ventes, les  
                     terres et bois, etc., pour une liste civile de £19,000  
                     votée pour la vie du roi."  
                   
               
               
               
               En 1831, on accordait la votation par item  
                  d'une partie seulement des subsides. Cette  
                  restriction ne fut pas acceptée par ceux qui  
                  représentaient le peuple dans la chambre  
                  d'assemblée! Un pareil état de choses ne  
                  pouvait se prolonger sans amener une collision,  
                  
                  
                  
                  et les évènements de 1837 vinrent justifier  
                  les appréhensions de ceux qui n'avaient cessé  
                  d'avertir le gouvernement qu'il était impossible que le peuple souffrît plus longtemps
                  
                  une aussi affreuse négation de ses droits, et  
                  qu'il y avait danger imminent de lasser sa  
                  patience. Les évènements se succédèrent, et  
                  le clergé de cette époque comme aujourd'hui  
                  était opposé à toute démonstration énergique.  
                  Monseigneur LARTIGUE, de Montréal, publiait un mandement dans lequel il disait:  
                  "Qui oserait dire que dans ce pays la totalité  
                  des citoyens veut la destruction de son gouvernement?" Sans doute, M. le PRÉSIDENT,
                  
                  personne ne le voulait, mais la minorité de  
                  cette époque, comme la minorité d'aujourd'hui,  
                  se plaignait des injustices dont elle souffrait,  
                  et elle avait contre elle le clergé. La minorité  
                  d'alors combattait pour les libertés politiques  
                  du peuple, comme elle le fait aujourd'hui, et  
                  avait contre elle toutes les fortes influences  
                  et toutes les autorités établies. Il y a dans  
                  ce rapprochement un fait dont nous devons  
                  prendre note. Aujourd'hui, le gouvernement  
                  nous jette à tout instant cette insulte à la  
                  figure: "Vous ne représentez rien ici;  
                  l'opinion publique est contre vous." Eh  
                  bien! M. le PRÉSIDENT, j'aimerais beaucoup  
                  savoir de l'hon. procureur-général du Bas- Canada si lui et son hon. collègue, le
                  premier  
                  ministre, avaient pour eux la majorité du  
                  peuple et le clergé bas-canadien, alors qu'en  
                  1837 ils protestaient énergiquement contre  
                  les injustices faites à leurs compatriotes.  
                  Non! M. le PRÉSIDENT, à cette époque ils  
                  faisaient partie de la petite phalange qui alla  
                  jusqu'à lever l'étendard de la révolte dans  
                  les plaines de St. Denis et de St. Charles.  
                  Les temps sont bien changés, n'est-ce pas?  
                  Aujourd'hui, ces mêmes hommes, les révolutionnaires d'autrefois, font l'impossible
                  pour  
                  refuser au peuple le droit de se prononcer  
                  pour ou contre les changements constitutionnels qu'on veut lui imposer. Un pareil
                  
                  oubli de leur passé est réellement déplorable.  
                  M. le PRÉSIDENT, je ne désire pas, pour de  
                  graves raisons, insister sur ce qui s'est passé  
                  en 1837. En 1838, restait à faire le procès  
                  de ceux qui se trouvaient impliqués dans les  
                  troubles. Lord DURHAM se trouva dans  
                  une situation embarrassante, car il est  
                  toujours difficile pour un gouvernement de  
                  faire des procès politiques; souvent il y  
                  perd sa force et sa popularité. Pour obvier  
                  aux difficultés du moment, le gouverneur  
                  résolut d'adopter une grande mesure. Le  
                  jour du couronnement de la reine VICTORIA,  
                  
                  
                  624
                  
                  il proclama une amnistie génerale, et accorda  
                  le pardon aux Canadiens, à l'exception de  
                  vingt-quatre des plus dévoués du parti révolutionnaire. Il est assez important, M.
                  le  
                  PRÉSIDENT, de savoir quels étaient les vingt- quatre hardis révolutionnaires contre
                  lesquels  
                  le gouvernement britannique sévissait aussi  
                  sévèrement, et contre lesquels le clergé  
                  s'était si fortement prononcé. Ces hommes  
                  étaient MM. WOLFRED NELSON, R. S. M.  
                  ROUCHETTE, BONAVENTURE VIGER, SIMÉON  
                  MARCHESSAULT, H. A. GAUVIN, T. H.  
                  GODIN, ROD. DESRIVIÈRES, L.H. MASSON,  
                  LOUIS J. PAPINEAU, C. H. CÔTÉ, JULIEN  
                  GAGNON, ROBERT NELSON, E. B. O'CALLAGHAN, ED. ET. RODIER, T. S. BROWN,  
                  LUDGER DUVERNAY, ET. CHARTIER, PTRE,  
                  G. ET. CARTIER, J. RYAN, fils, Ls. PERREAULT, P. L. DEMARAY, J. F. DAVIGNON  
                  et LS. GAUTHIER." Ainsi, M. le PRÉSIDENT,  
                  parmi ces hommes sanguinaires, je trouve  
                  l'hon. procureur-général du Bas-Canada  
                  (M. CARTIER). (Ecoutez! écoutez!) Loin  
                  de moi la pensée de lui reprocher sa  
                  conduite à cette époque; je l'ai toujours  
                  regardée comme celle d'un patriote et d'un  
                  ami sincère de son pays. D'ailleurs, cet  
                  hon. député nous a déclaré, dans plusieurs occasions, qu'il ne regrettait pas  
                  les luttes qu'il avait autrefois soutenues  
                  pour revendiquer les libertés politiques de  
                  son pays, et je comprends parfaitement qu'il  
                  persiste dans ces sentiments, car il est  
                  aujourd'hui acquis à l'histoire que tous ceux  
                  qui ont pris part à ces luttes ont noblement  
                  joué leur vie pour jouir de leurs convictions, et  
                  la minorité d'alors comme la minorité actuelle  
                  ne pouvait attendre que des mécomptes de  
                  son opposition au pouvoir. Il ne m'appartient point de décider jusqu'à quel point
                  ce  
                  mouvement insurrectionnel était motivé par  
                  les circonstances déplorables de cette époque;  
                  mais j'ai l'entière conviction que ceux qui y  
                  ont présidé étaient mus par un sentiment  
                  patriotique et un généreux désir d'obtenir  
                  pour leurs compatriotes les libertés politiques  
                  qu'on leur refusait. Ils ont donc amplement  
                  mérité de leur pays pour les sacrifices qu'ils  
                  lui ont faits. Voyez plutôt, M. le PRÉSIDENT:  
                  les hommes qui, il y a vingt ans, se trouvaient dans une minorité révolutionnaire,
                  
                  bravaient le clergé, et levaient l'étendard de  
                  la révolte contre la Grande-Bretagne, sont  
                  aujourd'hui dans la majorité et appuyés par  
                  la puissante influence de l'Angleterre et du  
                  clergé dont ils ont l'entière confiance! Ils  
                  ont leurs petites entrées à Windsor, occupent  
                  
                  
                  
                  les charges les plus lucratives et les plus élevées  
                  de notre pays, et sont décorés même des  
                  titres dont Sa Majesté sait récompenser ses  
                  plus loyaux sujets. La minorité aujourd'hui,  
                  pas plus qu'en 1837, ne veut avoir recours  
                  aux moyens que donne la révolution après  
                  avoir épuisé ceux que donne la constitution,  
                  mais elle a l'intime conviction que, dans vingt  
                  ans, quand le peuple aura pu apprécier ce  
                  qu'elle fait aujourd'hui pour lui, il éprouvera  
                  pour l'opposition qui se dévoue un sentiment  
                  de reconnaissance dont le résultat sera de  
                  lui donner son entière confiance après la lui  
                  avoir refusé aux jours de l'épreuve. Oui,  
                  M. le PRÉSIDENT, de même que la minorité  
                  en 1837 est la majorité aujourd'hui, de  
                  même la minorité actuelle sera la majorité  
                  dans un avenir plus ou moins prochain. Je  
                  ne veux pas, M. le PRÉSIDENT, suivre jusque  
                  sur l'échafaud les victimes de cette époque  
                  malheureuse de notre histoire. Ils ont payé  
                  de leur tête leur dévouement à la cause de  
                  leur pays, et s'il est besoin de sang et de  
                  dévouement pour mériter à un peuple ses  
                  droits d'existence, les leurs sont là pour  
                  dire que le Canada-français a largement et  
                  noblement sacrifié ses plus nobles enfants au  
                  génie de la Liberté! (Ecoutez! écoutez!)  
                  Mais avant de terminer cet historique de  
                  nos luttes, depuis la conquête jusqu'aux  
                  évènements malheureux de 1837-38, il est  
                  important de constater que c'est à notre  
                  résistance héroïque dans le parlement et à  
                  main armée que nous devons les libertés  
                  politiques que nous garantit la constitution  
                  actuelle. Je ne veux pas laisser cet aperçu  
                  du système colonial de l'Angleterre, en  
                  Canada, sans détruire la fausse impression  
                  que ce système. colonial s'est sensiblement  
                  amélioré, grâce à la libéralité des vues politiques des hommes d'Etat de la Grande-
                  Bretagne; que les luttes que nous avons  
                  faites étaient dues aux idées d'une autre  
                  époque, et qu'aujourd'hui toutes les libertés  
                  dont nous jouissons s'étendent à toutes les  
                  colonies anglaises auxquelles le régime colonial de notre époque garantit les avantages
                  et  
                  les bienfaits du gouvernement responsable. Je  
                  crois, M. le PRÉSIDENT, pouvoir détruire  
                  facilement ces arguments erronés, et, pour  
                  cela, je n'ai qu'à consulter le régime colonial  
                  de l'Angleterre à l'île Maurice. Cette  
                  colonie française, qui n'est pas aussi ancienne  
                  que la nôtre et qui est devenue la conquête  
                  de l'Angleterre, est tombée sous le joug de  
                  la Grande-Bretagne en 1810. C'était alors  
                  l'Ile de France. Depuis sa conquête, on en  
                  
                  
                  625
                  
                  a changé le nom en celui d'île Maurice.  
                  Elle renferme une population presque toute  
                  française; mais malheureusement pour ses  
                  droits politiques elle n'a pas, comme nous,  
                  l'avantage de demeurer dans le voisinage immédiat d'une grande république comme celle
                  
                  des Etats-Unis, servant pour ainsi dire de garantie à la protection de ses libertés.
                  L'Ile de  
                  France, grâce à son isolement, est justement  
                  dans des circonstances qui nous permettent  
                  de juger ce que valent les prétendues liber  
                  tés du système colonial, lorsqu'il n'a rien à  
                  craindre de la faiblesse des colons ou de  
                  l'intervention d'un voisin puissant en faveur  
                  des opprimés. Ainsi, M. le PRÉSIDENT, voilà  
                  une magnifique occasion de juger si le système colonial, appliqué sous ces circonstances,
                  possède ce caractère de libéralité qu'on  
                  lui attribue. Eh bien! je regrette de le dire,  
                  on voit ici, comme nous l'avons vu en Canada,  
                  la même politique agressive et tyrannique que  
                  nous avons eue à combattre pendant tout un  
                  siècle. Le système colonial a soulevé ici un  
                  profond mécontentement. Je vais énumérer  
                  les griefs dont on s'y plaint,—griefs qui ne  
                  sont que trop fondés. Quand l'île Maurice  
                  a été cédée à l'Angleterre, on a stipulé, comme  
                  on l'avait fait pour le Canada, que la population française de l'île conserverait
                  l'usage  
                  de sa langue, ses institutions religieuses  
                  ainsi que ses lois qui l'avaient régie jusque  
                  là: trois libertés d'un grand prix pour les  
                  descendants de la vieille France! Eh bien!  
                  M. le PRÉSIDENT, nous allons voir maintenant si l'Angleterre a respecté ces trois
                  
                  clauses du traité. Je tiens en main une  
                  correspondance dont la date n'est pas plus  
                  ancienne que le 6 mai 1862; elle est écrite  
                  par un colon français de l'île Maurice, et fait  
                  un exposé du système colonial qui régit ses  
                  compatriotes. Avant de lire cette correspondance, je dois d'abord dire que la population
                  
                  de cette île est de deux cent mille âmes:  
                  cette population est administrée par un conseil exécutif et un conseil législatif,
                  nommé  
                  à vie, de 18 membres, dont 8 sont des fonctionnaires publics nommés et payés par le
                  
                  gouvernement de la colonie; les dix autres  
                  sont presque tous d'origine anglaise. Ainsi,  
                  l'élément français dans le conseil législatif  
                  de l'île Maurice est dans la proportion de 1  
                  contre 5 environ, bien que la population soit  
                  presque entièrement française.  
               
               
               
               
                  
                  
                  "M. le rédacteur de l'Economiste Français,
                  
                  
                  
                  "Vous promettez aux anciennes colonies françaises aide et protection dans vos colonnes;
                     il est  
                     donc naturel que, confiant en cette promesse, je
                     vienne mettre sous les yeux de vos lecteurs et  
                     dévoiler à un public intelligent, à des juges impartiaux, les actes d'un gouvernement
                     qui, depuis  
                     1810, exerce sur nous le despotisme le plus absolu,  
                     voilé sous le grand nom de liberté. En effet,  
                     monsieur, nous avons la liberté de la presse,  
                     mais on ne l'écoute pas. Vaines sont les réclamations; le gouvernement "se bouche
                     les oreilles  
                     et nous laisse crier." Ensuite il nous dit que  
                     nous n'aurons jamais une administration plus  
                     sage, plus paternelle, plus libérale.—" Que voulez- vous de plus que la liberté de
                     penser et d'écrire?"  
                     demande-t-il. 
                  
                  
                  
                  "Ce que nous voulons, c'est que cette liberté  
                     de la presse nous soit utile à quelque chose; c'est  
                     que le gouvernement écoute les organes de l'opinion publique; c'est qu'il ne gaspille
                     pas nos  
                     fonds, malgré les protestations de la presse; (
*) 
                     
                     
                     
                     c'est qu'il fasse observer les lois telles quelles  
                     ont été faites et également pour chacun; c'est  
                     que, entre autres lois, celle sur la quarantaine soit  
                     fidèlement observée, et qu'on ne tasse pas d'exceptions pour les navires de guerre
                     de Sa Majesté  
                     britannique ou pour ceux qui portent des troupes;  
                     c'est qu'on apporte plus d'attention aux communications avec les navires arrivant
                     de l'Inde; c'est  
                     qu'on nous mette à l'abri des épidémies qui  
                     viennent décimer notre population; c'est qu'on  
                     empêche le choléra de devenir endémique dans le  
                     pays, afin de conserver la population française  
                     et créole de Maurice; c'est que l'on fasse une  
                     enquête sur les causes qui ont pu nous donner le  
                     choléra; c'est qu'on revise les lois insuffisantes;  
                     c'est qu'on garde nos réserves chez nous, au lieu  
                     de les prêter à la métropole ou à d'autres colonies;  
                     c'est qu'on respecte notre traité de capitulation;  
                     c'est qu'on ne cherche pas à introduire ici des lois;  
                     anglaises, quand il est convenu que les codes  
                     français seuls doivent nous régir; c'est qu'on  
                     nous rende l'usage de la langue française qui nous  
                     a été ravi au mépris de la foi jurée; c'est qu'on ne  
                     fasse pas d'injustices criantes en faveur des Anglais  
                     et au détriment des créoles; c'est que ces derniers  
                     soient appelés aux différents emplois, et qu'on  
                     ne les donne pas à des protégés incapables; c'est  
                     encore le conseil législatif; le 
self-government, etc.,  
                     etc., Voilà ce que nous voulons!  
 
                  
                  
                  
                  "Vous croyez que nous voulons beaucoup  
                     de choses! Mais n'est-ce pas que toutes ces  
                     choses sont justes et raisonnables?  
                  
                  
                  
                  "Passons maintenant à l'énumération de quelques unes, et suivant l'ordre chronologique,
                     commençons par la langue française.  
                  
                  
                  
                  "L'acte de capitulation, signé en 1810 par les  
                     représentants de la France et de l'Angleterre,  
                     contenait les clauses suivantes que nous, peuple  
                        conquis, nous imposions à nos vainqueurs:  
                  
                  
                  
                  "1o. Le respect de notre religion;  
                  
                  
                  "2o. Le maintien de nos lois;  
                  
                  
                  "3o. La garantie de nous laisser parler français.  
                  
                  
                  
                  "Eh bien! de ces trois principales clauses, inscrites en grosses lettres dans notre
                     acte de capitulation, acceptées et promises sous la foi du 
                     
                     
                     626
                     
                     serment, signées et approuvées par l'Angleterre,  
                     l'une a déjà été violée; on travaille à en saper  
                     une autre! Répudiant tout scrupule, le gouvernement anglais nous a d'abord ravi l'usage
                     de la  
                     langue française devant les hautes cours de justice.  
                     Nous avons réclamé; mais on est resté sourd à  
                     nos réclamations.  
                  
                  
                  
                  "Ce premier pas fait, jusqu'où n'ira-t-on pas  
                     dans ce grand œuvre de destruction de tout ce  
                     qui nous vient de la France?  
                  
                  
                  
                  "Sur la demande de quelques Anglais, en s'occupe déjà de faire un remaniement dans
                     nos  
                     codes, et, quand la population entière s'adresse  
                     à la métropole pour obtenir la révocation d'un  
                     ordre qui rend les affaires impossibles sans l'intervention très-coûteuse d'hommes
                     de loi et de traducteurs, et qui, de plus, blesse profondément les  
                     cœurs créoles, on lui dit de se taire! Quand elle  
                     demande à grands cris la révision des lois insuffisantes qui facilitent la propagation
                     de miasmes  
                     méphitiques, on ne l'entend pas! Quand elle  
                     réclame une enquête sur les circonstances qui  
                     ont pu introduire chez elle la cruelle épidémie  
                     qui, depuis plus de quatre mois, porte la mort  
                     dans ses rangs, on lui dit qu'elle se crée des chimères! En même temps, et comme pour
                     éloigner  
                     l'esprit public de cette idée, on a l'air de remettre  
                     sur le tapis une question déjà résolue et votée:  
                     celle des chemins de fer!  
                  
                  
                  
                  "Autre grief. Lorsque l'épidémie règne chez nous,  
                     que notre municipalité a besoin d'argent pour les  
                     soins à donner à la classe pauvre, le gouvernement  
                     n'en a pas à prêter, parce que les réserves financières de la colonie se prêtent au
                     Cap, à l'lnde, à  
                     Ceylan, à la métropole même."  
                   
               
               
               
               Ainsi, M. le PRÉSIDENT, l'Ile Maurice  
                  qui, aux termes de son traité de capitulation, devait conserver l'usage de sa langue,
                  
                  de ses institutions particulières et de ses  
                  lois, se voit bientôt enlever l'usage de sa  
                  langue; ses lois sont changées et ses institution sont opprimées. C'est là, M. le
                  PRÉSIDENT, l'espèce de liberté dont une colonie  
                  française peut jouir sous le régime colonial  
                  de l'Angleterre, lorsque cette colonie est  
                  faible et qu'elle ne se trouve pas, comme le  
                  Canada, dans le voisinage d'une république  
                  puissante comme celle des Etats-Unis.—Je  
                  crois, M. le PRÉSIDENT, avoir démontré  
                  amplement quel a été de tout temps l'esprit  
                  d'antagonisme des deux races anglaise et  
                  française sur les deux continents, et quel a  
                  été l'esprit d'agression de l'élément anglais  
                  contre notre population depuis l'origine de  
                  la colonie jusqu'à nos jours; nous avons  
                  vu le fanatisme colonial s'attaquer à nos  
                  institutions, à notre langue, à nos lois, et  
                  notre anéantissement comme race être le  
                  but évident de ses constants efforts. Aujourd'hui, pouvons-nous croire qu'il en est
                  
                  autrement, et cette unanimité de l'élément  
                  anglais en faveur de la confédération ne  
                  
                  
                  
                  doit-elle pas nous effrayer? Sous ces dehors  
                  de conciliation, n'y a-t-il pas notre perte?  
                  Oui, consultons l'histoire de notre pays  
                  avant d'opérer un changement aussi radical  
                  dans notre constitution; rappelons-nous avec  
                  terreur ces luttes et cet antagonisme qui  
                  ont prévalu dans le passé, et efforçons-nous  
                  de juger sûrement des résultats nécessaires  
                  d'un changement constitutionnel aussi grave  
                  que celui qui nous est proposé. (Ecoutez!  
                  écoutez!) Voyons maintenant, M. le PRÉSIDENT, les conséquences désastreuses de  
                  l'adoption du projet de confédération. Les  
                  membres du gouvernement nous ont dit  
                  que la confédération nous constituerait en  
                  puissance militaire de premier ordre, et nous  
                  permettrait de résister aux agressions de  
                  l'Union Américaine. La défense de nos frontières est certainement une question de
                  la  
                  plus haute importance, car personne n'ignore  
                  que nos relations avec nos voisins sont  
                  extrêmement tendues. Ils ont établi un  
                  système de passeports dont le but est de  
                  gêner notre commerce.—Le congrès a passé  
                  une résolution presque unanime pour rappeler  
                  le traité de réciprocité qui existe entre les  
                  deux pays. Dans quelques mois, nos lacs  
                  seront sillonnés par des vaisseaux de guerre,  
                  dont l'armement ne peut être dirigé que sur  
                  le Canada! Voilà, M. le PRÉSIDENT, qu'elle  
                  est la position des Etats-Unis à notre égard,  
                  et, pour faire face à ce danger, le gouvernement proposc de former une confédération
                  
                  qui sera, nous dit-il, une puissance de premier ordre, pouvant maintenir sur ce continent
                  la suprématie de la Grande-Bretagne.  
                  Mais le but qu'on se propose sera-t-il atteint?  
                  Serons-nous plus forts avec la confédération  
                  que nous ne le sommes aujourd'hui? Le gouverneur-général des provinces de l'Amérique
                  
                  Britannique du Nord ne peut-il pas lever des  
                  troupes dans toute l'étendue des provinces  
                  placées sous sa juridiction? Les milices de  
                  toutes ces provinces ne sont-elles pas sous  
                  son commandement immédiat? On nous dit,  
                  M. le PRÉSIDENT, que la confédération nous  
                  donnera une organisation militaire plus uniforme que celle que nous avons aujourd'hui.
                  
                  Mais rien n'empêche que cette organisation  
                  soit créée sous la constitution actuelle: et je  
                  n'hésite pas à le dire, sous cette constitution  
                  les diverses provinces se défendront mieux  
                  que sous la confédération. N'est-ce pas  
                  précisément en créant ici une puissance  
                  militaire hostile à la puissante république  
                  voisine qu'on amènera la guerre et ses  
                  calamités? Du moment que les Etats-Unis  
                  
                  
                  627
                  
                  verront dans cette confédération une organisation dont le but avoué est de balancer
                  leur  
                  pouvoir en Amérique, ils n'attendront point  
                  que nos fortifications soient élevées ou que  
                  le chemin de fer intercolonial soit construit,  
                  mais ils nous assaillierons de suite. D'un  
                  autre côté, nous portons le défi à la république américaine en créant ici une organisation
                  politique contraire aux principes du  
                  gouvernement démocratique qui la régit,  
                  contraire à la fameuse doctrine MONROE qui,  
                  comme on le sait, s'oppose à l'établissement  
                  de gouvernements monarchiques sur ce  
                  continent. Le projet du gouvernement actuel  
                  est donc d'établir ici un système politique  
                  essentiellement hostile aux Etats-Unis, puis qu'il sera essentiellement monarchique
                  et, au  
                  lieu d'être pour nous un moyen de défense,  
                  il ne peut qu'amener la guerre et ses conséquences désastreuses. Pour la sécurité
                  et  
                  la prospérité de notre pays, le gouvernement,  
                  au lieu de saigner le peuple, comme il se  
                  propose de le faire pour bâtir çi et là des  
                  fortifications ruineuses et insuffisantes après  
                  tout, devrait appliquer les revenus du trésor  
                  à la création de nouvelles industries, à  
                  l'amélioration de nos voies de communication, et à la colonisation de nos terres 
                  
                  incultes. Ces sources inépuisables de richesses, sagement administrées, doubleraient
                  
                  notre nombre, doubleraient nos revenus, doubleraient notre puissance, et nous donneraient
                  
                  ainsi des moyens de défense plus efficaces  
                  que ceux que nous donnera la confédération,  
                  en écrasant le peuple sous les impôts pour  
                  subvenir à une défense imparfaite de nos  
                  frontières. Et croit-on, pour un instant, que,  
                  lorsque nous aurons ainsi décrété d'urgence  
                  la fortification de nos frontières, l'armement  
                  de nos miliciens, et la création d'une flotte  
                  sur nos mers intérieures, les Etats-Unis  
                  en feront autant et qu'ils nous suivront  
                  dans cette ruineuse folie? Croit-on que les  
                  hommes d'Etat américains ne comprendront  
                  pas de suite que, puisque nous voulons  
                  nous ériger en ennemi sur leurs frontières  
                  et les forcer ainsi à des dépenses énormes  
                  pour nous tenir en échec, ce ne sera pas  
                  pour eux une question d'économie pure et  
                  simple de nous assaillir maintenant et prendre possession du pays avant que nous ne
                  
                  puissions les forcer à maintenir cet état de  
                  guerre ruineuse? Et comment ferions-nous  
                  pour résister à une armée d'invasion de 2 à  
                  300,000 hommes avec notre trésor épuisé  
                  par ces fortifications et à peine aidés par  
                  l'Angleterre, dont la politique est anti- 
                  
                  
                  
                  coloniale en ce moment? Je ne comprends  
                  pas comment, en face du danger qui nous  
                  menace et pour lequel nous sommes si peu  
                  préparés, le gouvernement peut ainsi jeter  
                  le défi à la puissante nation qui nous avoisine  
                  et dont les armées aujourd'hui en campagne  
                  défient toute résistance à un envahissement  
                  immédiat. Je le dis avec certitude, M. le  
                  PRÉSIDENT, les Etats Unis n'ont pas la  
                  moindre intention de nous assaillir, si nous  
                  restons paisibles spectateurs de leur lutte fratricide, et si nous continuons à pratiquer
                  les  
                  arts de la paix. Mais si, au contraire, nous  
                  créons ici une puissance militaire hostile, si  
                  nous élevons ici un trône à un vice-roi,  
                  ou à quelque monarque étranger, comme  
                  un défi aux principes qui forment la base  
                  sur laquelle s'appuie le système politique  
                  des Etats-Unis, alors nous pourrons être  
                  persuadés que la république voisine balaiera  
                  cette organisation monarchique. (Ecoutez!  
                  écoutez!) Voilà, M. le PRÉSIDENT, la question  
                  sous son aspect le plus sérieux. Je n'entrerai pas dans la discussion des détails
                  du  
                  projet de confédération, qui ont été si habilement critiqués par les hon. membres
                  qui  
                  m'ont précédé; d'ailleurs, j'aurai occasion  
                  de les discuter lorsque les amendements  
                  au projet seront soumis à cette chambre.  
                  Mais je puis dire de suite que ces détails ne  
                  sauraient être acceptés par le peuple. Déjà  
                  nous avons reçu de nombreuses pétitions  
                  demandant le rejet de la mesure, et ces  
                  pétitions continuent de nous arriver tous les  
                  jours. Eh bien! je vous le demande, M. le  
                  PRÉSIDENT, quels seront les sentiments du  
                  peuple si ce projet est adopté et si dans deux  
                  mois il nous revient d'Angleterre, après avoir  
                  été sanctionné par le parlement impérial,  
                  sans que nous ayons pu en changer le plus  
                  petit détail? Croit-on qu'après avoir ainsi  
                  imposé au Canada-Français une constitution  
                  qu' il aura repoussée de toute son énergie, il 
                  sera bien enthousiaste pour la défense de cette  
                  constitution, qui lui aura enlevé une partie  
                  des droits politiques dont il jouissait? Et il  
                  n'y a pas à le nier: en acceptant la confédération proposée, nous cédons quelque chose
                  
                  des priviléges dont nous jouissons aujourd'hui. Les ministres eux-mêmes ne nous ont-
                  ils pas dit que, sous la pression des demandes  
                  du Haut-Canada, il leur avait fallu faire des  
                  concessions à la conférence de Québec pour  
                  assurer l'adoption du projet actuel? Et ces concessions quelles sont-elles? La majorité
                  hostile  
                  du Haut-Canada a obtenu la représentation  
                  basée sur la population, contre laquelle le  
                  
                  
                  628
                  
                  Bas-Canada a lutté si énergiquement depuis  
                  quinze ans parce qu'il voyait dans cette concession l'anéantissement de notre influence
                  
                  comme race. Sous ces circonstances, M. le  
                  PRÉSIDENT, croit-on qu'on pourra compter  
                  sur le concours de ces Canadiens-Français  
                  autrefois si terribles dans l'attaque, et qui se  
                  battaient sans hésitation un contre dix,—proportion dans laquelle nous nous trouverions
                  
                  encore vis-à-vis des Américains dans le cas  
                  probable d'une guerre. Espérer qu'ils combattraient avec le même élan aujourd'hui
                  
                  quand on leur enlève les plus sûres garanties  
                  de leur existence nationale et leurs droits  
                  politiques les plus sacrés, c'est se tromper  
                  grandement et ne pas connaître quel a toujours été la cause de leur héroïsme dans
                  la  
                  lutte. Sous la constitution telle qu'elle est, ils  
                  combattaient encore avec le même courage,  
                  sans égard au nombre, parce qu'ils aiment  
                  cette constitution qui leur garantit ce qu'ils  
                  ont de plus cher et qu'ils veulent la conserver.  
                  Sous la confédération, au contraire, il ne  
                  nous reste plus rien à défendre; notre influence comme race est nulle, et plutôt que
                  
                  d'être absorbé dans une confédération dont  
                  l'existence sera une cause de luttes constantes, sans avantages correspondants, le
                  
                  peuple mécontent cherchera d'autres alliances  
                  politiquement et commercialement plus avantageuses, et c'est ainsi que je considère
                  que  
                  le projet de confédération nous conduit  
                  directement à l'annexion aux EtatsUnis.  
                  Quand les commissaires du Nord et du Sud  
                  ont eu dernièrement une entrevue pour  
                  déterminer les conditions possibles d'une  
                  paix honorable, une des trois propositions  
                  soumises par le Nord était que les deux  
                  armées ne seraient pas licenciées après la  
                  cessation des hostilités, mais réunies pour  
                  la guerre à l'étranger. Et, M. le PRÉSIDENT,  
                  que veut dire la guerre à l'étranger pour les  
                  Etats-Unis, si ce n'est la guerre au Canada?  
                  Et que pourraient faire contre les deux  
                  armées réunies du Nord et du Sud, dont la  
                  force s'est élevée à 1,000,000 d'hommes, les  
                  cinquante bataillons que l'Angleterre pourrait nous envoyer. Placée à mille lieues
                  de  
                  nous, la Grande-Bretagne, avec tout son  
                  matériel de guerre et nos milices, ne pourrait  
                  défendre le Canada qu'au prix des plus  
                  grands sacrifices contre un ennemi aussi  
                  puissant. Ce n'est donc pas quand nous  
                  sommes placés dans des circonstances aussi  
                  difficiles qu'il convient de crier bien haut  
                  que nous ne craignons point la lutte et que  
                  nous sommes prêts à nous mesurer contre  
                  
                  
                  
                  les Etats de l'Union Américaine. Il est  
                  également absurde de donner de l'ombrage  
                  à leurs institutions en créant à côté d'elles  
                  une organisation politique qui leur répugne  
                  souverainement. Croit-on que nos prétentions monarchiques et nos menaces sont de 
                  
                  nature à intimider les hommes d'Etat américains? Nous ne sommes pour eux que des 
                  
                  pygmées menaçant des géants. Vienne la  
                  guerre, sous la constitution actuelle, et  
                  nous trouverons cent mille volontaires  
                  prêts à voler à la défense de nos frontières.  
                  Mais si le gouvernement impose au Canada- Français ce projet de confédération, dont
                  il  
                  a tout à craindre et qui peut avoir les conséquences les plus désastreuses pour ses
                  
                  institutions, sa langue et ses lois, alors, je  
                  dois le dire, il y aura de l'hésitation dans  
                  nos rangs au moment où chaque homme  
                  marchera vers une mort à peu près certaine pour la défense d'un drapeau qui  
                  n'aura plus pour notre race les garanties  
                  de protection qu'il nous donne aujourd'hui.  
                  Je dis donc que le moment est mal choisi  
                  pour opérer des changements aussi graves  
                  et pour jeter les bases d'un empire dont  
                  l'existence, menacée à l'intérieur et à l'extérieur, n'aura que quelques jours de
                  durée.  
                  Car avec le mécontentement du Canada- Français, froissé dans ses droits et privilèges,
                  
                  il est impossible à l'Angleterre de se maintenir ici contre trois cent mille hommes
                  
                  envahissant notre territoire sur dix points  
                  de nos frontières. La politique la plus sage  
                  que nous puissions suivre dans ce moment  
                  de crise, est donc de rester paisibles spectateurs de la lutte de nos voisins, d'ouvrir
                  nos  
                  forêts à la colonisation, d'exploiter nos mines  
                  et nos pouvoirs d'eau, de défricher nos  
                  terres incultes et de travailler sans relâche  
                  à rappeler nos infortunés compatriotes dispersés aujourd'hui sur le sol américain.
                  
                  Etablissons des voies pierrés, doublons notre  
                  industrie manufacturière, agrandissons nos  
                  canaux, étendons notre réseau de chemin de  
                  fer jusqu'aux provinces maritimes, et lorsque  
                  nous aurons atteint de grandes proportions  
                  comme peuple, lorsque notre prospérité se  
                  sera quadruplée, et surtout lorsque le terrible  
                  cataclysme qui menace de tout détruire dans  
                  l'Amérique du Nord aura fini son œuvre de  
                  ruine, et lorsque enfin nous serons assez forts  
                  pour nous protéger contre l'extérieur et que  
                  le Canada-Français surtout aura acquis assez  
                  de puissance pour avoir à peu près l'égalité  
                  de représentation dans le parlement général,  
                  il sera temps alors de jeter les bases d'une  
                  
                  
                  629
                  
                  grande confédération des provinces britanniques de l'Amérique du Nord, appuyée sur
                  le  
                  principe protecteur de la souveraineté des  
                  Etats. Dans ces conditions, la confédération  
                  produira des fruits abondants et sera acclamée par le peuple de ce pays, et surtout
                  par  
                  les Canadiens-Français qui, ayant doublé leur  
                  nombre dans l'intervalle, seront en position  
                  d'obtenir des conditions infiniment plus  
                  avantageuses que celles qui leur sont imposées aujourd'hui. On ne viendra pas alors
                  
                  remplacer nos droits politiques actuels si  
                  chèrement acquis, au prix d'un siècle de  
                  luttes, par des gouvernements locaux qui ne  
                  seront que des conseils municipaux revêtus  
                  de pouvoirs mesquins et ridicules, indignes  
                  d'un peuple libre, qui nous permettront tout  
                  au plus le contrôle de nos chemins, de nos  
                  écoles et de nos terres. Mais nous obtiendrons alors des législatures locales basées
                  
                  sur la souveraineté des Etats, comme elle le  
                  sont sous la constitution des Etats-Unis. Il  
                  ne faut pas se le cacher: la constitution  
                  américaine a été créée par de grands hommes,  
                  en face d'une foule d'intérêts locaux considérables et opposés, et il leur a fallu
                  plusieurs  
                  années d'études approfondies pour concilier  
                  ces intérêts divergents, et former enfin cette  
                  constitution admirable qui, comme l'a si bien  
                  dit l'hon. député de Brome, défie la critique  
                  la plus sévère sur ses bases les plus importantes. Avec une constitution comme celle
                  
                  des Etats-Unis, basée sur le principe de la  
                  souveraineté des Etats, le Bas-Canada élira  
                  lui-même son gouverneur, ses représentants  
                  au parlement et au conseil législatif fédéral,  
                  ainsi que tous les ministres de l'exécutif.  
               
               
               
               M. DUFRESNE (de Montcalm)—Nous  
                  nommerons aussi les juges.  
  
               
               
               
               M. PERRAULT—Si l'hon. député de  
                  Montcalm avait écouté avec attention le  
                  remarquable discours de l'hon. député de  
                  Brome, il aurait appris que, dans la majorité  
                  des Etats de l'Union américaine, les juges ne  
                  sont pas nommés par le peuple, mais par  
                  l'exécutif du gouvernement local absolument  
                  comme on le fait au Canada, et qu'ils sont,  
                  sous tous les rapports, aussi intègres et aussi  
                  distingués que nos propres juges. Si nos  
                  ministres canadiens-français n'avaient pas  
                  été dans une minorité aussi impuissante à  
                  la conférence de Québec (quatre contre trente- deux) ils n'auraient certainement pas
                  accepté  
                  un projet de confédération aussi plein de  
                  dangers pour la race française que celui qui  
                  nous a été soumis. Ils auraient obtenu des  
                  conditions plus favorables que celles qui nous  
                  
                  
                  
                  sont imposées, et au nombre desquelles se  
                  trouve la nomination à vie des conseillers  
                  législatifs par l'exécutif du gouvernement  
                  général. Pour ma part, M. le PRÉSIDENT,  
                  je ne suis pas en faveur des nominations à  
                  vie d'hommes qu'on prend dans la foule,  
                  pour en faire des instruments d'oppression,  
                  et qui servent trop souvent à enrayer les mesures les plus importantes au point de
                  vue  
                  des libertés et des droits du peuple. Le nomination à vie des conseillers législatifs,
                  par  
                  une majorité hostile à notre race, est aussi  
                  dangereuse aujourd'hui qu'elle l'était aux  
                  plus mauvais jours de notre histoire, et l'accepter, c'est mettre nos plus précieuses
                  
                  libertés à la merci des ennemis de notre  
                  race. Avec de pareilles dispositions dans  
                  la constitution qu'on veut nous imposer, il  
                  est impossible que l'élément français soit  
                  protégé dans le conseil législatif. Il est  
                  également impossible que les tendances  
                  agressives dont j'ai fait l'historique dans la  
                  première partie de mes remarques, ne soient  
                  pas à l'œuvre dans l'exécutif fédéral lors qu'il s'agira des nominations de ces conseillers
                  à vie. On nous a dit: la section  
                  canadienne-française résignera si l'exécutif  
                  fédéral veut être injuste au détriment de  
                  ses nationaux. Eh bien! M. le PRÉSIDENT,  
                  je veux bien supposer qu'elle résigne et  
                  qu'elle ne trouve pas de remplaçants (ce  
                  qui est encore plus improbable), j'aimerais à  
                  savoir où nous conduira cette résignation et  
                  quelle espèce de remède ce sera apporter à  
                  notre position humiliante? Nous aurons  
                  quarante-huit membres français dans le parlement général contre cent quarante membres
                  
                  d'origine anglaise, c'est-à-dire que nous  
                  serons dans la proportion de un contre  
                  quatre. Que pourra faire cette infime minorité pour obtenir justice? Evidemment, la
                  
                  résignation de la section française la rendra  
                  plus impuissante encore, et il lui faudra  
                  accepter les dictées tyranniques de ses adversaires. Les membres français du gouvernement
                  actuel, eux-mêmes, motivent la nécessité des changements proposés sur le fait  
                  que la constitution actuelle ne nous offre  
                  pas de garanties suffisantes. Mais, alors,  
                  quelle espèce de garanties aurons-nous sous  
                  la confédération qu'ils veulent nous imposer  
                  et avec laquelle nous serons dans une minorité deux fois plus grande? Supposons le
                  
                  cas très probable où notre législature locale  
                  viendrait en collision avec le gouvernement  
                  fédéral, et par suite du rejet d'une mesure  
                  passée par la province du Bas-Canada et rejetée  
                  
                  
                  630
                  
                  par le parlement général,—dans quelle position nous trouvons-nous? Rappelons-nous
                  
                  que l'exécutif fédéral nomme le conseil  
                  législatif, préside à la législation criminelle  
                  du pays, nomme les juges qui l'administre,  
                  enfin que le gouvernement fédéral possède  
                  tous les pouvoirs souverains, à l'exclusion  
                  des gouvernements locaux. (Ecoutez!)  
                  Eh bien! M. le PRÉSIDENT, je le dis sans  
                  hésitation, en cas de collision nous nous trouverons complètement à la merci de la
                  majorité  
                  hostile fédérale; et elle peut nous opprimer,  
                  assimiler nos lois, suspendre nos juges, armer  
                  la milice contre nous et nous envoyer à  
                  l'échafaud ou à l'exil de la manière qu'il lui  
                  plaira, malgré nos protestations et celles de  
                  la minorité canadienne-française dans le  
                  parlement fédéral. Cela s'est déjà vu et le  
                  passé est là pour le dire, et tout nous porte à  
                  croire que les mêmes tentatives d'agression  
                  fanatique se renouvelleront de nos jours,  
                  si ce projet de confédération est adopté.  
                  (Ecoutez! écoutez!) L'hon. député de  
                  Brome, dont on ne mettra certainement pas  
                  la loyauté en doute, a lui-même déclaré dans  
                  cette chambre que ce projet fera naître des  
                  difficultés et amènera des collisions déplorables. Eh bien! M. le PRÉSIDENT, supposons
                  que ces collisions et ces difficultés se  
                  produisent, que ferons-nous? Tous les pouvoirs ne seront-ils pas entre les mains du
                  
                  gouvernement fédéral et d'une majorité  
                  hostile? N'est-ce pas parce que le peuple le  
                  comprend qu'il rejette cette mesure avec  
                  une menace dans le regard et sur les lèvres;  
                  qu'il vous envoie tous les jours des pétitions  
                  nombreuses, dans lesquelles il présage les  
                  plus graves mécontentements? Jusqu'à  
                  quand les yeux et les oreilles des députés  
                  de cette chambre resteront-ils fermés pour  
                  ne pas être témoins de cette protestation de  
                  leurs compatriotes alarmés? Le procureur- général Est lui-même refuse de nous communiquer
                  un seul des détails du projet de  
                  confédération, et il veut que nous renonçions  
                  à tous les droits que nous confère la constitions actuelle en votant en faveur d'une
                  
                  législature locale dont les attributions seraient  
                  nulles, et d'un parlement général où nous  
                  serons dans la proportion de 1 contre 4. Eh  
                  bien! M. le PRÉSIDENT, il n'est pas étonnant  
                  que la population française du Bas-Canada  
                  soit unanime à repousser une confédération  
                  qui nous offre un avenir aussi sombre,  
                  (écoutez! écoutez!) et je ne crains pas de  
                  le dire, nos ministres commettent une imprudence bien grande en imposant au peuple
                  des  
                  
                  
                  
                  changements constitutionnels aussi graves et  
                  aussi fortement dénoncés comme un attentat  
                  à ses droits et à ses privilèges. Jamais  
                  aucune époque de notre histoire n'a été  
                  témoin d'un pareil changement de constitution sous des circonstances aussi extraordinaires.
                  Et c'est au moment où nous nous  
                  préparons à résister aux armées d'invasion  
                  d'un puissant voisin qu'on nous enlève les  
                  libertés dont nous jouissons après les avoir  
                  gagnées par un siècle de luttes! Mais il me  
                  semble qu'on devrait plutôt nous donner de  
                  nouvelles garanties de securité pour nous  
                  engager à combattre des adversaires aguerris,  
                  dix fois plus nombreux, et dont l'organisation  
                  politique est moins hostile peut-être à notre  
                  race que la confédération proposée. Les  
                  ministres actuels ne nous ont-ils pas appris  
                  à considérer le semblant de gouvernement  
                  local qu'ils nous proposent comme une protection suffisante pour tout ce qui nous
                  est  
                  cher, et à accepter une minorité impuissante  
                  dans le gouvernement général parce que là  
                  les intérêts commerciaux seraient les seuls  
                  mis en jeu? Si cette proposition est juste, la  
                  constitution des Etats-Unis, avec la souveraineté du Bas-Canada reconnue, offre bien
                  
                  plus de securité encore pour nos institutions,  
                  notre langue et nos lois—car la souveraineté  
                  des Etats implique leur conservation dans  
                  l'Etat, qui ne cède au gouvernement général  
                  qu'un nombre très restreint de pouvoirs.  
                  Oui, M. le PRÉSIDENT, en proposant un  
                  changement de constitution, le ministère a  
                  commis une grave faute, et il n'a pas le droit  
                  de s'opposer à ce que le peuple de cette province envisage la question des changements
                  
                  possibles sous tous les aspects. Il y a six  
                  mois à peine, le Canada-français vivait  
                  heureux et confiant dans la garantie de la  
                  constitution actuelle. Aujourd'hui, il ne peut  
                  plus en être ainsi, tant que les changements  
                  proposés menaceront son existence comme  
                  race. (Ecoutez! écoutez!) Imposez-lui  
                  ces changements et vienne l'heure du danger,  
                  l'Angleterre s'apercevra, mais trop tard,  
                  qu'elle aura perdu ses plus loyaux sujets.  
                  Notre population aura appris que de deux  
                  maux il faut choisir le moindre, et que,  
                  entre la confédération et l'annexion, le  
                  moindre ne se trouve pas, malheureusement,  
                  avec la confédération. Avant de marcher à  
                  une boucherie certaine, le soldat se demandera pourquoi il va combattre, et si la
                  constitution qu'il va défendre mérite le sacrifice de  
                  sa vie? Le jour où le soldat canadien-français  
                  se fera cette question, sera le dernier de la  
                  
                  
                  631
                  
                  puissance anglaise en Amérique. Je désire me  
                  tromper, M. le PRÉSIDENT, et j'aime à croire  
                  le gouvernement mieux avisé que moi au  
                  moment où il propose une mesure aussi pleine  
                  de danger que celle qui nous est soumise.  
                  J'aime à croire surtout qu'il n'a nullement  
                  l'intention de nous entraîner dans une collision avec nos voisins, qui nous mènerait
                  
                  directement à l'annexion et qui porterait un  
                  coup mortel à la domination de l'Angleterre  
                  sur ce continent.—Je termine, M. le PRÉSIDENT, en résumant mes remarques. L'union
                  
                  des deux Canadas n'a pas fait toute son œuvre;  
                  elle est encore susceptible de progrès, et il  
                  faut la continuer. L'hon. procureur-général  
                  du Bas-Canada (M. CARTIER) prétend au contraire qu'elle n'a plus de raison d'être
                  et  
                  qu'il nous faut une nouvelle organisation  
                  politique. Eh bien! M. le PRÉSIDENT, je  
                  me permets de différer de l'opinion du député  
                  de Montréal Est, et je n'hésite pas à dire  
                  qu'avec l'union nous pourrons encore doubler notre prospérité et notre nombre, si
                  on  
                  met dans l'administration des affaires un peu  
                  moins d'esprit de parti et un peu plus de  
                  patriotisme (Ecoutez! écoutez!) Je dis de  
                  plus que la demande de la représentation  
                  basée sur la population n'a pas sa raison  
                  d'être; qu'elle a été repudiée par le parti  
                  conservateur et ensuite par le parti libéral  
                  sous l'administration MACDONALD—SICOTTE.  
                  Quand on a vu les partisans les plus ardents  
                  et les plus sincères de la représentation basée  
                  sur la population abandonner cette base  
                  principale de leur politique et en faire, dans  
                  leur gouvernement, une question contre laquelle ils s'engagaient à voter, je dis qu'on
                  
                  a grandement tort d'en faire une des raisons  
                  qui nous forcent à accepter le projet de confédération. Ce cri, jeté dans l'arène
                  par le  
                  fanatisme, sera étouffé naturellement par  
                  l'augmentation plus rapide de la population  
                  du Bas-Canada, et par la diminution annuelle de l'immigration. Ces deux causes  
                  aidant, notre population égalera, avant dix  
                  ans, celle du Haut-Canada. Pour ces diverses  
                  considérations, M. le PRÉSIDENT, je dis que  
                  le projet de confédération n'est pas opportun.  
                  Mais lors même que le projet de confédération serait opportun, je maintiens que son
                  
                  but est hostile. J'ai fait l'historique de l'esprit  
                  d'envahissement de la race anglaise sur les  
                  deux continents. J'ai démontré l'antagonisme sans cesse existant entre elle et la
                  race  
                  française. Notre passé nous a rappelé les  
                  luttes incessantes que nous avons dû faire  
                  pour résister à l'agression et à l'exclusivisme  
                  
                  
                  
                  de l'élément anglais en Canada. Ce n'est que  
                  par une résistance héroïque et un heureux  
                  concours de circonstances que nous avons pu  
                  obtenir les droits politiques qui nous sont  
                  garanties par la constitution actuelle. Le  
                  projet de confédération n'a d'autre but que  
                  de nous enlever les plus précieux de ces  
                  droits, en leur substituant une organisation  
                  politique qui nous est vraiment hostile.  
                  L'hostilité du projet de confédération admise, je maintiens que son adoption aura
                  
                  les conséquences les plus désastreuses.  
                  Imposer au Canada-français cette nouvelle  
                  constitution dont il ne veut pas, c'est tenter  
                  sa colère, et s'exposer à des collisions déplorables. (Ecoutez! écoutez!) Il faut
                  nécessairement la lui soumettre avant de l'adopter;  
                  s'il l'accepte, il sera temps alors d'aller la  
                  faire sanctionner par l'Angleterre. Mais le  
                  gouvernement, et surtout l'hon. procureur- général, ne peut pas ignorer les requêtes
                  qui  
                  nous sont présentées contre le projet, et  
                  surtout une requête aussi imposante que celle  
                  de la ville de Montréal, qui compte 6,000  
                  signataires canadiens-français, et qui est la  
                  plus nombreuse requête qu'une ville ait  
                  jamais présentée à notre législature. Je dis  
                  encore que ceux qui voteront pour le projet  
                  de confédération prennent le plus court  
                  moyen de nous annexer aux Etats-Unis. Je  
                  ne suis pas le premier à exprimer cette  
                  opinion; plusieurs hon. députés du Haut- Canada l'ont l'exprimée avant moi dans cette
                  
                  enceinte, et c'est parce que ces députés du  
                  Haut-Canada veulent l'annexion aux Etats- Unis qu'ils votent en faveur du projet de
                  
                  confédération. Les hon. députés de l'Ouest,  
                  si loyaux en paroles, seraient les premiers à  
                  passer à l'ennemi armes et bagages si jamais 
                  une armée d'invasion se montrait sur la  
                  frontière. Voilà, M. le PRÉSIDENT, la position telle qu'elle est. Si Son Excellence
                  le  
                  gouverneur-général croit devoir suivre les  
                  conseils de ceux dont les regards sont  
                  tournés vers Washington, libre à lui de  
                  le faire, mais je pense qu'il est grandement  
                  temps de parler ici avec franchise et de  
                  l'avertir du danger. (Ecoutezl écoutez!)  
                  M. le PRÉSIDENT—Je ne suis pas un  
                  vieillard, ayant déjà un pied dans la tombe  
                  et sur le point de glisser dans l'éternité, et je  
                  me conduis en vue de l'avenir. Nos ministres  
                  qui, dans une longue carrière, ont épuisé la  
                  coupe des honneurs et des dignités de notre  
                  pays, sont peut-être tentés de risquer l'avenir  
                  de leur pays pour des titres, des honneurs,  
                  des salaires plus considérables sous la confé
                  
                  
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                  dération, et peut-être par l'ambition d'être  
                  gouverneur d'une des provinces confédérées:  
                  nous savons que l'Angleterre récompense  
                  noblement et royalement ceux qui la servent  
                  sans scrupule. D'ailleurs, la perspective de  
                  fonder un vaste empire mérite bien le  
                  sacrifice de quelques mois d'une carrière  
                  usée, au risque de ne pas réussir tout-à-fait  
                  dans un projet aussi gigantesque. (Ecoutez! écoutez!) Mais pour moi, M. le PRÉSIDENT,
                  qui appartient à la génération qui  
                  commence et qui a vingt ans d'avenir devant  
                  moi, je ne puis pas approuver, par mon vote,  
                  un projet de constitution qui se présente à  
                  nous sous une perspective aussi sombre pour  
                  notre nationalité et pour tout ce qui nous est  
                  le plus cher comme Français. Si je suis aussi  
                  sévère dans mes remarques, M. le PRÉSIDENT,  
                  on voudra bien croire qu'elles sont dictées par  
                  une conviction profonde. Et puis, on sait  
                  que ce ne sont pas toujours ceux qui ont le  
                  miel sur les lèvres qui ont le plus de sincérité  
                  au cœur. Je sais aussi que quelquefois ceux  
                  qui disent hardiment leur façon de penser  
                  paient bien cher leur hardiesse et leur indépendance; mais cette crainte, M. le PRÉSIDENT,
                  ne me fera jamais reculer devant  
                  l'expression de mes convictions quand je  
                  croirai qu'elles peuvent être de quelque  
                  utilité à mon pays. (Ecoutez! écoutez!  
                  —L'hon. membre reprend son 
siège au milieu  
                  des applaudissements prolongés de la gauche.)  
 
               
               
               
               Cris de:—Ajourner! ajourner! du côté  
                  de l'opposition.  
               
               
               
               
               
               
               
               L'HON. A. A. DORION—J'avais proposé  
                  l'ajournement des débats hier soir, afin d'avoir l'opportunité de répondre à l'honorable
                  
                  député de Montmorency (M. CAUCHON).  
                  Mais comme l'hon. député n'était pas à son  
                  siège cette après-midi, j'ai cédé la parole en  
                  faveur de l'hon. député de Richelieu (M.  
                  PERRAULT). J'observe encore que l'hon.  
                  député de Montmorency n'est pas dans cette  
                  chambre, et je désirerais différer mes remarques jusqu'à ce que l'hon. monsieur soit
                  à  
                  son siége: (cris de: ajourner!—et continuez!)  
 
               
               
               
               Le 
Col. HAULTAIN—Si la chambre  
                  veut le permettre, je prendrai la place de l'hon.  
                  membre pour Hochelaga (M. DORION). Je  
                  ne suis pas surpris, M. l'ORATEUR, que les  
                  hon. membres hésitent à exprimer leurs vues  
                  sur ce sujet, car on a tellement parlé sur la  
                  question qu'elle est maintenant plus que 
                  rebattue. Pour ma part, et comme les hon.
                  
                  
                  
                  membres qui parleront après moi, je me fais  
                  presque un scrupule d'abuser des instants  
                  de la chambre. Toutefois, je ne devrais pas  
                  avoir cette crainte, car c'est un devoir pour  
                  moi d'exprimer mon opinion. Sur une  
                  question aussi importante et qui doit affecter  
                  les intérêts d'une si vaste portion de ce continent, je crois qu'il est de notre devoir
                  d'exprimer notre opinion aussi complétement  
                  que possible. (Ecoutez!) La question a  
                  été discutée à tant de point de vues par les  
                  hommes les plus éminents du Canada, qu'un  
                  humble mortel comme moi se sent néanmoins  
                  timide en l'abordant à son tour. Toutefois,  
                  une réflexion m'encourage à parler en faveur  
                  de ce projet, c'est que je me trouverai en noble  
                  compagnie avec les hommes les plus distingués du Canada, des autres provinces et 
                  
                  même de l'Angleterre, qui n'ont qu'une voix  
                  pour reconnaître l'à-propos de cette mesure  
                  et la sagesse qui a présidé à la rédaction du  
                  projet qui nous est actuellement soumis.  
                  On ne doit pas s'attendre à ce que je dise  
                  quelque chose de nouveau, et c'est la crainte  
                  de répéter ce qui a été dit qui me fait hésiter  
                  à parler; si je ne consultais que mes propres  
                  talents, je garderais le silence et ne me leverais, M. l'ORATEUR, que quand vous demanderez
                  le vote pour ou contre la motion qui  
                  est entre vos mains. Tous les hon. membres  
                  qui ont pris la parole dans ce débat, ont  
                  vivement senti la responsabilité qui pesaient  
                  sur eux en traitant devant la chambre une  
                  question aussi importante pour nous tous.  
                  Je comprends comme les autres l'étendue  
                  de cette responsabilité, et j'ai appliqué  
                  toutes les forces de mon esprit à l'examen  
                  de la question. Plus on l'examine, plus on  
                  songe à l'influence qu'elle devra avoir sur  
                  notre avenir, et plus elle prend de vastes  
                  proportions. Elle n'intéresse pas seulement  
                  le Canada, mais toutes les provinces anglaises  
                  sur le continent. Ses résultats pourront  
                  affecter l'avenir de l'empire britannique et  
                  de la république qui nous avoisine, par suite  
                  ils intéresseront plus ou moins tout le  
                  monde politique en général. Et, en disant  
                  cela, je ne crois point exagérer. En examinant la question, je me suis assuré qu'elle
                  
                  contient des principes de la plus haute importance pour le monde en général; ces 
                  
                  principes devront affecter considérablement  
                  le caractère des institutions qui auront, dans  
                  l'avenir, la préséance. Je suis persuadé que,  
                  si le projet réussit, les principes fondamentaux de la constitution anglaise y gagneront
                  
                  encore plus de solidité et de permanence;  
                  
                  
                  633
                  
                  s'il échoue, au contraire, nous verrons bientôt  
                  que ces principes disparaîtront et seront  
                  remplacés par ceux qui règlent la république  
                  voisine. (Ecoutez!) Plus je l'examine et  
                  plus je demeure convaincu qu'il s'agit d'une  
                  lutte définitive entre le principe rnonarchique  
                  et le principe républicain, et, à ce point de  
                  vue, le projet mérite le ferme appui de tous  
                  ceux qui ont apprécié la stabilité, la modération et la justice qui caractérisent
                  la nation  
                  anglaise comparée à toutes les autres nations  
                  globe. La question qui nous occupe est  
                  l'union pratique de provinces qui doivent  
                  allégeance au même souverain, qui possèdent,  
                  généralement parlant, des institutions analogues, le même système de gouvernement,
                  
                  la même langue, les mêmes lois et qui sont  
                  menacées des mêmes dangers, entourées des  
                  mêmes ennemis. Nos institutions sont généralement les mêmes: toutefois, ayant été
                  
                  isolées depuis longtemps et n'ayant eu pour  
                  ainsi dire aucun rapport entre elles, les  
                  provinces possèdent chacune une sorte  
                  d'idiosyncrase, et plus nous resterons isolés  
                  plus il sera difficile d'accomplir notre union.  
                  Les partisans du projet proposent l'union de  
                  toutes ces provinces. Le proverbe dit:  
                  "L'union fait la force et la division est la  
                  source de toute faiblesse." Ceci est un  
                  axiome que personne ne songe à nier.  
                  Comme partisan de l'union je me crois dans  
                  une position inattaquable, et il faudrait des  
                  arguments bien forts pour me convaincre  
                  que nous ne marchons pas dans la bonne  
                  direction en tâchant de réaliser ce projet.  
                  (Ecoutez!) A part de la force intrinsèque  
                  que nous donnera l'union, le Canada a des  
                  des raisons spéciales pour désirer que les provinces anglaises s'unissent plus étroitement
                  
                  entre elles. Cette mesure fera disparaître  
                  une grande cause de difficultés parmi nous.  
                  Cet argument n'est certes pas indispensable,  
                  mais puisque l'union doit nous délivrer de  
                  ces difficultés, je trouve qu'il arrive fort à  
                  propos et doit faire désirer encore plus cette  
                  union. Quand même nous n'aurions, en  
                  Canada, aucune de ces difficultés, quand  
                  même nous serions parfaitement satisfaits  
                  de notre situation politique, nous devrions  
                  encore désirer l'union en raison des avantages qui en résulteront pour nous. Or, 
                  
                  en outre de ces avantages, en outre de  
                  la force que nous donnera cette union,  
                  elle va encore nous aider à surmonter  
                  les graves difficultés qui nous accablent;  
                  par un heureux concours de circonstances,  
                  nous appliquons un principe fécond en  
                  
                  
                  
                  résultats pour nous et nous échappons à des  
                  difficultés qui auraient pu nous être funestes.  
                  De plus, la mère-patrie verra avec la plus  
                  profonde satisfaction la réalisation de ce  
                  projet. (Ecoutez!) Personne ne peut nier  
                  l'accueil qu'a reçu le projet dans la presse  
                  et de la part des hommes politiques de  
                  toutes les nuances en Angleterre. (Ecoutez!)  
                  Ce n'a été qu'un cri universel d'approbation  
                  en faveur de la sagesse et de la prudence  
                  qui nous ont fait faire ce pas vers l'union.  
                  Les voeux de la Grande-Bretagne sont entièrement pour nous. (Ecoutez!) Une autre 
                  
                  cause rend cette union nécessaire, c'est  
                  l'hostilité des Etats-Unis à notre égard, si  
                  ouvertement manifestée pendant les derniers  
                  mois. En un mot, M. l'ORATEUR, tous  
                  nos intérêts commerciaux et sociaux, notre  
                  sûreté, notre harmonie intérieure et même  
                  notre existence comme peuple indépendant,  
                  nous font un devoir de marcher dans cette  
                  direction. Je ne dirai que peu de mots des  
                  difficultés politiques du Canada; ce point a  
                  été admirablement traité par les hon. messieurs qui m'ont précédé. Ces difficultés
                  
                  sont palpables à tous, néanmoins certains  
                  hon messieurs, qui sont opposés au projet,  
                  ont fait semblant de les ignorer, et n'ont pas  
                  voulu en tenir compte dans la discussion du  
                  projet. Je suis fâché que mon hon. ami pour  
                  Brome (M. DUNKIN) ne soit pas à son siége,  
                  car je vais parler de quelques-unes de ses  
                  observations. A l'exemple de certains autres  
                  députés, cet hon. monsieur a prétendu que  
                  nos difficultés avaient cessé,—que, depuis  
                  1862, le Haut-Canada était satisfait de sa  
                  position; que l'agitation avait cessé, et  
                  que le Haut-Canada ne se plaignait plus  
                  d'aucune injustice. Cette assertion suffit  
                  pour prouver combien ces hon. messieurs  
                  sont étrangers au sujet qu'ils traitent, combien ils ignorent les sentiments qui animent
                  
                  les populations du Haut-Canada, et enfin  
                  jusqu'à quel point ils sont par là même  
                  inaptes à discuter cette question. D'après  
                  tout ce que j'ai entendu dire du mécontentement qui existe dans le Haut-Canada, je
                  
                  crois bien faire en ne passant point cet important détail sous silence. Nous ne devons
                  pas  
                  nous arrêter à ce sentiment de déplaisir manifesté à la passation de certaines mesures
                  
                  nuisibles à cette section du pays, et au  
                  principe injuste de la distribution égale  
                  des deniers publics entre les deux sections  
                  de la province. (Ecoutez!) Il est vrai que cet  
                  état de choses a éveillé l'attention sur une  
                  cause plus importante de mécontentement,  
                  
                  
                  634
                  
                  et n'a pas peu contribué à irriter les esprits  
                  d'hommes dont le caractère national se révolte à l'idée de l'intolérance et l'injustice.
                  
                  (Ecoutez). Ils ont toujours gémi intérieurement de la position inégale que leur avait
                  faite  
                  l'union de 1840, et n'ont jamais cessé de  
                  demander une réforme dans la représentation. (Ecoutez!) Aucun peuple sur terre,  
                  plus que les populations du 
Haut-Canada,  
                  ne sait ressentir une injustice permanente  
                  et y résister avec une plus longue obstination.  
                  C'est à ce sentiment d'injustice fortement  
                  imprimé dans l'esprit des populations du  
                  Haut-Canada, que nous devons d'être dans  
                  une position embarrassante qui durera tant  
                  que nous ne leur aurons pas donné satisfaction. (Ecoutez! écoutez). J'ai donc été
                  
                  fort surpris d'entendre dire à certains honorable membres que tout mécontentement
                  
                  avait disparu dans le Haut-Canada On a  
                  cité la formation du ministère MACDONALD- SICOTTE comme une preuve que nous étions
                  
                  désormais indifférents à la question de la  
                  représentation, si énergiquement et si fréquemment agitée, et que, en retour de quelques
                  avantages matériels, les populations du  
                  Haut-Canada étaient prêtes à abandonner  
                  un principe pour lequel elles combattent  
                  depuis tant d'années. Mais on disait, pour  
                  se consoler, que ce gouvernement n'était  
                  que provisoire (Ecoutez). Je ne craindrais  
                  pas d'en appeler, sur ce point, à aucun des  
                  districts électoraux du Haut-Canada, où a  
                  été débattue cette question, et je suis certain  
                  d'y rencontrer un vif sentiment de désapprobation pour la conduite du gouvernement
                  
                  qui avait exclu cette mesure de son programme.  
 
               
               
               
               M. M. C. CAMERON—Dans le district  
                  d'Ontario Nord, un membre de ce gouvernement fut élu.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               M. M. C. CAMERON—Dans Ontario  
                  Nord, un membre du gouvernement qui n'y  
                  avait jamais été élu auparavant, se présenta  
                  et battit l'autre candidat favorable à la représentation d'après la population.  
 
               
               
               
               COL. HAULTAlN—Je tiens à me tenir  
                  parfaitement en dehors des questions de  
                  parti (Ecoutez!) Dans la discussion importante qui nous occupe, il ne s'agit pas de
                  
                  savoir ce qui était bien ou mal en 1862 ou  
                  1863. La seule question est de savoir si  
                  nous faisons bien en cherchant à former  
                  une union, ou si nous sommes complètement  
                  dans l'erreur; lorsque je suis forcé de faire  
                  
                  
                  
                  allusion à la conduite de tel ou tel parti, j'y  
                  suis conduit par mon raisonnement et n'ai  
                  aucune prétention de juger ce qui est bien  
                  ou mal. Je disais, M. l'ORATEUR, que  
                  l'abandon de la question de la représentation  
                  par le ministère MACDONALD-SICOTTE avait  
                  fait naître dans le Haut-Canada un vif sentiment de désapprobation ou, pour mieux
                  dire,  
                  de désappointement. Je ressentis aussi  
                  vivement que personne la triste position  
                  dans laquelle nous nous trouvions placés;  
                  mais, après avoir sérieusement étudié la  
                  question, et persuadé qu'un changement de  
                  ministère était urgent en tous cas, je consentis, bien qu'à contre-cœur. Je crois
                  qu'à  
                  l'époque on ne pouvait rien faire de plus.  
                  C'était l'opinion de tout le parti auquel  
                  j'appartenais; il est possible que nous ayions  
                  eu tort, mais là n'est pas la question. Persuadés que nous ne pouvions assurer le
                  
                  succès de la mesure pour laquelle nous combattions depuis si longtemps, nous jugeâmes
                  
                  à propos de reconnaître et de soutenir un  
                  gouvernement provisoire, car tel était, selon  
                  moi, et d'après l'opinion générale dans le  
                  Haut-Canada, le caractère du gouvernement  
                  d'alors; on le tolérait, mais il ne pouvait  
                  exister longtemps. La formation de ce  
                  ministère avait un but spécial, et c'est dans  
                  ce but, considéré comme de la plus haute  
                  importance, que le Haut-Canada l'acceptait.  
                  C'est bien peu connaître l'esprit du Haut- Canada de prétendre qu'il y avait alors
                  
                  indifférence à l'endroit de la réforme parlementaire. La position de l'un et l'autre
                  
                  parti n'était pas enviable; l'inconséquence  
                  apparente de l'un était le résultat de la mauvaise administration de l'autre. Il n'est
                  pas  
                  agréable de se ranger tout-à-coup du côté  
                  d'hon. messieurs qu'on a combattus énergiquement, et si je pris cette détermination
                  
                  c'est que je m'en faisais un devoir. (Ecoutez!) Or, M. l'ORATEUR, combien de temps
                  
                  dura ce gouvernement provisoire? Au bout  
                  d'un an, il était battu et n'osait plus se présenter dans le 
Haut-Canada, et pourquoi?  
                  parce qu'il avait abandonné la question la  
                  plus chère à cette partie le la province.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               Col. HAULTAIN—Ce fait prouve à 
                  l'évidence qu'il était nécessaire d'appeler au  
                  pouvoir des hommes représentant dignement  
                  les vues du Haut-Canada, et, pour le Bas- Canada, des hommes mieux disposés à faire
                  
                  les concessions demandées. Sans cette reconstruction, que serait devenu ce gouvernement
                  
                  dans le Haut-Canada? Si on n'eût pas intro
                  
                  
                  635
                  
                  duit de nouveaux éléments dans le ministère,  
                  celui-ci eût rencontré une hostilité générale.  
                  Le premier ministre lui-même savait parfaitement cela et il se rendit aux désirs du
                  Haut- Canada. Il est ainsi démontré par là que si  
                  le gouvernement n'eût pas abandonné la  
                  question de la représentation, il aurait conservé toutes les sympathies Haut-Canadiennes.
                  Le gouvernement qui l'abandonna  
                  fut littéralement balayé et remplacé par un  
                  autre qui en fit une question ouverte. Telle  
                  est M. l'ORATEUR la vraie source de toutes  
                  nos difficultés, qui auraient duré jusqu'à présent si on n'y avait pas apporté un
                  remède  
                  efficace. J'ai dit dans une autre circonstance,  
                  et je répète ici que le Haut-Canada était  
                  vivement préoccupé de l'aspect peu rassurant  
                  de l'avenir. Il craignait que le Bas-Canada  
                  lui refusât ses demandes; il craignait que  
                  le Bas-Canada lui refusât ce qui, dans l'opinion générale, était juste et équitable
                  et il  
                  redoutait les conséquences de ce refus.  
                  J'avoue que je partageais moi-même ce sentiment; on disait partout que l'état de 
                  
                  choses actuel ne pouvait durer. Le Haut- Canada, avec sa supériorité en nombre et
                  en  
                  richesse, ne pouvait conserver dans la législature unie une position inférieure. Si
                  on  
                  avait persisté dans ce refus on ne peut prévoir les difficultés qui en auraient résulté.
                  
                  Les hon. membres du Bas-Canada qui ont  
                  déclaré que cette question avait perdu son  
                  importance dans l'ouest, font voir combien  
                  ils ignorent les sentiments et les aspirations  
                  qu'ils veulent contrarier. Mon hon. ami pour  
                  Brome est un de ceux qui semblent faire peu  
                  de cas de nos difficultés. Il a dit, dans la  
                  péroraison de son discours, qu'un peu de  
                  patience arrangerait toutes choses. Mais, M.  
                  l'ORATEUR, il a été obligé d'avouer qu'une  
                  légère réforme parlementaire était urgente  
                  et s'est montré disposé à l'accorder. Certains  
                  autres membres libéraux du Bas-Canada ont  
                  également insinué que si on abandonnait le  
                  projet actuel, il ne serait pas impossible au  
                  Haut-Canada d'obtenir ce qu'il demande avec  
                  tant de raison. Mais si telle est l'opinion de  
                  ces messieurs, pourquoi, je le demande, ne  
                  l'ont-ils pas franchement déclaré plus tôt? Je  
                  demanderai à mon hon. ami pour Brome,— 
                  et je regrette infiniment qu'il ne soit pas à  
                  son siège,—pourquoi, on 1862, il ne parla  
                  pas de concessions au Haut-Canada, et semblait plutôt avoir à cœur de nous prouver,
                  
                  par ses raisonnements et ses votes, que nous  
                  n'avions rien à attendre ni de lui ni de ses  
                  amis. Aujourd'hui, les membres du Bas- 
                  
                  
                  
                  Canada tiennent un langage que nous n'étions  
 
               
               
               point habitués à entendre. Ceux qui admettent la justice des réclamations du Haut-
                  Canada, et qui naguères s'y sont opposés, ne  
                  devraient pas songer à combattre ce projet  
                  qui règle nos difficultés d'une manière satisfaisante pour tous. L'hon. membre pour
                  
                  Brome et les membres anglais du Bas- Canada, qui se sont opposés à la réforme  
                  demandée, devraient être les premiers à  
                  appuyer le projet actuel; je suis donc fâché  
                  de voir que mon hon. ami fait preuve d'une  
                  grande inconséquence. S'il avait toujours  
                  demandé une réforme parlementaire, il  
                  pourrait aujourd'hui combattre avec raison  
                  l'union proposée. Telle est, à plus forte  
                  raison, la position des membres libéraux  
                  français du Bas-Canada. Ils étaient les  
                  alliés avoués du parti de la réforme dans le  
                  Haut-Canada, et savaient parfaitement qu'un  
                  gouvernement réformiste ne pourrait se maintenir s'il abandonnait la question de la
                  représentation. Il me semble donc, M. l'ORA TEUR, que le parti libéral français a
                  été singulièrement infidèle à ses alliés du Haut- Canada.  
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Je répète, M. l'ORATEUR que les membres libéraux français du  
                  Bas-Canada ont, par leur conduite, amené  
                  l'état de choses actuel. Je parle de ce que  
                  j'ai observé depuis 1862. Un nouveau parlement fut convoqué. La question de la  
                  représentation devenait de plus en plus  
                  pressante. Le parti réformiste s'était catégoriquement expliqué à cet égard. Si ses
                  
                  alliés du Bas-Canada eussent été disposés à  
                  rester fidèles, ils auraient sans doute évité de  
                  soulever des difficultés inutiles. Mais, M.  
                  l'ORATEUR, quelle fut leur conduite? On  
                  se rappelle qu'un amendement à l'adresse  
                  comportait que le principe de la représentation égale était devenu nécessaire. C'était
                  
                  une inconséquence gratuite et qui avait une  
                  haute signification. Mais cette disposition  
                  devint plus manifeste lorsqu'à la formation  
                  du ministère MACDONALD-SICOTTE le parti  
                  réformiste fut obligé d'acheter l'alliance  
                  des libéraux au prix de l'abandon de son  
                  principe le plus cher. Or, que penser  
                  lorsqu'on entend ces hon. messieurs déclarer  
                  qu'on peut accorder ce principe? Si les  
                  membres libéraux du Bas-Canada avaient  
                  franchement et courageusement abordé cette  
                  question, ils seraient encore au pouvoir et s'occuperaient de régler nos difficultés
                  actuelles.  
                  
                  
                  636
                  
                  J'ai fait allusion, M. l'ORATEUR, à l'opinion  
                  de l'Angleterre sur ce projet, et j'affirme  
                  que cette opinion est entièrement favorable.  
                  Toutefois, comme les opinions les plus  
                  diverses ont été exprimées en ce qui concerne  
                  les intentions de la mère-patrie à l'égard de  
                  ses colonies, et celles de l'Amérique du Nord  
                  en particulier, je crois bien faire en m'étentendant un peu plus sur ce sujet, dont
                  j'apprécie toute l'importante. Je ne sais rien  
                  de plus propre à décourager les populations  
                  de notre pays que l'idée d'abandon de la part  
                  de l'Angleterre. Je ne doute pas, M. l'ORATEUR, que si cette idée existe réellement
                  en  
                  Angleterre, et si elle est mise en pratique  
                  aujourd'hui ou à une époque peu éloignée,  
                  nous n'ayons plus qu'une seule alternative,  
                  celle de l'annexion aux Etats-Unis. (Ecoutez!) Je crois donc qu'il est important que
                  
                  nous sachions quels sont les sentiments de  
                  la métropole à notre égard. Mon hon. ami  
                  pour Brome a longuement détaillé ce point.  
                  Il a exprimé, avec la plus grande sincérité,  
                  je crois, un vif désir de voir se perpétuer  
                  notre union avec l'Angleterre; toutefois, j'ai  
                  remarqué avec quel soin il a insisté sur  
                  toutes les traces qu'il a pu découvrir dans  
                  les discours ou brochures publiés en Angleterre, du désir de voir cesser cette union;
                  
                  j'ai aussi observé que les sentiments qu'il  
                  a exprimés ont été fortement applaudis.  
                  Ses observations m'ont paru, pour dire le  
                  mot, ou ne peut plus étranges. Les conclusions  
                  qu'il a tirées des discours de certains nobles  
                  lords et membres du parlement impérial,  
                  m'ont semblé si opposées aux intentions et  
                  aux tendances des auteurs de ces discours,  
                  que je ne puis mieux expliquer ce procédé  
                  étrange qu'en supposant que mon hon. ami  
                  n'était pas en très bonne santé, et que sa  
                  sagacité ordinaire l'avait abandonné pour  
                  un moment. (Ecoutez!) Il m'a semblé  
                  qu'il examinait tous les détails de la question  
                  au travers d'une prisme. J'ai assisté avec  
                  grand plaisir à la dissection que l'hon.  
                  membre a faite du projet, et à l'analyse  
                  qu'il a faite au microscope de ses moindres  
                  dispositions. L'hon. membre a fait preuve  
                  d'une grande finesse d'observation, et d'études  
                  vastes et approfondies. Mais je n'ai pu  
                  m'empêcher de refléchir qu'il étudiait la  
                  question au travers des lentilles ternies  
                  d'un microscope intellectuel très-puissant.  
                  (Rires) Je ne doute pas que telle ait été  
                  l'impression produite sur la chambre en  
                  général. Ses talents et son habileté sont  
                  reconnus, tous les hon. membres ont, comme
                  
                  
                  
                  moi, assisté avec plaisir à la dissection impitoyable qu'il a faite de ces importantes
                  résolutions. (Ecoutez! et rires.) Mais je dois  
                  ajouter que le résultat de cette analyse et le  
                  résumé de ses observations m'ont convaincu  
                  que les partisans de ce projet se sont placeé  
                  sur un terrain inattaquable, et que les 
les objections qu'on lui trouve sont d'une faiblesse  
                  extraordinaire. Mon hon. ami pour Brome  
                  a dû naturellement s'étendre à plaisir sur  
                  l'article qui a paru dernièrement dans l'
Edinburgh Review. Je dois reconnaître que,  
                  dans cet article, il y a des passages fort  
                  scabreux, que j'ai été, comme sujet anglais,  
                  fort désolé de lire dans une publication  
                  anglaise. Si je pouvais croire que cet article  
                  est un reflet des opinions de l'un ou l'autre  
                  des partis en Angleterre, j'admettrais, comme  
                  conséquence, que notre union avec la mère- patrie est bien mal assurée, et qu'il est
                  de  
                  notre devoir de demander catégoriquement  
                  aux hommes d'état et au public anglais  
                  quelles sont leurs intentions à notre égard.  
                  Mais il est bien établi que cet article ne  
                  représente aucunement les vues ni de l'un ni 
                  l'autre des grands partis qui divisent le parlement anglais. C'est peut-être l'opinion
                  
                  de quelques individus isolés; il peut représenter les vues de l'école de Manchester,
                  
                  et je ne suis pas surpris que cette catégorie  
                  d'hommes politiques exprime de pareils  
                  sentiments. Je crois que l'école de Manchester, dont les tendances sont toutes  
                  républicaines, nous verrait sans peine unis  
                  à la république voisine et affranchis de  
                  notre allégeance à la couronne anglaise.  
                  Mais l'école de Manchester n'a-t-elle pas ses  
                  raisons de vouloir se débarrasser de nous?  
                  On l'a dit avec vérité: "Les ennemis ont  
                  leur utilité, que n'ont pas toujours les amis;  
                  ils nous montrent nos fautes et ils nous  
                  disent des vérités." Nous ne pouvons pas si  
                  nous tenons à rester unis à l'Angleterre, nous  
                  devons examiner comment nous pourrions  
                  bien concilier tous les partis qui s'y combattent. Persuadé que notre indépendance
                  
                  et notre prospérité sont intimement liés à  
                  notre union avec la mère-patrie, je voudrais  
                  qu'on s'attachât à faire disparaître tous les  
                  sujets de plainte qui peuvent exister. Je  
                  suis persuadé, en outre, que tout homme  
                  public de ce pays doit être pénétré de l'importance de cette question. Et de quoi
                  se  
                  plaignent ceux qui traitent si légèrement  
                  notre union avec l'Angleterre? Ils se  
                  plaignent, et avec une certaine raison, de ce  
                  
                  
                  637
                  
                  que nous taxons l'Angleterre pour notre défense sans vouloir rien nous imposer à nous-
                  mêmes. A mesure que nous augmentons en  
                  nombre et en richesse, ces publicistes trouvent  
                  qu'il est injuste, et ils ont raison, de les  
                  taxer si fortement pour la défense d'un pays  
                  qui, sous ce rapport, n'a encore presque  
                  rien fait par lui-même. (Ecoutez! écoutez!)  
                  D'année en année, de décade en décade, à  
                  mesure que nos ressources augmentent, nous  
                  devrions songer à aider la mère-patrie dans les  
                  frais qu'elle fait pour notre défense. Je crois  
                  aussi qu'autant que le permet notre position  
                  financière, nous devrions adopter le système  
                  financier de l'Angleterre; si nous devons continuer à dépendre de ce pays, nous devrions
                  
                  abolir les tarifs élevés qui entravent le libre  
                  échange et peuvent devenir une cause de  
                  griefs amers et de mécontentement. J'admets  
                  pourtant, que, dans le moment actuel, nous  
                  ne pouvons nous mettre sur ce pied avec la  
                  mère-patrie. Je dis seulement que nous ne  
                  devrions pas perdre cela de vue, et que ceux  
                  qui désirent voir se perpétuer notre union  
                  avec la mère-patrie devraient songer à diminuer graduellement le tarif suivant que
                  
                  notre position le permettra, et faire ainsi  
                  disparaître peu à peu toute cause de mécontentement en Angleterre. (Ecoutez!)  
                  J'ai fait allusion, M. l'ORATEUR, à l'article  
                  de l'Edinburgh Review, dont bien des  
                  passages sont outrageants pour les colonies.  
                  Mais il y a d'autres passages qui semblent  
                  contredire l'intention générale de cet article.  
                  On a fait grand bruit de cet article, on a  
                  voulu y voir la preuve qu'en Angleterre on  
                  se souciait fort peu de nous; c'est pourquoi  
                  je signalerai aux hon. membres le passage  
                  suivant, qui est assez significatif:— 
 
               
               
               
               
                  
                  
                  "L'Angleterre ne désire nullement briser tout- à-coup les faibles liens qui l'unissent
                     avec ses  
                     concitoyens d'outre-mer, ou abréger d'une heure  
                     la durée de notre commune allégeance. Au contraire, en fortifiant les liens qui existent
                     encore, elle  
                     changera en une noble alliance une sujétion  
                     pénible et factice."  
                   
               
               
               
               Ce passage est à remarquer parce que,  
                  comme je viens de le dire, tout le reste de  
                  l'article semble indiquer que l'écrivain désire  
                  voir l'union brisée, et, malgré cela, il avance  
                  qu'il ne désire pas "abréger d'une heure la  
                  durée de notre commune allégeance!" Mais  
                  cet article, dont on a fait tant de bruit, qu'on  
                  a répandu comme exprimant l'opinion de  
                  l'Angleterre, cet article indique un vif désir  
                  de voir l'union maintenue!  
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Je ne prétends point  
                  que la fin de l'article ne contredise pas le  
                  commencement. Mais l'article exprime bien  
                  la position que l'écrivain voudrait nous voir  
                  occuper.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               L'HON. J. S. MACDONALD—Je vous  
                  demande pardon; dans la dernière partie de  
                  l'article, l'écrivain exprime la satisfaction de  
                  nous voir bientôt indépendants.  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Je n'ai pas la 
Revue  
                  sous la main, et il se peut que mon hon. ami  
                  ait raison. Mais j'ai indiqué exactement.  
                  quel est l'esprit général de l'article. Je ne  
                  veux pas dire que les opinions les plus contradictoires n'y soient pas exprimées.
                  Pour  
                  en revenir à mon raisonnement, je dis que  
                  si nous voulions faire disparaître certains  
                  sujets de plainte, l'école de Manchester,  
                  même M GOLDWIN SMITH et ses amis,  
                  verraient avec plaisir le maintien de notre  
                  union avec l'Angleterre. Mais mon hon.  
                  ami pour Brome ne s'en est pas tenu à la  
                  
Revue d
'Edimbourg, il a trouvé, au moyen du  
                  microscope dont je parlais tout à l'heure,  
                  dans les discours de certains lords, l'expression de sentiments analogues à ceux de
                  
                  l'écrivain que je viens de citer. L'hon.  
                  monsieur ne veut rien voir en faveur du  
                  projet, et semble admettre que l'Angleterre  
                  devra, bon gré mal gré, se séparer de nous.  
                  Il a reconnu que le projet était bien vu en  
                  Angleterre, mais—que lord GRANVILLE l'approuvait, mais—que lord DERBY avait parlé
                  
                  en faveur de l'union; mais—enfin, toute la  
                  force de son raisonnement réside dans des  
                  "si" et des "mais." On ne saurait satisfaire  
                  l'hon. membre, on ne saurait donner satisfaction à l'Angleterre, qui sera d'autant
                  plus  
                  contente qu'elle se débarrassera plus tôt de  
                  nous. (Rires.) Mais quel est en réalité le  
                  ton des discours cités par l'hon. monsieur?  
                  Lord HOUGHTON a dit en 
secondant la  
                  motion en faveur de l'adresse, dans la  
                  chambre des pairs, le 7 février: "J'espère  
                  que les colonies reconnaîtront la valeur de  
                  leur union avec l'Angleterre, et que la confédération leur donnera une position plus
                  
                  sûre sans compromettre leur allégeance.  
                  
                  
                  638
                  
                  (Applaudissements.)" Peut-on parler plus  
                  clairement, je le demande? L'orateur en  
                  secondant l'adresse n'exprime-t-il pas, pour  
                  lui-même et pour tout son parti, un vif désir  
                  que "notre union avec la couronne anglaise  
                  ne soit en aucune manière affaiblie!" Cependant, mon hon. ami pour Brome a découvert,
                  
                  toujours avec sa puissante lentille, qu'il y  
                  avait là un doute, un " si," un "mais"...... 
                  Lord DERBY s'est exprimé d'une manière  
                  encore plus énergique:  
 
               
               
               
               
                  
                  
                  "Si je voyais dans cette confédération un désir  
                     de se séparer de nous, certes, je la considérerals  
                     comme fort peu désirable; mais je la vois avec  
                     satisfaction. Il est peut-être prématuré de discuter des résolutions qui n'ont pas
                     été finalement  
                     adoptées; mais je crois voir, dans la confédération  
                     projetée, un vif désir de conserver les avantages  
                     de l'union avec l'Angleterre, un profond sentiment  
                     de loyauté, une préférence marquée pour les institutions monarchiques sur les institutions
                     républicaines, et le ferme désir de voir se perpétuer  
                     paisiblement l'union amicale qui existe entre  
                     l'Angleterre et ses colonies." 
                   
               
               
               
               (Applaudissements)  
               
               
               
               Je remarque que la chambre des lords a  
                  chaleureusement applaudi lorsque lord  
                  HOUGHTON et lord DERBY ont exprimé  
                  cet attachement aux colonies; et, pourtant,  
                  dans un moment d'hallucination mentale,  
                  (rires), l'hon. membre pour Brome a dit  
                  qu'il avait découvert l'indice que l'Angleterre voulait nous abandonner à notre sort,
                  
                  et que cette opinion était celle des deux  
                  grands partis représentés dans la chambre  
                  par le comte GRANVILLE et par le comte  
                  DERBY. Or, considérons la position de lord  
                  DERBY: il exprime son opinion en parlement,—cette opinion, comme celle d'hommes  
                  moins importants que lui dans le parlement,  
                  est soigneusement notée et sera souvent  
                  consultée dans cinq ans, dans dix ans peut- être. Lord DERBY, chef du plus grand parti
                  
                  politique de la Grande-Bretagne, du plus  
                  nombreux parti en ce moment, exprime dans  
                  les termes les plus chaleureux le désir de  
                  voir se perpétuer notre union avec la mère- patrie; n'est-ce pas la preuve irréfragable
                  
                  qu'à l'heure du danger l'Angleterre ne nous  
                  fera pas défaut si, pour notre part, nous lui  
                  restons fidèles? (Applaudissements.) Lord  
                  GRANVILLE a dit:  
               
               
               
               
                  
                  
                  "Il est consolant de voir que, tout en essayant de  
                     mettre à exécution leurs propres désirs, les colonies de l'Amérique Britannique du
                     Nord ne  
                     demandent qu'à rester unies à l'Angleterre. "
                   
               
               
               
               Or, d'après mon hon. ami pour Brome,  
                  lord GRANVILLE aurait dit, au contraire,  
                  
                  
                  
                  qu'il regrettait de nous voir animés du désir 
                  de perpétuer cette union. Malgré l'énergie 
                  des paroles que je viens de citer, mon hon.  
                  ami pour Brome veut, à toute force, voir 
                  dans le langage des nobles lords le désir  
                  d'abandonner les riches provinces de l'Amérique Britannique du Nord. En parlant de
                  
                  lord DERBY il a dit que le noble lord  
                  "espérait", "avait la confiance" "que telle  
                  et telle chose arriverait", et que du fait  
                  même que lord DERBY exprime l'espoir que  
                  nous resterons unis à l'Angleterre il résulte  
                  qu'une séparation est inévitable. (Rires.)  
                  Qu'adviendrait-il si mon hon. ami appliquait  
                  ce procédé dans les relations ordinaires de  
                  la vie? Il est à craindre que la civilité n'y  
                  trouvât point son compte. Mon hon. ami a  
                  dans ce moment un gros rhume; supposez  
                  que je le rencontre demain matin et, qu'en  
                  lui demandant de des nouvelles, j'exprime  
                  "l'espoir" que son mal diminue. S'il interprête mon "espoir" dans le même sens qu'il
                  a  
                  voulu comprendre "l'espoir" de lord DERBY,  
                  il me répondra sans doute que je l'ai cru  
                  bien plus malade qu'il n'est réellement, et  
                  qu'il n'a eu jusqu'alors aucune intention de  
                  faire creuser sa tombe. Car, dans l'état  
                  d'esprit où il se trouve et dont témoignent 
                  ses observations sur le projet, il interprétera 
                  mon espoir dans ce sens: "que je le crois  
                  aux portes du tombeau." (Ecoutez! et  
                  rires.) Et pour mieux faire voir combien  
                  l'hon. membre est incapable de traiter cette,  
                  grande question avec impartialité, je ferai  
                  remarquer à la chambre que lord DERBY, en  
                  exprimant un "espoir", ne faisait pas  
                  allusion à l'opinion publique en Angleterre  
                  mais à l'opinion dans les colonies. Il a dit  
                  qu'il espérait nous voir maintenir l'union  
                  avec la mère-patrie. Mais, en parlant de  
                  l'opinion publique en Angleterre, il n'a pas  
                  dit "j'espère", mais: "Je suis sûr que l'appui  
                  de l'Angleterre ne leur manquera jamais  
                  au besoin." (Ecoutez!) Les observations  
                  de lord DERBY nous avaient été communiquées précédemment, mais je ne regrette  
                  pas de m'être étendu sur ce point, car il est 
                  de la plus haute importance que nous 
                  sachions précisément quelle est l'opinion de  
                  l'Angleterre à notre égard. (Ecoutez!) On 
                  nous a également cité les paroles prononcées  
                  par Sa Majesté, dans le discours du trône  
                  lorsque la Colombie devint une province  
                  anglaise. Je vais relire cette phrase:  
               
               
               
               
                  
                  
                  "Sa Majesté espère que cette nouvelle colonie sur  
                     le Pacifique ne fera que hâter le jour où les possessions de Sa Majesté dans l'Amérique
                     du Nord  
                     
                     
                     639
                     
                     seront peuplées de l'Atlantique au Pacifique, par  
                     une nation active et loyalement soumise à la couronne anglaise."  
                   
               
               
               
               Ces déclarations venant de si haut lieu,  
                  sont généralement pleines de réticences, mais  
                  dans ce cas, elles ont une force et une précision remarquables. Mais s'il existait
                  aucun  
                  doute sur les sentiments des hommes les plus  
                  distingués de l'empire, ne devrait-il pas s'évanouir quand on se rappelle la visite
                  de Son  
                  Altesse Royale le PRINCE DE GALLES en Canada? Etait-ce une feinte, une vaine démonstration
                  pour nous faire croire que le gouvernement de Sa Majesté et l'Angleterre même  
                  désiraient conserver l'allégeance des populations de l'Ouest? Je ne l'ai jamais cru
                  un seul  
                  instant. Je me rappelle les paroles mêmes du  
                  PRINCE DE GALLES qui m'avaient beaucoup  
                  frappé à l'époque. C'était dans son discours  
                  au régiment canadien, vers 1858 ou au commencement de 1859. Des drapeaux furent  
                  présentés à ce régiment par Son Altesse  
                  Royale. C'était la première fois qu'il paraissait en public depuis qu'il avait obtenu
                  une  
                  commission dans l'armée anglaise. Je citerai  
                  les paroles prononcées par Son Altesse Royale  
                  en cette circonstance,—paroles qui me remplirent de joie parce que j'avais passé plusieurs
                  années de ma vie, avant cette époque.  
                  comme officier anglais dans ces provinces.  
                  En présentant au régiment son drapeau,  
                  Son Altesse Royale dit:— 
               
               
               
               
                  
                  
                  "La cérémonie actuelle comporte une signification et une solennité toutes particulières,
                     parce  
                     qu'en vous remettant pour la première fois ce  
                     signe de la fidélité et de la valeur militaire, je ne  
                     consacre pas seulement votre enrôlement dans les  
                     rangs de l'armée anglaise, mais je célèbre un  
                     fait qui proclame et raffermit l'unité des diverses  
                     parties de ce vaste empire sous le sceptre de notre  
                     souveraineté à tous." 
                   
               
               
               
               A ce propos, je rappellerai une ou deux des  
                  réponses faites par Son Altesse Royale aux  
                  différentes adresses qui lui furent présentées  
                  dans sa visite parmi nous. L'une de celles  
                  qui me plaît le plus et qui doit le plus plaire  
                  à tout homme qui veut conserver l'union  
                  avec la métropole, est celle que Son Altesse  
                  Royale fit en réponse à l'adresse du conseil  
                  législatif, et dans laquelle se trouve le passage suivant:  
               
               
               
               
               "Je m'unis le plus cordialement du monde à  
                  votre désir de voir les liens qui unissent ensemble  
                  la Reine et le peuple canadien se raffermir et  
                  durer."
               
               
               
               
               (Ecoutez! écoutez!) 
               
               
               
               Mais, il serait superflu de citer davantage  
                  
                  
                  
                  les réponses de Son Altesse Royale, car l'aspect général de sa visite en ce pays,
                  les  
                  paroles prononcées par les chefs des deux  
                  grands partis de l'Angleterre, les voeux bien  
                  connus de notre Reine et de son Héritier présomptif, tout indique, en autant qu'on
                  peut  
                  l'inférer des paroles et des actes, que le peuple  
                  anglais n'a qu'une voix pour désirer la continuation de l'union de ces provinces avec
                  les  
                  trois royaumes. Il ne dépend donc que de  
                  nous que cette union se prolonge en non.  
                  (Ecoutez! écoutez!) Et je ne doute pas que  
                  ce ne soit ce désir unanime qui ait fait envisager au peuple anglais avec tant de
                  faveur  
                  notre mouvement fédéral. Il comprend que  
                  l'union de ces provinces aura pour effet de  
                  consolider notre pouvoir et notre force et de  
                  développer nos ressources, car il envisage la  
                  chose à un point de vue beaucoup plus élevé  
                  que ceux de nos mesquines jalousies et de  
                  nos querelles de parti. Je ne vois pas de nécessité absolue d' ici à longtemps, et
                  pendant  
                  que nous grandissons, pour laquelle nous devions nous séparer; mais il est plutôt
                  de notre  
                  devoir, à mesure que nous augmentons en  
                  richesse et en population, d'alléger peu à peu  
                  la métropole, en temps de paix, du fardeau  
                  qu'elle s'impose actuellement pour nous défendre. (Ecoutez!) Un autre motif de nous
                  
                  faire désirer l'union des provinces anglaises  
                  afin de développer notre nationalité, de nous  
                  faire mieux connaître et d'ouvrir de nouvelles voies au commerce, consiste dans les
                  
                  sentiments hostiles qu'ont manifestés les  
                  Etats-Unis envers ce pays durant les derniers  
                  mois. Quelle conduite a, en effet, tenue la  
                  république voisine envers le Canada depuis  
                  quelque temps? Elle a d'abord mis en force  
                  le système de passeports, qui est un reste de  
                  despotisme que l'on a vu abolir même par les  
                  gouvernements absolus;—puis, ensuite, elle  
                  s'est mise à embarrasser et à empêcher les re  
                  lations commerciales entre les deux pays;— 
                  elle a donné avis de l'expiration de la convention touchant l'armement des lacs;—elle
                  
                  a, encore, je crois, donné avis de l'abrogation  
                  du traité de réciprocité;—un comité des  
                  voies et moyens du congrès a rappelé un  
                  projet de loi pour remettre en ordre les défenses des frontières, en recommandant
                  d'affecter à ce sujet un crédit de plus d'un million  
                  de piastres;—nous avons vu, enfin, les autorités américaines donner avis, ou se proposer
                  
                  de donner avis, de l'abrogation du traité d'extradition, et projeter la construction
                  d'un  
                  canal à navires aux chutes de Niagara pour  
                  les canonnières et vaisseaux de guerre:— 
                  
                  
                  640
                  
                  voilà la conduite que les Etats-Unis ont adoptée à l'égard du Canada! (Ecoutez! écoutez!)
                  
                  Ne devons-nous pas réfléchir et nous demander ce qui va venir ensuite? Chacun de nous
                  
                  doit songer dans quelle situation nous nous  
                  trouverions si l'abolition du système actuel  
                  de transit venait tout à coup mettre les Etats- Unis entre l'océan et nous,—et quelle
                  position humiliante nous est faite aujourd'hui  
                  par le fait que notre existence nationale dépend presqu'en entier d'une puissance
                  étrangère et hostile! (Ecoutez! écoutez!) Ce  
                  n'est pas du bon vouloir que le peuple américain nous a témoigné depuis quelque temps,
                  
                  et la façon dont-il s'y est pris pour nous le  
                  faire sentir n'est peut-être qu'un avant- coureur de ce qui doit venir ensuite. Cependant,
                  qu'il ait recours aux mesures extrêmes ou non, est-ce que notre situation  
                  actuelle nous offre aucune garantie d'indépendance, ou de continuation de relations
                  
                  avec l'Angleterre. Est-ce que la condition de ce continent et les avertissements 
                  
                  éclairés des hommes d'état anglais ne nous  
                  disent pas de nous tenir prêts à tout évènement, à moins toutefois que nous ne voulions
                  
                  faire partie, et une infime partie de la grande  
                  république? Je comprends jusqu'à quel  
                  point ceux qui nourrissent des tendances  
                  annexionistes et républicaines doivent se réjouir de notre situation actuelle, et
                  combien  
                  ceux qui veulent voir tout ce continent converti en une immense république doivent
                  
                  espérer des difficultés qui pourraient s'élever  
                  entre l'Angleterre et ses colonies d'Amérique:  
                  mais pour ceux qui pensent différemment,  
                  n'est-il pas évident que nous devons adopter  
                  quelques mesures, que nous devons travailler  
                  à former une nationalité indépendante, mais  
                  non ennemie des Etats Unis, afin de résister aux  
                  influences si nombreuses qui nous poussent  
                  dans leurs bras? Nous ne pouvons nous  
                  faire illusion sur les conséquences de leurs  
                  démarches actuelles, car à moins d'en adopter  
                  de contraires, à moins de nous trouver  
                  un autre débouché vers l'océan, à moins  
                  de créer d'autres débouchés à notre commerce et à nos affaires, ils savent que  
                  nous devons inévitablement tomber sous  
                  leur dépendance. C'est là une autre raison  
                  pour laquelle je désire, et immédiatement,  
                  l'union des provinces anglaises; je voudrais  
                  que nous puissions de suite ne former qu'un  
                  seul peuple, renverser les barrières qui nous  
                  séparent les uns des autres, et nous convaincre de plus en plus que nos intérêts sont
                  
                  communs avec les colonies du golfe et que  
                  
                  
                  
                  nous dépendons les uns des autres, ce qui  
                  ne pourra jamais s'accomplir tant que nous  
                  serons isolés entre nous, comme nous le  
                  sommes aujourd'hui. C'est pourquoi je reste  
                  tellement étonné de voir que, du moment où  
                  l'on veut concourir à la formation sur ce  
                  continent d'une nationalité indépendante des  
                  Etats-Unis, on puisse néanmoins faire de  
                  l'opposition sans aucun prétexte au projet  
                  qui est actuellement devant les chambres.  
                  (Ecoutez! écoutez!) Quant au point de  
                  vue financier et commercial, on a tellement  
                  discuté cette partie de la question que je  
                  crois tout-à-fait inutile d'y rien ajouter. Je  
                  sais bien que je ne réussirais pas à traiter le  
                  sujet aussi habilement que ceux qui m'ont précédé. Mais il est naturel que chaque
                  orateur  
                  insiste plus longuement sur le point qui l'a  
                  frappé davantage. Je suis persuadé que sous  
                  tous les rapports, en vue de nos relations peu  
                  rassurantes avec les Etats-Unis, dont nous  
                  dépendons actuellement, en vue de notre  
                  union avec les provinces anglaises, en vue  
                  de notre union avec la métropole, nous manquerions à nos devoirs les plus sacrés si
                  nous  
                  différions davantage de chercher à ouvrir de  
                  nouveaux débouchés à notre commerce et à  
                  notre industrie. Tout le monde sait qu'aujourd'hui nos produits ont à passer par les
                  
                  mains des marchands de New-York avant  
                  d'atteindre les provinces maritimes; ces  
                  marchands jouissent ainsi de tous les bénéfices de ce transit qui, vu le désavantage
                  de  
                  notre position, est très considérable et est en  
                  particulier susceptible d'un accroissement  
                  énorme. Il n'y a qu'à jeter un coup-d'œil  
                  sur la position et sur ce qui caractérise  
                  chacune de ces provinces, pour juger combien  
                  les unes suppléent précisément à ce qui  
                  manque aux autres. Il suffira de remarquer  
                  à ce propos que, tandis que nous sommes  
                  un peuple d'agriculteurs et d'industriels, la  
                  population de ces provinces est surtout et  
                  demeurera maritime, et manquant, par conséquent, de tout ce que nous serons en état
                  de  
                  lui fournir. Je sais fort bien qu'on a prétendu pouvoir ouvrir ces nouveaux débouchés
                  sans union: —mais tout nous presse  
                  de devenir un peuple uni, tout nous presse  
                  d'identifier nos intérêts et tout nous rend  
                  dépendants les uns des autres et comment  
                  accomplir ce résultat sinon par une union  
                  politique qui soumettra toutes les colonies à  
                  une même législation et à un même gouvernement? J'irai même plus loin, et ce ne  
                  sera peut-être pas trop me hasarder que  
                  d'assurer que dix années d'union politique  
                  
                  
                  641
                  
                  feront plus pour avancer nos intérêts commerciaux que trente années sans union,  
                  (Ecoutez! écoutez!) A ce sujet, se rattache  
                  naturellement celui du chemin de fer intercolonial. Or, il me semble, M. L'ORATEUR,
                  
                  que quoique cette entreprise ait été mêlée à  
                  cette question, quoique le coût de ce chemin  
                  ait été présenté par les adversaires du projet  
                  comme fesant partie de celui-ci, et de celui-ci  
                  seulement, le chemin de fer intercolonial  
                  restera toujours une nécessité de notre position, qu'il y ait confédération ou non
                  et  
                  quelques soient les événements. Cette question du coût de ce chemin est donc un hors-
                  d'œuvre et ne peut par conséquent être prise  
                  en considération ni pour ni contre le projet.  
                  Qu'on ne croie pas cependant que je regarde  
                  ce chemin de fer comme une entreprise  
                  profitable au point de vue commercial, ni  
                  même comme un ouvrage militaire d'une  
                  grande valeur. (Cris de la gauche: écoutez!  
                  écoutez!) Sans doute qu'en temps de guerre ce  
                  chemin nous serait d'une grande importance  
                  pour nous mettre, à toute époque de l'année,  
                  en communication avec la mer. Avant que  
                  les hostilités n'éclatent, comme, par exemple,  
                  lors de l'affaire du Trent, nous en aurions  
                  besoin afin d'échapper à la dépendance  
                  des Etats-Unis pour transporter promptement, dans les provinces, des troupes et des
                  
                  munitions de guerre; mais, une fois la  
                  guerre déclarée l'histoire de nos voisins  
                  nous a démontré que les chemins de fer  
                  peuvent se détruire facilement et devenir  
                  tout-à-fait inutiles, à moins d'avoir les  
                  moyens de les défendre. Ce n'est donc que  
                  comme engin social et politique qu'il me  
                  paraît absolument nécessaire dans le cas  
                  où nous devrons effectuer l'union; et quand  
                  même cette union n'aurait pas lieu aujourd'hui et dans dix ans seulement, je maintiens
                  
                  encore que nous devons sur le champ nous  
                  mettre à le construire. L'union est encore  
                  désirable parce qu'elle ajoutera grandement  
                  à nos moyens de défense. Il est bien vrai  
                  qu'elle ne nous donnera aucun accroissement  
                  de forces en fait de territoire ou même en  
                  fait de soldats: mais il n'est pas nécessaire  
                  d'être militaire pour savoir qu'il n'est pas  
                  une administration qui ait autant besoin  
                  d'une seule tête que l'organisation d'une  
                  armée et la direction des opérations militaires. Quelle serait, je vous le demande,
                  
                  notre position dans le cas où la guerre viendrait  
                  à éclater? Tels que nous sommes aujourd'hui,  
                  nous constituons cinq provinces distinctes,  
                  soumises chacune à un gouvernement séparé;  
                  
                  
                  
                  ces diverses populations se connaissent peu  
                  entr'elles et ont, par conséquent, peu d'intérêts  
                  communs: or, qu'il arrive, en cas de guerre,  
                  qu'on ait besoin de l'action combinée de deux  
                  de ces provinces ou plus, tout le succès dépendra de la coopération immédiate des
                  corps  
                  qui seront appelés à marcher. Eh bien!  
                  est-ce que ce genre d'opération ne sera pas  
                  des plus difficiles par suite de la nécessité  
                  où l'on sera d'avoir à prendre l'avis d'autant  
                  de gouvernements séparés, jaloux les uns des  
                  autres et intéressés uniquement à leur salut  
                  en particulier? (Ecoutez! écoutez!) Un  
                  tel état de choses demande donc d'être  
                  changé quand même il n'y aurait pas d'autres  
                  raisons de le faire. Si nous voulons rester  
                  indépendants des Etats-Unis, mettons en  
                  commun, le mieux qu'il nous sera possible,  
                  tous nos moyens de défense. Il nous faut  
                  entrer en connaissance les uns avec les autres  
                  et faire tout en notre pouvoir pour créer un  
                  sentiment d'unité et d'action, non seulement  
                  dans une province, mais dans toute l'Amérique Britannique du Nord. Les Canadiens 
                  
                  devraient cesser de croire qu'ils ont seuls  
                  intérêt à défendre le Canada, de même que  
                  les habitants de la Nouvelle-Ecosse devraient  
                  apprendre à voir plus loin que les frontières  
                  de leur province. Si nous voulons organiser  
                  une résistance combinée, il nous faut de toute  
                  nécessité avoir des intérêts communs dans  
                  tout le pays. Comment arriver à ce résultat  
                  d'une façon certaine sans union? Mettons  
                  ce projet à exécution et nous verrons bien  
                  par la suite que nous serons intéressés au  
                  salut de la moindre fraction de la confédération. Une fois unis, nous trouverons la
                  
                  population des provinces maritimes admirablement propre à la défense des lacs,—cette
                  
                  clé du Haut-Canada,—et nous aurons la  
                  Nouvelle-Ecosse pour nous secourir comme  
                  nous pourrons la secourir nous aussi. (Ecoutez! écoutez ) Je ne saurais trop essayer
                  
                  de faire pénétrer dans l'esprit de mes hon.  
                  auditeurs la conviction dont je suis animé  
                  sur l'importance de la consommation immédiate de cette union. Nos propres intérêts
                  
                  et ceux de l'empire demandent que nous  
                  puissions résister à la puissance si pleine  
                  d'énergie et de vitalité qui se trouve au sud  
                  de ce pays; en face d'un tel devoir, nous  
                  devons faire taire nos querelles de localité  
                  et nous mettre sous la conduite d'hommes  
                  qui puissent nous guider lorsque l'époque de  
                  crise se présentera. Personne plus que moi  
                  ne désire la continuation de la paix, mais  
                  nous devons, pour le moment où elle devra  
                  
                  
                  642
                  
                  cesser, apprendre à obéir aux ordres de nos  
                  chefs avec zèle et promptitude, et nous tenir  
                  prêts à voler au secours d'aucun point menacé  
                  de l'Amérique Britannique du Nord. Or,  
                  jamais nous ne pourrons espérer un tel état  
                  de choses tant que la Nouvelle-Ecosse  
                  voudra se constituer en nationalité distincte,  
                  tant que le Nouveau-Brunswick, Terre-  neuve et l'Ile du Prince-Edouard demeureront
                  isolés les uns des autres, et tant que  
                  le Bas et le Haut-Canada différeront autant  
                  de sentiments et d'opinion de toutes les  
                  autres provinces. Car, en effet, c'est en  
                  restant ainsi divisés que nos forces s'éparpillent et que nous nous affaiblissons.
                  Il  
                  n'y a pas de raison de nécessité aussi force  
                  en faveur d'une union des provinces que la  
                  question de notre sûreté nationale. Le  
                  Canada n'est pas aussi difficile à défendre  
                  qu'on pourrait le croire, à en juger d'après  
                  l'immense développement de ses frontières;  
                  il nous suffira de pouvoir garder quelques  
                  points saillants pour n'avoir rien à craindre;  
                  car, si notre frontière est immense, celle des  
                  Etats-Unis ne l'est pas moins, et si nous  
                  avons plusieurs villes sur la frontière elles  
                  ne sauraient être comparées en importance  
                  et en richesses à celles des Etats-Unis; c'est  
                  pourquoi, notre situation n'est donc pas, après  
                  tout, si désavantageuse à cet égard. Il y a  
                  certains points qui sont la clé et comme la  
                  porte du Canada; en les fortifiant, nous  
                  pouvons nous flatter de nous défendre contre  
                  n'importe quelle armée, et il est de la plus  
                  haute importance de faire comprendre au  
                  peuple canadien la nécessité de fortifier ces  
                  quelques postes. Si nous sommes pour rester  
                  indépendants, si nous désirons réellement  
                  former une nationalité à part celle des Etats- Unis, nous devons prendre toutes ces
                  choses  
                  en considération et regarder la situation en  
                  face, afin de la comprendre et de nous convaincre de la nécessité de nous entendre
                  avec  
                  le gouvernement de la métropole sur la  
                  proportion des frais que nous devons assumer.  
                  Si nous voulons sincèrement conserver notre  
                  indépendance, nous ne reculerons devant  
                  aucun impôt, devant aucun sacrifice pour le  
                  faire. Le seul fait de l'existence de doutes dans  
                  l'esprit de plusieurs quant au consentement  
                  des Canadiens à se laisser taxer pour cet objet  
                  est, suivant moi, l'un des motifs les plus  
                  concluants que nous n'avons pas une minute  
                  à perdre dans l'accomplissement de l'union  
                  des provinces de l'Amérique Britannique du  
                  Nord. Pour moi, il n'est rien de plus évident  
                  que tant que le Canada sera isolé du reste  
                  
                  
                  
                  des colonies, il ne saura éprouver le sentiment de la nationalité, car le Canada ne
                  peut  
                  exister seul. Nous avons besoin de comprendre qu'il est une nationalité sur ce  
                  continent dont nous fesons partie, et je ne  
                  connais rien de plus propre à étendre le  
                  cercle de nos idées et de nos vues que le 
                  projet actuel qui embrasse, dans son action,  
                  toute l'Amérique Anglaise. Nous nous  
                  apercevrons qu'un pays tel que celui que  
                  formera la confédération vaudra la peine  
                  d'être défendu. Toutes les nations du 
                  monde consentent à se laisser taxer pour  
                  leur défense, et il ne manque pas de pays  
                  plus faibles que nous en population, en  
                  revenus et en commerce, qui conservent  
                  sur pied des armées qui, à tout prendre  
                  sont considérables. Eh! quoi, lorsque nous  
                  parlons de défenses, lorsque nous disons  
                  qu'il faudra se taxer pour construire ces  
                  ouvrages militaires et mettre la milice sur  
                  un bon pied, nous entendons murmurer 
                  autour de nous des gens qui se demandent 
                  si le Canada consentira à faire sa part! Ces  
                  hésitations me prouvent que quelques uns 
                  d'entre nous manquent de la fibre nationale et  
                  qu'il faut à tout prix l'éveiller ou la faire naître  
                  en eux, car le peuple qui en est doué n'hésite  
                  pas à faire aucun sacrifice pour conserver  
                  son indépendance. Combien de pays qui  
                  ont témoigné leur amour pour leur nationalité et leur drapeau en sacrifiant pour ainsi
                  
                  dire jusqu'à leurs dernières ressources?  
                  —" Mais, dit on, laissez l'occasion se présenter et vous verrez le Canada dépenser
                  
                  jusqu'à la dernière goutte de son sang pour  
                  purger le sol de ses envahisseurs." —Voilà  
                  sans doute, un beau sentiment, mais je ne puis  
                  pas croire que si ceux qui en font parade  
                  désiraient le voir mettre à l'épreuve, ils ne  
                  s'empresseraient pas d'insister sur la nécessité de faire les dépenses nécessaires
                  pour  
                  parer aux éventualités. Ce serait pour eux  
                  le moyen de faire quelque chose de pratique et de ne pas s'exposer à passer pour 
                  
                  de purs idéalistes. (Ecoutez!) La question  
                  en effet, est une des plus pratiques qui 
                  puissent se présenter, et on doit mépriser  
                  comme inutile et de mauvais aloi le sentiment qui n'aboutit pas aux faits. Restons
                  
                  donc convaincus de ceci, savoir: que si 
                  aujourd'hui nous hésitons à voter les fonds  
                  nécessaires pour mettre le pays sur un pl  
                  de défense, nous aurons la même répugnance  
                  à répandre notre sang lorsque l'occasion  
                  l'exigera. (Ecoutez! écoutez!) Nous devrions  
                  considérer qu'il ne suffit pas de notre sang 
                  
                  
                  643
                  
                  pour nous défendre, et si nous ne nous  
                  préparons pas pour les éventualités, à quoi  
                  nous servira-t-il d'aller exposer notre vie?  
                  En vérité, quoi de moins raisonnable et de  
                  moins sensé que de dire que nous allons  
                  tout laisser incomplet, et l'éducation militaires de nos soldats et la fortification
                  des  
                  principaux points de défense, jusqu'à ce  
                  que notre salut dépende précisément de nos  
                  troupes et de nos points fortifiés? N'est-ce  
                  pas là le raisonnement de celui qui dit:— 
                  "Oh! j'apprendrai à nager quand je serai  
                  à la veille de me noyer?"—Est-ce que  
                  l'homme sensé qui se saura exposé au danger  
                  de se noyer n'apprendrait pas à nager avant  
                  de risquer sa vie? Or, nous fesons le même  
                  raisonnement que le premier de ces individus  
                  lorsque nous prétendons que nous saurons  
                  bien donner notre vie pour la défense de notre  
                  pays, et que nous négligeons de prendre  
                  d'abord toutes les précautions qu'il faut  
                  prendre en pareil cas. Je n'aime ni n'ai  
                  confiance dans l'expression d'un tel sentiment et je lui préfère le raisonnement des
                  
                  hommes pratiques sur une question de cette  
                  importance. J'ai lu avec attention le rapport  
                  du Colonel JERVOIS, envoyé ici en mission  
                  spéciale, et je crois que tous mes hon. auditeurs l'ont également parcouru: or, cet
                  
                  officier après avoir indiqué certains points à  
                  fortifier, conclut en disant: " Il est tout-à- inutile de conserver des troupes anglaises
                  
                  en Canada tant que ces ouvrages ne seront  
                  pas construits." 
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—L'hon. monsieur crie  
                  "écoutez! écoutez!" Je ne saurais dire ce  
                  qui se passe dans son esprit, mais j'ai observé  
                  -et l' hon. député verra si cette observation  
                  s'applique à lui ou non—j'ai observé que  
                  lorsque mon hon. ami de North Ontario  
                  fesait connaître les frais qu'entraînera l'armement du Canada, il y eut un cri d'"écoutez!
                  
                  écoutez!" qui signifiait avec quel enthousiasme  
                  on concourait dans les vues exprimées par  
                  l'hon. député. Mais, M. l'ORATEUR, quand  
                  mon hon. ami, avec son éloquenee persuasive,  
                  déclara que, lorsque l'occasion l'exigerait, il  
                  serait prêt à répandre la dernière goutte de  
                  son sang pour la défense de son pays, nous  
                  n'avons plus entendu les mots d'approbation  
                  "écoutez! écoutez!" auxquels j'ai fait allusion.  
                  (On rit.) Si j'ai bien compris mon hon.  
                  ami, il ne veut pas que l'on encourre de  
                  dépenses pour des travaux de fortification;  
                  mais, M. l'ORATEUR, il a parlé en vrai 
                  Breton, et je suis sûr qu'il était sincère
                  
                  
                  
                  et que ce n'est pas un sentiment de convention qu'il a exprimé lorsqu'il s'est dit
                  
                  prêt à verser son sang jusqu'à la dernière  
                  goutte pour la défense du pays. Je suis  
                  convaincu qu'il est capable de ce dévouement,  
                  mais je lui demanderai s'il serait plus raisonnable de verser son sang que de dépenser
                  
                  quelques louis? Qui peut dire à combien de  
                  mille personnes, que dis-je, de cent mille,  
                  une judicieuse dépense de quelques cent  
                  mille louis épagnerait la mort? Je tiens à  
                  ce que mon hon. ami sache que je suis  
                  profondément convaincu que ce serait sous  
                  tous rapports une économie—une économie  
                  d'argent et de vie humaine—que de dépenser  
                  aujourd'hui quelques sommes pour mettre le  
                  pays en état de se défendre. Je pense que,  
                  depuis quelques années, l'opinion sur ce sujet  
                  a bien changé, car l'on commence à s'en  
                  occuper sérieusement. Nous sommes un  
                  peuple nombreux et riche, et il est de notre  
                  devoir de faire plus qu'on a fait jusqu'ici  
                  pour nos défenses. Je désire attirer maintenant l'attention sur des travaux qui, par
                  leur  
                  importance, sont d'une valeur incalculable.  
                  Je veux parler du canal de l'Outaouais. Il  
                  me fait peine que l'état de nos finances ne  
                  nous permette pas de songer à présent à sa  
                  construction, et si j'en parle c'est pour qu'on  
                  ne l'oublie pas; c'est pour que les représentants et nos hommes d'état ne l'oublient
                  
                  pas non plus. Pour rendre sûre la défense  
                  du pays,—de sa section ouest surtout,—et  
                  conserver son indépendance, il faut que le  
                  canal de l'Outaouais soit construit, car il  
                  nous vaudra autant que 50,000 hommes de  
                  troupe. Avec ce canal et l'aide de la mère- patrie, laquelle, nous en avons la certitude,
                  
                  ne nous fera jamais défaut dans le besoin,  
                  nous serons capables de tenir tête à l'ennemi  
                  sur les lacs et de le menacer sur plusieurs  
                  points importants, tout en garantissant le  
                  pays d'une invasion. A l'heure qu'il est,  
                  nous sommes dans une triste condition quant  
                  à nos voies de navigation artificielle considérées au point de vue de la défense.
                  Sous  
                  ce rapport, nos canaux du St. Laurent sont  
                  presque tout à fait inutiles. Je suis content  
                  de voir que le gouvernement américain a  
                  donné avis de son intention de rompre la  
                  convention à l'effet de ne pas tenir sur les  
                  lacs de navires armés en guerre. J'en suis  
                  d'autant plus satisfait que cette convention  
                  était réellement nuisible à nos intérêts, et je  
                  n'ai aucun doute qu'avant la fin de l'année 
                  nous aurons des canonnières sur nos lacs. 
                  S'il en eût été autrement, il est probable que  
                  
                  
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                  nous aurions pu être maintes fois à la merci  
                  des Etats-Unis. Il est indubitable que, s'ils  
                  se décidaient à entrer en guerre avec nous  
                  avant l'ouverture de la navigation, nous ne  
                  pourrions faire passer de canonnières anglaises  
                  par les canaux du St. Laurent, qui sont d'un  
                  accès si facile pour l'ennemi, et que, sans  
                  trop de difficulté, il pourrait rendre inutiles  
                  comme voies navigables. Quant au canal  
                  Rideau, comment pourrions-nous y faire  
                  passer des canonnières, bien qu'il est une  
                  certaine classe de ces vaisseaux qui pourrait  
                  peut-être y passer?  
 
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAlN—Oui; je crois que  
                  les écluses de ce canal ont une longueur de  
                  130 pieds, et permettraient à une certaine  
                  classe de canonnières d'y passer; mais,  
                  comme l'a fait remarquer mon hon. ami, le  
                  canal Rideau serait tout de même inutile,  
                  attendu que la seule voie pour s'y rendre est  
                  celle du canal de Grenville, dont les écluses  
                  n'ont que 70 pieds de long. Ainsi, nous  
                  serions donc entièrement à la merci des  
                  Etats-Unis, car, à moins d'être maîtres du  
                  lac Ontario, la province supérieure tomberait  
                  inévitablement entre les mains de l'ennemi.  
                  Eh bien! M. l'ORATEUR, il me semble que  
                  tous nos intérêts—au point de vue de la politique, du commerce et des défenses,—et
                  les  
                  circonstances où nous nous trouvons, parlent  
                  en faveur d'une union des provinces anglaises.  
                  Les motifs et les interêts qui l'exigent sont  
                  si grands que je suis surpris de voir que, tout  
                  en désirant que ces provinces restent indépendantes des Etats-Unis, il se trouve des
                  
                  députés qui hésitent à adopter ce projet, non  
                  pas parce que je le trouve parfait, mais parce  
                  qu'il est le seul qui nous soit offert. (Ecoutez! écoutez!) Je passe maintenant à
                  quelques observations sur le caractère de l'opposition, que je trouve en quelque sorte
                  remarquable, mais qui est certainement hétérogène.  
                  La grande différence qui existe entre elle et  
                  le gouvernement me semble être celle-ci:  
                  ce dernier est désireux de consolider, d'édifier, tandis que le seul but de l'opposition,
                  le  
                  seul but qui maintient intacts ses rangs, me  
                  paraît être celui de détruire, d'affaiblir et de  
                  diviser. (Ecoutez! écoutez!) Plusieurs des  
                  observations que ses divers membres ont fait  
                  entendre auraient pu être faites aussi bien  
                  contre elle-même que contre le gouvernement.  
                  Pour me servir d'une phrase usitée chez le  
                  militaire, je dirai que ses membres ont lutté  
                  entre eux; mais, comme ce n'est qu'une  
                  
                  
                  
                  guerre de mots et d'arguments qu'ils se sont  
                  faite, ils peuvent encore se combattre, bien  
                  que, logiquement parlant, ils soient hors  
                  de combat. L'un dit qu'un changement est  
                  devenu nécessaire; un autre pense le contraire et désire que nous restions comme 
                  
                  nous sommes. Un troisième est contre la  
                  confédération parce qu'il croit que, jusqu'ici,  
                  le principe fédéral n' a produit que l'impuissance, tandis qu'un quatrième ente sur
                  ce  
                  principe ses espérances pour le gouvernement futur de l'univers. Un autre ne veut
                  
                  entendre parler que d'une union législative,  
                  et cela quand il sait, je pense, que beaucoup  
                  d'entre ceux qui agissent dans le même sens  
                  que lui seraient prêts à nous menacer d'une  
                  rébellion si seulement on essayait d'établir  
                  une union législative. La plus grande des  
                  variétés d'opinion existe dans cette opposition, et, ainsi que je l'ai déjà dit, elle
                  offre  
                  le spectacle d'une réunion des plus hétérogènes, dont le seul but est la destruction.
                  
 
               
               
               
                
               
               
               
               Col. HAULTAIN—Les membres du  
                  gouvernement ont un but commun. Ils se  
                  sont réunis non pour lutter l'un contre l'autre  
                  en faveur d'opinions et de principes différents, mais pour s'entendre, comme des 
                  
                  hommes raisonnables, dans l'accomplissement  
                  d'un grand but qui leur est commun, et ils  
                  ont délibéré sur ce qui rencontrerait le mieux  
                  les vues de chacun, c'est-à-dire en se faisant  
                  de mutuelles concessions. En cela, ils se  
                  sont conformés à la loi qui lie la société, et  
                  sans laquelle la société ne peut exister. Ils  
                  se sont unis dans cet esprit afin d'augmenter  
                  les forces de ces provinces et la puissance  
                  de l'empire auquel elles appartiennent; mais  
                  je ne vois rien d'analogue chez l'opposition.  
                  Je n'entends pas dire qu'elle s'est formée  
                  pour préparer et proposer au pays quelque  
                  projet préférable à celui qui est actuellement  
                  soumis à notre adoption, et de ce silence je  
                  me plains amèrement. Je maintiens que  
                  l'importance de cette question devrait l'obliger à ne pas se prévaloir de ce qu'on
                  appelle  
                  ordinairement la latitude de l'opposition parlementaire Les circonstances où se trouve
                  
                  le pays sont trop graves pour que nous nous  
                  faisions un jouet d'une pareille question. Si  
                  nous présentons à la chambre une mesure  
                  qui peut obvier aux difficultés de notre position, je dis que les hon. messieurs qui
                  s'opposent au projet ne remplissent pas leur  
                  devoir envers le pays, et qu'ils n'ont pas  
                  
                  
                  645
                  
                  apprécié ces difficultés comme ils auraient  
                  dû le faire, si, de leur côté, ils n'offrent rien  
                  pour y remédier. Je ne puis, en réalité,  
                  faire autrement que de désapprouver leur  
                  conduite. (Ecoutez!) Je vais parler maintenant, M. l'ORATEUR, d'une opposition qui
                  
                  est faite à ce projet, et qui a été fortement  
                  exprimée par une certaine partie de la minoté protestante du Bas-Canada. Dans mes
                  
                  relations personnelles avec plusieurs personnes appartenant à cette partie de la 
                  
                  société, j'ai pu savoir qu'elles éprouvaient une  
                  forte aversion pour ce projet, parce que par  
                  lui elles vont se trouver à la merci des Franco- Canadiens. A cet égard, et bien que
                  les  
                  circonstances exigent que nous nous parlions  
                  franchement et ouvertement, je veux assurer  
                  mes hon. amis du Bas-Canada que ce n'est  
                  et que ce ne sera que sous l'impression d'un  
                  sentiment d'amitié pour eux que je parlerai.  
                  Je suis contraint de dire ici qu'il n'est  
                  aucune partie du projet sur laquelle j'éprouve  
                  autant de doute que celle qui concerne l'enseignement et les intérêts politiques des
                  
                  protestants du Bas-Canada. On a dit que 
                  les Franco-Canadiens avaient toujours fait  
                  preuve de tolérance et de générosité envers  
                  leurs concitoyens protestants. J'ai entendu  
                  dire que toujours ils avaient montré le même  
                  esprit de justice en favorisant du mieux  
                  qu'ils le pouvaient les écoles de la minorité  
                  protestante; mais, d'un autre côté, des personnes qui ont porté beaucoup d'attention
                  à  
                  ce sujet, ont aussi dit qu'autrefois, bien que  
                  l'hostilité ne fut pas flagrante, l'éducation  
                  de la minorité protestante avait éprouvé en  
                  sous-main de très sérieux obstacles. Cela  
                  m'a été dit par des hommes qui ont pris un  
                  intérêt particulier dans cette affaire, et qui,  
                  j'en suis convaincu, n'eussent pas fait cette  
                  assertion s'ils ne l'avaient cru fondée. Pour  
                  ma part, je pense que la minorité protestante  
                  a raison d'entretenir cette crainte, et voici  
                  pourquoi: la majorité du Bas-Canada, nous  
                  le savons, est catholique romaine, et reçoit  
                  ses inspirations du chef de l'église romaine;  
                  elle est guidée par des principes qui sont posés  
                  et promulgués publiquement de temps à autre  
                  par le chef de cette église romaine. Ses choses  
                  étant ainsi, je ne crois donc pas que mes  
                  concitoyens de cette religion, auxquels je  
                  veux parler franchement, mais avec courtoisie, aient lieu de s'étonner de ces soupçons
                  
                  et craintes de leurs frères protestants. Ils ne  
                  doivent pas s'en étonner, parce que, naturellement, ils savent quels sont les principes
                  de  
                  la hiérarchie catholique romaine.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAlN—Ils ne sont pas tolérants. (Murmures de désapprobation dans  
                  plusieurs parties de la chambre.)  
 
               
               
               
               L'HON. M. ALLEYN—Les presbytériens  
                  sont-ils plus tolérants? L'hon. monsieur  
                  a avancé que les principes de la hiérarchie catholique romaine n'étaient pas tolérants,
                  voudrait-il nous dire s'il entend par là  
                  qu'ils ne le sont pas pour la liberté civile ou  
                  seulement pour la liberté religieuse? Nous  
                  tenons à savoir au juste ce que l'hon. monsieur veut dire.  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Etre bien compris,  
                  c'est précisément ce que je désire. La liberté  
                  civile et religieuse sont tellement liées l'une  
                  à l'autre que nous ne pouvons pas les séparer.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Je crois qu'il suffit  
                  de consulter la dernière lettre encyclique de  
                  Rome pour trouver une réponse plausible à  
                  la question que vient de me faire l'hon. député de Québec. Je vois dans cette lettre,
                  
                  qui porte ce cachet de gravité et d'autorité  
                  qui est particulier à tout message du chef de  
                  l'église catholique romaine, je vois, dis-je,  
                  entre autres choses, que l'on condamne  
                  comme une erreur ce qui suit: "ceux qui  
                  émigrent dans les pays catholiques devraient  
                  jouir de la liberté des cultes." (Ecoutez!  
                  écoutez!) Personne plus que moi n'est disposé à éloigner de cette enceinte toute discussion
                  ou animosité religieuse; mais quand  
                  nous avons à délibérer sur un projet de la  
                  plus grande importance, dans lequel se  
                  trouvent en jeu les divers intérêts de la  
                  société, je crois qu'alors il est permis à tout  
                  homme de dire franchement sa pensée.  
                  (Ecoutez! écoutez!) J'ai dit que la minorité protestante du Bas-Canada ne cesserait
                  
                  de craindre que du moment où complète  
                  justice lui serait faite, et cela parce qu'elle  
                  connaît l'immense pouvoir que la hiérarchie  
                  papiste exerce en Bas-Canada. Elle sait  
                  jusqu'à quel point toute chose se fait selon  
                  les vues de cette puissance, qui reçoit ses  
                  inspirations de Rome, et, depuis les cinq  
                  dernières semaines, nous avons pu voir quel  
                  était le caractère de cette inspiration. ( Nouveaux murmures désapprobateurs.) Lorsque
                  
                  vient du pape, du chef de l'église catholique  
                  romaine, une lettre revêtue de toute l'autorité  
                  que les Franco-Canadiens reconnaissent à ce  
                  pontife, et lorsque nous voyons déclarer ici 
 
               
               
               646
               
               
               
               que c'est une erreur de dire que dans quelques pays réputés catholiques les immigrants
                  
                  devraient jouir de la liberté de leur culte....  
                  (écoutez! écoutez!)—je vois que les cris de  
                  "écoutez! écoutez!" que font entendre  
                  quelques-uns de mes hon. amis sont articulés  
                  sur le ton de la raillerie, mais je leur demande  
                  de refléchir honnêtement sur l'opinion que  
                  j'émets. Supposons qu'il soit possible aux  
                  protestants du Canada de parler de la même  
                  manière que l'a fait le chef de l'église romaine, et qu'il leur soit donné d'ériger
                  en  
                  principe que nous ne devons pas accorder la  
                  liberté de culte à ceux qui diffèrent avec nous  
                  de croyance religieuse, ne pensez-vous pas  
                  que les catholiques du Haut-Canada auraient  
                  raison d'être alarmés? Or, mes hon. amis, je  
                  vous demande de me faire la justice de juger  
                  ce que je dis à son bon point de vue et non de  
                  croire que je veuille attaquer votre religion.  
                  Je vous demande de me faire cette justice,  
                  surtout dans un cas comme celui-ci, où les  
                  protestants du Bas-Canada sont à la veille,  
                  si non d'être livrés au pouvoir de la hiérarchie catholique romaine, au moins d'être
                  
                  assujétis à son influence, ce qui, je crois,  
                  reviendrait au même. Je vous demande de  
                  vous figurer ce qu'ils ont pu penser lorsqu'ils  
                  ont lu le passage de la lettre encyclique que  
                  j'ai citée.  
               
               
               
               L'HON. Proc.-Gén. CARTIER—Je demande à l'hon. monsieur de me permettre de  
                  dire un mot. La minorité protestante du  
                  Bas-Canada a toujours vécu d'accord, non  
                  seulement avec les catholiques, mais même  
                  avec le clergé catholique de cette section, et,  
                  au nom des protestants du Bas-Canada,—de  
                  la majorité d'entre eux au moins,—je puis  
                  de même dire qu'ils sont assez bien convaincus de la libéralité de notre clergé et
                  
                  des catholiques en général pour n'avoir  
                  aucune des craintes que l'hon. monsieur  
                  manifeste en ce moment. (Ecoutez!)  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Tant mieux; mais  
                  il ne s'ensuit pas moins que, dans une affaire  
                  comme celle-ci, ce qui émane de mon hon.  
                  ami le proc-gén. Est est de peu de poids  
                  comparativement à ce qui émane du chef de  
                  l'église catholique romaine. Remarquez que  
                  je n'accuse pas mes compatriotes Franco- Canadiens d'intolérance. Je dis seulement
                  
                  que les protestants du Bas-Canada ont raison  
                  d'avoir des craintes, sachant dans quelle position ils vont se trouver vis-à-vis de
                  la hiérarchie catholique, et que ce trait d'intolérance  
                  que je viens de citer émane de celui qui  
                  inspire cette hiérarchie. Pourquoi faire  
                  
                  
                  
                  mention de cela? Serait-ce pour susciter  
                  quelque difficulté à l'égard du projet? Tout  
                  au contraire. Je parle en temps opportun et  
                  dans le seul but de faire donner à mes co-religionnaires du Bas-Canada des garanties
                  qui  
                  leur assureront cette tolérance et ces généreux sentiments dont les catholiques romains
                  
                  ont jusqu'ici fait preuve à leur égard; et  
                  si je demande maintenant ces garanties, c'est  
                  pour éviter la nécessité où l'on pourrait se  
                  trouver de les donner plus tard. Je n'ai que  
                  faire de déclarer quels sont mes sentiments,  
                  —ce sont ceux de tout protestant anglais;  
                  nous accordons volontiers à nos compatriotes  
                  catholiques romains ce que nous voulons  
                  pour nous: la liberté de conscience et le  
                  libre exercice de tout droit politique.  
                  (Ecoutez! écoutez!)  
 
               
               
               
               L'HON. J. S. MACDONALD—L'hon.  
                  proc-gén. Est a parlé au nom des protestants du Bas-Canada, et mon hon. ami, le  
                  député de Peterborough, (Colonel. HAULTAIN), a fait la même chose avant lui.  
                  Comment allons-nous décider entre les deux?  
 
               
               
               
               L'HON. M. McGEE—L'hon. représentant de Cornwall est comme la feuille blanche  
                  qui sépare l'ancien et le nouveau testament,  
                  et n'appartient ni à l'un ni à l'autre (Hilarité.)  
 
               
               
               
               L'HON. J. S. MACDONALD—Je trouve  
                  réellement cette question très importante.  
                  L'hon. député de Peterborough parle au  
                  nom des protestants du Bas-Canada, et l'hon.  
                  proc.-gén. Est prétend, lui aussi, exprimer  
                  leur opinion. En faveur duquel allons-nous  
                  décider?  
 
               
               
               
               L'HON. Proc.-Gén CARTIER—Ainsi  
                  que le sait l'hon. député, j'ai déjà fourni  
                  une longue carrière politique, et , pendant tout  
                  ce temps, j'ai toujours pris fait et cause,  
                  lorsque je la savais attaquée, pour la hiérarchie catholique du Bas-Canada, mais,
                  en  
                  même temps, je n'ai jamais manqué d'agir  
                  de même pour le maintien des droits de la  
                  minorité protestante, et c'est à cela que je  
                  dois d'avoir toujours eu la confiance de ce  
                  corps.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               L'HON. M. ALLEYN—Je propose que  
                  cette partie de la discussion soit remise à  
                  dimanche. (On rit.)  
 
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Je crois, M. l'ORATEUR, que ce sujet est trop sérieux pour  
                  qu'il soit une occasion de plaisanteries insignifiantes. Je parle de ce que je sais
                  quand  
                  
                  
                  647
                  
                  je dis qu'il existe des craintes chez un grand  
                  nombre de protestants du Bas-Canada, et je  
                  ne parle pas inconsidérément lorsque je dis  
                  que ce que j'ai cité, comme émanant du chef  
                  de l'église catholique romaine, a eu pour effet  
                  de raviver ces craintes. Si, à l'avenir, nous  
                  devons progresser amicalement, il est clair  
                  qu'il vaut mieux que nous nous entendions  
                  franchement avant d'entrer dans cette union,  
                  et que nous travaillions tous à éviter l'introduction de tout système ou la commission
                  de  
                  tout acte qui, plus tard, pourrait créer des  
                  difficultés. Qu'est-ce que disent mes hon.  
                  amis du Bas-Canada à l'égard du fait que  
                  j'ai cité? Un hon. monsieur a voulu railler  
                  en proposant de remettre à dimanche cette  
                  discussion (écoutez! écoutez!); j'aimerais  
                  à savoir ce qu'il pense de passage que j'ai  
                  lu. Y adhère-t-il?  
 
               
               
               
               L'HON. M. ALLEYN—Je donne ma  
                  parole que je n'ai pas lu cette lettre dans  
                  son entier.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               L'HON. M. ALLEYN—Je suis pour la  
                  liberté de conscience dans toute l'acception  
                  du mot.  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—En justice pour eux- mêmes, je crois que les hon. messieurs qui  
                  appartiennent à la foi catholique devraient  
                  se tenir au courant de ce qui leur vient de  
                  Rome. Je sens que je suis justifiable d'avoir  
                  fait ces observations, et que j'eusse manqué à  
                  ce que je dois aux protestants du Bas-Canada  
                  si, en leur nom, je n'eusse pas fait connaître  
                  sur quoi ils fondent leurs craintes pour  
                  l'avenir. J 'espère que les hon. messieurs  
                  prendront connaissance du document dont  
                  j'ai parlé. J'ignore si la longue liste des  
                  erreurs condamnées a été lue dans les églises  
                  catholiques romaines, mais je sais que la  
                  lettre encyclique, qui l'accompagne, a été  
                  communiquée à ceux qui vont à l'église. Je  
                  ne sais, par exemple, si mon hon. ami a pour  
                  habitude d'y aller.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               L'HON. J. S. MACDONALD—J'aimerais  
                  à savoir comment mon hon. ami de Peterborough va contenter ceux dont il plaide la
                  
                  cause s'il vote ce projet de confédération.  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—J'ai assez de confiance en mon hon. ami le proc.-gén. Est  
                  pour croire qu'il s'opposera à toute oppression dont la population protestante du
                  Bas- Canada pourrait être l'objet. Je suis également convaincu qu'il s'acquittera
                  de la  
                  promesse qu'il a faite en cette enceinte au 
                  
                  
                  
                  sujet d'amendements à l'acte scolaire du  
                  Bas-Canada.  
 
               
               
               
               L'HON. Proc.-Gén. CARTIER—Et je  
                  puis ajouter que ma promesse sera facile à  
                  remplir, d'autant que le clergé catholique et  
                  la majorité des catholiques du Bas-Canada  
                  n'ont jamais eu l'idée de vouloir opprimer  
                  leurs concitoyens protestants. (Ecoutez!  
                  écoutez!)  
 
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Eh bien! après  
                  tout ce qui m'a été dit, je demande aux hon.  
                  messieurs qui appartiennent à la religion  
                  catholique romaine, de lire ce que le chef de  
                  cette église a écrit et fait répandre par le  
                  monde, et de dire s'ils n'ont pas confiance  
                  dans ce que le chef de leur église a énoncé,  
                  ou, s'ils y ont confiance, s'ils agiront dans le  
                  même sens.  
 
               
               
               
               L'HON. M. McGEE—J'espère que l'hon.  
                  monsieur accordera volontiers à la minorité  
                  catholique du Haut-Canada les mêmes priviléges que nous sommes prêts à accorder à
                  
                  la minorité protestante du Bas.  
 
               
               
               
               L'HON. J. S. MACDONALD—L'hon.  
                  député de Peterborough croit à la sincérité  
                  des intentions de l'hon. procureur-général  
                  Est, et dit qu'il s'en rapporte à lui; mais,  
                  d'un autre côté, il donne lecture à cette  
                  chambre d'un décret qui surseoit à toute  
                  promesse que l'hon. procureur-général peut  
                  faire. Telle est la difficulté dans laquelle  
                  l'hon. monsieur se trouve placé.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               
               M. BELLEROSE—Alors, il faut que  
                  vous ne l'ayiez pas comprise.  
 
               
               
               
               L'HON. J. S. MACDONALD—Tout ce  
                  que je voulais dire, c'est qu'à mon avis  
                  l'hon. député de Peterborough a traité cette  
                  question à un très juste point de vue.  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Que cela soit ou non,  
                  que l'hon. monsieur approuve ou n'approuve  
                  pas ce que j'ai dit, cela ne me touche en  
                  rien. Je n'ai fait que m'acquitter envers  
                  mes co-religionnaires du Bas-Canada de ce  
                  que je jugeais être pour moi un devoir. J 'ai  
                  voulu attirer l'attention des députés catholiques sur des choses que beaucoup d'entre
                  
                  eux paraissaient ignorer. On n'est pas justifiable de chercher à ignorer le fait que
                  
                  j'ai porté devant eux. Nous savons que  
                  dans quelques pays catholiques l'intolérance  
                  
                  
                  648
                  
                  absolue domine. En Espagne, par exemple,  
                  il n'est pas permis d'y élever de temple protestant. On n'a donc pas raison d'opposer
                  la  
                  raillerie à ce que je dis; et quand un  
                  décret entaché d'intolérance est promulgué  
                  et répandu par le monde, et que ce décret  
                  émane du véritable chef de l'église romaine,  
                  est-il surprenant, puisque les protestants de  
                  cette section sont en petite minorité et  
                  savent qu'ils seront à la merci de la hiérarchie qui partage ces vues, est-il surprenant
                  
                  qu'ils aient manifesté quelque répugnance à  
                  rester dans cette position? Je sais très bien  
                  que la généralité des catholiques se déclarera,  
                  comme elle l'a déjà fait, adverse à l'esprit  
                  d'intolérance que renferme le passage par  
                  moi cité, et j'ai la confiance que pratiquement  
                  elle le désavouera aussi; mais quant à savoir  
                  si elle se plaît dans le dilemme où elle se  
                  trouve placée, c'est une toute autre chose.  
                  (Ecoutez! écoutez!) Composée, comme  
                  l'est notre société, de différents éléments,  
                  lorsque nous avons à discuter des sujets  
                  semblables à ceux qui nous occupent en ce  
                  moment, lorsque nous avons à adopter un  
                  projet qui va mettre en jeu les intérêts de  
                  minorités et de sections, il est bon de le faire  
                  ouvertement, sans arrière pensée ni réticence;  
                  mais si je me suis conformé à ce précepte,  
                  j'ai en même temps conservé le désir de ne  
                  blesser personne ni de manquer de courtoisie,  
                  et, en cela, j'espère avoir réussi autant que  
                  ma dignité de représentant l'exige.  
 
               
               
               
               M. DENIS—L'hon. député me permettra-t-il de lui faire une question? Par le  
                  fait qu'il a parlé de cette lettre du chef de  
                  l'église, prétend-il que tout hon. membre a  
                  le droit de critiquer ici de la même manière  
                  les actes du clergé protestant? Si cela se  
                  faisait, comment serait-il possible de délibérer? L'hon. député peut avoir ses opinions
                  
                  à l'égard de cette lettre, mais il ne devrait  
                  pas les exprimer ici, sinon tout autre député  
                  se croira dans le droit de venir ici critiquer  
                  la conduite de ministres respectables de  
                  l'église libre, de l'église épiscopale ou de  
                  toute autre église protestante, et de faire tels  
                  commentaires qu'il jugera à propos. Cela  
                  ne doit pas être. L'hon. député a dit que  
                  cette lettre devait être regardée comme dangereuse. Eh bien! tout ce que je puis dire,
                  
                  c'est que si nous abordons le chapitre des  
                  soupçons, on trouvera que tout homme en  
                  est susceptible. Nous pouvons avoir des  
                  soupçons sur toute chose, quelque digne de  
                  respect qu'elle soit, mais s'il fallait s'y arrêter,  
                  il serait impossible de s'entendre sur rien.  
                  
                  
                  
                  Mon hon. ami a employé le mot "hiérarchie,"  
                  eh bien! il suffit quelquefois qu'un mot soit  
                  prononcé pour que le désaccord s'en suive.  
                  Il peut avoir son opinion sur toutes ces  
                  choses, et cette opinion doit être respectée  
                  parce que je la crois sincère; mais s'il  
                  s'arroge le droit de parler de "Papisme."  
                  et de toute sorte de chose concernant notre  
                  église, cela nous donnera celui d'en faire  
                  autant des ministres de l'église libre, de la  
                  haute et basse église, et de toutes les autres  
                  églises, et tout cela n'aura pour résultat que  
                  de créer des animosités à propos de rien. 
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—M. l'ORATEUR,  
                  lorsque quelqu'un aura le droit ou l'autorité  
                  de parler pour les protestants et qu'il énoncera une doctrine du genre de celle promulguée
                  par le pape de Rome, je consentirai  
                  volontiers à ce qu'on l'en accuse devant moi  
                  n'importe où. J'apprendrai à l'hon. ami  
                  qui vient de m'interpeller une chose qu'il  
                  devrait savoir: c'est qu'il n'existe aucune  
                  analogie, aucune similitude que ce soit entre  
                  le pape de l'église de Rome et un ministre  
                  quelconque d'aucun autre corps de chrétiens.  
                  Pour en finir avec ce sujet, M. l'ORATEUR,  
                  je me bornerai à dire que je me suis servi  
                  des termes ordinairement usités, et qu'en  
                  les employant je n'ai nullement cherché à  
                  offenser qui que ce soit. Entre autres raisons  
                  que l'on donne pour s'opposer au projet dont  
                  chambre est saisie, la principale est qu'il la  
                  n'est pas parfait, et qu'il renferme des principes propres à nuire au fonctionnement
                  
                  de la constitution projetée. Quant à moi,  
                  M. l'ORATEUR, je suis aussi d'avis que dans  
                  un sens ce projet est défectueux.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Toute constitution  
                  élaborée pour obvier aux difficultés où les  
                  cinq provinces, je puis dire les six, se  
                  trouvent placées, doit nécessairement offrir  
                  quelques anomalies. Des concessions mutuelles sont inévitables si nous voulons avoir
                  
                  l'union. Il est inutile d'être bien clairvoyant pour découvrir qu'il en résultera
                  
                  probablement des difficultés. Les hon. messieurs qui se sont prononcés contre ce projet
                  
                  se sont plu, surtout l'hon. député de Brome,  
                  à en exagérer le nombre et la grandeur. Je  
                  pense, M. l'ORATEUR, que si, avec la même  
                  rigueur et la même hostilité on faisait l'analyse de n'importe quelle forme de gouvernement,
                  ou de n'importe quelle constitution,  
                  soit monarchique ou républicaine, établie  
                  à l'effet d'unir des peuples distincts et  
                  
                  
                  649
                  
                  isolés, il ne serait pas difiicile de prévoir  
                  les dangers auxquels, vraisemblablement,  
                  elle pourrait donner lieu. On pourrait  
                  en dire autant de la constitution anglaise  
                  si elle subissait la même analyse. Pour  
                  la constitution soumise à notre vote, comme  
                  pour toutes les autres, son bon fonctionnement dépendra du caractère et des  
                  principes de ceux qui auront à la faire fonctionner. L'hon. député de Brome a certainement
                  cherché à montrer ces résolutions sous  
                  leur plus mauvais jour. Sur presque tous  
                  les points, il s'est efforcé de trouver des  
                  défectuosités qui, selon lui, étaient de nature  
                  à mettre en danger les intérêts du peuple.  
                  Il s'est appliqué à les démontrer comme  
                  autant de sources intarissables de difficultés.  
                  Il a dit que nous pourrions voir les provinces  
                  maritimes agir de concert avec le Bas-Canada  
                  contre le Haut, et vice versâ. Il est évident,  
                  M. l'ORATEUR, que sous ce rapport les  
                  objections de l'hon. député s'appliquaient  
                  avec autant de force à une union législative  
                  qu'à une union fédérale, et cela, quand il est  
                  lui-même en faveur d'une union législative.  
 
               
               
               
               L'HON. M. HOLTON—ll faut que je  
                  rectifie mon hon. ami; l'hon. député de  
                  Brome, qui est absent à l'heure qu'il est,  
                  s'est déclaré adverse à toute autre union que  
                  celle qui existe aujourd'hui entre les deux  
                  provinces, et toute son argumentation tendait  
                  à le démontrer.  
 
               
               
               
               L'HON. M. McGEE—Si l'hon. monsieur  
                  me le permet, je dirai que j'ai écouté attentivement l'hon. député de Brome, et que,
                  
                  d'après ce que j'ai pu comprendre, il se serait  
                  prononcé pour une fédération, mais sans une  
                  union comme celle projetée. Son argumentation comportait que nous devrions nous  
                  fédérer avec le gouvernement impérial et  
                  avoir un conseil à Londres.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               L'HON. M. McGEE—Non, c'était bien  
                  la question. Sa proposition a été celle-ci:  
                  nous devrions avoir un conseil semblable à  
                  celui des Indes Orientales,—et il est le seul  
                  député de la gauche qui ait émis une contre- proposition à celle qui est déjà devant
                  cette  
                  chambre. Je me réserve de répondre à cet  
                  argument en temps opportun, et j'ajouterai  
                  que mon hon. ami de Peterborough a eu  
                  raison dans ce qu'il a dit.  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Mon opinion est que  
                  hon. député de Brome, quoique ne la  
                  croyant pas désirable en ce moment, s'est  
                  néanmoins déclaré en faveur d'une union  
                  
                  
                  
                  devant s'accomplir dans un temps plus ou  
                  moins éloigné.
 
               
               
               
               L'HON. M. HOLTON—Oui, il voudrait  
                  une union législative, si nous sommes pour  
                  en avoir une: mais il s'est déclaré énergiquement pour le maintien du régime actuel.
                  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—C'est précisément ce  
                  que j'ai dit, et je répète encore que les mêmes  
                  arguments dont j'ai parlé et que l'on a fait  
                  valoir contre une union fédérale, pouraient  
                  également être dirigés contre une union  
                  législative, et qu'on rencontrera autant de  
                  difficultés dans l'un comme dans l'autre cas.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Autant, dans tous  
                  les cas. Je pense que mon hon. ami de  
                  North Ontario s'est servi du même argument  
                  contre l'union fédérale et, cependant, je le  
                  crois en faveur d'une union législative.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Mais, mon hon. ami  
                  n'est pas sans voir que ce raisonnement contre  
                  l'union fédérale pourrait être dirigé avec  
                  une égale force contre toute autre union.  
 
               
               
               
               M. M. C. CAMERON—On me permettra  
                  de faire remarquer que la position que j'ai prise  
                  est celle-ci:—j'ai dit qu'il serait préférable  
                  d'avoir une union législative parce que le  
                  pays l'accepterait avec l'intention de la faire  
                  tourner à l'avantage du peuple, tandis que,  
                  dans le cas d'une union fédérale, les intérêts  
                  locaux de chaque province prendraient le  
                  pas sur ceux de tous  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Envisagé ainsi, l'argument, suivant moi, devient entièrement  
                  favorable au principe fédéral, lequel fait  
                  disparaître quelques-unes des causes d'embarras, précisément en ce qu'il enlève au
                  
                  gouvernement général le contrôle des affaires  
                  locales pour l'abandonner aux législatures  
                  de chaque province. Bien plus, à tous les  
                  points de vue, de dépense, de danger de  
                  collision entre les gouvernements, et de la  
                  répartition de souveraineté dans le régime  
                  fédéral, je suis convaincu que l'union législative est, de toutes les formes de gouvernement,
                  celle qui est la plus simple et la  
                  meilleure. (Ecoutez! écoutez!) A ceux  
                  qui s'opposent à la première de ces formes  
                  parce qu'ils sont en faveur de la dernière, je  
                  prendrai la liberté de faire remarquer qu'en  
                  attaquant comme ils le font le système fédéral,  
                  il fournissent tout bonnement des raisonnements à ceux qui ne veulent d'aucune espèce
                  
                  d'union. Ils devraient réfléchir que l'on  
                  
                  
                  650
                  
                  convient de toutes parts de l'impossibilité  
                  d'une union législative et, par conséquent, il  
                  est parfaitement oiseux d'en discuter le  
                  mérite comparatif. C'est, suivant moi, perdre  
                  le temps inutilement que de demander un  
                  certain système d'union politique et de faire  
                  de ce raisonnement le point de départ pour  
                  battre en brèche un autre système d'union  
                  possible, dans le même temps que ceux avec  
                  qui nous devons nous unir et qui sont libres  
                  de choisir entre les deux se prononcent  
                  contre le premier. (Ecoutez! écoutez!) Car,  
                  il faut se rappeler que nous avons à prendre  
                  l'avis de six provinces indépendantes les  
                  unes des autres, et s'il arrive que cinq  
                  d'entre elles s'opposent à une union législative, quelle raison avons-nous, à moins
                  de prétendre que l'union fédérale est la meilleure  
                  de toutes, de faire de notre préférence pour  
                  ce dernier régime le motif de notre opposition à la seule union possible entre nous?
                  
                  Mais, pour revenir au discours de l'hon.  
                  député de Brome, je crois devoir exprimer  
                  le plaisir avec lequel je l'ai vu passer à une  
                  analyse microscopique le projet actuel de  
                  confédération; il ne s'est arrêté qu'après  
                  avoir décrit tous les dangers possibles qui  
                  pourraient s'en suivre; il s'est appliqué,  
                  avec une espèce de satisfaction, à nous indiquer la succession de coquins et de fous
                  
                  auxquels pourrait se trouver remis le destin  
                  du pays, et la possibilité de voir à la suite du  
                  régime fédéral surgir dans notre monde politique une race d'hommes dépourvus de toute
                  
                  espèce de moralité et d'intelligence. Pour  
                  ma part, M. l'ORATEUR, j'envisage la question au point de vue du bon sens, et je crois
                  
                  que le pays fera de même; car, appliquez le  
                  même procédé analytique à tous les régimes  
                  politiques, à toutes les institutions humaines,  
                  et vous pouvez grossir et imaginer les dangers  
                  et toutes les difficultés possibles, et le patriotisme, la vertu et la justice ne
                  seront plus que  
                  de vaines abstractions dont la réalité ne sera  
                  plus qu'un souvenir du passé. Ce raisonnement  
                  est également vrai pour toute espèce d'associations soit commerciales, politiques
                  ou  
                  nationales; appliquons-le, par exemple, à  
                  notre situation actuelle. Nous voici réunis  
                  pour l'administration des affaires du pays;  
                  les règles et usages nous servent à nous  
                  guider sont le fruit de l'expérience et de la  
                  sagesse de plusieurs siècles, et cependant,  
                  dites moi, est-ce qu'il ne suffirait pas d'une  
                  demi-douzaine d'hommes sans principes et  
                  déterminés pour empêcher l'expédition des  
                  affaires et enrayer complètement le jeu de  
                  
                  
                  
                  notre gouvernement? La seule conclusion pratique qui découle, suivant moi, du raisonnement
                  de l'hon. député de Brome, est d'abolir  
                  toute forme de gouvernement et toute association. Mon hon. ami s'est trop avancé et
                  n'a  
                  fait que fortifier la position de ceux qu'il  
                  voulait combattre. Il est évident, pour moi,  
                  que l'expérience de tous les jours a fait  
                  disparaître les dangers et les difficultés qu'il  
                  signale et qui se sont présentées dans le  
                  mêmes circonstances, et nous donne à espérer  
                  que l'avenir nous fournira des hommes à  
                  la hauteur des évènements qui pourront se  
                  présenter. On m'objectera peut-être nos  
                  difficultés actuelles comme prouvant le contraire; mais la différence est essentielle,
                  
                  car c'est le sentiment de l'injustice qui a  
                  fait naître ces difficultés, et on ne peut,  
                  dans le projet actuel, découvrir aucune  
                  clause qui tende à être une source d'injustices envers qui que ce soit: et, d'ailleurs,
                  
                  n'avons-nous pas eu des hommes à la hauteur  
                  de ces difficultés? (Ecoutez! écoutez!)  
                  Si les hommes qui sont à la tête de nos  
                  affaires sont animés de sentiments de justice  
                  et de droiture, je ne vois rien dans tout ce  
                  qu'a prétendu le principal adversaire de la  
                  mesure actuelle, l'hon. député de Brome,  
                  qui me fasse craindre pour l'avenir. D'un  
                  autre côté, dans les circonstances actuelles 
                  il est du devoir de l'opposition, si elle n'est  
                  pas satisfaite du projet, de mettre devant la  
                  chambre un autre projet.  
 
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Je n'ai pas besoin,  
                  ce me semble, de rappeler à mon hon. ami,  
                  aujourd'hui un des chefs de l'opposition,  
                  ses propres aveux qu'il n'était ni juste ni  
                  possible de conserver l'état actuel des choses.  
                  D'ailleurs, il a déjà dit que l'union actuelle  
                  du Haut et du Bas-Canada ne pouvait être  
                  maintenue, ce en quoi il a eu raison: car,  
                  en effet, nous ne pouvons demeurer ce que  
                  nous sommes, et mon hon. ami le député  
                  d'Hochelaga (M. A. A. DORION) est aussi 
                  de cet avis. Il est convenu qu'il fallait des  
                  changements et en cela nous sommes de la  
                  même opinion. Or, voici qu'un projet de  
                  changement constitutionnel nous est proposé,  
                  et nous, les appuis de ce projet, nous disons  
                  à l'opposition que s'il ne lui plait point,  
                  qu'elle en propose un autre pour prouver son  
                  patriotisme et être conséquente avec ses propres aveux. (Ecoutez). Alors, mais alors
                  
                  seulement, elle pourra voter contre celui qui  
                  nous est proposé en ce moment. (Ecoutez!  
                  
                  
                  651
                  
                  écoutez!) Le seul député qui ait jusqu'ici  
                  proposé quelque chose à la place de l'union  
                  fédérale est l'hon. député de Brome. (M.  
                  DUNKIN). Mais, je confesse que ce n'est pas  
                  sans surprise, et presque avec désappointement, que je l'ai entendu résumer et conclure
                  
                  son discours tout-à-fait remarquable, car tout  
                  le monde reconnaît la perspicacité d'intelligence et l'esprit d'analyse de cet hon.
                  orateur,  
                  et son discours a été goûté par tous ceux qui  
                  ont eu le plaisir de l'entendre. Mais, M. l'ORATEUR, pourquoi faut-il que tant d'énergie
                  
                  soit dépensée, tant de travail d'intelligence  
                  soit perdu et demeure sans résultat? En  
                  quoi le pays profitera-t-il de tant d'efforts?  
                  A-t-il proposé quelque chose digne de la  
                  dissection minutieuse que nous lui avons  
                  entendu faire? A-t-il entré dans les difficultés de notre situation politique et émis
                  un  
                  projet de constitution sans défaut? Qu'a-t-il  
                  proposé pour unir ensemble ces membres  
                  isolés de l'empire britannique, en faire un  
                  seul peuple et ajouter ainsi à leur force et à  
                  leur prospérité futures? Pour satisfaire aux  
                  besoins les plus pressants et satisfaire les  
                  intérêts de chacun, il propose de nommer  
                  "un conseil colonial à Londres, dans le  
                  genre à peu près du conseil des Indes, au  
                  moyen duquel nos ministres pourraient se  
                  consulter avec Sa Majesté sur les affaires  
                  concernant ces provinces." (Ecoutez! écoutez!) Or, qu'est-ce que le conseil des Indes
                  
                  que mon hon. ami veut mettre à la place de  
                  l'union générale par laquelle nous voulons  
                  réunir ensemble des colonies qui ont été  
                  séparées depuis trop longtemps? Quelle est  
                  la position des Indes et quel est le but et la  
                  composition du conseil dont il est ici question?  
                  D'abord, ce pays forme un apanage de la  
                  couronne anglaise, et est régi par un gouverneur assisté d'un conseil, soumis aux
                  
                  ordres du secrétaire d'Etat qui en même  
                  temps préside le conseil des lndes à Londres.  
                  Le revenu et les dépenses de l'empire des  
                  Indes sont sous le contrôle du secrétaire  
                  assisté de son conseil, et aucune dépense ne  
                  peut se faire sans le concours d'une majorité  
                  de ce dernier. Voilà le régime que mon  
                  hon. ami nous propose et dont il parle comme  
                  devant nous "donner les meilleurs moyens  
                  d'assurer et raffermir nos relations avec la  
                  métropole," et il ajoute: "que rien de tel  
                  n'existe dans le projet actuel." En vérité,  
                  quel est l'homme sensé qui oserait proposer un  
                  tel plan? Il est difficile de concevoir que  
                  mon hon. ait pris sur lui de nous recommander sérieusemeut de l'adopter, et on  
                  
                  
                  
                  s'imagine à peine qu'une idée aussi crue et  
                  aussi mal digérée (pour me servir de ses  
                  propres expressions) ait pu sortir de sa tête.  
                  Qu'a-t-il donc fait de cette perspicacité et de  
                  cette force d'analyse dont il a fait preuve  
                  dans la discussion des résolutions de la conférence de Québec? Quand il parle d' "un
                  
                  conseil colonial à Londres à peu près dans le  
                  genre de celui des Indes," entend-il dire  
                  que nous devrions avoir à Londres un conseil  
                  chargé de diriger nos actes, de nous envoyer  
                  des gouverneurs généraux pour nous dicter  
                  nos lois et nous indiquer la manière dont  
                  nous devons dépenser le revenu public, parce  
                  que le conseil des Indes, sous la présidence  
                  du secrétaire d'Etat, a le contrôle des dépenses de la compagnie des Indes Orientales
                  
                  et que le gouverneur-général agit sous ses  
                  ordres? Je ne répète ces choses qu'afin de  
                  montrer quelle est la position où se trouvent  
                  les adversaires du projet actuel, et à quelle  
                  espèce d'arguments ils sont réduits pour  
                  trouver de quoi mettre à la place de ce qui  
                  leur est proposé.  
 
               
               
               
               L'HON. M. HOLTON—J'espère que  
                  mon hon. ami ne désire pas faire dire à 
                  l'hon. député de Brome qu'il proposait de  
                  substituer au régime actuel une organisation  
                  dans le genre du conseil des Indes. Mon  
                  hon. ami ne saurait en vérité imputer a  
                  l'hon. député de Brome, en son absence, de  
                  telles idées.  
 
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Je trouve difficile  
                  de lui imputer quoique ce soit. (On rit.) Je  
                  crois avoir cité ses propres paroles et avoir  
                  donné aux mots leur vraie signification. Je  
                  ne puis comprendre ce qui se passait dans  
                  l'esprit de mon hon. ami, mais il me semble  
                  qu'il n'était point dans son assiette ordinaire.  
                  (On rit.) Du commencement à la fin mon  
                  hon. ami a paru être sous le coup d'une  
                  hallucination, (on rit),—et je ne saurais  
                  m'empêcher de croire qu'elle n'est pas  
                  partagée par mon hon. ami de Chateauguay.  
                  (Rires)  
 
               
               
               
               
               
               
               
               COL. HAULTAIN—Je ne veux pas par  
                  ces remarques imputer à l'hon. député de  
                  Brome le désir de nous mettre sous le contrôle d'un secrétaire d'état et d'un conseil
                  à  
                  Londres, car je ne suppose pas qu'il a perdu  
                  complétement l'esprit: mais en se servant  
                  à l'égard de son discours, du même procédé  
                  analytique qu'il a employé contre le projet 
                  de confédération actuel, il ne serait que juste  
                  d'en tirer cette conclusion. Je ne crois pas  
                  
                  
                  652
                  
                  que mon hon. ami de Brome ou l'opposition  
                  ait raison de s'énorgueillir du plan qu'il a  
                  proposé. N'est-il pas extraordinaire de voir  
                  un homme de sa perspicacité et de son érudition s'oublier au point de nous proposer
                  
                  sérieusement, après avoir analysé soigneusement et d'une façon remarquable les présentes
                  résolutions, l'adoption d'un plan aussi  
                  avorté? (On rit.) Je suis fâché que mon hon.  
                  ami ne soit pas ici présent pour écouter ma  
                  réponse à ses observations, et je n'ai pas  
                  besoin de dire ne je l'ai faite le plus amicalement du monde et d'accord avec l'amitié
                  
                  et la considération que je lui porte. En face  
                  de l'insignifiance des objections et de la  
                  grandeur des questions qui se trouvent ici  
                  en jeu, je ne puis m'empêcher, M. l'ORATEUR, d'en conclure qu'il est du plus haut
                  
                  intérêt pour la métropole et pour nous- mêmes que le projet actuel soit mis à exécution.
                  Si le temps me l'eut permis, j'aurais  
                  désiré dire quelques mots sur la coïncidence  
                  des événements qui ont accompagné le mouvement actuel et l'unanimité non moins  
                  remarquable qui a régné dans la conférence.  
                  On se rappelle, en effet, qu'à l'époque de la  
                  réunion des délégués, on répétait de tous  
                  côtés combien il était difficile, pour ne pas  
                  dire impossible, que des hommes d'opinions  
                  si diverses et représentant des intérêts si  
                  variés pussent finir par tomber d'accord. Il  
                  n'en pouvait être ainsi que parce que tous  
                  furent unanimes à vouloir remplir la fin  
                  pour laquelle ils s'étaient assemblées. Aujourd'hui, que ce projet nous est offert
                  après  
                  qu'il a été l'œuvre commune des principaux  
                  hommes d'état des provinces, devons-nous  
                  le rejeter pour adopter à la place quelque  
                  misérable expédient tel que celui qu'a proposé mon hon ami de Brome? Il reste  
                  encore à savoir ce que peuvent nous proposer  
                  les autres députés de la gauche, mais j'espère  
                  pour leur honneur qu'ils nous feront des  
                  propositions d'accord avec la gravité de  
                  notre situation. Sur les deux projets qui  
                  nous ont été présentés, je n'éprouve aucune  
                  difficulté à faire mon choix. On a beaucoup  
                  parlé et avec sincérité, je crois, de l'incertitude de notre avenir; —en effet, l'avenir
                  
                  nous échappe, et ce n'est ni notre prudence  
                  ni notre sagesse qui peuvent en décider.  
                  Nous discutons tous les jours notre situation  
                  présente; nous combinons de nouveaux plans  
                  pour l'avenir, et nous fesons des calculs sur  
                  les probabilités de leur réussite ou de leur  
                  insuccès: de tels faits proclament notre  
                  faiblesse et notre dépendance absolue d'un  
                  
                  
                  
                  pouvoir supérieur. Je crois sincèrement, et  
                  je me fais gloire de cette croyance, que nous  
                  devrions demander l'assistance d'en haut  
                  pour diriger notre conduite; —je regrette  
                  que la diversité de nos opinions religieuses  
                  nous empêche d'appeler tous ensemble les  
                  bénédictions divines sur nos actes, car sans  
                  l'aide de Dieu le succès ne couronnera 
                  jamais nos délibérations (Applaudissements)  
 
               
               
               
               
               
               
               
               L'HON Proc.-Gén. CARTIER—Je propose en amendement que la discussion soit  
                  ajournée pour être reprise aussitôt après les  
                  affaires de routine, lundi prochain.  
 
               
               
               
               Après quelque discussion, l'amendement  
                  est voté sur division.  
               
               
               
               La chambre s'ajourne.