LUNDI, l3 février 1865.
L'HON. M. REESOR.—La question qui
nous occupe à cette heure ayant pour but de
changer la constitution non seulement de
cette chambre mais de toutes les provinces
de l'Amérique Britannique, je pense que
l'on devrait y dédier plus de temps, et mon
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intention, en prenant la parole, est de suggérer à cette hon. chambre l'ajournement
de ces débats, disons à dix jours. ( Cris de
" non ! non !" ) Depuis que la discussion
est ouverte, beaucoup de nouvelles idées sur
ce projet ont été développées qui, auparavant,
n'étaient pas complétement comprises. Le
pays ne connait pas encore assez le projet, et
je doute même qu'il soit bien compris de
tous dans les deux branches de la législature.
Une constitution ne se fait pas en un jour,
et il ne devrait pas suffire d'une semaine
pour décider de son adoption ou de son rejet.
Si nous faisons une nouvelle constitution,
j'espère que ce ne sera pas pour dix ou vingt
ans mais pour des siècles.
L'HON. M. CAMPBELL.—L'hon. monsieur veut-il faire une motion à ce sujet,
ou les débats vont-ils continuer sans cette
motion ?
L'HON M. REESOR.—J'ai une résolution que je me propose de soumettre bientôt
à la chambre.
L'HON. M. CAMPBELL.—Est-ce que
l'hon. membre entend mettre fin à la discussion maintenant ? Ce serait certainement
prématuré.
L'HON. M. REESOR.—L'hon. monsieur
sait fort bien que nous ne voulons pas étouffer
la discussion ; s'il est quelques personnes
qui le désirent, ce sont ceux qui veulent
hâter la passation de cette mesure. Pour
bien des raisons, les débats sur cette question
devraient être remis, d'abord parce qu'elle
est des plus importantes et ensuite pour que
nous ayons le temps d'obtenir plus de renseignements à son égard. Chacun sait que
d'habiles et éloquents discours, qui n'ont pas
encore été publiés en entier, ont été prononcé dans l'autre chambre, et pour nous
mettre en mesure d'en prendre connaissance
et juger des arguments apportés en faveur
du projet, je propose que ces débats soient
ajournés à dix jours.
L'HON. M. MOORE—Je conviens avec
l'hon. monsieur qui a fait cette motion que
la question devant nous est très importante
et devrait être étudiée dans tous ses mérites
et démérites par cette chambre et par le
peuple. Je pense avec lui que nous
devrions avoir l'avantage de prendre connaissance des habiles et éloquents discours
prononcés dans l'autre chambre et dans
celle-ci ; et comme la discussion a été ajournée dans l'autre branche de la législature,
je ne crois pas que nous ferions mal d'en
faire autant. De plus, il y a d'autres parties
contractantes,—les provinces inférieures,-
qui y sont autant intéressées que nous-
mêmes. Ainsi que je crois le savoir, la législature de la Nouvelle-Ecosse est en session,
et
au moyen du télégraphe nous pourrions être
informés des sentiments de cette province
au sujet de la mesure. Tout cela ne tarderait
nullement l'action la chambre, sachant que
d'ordinaire elle expédie avec plus de rapidité
que l'autre les affaires de son ressort. Ainsi,
au lieu d'y perdre, il y aurait au contraire
beaucoup à gagner par un ajournement temporaire des débats. (Ecoutez !) Je désire
faire connaitre à la chambre mes vues sur
tout le sujet, mais je ne le ferai qu'après qu'il
aura été discuté avec le calme et le temps que
son importance exige . Cette question nous
concerne tous, et je pense que dans sa discussion tout esprit de parti devrait être
mis
de côté. Nos intérêts sont identiques dans le
succès comme dans l'insuccès. Si la mesure
est bonne, et si le projet de confédération est
le remède à tous nos maux politiques, un peu
de temps donné à la réflexion ne saurait lui
nuire. (Ecoutez !) Lorsque nous en viendrons
à la discussion du projet, plusieurs points
importants demanderont à être éclairés. Nous
avons encore à constater quels seront les
pouvoirs respectifs du gouvernement fédéral
et des administrations locales ; et il n'est
que juste qu'il soit donné au cabinet le
temps nécessaire pour répondre aux questions
posées sur ce sujet. Nous avons aussi des
explications à recevoir au sujet du droit
d'exportation sur les houilles et" autres
minérais, d'après lesquelles nous saurons si
ce droit doit étre prélevé par le gouvernement local de la Nouvelle-Ecosse sous la
confédération, et s'il doit être imposé sur
toutes les houilles exportées et non sur celles
à destination d'autres parties de l'union
projetée. Nous sommes encore à savoir si le
droit d'exportation sur les bois du Nouveau-
Brunswick fera, comme je le comprends,
partie du gouvernement local de cette
province, et si le droit de coupe, sur cette
partie du domaine de la couronne appartenant au Bas-Canada, doit être appliqué
aux fins du gouvernement local du Bas-
Canada.
L'HON. M. CAMPBELL. —Je serai très
heureux de donner à mon hon. ami tous les
renseignements qu'il pourra désirer.
L' HON. M. MOORE—Il est certainement à propos que ces renseignements nous
soient donnés, soit par l'hon. premier ministre ou par l'hon. commissaire des terres
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de la couronne, et je conclus en disant qu'il
serait profitable à la chambre d'ajourner les
débats pour donner à toutes ces choses le
temps de se faire.
L'amendement est mis aux voix et perdu
sur la division suivante :
Pour :—Les hons. MM. Aikins, Archambault,
Armstrong, Bennett, Chaffers, Cormier, Currie,
A. J. Duchesnay, Flint, Leonard, Leslie, McDonald, Moore, Olivier, Perry, Proulx,
Reesor,
Seymour et Simpson.—19.
Contre :—Les hons. MM. Alexander, Allan,
Armand, Sir N. F. Belleau, Fergusson Blair,
Blake, Boulton, Bossé, Bull, Burnham, Campbell,
Christie, Crawford, DeBeaujeu, Dickson, E. H. J.
Duchesnay, Dumouchel, Ferrier, Foster, Gingras,
Hamilton (lnkerman), Hamilton (Kingston), Lacoste, McCrea, McMaster, Macpherson, Matheson,
Hills, Panet, Prud'homme, Read, Ross, Shaw,
Skead, Sir E. P. Taché, Vidal et Wilson,—37.
L'HON. M. REESOR — Je vais essayer
d'être très concis dans les remarques que j'ai
à faire à la chambre. Je ne m'oppose pas
aux objets de ces résolutions ni à la mesure,
mais à quelques-uns de ses détails. Je désire
voir s'opérer une union des colonies de
l'Amérique Britannique du Nord, et ce
que je veux aussi, c'est que les conditions
de cette union soient faites de manière à ne
pas amener plus tard une désunion, ni à empêcher aucune partie de l'Amérique du Nord
de faire à l'avenir partie de la confédération
projetée. J'ai l'espoir que nous formerons un
jour une grande confédération de l'Amérique
Britannique du Nord, et je vois là une raison
de plus d'exiger que les termes de cette
union soient irréprochables aux yeux de
presque tous sinon de tous. On ne doit pas
oublier non plus que c'est aux circonstances
particulières où s'est trouvé le pays depuis
huit ou dix ans, que l'on doit de voir aujourd'hui du même bord ceux qui étaient autrefois
les représentants de deux grands partis
politiques. Ceux qui supportent cette mesure
ont donné pour raison que nos crises politiques
avaient été si nombreuses et les changements
si fréquents qu'il était devenu nécessaire
que quelque grande modification constitutionnelle eut lieu. Ils firent en même temps
l'énumération des changements politiques opérés
dans les quatre ou cinq dernières années.
Nous avons eu d'abord le cabinet CARTIER-
MACDONALD, qui s'est maintenu en chambre
pendant deux ou trois sessions à l'aide d'une
très petite majorité ; ensuite, le gouvernement MACDONALD-SICOTTE, aussi appuyé
par une très faible majorité ; après, le gouvernement MACDONALD-DORION, qui n'était
guère plus fort, et, en dernier lieu, l'administration TACHÉ-MACDONALD, avec une
majorité également faible, de sorte que nous
étions réellement dans un état de crise à
peu près comme le marchand qui a fait
beaucoup de pertes, et dont le crédit est
encore bon, mais que l'inquiétude finit par
troubler au point de l'empêcher d'exercer
son jugement, et qui se lance dans des
entreprises où sa ruine est assurée, tandis
que le calme et les bons conseils l'auraient
peut-être tiré de ses premiers embarras. En
trois ans nous avons eu trois gouvernements,
qui, tous trois, furent renversée à la grande
satisfaction du peuple. Dans le cabinet
TACHÉ-MACDONALD, le ministre des finances
a été l'objet d'un vote de censure du caractère le plus sérieux, puisqu'il a produit
l'effet d'un vote de non-confiance dans le
gouvernement. A cette époque se trouvait
dans l'opposition le représentant qui occupe
aujourd'hui le poste de président de l'exécutif, et qui, pendant dix ans, a lutté
pour
obtenir un changement dans les relations
constitutionnelles du Haut et du Bas-
Canada, mais sans y parvenir. Pour être
conséquent avec lui-même, il ne pouvait pas
s'allier à ses adversaires sans avoir quelque
nouveau plan à soumettre au pays. Quant
à former un gouvernement, cela lui était impossible. Le ministre des finances censuré,
il fallait que le gouvernement se réorganisât
ou qu'il résignât. Chaque parti voulait bien
prendre les rênes, mais ni l'un ni l'autre ne
comptait assez d'adhérents. De cette adversité politique naquit le désespoir de ce
nom.
Les choses en étaient alors rendues à ce
point où chacun était prêt à accepter tout
plan qui lui est offert, ainsi que cela est
arrivé, avec trop de précipitation. Ils n'ont
pu délibérer assez longuement pour pouvoir proposer une mesure aussi parfaite que
le pays est en droit de l'espérer. Il se peut,
eu égard au court espace de temps écoulé,
et aux entraves apportés dans le cours de sa
discusion, qu'elle soit aussi parfaite qu'on
puisse l'exiger sous ces circonstances ; mais
on ne pourra nier, tout de même, que notre
gouvernement a agi avec précipitation en
l'adoptant. Le pays n'a encore entendu
qu'un côté de la question. Les grands journaux des deux parties politiques sont depuis
longtemps d'accord pour faire valoir le projet qui nous est soumis, tandis que la
petite
presse, qui a peu de circulation, mais qui le
repousse, ne fait que de commencer à faire
connaître ses motifs d'opposition. Je crois
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en conséquence qu'il est de notre devoir
d'étudier la question avec le plus grand soin
avant d'adopter le projet tel qu'il nous a été
présenté. ( Ecoutez ! écoutez !) Je crois de
plus, et j'en sais beaucoup du même avis,
que ces résolutions peuvent être amendées
sous certains rapports, et cela sans que le
projet coure le plus petit danger ; mais le
gouvernement veut tout ou rien, et je crains
fort que la volonté qu'il manifeste ainsi ne
ressemble à cet engouement dont un père
seul est capable pour son enfant,—car, à
l'entendre, on croirait que ce projet est son
rêve de prédilection, un chef-d'œuvre qu'il
ne veut pas voir profaner par des amendements. Supposé le cas où l'on ne voudrait
modifier ces résolutions qu'à l'égard du Canada, et que ces modifications ne nuiraient
en rien à nos relations avec les autres provinces, serait-il raisonnable qu'il s'y
opposât ?
Ne pourrait-il pas se mettre en rapport avec
ces provinces et obtenir leur assentiment à
ces modifications ? Puisque j'en suis sur ces
particularités, je pourrais me déclarer adverse
à certaines parties des résolutions, mais à
quoi cela servirait-il, puisque, comme l'a dit
le gouvernement, il va falloir ou les adopter
ou les rejeter en entier.
L'HON. M. REESOR.—Oui, c'est cela,
quant à quelques unes de ces résolutions,
mais non quant à d'autres. Il y a deux ans,
le cabinet canadien eut une conférence avec
les ministres des gouvernements de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick, dans
laquelle il fut convenu qu'à certaines conditions, si les fonds pouvaient être obtenus
avec la garantie impériale et à un certain
taux d'intérêt, le chemin de fer intercolonial
serait construit. Il fut en outre convenu
que le Canada ne paierait que les 5/12mes
de son prix de revient, qui était alors estimé,
je crois, à 12 millions de piastres. Je crois
savoir de bonne autorité qu'une compagnie
a offert de construire le chemin pour cette
somme, et de l'exploiter ensuite pendant
douze ans à ses propres risques.
L'HON.M.CURRIE.—Pour trois millions
de louis sterling ou quinze millions de
piastres.
L'HON. M. REESOR—C'est possible ;
mais supposons que les estimations aient été
au même chiffre qu'à présent ; figurons-nous
que la compagnie n'aurait pu achever le
chemin sans nouvelle aide, et qu'il aurait
pu coûter autant que le comporte son estima
tion actuelle, qui est de dix-huit millions
de piastres, le Canada n'aurait toujours eu
qu'à payer les cinq-douzièmes de ce montant. Or, ici, dans le court espace de deux
ans, il s'est passé tant de choses, nous avons
eu tant de soudains changements, qu'un de
nos hommes d'état jouissant d'une grande
influence, et qui préside actuellement à
l'administration des affaires du pays— le
président du conseil exécutif—mais qui était
opposé à ce projet parce qu'il ferait entrer
le pays dans de trop grandes dépenses......
L'HON. M. ROSS. —Il ne préside pas à
l'administration des affaires du pays.
L'HON. M. REESOR. —Nous appelons
président celui qui préside, et il préside parce
qu'il est président ..... qui était contre ce projet
parce que l'on prétendait que le Canada
donnerait plus que sa juste part, est maintenant en sa faveur. Eh ! bien, si cet homme
ne lui eut pas fait une aussi forte opposition,
et si le gouvernement eut été moins faible,
je pense que ce projet eût réussi. Celui qui
s'y opposait figurait depuis vingt ans dans
la vie publique ; son opinion était justement
respectée et, naturellement, partagée par
beaucoup. Si le ministère se fut alors présenté devant le peuple avec le projet du
chemin de fer intercolonial, je crois pouvoir
assurer qu'il eut subi une véritable défaite.
Dans le Haut-Canada, une majorité écrasante
eut voté contre lui, et dans le Bas-Canada
aussi, je pense. Mais que se passe-t-il maintenant ? pourquoi ce chemin de fer intercolonial
doit il être construit avec les fonds du
gouvernement intercolonial que l'on veut
établir ; Pourquoi, au lieu des cinq-douzièmes
de son prix de revient, le Canada devra-t-il
y contribuer pour les dix-deuxièmes ? ( Ecoutez ! écoutez !) Ce qui va augmenter de
5 à 7
millions le chiffre de la dépense qu'autrement
nous aurions eue à faire, et cela, quand les
autres provinces auraient volontiers consenti
à se rendre responsables pour le reste. Il y
avait de bonnes raisons pour qu'elles y consentissent. Les provinces qui profiteront
le
plus par le chemin de fer intercolonial sont
le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Ecosse,
mais surtout ce premier. Dans cette province,
il y a un vaste désert, où se trouvent de
belles coupes de bois sinon beaucoup de terre
arable, à travers lequel le chemin devra passer,
et à vingt et trente milles de la voie les
terres augmenteront beaucoup en valeur.
Voilà pour l'avantage qu'y trouvera le Nouveau-Brunswick, tandis que la Nouvelle-
Ecosse, c'est-à-dire le port d'Halifax, devien
167dra un débouché par la construction de la ligne
dont elle profitera naturellement beaucoup.
De-là on peut conclure que ce qu'elles proposaient n'était que juste et équitable.
Mais
en venant avec un projet qui nous impose
une dépense deux fois aussi grande que celle
dont il était jadis question de nous charger,
il semble qu'il ne pouvait être encore satisfait sans donner nos travaux publics au
gouvernement fédéré. Ces travaux, hons. messieurs, sont d'une valeur immense en Canada.
Par l'imposition de péages raisonnables
sur nos canaux, nous pouvons facilement en
obtenir un demi-million par année. Le canal
Welland seul a produit un revenu de $200,000
par année. Eh! bien, toutes ces sources de
revenu devront aller au gouvernement fédéral,
tandis que le Nouveau-Brunswick ne devra
nous donner qu'un chemin de fer qui ne
nous donne qu'un bénéfice net de trois-huitièmes d'un pour cent. Qu'on le remarque
bien, cependant, il ne donne que ce petit
revenu, et il n'y a que deux ou trois ans qu'il
est construit ; or, quand le mobilier roulant
commencera à être en mauvais ordre, que les
rails auront besoin d'être renouvelés, en un
mot quand il faudra subvenir à toutes les
réparations indispensables, la dépense ira
toujours en augmentant, et l'exploitation de
de cette voie ne sera plus qu'un fardeau. Il
me fait peine d'avoir à le dire, hons.
messieurs, nous avons ouvert là un compte
sans savoir quand nous pourrions le fermer.
(Acclamations !) En nous engageant dans la
construction du chemin de fer intercolonial
et en prenant ces voies ferrées de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick, nous
avons contracté des obligations indéfinies,
toutes ces entreprises seront une source
intarissable de dépense pour bien des années
à venir. (Ecoutez !) Et comme si nous
n'étions pas encore contents de cela, nous
faisons un don royal annuel de $63,000 pendant dix ans à la province du Nouveau-
Brunswick. Nous allons aussi acheter, au
prix de $160,000 par année, les mines, minéraie et terres de la couronne de la province
de
Terreneuve. Eh ! bien, je n'hésite pas à dire
que nous ne retirerons pas $40,000 par année
de ces mines, minérais et terres de la couronne.
Nous avons chez nous beaucoup de mines
que nous savons n'être guère productives
comme source de revenu, et bien qu'il soit
vrai ne nous n'avons pas de houille en
Canada, nous pourrons nous procurer cet
article de la Nouvelle-Ecosse en payant un
droit d'exportation et les frais de transport.
C'est pourtant sous de pareils désavantages
que nous allons entrer dans une union qui,
par de judicieux arrangements, aurait pu
être amenée sans nous assujétir à ces dépenses
immenses. Comme je l'ai dit déjà, je désire
une union, mais je veux qu'elle s'effectue à
de justes conditions. ( Ecoutez ! écoutez !)
Maintenant, quant au commerce, que l'on
dit devoir vraisemblablement augmenter une
fois l'union accomplie, je crois que la déception sera grande, car il me semble qu'il
sera
presque impossible de modifier l'état actuel
du commerce excepté par l'imposition de
droits sur des articles importés d'autres pays.
Le chemin de fer intercolonial sera trop
long, et le fret, par conséquent, sera trop
dispendieux pour le commerce direct, à moins
qu'il ne marche aux frais du pays et que les
habitants puissent lui faire voiturer leurs
articles presque pour rien. On ne peut
même guère s'attendre à ce que les farines
seront transportés par ce chemin, car c'est
à peine si l'on trouve avantageux d'amener
cet article en chemin de fer jusqu'à Québec.
L'HON. M. ROSS.—Les farines sont
amenées par eau en automne et mises dans
les hangards pour la consommation de
l'hiver.
L'HON. M. REESOR.—Les provisions
apportées par eau en hiver, à St. Jean ou à
Halifax, coûteront moins que par le intercolonial. Si l'on veut que ces provinces
achètent nos produits, il faut qu'elles y
trouvent un avantage pécuniaire car elles ne
nous donneront pas un écu de plus par baril
de farine parce que cette dernière viendra
du Haut-Canada ; mais reste à savoir comment nons pourrons leur donner cet avantage,
si ce n'est en imposant un droit élevé sur les
farines étrangères. Avec la direction que
suit aujourd'hui le commerce, les provinces
d'en-bas peuvent acheter leurs farines à
meilleur marché à Boston et à New-York
qu'en Canada ; et serait-il juste, dans ce
cas, de les contraindre à prendre nos produits
à un plus haut prix qu'elles peuvent se les
procurer ailleurs ? On a dit qu'elles consommaient pour $4,000,000 de farines par
année, et beaucoup d'autres articles qui
pourraient être produits ou manufacturés en
grande partie en Canada, mais est-il à présumer que les pêcheurs de la Nouvelle-
Ecosse et du Nouveau-Brunswick vont consentir à ce qu'un droit de 20 pour cent ou
tout autre droit élevé soit imposé sur les
farines afin qu'ils s'approvisionnent sur les
marchés canadiens plutôt que sur ceux des
168
Etats? (Ecoutez ! écoutez !) Je doute
même s'ils n'appréhendent pas actuellement
une difficulté de cette espèce, et que, pour
cette raison, ils ne veuillent pas accepter ce
qu'on leur offre, dans la crainte de cette
imposition à laquelle ils seraient assujétis
une fois placés sous le pouvoir d'un pays
comme le Canada qui, dans le gouvernement général, sera représenté par un
grand nombre. ( Ecoutez ! écoutez !) Passons maintenant de ce sujet à celui de
la constitution de cette chambre. Bien que
personne n'ait encore pétitionné contre la
continuation du système électif, que personne ne s'est encore plaint de ce qu'il
fonctionne mal, que les membres élus ne sont
pas très inférieurs à ceux nommés par la
couronne, et que rien ne fait encore augurer
le danger d'une scission, cependant, la constitution du conseil législatif doit être
changée, nous dit-on, pour complaire aux provinces maritimes. Mais si nous nous reportons
un peu plus loin, si nous scrutons les
vues des hons. messieurs qui représentèrent
cette province à la convention, nous verrons
que la plupart d'entre eux étaient disposés
d'avance à opter pour l'opinion des provinces
d'en-bas, car ils ont toujours été opposés
au principe électif tel qu'il est appliqué à
cette chambre. Sous ce rapport, ils ne sont
donc restés que conséquents avec eux-mêmes,
mais il ne s'ensuit pas qu'ils aient raison de
faire ce changement. Nous savons que
lorsque le conseil législatif était nommé par
la couronne, il a aussi existé des désaccords ;
car il est arrivé à ce dernier de rejeter alors
par centaine les lois passées par l'Assemblée.
L'HON. M. REESOR—C'est ce que
j'allais dire, tout en ajoutant que le gouvernement responsable est un remède à
bien des maux, quoiqu'il ne soit pas aussi
efficace qu'il le faudrait; mais le système
nominatif, lui, pêche d'un autre côté : le
gouvernement du jour a toujours soin de
nommer de ses partisans, ceux par example
qui l'ont aidé aux élections ou d'une manière
qui ne fait pas toujours honneur. ( On rit. )
Mon hon. ami ( l'hon. M. CRAWFORD ) peut
rire s'il croit que cela lui convient, mais s'il
veut réfléchir quelque peu, il se rappellera
avoir lui-même connu des hommes d'une
position élevée dont les actes n'ont pas toujours été sans tache, de ces hommes qui,
bien que désireux de ne pas dévier de leur
devoir, ont quelquefois cédé aux circonstances. Si mon hon. ami veut bien jeter
un regard du côté de l'Angleterre, il se rappellera que sous l'administration de WILLIAM
PITT,—qui eut presque à lui seul et pendant
17 ans le contrôle du parlement anglais,ce ministre nomma, durant cette période,
140 de ses créatures à la chambre des lords.
A l'appui de ce fait, je vais citer à la
chambre quelques lignes concernant cet
homme d'etat et qui sortent de la plume
d'un écrivain capabled'en juger. Voici ce
qu'on lit dans l'histoire constitutionnelle de
May :
" Aprés huit années de pouvoir, M. PITT avait
créé entre 60 et 70 pairs d'Angleterre, dont la
plus grande partie devaient leur élévation à l'appui qu'ils avaient donné au ministère
en parlement ou à l'influence qu'ils avaient su mettre en
jeu pour faire élire des députés à la chambre des
communes. "
Eh ! bien, quand des motifs de ce genre
peuvent être attribués à M. PITT, on ne se
trompera guère en supposant que les mêmes
motifs pourraient ici prévaloir.
L'HON. M. CAMPBELL.—L'hon. monsieur prétent-il insinuer que les conseillers
ne devront leur nomination qu'aux services
politiques qu'ils pourront rendre en cette
chambre ?
L'HON. M. REESOR—Non, pas uniquement par rapport à ces services, mais plutôt
par rapport à ceux qu'ils auront rendus aux
élections ou d'une autre manière avant leur
nomination. L'hon. monsieur doit se rappeler
le petit marché qu'il a fait de l'autre côté de
la chambre, alors qu'il était de l'opposition,
au milieu de laquelle il avait des amis zelés.
Il ne doit pas, sûrement, l'avoir oublié ?
L'HON. M. REESOR.—Eh ! bien, vous le
voyez, l'hon. monsieur avoue par là qu'ils
compte récompenser le dévouement de ses
amis politiques. Est-ce ainsi que l'on pourra
rendre indépendante cette branche de la
législature ? Est-ce lorsqu'elle sera ainsi composée qu'elle saura opposer un frein
à toute
législation hâtive. Ceux qui reçoivent des
faveurs d'un parti politique ne deviennent
pas d'ordinaire ses ennemis. Avec le système
proposé, je crois qu'il sera impossible d'avoir
une chambre plus indépendante et plus capable de travailler aux intérêts du pays que
celle que nous avons maintenant. Si vous
désirez élever le cens électoral pour la chambre haute, si vous voulez confier son
élection
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aux électeurs propriétaires d'un immeuble de
$400, valeur cotisée, et aux tenanciers à bail
annuel de $100, et que ces élections soient
protégées contre la corruption qui s'exerce
parfois sur les masses, faites-le ; si vous
croyez que ce corps n'est pas assez conservateur, faites-le élire par la partie de
la
société qui est la plus imbue de ce principe :
celle qui possède le plus de biens-fonds, mais
n'en faites pas disparaître totalement le principe électif. Parmi les hommes d'état
de
l'Angleterre qui ont le plus fait pour donner
aux diverses colonies de l'empire de nouvelles et libérales constitutions, feu le
duc de
NEWCASTLE est celui dont les opinions
doivent être invoquées sur ce point, et voici
ce qu'il écrivait au gouverneur de l'Ile du
Prince-Edouard, en date du 4 février 1862 :-
" Je ne pense pas, bien au contraire, qu'il
doive y avoir objection à ce que le conseil ait le
même privilége qu'au Canada, qu'à Victoria et
dans la Tasmanie, de ne pouvoir être dissous par
le gouverneur. Une chambre haute est importante comme élément de stabilité, et, à
mon
sens, une chambre haute élective peut-être composée, tout en revendiquant le même
droit que
l'assemblée dans l'expression de la volonté du
peuple, de maniere à être l'expression des principes stables de la société plutôt
que celle des
opinions transitoires du peuple ; mais cet avantage
serait complètement perdu si tout le conseil pouvait être nommé ou dissous par un
revirement
d'opinion. Le premier de ces dangers est évité
( ou censé l'être ) en prescrivant que la moitié
seulement du conseil sera élue à la fois ; le second,
en faisant que la durée du mandat de chaque conseiller soit indépendante de toute
influence populaire ou gouvernementale. "
Ainsi, il voulait que le conseil ne put être
ni dissous ni influencé par le gouvernement
du jour, mais qu'il fut le représentant des
convictions arrêtées du peuple et non des
opinions du moment que ses membres pourraient professer lors de leur élection par
les
électeurs du corps conservateur. Ci-suit la
deuxième clause de ces instructions :
" Dans l'Ile du Prince-Edouard, je voudrais que
le cens électoral, basé sur la propriété, fût raisonnablement élevé, mais pour les
candidats, je
me contenterais d'exiger qu'ils fussent sujets anglais, habitants de la colonie et
âgés de 30 ans."
Ce serait là, je crois, une sage disposition,
car elle permettrait aux électeurs de prendre
leurs candidats dans n'importe quelle partie
du pays. Ils pourraient ainsi choisir les
hommes les plus capables et les plus dignes
de confiance, et comme ils seraient élus par
la classe qui possède le plus d'intéréts dans
le pays, au lieu d'être vacillants, ils formeraient la représentation la plus capable de
contrôler la branche inférieure de la législature. ( Ecoutez ! écoutez !) Quelques
hons.
messieurs ont avancé que le peuple ne devrait pas élire les membres de la chambre
haute pour la raison que le candidat est
exposé à de grandes dépenses, et ensuite
parce que les électeurs sont incapables de
juger celui qui est digne de leur confiance
aussi bien que le gouvernement du jour. La
réponse est ici facile : si le peuple est incapable de choisir les membres de cette
chambre, il doit l'être aussi à l'égard de l'Assemblée. Si trois comtés unis sont
incapables de faire un bon choix, comment le
tiers de cette division électorale pourra-t-il en
faire un bon ? Quant à la corruption qui
peut être exercée, osera-t-on soutenir
qu'elle sera aussi facile dans une division
électorale de trois comtés que dans celle d'un
seul comté ? Je ne le pense pas ; je crois,
pour cette raison, que l'élection d'un membre
du conseil est moins exposée à la corruption
que celle d'un député à la chambre basse,
et pourtant, le député à cette dernière aspire
au pouvoir de dicter qui sont ceux
qui composeront le conseil législatif. Il
y a quelques années, lorsqu'aux élections
générales se trouvaient au même endroit
deux candidats conservateurs sur les rangs,
nous en voyions toujours un poser en principe que le gouvernement ne devrait faire
aucune dépense sans le consentement des
chambres, et tout le parti libéral, sans exception, souscrivit à ce principe. Eh !
bien,
nous avons pu voir aujourd'hui qu'aussitôt
que ces mêmes hommes ont eu un portefeuille,
ils ont eu en même temps une confiance illimitée dans l'Exécutif. Ils disent maintenant
que notre constitution peut être amendée dans
le cours de six mois sans que le peuple n'ait
rien à y voir ; en un mot, ils croient aujourd'hui que le gouvernement ne peut
errer ! Cela est, comme de juste, conforme à
la nature humaine ; ce qu'ils font est bien ;
ils ne sauraient errer ! ( Applaudissements
et cris de " Bien ! très bien ! ") Je termine,
hons. messieurs, en me plaignant de ce que
le projet de confédération est très désavantageux au Canada ; de ce qu'il change la
constitution de cette chambre, et, en dernier
lieu, de la manière qu'il a été imposé à la
législature sans avoir, au préalable, été soumis à la sanction du peuple. D'une mesure
adoptée aussi inconsidérément, je ne puis
qu'augurer de tristes résultats que déploreront certainement un jour tous ceux qui
170
désirent le bonheur et une union stable de
ces colonies. ( Applaudissements. )
L'HON. M McCREA. — Hon. messieurs—Il a déjà été dit tant de choses à
propos de la confédération des provinces de
l'Amérique Britannique du Nord depuis le
commencement des débats, qui occupent la
chambre depuis plusieurs jours déjà, tant
ici qu'à l'assemblée législative, par les premières intelligences de la province,
que je
n'espère rien ajouter de bien important sur
la question qui nous est soumise. Cependant,
je crois que je ne rendrais justice ni à mes
commettants, qui m'ont envoyé ici, ni à moi-
même, si je ne donnais pas en cette occasion,
avec toute la force en mon pouvoir, les raisons qui me portent à appuyer cordialement
cette mesure de la confédération de toutes
les provinces sous un même gouvernement,
sur la base des résolutions que les ministres
ont déposées sur la table de la chambre.
Presque tous les orateurs qui m'ont précédé
ont parlé de l'importance du sujet qui nous
est soumis, et de la responsabilité qu'encourra chaque membre de cette hon.
chambre, pour la conduite qu'il tiendra en
cette circonstance. Je suis parfaitement
d'avis, avec ces hons. messieurs, que le moment actuel est gros des destinées futures
du pays, et que notre heureux ou malheureux
sort dépend de la conduite que nous allons
tenir ; et, pour ma part, je n'ai pas la moindre
intention de m'exonérer du fardeau de
cette responsabilité. Je suis prêt à la prendre
immédiatement sur le mérite du projet contenu dans ces résolutions ; et je ne désire
pas m'abriter derrière un ajournement,
comme celui qui vient d'être proposé par
mon hon. ami, le représentant de la division
King, ( M. REESOR ), et que je suis heureux
d'avoir vu rejeter par un vote décisif de
cette chambre,—ou derrière la motion plus
vaste dont mon hon. ami, le représentant de
Niagara a donné avis, par laquelle il veut
demander un appel au peuple, et dont je
vais dire un mot. L'hon. représentant de
Niagara ( M. CURRIE ) a tout d'abord présenté l'objection que la conférence de Québec
n'avait pas de mandat du peuple, mais
qu'elle était le résultat de l'action propre de
ses membres, et en second lieu que le grand
principe de la représentation basée sur la
population n'a pas été suivi, parce que, bien
que la population de chacune des provinces,
et même de toutes les provinces d'en bas
réunies, fut beaucoup moins considérable
que celle du Canada, elles avaient eu cepen
dant un bien plus grand nombre de délégués à
la conférence que nous n'en avions eu. Quant
à la première objection, que la conférence ne
tirait ses pouvoirs que d'elle-même, je dirai
qu'il fallait que quelqu'un prît l'initiative
dans cette affaire, et personne n'était mieux
autorisé que les différents gouvernements à
dire quels seraient ceux qui devaient représenter leurs provinces respectives dans
la
conférence. Prétendra-t-on que les délégués s'étaient eux-mêmes nommés, lorsque
l'on sait qu'ils l'ont été par les ministères
du jour, qui sont responsables aux assemblées législatives, qui à leur tour sont responsables
au peuple en général ? Et quant à
la seconde objection,— que le nombre des
délégués était inégal,—l'hon. membre devrait savoir que le principe de la représentation
basée sur la population ne peut pas
s'appliquer à la conférence de la même
manière qu'elle s'applique à la représentation
en cette chambre ou dans l'autre chambre
du parlement. Ici, le vote de chaque membre
compte dans une division sur toutes les
questions, et par conséquent le nombre
devient de la plus grande importance. Mais
dans la conférence, les votes ont été pris par
province et non pas par délégués, en sorte
qu'il était impossible qu'une province quelconque fût noyée par les autres au moyen
d'un plus grand nombre de représentants.
Le seul effet qu'aurait eu le trop grand
nombre de représentants pour une province,
aurait été d'accroître les difficultés que ces
délégués auraient éprouvées à s'entendre
entre eux sur les propositions particulières
ou sur l'ensemble des propositions ; et le
principe adopté ne pouvait en aucune manière produire d'injustice envers aucune
province. Je n'ai aucun doute que la plus
grande difficulté éprouvée par les membres
de la conférence a été d'amener les délégués
de chaque section à s'entendre entre eux.
L'HON. M. McCREA.—Si les délégués
de l'une ou l'autre des provinces avaient
pensé qu'ils ne pourraient pas s'entendre
entre eux sur quelqu'une des propositions
qui leur étaient soumises, ils n'avaient qu'à
le dire, et le projet de confédération, au
moins en ce qui les regardaient, aurait été
abandonné. Cet argument d'injuste représentation dans la conférence est donc tout-à-
fait fallacieux. Il ne pouvait réellement y
avoir aucun danger à cause de l'inégalité du nombre des représentants, puisque
171
chaque province avait le pouvoir de se protéger contre toute injustice que les autres
auraient pu tenter de commettre à son égard.
L'on a encore dit que l'administration actuelle avait été formée sur le programme
avoué d'une confédération entre le Haut et
le Bas-Canada seulement, et que le gouvernement a outrepassé ses pouvoirs constitutionnels
en subtituant une union de toutes
les provinces à celle qu'il avait promise.
Mais ne nous rappelons-nous pas tous que
le programme avoué du gouvernement était
une union fédérale de ces provinces, c'est-à-
dire du Haut et du Bas-Canada, en permettant aux provinces maritimes et aux colonies
du Pacifique d'entrer dans l'union lorsqu'elles
croiraient de leur intérêt de le faire ?
Les ministres n'avaient sans doute pas
la moindre idée que le plus vaste projet pourrait être réalisé aussi tôt, sinon plus
tôt, que le moins important. J 'ai dit à mes
commettants, lorsque je me suis présenté à
eux pour être réélu, qu'il était absolument
nécessaire d'avoir une union entre le Haut
et le Bas-Canada différente de celle qui existe
maintenant, et que l'on n'avait pas le temps
d'inclure les provinces d'en-bas dans le
premier projet. Mais le mouvement a dépassé
mes prévisions, et, je crois, celles de tous les
membres de cette chambre. Et la chambre
va-t-elle repousser le plus grand projet, dont
l'exécution est le plus facile, simplement
parce qu'il n'occupait qu'une place secondaire
dans le programme ministériel ? Je crois
que la conférence de Charlottetown offrait
une bonne occasion, et que le gouvernement
a agi sagement en entrant en communication avec elle, et en s'occupant de l'union
de
toutes les provinces en premier lieu. Mais
l'hon. représentant dela division Wellington
(M. SANBORN) se plaint que la conférence
n'a pas employé assez de temps à la considération de ces résolutions, et il a cité
le cas de
la préparation de la constitution américaine,
dont les auteurs ont pris je ne sais combien
de mois de plus que notre propre conférence.
Mais l'hon. membre devrait se rappeler que
nous avions profité de toute leur expérience ;
nous pouvions commencer au point où ils
avaient cessé ; leur travail se trouvait tout
fait entre nos mains. Nous avions aussi
l'expérience du fonctionnement de leur constitution, et nous savions ce qu'il fallait
éviter.
En outre, l'hon. membre devait se rappeler
que nous vivons dans un âge de chemins de
fer et de télégraphes électriques, dont les
pères de la révolution ne connaissaient rien,
et il n'y a aucun doute que la rapidité de
locomotion et de communications contribue
beaucoup à accélérer les perceptions de l'humanité. Au lieu de reprocher au gouvernement
d'avoir tant fait en aussi peu de temps,
l'on devrait plutôt l'en louer. Et, cependant,
l'hon. représentant de Niagara se plaint que
la mesure ne soit pas parfaite.
L'HON. M. McCREA.—Eh bien ! l'hon.
membre a dit que la mesure aurait dû être
" aussi parfaite que des hommes faillibles
pouvaient la faire, ' et " qu'elle devait rendre
justice à tous et n'être injuste envers personne." J'ai pris note des propres mots
dont s'est servi l'hon. membre, et si les
derniers mots n'impliquent pas la perfection
ils s'en rapprochent beaucoup. Je me permettrai d'affirmer que si l'hon. membre était
employé à rédiger un simple document de
quelques pages, sans l'intervention de qui
que ce soit pour le contrôler, et qu'il le
soumettrait à la révison d'une personne
compétente, son travail serait sujet à quelque critique. Comment pouvons-nous donc
nous attendre à ce que, dans un document
comme celui-ci, qui est le résultat du travail
de tant de mains différentes, lorsqu'il y avait
tant d'intérêts différents à. concilier, lorsque
les une devaient tant insister sur quelques
points et les autres s'y opposer, comment
pouvons-nous nous attendre à ce que l'on
rendit entière justice à tous sans faire
d'injustice à personne comme le voudrait
mon hon. ami pour Niagara? L'étonnant n'est
pas que l'on trouve à redire au projet sur
certains points, mais que les adversaires de la
mesure trouvent si peu à critiquer. Mais il
est un peu singulier de voir que chacun des
messieurs qui ont parlé contre les résolutions
de la conférence, se sont déclarés en faveur
de la confédération, et cependant, par leurs
motions et leurs discours, ils font tout en
leur pouvoir pour retarder et embarrasser la
mesure. C'est certainement une nouvelle
manière de manifester leur appui. Les hons.
messieurs combattent les détails tant au point
de vue canadien qu'au point de vue des provinces maritimes, et néanmoins ils nous
disent
qu'ils sont en faveur de la confédération !
Quelques uns nous disent que la mesure n' est
pas combattue dans le Haut-Canada, parce
qu'elle n'est pas comprise. C'est certainement
faire un pauvre compliment à l'intelligence
de leurs commettants. La question a été proposée par des hommes d'état éminents, tant
172
de l'autre côté que de ce côté-ci de l'Atlantique, maintes et maintes fois depuis
le
commencement de ce siècle, et a occupé
l'esprit du peuple depuis ce temps. La raison
pour laquelleelle n'a pas été mise en pratique
est que l'occasion ne s'en est jamais présentée
comme elle se présente aujourd'hui. Sur
treize élections qui ont eu lieu pour les deux
branches de la législature, dans le H.-Canada,
depuis que le projet d'union a été proposé,
il n'y en a qu'une seule dont le résultat n'ait
pas été favorable à ce projet ; et six élections
de membres du conseil, dont le mandat était
expiré,—et la mienne entre autres—ont eu
lieu par acclamation principalement, je crois,
parce qu'ils se sont déclarés en faveur du
projet. Mais je ne puis m'empêcher de dire
qu'il est un peu inconséquent de la part de
ces messieurs, que tout en se plaignant de
l'ignorance du Haut-Canada sur les détails
de la mesure, ils aient refusé, l'autre jour,
de permettre qu'il soit imprimé 500 exemplaires extra des résolutions pour l'usage
des
membres, afin qu'ils pussent les distribuer
parmi leurs commettants ; ils proclament
leur ignorance, et cependant ils refusent les
moyens de renseigner le peuple.—Mais ces
hons. messieurs cherchent à nous effrayer
des dépenses du chemin de fer intercolonial,
et l'hon. membre pour Niagara, se plaçant au
point de vue des provinces de l'Est, déclarait
qu'elles se rappelleraient les fraudes du
Grand Tronc et refuseraient une union avec
ceux qui les avaient commises. Ces hons.
messieurs avaient l'habitude de se servir du
Grand Tronc comme d'un excellent cheval
de bataille pour arriver en parlement, et ils
ont été si satisfaits de leurs montures, que
même après être arrivés ici, ils trouvaient très
difficiles d'en descendre. Mon hon. ami de
la division de King vient de nous dire que
nous, Haut-Canadiens, serons obligés, par la
mesure proposée par les ministres, de payer
les dix-douzièmes du coût du chemin de fer.
Eh bien ! je croyais avoir lu les résolutions
avec beaucoup d'attention, et je ne me rappellais pas y avoir rencontré un seul mot
à
propos de la proportion des dépenses, ni
même à propos des dépenses du tout. Mais
pensant que j'avais pu me tromper, j'ai pris
le trouble de les relire, et j'ai trouvé qu'il
n'y avait pas un seul mot à propos de chemin
de fer, excepté les suivants, qui se trouvent
dans la 68e résolution, laquelle est comme
suit :-
" Le gouvernement général devra faire compléter, sans délai, le chemin de fer intercolonial,
de la Rivière-du-Loup à Truro, dans la Nouvelle-
Ecosse, en le faisant passer par le Nouveau-
Brunswick. "
Y a-t-il quelque chose là-dedans qui dise
que le Haut-Canada devra payer les dix-
douzièmes des dépenses ?
L'HON. M. REESOR.—Je n'ai pas dit
que par les résolutions le Haut-Canada
paierait les dix-douzièmes des dépenses, mais
qu'en calculant ces dépenses, et en prenant
en considération la population et les revenus,
cela aurait lieu.
L'HON. M. MCCREA.—Eh bien ! j'accepte l'explication de l'hon. membre. Désire-
t-il faire un arrangement avec les provinces
maritimes par lequel nous ne paierions pas
notre juste proportion des dépenses suivant
notre population et nos moyens ? Le fait est
que tout ce tapage à propos des dépenses, et
cet alignement de longues files de chiffres,
ne sont faits que pour embrouiller et effrayer
les amis du projet. " Trois millions de piastres
par année, " s'écrie l'hon. membre pour
Niagara, sans démontrer bien clairement comment, " seront ajoutées à nos dépenses
pour
toujours !"
L'HON. M. MCCREA.—Plus que cela ?
Eh bien ! qu'est-ce que cela fait ? Le chiffre
d'une dette ne veut rien dire pour celui qui
a les moyens et la volonté de payer. Il ne
peut être désagréable que pour celui qui est
en banqueroute, pour celui qui ne peut payer,
et pour l'avare qui ne veut pas se désaisir
de son or. Quelqu'un disait que c'était un
très grand obstacle à la moralité et à la prospérité de Londres qu'il y eût 50,000
voleurs
dans ses murs. Mais l'on répondit avec raison que l'on devait plutôt se féliciter
que la
métropole pût en supporter autant. Ainsi,
au lieu de regretter que nous ayons tant à
payer, nous devons plutôt nous réjouir d'être
en état de le payer. Au lieu de nous plaindre
que nous aurons à payer les dix-douzièmes
de la construction du chemin de fer, d'après
les calculs de mon hon. ami, représentant la
division de King, nous devrions plutôt être
fiers et satisfaits d'avoir une plus nombreuse
population et de plus vastes ressources que
nos voisins de l'Est. Je suis aussi opposé
aux épenses inutiles et extravagantes qu'aucun membre de cette hon. chambre, mais
si le chemin de fer intercolonial est devenu
une nécessité, nous ne devons pas avoir peur
de l'entreprendre. Je suis prêt à admettre
qu'il y a eu beaucoup de gaspillage et de
dépenses inutiles dans la construction du
173
chemin de fer Grand Tronc, mais je doute
qu'il y ait un seul membre de cette chambre
qui voudrait, si cela était en son pouvoir, nous remettre dans la position ou nous
étions avant que la première pelletée de
terre fût enlevée pour cette grande entreprise. Si la guerre est imminente entre nous
et les Etats-Unis, et si elle vient à se déclarer, ce chemin deviendra une nécessité
militaire absolue. Et qui peut dire que dans un
moment, dans un vire-mains, en voyant ce
qui a déjà eu lieu, nous ne serons pas lancés
au milieu d'une guerre ? L'on sait parfaitement, je pense, qu'aussitôt que l'on eût
appris à Washington que les maraudeurs de
St. Albans s'étaient échappés, grâce à la
bévue et à l'incompétence, pour dire le
moins, des officiers de justice à Montréal, le
premier ordre de M. SEWARD fut de défendre
toutes relations avec nous, mais qu'il fut
ensuite modifié en celui des passeports. Quelle
aurait été notre position si cet ordre eût été
lancé ? Et quelle garantie avons-nous qu'il
ne sera pas lancé d'un moment à l'autre ?- Mais mon hon. ami de Niagara dit que
cette
union des provinces n'aurait pas l'effet d'accroître nos moyens de défense si malheureusement
notre sol était envahi par les armées
des Etats-Unis, parce que notre frontière
serait prolongée beaucoup plus qu'en proportion de l'augmentation de nos forces.
Tout le monde ne sait-il pas que la conviction bien arrêtée des autorités militaires
des Etats-Unis est que leur grand tort, dans
la dernière guerre, a été d'envahir le pays
par différents endroits en même temps, et
que dans le cas d'une seconde guerre leur
tactique serait de concentrer toutes leurs
forces sur un point donné,—Montréal, par
exemple ? Et mon hon. ami prétendra-t-il
que l'union et le chemin de fer ne nous permettront pas de concentrer une plus grande
force ; et avec plus de rapidité, sur le point
menacé, et aussi qu'ils ne nous permettront
pas d'obtenir l'aide des troupes anglaises
beaucoup plus rapidement en toute saison
de l'année ? Ensuite, à propos de la nécessité commerciale du chemin de fer, il me
semble évident que lorsque notre Grand
Tronc se reliera à Halifax, lorsque les
steamers de la ligne Cunard et autres, déchargeront à Halifax leurs précieux chargements
et leurs passagers qui se rendront
dans l'ouest, lorsque Toronto sera, sous
le rapport du temps, aussi près de Londres
et Liverpool que New-York, cela augmentera
non-seulement les affaires du Grand Tronc,
mais aussi les affaires des chemins de fer de la
Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick,
qui doivent devenir la propriété du gouvernement général. Lorsque la correspondance
sera complète, il devra en résulter un avantage mutuel. Je pense que l'enfant qui
doit
voir non-seulement un chemin de fer intercolonial, mais encore un chemin de fer
interocéanique, est déjà né en Canada,
si ce projet d'union est honnêtement et
équitablement mis à exécution. La nécessité du chemin de fer a été maintes et maintes
fois admise par les différents gouvernements
de ces provinces, mais à cause de l'absence
d'un pouvoir qui pouvait tous les contrôler,
et une jalousie mutuelle, ainsi que nos
propres différends politiques, le projet de sa
construction a toujours avorté. Lorsque
j'ai visité les provinces maritimes l'été dernier, j'ai dit à nos amis de là-bas que
le
chemin de fer ne pouvait être obtenu que
par l'union. Ayons l'union d'abord, et le
chemin de fer suivra ensuite. J'en viens
maintenant à examiner l'amendement de
mon hon. ami le représentant de la division
Wellington ( M. SANBORN ) auquel, suivant
les strictes règles du débat, la discussion
aurait dû être bornée ; mais j'ai suivi la
même conduite que les hons. membres qui
m'ont précédé, c'est-à-dire, que j'ai pris tout
le projet en considération. L'amendement
soulève la question de la nomination des
membres à vie par la couronne, ou de leur
élection par le peuple pour un certain nombre d'années. Je suis de ceux qui, dans
le
parti réformiste, pensaient qu'en rendant les
membres de cette chambre électifs, l'on faisait
un pas dans une mauvaise direction ; et bien
que je sois prêt à admettre que sans l'application du principe électif aux membres
de cette
chambre, je n'aurais jamais eu l'honneur d'y
occuper un siége, je suis cependant prêt à
affirmer de nouveau cette opinion dans l'enceinte de cette chambre, en votant, comme
je
vais le faire, contre l'amendement proposé par
mon hon. ami pour Wellington, et sanctionner
le retour au principe de la nomination des
membres à vie par la couronne, sur l'avis de
ministres responsables au peuple par l'intermédiaire de la chambre d'assemblée. Je
nie
que l'extension du principe électif à cette
chambre ait jamais été demandé par le peuple
lorsqu'il a été appliqué. Il est vrai, hons.
messieurs, qu'avant l'union du Haut et du
Bas-Canada, et pendant les beaux jours de
pacte de famille (
family compact ), et de
l'irresponsabilité du gouvernement, lorsque
174
l'assemblée n'avait aucun contrôle sur l'exécutif excepté en refusant les subsides,
les
conseillers législatifs n'étaient choisis que
dans le but de s'opposer à la volonté du peuple,
et qu'ils le faisaient très efficacement. Toute
mesure qui était de nature à élever le peuple
et à servir ses intérêts était sûre de tomber
sous le coup du tomahawk, comme on disait,
de ce corps très embarrassant. Les hommes
politiques à vues courtes de cette époque,
qui ne comprenaient pas bien le fonctionnement de la constitution anglaise, pensaient
que le seul remède était de rendre le conseil
électif. Mais la mémorable résolution du 8
septembre 1841, à Kingston, établit le véritable principe britannique du gouvernement
responsable, et je maintiens que depuis ce
temps le peuple n'a jamais demandé que cette
chambre devint élective. Je suppose que
mes amis les membres conservateurs et moi,
qui nous accordons sur cette question de la
nomination des membres de cette chambre,
nous arrivons aux mêmes conclusions par
un mode de raisonnement bien différent.
Ils disent que le principe électif, appliqué
à cette branche de la législature, donne
trop de pouvoir au peuple, tandis que de
mon côté je prétends que le peuple n'a pas,
par ce moyen, un remède aussi prompt et
aussi énergique contre un conseil récalcitrant, qu'il ne l'avait sous le système de
la
nomination. La beauté de l'ancien système
était la grande promptitude avec laquelle,
au moment critique, l'on pouvait appliquer ce remède, et l'histoire de son fonctionnement,
tant ici qu'en Angleterre, prouve
clairement sa supériorité. Mon hon. ami pour
la division de King ( M. REESOR ) a cité le
cas du premier homme de la chambre des
communes en Angleterre, le célèbre WILLIAM
PITT, qui avait nommé tant de membres à
la chambre des Lords durant les premiers
mois de sa carrière ministérielle. Est-ce que
PITT ne possédait pas à cette époque la confiance du peuple anglais ? Mon hon. ami
ne
sait-il pas, s'il a lu 1'histoire de ce temps, que
ce grand homme d'Etat a constamment refusé de monter au pouvoir jusqu'à ce qu'il
ait vu que l'opinion publique était prête à
accepter ses plans ? Et PITT n'était-il pas,
au commencement de sa carrière parlementaire, le grand champion de la réforme parlementaire
? Il est vrai que des causes ultérieures, sur lesquelles il n'avait aucun contrôle,
lui firent suivre une conduite toute
différente. Que serait-il arrivé si, à l'époque
où le peuple a remporté ces deux grandes
victoires de liberté civile et religieuse en
Angleterre,— je veux parler de l'émancipation des catholiques et de la passation du
bill de la réforme,—la couronne, responsable
par ses ministres à la chambre des communes
et à la nation anglaise, n'avait pas eu le
pouvoir de forcer les Lords à y consentir,
mais aurait été obligé d'attendre deux ans
l'issue douteuse d'un certain nombre d'élections ? Telles ont été mes opinions à l'égard
des mérites comparatifs du principe de la
nomination et du principe électif appliqué
à cette chambre, et je n'ai pas hésité à les
exprimer devant mes électeurs tant avant
que depuis qu'ils m'ont honoré de leur mandat. J'admets que le système proposé n'est
pas le même que l'ancien parce qu'il limite
le nombre des conseillers, et je dois dire que
j'ai de très graves objections à cette limitation ; mais je ne veux pas hasarder le
succès
du projet d'union, comme je crois sincèrement que je le ferais, si je votais pour
l'amendement ; mais je le prendrai tel qu'il est,
avec l'epoir et la conviction que dans le nouveau parlement, lorsque l'union sera
consommée, la constitution de cette chambre sera
rectifiée. Les hons. messieurs semblent parler comme si ce projet et l'acte impérial
auquel il doit servir de base seront définitifs ;
je ne regarde aucun acte humain comme
définitif, et je n'ai aucun doute que l'on
trouvera moyen de faire cet amendement.
L'acte constitutionnel de 1840 n'a-t-il
pas été amendé ? Et les hons. messieurs
nous diront-ils que l'acte qui doit-être basé
sur ces résolutions ne peut pas être amendé
de la même manière ?
L'HON. M. MCCREA.—L'hon. membre
pour Grandville ne se rappelle-t-il pas l'accroissement du nombre des représentants
dans l'autre chambre en 1853, et l'amendement de la constitution de cette chambre
en
1856, qui est exactement la question que
je discute maintenant ? Ces mesures étaient
certainement des amendements à cet acte, et
qui sait si, en vertu du nouvel acte constitutionnel, l'on ne reviendra pas à la mesure
favorite de mon hon. ami—l'élection des
membres de cette chambre—si l'on voit que
le principe de la nomination par la couronne ne fonctionne pas bien ? Mais
examinons un instant ce que l'amendement
de mon hon. ami pour Wellington a pour
but d'effectuer ? L'on verra, en consul
175tant l'amendement lui-même, que l'hon.
membre propose que les membres de cette
chambre pour le Canada et pour les provinces
maritimes, auront une origine différente ou,
si l'on peut s'exprimer ainsi, une lignée
différente,—qu'ils seront élus par le peuple
ici, et nommés par la couronne dans les
provinces d'en-bas. Je pense que, quelque
soit la manière dont les membres de cette
chambre seront choisis, il est très désirable
que le système soit uniforme. D'après
le plan de l'hon. membre, nous aurions
un tiers des membres des provinces d'en-
bas qui représenteraient la couronne, et
deux tiers des provinces supérieures qui
représenteraient le peuple,—ce qui serait
une curieuse anomalie que nous devons,
je crois, chercher à éviter. L'on peut
me répondre que le conseil actuel est
constitué précisément de cette manière ;
mais il faut se rappeler que les membres à
vie ne sont pas les représentants d'aucune
section particulière de la province, mais
qu'ils ont été choisis indistinctement dans
toutes les parties du Canada. Le projet
actuel n'est pas de nature à produire de conflits de section à section comme le projet
de
mon hon. ami, et, à part cela, les siéges des
membres à vie du conseil législatif actuel ne
doivent pas être remplis lorsqu'ils seront
devenus vacants pour quelque cause que ce
soit. Je pense que le plan de mon hon. ami
est celui qui offre le plus d'objection de tous.
L'hon. membre pour Niagara ( M. CURRIE )
nous a donné avis qu'il se propose de faire
une motion à cette chambre, afin que cette
question soit différée jusqu'à ce qu'il y ait
eu un appel au peuple.
L'HON. M. CURRIE.—L'hon. monsieur
se trompe : je n'ai donné aucun avis d'une
pareille motion.
( L'HON. M. CURRIE passe son avis à
l'hon. M. MCCREA. )
" Que sur une question d'une aussi grande importance que celle de la confédération
projetée
du Canada et de certaines autres colonies anglaises, cette chambre se refuse à assumer
la responsabilité de consentir à une mesure qui referme
tant de graves intérêts, sans que l'opinion publique ait l'occasion de se manifester d'une manière
plus solennelle. "
Comment l'hon. monsieur s'y prendra-t-il
pour obtenir cette manifestation de l'opinion
publique, si ce n'est par une dissolution de
l'autre chambre et de nouvelles élections ?
L'hon. membre ne voudra certainement pas
s'abriter contre les conséquences légitimes
de sa résolution derrière sa phraséologie
technique. Il est certainement de mauvais
goût pour un hon. membre de cette chambre
de proposer une dissolution du parlement
et d'envoyer les membres de la chambre
d'assemblée devant leurs commettants pour
subir les ennuis et les frais d'une élection, pendant que nous pouvons rester sur
nos siéges les bras croisés et regarder tranquillement faire les choses. Quant au
véritable état de l'opinion publique sur cette
importante question en cette province, il
sera temps d'en parler lorsque mon hon.
ami présentera sa motion. Si notre position
politique exigeait un remède, je crois que
cette union nous en offre une excellente
occasion ; mais je ne veux pas dire que
nos exigences politiques seules douvent nous
faire rechercher cette union. Nous devons
régler nos difficultés politiques ; mais cette
raison et beaucoup d'autres semblent conspirer en faveur de cette union. L'imminence
de la guerre avec les Etats-Unis, la certitude
de l'abrogation du traité de réciprocité, le
danger de l'embargo, l'occasion de la conférence de Charlottetown, et la nécessité
de la
construction du chemin de fer intercolonial,
sont des raisons qui tendent toutes à cette
confédération. Mais la dépense est l'épouvantail des adversaires du projet. Si nous
voulons servir les grands intérêts sociaux et
politiques du pays, si nous voulons enraciner
profondément dans le cœur du peuple les
fondements d'une grande nationalité, comme
la dit mon hon. ami pour Wellington, la
question financière du projet devient une
considération secondaire. Aujourd'hui la
balance des avantages peut être contre nous,
demain elle peut être en notre faveur. Qui
peut dire, lorsque le chemin de fer sera
construit, et lorsque par l'union nous aurons
fait naître de nouvelles entreprises et de
nouvelles énergies, et que nous aurons développé toutes les ressources des provinces
de
l'Est, de quel côté penchera la balance financière ? Je ne puis mieux terminer mes
remarques qu'en disant que si l'union de
toutes ces provinces eût existé de fait comme
elle existait à l'état latent dans l'esprit des
176
hommes d'Etat depuis le commencement de
ce siècle, celui qui, en face de notre critique
situation politique actuelle, en face de la
guerre civile qui se poursuit à côté de nous,
et de la guerre intérieure qui nous menace,
proposerait aujourd'hui de dissoudre cette
union et de nous morceler de nouveau en fragments épars et désunis, serait regardé
comme
un ennemi de sa reine et un traître à son pays.
(Applaudissements. )
HON. M. OLIVIER—Hons. messieurs :un journal français de Montréal, en rapportant les procédés d'une
assemblée qui a eu
lieu récemment à Berthier, pour prendre en
considération le projet de confédération du
Canada et des provinces d'en-bas,—assemblée
à laquelle j'ai été invité en ma qualité de
représentant de la division dans laquelle est
situé le comté,—a dit que je m' étais prononcé
contre la confédération, et en conséquence je
saisis cette occasion, la première qui s'offre
à moi, pour déclarer que le journal en question
était dans l'erreur, et que je ne me suis pas
exprimé comme il le dit. J'ai cependant dit
à cette assemblée que le projet contenait des
dispositions que je ne pouvais voir d'un œil
favorable, mais que je ne pouvais pas alors
me prononcer definitivement sur le projet, et
que j'attendais jusqu'à ce que je fusse rendu
au parlement, où j'espérais que les détails
seraient soumis aux membres d'une manière
complète. Je dois cependant dire, hons.
messieurs, que j'ai été désappointé sur ce
point, car jusqu'à présent les renseignements
désirés et demandés n'ont as encore été
fournis, et le conseil se trouve dans l'ignorance
au sujet de plusieurs questions importantes
sur lesquelles il est appelé à se prononcer.
Par exemple, il était dit dans les résolutions
qu'il serait pris des moyens pour protéger les
minorités et leur conserver les droits qu'elles
possèdent aujourd'hui, mais on ne nous a
pas dit quels seraient ces droits, non plus que
les moyens que l'on voulait prendre pour les
conserver intacts. Si nous avions su quels
étaient ces moyens, nous serions venus ici
prêts à les approuver ou à les blâmer d'une
manière intelligente, et nous aurions pu
exprimer une opinion éclairée ; mais cette
information ne nous a pas été donnée. Je
comprends que l'on doit présenter un bill
pour assurer aux protestants du Bas-Canada
l'entière possession et la jouissance de leurs
droits, et que ce bill doit étre présenté et
passé avant que le projet de confédération
lui-même ne soit définitivement adopté et
sanctionné ; mais je n'ai pas entendu dire
qu'une mesure semblable doive être présentée
en faveur des catholiques du Haut-Canada.
Je n'ai aucune objection quelconque à donner
aux protestants du Bas-Canada, et pour toujours, les droits qu'ils possèdent aujourd'hui,
ou tous autres droits et garanties qui peuvent
être raisonnables et équitables, mais je ne
puis voter en faveur des résolutions avant
que je ne sois informé si les catholiques du
Haut-Canada doivent être traités de la
même manière. En refusant de nous donner
des informations sur cet important sujet, le
gouvernement nous place dans une fausse
position, dont il est de son devoir, je crois,
de nous tirer. Je ne m'occuperai pas maintenant de savoir si le projet de confédération
est réellement désirable ou non, mais je ne
puis m'empêcher de dire que les anciennes
difficultés qui existaient entre les deux provinces auraient pu être réglées si, pendant
les dernières luttes survenues entre les
partis politiques qui divisaient la chambre
et le pays, les principaux hommes des deux
côtés avaient bien voulu oublier leurs
querelles et leurs différends personnels et
se faire des concessions mutuelles. Mais
comme il est inutile aujourd'hui de parler de
cela, je n'entrerai pas plus loin dans le sujet.
Je maintiens cependant que la chambre a le
droit de s'attendre à ce que le gouvernement
lui donne toutes les informations possibles
sur les détails du projet de confédération, de
manière à le faire bien comprendre dans
toutes ses dispositions. Mon opinion est que
l'on aurait dû donner autant de pouvoir que
possible aux gouvernements locaux, et aussi
peu qu'il aurait été indispensable avec les
devoirs qu'il aurait à remplir, au gouvernement fédéral. Et la raison pour laquelle
j'entretiens cette opinion est que le gouvernement suprême, avec le pouvoir que lui
donnera le contrôle de la bourse publique et
de l'armée, sera toujours porté à étendre ses
prérogatives et à empiéter sur le domaine
des gouvernements locaux. Le projet est
donc défectueux, suivant moi, en ce qu'il
intervertit cet ordre de choses et qu'il donne
au gouvernement général trop de pouvoir et
trop peu aux gouvernements locaux. Si le
projet est accepté et mis en pratique tel qu'il
est aujourd'hui, les gouvernements locaux
seront exposés à être écrasés par le gouvernement général. La tendance de tout le
projet me paraît être de faire faire un pas rétrograde à notre politique plutôt d'avancer.
177
L'HON. M. OLIVIER—Je suis heureux de voir l'hon. premier ministre
paraître approuver aussi fortement ce que
je dis.
L'HON M. OLIVIER—Alors je suis
fâché de ne pas obtenir son approbation.
( Rires. ) Mais, néanmoins, je maintiens que
la politique divulgée dans le projet est une
politique rétrograde. Pour ma part, je veux
voir les libertés du pays se déployer et s'étendre ; mais, au lieu de cela, nos gouvernants
les amoindrissent et en restreignent le libre
exercice. ( Ecoutez ! écoutez !) Ainsi, ils
proposent aujourd'hui d'abolir le principe
électif dans son application à cette chambre, et cela sans qu'il y ait jamais eu une
seule pétition ou une seule manifestation de
la part du peuple que tel est son désir.
Je n'ai pas été envoyé ici pour aider à
accomplir un tel mouvement, et je ne sache
pas que le pays ait jamais manifesté le moindre
désir de revenir à l'ancien mode de nomination des conseillers législatifs par la
couronne. Je n'ai eu connaissance d'aucune
plainte ou d'aucun mécontentement contre
la constitution actuelle du conseil legislatif,
et, par conséquent, je trouve étrange que
quelques hommes, sans en avoir reçu la
mission et sans y être autorisés, aient préparé
un pareil changement, et qu'ils cherchent
de plus à l'imposer à la législature et au
pays avec toute la hâte que l'on y met. Je
ne puis dire quel est le sentiment général au
sujet de la confédération du Canada et des
provinces maritimes, et peut-être que loin
d'y être opposé je lui serais favorable si elle
pouvait avoir lieu sur des principes que je
pourrais approuver. Je ne veux pas, cependant, voir les gouvernements locaux écrasés
sous un grand pouvoir central, et je suis
sûr que le peuple ne peut pas désirer et
ne désire pas abandonner le principe de
l'élection à l'égard de cette chambre. Il a
combattu trop longtemps, afin d'obtenir ce
privilége, pour qu'il veuille y renoncer aujoud'hui ; mais, dans tous les cas, il
est une
chose bien évidente : c'est que nous n'avons
pas été envoyés ici pour renverser la constitution actuelle. Il y a une grande différence
entre faire marcher un système et le
détruire, et je maintiens que nous avons
été élus pour législater conformément à la
constitution et pas pour anéantir la
constitution. Lorsque j'ai été élu, je m'attendais à retourner devant mes commettants
pour leur rendre compte de la manière dont j'aurais rempli les devoirs qu'ils m'avaient
confiés, mais non pas à profiter de ma position pour me procurer un siége dans cette
chambre ma vie durant. Non, mes commettants ne m'ont jamais donné ce droit, et
aucun membre élu ne l'a reçu, et ceux qui
prendront sur eux d'anéantir les libertés du
peuple de cette manière, trahiront leur mandat. Si on voulait que le peuple abandonnât
ce droit, l'on aurait dû l'informer de ce désir
à temps, afin de lui permettre d'examiner la
question ; mais vouloir lui enlever ce privilège sans l'avertir ou sans le consulter,
c'est vendre les droits du Bas-Canada pour
une confédération qui ne saurait durer.
L'hon. commissaire des terres de la couronne nous a dit : que l'on avait conserver
la
division du Bas-Canada d'après les colléges
électoraux actuels, afin de protéger la population anglaise du Bas-Canada. Je pense
qu'en même temps que l'on conservait ces
divisions électorales, si on eût maintenu le
principe électif, la population française du
Bas-Canada y aurait aussi trouvé sa protection. Car alors chaque division électorale
aurait été libre de choisir, pour la représenter
dans le conseil législatif fédéral, un mandataire attaché aux institutions du Bas-Canada.
Tandis qu'en donnant la nomination des
conseiller législatifs au pouvoir fédéral, il
sera libre de choisir qui bon lui semblera.
Et si malheureusement ( chose que je ne prévois pas, mais qui peut arriver ) le gouvernement
fédéral, lorsqu'il sera formé, se trouvait entouré de coteries ennemies des intérêts
du B.-C, le gouvernement fédéral pourrait
être induit par ces coteries à choisir des conseillers législatifs hostiles aux vues
du Bas-
Canada. Je considère donc l'élection des
conseillers législatifs dans la confédération,
essentielle à la protection des intérêts du
Bas-Canada. On ne gagne rien, politiquement, par la confédération, pas plus que
financièrement. L'hon. membre pour Niagara ( M. CURRIE) a parfaitement démontré
que le seul résultat de cette mesure pour le
Canada sera un sacrifice de principes et
d'argent. Afin de s'assurer les avantages du
projet de confédération, les provinces d'en
bas ont stipulé d'abord la construction
du chemin de fer intercolonial, pour lequel il
nous faudra payer $20,000,000, à part
$63,000 au Nouveau-Brunswick chaque
année pendant dix ans, et $150,000 à Terre-
neuve par année pour toujours. Il est vrai
que l'on nous promet le produit des mines de
178
cette Ile, mais je demanderai si quelqu'un
connait la valeur de ces mines ?
L'HON. M. CAMPBELL—A propos des
mines de Terreneuve j'ai reçu communication d'une note de Sir WM. LOGAN, géologue
provincial, qui jettera probablement quelque
lumière sur le sujet. Cette note a été écrite
sans caractère officiel et sans la moindre
relation avec la question en discussion, et
par conséquent elle peut être prise comme
un témoignage impartial dans la cause. Elle
est comme suit :
" Il n'y a aucune partie de territoire, d'après
mon impression actuelle, qui mérite plus d'attention que Terreneuve. Il y a dans cette
Ile un
grand développement de la formation qui promet
des résultats miniers considérables dans les
cantons de l'est. La côte de l'Ile abonde en bons
havres, et les minéraux s'étendent jusqu'à la côte
en bien des cas. Terreneuve est la partie de
l'Amérique qui se trouve la plus rapprochée d'Europe. La surface de l'Ile n'étant
pas généralement très favorable à l'agriculture, l'exploitation
des mines pourrait devenir un moyen de donner
de l'emploi à un grand nombre de bras, et d'attirer la population étrangère, pendant
que l'Ile a
besoin d'une augmentation de population pour
pouvoir profiter de sa position pour la défense
du St. Laurent et de ses côtes. "
Lorsque le conseil c'est ajourné, à 6 heures,
je parlais de l'Ile de Terreneuve, à laquelle
nous accordons un subside de $150,000 par
année, et non seulement pour une année, mais
pour toujours. Je disais aussi que je craignais que plusieurs d'entre nous ignoraient
les faits qui avaient pu induire la conférence
de Québec à accorder cette somme à l'Ile de
Terreneuve. Mais il paraît, si j'ai bien
compris ce qu'on a dit, que ce subside lui
est donné pour lui tenir lieu, ou plutôt pour
l'indemniser de l'abandon du produit de ses
terres publiques, de ses mines et de ses forêts.
L'hon. commissaire des terres de la couronne
( M. CAMPBELL ) nous a dit que notre géologue provincial, M. LOGAN, l'avait informé
qu'il existait en réalité des mines dans l'Ile
de Terreneuve. Mais je voulais demander
à l'hon. commissaire si jamais il a été fait
des explorations officielles du pays, et si on
a constaté quelle espèce de mines il y a dans
Terreneuve ? Les informations qu'il a
données n'ont pas été tirées de rapports
officiels ; et j'aimerais beaucoup à savoir s'il
existe quelques documents qui constatent
l'existence des prétendues richesses de Terreneuve en fait de bois, de mines ou de
terres
publiques.
L'HON. SIR E. P. TACHÉ.—L'hon.
membre peut continuer, et dans le cours de
la discussion il lui sera donné des renseignements qui le satisferont.
L'HON. M. OLIVIER.—C'est très bien ;
mais je vois au contraire, d'après des statistiques, qu'il n'y a pas de bois sur l'Ile,
excepté ce qu'il en faut pour construire des
huttes ou des cabanes pour les pêcheurs qui
l'habitent, et qu'il y a peu de terres cultivables dans le domaine public. Et, en
fait
de mines, je ne crois pas qu'il y ait jamais eu
d'explorations officielles ce qui en aient constaté
l'existence dans l'Ile.
L'HON. SIR E. P. TACHÉ.—C'est un
fait bien constaté qu'il existe dans l'Ile de
de Terreneuve des mines d'une très grande
valeur. Quant à l'octroi du subside de
$150,000, je dois dire à l'hon. membre qu'il
a été fait pour tenir lieu de revenu à Terreneuve, qui abandonne tout le sien, lequel
s'élève aujourd'hui à $400,000, à la confédération.
L'HON. M. OLIVIER.—Une autre raison
pour laquelle je ne puis approuver le plan
de confédération, tel qu'il nous est présenté,
c'est que je le considère comme un pas rétrograde dans le progrès politique du pays.
L'esprit des sociétés modernes est de donner
au peuple autant de liberté politique que
possible, et je crois que par ce plan de confédération on sacrifie la liberté que
le peuple
de ce pays possède déjà. Lorsque j'ai exprimé tantôt cette idée, l'hon. premier ministre
à eu l'air d'approuver ironiquement
ce que je disais, comme s'il trouvait mes
idées exagérées. Je dois dire que, pas plus
que lui, je n'aime ni n'approuve la démagogie ; mais j'ai toujours eu pour principe
politique d'accorder aux masses autant de
liberté que possible avec l'existence d'un
gouvernement capable de maintenir l'ordre
et le fonctionnement des lois ; et je crois en
cela me conformer aux principes des sociétés
modernes, sans tomber dans la démagogie.
Sans approuver la démagogie, je suis en
faveur du principe démocratique, et c'est
dans ce sens que j'ai parlé. Je dis donc
qu'en enlevant pour toujours au peuple le
droit qu'il a conquis, après de longues luttes,
d'élire ses représentants à cette chambre, nous
rétrogradons, nous faisons un pas en arrière ;
et, certes, je ne crois pas que le peuple voit
ce changement d'un œil favorable. On a
dit que la confération était devenue nécessaire pour la defense du pays. Je veux bien
admettre pour un instant qu'elle pourra augmenter nos moyens de défense ; mais ce
n'est
certainement pas là une raison pour presser
179
l'adoption de la mesure comme on veut le
faire aujourd'hui. Avec la confédération, le
nombre d'hommes dans les diverses provinces
qui la composeront, pas plus que les moyens
pêcuniaires qu'elles possèdent aujourd'hui, ne
se trouveront augmentés par le fait de la confédération. Je ne vois pas quel surcroît
de
forces cette confédération produira immédiatement, car l'Angleterre peut aujourd'hui
disposer pleinement et librement de toutes
les ressources, en hommes et en argent, que
possèdent les colonies, et exactement comme
elle le pourra après la confédération. Ce
n'est donc pas là un motif qui doive nous
faire hâter l'adoption de cette mesure, surtout quand on peut sans aucun danger donner
au peuple le temps de connaître, d'étudier
et d'examiner la nouvelle constitution dont
on veut le doter. On dit que le chemin de
fer intercolonial doit être un chemin militaire. Mais, dans ce cas, comment se fait-il
qu'on n'ait pas pensé à un autre point du pays
sur lequel on devrait plutôt établir un chemin militaire ? J'ai peine à croire que
l'on
est sérieux en disant cela, lorsqu'on ne
s'occupe pas du veritable chemin militaire
dont on aurait besoin en cas d'hostilités,
c'est-à-dire d'un chemin de fer entre Québec
et Montréal sur la rive nord du fleuve St.
Laurent. Pour que le chemin de fer intercolonial fût utile comme route militaire,
il
faudrait aussi avoir celui du nord, car le
chemin actuel sur la rive sud peut-être très-
facilement coupé et occupé par l'ennemi.
En partant de Québec il se dirige du côté
des États-Unis et en partant de Montréal il
se dirige du même côté, pour aboutir à
Richmond. En cas de guerre, les Américains
n'auraient pas très-loin à aller pour s'emparer de l'une ou l'autre partie de ce chemin.
Je vais maintenant examiner si en réalité le
plan de la confédération est bien ce qu'il
paraît être. J'entends dire que la confédération telle qu'elle est proposée sera une
union
fédérale ; mais il me semble qu'elle sera
plutôt une union législative, au moins en ce
qui touche les intérêts les plus importants
du Bas-Canada. La section 29 du projet
qui nous est soumis dit: "Le parlement fédéral aura le pouvoir de faire des lois pour
la
paix, le bien-être et le bon gouvernement
des provinces fédérales, et en particulier sur
les 37 sujets suivants." Les pouvoirs du
gouvernement fédéral seront en realité illimités. Le fait de l'énumération de ces
37
sujets "' ne restreint pas du tout le pouvoir du
gouvernement fédéral de législater sur tous
les sujets à quelques exceptions près. Je
demanderai à l'hon. premier ministre, par
exemple, si le gouvernement fédéral n'a pas
le pouvoir de décréter que le mariage est un
contrat civil ? On ne peut le nier ; et je
crois que cette clause ne conviendra pas du
tout au Bas-Canada. A l'égard du divorce,
je pense que le pouvoir de législater sur
cette question doit appartenir au gouvernement fédéral ; mais quant à la législation
relative au mariage, le passé est là pour faire
voir que le Bas-Canada ne sera pas satisfait
de ce que le plan de confédération propose.
Autrefois, quand un membre du parlement
du Canada a proposé de décréter que le mariage serait un contrat civil, tous les deputés
du Bas-Canada ont voté contre la proposition,
et tout le pays y était opposé. Je demanderai
aussi si le gouvernement fédéral n'aura pas
le droit de décréter qu'il n'y aura plus de
corporations religieuses dans le pays, ou
qu'elles ne pourront posséder de propriétés
immobilières plus que nécessaires aux besoins
immédiats de leur logement. D'après les
résolutions qui nous sont soumises, le gouvernement fédéral aurait certainement ce
droit. On a dit que l'article 15 de la 43e
résolution répondait à cette objection, mais
je ne vois rien dans cet article qui limite le
droit du gouvernement fédéral de législater
sur ce sujet. La résolution 43 déclare quelles
seront les attributions des gouvernements
locaux, et l'article 15 de cette résolution dit
qu'ils pourront faire des lois sur " la propriété et les droits civils, moins ce qui
est
attribué à la législature fédérale." Cet article ne réserve rien aux législatures
locales
relativement aux corporations religieuses,
et le gouvernement fédéral aura parfaitement le droit de décréter qu'elles ne possèderont
pas de propriétés immobilières.
C'est le pouvoir souverain qui a le droit de
décréter et de régler l'existence de ces corporations ; et elles ne peuvent avoir
de droits
civils qu'en autant que le gouvernement leur
permet d'exister. L'on en peut dire autant à
l'égard de la plupart des institutions auxquelles le Bas-Canada est attaché. J'ai
donc
raison de dire que pour les choses auxquelles
le Bas-Canada tient le plus, la confédération
est en réalité une union législative, parce
que l'on donne au gouvernement fédéral le
droit de législater sur ce que le Bas-Canada
a de plus cher. Il me semble qu'il est d'autant plus important de ne pas procéder
aussi
rapidement ornent qu'on veut le faire, qu'il est très
difficile cils de prévoir quelle sera la portée de ce
180
que l'on veut construire. Je viens de citer
les droits que donnerait la confédération au
gouvernement fedéral sur certains points ;
mais il y a d'autres intérêts qui se trouveront
peut-être en péril par cette mesure. Je citerai,
par exemple, les droits des créanciers des
provinces......
L'HON. SIR E. P. TACHÉ.—Les droits
des créanciers de la province feront le sujet
d'un arrangement entre le Haut et le Bas-
Canada plus tard ; mais les créanciers auront
la garantie de toute la confédération.
L'HON. SIR E. P. TACHÉ.—Tous les
détails ne sont pas compris dans les résolutions ; mais quant à la balance de $5,000,000
qu'il faudra répartir entre le Haut et le Bas-
Canada, et qui forme la différence entre les
$62,000,000 de dette, dont se chargera la
confédération, et les $67,000,000 que doit
le Canada, la répartition en sera faite avant
que le parlement ne soit dissous.
L' HON. M. OLIVIER—J'ai compris que
les dettes devaient être partagées, et que
l'indemnité due aux seigneurs, par exemple,
pour l'abolition de le tenure seigneuriale,
devait retomber en entier sur le Bas-Canada.
S'il y a des explications verbales en dehors
de ce que comportent les résolutions, je veux
bien les recevoir du gouvernement ; mais
c'est justement une raison pour laquelle nous
ne devons pas nous hâter d'adopter ces résolutions avant d'avoir ces explications,
car il
pourrait être dangereux de ne pas faire
régler toutes ces questions de détail avant
de voter 1a confédération : qui sait si nous
pourrions les régler aussi avantageusement après qu'avant ? Ces promesses
d'explications prouvent que puisque tous
les faits ne sont pas soumis, on peut
facilement se tromper sur la portée des
résolutions que l'on nous propose d'adopter.
Dans tous les cas, je ne vois certainement
rien dans ces résolutions qui donne aux
seigneurs la garantie de la confédération
pour assurer leur créance, et je ne puis juger
de ces résolutions que parce qu'elles contiennent, surtout en l'absence de toute
explications des détails. L'hon. ministre des
finances ( M. Galt ) a dit que cette dette due
aux seigneurs devait tomber sur le Bas-
Canada seul, ce qui ne s'accorde pas exactement avec ce que l'hon. premier ministre
vient de dire. Ainsi que je l'ai dit tantôt,
en parlant de la question des écoles, je ne
voudrais pas voter une constitution qui ne
donnerait pas aux catholiques du Haut-
Canada les mêmes avantages que ceux que
possèdent les protestants du Bas-Canada ; et
je crois que c'est un sujet qui aurait dû être
réglé avant de donner un vote sur les résolutions ; car, une fois la confédération
votée,
il pourrait bien arriver que nous ne pourrions obtenir ce que l'on promet aujourd'hui.
Nous nous trouvons donc dans la position de
nous exposer à sacrifier la minorité du Haut-
Canada en votant la confédération maintenant, ou de voter contre un principe que
nous accepterions peut-être si nous en connaissions tous les détails. Pour ma part,
je
l'avoue, je ne voudrais pas faire manquer le
plan de confédération qui nous est proposé,
s'il est possible de le faire juste, acceptable et utile pour toutes les parties.
Mais, pour cela, je ne veut pas sacrifier
les intérêts d'une partie de la population.
Un autre point sur lequel nous aurons besoin
d'explications, et sur lequel nous n'en avons
pas du tout, est celui qui touche à la constitution des gouvernements locaux. Ainsi,
par
exemple, j'ai vu des journaux, qui expriment
ordinairement les vues et les opinions des
membres du gouvernement actuel, dire que
dans les gouvernements locaux le système
de responsabilité du ministère au peuple ou
à ses représentants n'existerait pas, mais
serait remplacé par un systèmeirresponsable.
Je me demande lequel d'entre nous voudrait
accepter un pareil système, et quelle portion
du peuple approuverait un pareil changement
dans nos institutions politiques ? On nous
dit : " Votez le plan qui vous est soumis, et
les détails vous en seront expliqués plus tard."
Mais plus tard ni le Bas-Canada ni le Haut-
Canada ne seront plus maîtres d'obtenir le
système de gouvernement qui leur conviendrait, si celui qu'on leur aura imposé ne
leur
convient pas. Mais, encore une fois, pourquoi
tant nous presser ? Pourquoi, par exemple,
exige-t-on que cette chambre siége maintenant deux fois par jour sur cette question
avant même que l'on en connaisse les détails ?
Pourquoi déroger à nos habitudes d'examiner
les choses avec calme et sang-froid ? Jusqu'à
présent on n'a certainement pas donné un
seul motif sérieux pour justifier la hâte avec
laquelle on veut faire passer cette mesure.
On a bien, il est vrai, parlé de défence ; mais
ce prétexte n'est pas sérieux, car on sait
parfaitement que toutes les ressources du
Canada sont aujourd'hui à la disposition de
181
l'Angleterre en cas de besoin. Cette précipitation n'est donc ni justifiée ni justifiable.
Je me demande si nous connaissons le plan
de confédération qui nous est soumis, et
malheureusement je dois me répondre que
non. On a puru surpris, dans certains quartiers, de voir l'opposition que l'on faisait
à
cette mesure après tous les avantages qu'on
nous en promettait. Ainsi, l'on disait qu'avec
la confédération nous allions avoir le charbon
de la Nouvelle-Ecosse sans avoir de droits à
payer. Ce raisonnement pouvait paraître avoir
une certaine force, mais je dois dire qu'il
n'était que captieux, car aujourd'hui nous
voyons qu'en effet nous pourrons avoir ce
charbon, mais en payant des droits d'exportation exactement comme les pays étrangers
!
Il n'y aura donc pas de véritable libre échange
entre les différentes parties de la même confédération ? La position des provinces
sous
ce rapport restera donc ce qu'elle est aujourd'hui ? La preuve de ce que j'avance
ici se
trouve dans le discours de l'hon. M. GALT,
qui a dit devant ses commettants :
" Dans la Nouvelle-Ecosse, un revenu considérable était tiré d'un droit régalien sur
les mines
de charbon, et ses représentants à la conférence
ont representé que si le gouvernement général
imposait un droit d'exportation sur le charbon,
cela anéantirait l'une de leurs ressources les plus
importantes, et en conséquence la Nouvelle-Écosse
a eu la permission de régler elle-même le droit
d'exportation sur le charbon, exactement comme
le Nouveau-Brunswick a ce droit pour ses bois de
construction."
Ce droit que peut imposer la Nouvelle-
Ecosse sur l'exportation de son charbon, de
quelque nom qu'on le désigne, est donc en
réalité un droit d'exportation, et le résultat
est" toujours le même pour nous s'il nous faut
payer ce droit pour avoir son charbon. L'ar
gument que l'on tirait du fait que nous pourrions avoir le charbon de la Nouvelle-Ecosse
sans payer de droit d'importation, tombe par
là même, puisque ce droit existera. J'ai déjà
dit que le plan que l'on nous propose est
très complexe, et qu'il est difficile de prévoir
les difficultés qui surgiront entre les gouvernements locaux et le gouvernement fédéral.
On dira peut-être que ces difficultés ne
pourraient être graves parce que les gouvernements locaux n'auront pas de pouvoir
sérieux ; mais si on veut en faire de véritables
gouvernements, et non pas de simples municipalités, ils pourront se trouver en opposition
avec le gouvernement central sur une foule
de questions. Je prendrai pour exemple la
question des pêcheries. Le 17e article de
la 29e résolution donne au parlement fédéral
le pouvoir de législater sur " les pêcheries
des côtes de la mer et de l'intérieur. " Par
le 8e article de le 43e résolution, les législatures locales auront aussi le droit
de législater
sur " les pêcheries des côtes de la mer et de
l'intérieur." Ainsi, les législatures locales
et la législature fédérale auront le droit de
faire des lois sur les mêmes sujets. Et si
les lois qu'elles feront sont en opposition les
unes aux autres, qu'adviendra-t-il ? Et la
chose pourrait fort bien arriver, car on sait
que dans le golfe, par exemple, il existe des
pêcheries qui sont de la plus grande importance pour les habitants du Bas-Canada,
de
même que pour les habitants des colonies
voisines, dont ceux-ci se sont emparés et ont
cherché à en expulser nos compatriotes. Eh
bien ! si le gouvernement local du Bas-Canada
faisait des lois pour protéger ses citoyens et
leur assurer le droit à ses pêches, le gouvernement fédéral ne pourrait-il pas intervenir
pour l'en empêcher ? Et si la chose arrivait,
ne donnerait-elle pas lieu à des antipathies et
à des tiraillements sans fin entre les deux
gouvernements ? Le Bas-Canada ne supporterait pas une pareille chose sans le ressentir
vivement ; et ce. que je viens de dire à
propos de pêcheries pourrait se renouveller
pour un grand nombre de questions. Et que
l'on soit bien persuadé que le gouvernement
local, agissant dans l'intérêt d'une province,
et se trouvant arrêté dans son action par le
gouvernement fédéral, le peuple prendrait
fait et cause pour son gouvernement local et
se désaffectionnerait envers le gouvernement
central.
L'HON. M. CAMPBELL.—Cette question des pêcheries est en effet' divisée entre
les gouvernements locaux et le gouvernement fédéral, mais il est évident que pour
que justice puisse être rendue à chaque
partie de la confédération d'une manière
impartiale, il faut que la législation générale
soit laissée au gouvernement fédéral, tandis
que l'application des détails intérieurs dans
les limites des pêcheries d'une province, doit
être laissée aux législature locales.
L'HON. M. OLIVIER.—L'argument que
j'ai fait valoir à propos des pêcheries peut
s'appliquer à d'autres questions, et n'avait
pour but que de faire voir que le plan actuel
est complexe, qu'il existe des intérêts divergents dans les différentes colonies,
et que
leur réglement dans un sens ou dans l'autre
pourrait faire surgir des mécontentements
dans le pays et en froisser les habitants.
182
Quelqu'un a dit que ce projet est bien vu
en Angleterre, et que pour cette raison nous
devons l'accepter, afin de prévenir les mauvaises conséquences que pourrait produire
notre opposition à ce projet. Pour ma part,
je ne crois pas que l'Angleterre tienne aux
détails autant qu'on y tient ici, mais je crois
qu'elle désire plutôt que le plan soit juste
et acceptable, et que le peuple le connaisse
bien avant qu'il ne soit adopté ; elle tient
moins à en imposer les détails qu'à voir le
peuple des provinces en être content et
satisfait. Si une forte partie du pays était
opposée au projet, je ne pense pas que l'Angleterre verrait d'un bon œil qu'on le
lui
imposât sans même lui donner le temps de
l'étudier ou de se prononcer. Aujourd'hui
l'on ignore entièrement l'opinion du pays
sur ce plan Je sais fort bien que certains
membres peuvent voter en faveur du projet
avec la certitude d'être approuvés de leurs
commettants, comme par exemple ceux dont
les élections ont eu lieu depuis que ce plan a
été soumis au pays. Mais dans les parties du
pays où il n'y a pas eu d'élections, on ne peut
pas dire que le peuple en sera content ou
qu'il approuvera ses mandataires de voter en
faveur de la confédération, parce que nous
n'avons pas pu le faire connaître. Ainsi,
lorsque mes commettants m'ont appelé à une
assemblée publique sur ce sujet, je me suis
trouvé dans la nécessité d'avouer que je ne
pouvais pas leur dire quel était le plan de
confédération, que je ne pouvais pas le leur
communiquer, parce que les résolutions que
j'avais reçues étaient privées. Je leur ai aussi
dit que je ne voulais pas former mon opinion
avant d'entendre la discussion et les détails ;
mais aujourd'hui on ne veut pas nous les
donner, ces détails, et de plus on veut en
presser l'adoption sans nous donner le temps
d'étudier ce plan même tel qu'il est. On
cherchera probablement à nous nuire dans
l'opinion de nos électeurs, si nous votons
contre ce projet, en disant que nous sommes
opposés à la confédération ; mais j'espère que
le peuple verra que nous ne pouvons pas
voter une chose sans la connaître, et qu'il
nous approuvera dans notre ligne de conduite. Lorsque le plan de confération sera
soumis au parlement anglais, il devra supposer que le peuple de ce pays l'approuve
;
mais il ne pourra jamais supposer que cette
mesure a été imposée au peuple sans qu'on
lui ait donné l'occasion de se prononcer pour
ou contre. Mais il y a encore autre chose.
Il n'est pas étonnant que ce plan ait été
bien vu en Angleterre, car l'opinion puplique se forme surtout de celle des classes
industrielles et commerciales, et il est de
l'intérêt de ces classes de favoriser la confédération ; mais il faut savoir si l'intérêt
de
ces classes est bien le nôtre. Je crois que
notre politique doit être d'abord de regarder
à l'intérêt de l'agriculture, du commerce et
et de l'industrie de notre pays, avant de
travailler à celui des commerçants et industriels anglais. Si on réunit, par la confédération,
des provinces dont les habitants
auraient intérêt à faire adopter un tarif
très-bas, il pourrait fort bien se faire que
l'intérêt agricole du Canada ne s'en trouverait pas aussi bien, et dans ce cas, quel
en
serait le résultat ? C'est que nous aurions
bientôt une dette énorme, et que si les revenus des douanes ne suffisaient pas pour
y
faire face et pourvoir aux dépenses, il faudrait combler la lacune au moyen d'une
taxe
directe qui porterait sur l'agriculture et l'industrie du pays. Nous devons regarder
à
notre intérêt avant celui des autres. Si
nous avons un tarif de 20 pour 100, c'est
une protection pour l'industrie de notre pays
et une source de revenu pour faire face aux
dépenses publiques ; mais si on l'abaisse trop,
la propriété immobilière en souffrira, car
c'est sur elle que retombera le fardeau pour
combler le déficit. La confédération me parait
devoir être très-coûteuse, car on jette l'argent
à pleines mains de côté et d'autre. Ainsi,
l'on propose de construire le chemin de fer
intercolonial qui coûtera au moins $20,000,
000 ; on donne au Haut-Canada, pour améliorer ses canaux, $16,000,000 ; on donné
$150,000 par année à Terreneuve, en compensation de mines qui n'existent peut-
être pas ; et $630,000 au Nouveau-Brunswick ;—et à la suite de tout cela, l'on
donne aux gouvernements locaux et fédéral le pouvoir d'ajouter de nouvelles taxes
à
celles qui existent déjà, pour faire face aux
dépenses,—et je n'ai aucun doute qu'ils profiteront de la permission. Tout cela mérite
qu'on y pense et ce sont des raisons qui devraient induire le gouvernement à soumettre
la question au peuple, au lieu de vouloir la
faire décider sur le champ ; car, lors même
que la mesure serait absolument bonne, le
peuple la verra toujours avec défiance si on
le lui impose. Quoi ! on dit que nous sommes
peut-être à la veille d'une guerre avec nos
voisins, et l'on s'expose à mécontenter le
peuple en lui imposant un régime dont il ne
veut peut-être pas !—Il n'y a pas que dans le
183
district de Montréal seulement où l'on demande que la question soit soumise au peuple
;
le Leader de Toronto dit que le peuple
devrait être consulté, et cela me parait très-
raisonnable. Pour ma part, je suis en faveur
d'un appel au peuple, et je ne puis approuver
qu'on lui impose la confédération sans le
consulter. Mais qu'on le sache bien : si on
veut que la population fasse des sacrifices
pour son gouvernement dans un cas de guerre,
il ne faut pas commencer par la mécontenter
et la désaffectionner. Que l'on propose un
système de confédération juste et équitable,
et que l'on donne au peuple l'occasion de le
connaître et de l'approuver et alors pas un
homme ne reculerait devant la nécessité des
plus grands sacrifices pour défendre la constitution librement acceptée par le peuple.
On
peut bien dire que l'on forcerait le peuple à
marcher au moyen des baionnettes ; mais
cela serait un grand risque, car le bras est
faible quand le cœur ne le seconde pas, et il
faut le cœur du peuple pour défendre eflicacement un pays. L'hon. premier ministre
a
dit que la confédération avait pour but de
fortifier le principe monarchique en ce pays.
Je ne vois pas qu'il soit nécessaire de donner
à la couronne de plus grands priviléges
qu'elles n'en possède en Angleterre même.
En Angleterre, ce n'est pas la couronne qui
choisit les membres de la chambre des lords ;
les pairs se succèdent par héritage de père
en fils ; mais ici l'on veut que les membres
du conseil législatif, qui représentera la
chambre des lords, soient choisis par la
couronne. Pourquoi cela ? pourquoi vouloir
excéder ce qui se fait même en Angleterre ?
Est-ce que la couronne se plaint de n'avoir
pas assez de pouvoir ici ?——En disant que
l'on veut établir en Amérique, au moyen de
la confédération, un contrepoids à l'influence
et à la puissance des Etats-Unis, je demande
si l'on n'offre pas là le meilleur prétexte que
pourraît désirer le gouvernement des Etats-
Unis de nous déclarer la guerre. Aujourd'hui, je ne pense pas que le peuple américain
soit disposé a nous chercher querelle ;
il a pour le moment suffisamment a faire.
Mais si son gouvernement croyait de son intérêt de déclarer la guerre à l'Angleterre,
le
meilleur prétexte qu'il pourrait choisir pour
soulever le peuple américain contre nous, serait certainement ce prétendu contrepoids
que
l'on cherche à établir. On sait que la doctrine Munroe est un principe auquel tout
le
peuple des Etats-Unis est attaché, et si on lui
en fournit l'occasion, il en profitera pour
mettre cette doctrine en pratique. Puisque par
la confédération on n'augmente pas en réalité
la force des colonies, pourquoi donner ombrage au gouvernement des Etats-Unis et lui
fournir un moyen d'animer son peuple contre
nous en cas d'hostilité ? Si l'on augmentait
les moyens de défense du pays, je dirais laissons de côté toutes ces considérations;
mais
tel n'est pas le cas, suivant moi. En terminant, Je supplierai le gouvernement de
donner au peuple le temps et l'occasion de se
convaincre que la constitution qu'il a préparée est bonne et qu'elle est réellement
faite
dans ses intérêts ; et ensuite, je lui prédis
que quand viendra le temps de la défendre le
peuple marchera comme un seul homme.
Mais si on veut la lui imposer de force et
sans le consulter, on ne doit pas, on ne peut
pas s'attendre à la lui voir défendre avec
autant de sèle. Je crois que cette demande
n'est que juste, et pour nous-mêmes et pour
le peuple que nous représeutons. Pour moi
je ne suis pas venu ici pour combattre la
confédération et la faire échouer à tout prix,
mais je ne veux certainement pas la voter
sans la connaître dans tous ses détails.
(Applaudissements.)