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Deuxième Gouvernement Provisoire du Manitoba, 5 Février 1870, La Grande Convention Débats.

La Grande Convention

Onzième jour

Salle du conseil, Upper Fort Garry

Samedi 5 février 1870

Onze heures — La séance reprend.
M. Riel — Nous ne devons pas considérer la Compagnie comme quelque chose de détestable. D'un autre côté, nous ne devons pas oublier que les intérêts publics doivent primer sur ceux de la Compagnie. Je ne suis pas d'accord pour qu'elle obtienne un vingtième des terres, comme on le propose, car cela lui donnerait une influence très déraisonnable dans le pays. Cela pourrait lui permettre de doubler le nombre de ses forts et son influence contre le peuple. Cela représente cinq acres sur cent et c'est beaucoup trop, selon moi. Quel serait le résultat de l'influence accrue de la Compagnie? Si la Compagnie avait eu accès à une telle influence, peut-être quand Dennis était ici aurait-elle pu l'utiliser contre nous, et l'affaire aurait pu être si désastreuse qu'elle aurait entraîné la mort de nombreuses personnes présentes dans cette salle (acclamations). Je ne dis pas qu'il faut écraser la Compagnie, car c'est une source de pouvoir dans ce pays, mais nous devons la maintenir au même niveau que les autres commerces. Les gens de la Compagnie doivent partager le sort des autres et faire partie du peuple, et non constituer un groupe qui a une influence prédominante. Nous avons vu comment les agents de cette Compagnie ont agi envers nos ancêtres. Nous avons vu des hommes travailler durement pour la compagnie, passer des années à œuvrer pour le Gouvernement et, au bout de tant d'années, lorsque ces hommes ont demandé des terres, on leur en a accordé s'ils avaient dix-huit livres et plus pour payer (bravos). Très souvent, après un long service auprès de la Compagnie et après avoir consommé beaucoup d'alcool, ces employés de la Compagnie sont rentrés chez eux plus pauvres qu'ils n'en étaient partis. Ils avaient souvent à peine assez d'argent pour retourner chez eux. Ensuite, M. Riel fait allusion à certains des membres de sa famille, qui ont vécu ici longtemps et n'ont jamais reçu ce à quoi leur labeur et leurs mérites leur donnaient droit, à cause des méthodes restrictives adoptées par la Compagnie dans ce pays (bravos). Et puis récemment, elle a essayé de nous vendre. On n'a jamais vu cela. Une Compagnie constituée d'étrangers vivant au-delà de l'océan, a eu l'audace d'essayer de vendre le peuple de ce pays. Au lieu d'être « l'honorable Compagnie », comme on l'appelait en général, il faudrait la stigmatiser en la qualifiant de « honteuse » (rires et acclamations). Nous servons ses intérêts et ses objectifs, et elle a tenté d'écraser les nôtres. Mais en vérité, les Sang-Mêlé de ce pays doivent gouverner, avec les autres groupes, s'ils sont alliés. Pendant quatre mois, la population de langue anglaise est restée distante et ne s'est pas mêlée au mouvement. Mais maintenant, elle se présente et essaie de couper les droits en deux. Ceci est très sérieux. Nous avons affronté les Indiens et les Blancs afin de maintenir notre position. Et si nous ne sommes pas tous alliés pour soutenir l'état actuel des choses, il y aura probablement un massacre — peut-être pas immédiatement, mais dans les deux ans qui viennent. La Compagnie a, durant tout le temps, adopté une attitude que l'on ne peut qualifier que de détestable et il nous revient de l'empêcher d'obtenir plus d'influence (acclamations). Nous, les habitants de cette Colonie, devons avoir le contrôle de toutes les terres du Nord-Ouest, ou déclarer que nous entrerons dans la Confédération en tant que Province d'ici peu, afin d'obtenir ce contrôle (acclamations).
M. Riel se lève de nouveau et dit — La présence de l'évêque de la Terre de Rupert me remet en mémoire une chose à laquelle je pensais hier soir lorsque je parlais de la nécessité de déclarer nulles les négociations avec la Compagnie de la Baie d'Hudson pour le transfert du Territoire. Je me souviens qu'il y avait une disposition qui s'adressait à l'évêque de la Terre de Rupert et je recommande fortement la continuation de celle-ci. Lors des négociations pour le transfert de ce Territoire, elle a été annulée et je constate qu'elle ne fait pas partie du marché tel qu'il est actuellement. Je propose donc, au lieu de ma motion précédente : « Que le marché de la Compagnie de la Baie d'Hudson et les conditions énoncées par celle-ci à l'égard du transfert du Gouvernement de ce pays à la Puissance du Canada soient annulés et que tous les arrangements faits à ce sujet par le Gouvernement de la Confédération soient faits directement avec les habitants de la Rivière-Rouge ». M. Riel explique que sa motion ne se rapportait pas aux rapports avec le Gouvernement impérial, mais prévoyait simplement que les négociations portant sur le transfert du Territoire devaient se passer entre le Canada et les habitants de la Rivière-Rouge et non entre le Canada et la Compagnie.
X. Pagé appuie la motion.
Le Président — Hier, nous nous sommes engagés dans une discussion sur des questions que l'on pourrait qualifier de haute politique (rires), le territorialisme, le provincialisme, le colonialisme de la couronne, l'annexionnisme (rires). Voici les principaux jalons de cette vaste région dans laquelle vos pensées sont allées errer. Et le terrain sur lequel naissaient les spéculations auxquelles certains, à tout le moins, semblaient vouloir se livrer était si étendu que, pour ma part, je m'attendais à entendre presque n'importe quelle doctrine, proposition ou motion (rires). De fait, s'il y avait un homme parmi nous qui faisait fermement confiance aux machines volantes, je n'aurais pas été très étonné qu'il nous invite à réfléchir sérieusement aux avantages et aux inconvénients de notre annexion à l'un des plus hauts pics des montagnes de la Lune (rires), ce qui, en dépit des désavantages dans d'autres domaines, nous aurait au moins donné le luxe de respirer une atmosphère purement lunatique (rires et acclamations). Je m'exprime pour éclaircir mon point de vue sur la question. La motion est d'une nature telle que, si je ne m'exprimais pas, je m'exposerais peut-être à être mal compris. Je ne pense pas du tout que je puisse discuter de la motion. Le caractère et la conduite de la Compagnie de la Baie d'Hudson est un sujet que je n'aborderai pas. Mais je vous demande simplement, à vous tous qui connaissez si bien les faits qu'il serait superflu pour moi de m'y attarder, je vous demande donc simplement si vous ajoutez foi à cette accusation. La chose principale que je tiens à exprimer, toutefois, est que je ne peux pas discuter de la question sur laquelle porte la motion. Est-ce une question dont vous pouvez discuter? C'est à vous de décider. La question porte sur des dispositions prises entre le Gouvernement impérial, le Canada et la Compagnie de la Baie d'Hudson, et si vous pensez qu'en exprimant votre opinion, vous pouvez modifier ces dispositions d'une quelconque manière, vous devez, bien entendu, vous faire entendre. Mais j'espère que personne ne va avancer l'idée que les membres de cette Convention s'arrogent le droit de se comporter en cour de révision en ce qui concerne ces dispositions prises dans un cadre où, je le crois, le pouvoir est d'un tel niveau que vous ne pouvez pas l'atteindre. Et j'ai été satisfait d'entendre l'explication de M. Ross, qui a dit que, bien que la motion de M. Riel semble être en conflit avec les dispositions prises par le Parlement impérial, M. Riel ne voulait pas que l'on pense qu'il voulait défier l'autorité de celui-ci.
Après d'autres remarques, le Président dit — Bien entendu, si vous le Jugez bon, vous pouvez discuter de cette question. Je ne peux pas m'en mêler, cela dépasse ma compétence. En conclusion, je dois demander à chacun d'entre vous de dire, selon sa propre expérience, si la Compagnie de la Baie d'Hudson dans ce pays peut être à juste titre décrite comme elle l'a été ou si, au contraire, vous ne pouvez pas affirmer qu'elle vous a menés et même souvent nourris d'une main semblable à celle d'un père? J'espère que ce passé ne sera pas totalement oublié. Si dans cette assemblée il y en a qui l'oublient et si en raison de cet oubli la Compagnie, comme le Roi d'antan, doit apprendre, par cette expérience amère, combien il est difficile d'avoir un enfant ingrat, elle pourrait, malgré la blessure d'une expérience si affreuse, se consoler à la pensée que, malgré tout, ce ne sera pas la première fois dans l'histoire du monde que les meilleurs amis ont été oubliés et les bienfaiteurs les plus généreux et libéraux ont été humiliés (acclamations).
Une fois que M. Riel traduit le discours du Président en français,
M. Dauphinais dit — Si la Compagnie n'a jamais chassé quiconque de ses terres, elle a bien menacé de le faire.
Quelqu'un ayant proposé de lever la séance,
M. Riel demande instamment que l'on fasse un grand effort pour remettre la Liste des droits entre les mains des Commissaires le plus vite possible, car le Parlement canadien se réunit le 15 février.
L'amendement de M. Riel est alors mis aux voix et défait, avec la répartition suivante :
Oui — MM. Thibert, Birston, X. Pagee, Poitras, B. Beauchemin, O'Donoghue, Lepine, Genton, Schmidt, Riel, Parenteau, Laronce, Touron, Lascerte, Delorme, Dauphinais, Scott— 17.
Non — Messrs. C. Nolin, Harrison, Klyne, Cochrane, Spence, Bunn, Ross, A. McKenzie, Black, D. Gunn, Boyd, Bird, Fraser, Sutherland, Flett, Tait, Taylor, Lonsdale, K. McKenzie, Cummings, G. Gunn, Spence— 22.
M. Riel, (avec une grande vivacité, faisant les cent pas dans la salle du Conseil) — Que le diable l'emporte : nous devons gagner. Le vote peut être ce qu'il est, mais la mesure qui vient d'être défaite doit être adoptée. C'est dommage d'avoir perdu, et c'est encore plus dommage parce que nous avons perdu à cause de ces traîtres (il montre du doigt Nolin, Klyne et Harrison).
M. Nolin (sautant et disant avec indignation, en français) — On ne m'a pas envoyé ici, M. Riel, pour voter selon vos désirs. Je suis venu pour voter selon ma conscience. Il y a en effet des choses que nous reprochons à la Compagnie, mais il y a bien des choses pour lesquelles nous devons la remercier. Je ne la disculpe pas entièrement, mais je dis que lorsque nous étions dans le besoin, nous avons souvent bénéficié de son aide et de sa bienveillance.
M. Riel — Je dis que nous devons adopter cette motion, mais je ne veux pas manquer de respect aux membres de la Convention. Cependant, je dis qu'elle sera adoptée plus tard. N'oubliez pas (ajoute-t-il avec colère), qu'il y a un Gouvernement provisoire et, bien que cette mesure ait été rejetée par les membres de la Convention, j'ai bien des amis qui sont déterminés à l'ajouter à la liste par eux-mêmes. (Se retournant vers le groupe de membres de langue française, il dit, en parlant vite et avec grande véhémence, et pointant son doigt d'un air menaçant vers ceux à qui il s'adresse — Et quant à vous, Charles Nolin, Tom Harrison et Geo. Klyne — deux d'entre vous étant membres de ma propre famille — quant à vous, votre influence dans la vie publique est terminée dans ce pays. Regardez dans quelle position vous vous êtes mis. Vous avez perdu votre influence, (il ajoute avec emphase) — pour toujours.
M. Nolin — Je répondrai à M. Riel que j'ai été envoyé ici par ma paroisse. Je n'ai jamais recherché cette charge et, personnellement, si je ne peux plus participer aux affaires publiques, j'en serai plutôt heureux. Vous, M. Riel, avez fait de votre mieux pour m'empêcher de venir et n'y avez pas réussi. Et si, pour une raison ou une autre, je devais revenir ici, je reviendrai, à la demande de ma paroisse, et malgré vous.
M. Ross, appuyé par M. Riel, propose que la séance soit levée jusqu'à lundi à treize heures, et on ordonne aux Secrétaires de fournir à M. Smith une copie de la Liste des droits à onze heures lundi et de lui demander de donner sa réponse à une heure le même jour.
À une heure trente de l'après-midi, la séance est levée jusqu'à lundi.

Source:

Manitoba. La Grande Convention Debates. Édité par Norma Jean Hall. 2010. Numérisé par la Province du Manitoba.

Credits:

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Selection of input documents and completion of metadata: Gordon Lyall.

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