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Conseil Législatif, 17 Février 1865, Provinces de L'Amerique Britannique du Nord, Débats de la Confédération.

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CONSEIL LÉGISLATIF.

VENDREDI, 17 février 1865.
L'HON. M. CURRIE—Hons. messieurs- Du consentement de mon hon. ami ( M. DICKSON ) qui a le droit de la parole après avoir demandé l'ajournement des débats, je 274 me lève pour proposer la résolution qui se trouve déjà depuis quelque temps sur les avis de motion du journal de cette chambre. Cette proposition se recommande d'elle- même au bon sens et au jugement impartial de mon hon. auditoire, et je serais surpris qu'elle rencontrât la moindre opposition des membres du gouvernement de cette chambre de la législature. ( Ecoutez ! écoutez !) Je propose donc qu'il soit résolu :
" Que sur une question d'une aussi grande importance que celle de la confédération projetée du Canada et de certaines autres colonies anglaises, cette chambre se refuse à assumer la responsabilité de consentir à une mesure qui renferme tant de graves intérêts, sans que l'opinion publique ait loccasion de se manifester d'une manière plus solennelle. "
Le but de cette résolution n'est ni la destruction ni la défaite des résolutions devant la chambre. Je demande simplement que le vote des résolutions soit remis jusqu'à ce que le peuple de ce pays fasse connaître son opinion à ce sujet plus qu'il ne l'a pu jusqu'à ce jour. Dans mon premier discours sur la question qui nous occupe, j'eus l'honneur de vous dire, hon. messieurs, que je n'étais pas opposé à la confédération des provinces anglaises en elle-même, mais seulement à plusieurs des détails contenus dans les résolutions sur lesquelles on nous demande de baser une adresse à Sa Majesté. L'hon. monsieur ( M. ROSS ) qui prit la parole après moi dans cette occasion, prétendit, entr'autres choses, que j'avais essayé de décrier les provinces d'en-bas ainsi que le crédit du Canada. Eh ! bien, j'en appelle aux hons. membres qui eurent la complaisance de m'écouter alors et je les prie de me montrer un seul mot, dans ce que j'ai dit, qui pût faire tort à la réputation du peuple des provinces maritimes. Au contraire, loin de les avoir décriées, j'ai cru leur faire de grandes louanges ; loin d'essayer de rabaisser le caractère de leurs hommes publics, je n'ai prononcé qu'un seul nom, et c'est celui de l'hon. M. TILLEY, que j'ai cru devoir placer au premier rang parmi les hommes d'état les plus éminents de l'Amérique Anglaise. ( Ecoutez ! écoutez !) Quant un reproche d'avoir tenté de faire tort au crédit du Canada, j'ai en effet mérité cette accusation, si c'est faire tort au crédit de ce pays que d'avoir dit la vérité, d'avoir exprimé les convictions d'un esprit impartial, et d'avoir constaté ce qui se trouve dans les comptes publics du Canada. Mon hon. contradicteur est encore allé plus loin et a dit que mon discours manquait tellement de logique qu'il ne valait pas la peine d'être pris en considération.
L'HON. M. ROSS—Je nie avoir dit une telle chose.
L'HON. M. CURRIE—L'hon. monsieur n'a pas voulu dire autre chose ; et voilà néanmoins qu'à mon grand étonnement il croit nécessaire de me répondre par quatre colonnes de discours sans réussir toutefois à ébranler une seule des propositions que j'avais eu l'honneur d'émettre. J'ai été ensuite accusé d'avoir révoqué en doute les faits exposés par nos hommes publics.
L'HON. M. ROSS—Ecoutez ! écoutez !
L'HON. M. CURRIE—L'hon. député de Toronto dit : écoutez ! écoutez ! mais je demande s'il n'est pas du devoir de tout membre de cette chambre de corriger les assertions fausses et erronées qu'on livre au public ? Ai-je outrepassé mes obligations en essayant de rectifier des rapports sinon faux du moins très évidemment incorrects ? Puisque mon hon. ami, le député de Toronto ( M. Ross ) a cru devoir me le rappeler, j'affirme que l'on doit regretter qui ait été fait certains exposés en ce pays et qu'on les ait ensuite envoyés à l'étranger, lesquels au lieu de rétablir notre crédit lui ont fait un grand tort. ( Ecoutez ! écoutez !) Peut-être ne me serait-il pas possible de citer rien de plus fort à ce sujet que le prospectus flamboyant répandu partout sous les auspices de mon hon. ami de Toronto, qui promettait aux capitalistes crédules d'Angleterre des dividendes de 11 1/2 pour cent sur les parts qui seraient souscrites dans la compagnie de chemin de fer, le Grand Tronc !
L'HON. M. ROSS—N'était-ce pas 11 1/4 ? ( On rit. )
L'HON. M. CURRIE—Non ; l'hon. membre ne fut pas si réservé que cela ( on rit ) : c'était bien 11 1/2 pour cent. On m'a accusé d'avoir révoqué en doute les assertions de l'hon. M. TILLEY ; j'ai dit en effet que l'hon. M. TILLEY avait, dans une assemblée publique qui avait eu lieu, je crois, à St. Jean du Nouveau-Brunswick, prétendu que le tarif du Canada n'était en réalité que de 11 pour cent : est-ce que mon hon. ami de Toronto serait du même avis ?
L'HON. M. ROSS—J'ai dit que la moyenne des droits sur les importations de ce pays, en y comprenant les articles admis en franchise, était de 11 pour cent.
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L'HON. M. CURRIE—Il ne me reste plus qu'à reconnaître ce procédé nouveau d'établir le tarif d'un pays, et qui consiste à prendre d'abord tous les articles frappés de droits, puis ensuite d'y ajouter ceux admis en franchise, et à répartir sur le tout la moyenne des droits. Cette méthode peut être très-utile, mais elle est ni exacte, ni honnête suivant moi.
L'HON. M. ROSS—C'est absolument ce que l'hon. M. TILLEY à fait, et je n'ai pas agi autrement.
L'HON. M. CURRIE—Mon hon. ami ne nous a-t-il pas dit que le ministre actuel des finances du Canada avait établi à 11 pour cent le tarif de cette province ? J'ai demandé à mon hon. ami de nous indiquer l'époque où cela a été dit ?
L'HON. M. ROSS—J'ai dit qu'en prenant les exposés fournis par l'hon. M. GALT au sujet du tarif et le montant des importations des articles frappés de droits et admis en franchise, et en répartissant sur le tout une moyenne de 11 pour cent, l'hon. M. TILLEY avait basé ses calculs sur les chifres mêmes de l'hon. M. GALT.
L'HON. M. CURRIE—Voici ce que dit le compte-rendu des débats : " l'hon. M. TILLEY ( c'est l'hon. M. ROSS qui parle ) s'est servi des chiffres mêmes donnés par notre ministre des finances " ; or ceci est inexact parce que l'hon. M. TILLEY se servit en cette circonstance de statistiques qui lui avaient été fournies par le contrôleur du Nouveau- Brunswick.
L'HON. M. ROSS— Le contrôleur du Nouveau-Brunswick n'a pu donner les statistiques du commerce du Canada.
L'HON. M. CURRIE—Mon hon. ami ne se rapellera-t-il pas que, pour donner une sanction officielle à l'assertion de l'hon. M. TILLEY, il a dit qu'après que le contrôleur de la province eut compulsé notre tarif, il en était venu à la conclusion qu'il n'était que de 11 p. cent ? Voici ce que rapporte le compte-rendu :-
" L'hon. M. TILLEY a cité les chiffres de notre propre ministre des finances, et l'hon. membre l'a représenté comme faussant la vérité en vue de tromper ses auditeurs. "
Je voudrais bien savoir quand le ministre des finances du Canada a dit que la moyenne des droits perçus dans la province était de 11 pour cent ? Comme je témoignais alors un vif désir de savoir à quelle époque le ministre des finances du Canada avait prétendu que la moyenne des droits de douane de cette province n'était que de 11 pour cent, il ( l'hon. M. ROSS ) manifesta la volonté de n'être plus interrompu, et je dus cesser de l'interrompre sans en avoir pu obtenir la réponse à ma question. Mais, si l'hon. député de Toronto veut se rappeler le discours prononcé l'autre jour seulement à Sherbrooke par l'hon. M. GALT, il verra que le ministre des finances établit à 20 p. cent le tarif du Canada.
L'HON. M. ROSS—Cette assertion du ministre des finances n'embrasse pas les articles admis en franchise ; voilà tout.
L'HON. M. CURRIE—En effet :—mais alors je dis que, s'il avait pris la valeur des articles frappés de droits telle que la donne les tablaux du commerce de 1863,—les dernières statisques annuelles que l'on ait de complètes, — au lieu de fixer notre tarif à 20 pour cent seulement, il aurait trouvé que la moyenne réelle des droits prélevés aux douanes du Canada en 1863 a été de 22 1/2 pour cent. ( Ecoutez ! écoutez !) Mon hon. ami de Toronto est ensuite venu au secours de M. LYNCH, de Halifax ; puis, non content de cela, il est accouru défendre le président actuel du conseil ( l'hon. M. BROWN ) ainsi que le secrétaire provincial ( l'hon. M. MCDOUGALL). J'avoue que le spectacle m'a amusé quelque peu et surpris encore plus de voir l'hon. député de Toronto devenir l'apologiste et le champion de ces hon. messieurs qui sont très capables, je crois, de se défendre même sans l'aide de mon hon. ami. ( Ecoutez ! écoutez!) Il a parlé encore de l'utilité et de la nécessité où nous étions de connaître les ressources financières et la quote-part de revenu des provinces avec lesquelles le Canada était sur le point de contracter une union. Comme j'avais dit que nous possédions des travaux publics d'un grand prix et d'une haute importance, dont quelques une produisaient d'assez forts revenus, l'hon. député de Toronto à cru nécessaire de répondre que les provinces maritimes se trouvaient elles aussi dotées de travaux publics d'une nature profitable ; que le Nouveau-Brunswick avait dépensé huit millions de piastres en construction de chemins de fer, la Nouvelle- Ecosse six millions, et que ces travaux donnaient un bénéfice net annuel de $140,000, ou $70,000 chaque, lequel appartiendrait au gouvernement général. Lorsque de telles assertions se font en chambre, elles n'y restent pas et se répandent en dehors, c'est pourquoi il semble que ceux qui les font devrait être bien convaincus de leur exactitude et de leur véracité.
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L'HON. M. ROSS—Et il n'en est pas autrement.
L'HON. M. CURRIE—J'avoue que ces assertions me surprirent beaucoup et je restai étonné d'abord de voir que ces provinces avaient autant dépensé pour la construction des voies ferrées, puis de ce que ces voies ferrées fussent plus profitables que celles du Canada. Or, que trouve-t-on dans les derniers comptes publics de ces provinces ? Nous voyons que les chemins de fer du Nouveau-Brunswick ont coûté $4,275,000, ceux de la Nouvelle-Ecosse $4,696,288 ; et que les premiers ont payé en 1862 $21,711, et les seconds $40,739 de benéfice net, ce qui donne réuni un revenu assez mince de $62,450 pour les deux provinces, au lieu de $140,000, comme le prétend mon hon. ami de Toronto. D'un autre côté, on voudra bien se rappeler que ces voies ferrées étaient neuves ou du moins comparativement neuves, et que pour celui qui prend la peine d'examiner les statistiques officielles de ces provinces il est évident que les frais de réparation de ces chemins de fer, de même que de tous les autres, va s'augmentant d'année en année.
L'HON. M. ROSS—La chambre se rappellera que les chiffres dont je me suis servi m'ont été fournie pendant que je parlais.
L'HON. M. CURRIE—Je crains bien que ce genre d'erreur ne se soit propagé durant tout le cours de cette discussion. ( Ecoutez ! écoutez !) Nos hommes publics ont montré certainement trop de négligence dans leurs statistiques sur la prospérité du Canada, et sur la richesse, l'étendue et les ressources des provinces maritimes. Jetons maintenant les yeux sur nos travaux publics que mon hon. ami essaie de rapetisser et de décrier.
L'HON. M. ROSS—Je n'ai jamais prétendu pareille chose ; j'ai dit au contraire qu'ils étaient indirectement d'une grande valeur au pays.
L'HON. M. CURRIE—Oui et directement aussi ; car je découvre dans les comptes officiels de la province que le revenu net de nos travaux publics pour 1863,—qui tous doivent revenir au gouvernement confédéré,— s'est élevé à $303,187, et le coût à $25,931,168. C'est là une partie de la mise que le Canada se prépare à verser dans le fonds commun de la confédération, du moins en ce qui regarde les travaux publics. ( Ecoutez ! écoutez !) Je terminerai les observations que j'avais à faire sur le discours de mon hon. ami de Toronto en réponse aux quelques mots que j'ai adressés l'autre jour à la chambre, en me contentant d'exprimer le regret d'avoir non seulement déplu à mon hon. ami par mes assertions, mais encore par mon style et la façon dont j'ai parlé.
L'HON. M. ROSS—Je n'ai signalé que le caractère et le sens de vos paroles.
L'HON. M. CURRIE—L'attention que m'a accordée alors cette hon. chambre et la manière dont mes raisons ont été accueillies et par mes amis et par mes adversaires politiques, devraient me porter à croire que je n'ai pas dépasser les bornes de la convenance, et que je n'ai violé les règles parlementaires ni par le ton ni par le caractère de mes paroles. Cependant, si je l'ai fait, je le regrette et je puis prendre la liberté d'espérer que, lorsque mon pays aura fait pour mon éducation politique le quart de ce qu'il a fait pour celle de mon hon. ami de Toronto, si je n'ai pas encore la politesse et les manières d'un CHESTERFIELD ni l'éloquence d'un PITT, je pourrai néanmoins traiter mes collègues avec courtoisie et convenance. ( Ecoutez ! écoutez !) Mais laissons ces vétilles pour nous occuper de la forte pression que l'on fait peser, d'un côté ou de l'autre, sur les députés du Canada et sur le peuple lui-même pour leur faire adopter ce projet important sans leur donner le temps de la réflexion et de la délibération que demande une question de cette importance. Ma conviction est que cette pression ne vient pas du peuple ; elle ne part pas non plus de cette branche de la législature, ni de l'autre, mais je crois, ainsi que je l'ai déjà dit, qu'elle vient d'ailleurs ; je crois que c'est du dehors que l'on nous presse d'adopter cette mesure plus vite, je le crains, que ne le veut le bien du pays. Il se peut que les hommes d'état et qu'une grande partie du peuple anglais désirent vivement voir la réalisation de ce projet et que la presse anglaise en général lui donne son approbation : mais lorsque tous viendront à comprendre ce projet, lorsque les porteurs de nos effets publics sauront que la confédération signifie plus de dettes, plus d'impôts et moins de crédit public, on entendra alors une autre voix traverser l'Atlantique. Lorsque l'industriel anglais saura que la confédération signifie un tarif plus élevé sur les manufactures anglaises, nous verrons encore l'expression d'une autre opinion traverser l'Atlantique. ( Ecoutez ! écoutez !) Lorsque je quittai ma division, hons. messieurs, je ne pensais pas que cette mesure allait être imposée au pays en la manière que 277 je vois le gouvernement du jour chercher à le faire. Je crois que nous devrions attendre avant de voter ces résolutions, et que nous devrions avoir besoin d'obtenir auparavant plus de renseignements sur ce sujet. Avant d'abolir nos constitutions locales, avant de décréter la ruine de toute la constitution, nous devrions, ce semble, savoir un peu ce que nous aurons pour remplacer ce que nous détruisons. Est-ce qu'aucun de mes hons. auditeurs savait au moment de quitter ses foyers que tout le projet nous serait soumis, qu'on nous demanderait de le juger, ou du moins de l'examiner comme un tout inséparable ? M'est avis qu'il faut prendre garde lorsqu'on accepte la moitié d'une mesure jusqu'à ce que l'on sache quelle est l'autre moitié. ( Ecoutez ! écoutez !) Mes hons. auditeurs doivent se rappeler avec quelle précaution le parlement anglais s'occupa de régler en 1839 les intérêts du Canada. Il y avait à cette époque grand besoin d'une nouvelle constitution pour le Canada et en particulier pour le Bas-Canada ; et lorsque le gouvernement d'alors introduisit, sous une forme assez semblable à celles qui sont actuellement devant la chambre, ses résolutions basées sur le principe d'une union législative, le chef de l'opposition, lord STANLEY, demanda que toute la mesure fût introduite. Telle fut la force de l'opinion en dedans comme en dehors du parlement que le ministère dût retirer ses résolutions et présenter toute la mesure. ( Ecoutez ! écoutez !) Devons-nous montrer moins de sollicitude pour nos droits constitutionnels ;—devons- nous porter moins d'attention à nos intérêts comme à ceux de nos enfants et petits enfants, qu'un peuple qui législate pour nous à plus de treize cents lieues de distance ? On veut aussi dans ces résolutions que nous engagions la province, à quoi ? à construire le chemin de fer intercolonial, et cela sans savoir, ainsi que je le disais l'autre jour, où il doit passer et ce qu'il doit coûter. Pourquoi ne pas nous communiquer le rapport de l'ingénieur chargé d'explorer la route où doit passer ce chemin de fer ? Pourquoi ces retards ? Pourquoi essayer de faire passer précipitamment cette mesure par la législature et nous laisser dans l'obscurité sur cette grande entreprise ? Il pourrait bien se faire qu'on gardât le rapport pour favoriser le projet de confédération sinon ici du moins ailleurs.
L'HON. M. CAMPBELL—Mon hon. ami va trop loin. Le rapport n'a pas encore été fait ; comment peut-on dès lors accuser le gouvernement de le retenir par devers lui ?
L'HON. M. CURRIE—C'est vrai ; le gouvernement, d'ailleurs, a bien assez des accusations vraies qu'on porte contre lui, sans encore lui en imputer de fausses. Je ne veux pas faire d'assertions fausses, mais je dirai que j'ai de bonnes raisons d'être surpris de voir le gouvernement introduire cette mesure et la proposer à la chambre avant de connaître lui-même ce qu'il en coûtera, (écoutez ! écoutez !) et demander à cette chambre de s'engager avec le pays à faire une entreprise dont il ne connaît pas lui-même le coût. ( Ecoutez ! écoutez !) Cependant, si le rapport n'est point prêt, les journaux ont répété que l'exploration du tracé était finie ou sur le point de l'être, et par conséquent on peut en obtenir communication avant peu : pourquoi dès lors tant de hâte et d'anxiété à faire voter les résolutions avant de l'avoir ? Et puis, pourquoi le gouvernement n'introduit-il pas les bills sur les écoles qui ont été promis ? Pourquoi ne pas mettre le peuple ou le parlement en état de juger des projets de loi sur l'éducation dans le Bas et le Haut-Canada avant le vote des résolutions ? En vérité, je ne vois pas l'utilité de tenir ces choses dans l'ombre et je ne crois pas que le gouvernement ait aucune raison de ne pas les règler de suite. Hons. messieurs, une autre question sur laquelle on aurait encore dû nous éclairer est celle de la division ou répartition de la dette publique. En ouvrant les comptes publics que chacun de nous a reçus à l'ouverture de la session, on voit que le passif de cette province ne s'élève pas à moins de $77,203,282. Mais comme il est réglé que le Canada n'a le droit de porter au débit de la confédération qu'une dette de $62,500,000, nous avons le droit de savoir qui paiera les autres $15,000,000 ? Quelle sera la partie afférente au Haut-Canada ? ( Ecoutez ! écoutez ! ) Considérons un moment le pouvoir que nous déléguons au parlement confédéré en votant les présentes résolutions et en fesant passer par la législature impériale une loi qui les contienne. Nous lui donnons d'abord le pouvoir d'établir des impôts locaux sur chaque province séparée. Or, j'aimerais à savoir comment on exercera ce droit ; j'aimerais à savoir si ce sera une taxe par tête, ou une taxe par acre sur les terres des provinces, ou bien encore si ce sera un impôt sur la propriété en général 278 de chaque province ? Quel est celui de mes hons. auditeurs qui ne serait pas bien aise d'étre éclairé sur tous ces points avant de voter ce projet? (Ecoutez ! écoutez !) Une autre question très importante est celle des défenses du pays, laquelle depuis quelques mois a pris un aspect qu'elle n'avait jamais eu jusqu'ici dans l'histoire du pays. Je demande à la chambre la liberté de lire sur cette questions un extrait d'un rapport qui méritera plus tard d'être classé parmi les pièces d'état les plus remarquables. Je veux parler d'un memorandum du conseil exécutif en date du mois d'octobre 1862, rédigé par le ministère MACDONALD-SICOTTE. Quelles que aient été les fautes de ce gouvernement, quels que reproches qu'on ait eus à lui faire sur d'autres sujets, je crois qu'il n'y a eu à l'époque qu'une seule voix dans l'opinion publique pour approuver la position digne qu'il prit sur cette question. On lit dans ce memorandum le passage suivent :-
" La manière dont a été accueilli le projet du chemin de for intercolonial est la preuve qu'ils sont disposés à faire tout en leur pouvoir pour se conformer aux recommandations du gouvernement impérial. Leur conduite dans cette affaire doit les mettre à l'abri de toute imputation. En même temps,- ils insistent à dire qu'ils sont et doivent etre réputés les meilleurs juges du degré de pression que peut supporter le crédit de la province. Ils sont prêts, sous certaines conditions, à charger ce crédit des responsabilités qu'entrainera le chemin de fer intercolonial, mais ils ne sont pas disposés à prodiguer les deniers publics pour édifier un système militaire contraire aux goûts du peuple canadien, en disproportion avec ses ressources, et que n'exige point la situation telle ne le connaissent es conseillers de Votre Excellence."
C'est-à-dire, l'armement et la mise en service actif de 50,000 hommes.
" Sa Grâce, tout en promettant une aide généreuse, prétend que quel que soit le corps de troupes régulières qu'on envoie, il ne saurait être suffisant pour défendre la province, et que c'est sur son peuple même qu'un tel pays doit principalement compter. Les conseillers de Votre Excellence ne seraient pas fidèles à leurs propres convictions et trahirsient la confiance placée en eux, s'ils taisaient que c'est leur croyance que, sans des secours très—considérables, le peuple de cette province, en dépit de tous les efforts et de tous les sacrifices dont il est capable, ne serait pas en état de repousser avec succès et pendant longtemps une invasion de la république voisine. Il se repose jusqu'à un certain point pour cette protection sur le fait que, dans aucun cas imaginable, il ne provoquera la guerre avec les Etats- Unis, et que conséquemment si le Canada devenait le théâtre d'hostilités par suite de la politique impériale,—tout en faisant avec enthousiasme ses efforts pour défendre le sol,—il serait néanmoins obligé de compter surtout pour sa protection sur les ressources de l'empire. Et en pareil cas, vos conseillers pensent qu'ils pourraient, avec droit, espérer d'être assistés dans l'œuvre de la défense de toute la puissance impériale. Il est superflu, en face de son histoire, de protester de la disposition du peuple canadien à prendre sur lui toutes les consequences que peut entrainer son état de dépendance de l'empire. Bon dévouement s'est trop souvent manifesté pour qu'on puisse le déprécier ou le révoquer en doute. Le Canada a fait des sacrifices qui doivent le mettre hors de la portée du soupçon, et que le gouvernement de Sa Majesté devrait regarder comme une garantie de sa fidélité. Nulle partie de l'empire n'est exposée aux maux et aux sacrifices qu'aurait inévitablement à supporter cette province, en cas de guerre avec les Etats-Unis: aucune combinaison probable de troupes régulières et de milice ne saurait protéger notre sol contre des armées d'lnvasion, et la fortune la plus inespérée ne pourrait préserver nos riches districts de devanir le théâtre d'une erre qui paralyserait notre commerce et notre ndustrie, dévasterait nos champs, nos villes et nos villages, et ferait peser les calamités de la guerre sur des foyers qui jouissent aujourd'hui des bienfaits de la paix, et tous ces maux seraient la conséquence d'évènements auxquels le Canada n'aurait en aucune part."
Ce langage, hons. messieurs, n'est pas seulement celui des hommes politiques du Canada d'autrefois ;—on se rappelle ce qui a été dit et écrit dans les provinces maritimes par des hommes qui occupent aujourd'hui des postes élevés sous le gouvernement impérial. Je citerai, entr'eutres, l'hon. JOSEPH HOWE, qui déclarait qu'on ne devait pas s'attendre à nous voir nous défendre nous-mêmes contre un pouvoir étranger, parce que nous n'avions de voix ni dans la déclaration de la guerre ni dans les négociations de paix,—et que tout en étant prêts comme jadis à faire face à l'ennemi au risque de notre vie et de nos bien, nous ne voulions pas comme colons assumer une responsabilité qui n'appartenait qu'à notre métropole. Or, en quoi de tels sentiments correspondent—ils avec les vues du gouvernement d'aujourd'hui sur la même question ? Je tiens a la main en ce moment l'extrait d'un discours prononcé par l'un des membres les plus éminents du cabinet dans une resemblée publique qui a en lieu récemment à Toronto—que dit cet hon. monsieur? Parlant de la conférence tenue à Québec, il ajoute quo-
" Les délégués résolurent à l'unanimité de mettre sous le plus bref délai possible les provinces unies de l'Amérique Britannique du Nord sur un pled de défense complète "
J'ignorais que le gouvernement anglais eut jamais secoué le joug de la défense de cette 279 province, et voilà un des membres haut placés dans l'exécutif canadien qui nous apprend que cette conférence, tout arbitraire quelle était, et en vertu d'une résolution qui ne nous est pas communiquée, promet de mettre la province en état parfait de défense : qu'est-ce que cela signifie ? Rien autre chose qu'une dépense de quatre à cinq millions de piastres de plus par année, ou bien cette assertion ne voulait rien dire. L'hon. ministre continue en disant que-
" La conférence de Québec ne se sépara point avant de s'engager à mettre les défenses navales et militaires des provinces unies dans l'état le plus complet et le plus satisfaisant. "
C'est pourquoi, avant d'aller plus loin dans la discussion de ce projet, avant de donner notre vote, j'affirme que nous devrions en savoir davantage sur un sujet aussi vital. ( Ecoutez ! écoutez !) On pourra peut-être arguer qu'il n'est pas besoin de soumettre la question au peuple ni de lui donner le temps d'examiner les choses : mais tous les hon. membres qui ont pris la parole dans cette chambre sur cette question n'ont-ils pas été unanimes à convenir qu'elle était la plus importante qui ait jamais été agitée devant aucune législature des colonies anglaises ? Et cependant ces hons. messieurs ne veulent pas que le peuple ait plus de temps pour refléchir sur cette importante question, bien que la loi de ce pays exige que toutes les fois qu'une municipalité contracte des engagements pour plus d'une année quelque minces qu'ils soient, elle soumettra ses réglements à l'approbation des contribuables. ( Ecoutez. ) D'hons. orateurs ont donné comme raison de ne pas en appeler au peuple, est que nous avons eu, depuis le projet de confédération du gouvernement, grand nombre d'élections pour cette chambre qui toutes ont donné des résultats favorables à la question. Je demanderai quel est de fait le chiffre réel des élections qui ont eu lieu depuis que le projet est imprimé et publié ? J'aimerais à voir se lever ceux de mes hons. auditeurs qui ont été élus et envoyés ici pour voter le projet depuis qu'il a été divulgué. Oui, nous avons eu une élection en Haut-Canada depuis cette époque : c'est celle dont a parlé hier mon hon. voisin ( M. SIMPSON ) et qui s'est faite dans Ontario Sud, comté que représentait l'un des ministres auteurs du projet actuel, le vice-chancelier actuel du Haut-Canada, l'hon. M. MOWAT. Or, quel a été le langage des candidats dans cette élection ? Tous deux, ainsi que l'a dit mon hon. ami se sont engagés, en sollicitant les suffrages des électeurs, à voter en chambre l'appel au peuple sur la question qui nous occupe à l'heure qu'il est. ( Ecoutez ! écoutez !) C'est là la dernière élection qui ait eu lieu dans le Haut-Canada. Je ne me cache pas que plusieurs de mes hons. auditeurs, en se présentant de nouveau aux suffrages de leurs divisions l'automne dernier, se sont déclarés dans leurs manifestes électoraux pour l'union des provinces de l'Amérique du Nord. Mais quel est l'homme de jugement dans cette chambre qui ne dirait pas la même chose ? Je suis pour ma part aussi favorable à cette confédération aujourd'hui que je l'ai jamais été, et je défie qui que ce soit d'avancer qu'à aucune époque de ma vie publique j'ai jamais dit que ce soit au contraire. ( Ecoutez! écoutez !) Mais, hons. messieurs, lorsque je jette les yeux sur le projet actuel que je regarde comme imparfait, je sens que je dois m'y opposer, non parce que c'est un projet de confédération de l'Amérique du Nord, mais parce qu'il renferme en lui-même les germes de sa propre destruction. C'est pourquoi l'amendement mis devant cette chambre n'a pas pour but de renverser le plan ministériel, et j'espère bien qu'avant la clôture des débats le gouvernement verra la convenance d'accorder le délai qu'on y demande. En supposant que le gouvernement retarde d'un mois sa mesure, quel mal peut-il en résulter ? Car si le projet est bon , s'il est aussi désirable que les divers gouvernements provinciaux le prétendent, un délai d'un mois ne pourra certainement pas l'anéantir. Si, au contraire, il est mauvais, s'il porte avec lui un principe de mort, il vaut mieux qu'on le sache aujourd'hui plutôt que demain alors que la mesure fera partie d'une loi sur laquelle nous n'aurons plus aucun contrôle. Pour prouver ce que je pense de la question, je dis ceci :—donnez un délai raisonnable,—permettez aux électeurs que je représente de faire connaître leur opinion ; et s'ils déclarent que la mesure doit être adoptée telle qu'elle est, je cesserai mon opposition et, au lieu de tout faire pour l'empêcher de passer, je m'abstiendrai de soulever le moindre obstacle. " Mais, disent d'hon. conseillers, qui dit délai dit renversement de la mesure !"—Si la mesure est bonne ; si elle se recommande d'elle-même à l'approbation du peuple, défendue qu'elle est par les hommes les plus éminents du parlement, je répète qu'elle ne court aucun risque. Dans la supposition qu'il nous soit 280 accordé un mois de délai, nous serons encore plus avancés alors que les provinces maritimes. Si je ne me trompe, en effet, les brefs d'élection sont rapportables dans le Nouveau-Brunswick le 25 mars.
L'HON. M. CAMPBELL—Le 9 mars.
L'HON. M. CURRIE—Alors, ce sera le 21 ou le 22 mars que la législature de cette colonie siégera.
L'HON. M. CAMPBELL — J'ai mal compris mon hon. ami ; j'ai voulu dire que la législature suivant toute probabilité pourra s'assembler le 8 ou le 9 mars.
L'HON. M. CURRIE—Alors, c'est qu'on se prépare à précipiter les choses dans cette province autant qu'en Canada, dont le peuple n'a pas eu comme celui du Nouveau-Brunswick l'occasion de se prononcer sur le projet de la confédération. La population de cette dernière province me paraît comprendre très bien toute l'importance de la question et j'espère que son jugement sera réfléchi, car elle ne se prononcera qu'après avoir eu le temps et la facilité de discuter la mesure sous toutes ses faces. Mon hon. ami de la division Western (M. MCCREA) m'a réellement étonné l'autre jour en disant que le conseil législatif électif n'avait été ni demandé ni désiré par le peuple, car je me rappelle que le conseil, lorsque la nomination appartenait à la couronne, a été l'un des griefs permanents du Bas comme du Haut-Canada.
L'HON. M. MCCREA — C'était avant l'Union.
L'HON. M. CURRIE—On demandait que le conseil fut rendu électif.
L'HON. M. MCCREA—Pas après l'Union.
L'HON M. CURRIE — J'assure mon hon. ami qu'il est dans l'erreur en disant qu'il ne fut pas adressé des requêtes en faveur du conseil législatif électif à l'époque du changement. Il n'a qu'à ouvrir les journaux du parlement pour se convaincre du contraire ;—il verra encore une requête de la ville de Cobourg demandant de baser la représentation dans les deux chambres d'après le chiffre de la population. Dans son ignorance des faits, mon hon. ami a fait une assertion sur laquelle il n'a pas eu le temps de réfléchir avant de l'exprimer dans cette chambre, quoique à d'autres égards il ait traité le sujet avec beaucoup d'habileté sans cependant avoir le succès qu'il remporte toujours lorsqu'il défend les bonnes causes. ( On rit. ) Il a prétendu, d'un autre côté, qu'un conseil nommé par la couronne serait plus responsable au peuple qu'il ne l'est aujourd'hui: voilà assurément quelque chose de nouveau pour moi. S'il en est ainsi, pourquoi ne pas dès lors appliquer ce système à l'autre branche de la législature ? Je suis convaincu que dans ce cas le gouvernement coulerait des jours beaucoup plus heureux et beaucoup moins agités que celui d'aujourd'hui, tout composé d'hommes distingués qu'il est. ( Rires. ) Mais, dit mon hon. ami, le peuple est en faveur du projet car il a eu tout le temps désirable pour tenir des assemblées et adopter des requêtes. Je lui répondrai en lui demandant jusqu'à quel point la plupart des membres mêmes de cette chambre connaissaient la mesure avant de descendre à Québec ? La connaissions-nous autant qu'aujourd'hui ?
L'HON. M. ROSS—Oui.
L'HON. M. CURRIE—Mon hon. ami de Toronto répond—" Oui. "
UN HON. MEMBRE—Non.
L'HON. M. CURRIE—Un autre hon. membre dit " non. " Quant à moi j'avoue que même le discours de l'hon député de Toronto m'a appris quelque chose que je ne savais pas auparavant. Le pays a attendu que la question fût discutée en parlement et que tout le projet fut présenté afin de le juger dans son ensemble ; malheureusement, le conseil n'en a qu'une partie devant lui. Je n'ai pas eu le plaisir d'entendre toutes les remarques de mon hon. ami de Montréal [ M. FERRIER ], mais ce que j'en ai entendu m'a vivement intéressé. Je parle de ce qui se rapportait à la crise ministérielle du mois de juin dernier. J'avais cru que le célèbre memorandum que le gouvernement a depuis répudié en grande partie, renfermait toutes les explications ; mais la scène décrite si brillamment par l'hon. membre et dans laquelle le président du conseil rencontre le proc.-gén. du Bas-Canada....
L'HON. M. FERRIER—Je n'ai pas dit que je l'avais vue : j'en ai seulement entendu parler.
L'HON. M. CURRIE—Lorsque l'hon. M. CARTIER reçut dans ses bras l'hon. M. BROWN. ( Rires. )
L'HON. M. FERRIER—J'ai dit simplement ce que l'on se répétait dans les rues.
L'HON. M. CURRIE—Et que l'hon. M. BROWN jura une allégiance éternelle à l'hon. M. CARTIER. ( Rires. )
L'HON. M. FERRIER :—Je ne faisais que répéter les on-dit du jour, et j'ai dit que je ne savais rien autre chose que ce que avais entendu dans les rues.
281
L'HON. M. CURRIE— Alors j'ai mal compris mon hon. ami, mais j'avais cru qu'il avait assisté à cette scène touchante. ( Rires. ) Tout cela n'empêche pas cependant mon hon. ami d'avoir dit ici des choses toutes nouvelles pour moi et qui doivent l'avoir été également au dehors, lorsqu'il a déclaré, par exemple, que le chemin de fer Grand Tronc ne coûtait que très peu de chose au Canada. L'hon. monsieur a paru, en même temps, me prendre pour un ennemi du Grand Tronc ; mais jamais de ma vie je n'ai dit quoique ce soit contre ce chemin de fer, comme tel. Bien plus, je crois qu'il n'est personne qui apprécie plus que je ne le fais les grands avantages commerciaux qu'en retire le pays ; mais j'ai profité de l'occasion, et le ferai encore au besoin, de parler de quelques uns des actes qui se rapportent à cette entreprise. Qu'on appelle l'attention de cette chambre sur ce chemin de fer aussi bien que sur toute autre entreprise publique,— et j'y donnerai comme par le passé toute la considération que de tels travaux méritent. J'espère que le jour n'est pas loin où le chemin de fer Grand Tronc sera ce qu'il doit être, c'est-à-dire une entreprise entièrement commerciale et que tout le monde regardera avec plaisir.
L'HON. M. FERRIER—C'est une entreprise exclusivement commerciale à l'heure qu'il est.
L'HON. M. CURRIE—Mon hon. ami a prétendu que ce chemin de fer coûtait peu au pays :—pourquoi, faut-il, hélas ! que les comptes publics ne disent pas la même chose et ne confirment pas les assertions de mon hon. ami ? En regardant à l'actif de la province, on trouve un compte contre le Grand Tronc de $15,142,000 pour débentures, à part ce petit article de $100,000 qui a servi à racheter les bons de la cité de Montréal. Il y a encore autre chose au sujet des lignes d'embranchement.
L'HON. M. FERRIER—J'ai parlé du premier capital de la compagnie.
L'HON.M. CURRIE — Mon hon.ami pour la division d'Erié ( M. CHRISTIE) a admis au commencement de cette discussion que le plan de confédération pèchait beaucoup par les détails. En admettant cela, et c'est un point capital, il est fort à craindre que la mesure ne fonctionne pas aussi paisiblement, aussi harmonieusement ni avec autant d'avantages que ses auteurs l'espéraient. Je dois dire, à ce propos, que dans mon opinion ces messieurs étaient parfaitement convaincus des avantages du nouveau plan et qu'ils l'ont élaboré en vue de la prospérité actuelle et future du pays et avec le sincère désir de tirer le meilleur parti possible des circonstances. Leur grande erreur a été selon moi de faire trop de concessions, de la part du Canada, aux provinces maritimes, afin d'amener ces dernières à adopter immédiatement le projet. Si les détails de la mesure sont tellement défectueux, pourquoi ne pas la rejeter ? Mon hon. ami a parlé de l'état du pays avant la formation du présent ministère en des termes qu'il ne saurait justifier. Il nous a dit que le pays était dans un état de confusion et d'anarchie. Pour ma part, hons. messieurs, je n'ai rien vu de cette anarchie et bien peu de cette confusion. On a vu dans d'autres pays ce que nous avons eu ici. Des gouvernements faibles toujours préoccupés de se maintenir mois par mois au pouvoir et sans cesse harcelés par une opposition puissante et infatigable. Mais, hons. messieurs, peut- on nous garantir qu'en accordant 17 membres de plus au Haut-Canada et 47 membres aux province du golfe, cela nous mettra désormais à l'abri de pareils inconvénients ? L'hon. membre pour Wellington ( M. SANBORN ) a très-bien défini la position en disant qu'un peu plus de patriotisme et un peu moins d'amour pour l'intérêt de parti, de la part de nos hommes publics, nous aurait évité l'état de confusion mentionné par mon hon. ami pour la division d'Erié. Cet hon. monsieur, pour justifier l'appui qu'il veut donner au projet, a mentionné les résolutions adoptées par la convention de Toronto en 1859, et nous a dit que j'étais un des délégués à cette couvention ; mais, malgré cela, je n'ai pris aucune part aux délibérations dont je n'ai aucune connaissance que par les journaux. De plus, l'hon. monsieur a eu soin de ne lire qu'une partie des résolutions. Or, ces résolutions contenaient le principe sur lequel s'est établi le gouvernement actuel qui n'a été formé que pour mettre en pratique les dispositions prises par cette convention. Un comité fut nommé par la convention de Toronto à l'effet de rédiger une adresse au public. Cette adresse fut soumise au comité exécutif et examinée le 10 février 1860, et publiée comme l'adresse de la convention dont l'hon. membre pour Erié était membre et même un des vice-présidents. Or, que disait cette adresse ? " Que la convention ne reconnaissait point au parlement le droit de changer la constitution ou de nous en donner une nouvelle sans consulter 282 l'opinion publique. " Et que proposait la convention pour assurer au peuple le droit de se prononcer sur une question aussi importante que celle de l'adoption d'une nouvelle constitution ? Voici ces propositions imprimées en gros caractères, et je suis persuadé que mon hon. ami les a souvent lues en parcourant sa vaste et prospère division.
L'HON. M. CHRISTIE—Ces propositions n'ont pas été soumises à la convention.
L'HON. M. CURRIE—Mon hon. ami me permettra de rectifier son assertion. L'assemblée eut lieu le 28 septembre 1859 ; elle était présidée par feu l'hon. ADAM FERGUSSON ; et mon hon. ami, le membre pour la division Erié, et M. D. A. MCDONALD, agissaient comme vice-présidents. Cette assemblée nomma un comité spécial pour rédiger une adresse aux électeurs du Haut-Canada sur l'état politique de la province, à l'appui des résolutions alors adoptées. Un projet d'adresse fut soumis au comité exécutif.
L'HON. M. CHRISTIE—Je n'étais pas membre de ce comité.
L'HON. M. CURRIE—L'assemblée fut tenue le 15 février 1860.
L'HON. M. CHRISTIE—Et quand fut publiée cette adresse ?
L'HON. M. CURRIE—Elle fut publiée, telle que je l'ai ici, au mois de février 1860. Voici une des clauses de cette adresse :
" Garantir ces droits par une constitution écrite, ratifiée parle peuple et qu'on ne s'aurait altérer sans sa sanction formelle. "
J'ai bien peur que l'hon. membre pour la division d'Erié n'éprouve une certaine difficulté à justifier son attitude actuelle par des arguments tirés de l'adresse ou des résolutions de la convention de Toronto. L'hon. monsieur n'aurait jamais songé à présenter un projet comme celui-ci aux membres de cette convention. Mais, lors même qu'un pareil projet eût été présenté, pensez-vous qu'on n'aurait pas demandé en même temps l'appel au peuple ? Pensez- vous, hons. membres, que la convention eût approuvé le projet dans sa forme actuelle ? Mon hon. ami, tout plein d'ardeur qu'il est aujourd'hui, n'aurait pas alors consenti à cette alternative. Je dirai plus, c'est que le gouvernement actuel, soutenu par une large majorité dans les deux chambres et composé des hommes les plus habiles du parlement, n'oserait jamais faire de ces résolutions une mesure du gouvernement et demander l'appui de la législature pour les faire passer sous cette forme. Mon hon. ami a dit encore que le projet était parfaitement connu de tout le pays. Il est bien vrai, hon. messieurs, que le texte des résolutions a été répandu à profusion dans les deux provinces ; mais où et quand ont-elles été discutées si ce n'est dans le Bas-Canada, où quinze comtés ont tenu des assemblées pour les rejeter ? Dans le Haut-Canada il n'y a eu aucune discussion à ce sujet, si ce n'est à Toronto, et, là encore, elle a été très-bornée et la seule conclusion pratique qu'on en ait tiré est que Toronto, comme Québec, serait le siége d'un des gouvernements locaux. Mon hon. ami pour la division d'Erié a prétendu que le choix des délégués à la convention n'avait pas été arbitraire, et il est d'accord en cela avec mon hon. ami de Montréal. Or, une simple lecture des résolutions et des dépêches qui les accompagnent établit le fait contraire : et qui les à délégués pour agir comme ils l'ont fait ? Le gouvernement, par l'essence même de sa formation, était-il autorisé à faire ce traité ? La formation même du gouvernement me fournit la réponse : le gouvernement a promis à la population haut-canadienne de régler les difficultés qui existent actuellement entre le Haut et le Bas-Canada. Il devait former entre ces deux provinces une fédération dans laquelle les autres provinces pourraient ultérieurement entrer si elles le jugeaient convenable. Tel est le principe de la formation de ce gouvernement,—principe que les ministres ont fait valoir devant leurs électeurs respectifs. A l'appui de cette assertion, il me suffira de citer certains passages du discours de Son Excellence le gouverneur-général à la fin de la dernière session du parlement. Vers la fin de ce discours il est dit :
" Le temps est arrivé où une question constitutionnelle qui a agité la province pendant plusieurs années, est mûre pour un règlement. "  
A quelle province est-il fait allusion dans ce passage ? Evidemment, le Canada.
" C'est mon intention pendant la vacance, " continue Son Excellence, " de joindre mes efforts à ceux de mes ministres pour aviser à cette fin à un plan qui sera mis devant le parlement à sa prochaine session."
Or, messieurs, où est le plan ? où est la mesure promise par le discours du trône ?
" En mettant fin à vos travaux parlementaires," continue Son Excellence, "je désire vous faire sentir l'importance de faire servir l'influence que 283 vous tenez de la confiance de vos co-sujets à assurer au projet qui pourra être proposé dans ce but une considération calme et impartiale tant dans le parlement que par tout le pays."
Or, que veut dire cette phrase ? Si elle a un sens elle indique que le gouvernement s'engage à proposer une mesure qui devra réaliser la confédération du Haut et du Bas- Canada. Mais voilà que ces hons. messieurs nous disent qu'ils " ont soumis à la chambre un plan plus complet. " Et qui leur a demandé cela ? On a dit que la chambre ne fesait pas de différence entre les deux projets. Cependant cette différence est considérable, car si les résolutions ne concernaient que le Haut et le Bas-Canada la chambre aurait pu y faire des amendements. Mais non, les ministres ont pris les députés du peuple à la gorge en leur disant : " Voici un traité qu'il faut accepter ou rejeter entièrement. " Ils les ont avertis qu'en essayant de faire changer un mot à la constitution proposée ils risquaient leur réputation s'exposant à passer pour des " sécessionistes " ou quelque chose de pis encore. Or, si le gouvernement avait été fidèle à sa promesse nous serions aujourd'hui occupés à discuter avec calme et d'un commun accord avec l'administration une mesure qui serait avantageuse aux deux provinces. Et pourquoi le gouvernement persiste-t-il à s'abriter derrière ces résolutions—résolutions qui, telles qu'on nous les a présentées, sont complétement insoutenables et n'indiquent qu'une suite de concessions faites par le Canada aux provinces maritimes sans aucune compensation de la part de ces dernières ? Or, je défie toute preuve contre l'exactitude de cette assertion. Et comment était composée la conférence ? Toutes les provinces y ont envoyé des représentants des deux partis, à l'exception du Bas-Canada qui n'y a pas délégué un seul membre du parti libéral. ( Ecoutez !) Le gouvernement des provinces maritimes a eu la magnanimité de s'entendre avec les chefs de l'opposition, mais nos ministres ont complétement mis de côté le parti libéral du Bas-Canada. ( Ecoutez !) Mon hon. ami pour la division d'Erié me dit qu'il est fortement opposé aux détails du projet.
L'HON. M. CHRISTIE—Je demande pardon à l'hon. monsieur, j'ai seulement dit que j'étais opposé à l'abandon du principe électif.
L'HON. M. CURRIE—Si l'hon. membre a les mêmes sentiments que moi à cet égard, il s'opposera jusqu'au dernier moment à l'abandon de ce principe. Comme lui, je dois à ce principe le siége que j'occupe dans cette chambre, et je combattrai longtemps avant de voter pour une mesure qui enlève au peuple le droit de m'envoyer ici comme son représentant. L'hon. monsieur nous a dit que tout le pays était en faveur de la confédération. Je n'en doute pas, mais bien des gens en Canada sont opposés aux détails du projet. L'hon. monsieur a également prétendu que le pays comprenait parfaitement la mesure. Cela est une erreur, et je n'en veux pour preuve que ce qui s'est passé hier dans cette chambre. Un des marchands les plus intelligents du Haut- Canada, l'hon. membre pour la division d'Ottawa ( M. SKEAD ) nous a dit que depuis 24 heures seulement il comprenait le plan soumis à cette chambre. Et on nous dira sérieusement que le pays comprend la mesure ! Sait-on, par exemple, ce que coûtera le fonctionnement du système? Les hommes influents du pays ont déclaré en diverses circonstances que les subventions locales seraient plus que suffisantes pour faire fonctionner les gouvernements locaux. Or, il faut juger de l'avenir par le passé. Examinons, par exemple, les comptes publics du Haut-Canada en l838 ; j'y trouve que, pour une population de 450,000 âmes, on dépensait $885,000 par année. On me dira qu'à cette époque le Haut-Canada payait la milice et les frais de perception des douanes et d'autres petits items qui seront laissés à la charge du gouvernement fédéral. Or, que coûta la milice en 1838 ? La somme insignifiante de £649 19s. 11 1/2d. Il fut perçu £317 15s. pour honoraires et commissions, en sorte que le coût total de la milice pour le Haut-Canada fut de £832 4s. 11 1/2d. Maintenant pour les douanes : les frais de perception des douanes pour le Haut-Canada, en 1838, se montèrent à £2,792 l4s 2d, c'est-à-dire environ la moitié, à peine la moitié de ce qu'il en coûte aujourd'hui pour percevoir les douanes dans le seul port de Toronto. J'en viens au Bas-Canada ; sa population était alors de 650,000 et les frais du gouvernement de $573,348. Jamais peuple ne fut gouverné aussi économiquement que le Bas-Canada avant l'union. ( Ecoutez !) Et, en supposant qu'on puisse le gouverner à aussi bon marché que par le passé, il faudra $980,000 pour gouverner cette section du pays sans compter l'intérêt d'une partie de la dette qui lui sera imposée. On nous a dit que dans le Haut-Canada nous ne 284 saurions que faire de tout l'argent destiné à la législature locale. ( Rires. )
L'HON. M. MCCREA—Et qui a dit que nous aurions tant d'argent que cela ?
L'HON. M. CURRIE — Vous devez l'avoir lu dans les discours prononcés à la chambre basse, et, en particulier, dans ceux de l'hon. M. BROWN. Or, si nous pouvons gouverner le Haut-Canada aussi économiquement après qu'avant l' Union, il nous faudra $2,170,000 par année, ou $1,054,000 de plus que la subvention locale. Personne ne prétendra que nous serons, à l'avenir, plus économes des deniers publics qu'aux premiers jours de notre histoire. On a prétendu que le pays connaissait parfaitement ces résolutions et était prêt à les juger d'une façon impartiale. Les membres du cabinet ont mauvaise grâce à faire une pareille assertion. Voici ce dont cette chambre a été témoin : on demandait à l'hon. commissaire des terres de la couronne comment seraient nommés les membres des conseils législatifs des diverses provinces ? L'hon. commissaire nous informa qu'ils seraient nommés par les gouvernements locaux, et ce renseignement fut confirmé par l'hon. premier ministre qui a eu l'honneur de présider aux délibérations de la conférence de Québec.
L'HON. M. CAMPBELL—Il me semble que mon hon. collègue n'a rien dit à ce sujet.
L'HON. M. CURRIE—J'ai cru qu'il avait confirmé la déclaration de l'hon. commissaire des terres de la couronne. En tous cas, il écouta cette déclaration sans la contredire. Mais qu'arriva t-il ? Après qu'on eût fait comprendre à l'hon. commissaire des terres l'absurdité d'une semblable disposition, il demanda un jour pour répondre à la question qui lui était faite, et le lendemain il nous apportait une réponse toute différente. Quelques jours plus tard, on s'occupait du droit d'exportation sur les minéraux de la Nouvelle- Ecosse, et j'ai cru entendre dire à l'hon. commissaire des terres que tous les charbons et minéraux exportés en pays étrangers seraient sujets à un droit. Mais, d'après les explications données ultérieurement par l'hon. monsieur, j'ai compris que le droit d'exportation s'appliquerait à tous les charbons et minéraux exportés de la Nouvelle- Ecosse. Mon hon. ami nous a expliqué la nature de ce droit d'exportation, et que nous a-t-il dit ? que ce n'était qu'un droit régalien ! Le droit d'exportation  ne s'appliquera qu'au charbon qu sortira du pays. A la Nouvelle-Ecosse, il y a aujourd'hui un droit régalien qui sera remplacé par le droit d'exportation, et voici ce qu'y gagnera cette province : sur le charbon nécessaire à sa consommation elle n'aura pas de droits, mais les charbons qu'elle enverra en Canada seront sujets à un droit d'exportation.
L'HON. M. ROSS—Mon hon. ami doit comprendre que si toutes les terres de la couronne des diverses colonies eussent été placées à la disposition du gouvernement général, le gouvernement général en aurait retiré tous les revenus. Mais elles ont été laissées aux gouvernements locaux et, de même que dans le Haut-Canada nous aurons les droits sur les bois, la Nouvelle-Ecosse se fera un revenu de ses charbons.
L'HON. M. CURRIE—Une personne étrangère à la question pourrait croire, d'après les paroles de mon hon. ami, que la confédération va nous apporter des revenus tout nouveaux. Mais les terres de la couronne appartiennent actuellement au Haut et au Bas-Canada et nous avons droit au revenu qu'elles peuvent produire.
L'HON. M. ROSS —Précisement, comme la Nouvelle-Ecosse a droit au revenu de son charbon.
L'HON. M. CURRIE—Mais vous lui accordez un privilége que vous niez aux autres provinces, celui d'imposer des droits d'exportation. Hons messieurs, j'aborderai maintenant une autre question que le pays semble ne pas bien comprendre, je veux parler de la répartition de la dette publique. J'ai déjà dit et je le répète que le revenu est la vraie base qui devrait régler la position de chaque province dans la confédération en ce qui concerne sa dette. Et je pense que mon hon. ami pour la division de Saugeen (M. MACPHERSON) a exprimé une opinion analogue à cet égard.
L'HON. M. MACPHERSON—Pas dans ce cas, car nous n'avons pas le revenu pour nous servir de base.
L'HON. M. CURRIE—Et pourquoi non ? Les tableaux du commerce de la Nouvelle- Ecosse, du Nouveau-Brunswick et de l'Ile du Prince-Edouard sont ici à la bibliothèque, et un comptable expérimenté pourrait, après 24 heures de travail, nous dire exactement ce que chaque province devra, d'après son commerce, contribuer au revenu général avec notre tarif actuel.
L'HON. M. CAMPBELL—L'hon. monsieur ne voit pas que lorsque les différents tarifs auront été rendus uniformes, ils 285 ne produiront pas les mêmes revenus qu'aujourd'hui.
L'HON. M. CURRIE—Je comprends très bien que vous donnez aux provinces maritimes des priviléges que nous n'aurons pas. Les hon. ministres nous parlent des importations que nous ferons des provinces maritimes. En 1863 les importations de charbon de la Nouvelle-Ecosse se sont montées, en tout, à $67,000. Ils ont aussi parlé du commerce des pêcheries, mais pourquoi aller chercher du poisson sur ces côtes, quand nous pouvons dans nos eaux prendre le plus beau poisson du monde ! De plus, la confédération ne nous donnera, pour les pêcheries, aucun privilége que nous n'ayons à présent. Aujourd'hui nos pêcheurs peuvent pêcher dans le golfe aussi bien qu'ils le pourront après la confédération. Nous aurons droit à ces pêcheries non pas comme membres de la confédération mais comme sujets anglais. Mais je reviens au commerce de ces provinces ; nous ne retirons que peu ou point de droits du commerce des provinces maritimes, de plus les revenus de ces provinces se composent en grande partie des exportations de l'une à l'autre qui seront perdues pour le gouvernement fédéral, vu qu'il ne pourra percevoir ces droits que sur les marchandises importées des pays étrangers. On nous a dit aussi que, dans la confédération, notre tarif serait considérablement réduit. Je suis fâché qu'on ait fait cette déclaration, car elle ne saurait être exacte. Si on a parlé de cette réduction du tarif, c'est évidemment pour influencer la législature de Terreneuve et des autres provinces. Mais si le tarif est diminué les Canadiens peuvent être convaincus qu'il leur faudra prélever 4 ou 5 millions de piastres par d'autres moyens. Le tarif étant réduit on aura donc une taxe sur les terres. J'en suis maintenant à l'injuste répartition de la dette. J'ai toujours cru que le revenu était la vraie garantie qu'un pays peut fournir de payer sa dette. Or, d'après les tableaux publiés par le ministre des finances, le Nouveau-Brunswick, avec un revenu de $1,000,000 entrera dans la confédération avec une dette de $7,000,000, tandis que le Canada, avec son revenu de $11,500,000 aura une dette de $62,500,000. Est-ce juste ?—Est-ce admissible ?—Est-ce même honnête ? En prenant pour base le revenu, le Canada, au lieu d'une dette de $62,500,000 aurait droit d'apporter dans la confédération une dette de $80,000,000, beaucoup plus forte que sa dette actuelle. On prétend aussi que le pays comprend parfaitement le mesure et en est satisfait. Pourquoi donc ces pétitions qui arrivent tous les jours à la chambre ? Et qui m'assure que nos populations, surtout du Haut-Canada, seront satisfaites du projet lorsqu'elles en connaîtront tous les détails ? Par exemple, la petite Ile du Prince-Edouard, avec une population de 80,857 âmes, c'est-à- dire moindre que celle d'un des colléges électoraux représenté dans l'autre branche de la législature, reçoit $153,728, et sera délivrée d'une dette de $240,633.
L'HON. M. CAMPBELL —Et pour combien contribue-t-elle au revenu ?
L'HON. M. CURRlE—Elle apporte les droits de douane et d'accise d'après le même tarif et d'après les mêmes lois qu'en Canada.
L'HON. M. CAMPBELL— Mais quel est e chiffre?
L'HON. M. CURRIE—Je trouve le revenu total de l'Ile fixé à $200,000. Mais n'allez pas croire, hon. messieurs, que toute cette somme sera pour le gouvernement fédéral, qui n'aura que la part provenant des droits d'accise et de douane sur les marchandises importées des pays étrangers.
L'HON. M. CAMPBELL—Ce qui représente le revenu total, moins $31,000.
L'HON. M. CURRIE—Mon hon. ami ne prétendra pas que la population de cette petite île,—population frugale et industrieuse, il est vrai,—fournit, par tête, au revenu plus que la population du Haut-Canada. Parlons maintenant de Terreneuve. Sa population est de 122,600 âmes—c'est-à-dire qu'elle est moindre que celle de Huron, Bruce et Grey , et moindre que celle du collége électoral représenté par mon hon. ami pour Saugeen ; néanmoins, elle recevra constamment $369,000 par année et sera délivrée d'une dette de $946,000.
L'HON. M. CAMPBELL—Et pour combien contribue-t-elle au revenu ?
L'HON. M. CURRIE—Elle apporte des droits de douanes et d'accise, rien de plus.
L'HON. M. CAMPBELL—Mais quel est le chiffre ?
L'HON. M. CURRIE—Je crois............
L'HON. M. CAMPBELL — Le voici : $479,000 par année avec le tarif actuel.
L'HON. M. CURRIE—Mon hon. ami ne prétend pas que Terreneuve n'a d'autres sources de revenu que les douanes et l'accise.
L'HON. M. CAMPBELL—Pas d'autres, et voila pourquoi elle reçoit $150,000.
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L'HON. M. CURRIE—Terreneuve recevra $106,000 par année, non seulement cette année mais toujours. Elle recevra aussi constamment 80 centins par tête. En outre elle recevra à l'avenir un bonus de $165,000 par année,—comment mon hon. ami explique- t-il cela ? Car enfin cette somme capitalisée représente $3,000,000 ;—il fait bon, à ce prix, entrer dans la confédération. Or, pourquoi reçoit-elle cette somme énorme ? Mon hon. ami nous dit que c'est en retour des riches terres de la couronne et des minéraux qu'elle remet au gouvernement général. Mais je ne sache pas que jusqu'à ce jour on ait retiré de l'île une seule tonne de charbon. Et quels autres minéraux peut-elle fournir ? Aucun. Ses terres de la couronne n'ont aucune valeur, du moins n'ont-elles rien produit depuis plusieurs années. Nous donnerons donc à Terreneuve $3,000,000, ou $165,000 par année, pour des terres qui n'ont pas de valeur. J'exagère peut-être un peu, mais je suis sûr qu'une loi cède gratuitement ces terres à toute personne qui veut aller s'y établir pour cinq ans. Et voilà les riches terrains pour lesquels nous allons donner $3,000,000 ! Mais mon hon. ami le commissaire des terres de la couronne nous dira peut-être que ces terres et minéraux, si peu de valeur qu'ils aient pour Terreneuve, vaudront $3,000,000 pour la confédération, et que l'île n'ayant pas d'autre source de revenu doit recevoir, en retour, cette subvention. Mais pourquoi Terreneuve n'a-t-elle pas d'autre source de revenu ? Pourquoi n'y a-t-on pas pris les moyens que nous avons employés nous-mêmes pour créer un revenu ? Et nous allons nous taxer pour lui fournir $165,000 par année ! Hons. messieurs, j'ai déclaré que l'annonce du projet de confédération avait surpris le pays. Je crois que cette déclaration était fondée. Avant de nous réunir ici nous n'avons eu que peu d'explications sur la partie financière du projet—point important. Je ne suis pas de ceux qui, favorables en principe à la confédération, y renonceraient pour un item de quelques centaines de piastres. Je prétends ceci, c'est que si la base du projet est injuste en ce qui concerne certaines parties contractantes, l'édifice qu'on veut élever tombera au seul souffle de l'opinion publique. Nous avons dû penser, en venant ici, qu'on nous soumettrait la mesure promise à la fin de la dernière session, mais c'est une toute autre affaire. Or, supposons que la mesure soit adoptée ici et   que les autres colonies la rejettent, quelle sera la conséquence ? Si j'ai bien compris, le consentement de toutes les provinces est nécessaire et si une seule refuse, la mesure tombe à plat. Le Canada demandait la mesure promise qui devait mettre fin aux difficultés entre les deux sections de la province. Mais la conférence de Québec a totalement changé notre position : on nous apporte un traité que nous devons adopter à priori sans y rien changer. Peu importent les détails, notre discussion n'est qu'une comédie. Même le délai raisonnable que je demande aujourd'hui sera refusé, je le crains bien, par le gouvernement. Hons. messieurs, pour vous faire voir combien il est nécessaire que la mesure soit juste et équitable envers tous ceux qui y sont concernés, je citerai les paroles d'un homme d'état distingué, une des gloires du Canada. Voici ce qu'il disait :
" Les populations du Canada n'approuveront aucune mesure qui contiendra le moindre germe d'injustice à l'égard de la moindre fraction du pays ; et si, dans la mesure soumise aujourd'hui, un tel germe d'injustice existe, le succès du projet sera gravement compromis. "
Voilà ce que disait, il y a quelques mois, l'hon. ministre des finances. Je découvre, dans le projet de confédération, des injustices flagrantes à l'endroit de certaines parties contractantes, et voilà pourquoi j'y suis opposé. On me dira qu'il n'appartient pas à cette branche de la législature d'entraver le projet, mais en cela je suis d'accord avec l'un des membres représentant un des plus grands colléges électoraux du Canada, ( l'hon. M. MACPHERSON ), quand il nous dit :
" Bien que la constitution interdise au conseil législatif de voter des deniers ou d'affecter des deniers à quelque objet, il lui reste la faculté de défendre avec zèle vos intérêts, et vous préserver d'une législation hâtive et irréfléchie, et d'empêcher le gaspillage des deniers publics. "
L'HON. M. MACPHERSON—Parfaitement vrai.
L'HON. M. CURRIE—Je partage entièrement les vues que l'hon. membre pour Saugeen a exprimées devant ses électeurs à ce sujet, et, le moment venu, j'espère que l'hon. membre sera fidèle à sa profession de foi. Or, qu'arrive-t-il aujourd'hui ? Le projet est manifestement injuste vis-à-vis de la section de la province représentée par cet hon. monsieur. Nous nous engageons à 287 construire le chemin de fer intercolonial sans savoir s'il coûtera quinze, vingt ou trente millions de piastres. La seule évaluation que nous ayons eue a été mentionnée par l'hon. membre pour Toronto, qui nous a dit que M. BRYDGES offrait de le construire pour dix-sept millions et demi de piastres.
L'HON. M. MACPHERSON —Cette chambre n'a pas à s'occuper des questions d'argent.
L'HON. M. CURRIE—Si l'hon. membre persiste dans cette opinion, il peut s'attendre à recevoir de rudes leçons au sujet des priviléges de la chambre. Ne devons-nous pas, en législateurs honnêtes, mettre le pays à l'abri des désastreux effets d'une législation hâtive et irréfléchie ? Ne peut-on pas appliquer ces deux epithètes au mode de procéder  qu'adopte aujourd'hui le gouvernement ?
L'HON. M. MACPHERSON —Je ne me place pas à ce point de vue et voici pourquoi ; mes électeurs ont examiné la question et sont parfaitement convaincus que cette mesure doit etre adoptée.
L'HON. M. CURRIE—On nous a dit que tout le projet reposait sur un système de concessions mutuelles. Or, quelles concessions a-t-on faites au Canada ? Quelles concessions a-t-on faites, en particulier, au Haut-Canada ? On comprendra pourquoi le Canada a tout cédé quand on saura que la petite colonie de l'Ile du Prince-Edouard, avec sa population de quatre-vingt mille âmes, a eu voix égale dans la conférence en face du Haut-Canada, avec son million et demi, et le Bas-Canada, avec un million et un quart d'habitants. ( Ecoutez !) C'est ainsi qu'a commencé le système des concessions de la part du Canada. Nous lui avons aussi cédé le droit de nous enlever le conseil législatif électif. ( Ecoutez !) Je défi aucun hon. membre de cette chambre d'établir que ce n'est pas à l'instigation des provinces maritimes que le principe électif a été abandonné. J'en appelle à ce qu'a dit, sur ce point, l'hon. ministre des finances dans son fameux discours à Sherbrooke. C'était une seconde concession. Mais voyez la constitution qu'on nous propose ! Les provinces maritimes n'ont, ensemble, qu'une population de 700,000 âmes. Cela pourrait faire croire qu'elles se seraient contentées, dans le conseil législatif, d'une représentation égale à celle du Haut-Canada, dont la population est double, et à celle du Bas- Canada, dont la population est aussi presque double. Mais non, au lieu de 24 membres, il leur en a fallu 28. Voilà trois concessions importantes et distinctes faites par le Canada aux populations des provinces maritimes. De plus, notre part de la dette dans la confédération, sera seulement de $62,000,000 au lieu de $82,500,000, comme c'est notre droit. En outre, nous assumons un fardeau de $15,000,000, et nous leur donnons, en entrant, un bonus annuel que, nous aurons à prélever dans le Haut-Canada au moyen de la taxe directe.
L'HON. M. MCCREA—La raison de cela est que les provinces maritimes nous aideront à payer notre dette.  
L'HON. M. CURRIE—Mon hon. ami pour la division Western dit qu'elles nous aideront à payer les dettes de la confédération. Mais ce n'est pas une raison pour que nous leur fournissions de quoi payer leur dette locale. Et n'est-il pas absurde d'accorder à chaque province tant par tête d'après sa population pour défrayer les dépenses des gouvernements locaux ? Tout le monde sait que la population des provinces maritimes n'augmentera pas à beaucoup près aussi vite que celle de cette province. L'accroissement de notre population fera donc que nous paierons beaucoup plus que nous ne recevrons. C'est une quatrième concession. La cinquième est faite au Nouveau-Brunswick. Nous lui donnons un bonus de $630,000, et nous construisons le chemin de fer intercolonial en faisant croire au peuple que ce chemin traversera toutes les villes du pays. La Nouvelle- Ecosse a le droit d'imposer un droit d'exportation sur ses charbons ou autres minéraux envoyés dans le Haut-Canada ou ailleurs. Terreneuve reçoit un petit cadeau de trois millions de piastres, ( en capitalisant la subvention annuelle comme je l'ai dit plus haut ), pour l'engager à s'unir à nous. Mon hon. ami pour Port-Hope nous a parlé des écoles communes du Canada ; à ce sujet on enlève, parait-il, d'un trait de plume un montant d'un million et un quart de piastres, —c'est encore, je suppose, une concession faite aux provinces maritimes. Et que nous donne-t-on en retour ? Rien de ce qui nous reviendrait de droit. Le Haut-Canada aura 17 membres de plus dans la chambre basse, c'est justice, mais les provinces maritimes nous en amèneront 47. On nous dit qu'on évitera ainsi les petites majorités. Et si tout va bien, nous aurons toujours, sous la nouvelle constitution, un gouvernement fort comme celui dont le ciel nous gratrifie 288 en ce moment. D'hon. membres ont dit que le peuple comprenait parfaitement la question. Pourquoi craindre alors de lui donner encore quelques mois pour l'examiner plus amplement ? Un peu de prudence et de précaution vaudrait mieux, ce me semble, qu'une précipitation dont le pays saura bien se plaindre plus tard lorsqu'il s'apercevra de l'injustice énorme qu'on lui a faite. ( Ecoutez !) Un fait extraordinaire est la variété infinie des raisons qu'on donne pour appuyer la confédération. Les uns la désirent parce qu'elle crééra sur le continent une nationalité nouvelle et indépendante. D'autres parce qu'elle cimentera l'union des colonies. Enfin un troisième parti appuie les résolutions parce que tout le système est si injuste que le peuple dégoûté bientôt, ne tardera pas à entrer dans la république Américaine. Pour ma part, je me fais l'idée suivante de ces résolutions : ce sont autant de harts et elles vont servir à faire des colonies un immense et informe radeau qui, dans peu, s'en ira à la dérive vers la confédération américaine ! ( Ecoutez ! et rires. )
L'HON. M. DICKSON—Hon. messieurs, après quinze jours de discussion, lorsque le sujet est presque épuisé, chacun sait combien est difficile la tâche de prendre la parole ; mais si je me suis abstenu de parler avant aujourd'hui, c'est que je voulais borner mes observations en principe de l'amendement présenté par mon hon. et savant ami de la division de Niagara. Je vais d'abord dire quelque mots qui me sont suggérés par la première partie du discours que l'hon. chevalier et premier ministre a prononcé en soumettant le projet aux délibérations de cette chambre. Cet hon. monsieur nous a dit que l'état de choses qui a existé durant les vingt-cinq mois qui précédèrent la formation du cabinet TACHÉ-MACDONALD avait nécessité l'initiative de mesures énergiques pour mettre fin à nos difficultés politiques. Ces difficultés, messieurs, qu'étaient-elles ? c'est que l'un après l'autre cinq gouvernements se sont succédé, que tous étaient incapables d'administrer les affaires publiques, si bien qu'ils eurent à résigner ou à rester avec une si faible majorité dans la chambre basse qu'ils ne pouvaient administrer les affaires du pays d'une manière satisfaisante. Le gouvernement TACHÉ-MACDONALD s'est trouvé dans la même position que les cinq qui le précédèrent, et il allait en appeler au pays, lorsqu'une voix se fit entendre au loin. Quelle était cette voix et d'où venait-elle ?
Cette voix était celle d'un grand homme, sollicitant la faveur de verser de l'huile sur les flots agités de la politique. ( Ecoutez ! écoutez !) La permission demandée fut accordée ; l'huile fut versée, et l'effet en fut miraculeux, car à la tempête succéda le calme ; mais la surprise ne fut pas peu grande lorsque peu de temps après on découvrit que cette huile magique venait directement des puits de Bothwell . ( Hilarité générale et prolongée. ) Ainsi que nous l'a appris l'honorable et vaillant chevalier, le gouvernement reçut une communication du vrai chef de l'opposition ; car, à n'en pas douter, il en était le véritable chef, et grâce à son apostasie, l'individu qui avait fait entendre cette voix se trouve aujourd'hui le véritable chef du parti ministériel. ( On rit. ) Cet homme sincère désirait faire des ouvertures dans le but, comme nous l'a dit l'honorable et vaillant chevalier, de mettre fin aux difficultés existantes. Il est, dit-on, entré dans le gouvernement pour régler cette seule question d'une nouvelle existence politique, et de ce, nous sommes justifiables d'inférer qu'après ce réglement il va se retirer de l'administration ou y occuper un plus haut poste. Eh ! bien, messieurs, quelles difficultés a-t-on reglées jusqu'ici ? aucune ; on a le projet dont la chambre est saisie et qui doit, paraît-il, mettre fin à toutes les difficultés et dissensions qui ont affligé le pays depuis ces vingt-cinq dernières années ; mais d'où vient ce remède ? de l'individu même qui, plus qu'aucun autre a été le fauteur de ces difficultés. ( Ecoutez ! écoutez !) Parlant de lui, l'hon. monsieur a dit une fois qu'il était une impossibilité comme homme d'état, mais il paraîtrait qu'aujourd'hui il n'en est plus une. Après que l'huile eut été jetée sur les eaux agitées, le moment de faire de petits et délicats arrangements entre le gouvernement et ce monsieur, dont on entendait toujours la voix lointaine, ne tarda guère à se présenter. Or, quels furent ces arrangements ? Le croiriez- vous ? l'hon. monsieur persista à vouloir se tenir à l'écart ; pour aucune raison au monde il ne voulait faire partie du gouvernement. ( Ecoutez ! écoutez !) Non, cent fois non ; il ne le voulait pas. ( Hilarité. ) Ce que voyant, les membres du gouvernement lui dirent: " Mais il faut que nous vous ayons parmi nous ; nous connaissons trop bien la force que vous pouver nous apporter pour que l'on consente à ce que vous vous teniez à l'écart. " Eh ! bien, il est 289 étonnant de voir de quels sacrifices les hommes publics sont parfois capables ! ( Rires ). En vérité, messieurs, il est surprenant de voir à quels sacrifices ils se dévouent pour le bien de leur pays ! ( On rit. ) Nous en avons ici un exemple très frappant ; un exemple des sacrifices que le patriotisme peut suggérer à un homme pour le salut de son pays. ( Hilarité. ) Car, à la suite du dernier des petits arrangements dont j'ai parlé, le monsieur dont la voix se faisait toujours entendre crut devoir pousser son dévouement jusqu'à accepter un portefeuille. ( On rit. ) Ce sacrifice étant consommé, il crut nécessaire de l'appuyer sur un principe, mais là était le point difficile. Quel principe était susceptible de s'étirer jusqu'à ce cas? ( On rit !) Malgré la difficulté, cependant, quelque génie inventif vint à son secours et lui suggéra de recourir au principe homéopathique. En effet, il entra au gouvernement à cheval sur ce principe, après avoir pris une dose infinitissimale de gritisme. ( Hilarité prolongée. ) Et voilà comment il se fait que nous avons aujourd'hui un gouvernement composé de trois ultra-réformistes et de neuf conservateurs. L'hon. monsieur dont je viens de parler se réprésenta à ses électeurs, qui lui redonnèrent son siége en cette chambre. Mon hon. ami de Toronto dit qu'il a été réélu par acclamation, eh ! bien, lorsque nous considérons que cet homme a été pendant des années le chef et le génie d'un grand parti politique composé de la majorité des représentants du Haut-Canada ; quand nous considérons sa haute intelligence et l'influence qu'il exerçait avec la plume qu'il maniait avec tant d'énergie, il n'est pas du tout surprenant qu'il ait été réélu par acclamation. Il fait aujourd'hui partie du cabinet, et ici je me permettrai une petite digression sur la position actuelle du gouvernement. Vous devez vous rappeler, hons. messieurs, que nous jouissons ou plutôt que nous avons joui d'un système de gouvernement qui compte en ce pays un grand nombre d'admirateurs, mais que quelques hons. messieurs admirent encore plus que la généralité du peuple. Ce système est connu sous le nom de gouvernement responsable, et si je comprends bien la valeur de ces mots, on entend par eux que le gouvernement du pays doit fonctionner selon les vues bien comprises du peuple exprimées par ses députés à l'assemblée législative. ( Ecoutez ! écoutez !) Cela étant admis, je puis donc objecter au gouvernement actuel pour la raison qu'il n'a pas été formé selon ce principe, pour la raison qu'il n'émane pas de la volonté du peuple. Je ne puis avoir pour lui le même respect que j'avais avant que trois de ses membres conservateurs du Haut-Canada se fussent retirés pour faire place à trois ultra-réformistes ; car alors tous les ministres, qui étaient des hommes conséquents et dont les talents pouvaient être avantageusement comparés à ceux des membres d'aucune administration qui a pu être chargée des affaires de cette province ou de toute autre, appartenaient au même parti. Tous étant d'accord sur les principales questions politiques, ceux mêmes qui leur étaient opposés ne pouvaient s'empêcher de ressentir pour eux un profond respect motivé par leur sincérité, honnêteté et fidélité comme conservateurs et comme hommes, je le crois, professant des principes de saine politique. Mais l'introduction des trois autres membres a changé du tout au tout le caractère du gouvernement, et la première œuvre à laquelle cette alliance impie met la main, bien entendu à l'instigation du chef à la voix lointaine, est à l'effet de renverser notre constitution. ( Ecoutez ! écoutez !) Lorsqu'une grande question vient devant cette chambre, et que, comme celle-ci, elle est destinée à rayer de nos lois toute une constitution pour lui en substituer une autre, je pense, hons. messieurs, que vous conviendrez avec moi que c'est là une des plus importantes mesures qui puisse émaner d'aucun gouvernement de la terre. ( Ecoutez ! écoutez !) Eh ! bien, je demande à ceux qui désirent ardemment de voir fonctionner le gouvernement responsable dans toute son intégrité si nous avons là une administration qui puisse être reconnue comme l'expression de la volonté bien comprise du peuple ? Un gouvernement qui se dit responsable devrait directement émaner des élections et non pas être l'œuvre des ministres. ( Ecoutez ! écoutez !) Je vous le demande, est-ce qu'à la dernière élection générale le peuple de l'une ou l'autre section de la province savait quelque chose de ce projet ? En élisant ses représentants, avait-il la moindre idée qu'ils auraient à se prononcer sur cette question ? La chose me paraît impossible, d'autant que la mesure est l'œuvre de l'individu dont j'ai parlé et qu'elle ne date que de la crise dans laquelle s'est trouvé le gouvernement TACHÉ- MACDONALD. A la dernière élection générale, le peuple ignorait que la législature allait être saisie d'une semblable mesure. Hons. messieurs, je ne me fusse pas levé 290 pour dire un seul mot, si le sujet soumis à nos délibérations ne nécessitait qu'une mesure ordinaire pouvant être passée à cette session et révoquée à la prochaine s'il y avait lieu ; mais si elles sont adoptées par toutes les législatures, ces résolutions vont faire partie d'un acte impérial, et tout changement que le peuple de ce pays pourra désirer sera loin de pouvoir s'obtenir facilement. La puissance qui établira la confédération en passant l'acte à cet effet sera la seule par laquelle tout changement pourra être effectué. Ainsi donc, après avoir adopté ces résolutions, nous n'aurons pas le pouvoir de les modifier en quoi que ce soit. Voilà, messieurs, une des raisons pour lesquelles je me suis abstenu d'adresser la chambre jusqu'au moment où serait proposée la résolution que vient justement de présenter mon hon. ami de la division de Niagara, et je prends cette occasion de dire que je ne pense pas que l'observation faite par un hon. membre, qu'il serait inconsidéré de la part de cette chambre de suggérer la dissolution de l'assemblée, puisse influer sur le sort de l'amendement qui est devant nous, car, messieurs, il ne comporte rien de pareil. Nous demandons un délai, et nous sommes entièrement de l'avis que vous remettiez la mesure jusqu'après la prochaine élection générale. Si le gouvernement croit que ce délai nuira à la mesure, la constitution lui offre un moyen d'obvier à ce danger,—un moyen que les convenances m'empêchent de lui indiquer plus clairement. Ce n'est pas un délai d'une semaine ou d'un mois que je veux: il en faut un beaucoup plus long. Je crois que la question doit être soumise à l'approbation du peuple, mais non pas selon la méthode du colportage, c'est-à-dire en allant de porte en porte pour connaître l'opinion des électeurs. Si nous ne pouvons obtenir que le peuple se prononce sur ce projet par la voie des élections, je n'ai que faire d'un délai. Je ne veux pas que l'opinion du peuple soit consultée à moins qu'on ne le fasse de manière à ce que l'on puisse se fier à l'expression de cette opinion. Si un hon. monsieur consulte une partie de sa division où les électeurs sont opposés au projet, tandis que dans l'autre ils sont en faveur, il ne sera pas plus avancé que s'il n'avait rien fait. Je ne suis pas non plus d'avis de faire voter les électeurs par " oui " ou " non " sur la mesure, ainsi que cela se pratique pour une loi de tempérance. ( on rit ). Je veux que l'on recoure au moyen que nous offre la constitution anglaise, où à rien du tout. Je ne souris pas à l'idée de voir les hons. membres aller de porte en porte demander à leurs commettants : " Etes- vous pour la confédération ?" ( on rit. ) J'aimerais autant les voir colportant des horloges en bois. ( Nouvelle hilarité ). Je le répète, hons. messieurs, tout le projet est sorti du cerveau fécond d'un seul individu. Cet individu a suggéré le projet au gouvernement ; ce dernier s'est adjoint cet individu, qui a proposé le moyen arbitaire dont nous sommes témoins de faire adopter cette mesure avec l'assistance de ses adhérents, et c'est ce qui va avoir lieu. Je le répète encore, tout cela nous vient de l'individu qui, pendant assez longtemps n'a fait que semer le trouble et la discorde, mais qui, s'il le peut, compte maintenant recueillir de meilleurs fruits. Il se peut que ce soit involontaire de sa part, mais je crois qu'il nous prépare là des difficultés du genre le plus grave. Il se peut, cependant, que cette mesure soit trouvée une des plus avantageuses qui ait encore été présentée à la législature, et si cela était, l'hon. député d'Oxford Sud en aura tout le mérite, car c'est à son initiative qu'elle doit d'avoir été produite ; mais si au contraire, tel que je le crains, elle doit avoir pour le pays les conséquences les plus désastreuses, et si elle n'est pas soumise au peuple constitutionnellement, cet hon. monsieur méritera et subira la plus amère des condamnations. ( Ecoutez ! écoutez !) Cela dit, je passe à la mesure elle-même, et veux faire connaître l'attitude que je compte prendre à son égard. Lorsqu'on proposa de changer le caractère de la constitution de cette chambre, je fis tous les efforts en mon pouvoir pour empêcher que cette proposition ne devînt loi, mais tous ces efforts, joints à ceux de quelques hons. collègues, ne serviront de rien, et nous dûmes nous contenter de faire inscrire le protêt suivant :-
" Premièrement.—Parce que l'acte d'union   donné au peuple du Canada, en ce que sa position coloniale pouvait le permettre, une constitution à peu près semblable à celle sous laquelle la Grande- Bretagne a atteint sa grandeur au milieu des nations, et que le conseil législatif, comme partie intégrante de cette constitution, a été dès lors établi sur sa base actuelle pour servir de frein aussi bien contre l'action trop précipitée de la branche populaire, que contre l'influence indue de la couronne.
" Secondement.—Parce que l'introduction du principe électif dans la constitution de la chambre haute, donne une prépondérance dangereuse à l'élément populaire, diminue l'influence salutaire 291 de la couronne, et fait disparaître cette balance qui a maintenu l'équilibre entre les deux pouvoirs depuis que des institutions représentatives ont été introduites dans cette colonie.
" Troisièmement—Parce que la mesure actuelle tend à l'anéantissement de la responsabilité exécutive ; à l'adoption d'une constitution écrite ; à l'élection de l'officier le plus haut placé de la couronne ; et à la séparation du Canada de la mère- patrie.— ( Signé,) P. B. DE BLAQUIÈRE, JOHN HAMILTON, GEORGES J. GOODHUE, WM. WIDMER, JAMES GORDON, J. FERRIER, R. MATHIESON, G. S. BOULTON, et WALTER H. DICKSON. "
Ainsi donc, hons. messieurs, le changement eut lieu en dépit de tout ce ne nous avons pu faire. Je repoussai alors le changement projeté d'après la propre idée que je m'en étais faite, car, ainsi que plusieurs hons. messieurs, je n'avais pas de commettants à consulter, et c'est encore de la même manière que je m'oppose au projet en discussion. Je n'objecte pas aussi fortement aux détails de la mesure que certains hons. messieurs, parce que je tiens compte du nombre de personnes qui ont pris part à la conférence et de la capacité de ces personnes ; je ne voudrais pas, par conséquent, avoir la témérité de prendre la parole pour indiquer une erreur ici, une erreur là, quand même je trouverais réellement des erreurs dans ces détails, à moins donc d'être convaincu que non seulement je possède un jugement plus sain qu'elles, mais encore que je suis plus qu'elles au fait de toutes les circonstances qui ont donné lieu à la question, soit directement ou indirectement. Mais, hons. messieurs, laissez-moi vous demander qui va le plus se ressentir de ces changements ? Le peuple canadien, et cela étant, il me semblerait juste que nous ayions au moins le droit de nous prononcer sur ce qui nous concerne aussi directement. ( Ecoutez ! écoutez !) Cela me semble une manière logique d'envisager la question ; je revendique aussi pour moi le droit d'exercer mon propre jugement dans la mesure des facultés que la Providence à bien voulu me donner, car je crois de mon devoir de me prononcer et d'inscrire mon vote selon que ma conscience me guide, et cela afin que tant que je vivrai je puisse être satisfait de la conduite que j'aurai tenue comme membre de ce conseil. ( Ecoutez ! écoutez !) Jamais je ne croirai que certains hons. membres qui se sont prononcés contre la continuation du système électif appliqué à cette chambre ont pu le faire avec la même satisfaction qu'ils éprouvèrent jadis en plaidant en faveur de l'introduction de ce système. Je me souviens parfaitement d'avoir dit, lorsque je reconnus que l'on était déterminé à appliquer le principe électif à cette chambre : messieurs, si ce principe est bon dans un cas, il doit l'être dans l'autre ; rendons aussi la charge de l'orateur élective. Non, non, cela ne ferait pas, me fut-il répondu. C'est du républicanisme que vous voulez-là. On ne voulut pas consentir à ce que cette charge devint élective ; le gouvernement eut perdu là une occasion d'exercer son patronage. Depuis ce temps les fonctions d'orateur sont devenues électives, et la chambre doit en conséquence admettre que j'avais alors raison. Je m'opposais à ce que cette chambre devint élective, mais une majorité réussit à lui appliquer ce principe, et voilà maintenant que l'on veut reconférer à la couronne le droit de nommer à ce conseil ; de sorte que lors du premier changement j'avais aussi raison de m'y opposer. ( Ecoutez ! écoutez! et rires. ) Lorsqu'il fut proposé d'accorder trois millions au chemin de fer Grand Tronc, je vis qu'au fond de tout cela existait un but politique, et je votai contre ce crédit. Je m'opposai de même aux octrois faits aux voies ferrées d'Arthabaska et de Port Hope à Peterboro, parce que je considérai que c'étaient là autant de moyens commodes d'acquérir des adhérants en chambre sous le prétexte d'obtenir des fonds pour le Grand Tronc. Ces embranchements furent dénommés voies d'alimentation (feeders ), mais moi je les ai appelés des gouffres ( suckers), trouvant que cette qualification leur allait beaucoup mieux. ( On rit. ) Et je me sens fier d'avoir tenu cette conduite à l'égard de ces questions. Je suis prêt à admettre qu'au point de vue matériel le Grand Tronc est très avantageux à la province, mais je crois qu'on paie un peu trop cher le siflet qu'il fait entendre. ( Hilarité. ) Sachant combien nous a coûté cette voie ferrée qui traverse la plus belle partie du pays, je suis disposé à me montrer très prudent à l'égard de la construction du chemin de fer intercolonial. ( Ecoutez! écoutez !) J'ai été souvent à même de connaître la valeur des renseignements de mon hon. ami ( M. Ross), et j'aime à me tenir assez près de lui, car si je sors de la voie, il a cette heureuse faculté de pouvoir m'y remettre. Je lui demanderai donc si dans ses observations de cette après-midi, il a ou non voulu dire que depuis l'Union le peuple n'avait pas demandé que la chambre haute devint élective ?
L'HON. M. ROSS—J'ai dit que le peuple 292 du Haut-Canada, généralement, n'avait pas demandé ce changement : je sais très bien, par exemple, que dans le Bas-Canada ce sujet a donné lieu à une agitation.
L'HON. M. DICKSON—Bien ; on voit dans les journaux du conseil législatif de 1855, que le 21 mai, lorsque la seconde lecture du bill pour rendre cette chambre élective fut refusée, les lignes suivantes furent inscrites par huit hons. membres comme étant les motifs de leur dissentiment sur ce vote :-
" Parce que l'opinion publique s'est depuis longtemps et à différentes reprises exprimée sur la nécessité de rendre cette branche de la législature élective ; parce que le vote presque unanime de l'assemblée législative, sans égard aux partis, a, d'une manière non équivoque, ratifié cette expression du sentiment populaire ; parce que l'opposition de cette chambre au vœu universel des habitants du Canada, sans être appuyée par un parti, soit dans l'autre branche de la législature ou en dehors d'icelle, est sans précédent et de nature à causer les plus sérieuses appréhensions. "
Le premier, hons. messieurs, qui signa ce protêt, fut l'hon. JOHN ROSS; le deuxième, mon hon. et vaillant ami Sir E. P. TACHÉ ; les hon. MM. PANET, BELLEAU, ARMSTRONG, PERRY, LÉGARÉ et CARTIER venaient après eux. Après avoir pu observer comme je l'ai fait les heureux résultats de l'application du principe électif à cette chambre, je ne puis faire autrement que d'exonérer tous ces messieurs d'avoir voulu introduire ce système ; mais ce que je ne saurais comprendre, c'est qu'ils aient pu craindre que le refus d'appliquer ce principe serait la cause de résultats fâcheux, et qu'à dix ans de distance, pendant lesquels ce principe a été mis en pratique avec un heureux succès, ils veuillent que l'on revienne au système trouvé alors si défectueux et dont le peuple ne voulait plus. ( Ecoutez ! écoutez !)
L'HON. M. ROSS —J'étais alors membre du gouvernement et je cherchais à faire prévaloir sa politique.
L'HON. M. DICKSON —De ce, je puis donc inférer que l'hon. monsieur n'exprimait pas alors ses propres sentiments, mais seulement ceux du gouvernement dont il faisait partie. Je n'ai jamais été membre du gouvernement, et il est probable que pour cette raison on me pardonnera de n'avoir pas compris que l'hon. monsieur avait deux manières de voir dont il usait à tour de rôle, selon que les circonstances l'exigeaient. ( Hilarité. ) Revenons maintenant au sujet de l'amendement. Je désire et demande, pour d'autres motifs que ceux que j'ai déjà fait connaître, que la discussion du projet soit remise à plus tard. Dans ses observations d'hier, mon hon. ami le vaillant chevalier, a crié de l'incendie du parlement, et comme lui je déplore sincèrement cet acte de vandalisme ; mais il a ajouté que si les conservateurs du conseil législatif eussent eu un peu de prudence et le courage de leurs opinions, ils auraient remis à une autre année le projet de loi des indemnités de la rébellion, ce qui, en toute probabilité, eut empêché la perpétration des actes scandaleux qu'il a cités. Eh ! bien, hons. messieurs, je vous demande d'adopter cette opinion de l'hon. chevalier et d'agir en conséquence à l'égard du projet sur lequel nous délibérons. ( Ecoutez ! écoutez ! et rires. ) Vous ne savez pas quelles désastreuses conséquences pourront découler de ce vaste projet si on l'adopte sans consulter le peuple selon la constitution. J'entretiens l'espoir que vous laisserez peser de tout son poids —sur la question d'ajourner l'adoption de ce projet—le puissant argument de l'hon. chevalier. ( Ecoutez ! écoutez !) Il s'agit ici, messieurs, non pas de voter quelques milliers de louis, mais d'opérer une révolution. Une révolution peut aussi bien se faire par l'exercice du pouvoir politique que par la force physique : dès que le gouvernement d'un pays est bouleversé, peu importe à laquelle de ces causes est dû ce bouleversement ; ce n'en est pas moins une révolution, et l'effet est le même pour le pays. La proposition qui nous est faite a pour but de remplacer notre constitution par une autre qui peut être meilleure ou beaucoup moins bonne. Voyant qu'il ne s'en faut que cinq minutes pour six heures, je vais me hâter de conclure. ( Cris de " parlez ! parlez !" ) Eh ! bien, puisque les hon. messieurs paraissent le désirer, je ferai quelques nouvelles observations à la reprise de la séance après dîner. —Un message est reçu de l'assemblée, et le conseil ajourne jusqu'à huit heures, p.m. A la reprise de la séance-
L'HON. M. DICKSON continue en ces termes :—La grande raison qui me porte à demander un délai se comprend sans peine, car par l'adoption des résolutions présentées par le cabinet, on va changer la constitution du pays sans consulter le peuple qui est le principal intéressé. Je n'ai pas encore entendu une seule observation des ministres ni d'aucun hon. membre qui démontrât la nécessité de hâter ainsi la passation de cette 293 mesure, qui devrait être retardée jusqu'aux prochaines élections générales, et en disant cela, je prie les hons. messieurs de remarquer que je ne suggère nullement la dissolution de l'autre branche de la législature ; mais s'il y a réellement nécessité de se hâter, la constitution offre au gouvernement le moyen de recourir sans retard à l'appel au peuple. Mon hon. ami d'en face dit que sans en appeler au pays ou a bien enlevé à la couronne la prérogative de nommer à cette chambre, et que l'on peut encore faire de même pour reconférer à la couronne cette prérogative sans qu'il en résulte aucun mal. Messieurs, nous avons fait là une expérience qui a bien réussi, pourquoi alors ne pas nous y tenir ? En cette circonstance, nous avons perfectionné la constitution ; or, que propose-t-on de faire aujourd'hui ? D'enlever au peuple un pouvoir sans aucunement le consulter. Eh ! bien, je dis avec force que ce n'est pas ainsi qu'il faut en agir. Ce pouvoir qui lui à été conféré et qui ajoute à ses franchises politiques, il ne l'a jamais demandé, et vouloir le lui ôter aujourd'hui, sans presque le prévenir, serait insulter à sa dignité. N'est-ce pas là le principe fondamental du régime sous lequel nous vivons, que le peuple, par l'intermédiaire de ses députés, doit être consulté sur la composition de son gouvernement ? Quant à l'entente entre électeurs et représentants à l'égard de ce projet, il n'en existe aucune, et si j'ai demandé ce délai c'est que je pense qu'il n'y a nullement lieu de se hâter. La constitution donne les moyens de connaître les vues du peuple, et le devoir du gouvernement est de s'en servir. D'hons. messieurs disent : " Oh ! ne travaillez donc pas à faire faire des élections générales avant le temps voulu ; nous en avons eu assez depuis cinq ans. " Or, hons. messieurs, que comptet-on faire une fois ces résolutions passées ? Est-ce que leur adoption ne donnera pas lieu à une nouvelle élection avant 18 mois ? Il est une autre observation que je désire faire à l'égard des hons. membres qui veulent connaître l'opinion de leurs commettants en allant de porte en porte leur demander s'ils souscrivent à la première résolution, à la seconde, et ainsi de suite pour toutes les autres. Je ne crois pas que ce serait là un bon moyen de connaître les vues de vos électeurs. La bonne manière d'obtenir ces renseignements, pour un député, serait de réunir ses commettants dans la grande salle de quelque hôtel ou autre édifice, et de leur soumettre tout le projet, tout en faisant des commentaires conformes à ses opinions sur les divers articles qui le composent. En ce faisant, il parviendrait à leur inculquer ses propres vues. Je n'ai encore entendu qu'un seul membre qui ait mentionné le fait d'avoir reçu les résolutions et de les avoir remises immédiatement dans leur enveloppe — parce qu'elles portaient la suscription de " personnelle "—et cela sans chercher à connaître l'opinion de ses électeurs à leur sujet. J'entretiens l'espoir que l'on trouvera quelque moyen de mettre à effet l'amendement proposé par mon hon. ami de la division de Niagara. Cet amendement ne fait qu'énoncer :
" Que sur une question d'une aussi grande importance que celle de la confédération projetée du Canada et de certaines autres colonies anglaises, cette chambre se refuse à assumer la responsabilité de consentir à une mesure qui renferme tant de graves intérêts, sans que l'opinion publique ait l'occasion de se manifester d'une manière plus solennelle. "
Ainsi, hons. messieurs, à ceux qui veulent prendre la responsabilité de priver le peuple d'une occasion de se prononcer sur une question aussi grave que celle d'un changement de constitution, de voter contre l'amendement, à ceux qui veulent le contraire de voter pour son adoption ! Cet amendement exprime bien mes vues, et comme je ne me guide que d'après mon propre jugement, n'ayant pas de mandataires à consulter, je voterai pour l'affirmative. S'il est rejeté, le cabinet n'en persistera que plus à faire adopter son grand projet de confédération sans consulter le pays, mais il va sans dire que sous le système actuel de gouvernement responsable il sera aussi tenu d'en prendre la responsabilité.
L'HON. M. CAMPBELL—Hons. messieurs.—J'aimerais à pouvoir continuer les débats sur le ton et avec le même esprit qui ont marqué le discours de mon hon. ami qui vient de s'asseoir. J'envie beaucoup mon hon. ami pour la possession de cette heureuse faculté qui lui permet d'amuser et d'instruire la chambre en même temps. Je regrette un peu d'avoir à attirer l'attention des hons. membres sur ce qui est peut-être plus important au point de vue des affaires et moins intéressant que les remarques qui eut été faites par mon hon. ami. Je dois dire que je regrette beaucoup que mon hon. ami ait cru qu'il était de son devoir d'appuyer l'amendement particulier qui est maintenant 294 en discussion, parce qu'il est évident pour moi, comme il doit l'être pour tous les hons. membres présents, que mon hon ami, tout en appuyant l'amendement, partage des opinions tout à fait différentes de celles qui ont été énoncées par l'hon. représentant de Niagara, qui l'a proposé. Mon hon. ami dit :
" Si l'on doit avoir du délai, que ce soit un délai sérieux ; que ce soit un délai qui entraînera la dissolution du parlement ; un délai qui puisse permettre au peuple de se prononcer, mais seulement de la manière reconnue par la constitution anglaise. "
Je puis respecter ce sentiment. Il y a quelque chose de réel dans un argument basé sur ce principe. Je lui rends la justice de croire qu'il exprime cette opinion avec le sincère désir que le délai ne nuise pas au projet, mais qu'il soit adopté par le peuple lorsqu'il lui sera soumis. Cependant, hons. messieurs, comparez cette opinion avec l'idée suggérée par l'hon. membre qui a proposé cette résolution. Que veut-il ? Non pas qu'il y ait un délai tel qu'il puisse permettre au peuple de s'exprimer de la manière que le font la Grande-Bretagne et toutes ses colonies, mais de cette manière qui, comme l'a si bien dit mon hon. ami ( M. DICKSON ), ressemble plutôt au colportage d'horloges qu'à rien de ce qui se rattache aux procédés constitutionnels anglais ? Que dit l'hon. membre ? Il dit : donnez-nous vingt jours ou un mois.
L'HON. M. CURRIE— J'ai dit que c'était là le délai le moins long que je voulais demander.  
L'HON. M. CAMPBELL—Que pourriez- vous faire durant ce délai de vingt jours ou d'un mois ? Est-il possible que le peuple se prononce d'une manière constitutionnelle en vingt jours ou un mois ? L'hon. membre sait très bien que cela n'est pas possible, et que sous aucun système de gouvernement, la législature ne pourrait sanctionner un plan comme celui qu'il a suggéré. Le peuple de l'Etat de New-York, ou d'aucun autre Etat de l'Union, sanctionnerait-il un pareil acte ? Au contraire, il adopterait de suite le moyen de faire soumettre le projet à un vote direct du peuple. Si vous adoptez le moyen constitutionnel anglais, il faudra alors une dissolution du parlement ; mais si vous adoptez le système américain, le peuple sera appelé à voter par " oui ou non " sur le projet tel qu'il est. Qu'on s'exprime d'une manière ou d'une autre, franchement et constitutionnellement, selon notre système de gouvernement—mon hon. ami ne demande pas cela.
Il veut faire ajourner la question, d'une manière ou d'une autre, pendant vingt jours ou un mois, et je suis fâché de voir que mon hon. ami qui a parlé en dernier lieu ait cru devoir adopter un plan si contraire à ce que je sais être ses opinions sur ce qui est juste et convenable, d'après les idées constitutionnelles et britanniques qu'il professe. Je suis fâché qu'il ait été induit à adopter un plan qu'il ne préconise évidemment pas pour les mêmes motifs que ceux qui font agir mon hon. ami de Niagara.
L'HON. M. DICKSON—J'approuve la résolution telle qu'elle est, et je maintiens les idées que j'ai énoncées. J'ai toujours prétendu qu'une élection générale était le moyen constitutionnel convenable pour connaître l'opinion du peuple, et j'ai dit expressément que je ne tenais pas à avoir un délai de quelques jours.
L'HON. M. CURRIE—Tout ce que j'ai suggéré, c'est que le gouvernement pourrait au moins donner vingt jours ou un mois, s'il ne voulait pas accorder davantage. Comme de raison, je désire obtenir ce que mon hon. ami, ( M. DICKSON ), a demandé.
L'HON. M. CAMPBELL —J'espère qu'au contraire l'hon. membre retirera son appui à l'amendement lorsqu'il verra qu'il n'est pas d'accord avec son auteur, qui suppose, évidemment, que l'on recourra à d'autres moyens que ceux connus de la constitution anglaise pour connaître les vues du peuple, comme ceux, par exemple, que les membres pourraient prendre en allant de porte en porte, en tenant des assemblées, et en se rendant agréables à leurs commettants par leur hospitalité, etc. Je suis très-certain que ce n'est pas là l'idée de l'hon. membre en face de moi. Je suis également persuadé que ce n'est pas non plus celle d'aucun hon. membre qui désire la confédération des provinces. Il ne saurait vouloir que ces résolutions—vu leur importance majeure et la nécessité où l'on se trouve d'en venir à une prompte décision à leur égard—soient mises de côté en attendant que mon hon. ami de Niagara ait été frapper à chaque porte de sa grande division pour connaître les vues de ses électeurs sur chacune d'elles. Mon hon. ami est chargé de représenter ses mandataires dans cette chambre, et il est à supposer qu'il est bien capable, au point de vue de l'intelligence et du jugement, de remplir ce devoir lorsqu'il est appelé à dire si, dans son ensemble, le projet sera ou non avantageux au pays ; ( écoutez ! écoutez !) 295 mais il semble ignorer tout cela. Il nous paraît ne pas vouloir se prononcer sur cette mesure. Il ne veut pas dire s'il l'a trouvée assez défectueuse pour voter contre. S'il ne peut prendre une décision, il devrait alors résigner et donner sa place à quelqu'un de plus décidé. Mais considérez donc la position d'un homme qui vous dit :
" Je n'ai pas d'opinion à moi ; si les électeurs que je représente sont pour le projet, je n'aurai rien à dire. Bien que je le désapprouve, je voterai en sa faveur pour plaire à mes électeurs. "
Qu'il donne à ses mandataires le bénéfice de son jugement, et après avoir réfléchi qu'il y a cinq provinces et un nombre infini d'électeurs à consulter, il verra, messieurs, que ce qu'il désire ne saurait être mieux constaté que par cette chambre. Il dit que ses commettants ne l'ont pas chargé de changer la constitution ; cela est vrai, mais ils lui ont imposé le devoir d'exercer son meilleur jugement sur tout sujet soumis à cette chambre. Nous ne sommes pas ici expressément pour modifier la constitution ; nous n'avons pas le pouvoir de la changer quand nous voulons, mais nous avons un devoir sacré à remplir : celui d'exprimer nos vues à l'égard de tels changements qui peuvent être jugés avantageux pour le pays. ( Ecoutez ! écoutez !) Est-ce que ces résolutions changent la constitution ? Pas du tout. Elles ne font qu'affirmer que ces changements sont à désirer. Les autorités impériales seules peuvent changer la constitution. En cela nous nous tenons dans les limites de notre mandat. Nous n'avons pas le pouvoir d'amender la constitution, mais nous avons celui d'exprimer nos vues dans une adresse à Sa Majesté—qu'il est question de faire adopter par toutes les législatures—déclarant que tels et tels changements seraient, selon nous, avantageux au pays. En cela nous ne faisons que remplir le devoir qui nous est imposé. Nous donnons à nos commettants le bénifice de notre expérience et de nos convictions honnêtes sur les sujets soumis à nos délibérations. Cette chambre n'a-t-elle pas déjà adopté des résolutions qui avaient pour but de modifier la constitution ? A-t-on dit alors qu'il ne lui appartenait pas de discuter ces résolutions ? Il paraît que non. Le premier changement demandé était à l'effet de permettre l'usage de la langue française dans la chambre du parlement. Les hon. membres auraient pu dire alors qu'ils n'avaient pas le pouvoir de demander cette permission, mais l'idée ne leur en est jamais venue.
UN HON. MEMBRE—La résolution à cet effet passa à l'unanimité.
L'HON. M. CAMPBELL—Je n'avais pas alors l'honneur d'avoir un siége en cette chambre, mais je suis heureux d'entendre dire que cette résolution fut unanimement adoptée. Le changement réclamé ensuite avait trait à la composition de ce conseil, dont tous les membres étaient autrefois nommés à vie, et qui, en 1856, devint électif. N'était-ce pas là changer la constitution ? Cependant, personne ne songea à représenter alors que cette chambre n'avait pas le droit de passer une semblable résolution. Nous sommes pourtant aujourd'hui dans la même position, et il me semble futile et illogique de prétendre que nous n'avons pas le pouvoir de faire ce que l'on se propose en passant ces résolutions, c'est-à-dire de prier la Reine de vouloir bien changer la constitution de cette province, de manière à ce que nous soyons unis sous un seul gouvernement avec les autres provinces de l'Amérique Britannique du Nord. Je suis parfaitement convaincu qu'après avoir refléchi, les hons. messieurs reconnaîtront qu'ils n'outrepasseront aucunement les pouvoirs à eux confiés par leurs mandataires. Mon hon. ami de Niagara suggère cet amendement dans un but peu élevé comparativement aux motifs qui portent l'hon. membre vis-à-vis de moi à lui donner son appui. Il se dit en faveur de l'union mais opposé à quelques uns des détails du projet. Cela me fait peine de voir un hon. membre, qui avoue être favorable à l'union, s'appuyer sur une objection à certains détails pour s'y opposer. Est-ce que mon hon. ami propose sérieusement de soumettre au pays tous ces détails divers ? Pense-t-il, réellement, que le peuple pourra bien juger de tous ces détails ? Tout ce qu'il pourrait obtenir serait l'expression de l'opinion générale en faveur de la confédération. Nous sommes tous convaincus qu'elle serait dans ce sens. Je crois que nous ne comptons que deux ou trois membres de cette chambre qui soient réellement contre la confédération. Consultez dix mille habitants du pays, et vous en trouverez neuf sur dix pour l'union.
PLUSIEURS HONS. MEMBRES - Non, non.
L'HON. M. CAMPBELL—Eh ! bien, je me soumets à l'opinion des hon. membres du Bas-Canada, car je ne puis prétendre connaître aussi bien qu'eux les sentiments de 296 leurs mandataires. Quant au Haut-Canada, par exemple, je suis en mesure de pouvoir en parler aussi bien que nul autre représentant, et je n'hésite pas à dire que là le peuple est presque unanime pour la confédération. Je suis convaincu que si la question était soumise par la voie d'une élection générale, tout le Haut-Canada voterait en masse pour la mesure.
L'Hon. M. CURRIE—Ecoutez ! écoutez!
L'Hon. M. CAMPBELL—Mon hon. ami de Niagara dit par ironie : écoutez ! écoutez ! Mon hon. ami trouve à redire sur toute assertion qui peut se faire ; il cherche à. répandre le doute sur les calculs présentés en faveur de la mesure ; il a recours à tous les moyens d'opposition que son imagination peut inventer ou que son habileté lui permet de trouver, si bien que j'ai de la peine à comprendre comment cet hon. monsieur peut être en faveur du projet, lui qui saisit toute occasion de l'attaquer, et qui, quand on l'accuse d'hos tilité, se retranche derrière de prétendues objections à ses détails. (Ecoutez écoutez !) Cela me fait croire que ses sentiments ne sont pas sincères, et qu'il veut détruire les véritables fondements sur lesquels repose la confération, non pas peut-être parce qu'il est opposé au principe fédératif même, ni parce que celle projetée n'est pas selon ses goûts, mais seulement pour le plaisir d'apporter des entraves au succès de ceux qui se sont honnêtement dévoués à l'œuvre qui est maintenant soumise à la chambre. S'il était donné au peuple de pouvoir exprimer son opinion ainsi que nous pouvons exprimer la nôtre ce soir, j'affirme, hons. messieurs, qu'il adhérerait spontanément à la première résolution. (Écoutez ! écoutez !) aintenant, messieurs, puisqu'il est entendu que nous sommes tous en faveur de l'union, comment allons-nous en régler les détails ? Est-il possible que les quatre millions d'âmes des provinces qui doivent entrer dans l'union puissent s'entendre pour le règlement de ces détails ? Certainement non ; et ceux qui prétendent que le projet devrait émaner du peuple en connaissent très bien l'impossibilité. Eh ! bien, alors, les parlements de ces provinces pourraient-ils, réunis ensemble, convenir d'un projet de confédération ?   Pour faire adopter le projet par cette chambre, voyez les difficultés auxquelles nous sommes en butte sur chaque point de ses détails, et jugez ensuite si, pouvant se réunir ensemble, les parlements de toutes les provinces pourraient parvenir à régler les détails d'une confédération. Le seul moyen pratique- et c'est celui-là que nous avons choisi—se trouve dans la réunion de délégués chargés de rédiger des résolutions sur le sujet, et d'après lesquelles l'acte constituant 'union doit être édicté. D'hons. messieurs ont demandé qui avait autorisé ces délégués à se réunir pour préparer ces résolutions, et pourtant ils savaient très bien que notre gouvernement actuel a été formé dans le véritable but d'élaborer et de soumettre un projet de ce genre. Sur ce point encore mon hon. ami de Niagara s'esquive en alléguant que le cabinet ne se proposait de préparer un projet de fédération que pour le Canada seulement, et que l'idée de faire entrer toutes les provinces dans cette confédération n'était que secondaire ; mais l'hon. membre sait mieux que personne que cette allégation n'est qu un prétexte. Nous savions tous que le cabinet ferait tous les efforts pour surmonter les difficultés qui entravaient la marche du gouvernement Canadien, soit à l'aide de l'un ou de l'autre projet. L'hon. monsieur a cité la partie du discours du trône à la lôture de la dernière session qui a trait à l'établissement d'une union fédérale des deux sections de cette province, et non à celle de toutes les provinces. Pourquoi donc n'a-t-il pas consulté et cité aussi le iscours du trône à l'ouverture de cette session ; il eut trouvé dans les lignes qui vont suivre de quoi rendre inutile son allégation :-
" A la clôture de la dernière session du parlement, je vous informai que j'avais intention, de concert avec mes ministres, de préparer et de vous soumettre une mesure pour la solution du problème constitutionnel dont la discussion agite la province depuis quelques années. Une considération attentive de la position générale de l'Amérique Britannique du Nord a porté à conclure que les circonstances des temps offraient l'occasion, non simplement de régler une question de politique provinciale, mais de plus de créer simultanément une nouvelle nationalité."
Ainsi, mon hon. ami prétend que nous avons eu tort de saisir l'occasion qui s'est offerte d'essayer d'unir en une nation ces provinces sous le gouvernement d'une vice- royauté émanant de la couronne britannique, et pourtant, tout hon. membre devrait au contraire avouer que non seulement nous avions le droit de nous réunir ainsi, mais encore que nous n'avons fait que tenir la promesse faite à la législature à la fin de la dernière session du parlement. En vérité, messieurs, je suis surpris autant 297 que chagrin de ce que mon hon. ami,—que je sais bon patriote et fidèle sujet de Sa Majesté,—n'ait pas senti qu'il était de son devoir de s'unir à nous pour atteindre le but qui nous est le plus cher, en un mot, pour resserrer davantage ces liens qui nous unissent à la mère-patrie et mieux perpétuer les institutions anglaises sur ce continent. (Ecoutez ! écoutez !) Mon hon. ami ne voit dans tout le projet que concessions aux provinces maritimes ; eh! bien, qu'il aille dans aucune partie des provinces inférieures, et qu'il écoute ce qui s'y dit contre le projet, et il verra que le seul argument de ceux qui, comme lui, ne réfléchissent pas à la nécessité de faire des concessions lorsqu'il s'agit du bien commun, ne tend à rien moins qu'à affirmer que ces provinces ont tout concédé au Canada. Il entendra dire à quelques uns : "nous allons nous unir à une province très supérieure à nous sous le rapport de la popu lation et des richesses, et dont les hommes publics, par leur habileté, sont en mesure de commander une plus grande influence que les nôtres." A les entendre, on croirait que ces provinces vont être reléguées au second plan, et que tout ce qu'elles pourront désirer sera à peine écouté. Oubliant ce qu'il doit au gouvernement et ses devoirs de citoyen envers son pays, mon hon. ami ne songe qu'à trouver défectueux les détails d'un projet qu'il croit être avantageux pour le pays ; non seulement il se plaint de ce que le peuple canadien n'a pas été consulté mais il trouve encore que sur tous ces points les intérêts du Canada ont été sacrifiés. Oublie-t-il que tous les membres du cabinet aiment leur pays, et qu'ils y ont des intérêts aussi chers que ceux du reste du peuple ? Est-il à présumer que mon hon. ami le premier ministre voudrait sacrifier tout ce qui est cher à sa race et au peuple de cette province ? Est-il à croire qu'aucun de nous voulût délibérément faire abandon d'un avantage que nous aurions pu conserver ? Si mon hon. ami pouvait être amené à juger la mesure avec cet esprit de libéralité ne que devrait savoir apporter tout homme public, il admettrait que, bien que nous ayons cédé quelques choses, nous avons fait pour le mieux dans l'intérêt du pays. Qu'il se trouve, ainsi que nous l'avons été, assiégé par mille intérêts divers : particularités ici. préjugés la, et grands intérêts d'un autre côté, et qu'il produise ensuite, s'il le peut, un projet dont l'ensemble soit plus avantageux au peuple de cette province ou qui, en général, promette plus au pays que la mesure actuellement sur le bureau de cette chambre ! Qu'il fasse cela, et je lui pardonnerai le manque de libéralité dont il s'est rendu coupable envers ceux qui ont travaillé de leur mieux à. l'élaboration du projet sur lequel nous avons à décider. (Ecoutez ! écoutez !) Je pourrais lui pardonner tout à fait si, comme mon hon. ami en face de moi il ne voulait que retarder l'adoption du projet jusqu'après une élection générale : mais loin de là il met tout en œuvre pour préjuger la chambre contre la mesure. J Je pense que, pour obtenir son rejet, il est disposé à tout ; et je pars de là pour dire qu'il n'est guère facile de le croire un partisan sincère de la confédération. Il est bien facile de dire : je suis en faveur du projet, mais opposé à. quelques-uns de ses détails ; mais est-ce que chacun de ces dé ails n'a pas été pesé, discuté, autant que faire se peut, sur tous ses points, par des hommes intelligents et aussi bien renseignés sur le sujet que n'importe quel hon. membre de ce conseil? Tous ceux qui m'entendent savent très bien qu'il n'était pas possible d'arriver à un projet sans défaut. Quand même un autre projet eût été présenté à cette chambre, voire même celui de mon hon. ami, s'il eut été capable d'en soumettre un infiniment supérieur à celui que nous discutons, quelqu'un croit- il que certains hons. conseillers lui auraient donné leur appui ? Les résolutions peuvent bien être défectueuses ici et là, mais les hons. messieurs doivent tenir compte des circonstances qui ont donné lieu à leur origine et juger d'après elles si cette chambre doit ou non les adopter dans leur ensemble. D'hons. messieurs ont aussi demandé ce que le Canada allait gagner à. une confédération ; eh ! bien, à mon tour je demande si le Canada ne trouvera pas avantageux de voir disparaître les obstacles que créaient aux relations entre les provinces, les droits de douane,—obstacles dont la disparition aura l'effet de développer le commerce du St. Laurent? Pourra-t-on dire que le peuple des provinces maritimes ne trouvera pas qu'il doit gagner à l'ouverture d'un commerce avec ces trois millions d'âmes qui habitent le long du St. Laurent et des lacs ? Tout sujet Anglais qui veut maintenir notre alliance avec la mère-patrie peut-il dire :—" Je préfère que nous restions seuls, être Haut- Canadien et laissé à moi seul, et que les habitants des autres colonies fassent de même ?" Mon hon. ami demande aussi quel 298 sera le surcroît de force militaire que nous apportera la confédération ? Prétendrait-il nier qu'il y ait plus de force dans l'union que dans l'isolement ? Quelqu'un peut-il prétendre que huit cents ou mille hommes d'un régiment sont aussi forts débandés que formés en rangs et dirigés par l'intelligence d'un homme ? La même chose peut se dire de ces provinces, dont les forces sont comparativement faibles par suite de leur isolement. Si nous pouvions dire aux Etats-Unis que nous avons quatre millions d'âmes pour garder nos frontières et repousser une invasion, est-ce que nous n'aurions pas là une grande force ? Un gouvernement serait- il alors embarrassé, dans le besoin, de faire un appel aux armes ? C'est dans l'union des provinces que l'on acquerra une force immensément supérieure à celle que le Canada seul pourrait montrer sur le champ de bataille, et c'est d'après cette force que le gouvernement pourrait juger des résultats qu'il pourrait possiblement obtenir en l'appelant au service actif. Comment donc des hommes peuvent-ils s'éloigner de tout ce qui est vrai, utile et patriotique jusqu'au point de s'opposer à l'union des moyens de défense et à un projet qui est vraisemblablement le seul qui nous permettra de maintenir pendant longtemps cette alliance avec la Grande-Bretagne à laquelle nous tenons tant ? Dans le cours de ses observations, mon hon. ami de Niagara a cherché à mettre en doute une ou deux de mes assertions, surtout celle qui avait trait aux terrains miniers de Terreneuve. J'ai dit que je pouvais convaincre la chambre que Terreneuve avait des minières d'une assez grande richesse. Je n'occuperai pas le temps de la chambre à le lire, mais j'ai à la main un exemplaire du rapport publié en 1840 sur cette colonie, et qui dit que les minérais de ces terrains sont la galène, le gypse, le marbre, l'or, le fer, le cuivre, etc. Il s'y exploite aussi de vastes mines de plomb, et le professeur SHEPPARD dit avoir vu 3,500 livres de pure galène sortir d'une veine ouverte par l'explosion d'une simple mine. Dans ce rapport, il est dit aussi que ces mines sont avantageusement situées, car elles peuvent être approchées de très près par des navires tirant 12 ou 16 pieds. Ce rapport prouve que mon hon. ami se trompait en supposant que Terreneuve ne récélait pas de minéraux de valeur. Supposons qu'en réalité il ne se trouve pas là de minéraux ; supposons que nous donnions à la province de Terreneuve $150,000 par année simplement pour faire entrer cette Ile dans la confédération, ne vaut-il pas mieux avoir l'union de toutes les provinces plutôt que de se refuser à cette condition ? A entendre quelques hons. messieurs, en supposerait que les diverses sommes ne devront annuellement toucher ces provinces maritimes ne seront payées que par le Canada seul, et pourtant il n'en est rien, car c'est la confédération qui leur donnera ces sommes, auxquelles leur population contribuera dans la mesure de la subvention qui est faite à elles comme au Canada. Mon hon. ami, sait-il ce que Terreneuve doit apporter à la confédération en retour des $150,000 ? Ses terres et tout son revenu général. En 1862, le revenu brut de cette province atteignait le chiffre de $480,000, sur lesquelles seulement $5,000 provenaient de sources locales, et l'on calcule que son revenu versera $430,000 par année dans la caisse générale, dont elle tirera à son tour $369,200 par année pour subvenir à ses dépenses locales. Y a-t-il là de quoi trouver beaucoup à redire ? En sus des $430,000 que Terreneuve va donner à la confédération, desquelles il faut déduire ces $369,000 qu'elle en recevra, le gouvernement fédéral touchera le revenu territorial complet de cette province. Il en est ainsi pour toutes les provinces. Chacune d'elles contribuera au revenu général de la confédération pour une plus forte somme que celle qui lui est affectée, de manière à ce que le revenu de tout le pays se trouvera avoir un surplus. Il est évident que l'hon. député de Niagara donne plus de portée à son amendement que mon hon. ami en face de moi, bien qu'il l'ait habilement appuyé ; on voit que par cet amendement il ne veut qu'obtenir un délai, afin qu'à la suite d'une dissolution du parlement le peuple ait l'occasion de se pro noncer. Cependant, messieurs, comment arriver à cette dissolution d'une manière constitutionnelle ? Supposons le cas où le projet serait adopté par une forte majorité dans deux chambres, de quelle manière, je vous le demande, pourrait-on obtenir une dissolution sous notre système actuel de gouvernement ? D'après la constitution, une dissolution ne peut avoir lieu que lorsque le cabinet ne peut faire adopter par le parlement une mesure dont il est l'auteur responsable. Appuyé comme l'est le gouvernement par les deux tiers des représentants, de quelle manière une dissolution du parlement est-elle possible, puisqu'elle ne pourrait que plaire à une petite minorité ?
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Ce serait demander beaucoup trop, quand même la chose serait possible. Qu'est-ce que veulent, d'ailleurs, les hons. messieurs qui demandent le renvoi du projet au peuple ? Ce qu'ils veulent, c'est que les ministres mettent de côté la manière de procéder qu'ils savent être la plus juste comme la plus sûre au point de vue de la constitution britannique, et cela, pour recourir au système américain à l'aide duquel on obtiendrait l'assentiment ou la désapprobation du peuple à l'égard de ce projet. A quelle conclusion pourrions-nous en venir avec cette manière de procéder ? Serait-il possible que quelque hon. membre voulût donner au peuple l'occasion de se prononcer en disant oui ou non à chaque article de ces résolutions ? Je suis convaincu que ce n'est pas là ce que veut mon hon. ami de Niagara puisqu'il ne demande qu'un mois de délai ; et mon hon. ami d'en face non plus, car il connaît et vénère trop la constitution pour seulement songer à recourir à cette voie. De ce, il faut donc conclure que le désir de ceux qui, par la voie d'amendements, s'opposent à l'adoption du projet, est de le faire tomber, et que c'est dans ce but qu'ils proposent ces amendements. ( Ecoutez ! écoutez !) D'après ce que j'ai pu savoir l'adoption de l'amendement pourrait grandement contribuer à faire tomber la mesure, car il faudrait qu'il fut adopté par les deux branches de toutes les autres législatures et ensuite par le parlement impérial. Or, les autres législatures attendent la décision de cette chambre : elles désirent savoir si le conseil législatif du Canada adhère au projet ; elles désirent savoir si vous allez mettre de côté de futiles objections à de minimes matières de détails ; si vous allez faire abandon de vos vues particulières sur tel et tel point, et si vous allez donner votre appui à l'ensemble du projet. Toute personne qui aura réfléchi admettra que dans ces circonstances exceptionnelles il n'y a qu'une conduite à tenir. Voulez-vous une union de toutes les provinces britanniques américaines ou rester comme vous êtes ? Il ne s'agit que de cela. Pour ma part, je crois que sans cette fédération notre connexion avec la mère-patrie court rixe de ne durer guère longtemps. Que disent de nous les hommes publics de l'Angleterre depuis plusieurs années ? N 'avons-nous pas vu qu'ils affirmaient, avec une véhémence qui augmentait d'année en année, que nous négligions nos devoirs à l'égard des défenses du pays. Si, sous des circonstances en dehors de notre contrôle, il arrivait que la Grande-Bretagne entrât en guerre avec les Etats-Unis, nos destinées n'en seraient pas moins liées à celles du grand empire dont nous faisons partie, et il est par conséquent de notre devoir de faire un peu plus que ce que nous avons fait jusqu'ici en face des éventualités qui pourraient surgir d'une cause ou d'une autre ; Supposons, par exemple, que l'été dernier, une force armée des Etats-Unis soit venue au Canada à la poursuite des pillards qui se sont réfugiés de ce côté des lignes, ainsi que cela aurait pu avoir lieu si l'ordre du général DIX n'avait pas été révoqué ; supposons que, comme partie du grand empire, nous aurions jugé que l'intégrité de notre territoire n'avait pas été respectée, que la Grande- Bretagne eût partagé les vues de notre gouvernement sur ce fait, et qu'elle eût déclaré la guerre aux Etats-Unis parce qu'ils se seraient permis d'exercer, dans une de ses provinces, des droits auxquels ne peut prétendre une puissance étrangère, d'où serait alors venue la cause de la guerre? De la revendication du droit de cette province à maintenir sa position comme partie intégrante de l'empire britannique. Supposons encore que la cause d'une guerre avec cette nation eût pris naissance dans une autre colonie, nous n'en serions pas moins obligés, avec l'empire, de soutenir son intégrité, quitte à succomber ou à sortir avec lui victorieux de la lutte. Dirons-nous que nous ne voulons pas contribuer à notre défense autrement que par le moyen de volontaires, et que pour le reste nous laissons à la mère-patrie de faire pour nous ce que la prudence lui suggérera? Serait ce là le sentiment dont un hon. membre devrait faire preuve, soit à l'égard de cette question ou de toute autre ? Je ne puis croire, assurément, qu'aucun de nous consentirait à rester les bras croisés, sachant qu'il doit la protection dont il jouit aux armes et à l'argent de l'Angleterre. Même mon hon. ami de Niagara, j'en suis sûr, répudierait la lâche indifférence que l'expression de ce sentiment comporterait. Cependant, il est d'avis que cette chambre ne doit pas adopter ces résolutions ; qu'elles doivent être remises indéfiniment, et que les colonies doivent rester dans la position isolée où elles se trouvent aujourd'hui. Mais moi, au contraire, je pense que les intérêts et la destinée de ce pays dépendent de 300 l'accomplissement du projet de confédération. Supposons, ainsi que beaucoup le désirent avec ardeur, que la guerre fratricide des Etats-Unis soit à la veille de finir, et que, dans un temps donné, le Nord et le Sud se réconcilient, je suis positif que l'intégrité de ces provinces dépendra alors de ce que l'union sera ou ne sera pas un fait accompli. Si on remet aujourd'hui le projet à plus tard, on peut dire qu'il est indéfiniment remis. Depuis des années on s'est évertué à obtenir des provinces inférieures leur consentement à une union avec le Canada, et si le projet est maintenant rejeté, Dieu sait si plus tard elles voudront y consentir. De la décision de cette chambre va dépendre celles des législatures de la Nouvelle-Ecosse, de Terreneuve et de l'Ile du Prince-Edouard. Si vous adoptez un amendement, ce sera pour elles un indice que le peuple du Canada n'est guère porté pour le projet. Hons. messieurs, êtes-vous prêts à prendre sur vous de déclarer que le Canada est adverse à la confédération ? Réfléchissez-y bien, car nous ignorons tous quand une autre occasion aussi heureuse que celle-ci nous sera donnée d'accomplir cette œuvre grandiose. Ceux d'entre vous qui connaissent les difficultés et les objections que l'on a éprouvées, les intérêts mesquins des diverses sections de cette province et des autres qu'il a fallu satisfaire, sont forcés d'avouer que nous avions fait un grand pas vers le progrès lorsque la mesure a été amenée où elle en est. Cette occasion perdue, quand pourrons-nous réunir une seconde fois les représentants des diverses provinces pour traiter de cette question ? Quand les gouvernements des provinces concernées pourront-ils mettre sur le bureau de leur législature un projet aussi complet que celui-ci dans tous ses détails ? Il est impossible de prévoir quand un concours de circonstances aussi heureuses se reproduira. Mon hon. ami de Niagara dit en outre :
" Vous ne nous avec pas donné ce projet en détail ; vous ne nous l'avez pas donné en entier. La chambre n'a pas devant elle la constitution projetée qui doit régir le Haut et le Bas-Canada. Vous ne nous avez pas fait connaître quels seront les droits et pouvoirs des législatures locales."
Eh ! bien, hons. messieurs, tout ce que je puis répondre à cela, c'est qu'il eut été non seulement impossible mais encore inutile que le gouvernement eut apporté ce projet en même temps que celui dont la chambre va décider. Tant que cette mesure ne sera pas adoptée par nous et par les autres provinces; tant que nous ne saurons pas si nous allons oui ou non faire partie d'un gouvernement confédéré, il n'y aura pas non plus lieu d'introduire le projet relatif aux législatures locales. Je vous le demande, hons. messieurs, serait-il raisonnable ou même possible que ce projet fut adopté sans la sanction des deux branches de la législature ? D'un autre côté, quel que puisse être ce plan de constitution du Haut et du Bas-Canada, est-ce une chose que les ministres de la couronne peuvent porter sur eux et mettre en force sans la sanction du parlement ? Non, c'est une mesure qui sera plus tard présentée à cette chambre, qui sera discutée et sur laquelle nous aurons à nous prononcer avant qu'elle ne devienne loi. En temps opportun, ceux qui ne partagent pas les vues du gouvernement sur les constitutions de ces provinces auront une ample occasion d'exprimer leurs opinions et de chercher à les faire prévaloir. Je puis en dire autant des objections faites au chemin de fer intercolonial. A l'égard de cette voie ferrée, il a été dit que c'était une entreprise à laquelle on n'aurait jamais dû consentir ; cependant, hons. messieurs, il est de toute certitude que sans elle l'union sera impossible, et ceux qui croient à l'importance et à la nécessité d'une confédération doivent savoir aussi que ce chemin de fer est la condition indispensable de son accomplissement. Mais, messieurs, le gouvernement ne peut de lui-même construire cette voie ; pas plus que les gouvernements des autres provinces, il n'a ce pouvoir. Cette entreprise sera du ressort du parlement fédéral, lequel décidera à quelles conditions nous aurons à l'exécuter. Avant que le chemin de fer intercolonial ne soit construit ou que les constitutions du Haut et du Bas- Canada ne soient adoptées, la discusion de ces sujets aura eu ses coudées franches. Le premier sera soumis au parlement fédéral ; le second au parlement actuel de ce pays,- mais dans le cas seul où les résolutions maintenant devant la chambre seront adoptées, attendu qu'il n'appartient qu'à la législature canadienne de décider en premier ressort sur ces constitutions. Je ne suis pas un de ceux qui, dans un but mesquin, voudrait s'abriter derrière les résolutions que la chambre a devant elle ; mais je dirai que l'amendement sur lequel nous délibérons doit étre repoussé : que tout hon. membre qui est vraiment favorable à ce projet, qui croit à la nécessité d'une confédération des provinces, ne sera pas vu votant pour cet amendement qui 301 apportera un obstacle peut-être insurmontable à la réalisation du projet. Que l'on considère depuis combien d'années ce changement de gouvernement est projeté. Comme a su le faire remarquer l'hon. membre dont le siége est près du mien, c'est une mesure dont il est depuis longtemps question. Il nous a démontré que depuis très longtemps elle avait attiré l'attention de presque tous ceux qui ont quelque intérêt dans les affaires publiques de ce pays. Pour corroborer l'assertion de mon hon. ami, je n'ai qu'à citer une des résolutions proposées en cette chambre, il y a plusieurs années, par un hon. membre de mes amis que chacun de vous est aise de voir à sa place accoutumée, je vous parle de mon hon. ami M. MATHESON. En 1855, il propose une série de résolutions contre le principe électif, et ainsi qu'on va le voir, la dernière est conçue dans un langage prophétique dont l'expérience nous a appris à connaître la vérité.
8 Résolu,—Que le sujet d'une union de toutes les provinces britanniques américaines ayant occupée l'attention du public depuis des années, il serait manifestement inopportun de compliquer les arrangements futurs en changeant la constitution d'une de ces provinces, changement qui n'est pas demandé et qui de l'avis de cette chambre ne serait pas acceptable pour les autres. Le conseil est en conséquence d'opinion que tout acte à ce sujet serait prématuré autant qu'inopportun."
Mon hon. ami entrevoyait alors ce qui est à la veille de se réaliser, une union de ces provinces ; il présageait aussi que le système électif, s'il était appliqué à cette branche de la législature, pourrait créer des difficultés. Il est en effet une difficulté, mais il faut la surmonter ; il est un obstacle, mais il faut le franchir. Les objections personnelles soulevées par mon hon. ami de la division de Niagara sont des moins valables. Ce n'est pas ce que mon hon. ami près de moi ou mon hon. ami devant moi ont pu dire ou penser autre- fois qu'il s'agit maintenant de considérer. Nous sommes tous plus ou moins exposés à ces sortes d'attaques ; mais heureusement pour moi, il y a trop peu longtemps que je me suis jeté dans la vie publique, où je n'ai encore joué qu'un rôle bien peu marquant, pour être exposé, autant que beaucoup d'autres, à ces accusations. Je crois, néanmoins, que nous devons passer par dessus toutes ces choses. Quant à moi, je suis disposé à oublier tout ce qu'un hon. membre peut avoir fait en d'autres circonstances pour ne m'occuper que de la question de savoir si la confédération projeté est à désirér ; si nous la désirons par affection pour les institutions monarchiques ; comme sujets de l'empire britannique et pour perpétuer notre alliance avec l'Angleterre ? En ce faisant, nous renonçons à nos objections sur ce point et sur tout autre pour assurer le succès du principe Voilà bien des années que cette confédération est demandée, et jamais elle n'a été aussi près de s'accomplir qu'à présent ; jamais elle fut à l'état de possibilité comme aujourd'hui. Après des années d'anxiété, de troubles et de difficultés, la réalisation du projet est jugée possible, et parce que j'y trouve à redire sur tel ou tel point, dois-je m'évertuer à le faire rejeter ? Il est bien certain qu'au début les rouages du système fédéral ne fonctionneront pas parfaitement, mais, comme pour toute autre chose, on parviendra, avec le temps, à remédier à leurs défauts. Il en a été ainsi à l'égard de l'union de 1840. Les Bas-Canadiens eurent à se plaindre de ce que la langue française était exclue du parlement provincial ; ce grief, qui faisait en même temps l'office d'entrave, donna lieu à des remontrances, et qu'en est-il résulté ? Ces remontrances eurent l'effet de faire réparer cette injustice, car l'usage des deux langues fût ensuite permis. Plus tard, le peuple voulut que cette chambre devint élective. On a eu peut-être tort de satisfaire à cette volonté, mais il n'en a pas moins obtenu le changement qu'il demandait. Qu'est-ce qui empêcherait que la même chose pût se faire sous la confédération ? Il sera fait droit à toute demande de changement devenu nécessaire. A mon sens, il serait inconsidéré autant qu'impolitique de rejeter le projet, parce que sur tel ou tel point, ou dans tel détail, il ne rencontre pas exactement nos vues. Est-il une union entre deux pays, ou même une simple association de deux individus, qui ait pu durer sans qu'il y ait eu concessions de part et d'autre ? Que les hons. messieurs qui ont eu le bonheur de se lier conjugalement, et qui, naturellement, peuvent parler par expérience, nous disent si une union peut être heureuse ou durable sans que les conjoints se fassent de mutuelles concessions ? ( Ecoutez ! écoutez ! et rires.) Si vous voulez l'union, il faut se résigner volontiers aux concessions et à ne pas persister dans l'obtention de ce qui peut paraître mieux que ce qui nous est offert. Sans cela, toute union est impossible et le sera toujours. Ce qu'il faut c'est de la tolérance et des concessions. J'ai l'espoir et la conviction 302 que dans le cas présent cette opinion sera celle de la législature de ce pays. Je crois aussi que la confédération est reconnue par tous comme absolument nécessaire, et qu'au lieu d'insister sur tel ou tel point, on se plaira plutôt à se figurer l'époque où ce pays aura une population de quatre millions d'âmes, un grand commerce et une marine qui en feront une puissance de quatrième rang. ( Applaudissements. ) Je suis pourtant étonné qu'un hon. membre du Bas-Canada soit adverse à cette union, d'autant plus que par elle le peuple bas-canadien va rentrer en possession de la contrée qui a appartenue autrefois à sa race, et où se parle encore la langue française ! Je crois que pour les franco-canadiens de même que pour nous, l'avenir est rempli de promesses, sur la réalisation desquelles on peut compter en toute confiance ; et parce que nous ne pouvons pas obtenir la modification d'un détail d'une importance mineure, allons-nous renoncer à d'aussi belles espérances ? Je compte que les hons. messieurs qui appuient la mesure verront comme moi le danger qu'il y aurait à remettre son adoption, et qu'ils repousseront cet amendement, lequel n'est fondé que sur la présomption que son auteur et ceux qui l'appuient ne sont pas prêts à se prononcer, et qui, pour cette raison, demandent qu'on leur donne le temps d'aller de porte en porte s'enquérir de ce que les électeurs pensent du projet sur lequel nous sommes à cette heure appelés à rendre une décision. La confédération est l'œuvre qui doit sauver le pays ; eh ! bien, renonçons alors à nos petites objections, et votons pour elle. ( Applaudissements. )
L'HON. M. SEYMOUR—L'hon. commissaire des terres de la couronne a raison de supposer que je suis opposé à la confédération, et je le suis surtout à celle qui est basée sur les résolutions adoptées à la convention de Québec. Je ne dis pas que je serais hostile à une union législative conçue dans des conditions suffisantes d'équité et de justice, mais je suis opposé à la confédération dans les termes sous lesquels elle est présentée à la considération de cette chambre. Mon hon. ami a dit que toute union supposait de la tolérance et des concessions mutuelles ; il me semble que dans le cas actuel la tolérance et les concessions n'ont été manifestées que d'un seul côté, et qu'elles ont été loin d'être réciproques. Il doit y avoir des concessions mutuelles entre ceux qui forment des associations ; mais il ne faut pas que le même individu soit le seul à les faire, comme le Canada l'a été dans la confédération. Mon hon. ami, en dépit de toute son éloquence et de sa capacité, n'a pu détruire une seule des objections soulevées par mon hon. ami le député de Niagara ( M. CURRIE. ) Il a trouvé plus simple de les passer sous silence lorsqu'il a vu qu'il ne pouvait y répondre. Mon hon. ami s'est écrié : " Est-ce que l'usage de la langue française n'a pas été un changement apporté à la constitution ? " Ce droit, hons. messieurs, a été reconnu, je confesse, par l'administration conservatrice du jour, et ainsi que l'a dit mon hon. ami en face de moi ( M. BOULTON ) il l'a été à l'unanimité. Personne ne s'y opposa parce que tout le monde comprenait que c'était reconnaître un droit incontestable et inaliénable à nos concitoyens d'origine française. Mais, je vous le demande, un tel acte peut-il être comparé aux résolutions qui nous sont proposées en ce moment, à un changement aussi radical de la constitution que celui-ci et destiné non seulement à régler nos destinées, mais encore celles de nos enfants et de nos arrière-petits enfants ? Un changement connue celui qu'on nous propose peut-il réellement être comparé à celui de la reconnaissance de l'exercice de la langue française? Non, assurément non. En vérité, c'est bien là la plus étrange comparaison que j'aie jamais entendue faire. Mon hon. ami a ensuite parlé du changement dans la constitution du conseil législatif : mais est-ce que cette question n'a pas été agitée autant comme autant dans l'opinion publique ? Le peuple n'a-t-il pas fait connaître plus d'une fois son opinion aux hustings sur cette question ? Oui, il l'a fait, et c'est parce qu'on a cru qu'il était pour le changement que l'amendement constitutionnel fut mis à effet. Mon hon. ami a ajouté que les délégués canadiens eurent à faire face à mille difficultés dont ils furent entourés dans le cours de la conférence. Je le crois, mais à qui doivent-ils s'en prendre ? N'est-ce pas à eux-mêmes qui permirent à l'Ile du Prince-Edouard et à Terreneuve de s' y faire représenter par autant de délégués que le Canada ? Je suis loin de nier les difficultés qu'ils eurent à vaincre et j'avoue qu'ils durent être écrasés sous les demandes et les exigences de ces délégués. L'hon. monsieur a prétendu que la confédération était nécessaire pour renforcer la défense du pays. Mais en quoi ? Quelqu'un de mes hons. auditeurs peut-il me dire de quelle façon ? car je n'ai pas entendu un seul mot qui ait pu 303 me convaincre comme je l'aurais voulu que le projet actuel est destiné à rendre le pays plus formidable,—à moins toutefois que ce ne soit en le plaçant sous un seul et même gouvernement. Est-ce que, hons. messieurs, je n'ai pas démontré l'autre jour quel était le sentiment des provinces d'en-bas au sujet de la défense du pays ? Que faisaient-elles précisément dans le même temps qu'on proposait au parlement canadien de voter un crédit de plusieurs millions pour organiser la défense du pays ? On a vu le secrétaire du trésor de l'une de ces provinces proposer de voter un crédit de $20,000 ;—plus que cela, on l'a vu solliciter son pardon aux chambres de ce qu'il leur en demandait tant à la fois et pour un pareil sujet ! ! ! Le premier ministre actuel de la Nouvelle-Écosse, c'est-à-dire de la province qui tient le deuxième rang en importance parmi les colonies de l'Amérique Britannique du Nord, ne s'est pas contenté de cela et a été jusqu'à proposer de retrancher $l2,000 de cette somme et de ne laisser que $8,000. Or, voilà des choses qui se passaient dans une province qui vient après la nôtre en importance, et à l'époque de l'affaire du Trent, c'est-à-dire dans un temps où le danger était beaucoup plus sérieux qu'aujourd'hui Que faisait le Nouveau-Brunswick de son côté, pendant ce temps ? il votait $15,000 pour sa défense. Eh ! bien, c'est avec de telles populations que l'on veut nous allier sous le prétexte qu'elles contribueront à nous rendre formidables ! Pensez-vous, hons. messieurs, que ce sera en vous associant avec des provinces dont les chefs nourissent de pareils sentiments que nous acccroîtrons nos forces? Assurément non. Mon hon. ami, le commisaires des terres de la couronne, a aussi avancé que sur la population du Haut-Canada, il s'en trouvait 95 sur cent de favorables à la confédération. Il se trompe. Ayant eu déjà l'honneur de représenter une partie des électeurs de mon hon. ami, je puis prétendre avec raison connaître autant l'opinion, non pas simplement du peuple du Haut-Canada en général, mais même de ses propres constituants, autant que lui. C'est pourquoi j'affirme que si mon hon. ami se présentait aujourd'hui devant ses électeurs pour leur dire que le Haut-Canada n'aura la confédération qu'à condition de supporter pour les deux tiers le coût du chemin de fer intercolonial, et son entretien subséquent, que les chemins des provinces du golfe devront devenir la propriété du gouvernement qui sera obligé à l'avenir de les entretenir à ses propres frais, et que le Haut-Canada doit avoir les deux tiers de tout ce fardeau à supporter, j'oserai contester l'exactitude de son assertion et lui nier que 95 de ses électeurs sur 100 seront en faveur de la confédération
L'HON. M. CAMPBELL —Exposez-leur toutes les circonstances et je n'ai aucun doute de pouvoir les convaincre.
L'HON. M. SEYMOUR—Mon hon. ami fait erreur, et je suis certain que s'il ne devait pas être l'un des conseillers à vie de la chambre haute du parlement fédéral, il n'en demanderait pas tant pour les convaincre.
L'HON. M. CAMPBELL —Mon hon. ami va un peu trop vite : je puis l'assurer que je n'ambitionne pas du tout un tel honneur.
L'HON. M. SEYMOUR—Mon hon. ami est aujourd'hui au pouvoir mais libre à lui de refuser de nouveaux honneurs. Mon hon. ami représente un des collèges électoraux les plus intelligents du Haut- Canada ; eh ! bien, quelle grace aurait-il d'aller dire à ses électeurs qu'ils contribueront à la confédération en raison des droits d'importation qu'ils paient ; qu'ils contribueront en raison de leur richesse et qu'ils ne recevront qu'en raison de leur population ; qu'enfin quelque considérable que soit leur population ils seront malgré leur grande majorité, mis sur le même pied que la population flottante des provinces maritimes composée de pêcheurs et de fabricants de bois. Une doctrine de ce genre n'est nullement celle d'un conservateur. Je me soumettrai à tout avant d'accepter un pareil projet. En l'appuyant tel qu'il nous est présenté je croirais trahir les intérêts du pays. A chacun ses opinions ; telles sont les miennes et j'y tiendrai. L'amendement de mon hon. ami qui demande un delai est juste, bien fondé et je ne vois pas comment on peut s'y opposer dans une question dont dépendent les intérêts les plus chers du pays, au moment où nous allons passer une loi qui intéressse encore plus les générations futures que nous-mêmes. En vue de l'importance de la mesure je ne vois pas comment les hons. messieurs peuvent voter contre une proposi tion si raisonnable. ( Ecoutez !)
L'HON. M. FERGUSSON BLAIR— L'hon. commissaire des terres de la couronne voudrait-il me donner quelques renseignements au sujet des législatures locales ?—Si je l'ai bien compris la partie du projet relative à ces législatures ne sera pas soumise à la législature actuelle.
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L'HON. M. CAMPBELL—Telle est en effet l'intention du gouvernement.
L'HON. M. FERGUSSON BLAIR—Si j'ai bien compris mon hon. ami, il a dit qu'il ne considérait pas comme opportun de faire connaître les constitutions projetées des législatures locales avant que la chambre ne se soit prononcée d'abord sur le projet en général de la confédération. En vérité, je n'en vois pas la raison :—néanmoins, je ne ferai pas de ma demande une proposition pour entraver la marche du plan actuellement soumis.
L'HON. M. CAMPBELL—Mon hon. ami de Brock peut raisonner juste, mais le gouvernement a pensé qu'il était prématuré de présenter aux chambres le projet des constitutions locales avant qu'elles n'aient d'abord voté les résolutions actuelles.
L'HON. M. FERGUSSON BLAIR - Mais ne pourrait-il pas arriver que plusieurs membres de cette chambre, avant de se décider à voter ces résolutions, eussent le désir de connaître la nature des constitutions locales qui doivent avoir une si grande portée sur la solution de la question à l'ordre du jour ?
L'HON. M. CAMPBELL—Je répondrai à l'hon. conseiller que le parlement du Canada aura tout le temps et toutes les occasions désirables de se prononcer sur ce sujet.
L'HON. M. SIMPSON—Quand ?
L'HON. M. CAMPBELL—Lorsque les résolutions actuelles auront été votées. Nous avons cru inutile de nous occuper des constitutions du Bas et du Haut-Canada tant que nous ne connaîtrions pas les vues du parlement sur la confédération elle- même. Une fois cette opinion exprimée, ce sera alors notre devoir de donner toute notre attention à cette question et d'exposer au parlement les projets de constitution pour les deux provinces.
L'HON. M. ROSS—Je ne connais pas quelles peuvent être les vues du gouvernement à ce sujet, mais il me semble qu'il aurait certainement manqué de sagesse en soumettant maintenant aux chambres les projets de constitution du Bas et du Haut-Canada. Car il est fort possible que des divergences d'opinion se manifestent sur les principes de ces constitutions et que ces divergences soient de nature à entraîner la retraite de quelques uns des membres du cabinet. ( Cris :— Ecoutez ! écoutez !) Remarquez bien que je fais en ce moment une supposition : or, en prévision de ces probabiités, ne serait-il pas absurde et impolitique de la part du gouvernement de plonger le pays dans l'agitation sur cette question avant que de s'assurer si les résolutions actuelles seront emportées ou rejetées ? Une telle conduite serait indigne du ministère. Je n'ai pas bien compris si mon hon. ami a dit ou non que le projet des législatures locales serait soumis aux chambres après le vote des résolutions ; mais je serais fâché qu'il l'eut déclaré ainsi et que le gouvernement n'attendit pas pour cela que les provinces du golfe se fussent prononcées. Il devrait retarder afin de voir si la confédération y réussira ou non ; car, en supposant que les résolutions fussent adoptées ici et qu'elles ne le fussent pas là, tout le projet est réduit à néant, et on se trouve, sans résultat aucun, avoir jeté le pays dans le désordre et l'agitation, en lui fesant discuter des mesures inutiles. Le ministère devrait d'abord, suivant moi, faire triompher le projet actuel autant que possible, et du moment qu'il aurait pu y rallier les deux provinces les plus considérables du golfe, il ne lui resterait que bien peu à faire :—alors, mais alors seulement, sera arrivé le temps favorable à la discussion des constitutions locales. C'est pourquoi, grand a été mon étonnement de voir une telle proposition venir de mon hon. ami ( M. FERGUSSON BLAIR ), lui que j'ai entendu à l'ouverture des premiers débats se déclarer en faveur des résolutions actuelles dans un si excellent discours : et je ne comprends pas pourquoi en vérité l'hon. monsieur a témoigné le désir de prendre connaissance du projet des législatures locales.
L'HON. M. FERGUSSON BLAIR—Je ne l'ai fait que parce que j'ai cru qu'il n'était que raisonnable que les hons. députés apprissent, avant de voter pour ou contre la confédération, de quelle nature seraient les constitutions projetées des législatures locales. ( Ecoutez ! écoutez !)  
L'HON. M CAMPBELL—Mon hon. ami devrait ajouter ceci à ses remarques, à savoir que les hons. membres auront en tous cas pleine et entière occasion d'exprimer leur opinion à ce sujet.
L'HON. M. VIDAL—Hons. messieurs :- Il vous paraîtra sans doute présomptueux de la part de quelqu'un aussi peu au fait que je le suis des discussions parlementaires d'entrer en lice avec l'hon. commissaire des terres de la couronne et d'oser lui contester 305 la validité de son raisonnement très-habile contre l'amendement soumis à notre considération: cependant, toutes inégales que soient les armes, je n'hésite pas à accepter le combat, car je crois avoir de mon côté la justice et la vérité dont la force ne peut manquer de finir par triompher. J'ai prêté une oreille très attentive au discours éloquent de l'hon. monsieur et je ne puis lui refuser mon approbation sur plusieurs points : mais là où je diffère avec lui c'est lorsqu'il apprécie les motifs de ceux qui supportent l'amendement de l'hon. député de Niagara ( M. CURRIE ) et qu'il les taxe de manquer de sincérité,—que dis-je, de manquer de loyauté envers la couronne et le pays.
L'HON. M. CAMPBELL—Je n'ai rien dit autre chose que ceci, à savoir : que j'hésitais à croire à la sincérité de ceux qui tout en voulant une mesure lui fesaient néanmoins la guerre sur les détails.
L' HON. M. VIDAL—C'était beaucoup plus fort que cela, car j'ai entendu dire à l'hon. député que les termes de la proposition étaient tels qu'ils prouvaient à l'évidence qu'elle n'avait été faite que dans le but de renverser la mesure.
L'HON. M. CAMPBELL—Et je répète qu'en effet il en est ainsi, ce qui n'est pas du tout la même chose que ce que l'hon. député vient de me reprocher.
L'HON. M. VIDAL—L'hon. monsieur a fait la remarque que nous ne changerions pas la constitution et que la proposition principale demandait simplement à la chambre de voter une adresse à Sa Majesté. Cela est vrai à ne prendre que les paroles mêmes de la proposition, mais je demande à mes hons. auditeurs s'il est de bonne guerre d'essayer de faire croire à la chambre que cette proposition de voter en effet une adresse, n'aura pas pour conséquence de changer la constitution ? Ne nous a-t-on pas dit en propres termes que la métropole ne ferait rien tant que le sujet en question n'aurait pas reçu l'assentiment de la législature canadienne? Je maintiens donc que la proposition principale, en dépit de sa modestie, n'est ni plus ni moins qu'une proposition a l'effet de changer la constitution. La chose étant ainsi, elle mérite que nous lui donnions notre plus sérieuse attention, et qu'on nous laisse tout le temps nécessaire pour la discuter librement et à fond. Les changements dont on a parlé et que l'on a essayé de comparer à celui-ci n'ont aucune analogie possible, et je prétends, comme l'a fait mon hon. ami ( M. SEYMOUR ), que ce dernier est en réalité une révolution ; et l'expression n'est pas trop forte. Loin d'être, ainsi qu'on l'a affirmé, un simple changement comme la reconnaissance de l'usage de la langue française dans la législature ou même comme la modification plus importante du principe constitutif de cette chambre, cette proposition a pour but de changer de fond en comble notre système et nos relations politiques et de révolutionner les intérêts divers de ce pays. Quelle que soit l'exactitude des assertions de mon hon. ami contre les hons. membres qu'il accuse de dissimuler leur hostilité au principe de la mesure sous une guerre dirigée contre les détails, je les repousse pour ma part ; je ne veux aucunement m'abriter derrière les détails ; au contraire, mon vote sur l'amendement de l'hon. député de Niagara est inspiré par les motifs les plus sincères et les plus constitutionnels. Mais cela ne veut pas dire que je m'accorde avec lui sur tous les points en litige, car je ne suis pas certain, en somme, de n'être pas plus prêt de m'entendre avec l'hon. commissaire des terres de la couronne.
L'HON. M. CAMPBELL—Je suis heureux d'entendre de telles paroles sortir de la bouche de mon hon ami ; c'est pourquoi j'aimerais à savoir de plus s'il est de l'opinion de l'hon. député de Niagara lorsque celui-ci demande un délai d'un mois ou plus ?
L'HON. M. VIDAL  —Je répondrai à cette question lorsque j'en viendrai à parler de ce sujet. Qu'il me soit permis d'ajouter seulement que loin d'être guidé dans la conduite que je tiens en ce moment par une opposition factieuse, je suis animé au contraire par tous les sentiments de loyauté envers la couronne et envers le pays, et que mon but au lieu de renverser la mesure est uniquement d'en assurer le succès en lui donnant des bases plus larges et plus solides. Combien sont différentes et variées les opinions que l'on a exprimées sur notre position envisagée au point de vue du vote que nous devons donner sur cette proposition ! D'un côté, on nous dit que comme représentants du peuple, nous avons pleinement droit de voter comme bon nous semblera,—de l'autre, on nous démontre qu'en ne votant pas dans tel ou tel sens nous ne représentons pas le peuple : comment réconcilier ces deux manières de voir ? On nous dit aussi, et c'est le seul argument quelque peu plausible  que j'aie entendu sur ce sujet, que si nous laissons échapper l'occasion présente d'unir les 306 provinces ensemble, il nous faudra attendre longtemps avant qu'il s'en présente une autre semblable. J'admets que l'occasion est une chose que l'on a attendu depuis longtemps, une chose dont nous devons tirer tout le meilleur parti, et pour ma part ce sera l'objet constant de mes efforts :—mais si la mesure offre véritablement tous les avantages que l'on a énumérés, je ne comprends pas qu'elle puisse courir de danger à être retardée un peu, car plus on aura de temps d'en discuter le mérite, plus le peuple, suivant toute raison, pourra se convaincre de son importance. Je ne puis me faire à l'idée que le projet sera exposé à être renversé par le seul fait qu'on donnera au peuple et à ses représentants plus de temps pour en étudier les principes et les détails. Depuis l'ouverture des débats, la question a été grandement élucidée par les explications données dans cette chambre et dans l'autre, et je suis certain que les hons. membres de ce conseil saisissent bien mieux qu'auparavant certains détails du projet. Pour moi, après y avoir songé plus d'une fois, et après avoir écouté avec attention les argumements des divers orateurs, j'en suis arrivé à être de plus en plus convaincu de la grandeur et de l'importance des intérêts qui se rattachent à la question, et à croire qu'il est de notre devoir de ne procéder qu'avec lenteur et précaution à opérer un changement aussi grand que celui qu'ont voulu les auteurs des résolutions,- un changement qui ne va à rien moins qu'à révolutionner, ainsi que je l'ai dit, tout notre système de gouvernement. Pour réussir et durer, la confédération devra d'abord être fondée sur les principes de la vérité et de la justice, et il faudra que le peuple puisse comprendre et apprécier ces principes. Malgré tout ce qu'on en a dit dans cette chambre, en dépit de toutes les assertions qui ont été faites à l'effet de prouver que le peuple était au courant de la question, je n'en persiste pas moins à croire le contraire. Je pense qu'en somme le peuple ne connaît pas les détails de la mesure. Quelles lumières nouvelles ont été jetées sur le sujet depuis que nous sommes assemblés ici ? N'a-t-on pas vu des membres mêmes de la conférence ignorer ce que certaines résolutions voulaient dire ? N'est-il pas avéré que l'attention publique n'a eu pour les peser aucun raisonnement ni argument sérieux et tant soit peu développés contre la question ? Et cependant, il serait très essentiel que pour bien juger de la mesure le peuple prit connaissance des deux côtés de la question. On ne devrait, ce me semble, pas plus lui cacher la noble perspective qu'avec la confédération il formera partie d'un grand pays, que le prix auquel il achètera un si grand avantage ; et il en devrait être d'autant plus instruit que le mouvement ne vient pas de lui. Tous les grands changements constitutionnels doivent prendre naissance et de fait prennent ordinairement naissance parmi le peuple ; mais c'est une anomalie, car ici on nous propose d'adopter une constitution rédigée par un corps qui s'est donné lui-même les pouvoirs nécessaires à cette fin,—droit que je lui reconnais pleinement,—et qui nous la présente comme parfaite, comme un document analogue à un traité et dont nous n'avons pas le droit de changer le moindre détail.
L'HON. M. CAMPBELL—Mon hon. ami met en doute la légitimité de nos actes ; mais il me semble qu'il devrait savoir que le parlement ayant sanctionné la formation d'une administration dont le but et l'intention expresse était de mener à bonne fin le projet de confédération, le peuple a pu confirmer ce qui avait été fait. Mon hon. ami est monarchiste et par conséquent il reconnait qu'il y a d'autres sources d'autorité que le peuple, comme, par exemple, l'autorité royale, et à ce sujet je prendrai la liberté de lui signaler la dépêche écrite par le secrétaire d'Etat des colonies. Il y trouvera entr'autres choses que c'est :
" Avec la sanction de la couronne, et sur l'invitation du gouverneur-général, que des délégués de chaque province, choisis par les lieutenants-gouverneurs respectifs sans distinction de partis, se sont réunis afin de considérer des questions de la plus haute importance pour tous les sujets de la Reine, de quelque race et religion qu'ils soient, qui résident en ces provinces, et en sont arrivés à une conclusion qui doit avoir une influence des plus grandes sur le bien-être futur de toute la société. "
Ainsi donc, c'est avec la sanction royale que les délégués des autres provinces se sont occupés de la question ; quant à nous, le parlement nous avait autorisé à le faire lorsqu'il avait donné son approbation au ministère qui s'était formé avec l'intention manifeste d'accomplir la confédération.
L'HON. M. VIDAL—J'ai déjà déclaré d'une façon non équivoque que j'approuvais entièrement la conférence et ses travaux, c'est pourquoi je ne sais vraiment pas la raison pour laquelle mon hon. ami a cru nécessaire de donner les explications ci- dessus. J'ai toujours reconnu sans la 307 moindre idée de doute, que la conférence fut constituée d'une manière légale, convenable et suivant toutes les formes, et j'ai décerné à ses membres tous les éloges possibles pour l'intelligence et le zèle qu'ils ont déployés en cette occasion à la défense et à la sauvegarde des intérêts du pays. Mais, je le répète, je maintiens que ce mouement ne part point du peuple lequel n'a jamais fait de requête à ce sujet,—qu'en conséquence il serait de notre devoir, avant d'adopter cette mesure, de connaître son opinion, et que l'amendement de mon hon. ami, le député de Niagara doit recevoir mon appui. Je pense qu'une fois les débats actuels terminés dans les deux chambres et publiés au long dans les rapports officiels, le peuple pourra se former une opinion assez exacte des avantages de la question, car il aura en sa possession à peu près tout ce qui peut être dit d'un côté comme de l'autre, et si en dépit de tout il est incapable de donner un bon jugement ce sera sa propre faute. Si l'on ne se propose pas de consulter le peuple, à quoi bon, je le demande, pour cette hon. chambre de s'imposer une aussi grande dépense—plus de $2,000—pour faire tirer à un si grand nombre d'exemplaires des rapports des débats ?—Si l'on veut faire passer la mesure sans attendre l'expression des sentiments populaires, pourquoi soumettre au public des discours et des discussions qui ne feront que l'agiter sans résultats ? J'irai plus loin, et je dirai que non seulement le projet n'a pas pris sa source dans la volonté du peuple, mais qu'il a été conçu et rédigé sans même la participation de ses représentants. Je ne croirais pas nécessaire d'en appeler au peuple si ces résolutions étant l'œuvre de notre propre gouvernement, nous étaient proposées à l'instar de ses autres mesures, et si elles étaient discutées et votées à l'ordinaire, bien que néanmoins je considère la chose désirable :—mais je mets en fait que les députés du peuple n'ont pas été consultés et qu'il ne leur a été laissé aucun moyen de modifier les résolutions en quoique ce soit ou d'influencer la législature impériale sur l'union projetée. Mes hons. auditeurs, j'en suis sûr, conviendront avec moi que si après tout ce qui a été dit, le pays s'opposait au changement proposé, si le peuple en général venait à être persuadé qu'on le lui fait payer trop cher, et que les sacrifices qu'on exige de lui pour lui procurer les avantages de la mesure sont trop considérables, il faudrait la mettre de côté.
( Ecoutez !) Est-ce qu'en vérité il y aurait danger d'en appeler au pays ? Mais le danger serait bien plus à craindre si on impose au pays une mesure qu'il pourrait bien ne pas approuver. ( Ecoutez !) Non, hons. messieurs, il n'existe aucun danger à soumettre le projet au peuple, parce que la grande majorité, ainsi n'on l'a affirmé tant de fois, lui est favorable. Il est probable que si, dans l'appel au peuple, j'apercevais imminence de péril pour la question, je n'insisterais pas aussi fortement sur ce point ( écoutez ! et rires ) ;- mais, comme je suis d'opinion que le changement est demandé par le pays en général, je crois qu'il n'y a aucun risque de lui soumettre la question. Que deviennent dès ce moment les dangers de ce délai auquel on tient tant ? Une chose qui m'a surtout frappé dans l'éloquent discours de l'hon. commissaire des terres de la couronne, c'est qu'il n'a pas discuté le fond même de l'amendement. ll a bien dit, il est vrai, qu'un délai serait très préjudiciable et que nous nous exposions à perdre la mesure en temporisant, mais comment l'a-t-il prouvé ? Moi, au contraire, je suis d'avis que le délai est le salut du projet, parce qu'il mettra le pays et la législature en état de voir au fond de la question, d'en peser tous les avantages ou désavantages ( en supposant qu'elle en ait ) et de l'adopter certainement si le projet est bon ou de le rejeter s'il est mauvais. Quant à la manière de consulter le peuple en cette circonstance, j'avoue qu'on peut différer d'opinion. Qu'on ne croie pas me faire changer d'avis en me reprochant d'être républicain, car les plaisanteries ou les railleries ne m'arrêtent pas lorsque j'ai de bonnes raisons pour appuyer ma conduite. De quelles railleries n'ai-je pas été l'objet à cause de mon adhésion à la cause de la tempérance ; m'ont-elles fait changer d'avis? Je crois que l'on peut faire prononcer le peuple sur la question sans que le délai mette le projet en danger. En supposant que les débats se prolongent encore une semaine ou deux dans les deux chambres, et que les rapports officiels soient terminés peu de temps après, il serait facile de prendre le vote populaire directement et cela en toute convenance et sûreté. Cette proposition de faire voter directement une mesure au peuple peut, de prime abord, sembler contre les coutumes anglaises, et nous répugner même ;mais ce ne sont pas les préjugés qui doivent ici nous guider mais bien la raison et la réflexion, et si nous pouvons trouver un 308 moyen de nous assurer correctement et fidèlement de la volonté populaire, adoptons ce moyen peu importe son nom. Suivant moi, la meilleure manière de le faire, serait de poser directement la question aux électeurs : —" Voici la mesure ; l'approuvez-vous, oui ou non ?—Ce n'est pas de discuter les amendements que nous devons leur demander, et d'ailleurs comment réunir toutes les populations des provinces ensemble ? Comment empêcher la confusion d'une telle discussion ? Voilà, comment la chose doit être proposée au peuple, un oui ou un non et rien de plus.
L'HON. M. ROSS—Comment ! vous refuseriez au peuple le pouvoir de modifier les détails ?
L'HON. M. VIDAL—Oui, car c'est ainsi qu'on en a agi avec cette chambre, et si l'on a tort pour le peuple il en est d'autres qui ont eu les premiers ce tort avec la chambre. ( Ecoutez !) Un autre motif qui me porte à être en faveur de ce mode, c'est mon vif désir de ne pas m'exposer au mécontentement de la chambre d'assemblée, dont les députés pourraient nous adresser les reproches suivants, dans le cas où nous demanderions une dissolution des chambres et de nouvelles élections sur ce sujet : " Ce que vous demandez est très-bien, nous le supposons ; mais ne gardez-vous pas vos siéges et vos mandats pendant que vous nous renvoyez devant nos électeurs ? " Et puis, je ne vois pas pourquoi nous n'attendrions pas aux prochaines élections générales, c'est-à-dire, dans deux ans d'ici, alors que le peuple aura eu tout le temps possible de la réflexion et de la discussion pour former son opinion, sans compter que ce serait là le mode constitutionnel par excellence. Cependant, comme les ministres nous disent que nous ne pouvons attendre, alors ayons un vote direct du peuple sur le sujet., plutôt que de hâter les élections générales. Je préférerais ce moyen à une élection générale, parce que dans celle-ci, d'autres influences sont en jeu qui prennent leur source dans des motifs de politique de parti. Qui ne sait, qu'en plusieurs endroits, la considération personnelle du candidat l'emporte sur le penchant de l'opinion des électeurs, que dans d'autres une bourse bien garnie remportera la victoire, et qu'ailleurs ce seront les préjuges de localité qui domineront toutes les autres questions ? Avec le moyen que je propose, c'est-à-dire en appelant le peuple à se prononcer directement sur la mesure, rien de tel ne se produira, et les électeurs n'auront que leur patriotisme pour inspirer leur conduite. La chambre représentant le peuple constitutionnellement, on ne saurait trouver mauvais qu'après les élections générales elle décide la question ; néanmoins, le but à atteindre, c'est-à-dire, la constatation de la volonté populaire se réaliserait beaucoup plus vite et à beaucoup moins de frais par un vote direct. A quoi sert d'appeler ce procédé yankee ou républicain ? N'a-t-il pas été employé par Rome ancienne ?
L'HON M. LETELLIER DE ST.-JUST —Vous pourriez également appeler français le mode que vous proposez.
L'HON. M. VIDAL —Ou bien, si vous le voulez, impérial, car on y a eu recours en France et au Mexique. On pourrait également y avoir recours ici avec l'assurance que le vote serait ce qu'il doit être, car dans quel but pourrait-on intervenir dans la décision populaire, ou obtenir un vote qui ne serait pas l'expression fidèle des volontés du peuple ? ll nous serait facile de nous assurer de l'opinion de tout le pays dans un court espace de temps, plus qu'un mois peut-être, mais encore assez tôt pour nous permettre d'adopter la mesure dans le cours de cette année. La législature du Nouveau-Brunswick ne devant pas se réunir sous peu, il s'écoulera par conséquent du temps avant qu'on y vote le projet ;—mais en supposant que la chose se fasse plus vite, la mesure devra être envoyée en Angleterre pour y être soumise aux autorités impériales et en attendre une décision finale. Or, le parlement anglais est assemblé en ce moment et devra, suivant son ordinaire, rester en session cinq ou six mois : on voit donc que nous avons tout le temps nécessaire de prendre le vote du pays. En vérité, j'aimerais qu'on me donnât quelque bonne raison pour me convaincre qu'il y a danger et attendre, à part celle que l'on a hasardée au sujet des éventualités qui pourraient bien se produire en cas de guerre et que je ne crois aucunement valable. Car combien de temps s'écoulera-t-il une fois ces résolutions adoptées avant qu'elles ne recoivent leur entière exécution ? Douze mois, je crois : eh ! bien, si nous pouvons attendre ces douze mois, qui nous empêche d'attendre vingt-quatre mois sans plus de danger ? Quelle force cette mesure va-t-elle nous apporter sur le champ ? La confédération va-t-elle nous donner un soldat de plus, va-t-elle nous donner plus de ressources financières, moins de frontières à 309 défendre et plus de puissance militaire ? Mais on a dit que les provinces se trouvant placées sous un seul gouvernement, toutes les armées de l'Amérique anglaise obéiraient à un même chef en cas de guerre. C'est là le seul argument qui puisse s'appliquer à cette face de la question :—mais peut- on entretenir un seul moment l'idée que, dans le cas où l'étranger envahirait le Canada, le Nouveau-Brunswick ou la Nouvelle-Ecosse toute l'Angleterre ne frémirait pas d'indignation et n'enverrait pas ses armées à notre secours, soit que nous gardions notre situation actuelle, soit que nous nous unissions ? Je crois donc que ces appréhensions sont futiles comme argument contre l'appel au peuple. ( Ecoutez !) Un hon conseiller a prétendu que la défense du pays ne fera aucun progrès tant que la confédération ne sera pas accomplie. Je ne sais d'où part ce renseignement et s'il est officiel ou non ; mais il n'en est pas moins une annonce foudroyante.
L'HON. M. ROSS—C'est ce que l'on a donné à entendre à la chambre.
L'HON. M. VIDAL—Je ne puis croire et ne crois pas que le gouvernement anglais nous laissera sans protection et sans défense, même en supposant que la confédération ne soit pas adoptée.
L'HON. M. CAMPBELL—Mais nous pouvons fort bien présumer que le résultat de nos délibérations sur le projet de confédération affectera plus ou moins les préparatifs de défense que la métropole pourrait faire en ce pays, et que notre état de défense de même que nos dispositions à agir auront tout également leur influence sur les actes des autorités impériales.
L'HON. M. VIDAL—Cela peut être en définitive, mais je parle d'évènements actuels, et je suis sûr que le gouvernement de Sa Majesté nous enverrait aujourd'hui tout le secours dont nous pourrions avoir besoin.
L'HON M. MACPHERSON —S'il est un fait évident pour tout hon membre c'est le manque de progrès de nos défenses. Cette question semble attendre la solution de celle de la confédération, car rien ne se fait.
L'HON. M. VIDAL—En effet, telle est l'apparence des choses ; mais ce que je ne puis concevoir, malgré les assertions contraires, c'est que tout ce qui contribuera à notre défense sous la confédération ne puisse pas tout aussi bien nous être utile aujourd'hui. ( Ecoutez ! écoutez !) L'hon. commissaire des terres de la couronne, en répondant à l'hon. député de Niagara, a dit que les résolutions présentes n'avaient aucunement pris le pays par surprise : je pense le contraire. Il est bien vrai que ce qui regarde le principe même du projet n'affirme rien de nouveau pour le peuple, mais c'est la plupart des détails qui ont pris le monde par surprise. Jamais auparavant on avait songé à la nature et au caractère des changements proposés.
L'HON. M. CAMPBELL— Est-ce que cette surprise n'a pas été agréable ? (Ecoutez !)
L'HON. M. VIDAL—En effet, elle peut l'être, et elle l'a été pour plusieurs. Ce fut une surprise agréable de voir des hommes de toutes les provinces et appartenant à des partis politiques opposés se réunir et au moyen de concessions mutuelles élaborer en commun un projet comme celui qui nous est soumis en ce moment. ( Ecoutez ! écoutez !) On a fait ce qui devait être, et l'on se trompe grandement lorsqu'on me donne comme opposé à la confédération. Mais c'est aussi parce que j'en apprécie tous les avantages et que je veux empêcher le mal qui pourrait résulter de son adoption trop prématurée que je parle en ce moment comme je le fais. ( Ecoutez ! écoutez !) On a prétendu que l'on n'en avait pas appelé au peuple lors de l'union de l'Angletere et de l'Ecosse, et de la Grande-Bretagne et de l'Irlande :—c'est- vrai ; mais il est également hors de doute que ces deux mesures furent votées par les parlements de ces divers pays et que les députés qui concoururent à ces résultats représentaient les populations intéressées.
L'HON. M. ROSS—C'est précisément ce qui arrive en ce moment pour nous.
L'HON. M. VIDAL—Je demande pardon à mon hon. interrupteur de le contredire ; qu'il me montre une seule partie du projet actuel qui émane du parlement. Est-ce qu'on ne nous dit pas au contraire que si ce dernier vote un seul amendement aux résolutions c'en est fait de la mesure ?
L'HON. M. ROSS—La conduite tenue ici a été exactement la même que celle de l'Angleterre : les négociations ont d'abord eu lieu, ensuite est venue la sanction du parlement.
L'HON M. FERGUSSON BLAIR - Les unions de l'Angleterre et de l'Ecosse et de l'Angleterre et de l'Irlande ne furent pas de simples négociations, mais plutôt des traités.
L'HON. M. ROSS—Oui, mais ils furent d'abord négociés, puis soumis au parlement.
310
L'HON. M. VIDAL—Comme je n'ai pas l'intention de porter davantage la parole dans le cours de la discussion, je parlerai d'une question qui ne se trouve pas liée précisement à l'amendement actuel, mais sur laquelle j'ai déjà dit quelque chose dans une occasion precédente. Nous avons entendu discourir longuement de la nouvelle constitution du conseil législatif ; et l'on a prétendu entr'autres choses que ce furent d'abord des nécessités politiques qui imposèrent le système électif à des hommes qui n'en étaient aucunement épris. Je crois qu'on a établi ce fait d'une manière satisfaisante. Il me conviendrait peu à moi, député élu, de m'étendre sur le mérite ou l'excellence du principe électif appliqué à la constitution de cette branche de la législature ; et de fait personne de nous, hons. messieurs, ne saurait toucher à la question avec la même indépendance d'esprit que si nous n'étions pas conseillers élus. Cependant, j'attirerai l'attention de cette chambre sur le fait que pas un des maux que l'on redoutait de l'application du nouveau système ne s'est encore produit, et je ne crois pas du tout raisonnable et encore bien moins nécessaire d'en attendre de l'avenir. D'accord avec ceux qui protestèrent contre ce système lorsqu'il fut introduit, je ne le considérai pas alors comme un progrès et je pense encore de même. Je n'ai aucune prédilection pour un conseil législatif élu et je lui préférerais un conseil nommé par la couronne : mais je me rappelle que je ne suis pas ici pour faire triompher mes vues ou mes goûts personnels, mais pour défendre les droits et priviléges de mes électeurs ; et je rappellerai à mes hons auditeurs qu'il y a une grande différence entre accorder et enlever un privilége. ( Ecoutez ! écoutez !) On peut octroyer un privilége au peuple sans qu'il le demande, mais il est dangereux de le lui ôter contre son consentement ou même lorsqu'on n'y est pas invité. ( Ecoutez ! écoutez !) Je ne trouve pas que le gouvernement canadien ait fait quoique ce soit pour maintenir le principe électif, et je ne vois rien qui me porte à croire que le principe contraire lui ait été imposé par les provinces d'en-bas. Quelques-unes des provinces maritimes ont peut-être désiré maintenir la constitution de leur conseil législatif, mais le changement de la nôtre a rencontré assurément les vœux des membres du ministère, car rien ne fait voir qu'ils aient tenté le moindre effort pour conserver au peuple de ce pays le privilège dont il jouit aujourd'hui de choisir les membres de cette chambre. ( Ecoutez !) Il y a encore dans le projet certains autres détails repréhensibles et dont le gouvernement canadien est responsable, et en m'exprimant ainsi je ne le fais pas comme son adversaire mais bien comme son ami le plus sincère et le meilleur, comme quelqu'un qui désire l'empêcher de commettre des erreurs. Ce n'est donc pas comme adversaire de la confédération ou du ministère que je soutiens l'amendement de l'hon. député de Niagara.
L'HON. M. ROSS—Mais cet amendement est, je crois, un vote de non confiance?
L' HON. M. VIDAL—C'est en effet ce que l'on a prétendu, mais rien n'établit qu'il en soit ainsi ; cette déclaration est arbitraire. Pour ma part, je ne puis accepter d'être placé dans une telle alternative. Il est bien vrai que le gouvernement peut dire :—" Vous cesser de nous supporter si vous votez de cette façon. "—Mais, de mon côté, je ne puis faire le sacrifice de mes convictions pour rester son ami.
L'HON. M. CAMPBELL—Mon hon. ami voit bien que si tous nos amis en agissaient ainsi il nous serait impossible de faire passer n'importe quelle mesure.
L'HON. M. VIDAL—En limitant à cette chambre la première nomination des conseillers législatifs, la conférence a enfreint la prérogative de la couronne et outrepassé ses droits. Loin de moi de vouloir pour un moment supposer aux délégués canadiens seuls responsables du fait, des motifs bas ou intéressés, et de croire qu'ils n'en ont agi ainsi qu'afin de rallier à leur projet des votes de cette chambre qu'ils n'auraient pas eus autrement : je ne puis cependant pas m'empêcher d'ajouter que cette partie du projet me paraît louche, et que plusieurs peuvent dire comme l'hon. député de Wellington, ( M. SANBORN ), que si ce n'est pas de la corruption cela lui ressemble beaucoup . Telle n'est pas néanmoins ma manière de voir. Je pense qu'on a voulu par ce moyen rendre le changement de système plus acceptable au peuple en choisissant parmi ses représentants dans cette chambre un certain nombre des nouveaux membres du futur conseil législatif. (Ecoutez! écoutez !) Quant à la prétendue impartialité de la 14e résolution, j'avoue que je n'attache aucune importance à ses dispositions ; car je crois que s'il n'était pas compris que le choix sera fait en la manière y désignée, rien n'empêcherait la mesure d'être attaquée par une forte opposition de parti,—et c'est cela qu'on doit éviter. ( Ecoutez !) Il me reste encore une 311 question à traiter se rapportant à ce détail du projet et que je crois très-importante, c'est celle de la déchéance du mandat de vingt-un membres de cette chambre. Sans doute, personne ne sait qui demeurera et qui partira.
UNE VOIX—Il faudra les tirer au sort.
L'HON. M. VIDAL—Je ne parle pas du mode par lequel on déterminera ce choix. ( Ecoutez !) Il y a parmi nous vingt-un conseillers à qui l'on devra dire de rester chez eux ; —les prendra-t-on parmi ceux qui tiennent leur mandat de la couronne ou parmi les députés du peuple ? Ce ne serait que juste, suivant moi, que ceux qui ont été nommés par la couronne fissent les premiers partie de la nouvelle chambre :—l'élimination ne devra dès lors porter que sur les membres élus, dont près de la moitié se trouvera retranchée. Or, n'est-ce pas placer les membres de cette chambre dans une position très-anomale que de les obliger à voter sur une telle mesure? Il eut été, suivant moi, bien plus sage et assurément plus conforme aux sentiments de cette chambre de faire voter d'abord les résolutions dans l'assemblée législative ; du moment que cette clause eut été acceptée par une chambre qui représente plus particulièrement le peuple, il est certain que nous aurions bien moins hésité à la passer. Mais comme le contraire à été fait, je considère de mon devoir envers ceux que je représente d'élever la voix contre cette partie du projet ; je n'ai pas le droit de concourir à les dépouiller d'un privilége quand même mon vote devrait m'assurer ma nomination à vie, car je trahirais les intérêts qui m'ont été confiés. Je suis même convaincu que mon hon. ami de Saugeen qui vient d'être envoyé ici pour représenter cette division, admettra qu'un grand nombre de ses électeurs voteraient dans la négative s'ils savaient que le projet de confédération actuel doit les forcer à faire le sacrifice de leur député. ( Ecoutez ! et rires. )
L'HON. M. MACPHERSON—Je pense au contraire qu'une grande majorité d'entr'eux voteraient dans l'affirmative. ( Rires. )
L'HON. M. VIDAL—Je diffère d'opinion avec mon hon. ami sur ce point. ( Ecoutez !) Hons. messieurs, j'ai avancé que j'étais favorable au projet d'union et je l'affirme encore, quoique l'hon. commissaire des terres de la couronne ait dit qu'il n'en pouvait être ainsi et qu'en votant l'amendement on donnait le coup de mort au projet lui-même. Je ne suis pas de cet avis et je pense que ma conduite au contraire est de nature à contribuer beaucoup au succès de la confédération. Je me regarde comme l'un de ses plus fidèles partisans puisque je cherche à l'affermir sur des bases solides, sur l'approbation du peuple, et cela au prix d'un délai insignifiant. Il a été dit beaucoup de choses inutiles pour servir de préface à la mesure, et on nous a fait des amplifications interminables sur les difficultés de parti qui se rapportaient à la question. En vérité, de si minces circonstances ne peuvent avoir amené la nécessité d'un aussi grand changement constitutionnel. Le peuple, pas plus que le représentant de Sa Majesté, ne pourra croire que ces difficultés provenaient de la source que lui ont assignée quelques uns de nos hommes politiques. Car, quelles sont les paroles de Son Excellence dans un mémorandum communiqué à cette chambre par le conseil exécutif, le 30 juin dernier ?
" Il n'a été soulevé en parlement durant l'existence des divers cabinets qui se sont succédé depuis les élections de 1861, aucune question de principes qui ait pu empêcher les hommes politiques d'agir de concert pour le bien public. Le temps est venu de faire appel au patriotisme des deux côtés de la chambre pour faire cesser-
quoi ? leur conduite de partisans ? leurs luttes politiques ? non-
" leurs dissidences particulières, et s'unir dans un effort réciproque pour procurer l'avancement et le bien-être du pays."
Un peu plus loin, Son Excellence revient encore sur " l'absence de questions politiques qui pourraient les diviser, " et ajoute clairement qu' " un tel état de choses ne pouvait qu'être préjudiciable aux meilleurs intérêts de la province." Ainsi que je l'ai dit, le peuple était en voie d'arriver bientôt à la même conclusion et d'y remédier dans ses élections sans avoir besoin pour cela de changements constitutionnels. Telles étaient donc les vues que Son Excellence a communiquées à son conseil dans un mémorandum, et je me réjouis de les lui voir énoncer. Dans le cas où pareille opinion eût été partagée par le public, je n'hésite pas à dire que les maux dont nous souffrions eussent pu être guéris radicalement sans avoir besoin de recourir à la confédération. Déjà le peuple commençait à s'apercevoir que les animosités personnelles inspiraient la conduite de ses chefs, qu'on n'accordait plus autant d'importance à l'inégalité de la représentation, que personne même, amis ou ennemis, n'en parlait plus, et, cependant, la 312 question de la représentation des deux parties de la province suffisait, suivant moi, à l'introduction d'un pareil changement, et à produire un rapprochement entre des hommes d'état pour tâcher de trouver une solution. Je suis d'opinion que le projet actuel est peut- être le meilleur sur lequel on puisse s'entendre, aussi, suis-je prêt à en attribuer et reconnaître tout le mérite à ses auteurs. Je suis satisfait des neuf-dixièmes et plus peut-être du plan, et je suis prêt à passer sur les quelques défauts que j'y trouve pour le voir adopter en entier. Je crois que le nom seul et le prestige de cette grande mesure auront une influence salutaire sur notre avenir, qu'ils nous inspireront la fierté propre aux grandes nations et ce patriotisme qu'il est si nécessaire d'avoir. ( Ecoutez !) L'union fédérale raffermira notre crédit et c'est là un résultat qui vaut la peine d'être obtenu même au prix de quelques sacrifices. Je crois en outre que lorsque la mesure sera complétée, elle aura pour effet d'attirer ici l'émigration et d'accroître ainsi notre population. A l'heure qu'il est, nous ne réussions guère à attirer l'immigration de ce côté ou ne savons pas la retenir, tandis que si nous étions connus à l'étranger comme étant un grand pays, nous offririons une carrière à cette partie entreprenante et industrielle de la population qui constitue la force et la richesse d'un état. L'union activera, en outre, notre commerce et développera nos ressources et notre industrie. Il est bien de rappeler toutes ces considérations ; sans en attendre tous les avantages que prophétisent les avocats les plus enthousiastes de la confédération, elles n'en sont pas moins dignes de toute notre attention. ( Ecoutez !) Quant à dire que les dépenses du gouvernement sous le nouveau régime seront moins fortes, je crois qu'on avance une fausseté, et que ce sera une source de désappointement pour le public s'il s'en aperçoit trop tard. Le bon moyen et le seul rationnel eut été de faire connaître les faits, d'avouer qu'au lieu de diminuer sous la confédération les dépenses du gouvernement seront plus fortes; qu'à cela il faudra ajouter le coût des travaux de défense qui doivent être construits, du chemin de fer intercolonial qui forme partie du projet, et des autres améliorations sur les canaux dont on ne cesse de parler. La confédération sera dispendieuse sans aucun doute : pourquoi ne pas l'avouer? Pourquoi ne pas dire au peuple: " Voici de grands avantages, mais ils devront nécessairement nous coûter beaucoup ! " Pour ma part, je suis prêt à payer ces avantages au prix qu'on en demande. Je ne me suis pas attaché à analyser tous les chiffres dont l'hon. député de Niagara a émaillé son discours ; car la profusion et la confusion en matière de chiffres dans un discours me font absolument le même effet : je ne le suivrai donc point sur ce terrain. Ma confiance dans les talents et la capacité financière des hommes chargés de surveiller nos intérêts est telle que je n'accepte qu'avec beaucoup de précaution les objections sous forme de chiffres qu'on soulève contre la mesure. Un des hons. orateurs qui m'ont précédé, a remarqué que le doigt de Dieu était visible dans le concours des éléments contraires qui se sont réunis pour l'élaboration de ce projet : je le crois car j'aime à reconnaître l'action d'en Haut sur la vie des individus comme des nations : je me réjouis de voir tous les jours cette chambre demander à Dieu de bénir ses délibérations et j'ai foi qu'elles le sont. J'aurais la même consolation si je voyais la question soumise au peuple, car l'argument qui veut que nous fassions connaître de suite notre décision n'aguère de valeur, et ne nous impose certainement pas l'obligation de voter à la hâte le projet tel qu'il est. ( Ecoutez !) J'ai essayé, hons. messieurs, de vous montrer que je ne m'étais inspiré que du désir le plus sincère de favoriser les intérêts de ce pays dans la conduite que j'ai cru devoir tenir au sujet de cet amendement, et je me suis efforcé de désabuser ceux qui pensent qu'en agissant ainsi je me suis laissé influencer par mon opposition à un projet qu'au contraire je crois avantageux au pays, mais dont je voudrais voir précisément les avantages confirmés par la sanction populaire. Je pense probable, et peut-être est-ce une certitude, que c'est la dernière année que je siège comme député du peuple dans les conseils de mon pays: mais je ne veux pas que ma carrière, quelque courte qu'elle ait été, soit souillée de la moindre tache d'égoïsme, et c'est pourquoi je ne consentirai jamais à donner un vote qui pourrait bien me faire nommer conseiller à vie, mais qui en même temps dépouillerait ceux qui m'ont élu du privilége d'avoir un représentant dans le conseil législatif. ( Applaudissements !)
L'HON. M. BUREAU—Je n'ai pas l'intention de prendre part aux débats sur l'amendement qui occupe maintenant cette hon. chambre. Mais en vérité je ne serais 313 pas justifiable de passer sous silence la déclaration que vient de nous faire l'hon. membre pour Toronto (M. ROSS ). Il nous a dit tout naïvement que si le ministère soumettait un bill concernant l'organisation des gouvernements locaux, que ce serait mal, car, dit-il, il est probable qu'il surgira des difficultés à ce sujet qui pourraient entraîner la résignation de plusieurs membres du cabinet actuel. L'hon. membre pour Toronto, dans ces quelques paroles, a donné le meilleur argument pour justifier le délai que nous demandons; mais ce n'était pas son intention. Dans un autre sens, quelques autres hon. députés ont été, dans mon opinion, d'une force et d'une logique vraiment remarquables. Mais est-il possible de faire une demande plus essentiellement légitime que celle de l'hon. député de Niagara ? Pour ma part, je ne le crois pas. En effet, quoi de plus raisonnable que le désir de connaître et de pouvoir juger sainemement, entièrement et avec satisfaction pour soi et ses commettants, du plan qu'on nous propose ? Cette chambre n'a-t-elle pas le droit d'exiger du gouvernement actuel qu'il lui soumette dans un délai raisonnable, non seulement d'une manière générale, mais surtout d'une manière détaillée, les différents aspects de la constitution qu'on veut lui faire voter avec une precipitation si imprudente et si étrange ? Rappelons-nous qu'on ne fait aucune difficulté quelquefois de donner une session entière à la considération d'une mesure secondaire : ainsi, l'année dernière, on n'a pas essayer de passer un nouveau bill de milice à la vapeur comme on veut le faire aujourd'hui pour la mesure de la confédération ;  au contraire, on a pris le temps nécessaire pour le mûrir et l'examiner sous toutes ses faces. Cependant, quelle immense différence   existe entre ces deux mesures, sous le rapport de l'importance et des conséquences solennelles qu'elles sont susceptibles d'entraîner? Et puis, il n'y a pas à le nier, le plan que l'on veut nous faire adopter n'est encore qu'imparfaitement connu de la législature canadienne, et le peuple en connait à peine  le premier mot, n'ayant pas encore eu le temps d'en prendre connaissance, tant nos ministres l'on entouré de mystère et de    secret. Je considère que l'hon membre pour Toronto a montré un peu trop de zèle pour la cause de ses amis en venant nous faire la déclaration que la chambre a entendue avec un étonnement bien marqué. Je suis prêt à reconnaître qu'en cela il nous a rendu un bien grand service. Je ne doute nullement, en effet, comme nous l'a dit cet hon. monsieur, que l'exposition de l'organisme des gouvernements locaux à cette phase de la discussion, serait, pour le ministère du jour, une action imprudente, et qu'elle serait grandement susceptible de lui susciter de graves difficultés. Je suis aussi d'opinion qu'une des moindres difficultés qu'il appréhende n'est pas celle de la distribution ou de la répartition de la partie de la dette publique que doivent supporter les différentes provinces. En effet, on peut fort bien se demander s'il va être possible de s'entendre sur en point. Avec un courage digne d'une meilleure cause, le ministère vient aujourd'hui nous dire : " Votez d'abord l'adresse, et après cela nous vous soumettrons le plan de l'organisation des gouvernements locaux." Mais voyez donc la contradiction que le gouvernement commet en ceci, et combien sa conduite est illogique ! Supposons pour un instant, que cette mesure soulève des difficultés assez graves, dans le gouvernement actuel, dans le cours de la discussion sur les débats de la mesure, pour qu'il lui faille résigner. Qu'arrive-t-il ? L'adresse étant votée par notre législature, on l'expédie en Angleterre, et pendant que le gouvernement britannique est occupé à la ratifier et à l'incorporer dans un bill qui doit devenir notre constitution, le ministère actuel succombe sur les débats du plan concernant les gouvernements locaux. Un nouveau gouvernement lui succède, un appel au peuple a peut être lieu dans l'intervalle, et quand la nouvelle constitution nous arrive de la Grande-Bretagne, nous avons un gouvernement et une legislature prêts à la rejeter avant sa promulgation. Est-ce en présence d'une pareille perspective que l'on doit se hâter d'accéder à la demande du gouvernement et refuser le délai légitime demandé par la motion maintenantt devant cette hon. chambre ? J'ai donc cru ne pas devoir laisser passer sous silence la déclaration de l'hon membre pour Toronto, car je considère qu'elle est de nature à nous convaincre que la précipitation est grandement dangereuse dans une occasion aussi eminemment solennelle. La constitution d'un pays ne doit pas être changée, de fond en comble, sans que ceux qui sont préposés à la garde des intérêts publics et de cette même constitution, aient eu le temps nécessaire de voir et de constater, d'une façon certaine, si un pareil changement est nécessaire et demandé par le peuple. (Ecoutez ! écoutez!)
314
L'HON. M. OLIVIER—Hon. messieurs : —Je désire adresser quelques mots à cette hon. chambre. Je n'ai certainement pas l'intention de revenir sur ce que j'ai déjà dit dans un discours précédent, mais dans cette occasion, pressé par le temps, qui me faisait défaut, j'ai dû laisser de côté certains aspects du projet sur lesquels j'avais l'intention de revenir lorsque la présente motion serait soumise à cette chambre. Je savais en effet que cette motion reviendrait devant nous, vu qu'elle se trouvait alors inscrite sur les minutes de nos délibérations. Avec ces quelques observations préliminaires, hon. messieurs, je viens considérer avec vous les quelques particularités du projet que j'ai été forcé de passer sous silence lors de mon premier discours sur la mesure de la confédération qui nous est maintenant soumise. Un incident bien remarquable, hon. messieurs, s'est produit à la séance de cette après-midi. Une déclaration tout à fait nouvelle pour chacun de nous, je pense, est tombée des lèvres de l'hon. ministre des terres de la couronne, qui n'a eu que cette seule et unique raison à nous donner pour motiver et exécuter la précipitation avec laquelle son gouvernement veut faire passer et adopter la nouvelle constitution :
" Nous désirons obtenir le vote de cette hon. chambre pour l'offrir au Nouveau-Brunswick et aux autres provinces maritimes qui désirent entrer dans la confédération."
Voilà donc la vraie raison de cette précipitation incompréhensible et imprudente, car je ne puis croire que la raison donnée par l'hon. député qui siége immédiatement devant moi ( Sir N. F. BELLEAU ), pour expliquer cette précipitation, fût sérieuse. En effet, comment ne pas trouver quelque peu étrange la raison que voici, donnée par l'hon. Sir N. F. BELLEAU :
" Le ministère tient à faire adopter de suite le plan de confédération, parce que lord PALMERSTON, qui est déjà vieux, peut mourir d'un jour à l'autre."
J'aime mieux accepter la raison de l'hon. commissaire des terres de la couronne que celle de son hon. ami, que je ne puis croire avoir été autorisé à la donner. Ainsi donc, cette chambre et le pays connaissent maintenant le secret de cet empressement intempestif du gouvernement, et je ne doute pas qu'il en prenne note. Mais je me permettrai de demander à l'hon. commissaire des terres de la couronne, qui nous a donné une aussi étrange raison, s'il veut s'exposer à tromper les populations des provinces d'en-bas avec le vote qu'il veut ainsi précipiter. Je lui demanderai s'il est désirable que cette chambre donne sur-le-champ le vote en question,- vote qui aura indubitablement l'effet de les induire en erreur sur le sentiment et l'opinion du peuple de ce pays relativement au projet de confédération ? Eh bien ! hon. messieurs, je n'hésite pas un seul instant à déclarer devant cette chambre que le fait seul de l'anxiété du ministère à vouloir obtenir de suite un vote de cette chambre sur cette importante mesure, est ce qui devrait le plus nous mettre sur nos gardes, et justement ce qui devrait le plus nous engager à ne pas le donner ainsi à la légère et d'une manière peu digne de législateurs prudents et sages. En effet, hon. messieurs, notre vote aura une signification qu'on chercherait en vain à diminuer ; nous formons la première chambre de ce pays, et quand on verra là-bas, aux provinces maritimes, que nous avons voté pour la mesure telle qu'elle nous a été soumise, on croira naturellement et avec raison que notre vote a été donné avec parfaite connaissance de cause, et que nous exprimons pleinement le vœu et le sentiment populaires sur cette importante question. On ne supposera jamais que nous ayons mis de côté et négligé d'interroger l'opinion de ceux que nous représentons dans cette chambre ; on ne croira jamais que le pays ait été aussi peu consulté qu'il l'a en effet été. Je dis donc, hon. messieurs, que le vote qu'on veut nous faire donner aujourd'hui est de nature à tromper le peuple des provinces d'en-bas, tant sur l'opinion de cette hon. chambre que sur celle de la grande majorité du peuple de cette province, et que nous ne pouvons pas le donner avec satisfaction pour nous-mêmes non plus que pour ceux que nous représentons ici. J'ai déjà eu occasien de dire avant aujourd'hui que le plan de confédération ne nous avait pas été soumis en entier. Je suis prêt a prouver cette assertion. Je maintiens qu'une partie seulement du projet nous a été soumise, et sous ces circonstances je demande à cette hon. chambre s'il est prudent d'accepter et de sanctionner une mesure que nous ne connaissons qu'imparfaitement ? En acceptant et recevant de mes électeurs le mandat de conseiller législatif, j'ai pris la ferme détermination de ne jamais accepter les yeux fermés les différentes mesures ou projets qui pourraient être soumis à mon approbation cette hon. chambre. Cette 315 résolution, je l'ai suivie jusqu'à présent, et j'espère que jamais je ne l'oublierai dans le cours de ma carrière politique. J'ai dit il y a quelques instants, hon. messieurs, que le plan de confédération ne nous avait pas été soumis en entier : je vais maintenant essayer de le démontrer. Par l'article 6 de la 43me résolution, nous voyons que les législatures locales auront le pouvoir de faire des lois sur le sujet de l'éducation, sauf les droits et priviléges que les minorités catholiques ou protestantes posséderont par rapport à leurs écoles séparées au moment de l'union. De sorte que par cette résolution nous allons affirmer que les minorités seront liées par les lois d'école qui existeront au moment que s'opèrera la confédération. D'un autre côté, nous apprenons qu'il sera présenté un bill pour protéger davantage les droits de la minorité protestante dans le Bas-Canada, sans que l'on sache si la même protection et les mêmes avantages seront accordés à la minorité catholique du Haut-Canada. Ces lois d'école forment donc partie même du projet que nous sommes appelés à voter ; et si malheureusement, après que nous aurons adopté ces résolutions, nous ne pouvions obtenir justice pour la minorité du Haut- Canada, ne serions-nous pas coupables d'avoir voté ce plan sans le connaître en entier? Nous avons donc le droit d'être sur nos gardes. En effet, si, comme on le dit, la mesure ne devait pas mettre en danger les droits de la minorité catholique du Haut- Canada, pourquoi nous refuserait-on, comme on 1e fait, les détails et les renseignements que nous voulons et désirons avoir avant de nous prononcer sur son mérite ? Je maintiens que tout homme qui désire sincèrement rendre justice aux minorités en question, ne saurait voter comme on nous demande de le faire. En l'absence des renseignements que nous avons le droit de demander au ministère sur la nature des garanties qui seront offertes par la nouvelle constitution aux minorités des deux instants du Canada, je n'hésite pas un instant à déclarer que cette hon. chambre est justifiable et remplit un devoir sacré en demandant le délai demandé par la motion de l'hon. deputé de Niagara. S'il arrive que le peuple soit appelé à se prononcer sur le mérite de la mesure, il faudra de toute nécéssité que nous, ses représantants, puissions lui expliquer et lui exposer les détails de cette même mesure. Nous avons donc raison d'insister pour que ces renseignements nous soient fournis. Le premier ministre me permettra maintenant de lui faire une question. Ne pourra-t-il pas arriver, après que ces résolutions auraient été adoptées, que la majorité protestante du Haut-Canada s'allie à la minorité protestante du Bas- Canada dans le parlement actuel, et enlève à la minorité catholique du Haut-Canada les droits qui devraient lui appartenir au sujet de l'éducation de ses enfants? Si une pareille éventualité se produisait, je le demande à l'hon. premier ministre, quel moyen resterait à la minorité lésée de se faire rendre justice ?
L'HON. SIR E. P. TACHÉ—Je vous le ferai connaître en temps et lieu.
L'HON. M. OLIVIER —L'hon. premier ministre devrait nous faire connaître les détails de la mesure à ce sujet. Je ne veux pas dire que je suis contre toute confédération possible, mais ce à quoi je ne consentirai jamais, c'est de voter pour une confédération dont je ne connais ni la nature exacte ni les détails. L'article que j'ai cité plus haut, hon. messieurs, est un de ceux sur lesquels je tenais à appuyer ; je citerai maintenant la résolution 67. Je vois par cette résolution " que le gouvernement général devra remplir tous les engagements qui pourront avoir été pris, avant l'union, avec le gouvernement impérial, pour la défense du pays." Eh ! bien, le croiriez-vous, on ne s'est même pas donné la peine de dire par qui ces engagements doivent être pris ! Non, on se contente tout bonnement de constater l'obligation plus haut mentionnée dans la résolution, Eh! bien, je suppose le cas où notre gouvernement se serait ainsi engagé pour une somme de cinquante millions de piastres, allons-nous et pouvons-nous affirmer que cette obligation était nécessaire en votant pour la mesure sans même connaître la portée de cette obligation ? Maintenant, si je passe à la résolution 68, j'y lis :
" Le gouvernement général devra faire compléter sans délai, le chemin de fer intercolonial, de la Rivière-du-Loup à Truro, dans la Nouvelle Ecosse, en le faisant passer par le Nouveau- Brunswick."  
Eh ! bien, hon. messieurs, je maintiens qu'il y a encore ici une partie du plan que nous ne connaissons pas. Nous ne savons pas quel sera le coût de cette voie ferrée ainsi indiquée dans la résolution que je viens de citer ; nous sommes ici encore tenus dans la plus compléte ignorance par le gouvernement actuel. Un hon. membre de cette chambre 316 a déclaré que quand bien même le chemin de fer intercolonial devrait coûter cinquante millions de piastres, nous ne devrions pas hésiter à favoriser sa construction, car même à ce prix exorbitant le pays y trouverait son compte. Eh! bien, je vous le demande, cette chambre agirait-elle avec cet esprit de sagesse et de prudence qui doit la caractériser en votant aveuglément une dépense aussi énorme que celle-là ? Je ne le crois pas, et, pour ma part, je n'hésite pas un instant à dire que je refuserai. Je sais bien, d'un autre côté, que l'établissement de cette immense voie ferrée ne saurait coûter une aussi forte somme, mais je sais aussi qu'il est généralement admis, tant dans cette chambre qu'au dehors de la législature, qu'elle ne pourra pas coûter moins qu'une vingtaine de millions. Et puis, ne sait-on pas encore qu'il est arrivé très-souvent que des travaux publics dont on avait fixé le coût à un million de piastres, par exemple, se sont trouvés une fois complétés en avoir coûté le double et quelquefois même plus que le double ? Il peut en arriver de même pour le chemin de fer intercolonial, qui, il n'y a pas à se le cacher, coûtera certainement plus que la somme que l'on suppose ; et je le répète, cette chambre doit y songer à deux fois avant de sanctionner une dépense aussi onéreuse pour son trésor, déjà considérablement obéré, et qui ne se trouvera guère dans une position plus florissante lorsque les diverses provinces britanniques de ce continent se trouveront réunies sous la confédération. Je demande donc avec raison qu'on fasse connaître les détails du plan avant de venir nous demander de le sanctionner. J'ai déjà dit que je ne prétendais pas être contre toute confédération des provinces ; que je pourrais être pour une confédération qui ne serait pas trop onéreuse pour ce pays ; mais on comprend qu'il m'est complètement impossible d'être pour un projet de ce genre dont je ne connais pas les détails ni l'ensemble. Il me semble que le ministère n'aura pas le droit de se plaindre si, sous ces circonstances, nous votons contre son projet, que nous désirerions connaître entièrement afin de former à cet égard notre jugement et celui du peuple que nous représentons. Je ne pense pas qu'on puisse prétendre que cette chambre n'a pas le droit d'exiger une chose aussi juste et aussi raisonnable. Comme vous avez pu le voir, hon. messieurs, si nous acceptons les résolutions que l'on nous propose, nous nous trouverons à mettre en danger les droits des minorités dans les deux sections de la province ; nous nous exposons à payer des sommes énormes pour la construction d'un chemin de fer qui serait peut-être d'une complète inutilité pour la défense du pays. Il me semble qu'avant de contracter des obligations aussi onéreuses, nous avons besoin de refléchir mûrement et de bien peser toutes les chances possibles d'éventualités aussi sérieuses. Je n'ignore pas qu'il est certains hon. membres de cette chambre qui ne se rendront jamais aux raisons que je viens d'énumérer ; aussi n'entreprendrai-je pas de les convertir à mon opinion, car je sais que tous mes efforts seraient inutiles. Le fait que nous ne voulons pas accepter la mesure qu'on nous propose sans auparavant la connaître, n'implique certainement pas, comme on le dit et le supose, que nous soyons contre toute idée de confédération. Une autre disposition du projet que nous ne saurions approuver, c'est celle par laquelle la constitution du conseil législatif du parlement fédéral se trouve basée sur le principe nominatif au lieu du principe électif, comme c'est le cas aujourd'hui pour cette même branche de la législature sous notre gouvernement actuel. J'ai déjà eu occasion d'exprimer mon opinion sur le changement constitutionnel qu'on voulait faire subir à notre conseil actuel : ainsi, je ne reviendrai point sur ce sujet. L'hon. commissaire des terres de la couronne a prétendu que nous nous trouvions autorisés par notre mandat actuel à voter sur le renversement de constitution projeté. Je me permettrai de différer de son opinion. Je connais la nature d'un mandat, soit civil, soit politique : tous deux ils entraînent à peu près les mêmes devoirs. Eh bien ! quel est le mandat que nous avons reçu de nos commettants ? Celui de faire fonctionner la constitution actuelle au meilleur de notre intelligence et de notre jugement. Tel est le mandat qui nous a été conféré, mais jamais nos électeurs ne nous ont autorisé comme on le propose aujourd'hui, de détruire cette même constitution et de faire une alliance politique avec les autres provinces anglaises de ce continent. L'exemple d'un pareil bouleversement constitutionnel, sans l'autorisation du peuple, ne se trouve dans aucune des pages de l'histoire. On a déclaré dans cette enceinte que le projet de confédération était connu d'une partie du pays, et qu'il n'y avait aucun inconvénient à en presser l'adoption. Je me permettrai de différer encore des hon. 317 membres qui ont exprimé une pareille opinion. Je pense que quand bien même le projet serait, comme on le dit, connu d'une partie du peuple de ce pays, ce ne serait pas une raison pour en précipiter ainsi l'adoption ; car le plan intéresse également le pays en général, et il ne suffit pas qu'il soit acceptable à une certaine partie des habitants de ce pays, mais bien à la grande masse du peuple. D'ailleurs, si les assemblées qui ont déjà eu lieu dans le Bas-Canada au sujet de la confédération peuvent servir à faire connaître l'opinion populaire relativement à cette question, au moins dans cette section de la province, on peut dire sans crainte qu'elle a été universellement condamnée dans 15 comtés. Oserait-t-on prétendre que le Bas-Canada ne saurait compter dans la confédération, et que le Haut-Canada seul a droit de faire entendre sa voix ? que son approbation ou désapprobation du projet peut seule entraîner l'adoption ou le rejet de ce même projet ? Assurément, je ne pense pas qu'on ose jamais émettre une telle prétention. Je ne connais qu'un seul comté dans le Bas-Canada qui ait autorisé son mandataire à voter comme bon lui semblerait sur le projet en question. Je crois donc pouvoir dire que la raison qui incite le gouvernement à faire adopter cette mesure sans en soumettre tous les détails, c'est qu'il craint que ces détails ne soient connus du peuple, qui ne pourrait faire autrement sans doute que de les rejeter. Après lui avoir montré la confédération sous les dehors les plus brillants, il craint de la lui laisser voir sous son véritable jour et telle qu'on veut la lui imposer. J'ai déjà dit que dans tout le Bas-Canada il ne s'était trouvé qu'un seul comté qui avait laissé à son représentant le privilége de voter suivant son jugement sur la mesure actuelle Dans tous les autres comtés où le peuple a été appelé à se prononcer, le projet de confédération a été formellement condamné.
L' HON. M. GUEVREMONT—Plusieurs comtés se sont prononcés en faveur du projet, le comté de Vaudreuil entre autres.
L'HON. M. OLIVIER—Je ne sache pas que le comté de Vaudreuil ait voté en faveur de la confédération. L'hon. député de Saurel a aussi mentionné le comté de Richelieu comme l'un de ceux qui n'avaient pas rejeté le projet de confédération.
L'HON M. GUÈVREMONT—L'assemblée en question n'a pas condamné la confédération : elle s'est simplement prononcée en faveur de certaines résolutions qui lui ont été soumises, lesquelles demandaient que le peuple fût consulté sur le changement constitutionnel projeté.
L'HON. M. OLIVIER—Il est bien vrai que le comté de Richelieu n'a pas condamné les détails de la mesure, et cela pour une raison bien simple : c'est que le gouvernement ne les a jamais laissés connaître et qu'il persiste encore, à cette heure, à les laisser ignorer au pays Mais l'hon. membre admet que le comté de Richelieu a chargé son mandataire de demander un appel au peuple. Dire que le Bas-Canada est favorable au projet de confédération, c'est avancer une chose que les assemblées populaires qui ont eu lieu depuis un mois ou deux démentent de la manière la plus formelle. Je sais à quoi m'en tenir sur l'expression de l'opinion publique dans le district de Montréal ; quant au district de Québec, les hon. membres qui représentent ses différentes divisions voudront bien me dire s'il y a eu ou non des assemblées en faveur de la confédération. En attendant qu'on me démontre que le projet y a été approuvé, je me permettrai de penser que le district de Québec, de même que celui de Montréal, n'approuve pas la confédération projetée. Je ne veux pas dire que le pays entier est contre toute idée de confédération, mais je maintiens qu'il ne saurait être en faveur d'un projet dont il ne connaît pas les détails et dont l'ensemble ne lui est pas connu. Le moyen le plus efficace de pourvoir à la défense d'un peuple et d'un pays, c'est que le peuple soit attaché à la constitution du pays ; vouloir lui imposer une constitution, c'est tout simplement le pousser vers l'anarchie. Or, nous sommes déjà assez entourés de périls pour ne pas aggraver davantage notre position Faites en sorte que le peuple aime sa constitution, et vous pouvez être assurés qu'il saura la défendre quand elle sera menacée. Mais ce n'est certainement pas en procédant comme vous le faites que vous arriverez à ce résultat. La raison donnée par l'hon. commissaire des terres de la couronne pour presser la mesure ne me parait pas suffisante. Nous ne sommes pas ici pour plaire aux provinces maritimes ou pour législater dans leur intérêt, mais nous sommes ici pour sauvegarder les droits de nos concitoyens : nous ne sommes pas venus ici avec l'idée préconçue d'empêcher tout projet d'union ; nous sommes tous intéressés à la prospérité et à la grandeur de notre pays. La dernière fois que j'ai eu l'honneur d'adresser 318 la parole à cette hon. chambre, j'ai dit que pour les questions qui intéressaient le plus le Bas-Canada, la confédération projetée serait une union législative ; c'est-à-dire, que nous serions à la merci du Haut-Canada et des provinces maritimes. J'ai exprimé cette opinion de bonne foi, et si je me suis trompé dans mes prévisions, j'espère que les hon. membres du gouvernement voudront bien m'éclaicir à ce sujet et me démontrer mon erreur. On ne l'a pas fait dans l'occasion, car je ne saurais accepter comme une réponse satisfaisante les quelques explications données à cet effet par l'hon. membre qui siége devant moi. Je dis que le gouvernement fédéral aura le pouvoir de déclarer que les corporations religieuses, par exemple, n'auront pas le droit de posséder des propriétés immobilières au-delà d'une certaine valeur, plus qu'il ne leur en faudra pour les besoins immédiats de leurs maisons. Il aura aussi le pouvoir de décréter qu'il n'y aura aucune relations entre l'Eglise et l'Etat. Je dis que les pouvoirs du gouvernement fédéral seront tels que le Bas-Canada ne sera qu'un zéro dans les affaires qui l'intéressent le plus.
L'HON SIR E. P. TACHÉ—Oui ! oui ! c'est cela.
L'HON. M. OLIVIER—Je suis heureux de voir que l'hon. chevalier l'avoue lui-même.
L'HON. SIR. E. P. TACHÉ — L'hon. membre doit comprendre dans quel sens je dis " oui." Il doit voir que je dis cela ironiquement.
L'HON. M. OLIVIER—Si l'hon. chevalier dit cela ironiquement, tout ce que j'ai à lui répondre, c'est que je regrette de voir que, lorsque je m'informe sérieusement des affaires du pays, lorsque je cherche à avoir des éclaircissements sur une question aussi importante, l'on ne puisse répondre sérieusement et que l'on n'emploie que l'ironie pour répondre. Je demande des informations parce que j'avoue, moi, que je puis me tromper dans l'opinion que je me forme sur cette question ; mon opinion n'est pas infaillible, pas plus que les membres de la conférence de Québec n'étaient infaillibles, pas plus que les membres bas-canadiens du ministère ne sont infaillibles ; et c'est précisément à cause de cela que je voudrais avoir des informations qui pussent m'éclairer et me permettre de porter un jugement correct sur la question. Est-ce que ceux qui ont préparé ce projet ont la prétention de croire qu'ils ne peuvent pas se tromper ? Quand je m'informe des détails de ce projet au nom de mes commettants, l'on répond ironiquement ! Mais je connais la valeur de ces réponses-là, et je sais que c'est à l'ironie que l'on a recours lorsque l'on est embarrassé de répondre sérieusement et que l'on n'a pas de bonnes raisons à donner. Je sais ce que c'est que de discuter, et si je n'ai pas souvent discuté dans cette hon. chambre, j'ai discuté au barreau, et je sais parfaitement que ceux qui n'ont pas de bonnes raisons à opposer aux arguments de leurs adversaires cherchent à changer le terrain de la discussion en la faisant porter sur un point mineur et en se servant de l'ironie. Si l'on refuse de donner ici les explications que je demande, comment pourrai-je donner à mes électeurs les informations qu'ils ont le droit d'attendre de moi ? Mais je vais en venir au principe de nomination que l'on veut introduire dans la nouvelle constitution du conseil législatif fédéral. Quand j'ai entendu l'hon. chevalier faire l'histoire des derniers moments du conseil législatif nominatif, il m'a semblé que c'était la plus forte condamnation possible du projet actuel. En effet, il nous a dit que les membres nommés à vie étaient des hommes honorables qui, par leur position et leur intégrité, avaient le droit de marcher la tête haute, mais que, lorsqu'ils passaient dans les rues, ils semblaient marcher la tête basse. Pourquoi ?
L'HON. SIR E. P. TACHÉ—Je n'ai pas dit qu'ils marchaient la tête basse dans les rues. J'ai dit que c'était des hommes honorables qui avaient le droit de marcher la tête haute partout, mais qu'ils ne voulaient plus venir siéger au conseil à cause des préjugés de l'opinion publique, qui avait été faussée.
L'HON. M. OLIVIER—L'opinion unanime d'un pays ne se fausse pas ainsi, et l'opinion du pays était unanime à condamner le système de nomination par la couronne. Et pour que l'opinion publique devienne aussi unamine qu'elle l'était contre ce système, il faut que ce soit le résultat d'un travail lent et profond, et que la cause de mécontentement soit réelle. Il faut que le Bas-Canada, de même que le Haut-Canada, ait souffert longtemps du système pour le condamner comme ils l'ont fait. Et je regrette beaucoup d'avoir entendu l'hon. chevalier dire qu'il voulait revenir à ce système. Peut-être qu'en avançant en âge on peut changer ses vues et ses opinions ; mais il me semble qu'on ne devrait pas les changer en aussi peu de temps que l'hon. chevalier l'a 319 fait à propos de la constitution du conseil législatif ; et il n'y a pas longtemps que le document qui a été lu ce soir a été signé. Je dis donc que le récit que nous a fait l'hon. chevalier est la condamnation du système que l'on veut introduire aujourd'hui. Après ce que l'hon. chevalier a dit des conseillers nommés par la couronne, avec quelle grâce les nouveaux conseillers viendront-ils siéger ici ? N'y aura-t-il pas un préjugé plus fort que jamais contre eux, parce que l'on dira que ceux qui auront voté pour le projet qui nous est soumis, l'auront fait dans le but de garder leur siége pour le reste de leur vie ? Quel respect le peuple pourra-t-il avoir pour une telle chambre ?
L'HON. SIR E. P. TACHÉ—L'on sait bien que vous ne vendrez pas les droits du peuple pour un plat de lentilles.
L'HON. M. OLIVIER—Ni pour un plat d'or. Je demande si le gouvernement de l'hon. chevalier m'a jamais compté parmi ses solliciteurs ?
L'HON.SIR E.P. TACHÉ—Je ne vous ai pas accusé de cela.
L'HON. M. OLIVIER—Non ; mais vous le donnez à entendre.
L'HON. SIR E. P. TACHÉ—C'est vous qui dites que les siéges à vie sont un appât pour les conseillers.
L'HON. M. OLIVIER—Je comprends l'intention de l'hon. chevalier. Et quand on dit ironiquement que je ne vendrais pas les droits du peuple pour un plat de lentilles, j'ai le droit de dire que je ne les vendrais pas même pour un plat d'or, car jusqu'à présent, Dieu merci ! pas un gouvernement ne m'a jamais compté au nombre de ses solliciteurs. Je vis de mon travail et je n'ai pas besoin du gouvernement. J'ai remarqué l'expression dont s'est servi l'hon. chevalier quand il a parlé des derniers moments du conseil législatif nommé par la couronne. Il nous a dit que pour ramener le prestige du conseil législatif, on avait été obligé de le rendre électif. Mais ce n'était pas là la seule raison de ce changement : il y avait un motif également raisonnable pour que le conseil devînt électif, et ce motif, c'est qu'en faisant élire les conseillers, ils seraient pris dans toutes les parties du pays, et qu'en conséquence ils représenteraient l'opinion publique des différentes parties du pays. Il y a eu un temps, sous l'ancien ordre de choses, où l'opinion de deux ou trois homnes des villes de Québec et de Montréal formaient l'opinion publique de tout le Bas-Canada. Cela avait un mauvais effet, car il faut que l'opinion publique des différentes parties du pays soit représentée dans cette chambre comme dans l'autre. C'est pour atteindre ce but que le pays a été séparé en divisions, et que l'on a exigé que les conseillers élus résidassent dans ces divisions ou y eussent des propriétés foncières au montant de £2,000. Mais avec le système des nominations par la couronne, on pourrait choisir comme autrefois des hommes dans les grandes villes,—car il ne sera pas difficile pour eux d'acquérir pour £1,000 de propriétés dans les divisions,—et le pays ne se trouvera pas également représenté au conseil. Une autre raison pour laquelle le système électif est préférable au système nominatif, c'est qu'à chaque nouvelle élection le nouveau membre élu représente l'opinion alors actuelle du peuple, tandis que les conseillers nommés à vie peuvent représenter quelquefois l'opinion publique de vingt ans en arrière. Il est désirable pour le progrès du pays que de temps en temps il vienne dans cette chambre des hommes qui représentent l'opinion actuelle du pays.
L'HON. M. ARMSTRONG propose que le conseil s'ajourne.—Pour, 21 ; contre, 29.
L'HON. M. OLIVIER—Maintenant je vais tâcher de répondre à une objection faite par l'hon. commissaire de terres de la couronne ( M. CAMPBELL ) à la motion de l'hon. membre pour Niagara ( M. CURRIE. ) Il a prétendu que cette motion était en contradiction avec la position prise par l'hon. membre qui a secondé la motion, parce qu'il s'est déclaré en faveur de la confédération. Pour ma part, je ne vois pas de contradiction dans l'action de l'hon. membre, car il demande seulement que du délai sort accordé au peuple afin qu'il ait le temps de se prononcer sur la question. Il est indifférent que ce délai soit accordé d'une manière plutôt que d'une autre. Si le gouvernement accorde ce délai, il lui restera à décider si la question sera soumise au peuple au moyen d'une élection générale ou autrement. L'amendement de l'hon. membre pour Niagara ne propose aucun moyen particulier de soumettre la question au pays ; tout ce qu'il veut, c'est qu'elle soit soumise, et il laisse au gouvernement le choix du moyen qui lui paraîtra le plus convenable. Et c'est précisément la position que je prends moi-même ; car j'ai dit aux membres qui ont l'air de croire que je suis absolument opposé à la confédération, que tel n'était pas le cas ; mais 320 je veux obtenir du délai pour avoir le temps de savoir si le peuple est hostile ou favorable au projet. Mais si le plan était soumis au pays, il serait désirable qu'il le fût dans tous ses détails, et non pas seulement dans l'état dans lequel il est actuellement devant nous. Je ne veux pas fatiguer la chambre, mais je tenais à exprimer mes vues et à dire pourquoi je me propose de voter en faveur de la motion de l'hon. membre pour Niagara. ( Applaudissements. )
L'amendement proposé par l'hon. M. CURRIE est alors mis aux voix et perdu sur la division suivante :
Pour :—Les hon. messieurs Aikins, Archambault, Armstrong, Chaffers, Currie, Dickson, A. J. Duchesnay, E. H. J. Duchesnay, Flint, Leonard, Malhiot, Olivier, Perry, Proulx, Read, Reesor, Seymour, Simpson, et Vidal,—19.
Contre : — Les hon. messieurs Alexander, Armand, Sir N. F. Belleau, Bennett, Blake, Boulton, Bull, Burnham, Campbell, Christie, Crawford, DeBeaujeu, Dumouchel, Foster, Gingras, Guévremont, Hamilton (Inkerman,) Hamilton (Kingston,) Lacoste, McCrea, McDonald, McMaster, Macpherson, Matheson, Mills, Panet, Ross, Shaw, Skead, Sir E. P. Taché, et Wilson.—31.
Sur motion de l'hon. M. AIKINS, les débats sont ajournés.

Source:

Province du Canada. Débats parlementaires sur la question de la Confédération des provinces de l'Amérique britannique du nord. Quebec: Hunter, Rose et Lemieux, Imprimeurs Parlementaires, 1865. Numérisé par Canadiana.

Credits:

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Selection of input documents and completion of metadata: Gordon Lyall.

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