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Deuxième Gouvernement Provisoire du Manitoba, 4 Février 1870, La Grande Convention Débats.

La Grande Convention

Dixième jour

Salle du conseil, Upper Fort Garry

Vendredi 4 février 1870

Dix heures — La séance reprend.
M. Riel — J'ai presque failli adopter le point de vue que vous avez exposé en comité, M. Ross, en ce qui concerne une Colonie de la couronne. L'un des aspects importants à considérer est qu'en tant que Territoire nous échappons à un grand nombre de lourdes responsabilités que nous aurions si nous étions une Province. Bien entendu, ce serait très flatteur pour nous d'accéder à la situation et à la dignité de Province. Les pouvoirs exclusifs d'une Province sont considérables et satisfaisants en eux-mêmes, si nous les trouvions applicables à notre cas (M. Riel lit alors la loi sur la Confédération afin d'exposer les pouvoirs accordés aux Provinces). Il fait tout spécialement allusion à l'article 5, qui indique que la gestion et la vente des terres publiques appartenant aux Provinces et des arbres et du bois qui s'y trouvent relèvent desdites Provinces. Cette disposition est l'une des plus importantes pour nous, dit-il. Lorsque nous considérons les avantages et inconvénients des systèmes provincial et territorial, nous devons examiner toutes les responsabilités que cela implique. Il est certain que le Nord-Ouest est une grosse perle, aux yeux de bien des gens. Le fait que ce pays ait été revendiqué comme compensation à la suite des « Alabama claims » montre que ses mérites sont appréciés. Le fait que le Canada veuille tant nous avoir confirmé cette appréciation. Il est possible que notre manque d'expérience en ce qui concerne le Gouvernement et notre population limitée soient désavantageux en situation d'indépendance. Sur bien des plans, tels le droit de vote et la question de la dette publique, nous pourrions en tant que Province exiger les mêmes droits qu'un Territoire. En ce qui concerne la dette publique, poursuit M. Riel, je tiens à attirer votre attention sur la répartition de certaines sommes remboursées aux diverses Provinces :— Ontario, 80 000 $; Québec, 70 000 $; Nouvelle-Écosse, 60 000 $; Nouveau-Brunswick, 50 000 $. Ceci s'ajoute aux quatre-vingt sous par tête que reçoivent les Provinces. En ce qui concerne la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, elles doivent recevoir ces quatre-vingt sous jusqu'à ce que la population de chacune atteigne 400 000 habitants. Bien sûr, nous n'avons certainement pas la population de ces pays, mais nous avons un vaste territoire. J'ajouterai que le Canada, ayant été injuste envers la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick en ce qui concerne la répartition de la dette publique des diverses Provinces, a accepté par la suite de payer, en plus de ce dont il était responsable à l'entrée dans la Confédération, 150 000 $ pendant dix ans. Ceci devait compenser l'injustice et les pratiques sévères dont le Canada s'était rendu coupable au moment de la Confédération. Le Canada a tendance à tricher. Il l'a fait dans les cas en question et dans d'autres cas dont on pourrait parler. En ce qui nous concerne, je ne dis pas catégoriquement que le fait de devenir une Province serait à notre avantage, mais je pense qu'il serait bon que les membres de la Convention y réfléchissent. Dans l'ensemble, je pense qu'il nous conviendrait peut-être mieux de devenir une Province qu'un Territoire, mais je trouve qu'il est très difficile de prendre une décision.
M. Sutherland — Je ne vois pas quel est l'avantage de devenir une Province. Je pense que nous devrions entrer en tant que Territoire. Comme on l'a déjà remarqué, le Canada a su être très strict en ce qui concerne les négociations relatives à la Confédération, mais je pense qu'il ne faut plus le craindre à partir de maintenant. Si nous obtenons la Liste des droits que nous avons dressée, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de prendre le temps des délégués pour cette autre question.
M. Riel — Un homme qui remplit des fonctions publiques importantes est mal placé pour se plaindre du temps perdu. Si nous avions passé un mois de plus ici à discuter de ces points, cela n'aurait pas été du temps perdu. En ce qui concerne cette question de Province, je vous le demande, n'est-il pas possible pour nous de régler nos propres affaires d'une manière satisfaisante? Ne pouvons-nous pas établir des règles pour les étrangers, en ce qui concerne la vente et la répartition de nos terres? Cette question de terres et celle qui porte sur nos moyens d'obtenir de l'argent constituent peut-être les principaux points de l'établissement d'une Province. Et en ce qui concerne l'administration de la justice, n'avons-nous pas comme Président un homme qui a longtemps fait cela et qui est amplement capable d'administrer la justice dans le Territoire (acclamations). Je dirais que nous ne devrions pas aller trop vite. J'ai toute confiance dans le bon sens de nos gens, qui peuvent gérer toutes les questions avec sagesse. Quant aux questions de nature générale, elles seront gérées par le Dominion (acclamations).
M. O'Donoghue, appuyé par M. Nolin, propose que l'on suspende la séance pour le dîner.
Les membres consentent à ce que M. Ross s'exprime. Pour ma part, dit-il, je suis tout à fait certain que cela nous serait nuisible de devenir une Province. Cette question a été examinée en comité et j'avais compris que nous n'en parlerions plus. Notre situation, si nous entrions dans la Confédération en tant que Province, serait très différente de celle des autres Provinces. Celles-ci se sont jointes au Dominion déjà entièrement équipées de routes, de ponts, de tribunaux, etc. Leurs habitants étaient bien établis et avaient tout. Nous demandons à être admis en tant qu'hommes, alors que, sur le plan de l'équipement et du matériel, le pays est en pleine enfance (acclamations). Notre situation nous permet de demander, et nous pouvons le faire, mais je pense que nous n'obtiendrons jamais cela. Si nous entrons dans la Confédération en tant que Province, nous devons prendre cette position avec tous ses inconvénients, de même que ses avantages. Nous n'avons jamais eu le droit à l'autonomie gouvernementale ici, et le bond que représente le passage de notre état à l'état de Territoire, de la façon dont nous voulons le faire, est énorme. Cependant, nous n'en sommes pas satisfaits et faisons un autre bond. Si nous pouvions atteindre ce but, il est très probable que nous considérerons très rapidement que nous avons attrapé un éléphant (acclamations).
M. Riel — Quelles sont les responsabilités? La construction de routes et de choses semblables.
M. Ross — Je m'efforcerai de les exposer après la pause, mais pour illustrer les responsabilités des Provinces, laissez-moi donner comme exemple les conditions nécessaires pour voter. Nous voulons que celles-ci soient spéciales, mais si nous entrons dans la Confédération en tant que Province, nous devons soit y renoncer, soit demander une chose spéciale, qui n'est pas accordée aux autres Provinces — qui n'est en fait accordée à aucune Province. Et puis, il y a la question de notre solvabilité. Je ne sais vraiment pas si nous serions solvables. L'argent que nous pourrions récolter viendrait de notre vaste territoire; je ne pense pas qu'il serait bon d'essayer de nous servir de nos terres publiques pour gagner de l'argent. Je suis d'avis que la meilleure politique serait pour nous de nous comporter de façon libérale avec nos terres publiques. Si nous les vendions, elles se vendraient très peu cher et l'ouverture de notre pays en serait très retardée. Je suis favorable à une politique libérale en ce qui concerne les terres, une politique qui ressemble autant que possible à celle des États-Unis. Si nous voulons être cohérents en demandant une loi sur les homesteads et le droit de préemption, nous n'essaierons pas de nous servir de nos terres publiques pour gagner de l'argent.
M. Riel — C'est la première fois que vous n'avez pas d'ambition.
Le Président — Avec la permission des délégués, je dois dire que je me sens assez surpris d'être appelé à traiter cette question de Province alors que nous avons passé si longtemps à nous imaginer sous les traits d'un Territoire et à adapter du mieux possible les détails de nos nouveaux habits à la nouvelle situation dans laquelle nous allons nous trouver aux yeux du monde. J'avais commencé à espérer que nous étions prêts à conclure de façon pratique notre labeur. Mais bien que vous ayez été occupés pendant deux semaines ou presque à examiner les avantages de notre entrée dans le Dominion en tant que Territoire, nous sommes apparemment à présent appelés à étudier les avantages et les inconvénients de l'admission en tant que Province. Combien de temps ce genre de choses vont-elles durer, je n'en sais rien. Mais si, après avoir fait ce que nous avons fait, nous devons commencer à discuter des détails de cette nouvelle proposition, nous pouvons bien rester ici jusqu'à la fin de nos jours. Je ne vois pas pourquoi, maintenant que nous avons finalement réglé cette question, comme nous l'espérions tous avec joie, nous ne devrions pas envisager de devenir une Colonie indépendante de l'Angleterre, et puis, après cela, pourquoi ne pas considérer l'annexion aux États-Unis, etc. (acclamations et rires). Bien entendu, nous ne devrions pas rechigner à l'idée du temps bien passé dans l'exercice de notre devoir public, mais d'un autre côté, nous devrions veiller à passer notre temps sur des choses qui donneront des résultats pratiques. Je suis tout à fait d'accord avec M. Riel lorsqu'il dit que nous ne devons pas aller trop vite ou trop loin. Je pense que c'est ce que nous sommes sur le point de faire. Il ne fait aucun doute que l'on peut dire que nous sommes une jeune communauté. Étant donné cet état, et puisque, si nous sommes admis en tant que Territoire, nous ferons un très grand pas dans notre vie nationale, pourquoi nous évertuer à essayer d'obtenir ce qui, d'après moi, ne peut pas être obtenu? Il y a peut-être des avantages à devenir une Province, qui pourraient rendre souhaitable cette situation, mais il y a de grands inconvénients, dont je ne vais pas parler. J'espère vraiment que nous pourrons nous débarrasser de cette question sans avoir à examiner en détails les avantages et les inconvénients de l'état de Province. Il est clair à mes yeux que, même s'il était possible pour nous d'être admis en tant que Province, les inconvénients dominent. Et si nous voulions nous considérer comme une Province et que nous nous efforcions d'atteindre cette haute dignité, je crains que nous ne tombions entre deux chaises et que nous ne nous trouvions peut-être laissés à nous-mêmes. Si c'est cela que nous voulons, il vaudrait mieux le dire. Mais je ne pense pas que ce soit cela que nous voulons. Je tiens à vous demander si ce n'est pas totalement sans espoir pour nous d'essayer d'entrer immédiatement dans la Confédération en tant que Province. Les Provinces qui ont déjà été admises dans la Confédération ont depuis longtemps eu l'habitude de l'autonomie gouvernementale; elles ont une population, des richesses, une importance et une dignité que nous n'avons pas, nous qui sommes encore tout jeunes. Pourquoi, alors, passer du temps à discuter d'une chose qui est pratiquement sans espoir? Bien que je sois loin de sous-estimer les ressources de ce pays, j'ai bien peur que nous nous trompions sur sa valeur. Le fait que le Canada et les États-Unis soient très désireux de nous avoir ne signifie pas que ce pays ait en vérité une si grande valeur. Ne pensez-vous pas que nous pourrions, sur ce plan, courir le risque de faire la même erreur qu'une belle femmes qui a de nombreux admirateurs (rires) et qui badine et fait la coquette d'abord avec celui-ci, puis celui-là, et un autre encore, ne sachant pas lequel de ces soupirants transis choisir, jusqu'à ce qu'elle se trouve obligée de se rabattre sur un mortel tout à fait banal en fin de compte (rires renouvelés), tandis que lui, pour sa part, se rend compte petit à petit non seulement que l'objet de son adoration n'est pas l'ange parfait dont il a rêvé, mais encore qu'elle est un être tout à fait ordinaire (rires forts). Nous souhaitons ardemment devenir un grand peuple (acclamations). Chaque personne veut progresser dans le monde et les communautés, comme les individus, veulent également cela. Notre communauté partage cette volonté. Et maintenant, nous sommes éblouis à la perspective de passer soudainement d'un état plutôt obscur à la position importante, prospère et riche de Province (rires et acclamations). Mais tout en souhaitant cette dignité, nous ne voyons pas comment nous pourrions engager les dépenses voulues pour l'atteindre. C'est ainsi que nous proposons que la Confédération du Canada bâtisse tous les échafaudages nécessaires pour que nous arrivions à cette grandeur étourdissante (bravos). Nous nous trouvons ainsi dans la situation de cet homme excellent et admirable qui, en tant que bienfaiteur—
« De par sa grande générosité construisit un pont aux frais du comté ».
(rires). En participant à des discussions qui nous dépassent, nous pourrions laisser passer l'occasion que nous avons d'être admis dans la Confédération en tant que Territoire, dans des conditions adaptées. Et, tel que vous me voyez, avec un désir sincère de protéger le bien commun, je me dois de déclarer que je crois en toute conscience que si ce pays peut être admis en tant que Territoire en respectant des principes justes et équitables, c'est le mieux que nous puissions faire. Si nous sommes raisonnables et modérés, nous pouvons avoir quelque chose de précieux. Mais si vous tergiversez trop longtemps à ce sujet, il se peut que cette occasion passe (bravos et acclamations). C'est pourquoi je vous dis avec conviction, messieurs, ne perdez pas de temps pour rien. Saisissez la marée, qui est haute actuellement; saisissez-la et je crois que vous serez saufs et prospères. Par contre, si vous la laissez aller, quelle sera votre situation? Vous vous trouverez dans un vaisseau brisé et en morceaux, sans barre, sans boussole, sans carte, une nuit sombre et lugubre, à la dérive sur une mer houleuse dont les rouleaux, les écueils et les bas-fonds vous feront très probablement chavirer et faire naufrage (acclamations fortes).
M. Riel — Je pense que le discours du Président est admirable — ses paroles sont très belles, mais elles n'ont pas le pouvoir de convaincre.
À midi et demi, la séance est suspendue pendant une heure et demie.
Trois heures de l'après-midi — La séance reprend.
M. Sutherland — Je propose que l'on décide qu'il n'est pas nécessaire de poursuivre la discussion sur la question qui nous a été présentée.
M. Boyd — J'appuie la motion. Il me semble plus important d'entrer tout d'abord dans le Dominion en tant que Territoire et de nous positionner en tant que Province en temps opportun.
M. Riel, en français,— interprété par M. Ross — La motion de M. Sutherland me semble simplement motivée par la peur, sans qu'il ne donne de raison. Un homme qui agit ainsi est un homme qu'il ne serait pas injuste de traiter de poltron. Pour ma part, j'estime que la discussion à ce sujet ne devrait pas se terminer. En tant que Province, nous aurions une situation plus élevée et il vaut certainement la peine de réfléchir à la raison pour laquelle nous ne devrions pas essayer d'atteindre une telle situation. La question de savoir si nous serions mieux comme Province que comme Territoire reste à régler. Je suis, moi aussi, sujet britannique, mais je ne veux pas pousser cela trop loin. Je n'ai jamais entendu une requête plus déraisonnable que celle qui vient d'être faite. En essayant d'étouffer la discussion sur une question d'une telle importance, M. Sutherland a montré qu'il ne convenait pas à cette assemblée. Je propose, sous forme d'amendement, que la discussion se poursuive.
M. Sutherland — Si je me mettais en avant, je serais peut-être prêt à prendre ces remarques du bon côté. Mais je ne suis pas ici pour me représenter et je sais que mes électeurs ne s'attendaient pas du tout à ce que je sois retenu ici si longtemps. Quant à mon rôle dans la discussion, je ne crois pas qu'il y ait un membre ici qui puisse m'en remontrer. Nous avons réfléchi ce matin à la question sans justification. Si nous pouvons faire quelque chose pour le bien du pays, je suis prêt à soutenir cela. Le bien du pays me tient à cœur; si ce n'était pas le cas, je n'aurais pas passé ces quelques derniers mois sans paiement ni compensation.
M. Riel — Je parlais de M. Sutherland en sa qualité de représentant d'un certain district, et non personnellement. Personnellement, j'ai le plus grand respect envers lui, et je pense qu'il est un bon représentant et un honnête homme.
M. Schmidt appuie l'amendement de M. Riel.
M. Bunn — Je voudrais dire, pour soutenir la motion de M. Sutherland, que même si nous discutions de ce sujet et que les deux points de vue aient le même mérite, nous ne devrions tout de même pas entrer tout de suite dans la Confédération en tant que Province. En entrant en qualité de Territoire, nous avons quatre ou cinq ans d'expérience et nous ne mettons pas fin à la discussion — nous ne faisons que prendre un peu plus de temps.
M. Riel — Je ne comprends pas pourquoi l'on s'oppose à la discussion. Pourquoi ne pas examiner les deux points de vue? Nous ne devons pas nous laisser décourager par le temps que cela prend car la question que nous examinons est importante.
M. Ross — Je pense que nous devrions discuter du mérite de la question et que nous arriverons alors à une décision juste. Je ne suis pas favorable à notre entrée en tant que Province, mais je ne m'oppose pas à ce que nous en discutions.
M. Bunn — L'opinion de M. Ross confirme mon point de vue. Tous les membres de la Convention écoutent ce qu'il a à dire, et il dit qu'une fois qu'il nous aura donné tous les renseignements possibles, nous ne chercherons pas à entrer dans la Confédération en tant que Province.
L'amendement de M. Riel est mis aux voix et adopté :— Oui, 20; Non, 19.
Un intervalle d'un quart d'heure s'ensuit, après quoi
M. Ross demande la permission de faire quelques remarques sur la question de savoir s'il est souhaitable d'entrer dans la Confédération en tant que Province ou plutôt en tant que Territoire. Tout d'abord, dit-il, je dirai en un mot que je m'oppose à notre entrée en tant que Province et je suis certain que ma position vous paraîtra juste et bonne; c'est une position favorable aux intérêts des gens de ce pays. Si nous entrons en tant que Province, la première chose que j'ai contre cela, parmi d'autres, c'est que la personne à qui nous demanderons de nous représenter au Sénat du Dominion doit posséder, selon l'Acte d'union fondamental, 4000 $ sous forme de propriété foncière ou de bâtiments, qui ne soient grevés d'aucune obligation. Étant donné nos circonstances particulières, je pense que ceci serait à notre désavantage. La deuxième chose que je veux mentionner est que le Sénateur, même s'il possède les biens en question, doit être nommé par le Gouverneur Général du Canada, et non élu par nous (bravos). Et l'homme qui sera ainsi nommé peut nous être totalement hostile sur tous les plans. En outre, conformément à la constitution, après le recensement de 1871, nous perdrions un grand nombre des représentants que nous demandons actuellement en tant que Territoire. Nous demandons à avoir quatre représentants en tant que Territoire et, tout bien considéré, nous les obtiendrons peut-être. Mais si nous entrons en tant que Province, après le recensement de 1871, c'est-à-dire l'an prochain, nous en perdrions trois, ou nous pourrions les perdre tous, parce que, conformément à la loi qui régit la Confédération, nous devons avoir une certaine population avant de pouvoir être représentés au Parlement fédéral. Quatrièmement, le Parlement du Dominion a le contrôle absolu de tous les fonds utilisés pour des fins publiques, qu'il peut distribuer comme bon lui semble, sans écouter nos suggestions ou nos volontés et sans que nous ayons un contrôle quelconque. Il a le droit d'imposer des taxes comme il l'entend pour des fins publiques. Ce n'est pas une chose à laquelle nous avons pensé lorsque nous établissions les conditions de notre entrée en tant que Territoire. Je ne dis pas qu'il y ait en cela beaucoup à craindre pour le peuple de ce Territoire, mais je préférerais ne pas prendre le risque. Si nous entrons en tant que Province— et c'est là ma cinquième objection —, le Dominion a parfaitement le droit d'annuler n'importe quelle décision prise par notre Législature locale. Or, le contenu et l'esprit mêmes de nos discussions passées montrent que nous voulons garder le contrôle de nos affaires locales. S'étant étendu sur ce point, M. Ross poursuit en disant – Je tiens à attirer votre attention sur le grand poids que nous avons donné aux conditions du droit de vote, comme le prouve le fait que nous avons passé plus d'une journée à discuter de la question. Si nous entrons dans la Confédération en tant que Province, nous devons immédiatement nous conformer à ce qui prévaut dans le Dominion en ce qui concerne les conditions du droit de vote. Nous ne pouvons pas nous attendre à avoir des privilèges exclusifs si nous voulons immédiatement devenir une Province. En outre – et c'est là le prochain point – en vertu de la loi de la Confédération, le Canada a le droit exclusif de légiférer en ce qui concerne la dette publique. Selon les dispositions proposées pour notre entrée en tant que Territoire, nous réglons la dette publique tout de suite et nous le faisons d'une manière qui ne peut jamais nous faire du tort, même si nous devenons par la suite une Province du Dominion (acclamations). De même, le Dominion a le droit exclusif de légiférer en ce qui concerne la milice du pays. Voulons-nous nous exposer à la possibilité de nous faire enrôler dans la milice du Dominion si nous ne le souhaitons pas (bravos)? Une Province a le droit d'imposer des impôts directs et cela pourrait ne pas être une mauvaise chose, si nos gens avaient toujours le contrôle de la Législature locale. Mais il peut venir un temps où des étrangers, qui ne pensent pas du tout comme nous, exerceront ce droit et où nous n'aurons que très peu voix au chapitre sur la question (acclamations). Tant que nous restons un Territoire, dans les conditions que nous avons établies, nous n'avons pas à craindre des impôts directs, sauf sous le contrôle de la Législature locale. On nous a aussi dit qu'en tant que Province, nous pourrons emprunter de l'argent, mais ceci pourrait ne pas être un avantage. Le peuple de la Rivière-Rouge, s'il a le droit d'emprunter sur le crédit public, ne pourrait emprunter que sur les terres du pays.
M. Riel — Je n'admets pas cela.
M. Ross — Nous ne pouvons nous procurer de l'argent qu'ainsi, et dès que nous commencerons à essayer de réunir des fonds de cette façon, nous découragerons l'immigration. Tout l'argent que nous pouvons judicieusement nous procurer sur nos terres publiques ne serait pas suffisant, à mon avis, pour payer l'arpentage et la gestion de ces terres. Une autre raison pour laquelle nous ne devrions pas entrer dans la Confédération en tant que Province est que le Dominion a le droit de nommer tous nos Juges.
M. Riel — Vous avez été à Toronto et seriez choisi.
M. Ross — Si je ne pensais qu'à mon propre intérêt, je serais peut-être favorable à l'entrée de ce pays en tant que Province, mais ce ne serait pas dans l'intérêt des habitants du pays. Après avoir dit que les gens de la Rivière-Rouge étaient des gens particuliers, M. Ross continue à présenter ses arguments contre l'entrée du pays dans le Dominion en tant que Province.
M. O'Donoghue — J'ai entendu beaucoup de discours éloquents sur ce sujet. Je vais tout d'abord faire allusion à celui de M. Ross. En commençant son discours, il dit que, conformément à la constitution, si nous entrions en tant que Province, nous n'aurions pas droit à plus d'un représentant, et peut-être même à un demi représentant. J'estime que ceci n'est pas cohérent avec le point de vue qu'il a adopté à l'occasion d'une discussion précédente, où il nous avait dit qu'un représentant pourrait défendre nos intérêts aussi bien que trois ou quatre représentants. Je ne m'étais pas trop opposé à cela parce que je savais que c'était vrai. Je tiens donc à dire que si c'était vrai il y a deux jours, c'est aussi vrai aujourd'hui. En conséquence, l'argument de M. Ross ne vaut pas. En ce qui concerne les 4000 $ de biens sans dette qui sont exigés pour faire partie du Sénat, n'oublions pas, lorsque nous parlons de la Constitution de la Confédération à ce sujet ou dans d'autres contextes, qu'elle a été établie lorsque le Nord-Ouest ne faisait pas partie du Dominion (bravos). Et j'ajouterai que vous trouverez, dans les Provinces qui font déjà partie de la Confédération, des choses qui ne sont pas conformes à la Constitution de la Confédération. À Terre-Neuve, par exemple, ils ont le suffrage universel. Pensez-vous qu'ils vont changer les conditions du droit de vote? Jamais. Et si le Nord-Ouest entre dans la Confédération, pourquoi n'établirait-on pas des règles spéciales s'il entre en tant que Province, aussi bien que s'il entre en tant que Territoire? Si, en vertu de la Constitution de la Confédération, nous pouvons obtenir les droits que nous demandons en tant que Territoire, pourquoi ne pourrions-nous pas, de la même façon, les obtenir si nous entrons dans la Confédération en tant que Province? (acclamations). Encore une fois, je ne suis pas d'accord avec M. Ross lorsqu'il dit que le Canada peut nous attribuer n'importe quelle part de la dette du Dominion. Cela serait sans précédent et je suis sûr qu'aucune des personnes qui, dans ce pays, souhaitent que nous entrions dans le Dominion en tant que Province ne le ferait si nous devions partager la dette publique du Canada. M. Ross a soulevé tant de points que je n'arrive pas à me souvenir de tous. Il a fait allusion, entre autres, à la milice. Il dit que si nous entrons en tant que Province, le Gouvernement général contrôlera la milice ici. Si c'est le cas, je suis surpris que M. Ross, en tant que membre du comité, n'ait pas pensé à empêcher ceci dans la déclaration des droits. Je ne trouve rien dans cette déclaration qui les empêche de nous forcer à aller nous battre au nom du Canada, que nous soyons un Territoire ou une Province. En ce qui concerne la modification de la Constitution, M. Ross a déclaré que si la Province la modifiait, ce serait la ruine du pays. À cela, je réponds simplement que si ce pouvoir de modification est accordé, il s'accompagne du pouvoir d'abroger n'importe quelle loi d'une Législature précédente qui serait considérée comme nuisible à la Constitution. Si l'on considère que la loi est mauvaise pour le pays, elle peut être abrogée.
M. Ross — Mais à ce moment-là, il se peut que le pouvoir soit entre les mains d'étrangers.
M. O'Donoghue — En ce qui concerne le fait que le Gouverneur Général est chargé de nommer tous les Juges, je suis très heureux que M. Ross nous l'ait remis à l'esprit. Nous avons oublié d'inclure dans la déclaration des droits quelque chose à ce propos. Si le Gouverneur Général a le droit de nommer les Juges dans une Province, il aura bien entendu le même droit pour un Territoire, s'il n'existe aucune condition spéciale qui l'en empêche. M. Ross a aussi parlé de nous procurer de l'argent sur les terres publiques, en déclarant que l'argent ainsi recueilli ne suffirait pas pour payer l'arpentage. Ma question est la suivante : en tant que Territoire, existe-t-il une condition qui précise que nous ne devons pas payer pour l'arpentage des terres?
M. Ross — En tant que Territoire, nous n'avons rien à faire avec les terres.
M. O' Donoghue — Nous n'y renonçons pas, et je pense que nous ne devrions pas y renoncer. Nous recueillons l'argent sur toutes les terres, et non sur nos fermes, et je suis sûr que le Nord-Ouest peut recueillir autant d'argent que n'importe quelle autre Province, sans doute.
M. Riel — C'est exactement pour cela qu'ils veulent le Nord-Ouest, pour en tirer de l'argent.
M. O'Donoghue — Je ne prends pas position en faveur de notre entrée en tant que Province ou que Territoire. Il faut réfléchir à bien des choses. M. O'Donoghue fait alors un grand discours sur les richesses du Territoire, en disant qu'un Gouvernement provincial pourrait gagner de l'argent sur ces terres, qu'il ne faut pas donner les terres publiques au pays auquel ils vont se joindre, qu'en entrant dans la Confédération, nous aurons autant de droits sur les terres canadiennes que le Canada en aura sur les nôtres. Pour appuyer cette dernière déclaration, il cite l'exemple du Texas, qui a gardé ses terres publiques lorsqu'il s'est joint à l'Union. On a laissé entendre que si nous ne faisions pas affaire avec le Canada tout de suite, nous devrions nous retrancher sur nos positions et rester comme nous sommes à présent. Ce serait peut-être la meilleure chose. Il ne voit pas pourquoi nous devrions nous dépêcher d'entrer dans la Confédération. Ne réussirions-nous pas mieux en tant que Colonie indépendante, ou n'importe quoi d'autre, ou presque? Nous sommes indépendants à présent. Pourquoi ne pas continuer? On dit que nous sommes tous riches. Pourquoi ne pas continuer? Pourquoi, comme y a fait allusion le Président, ne pas choisir une autre possibilité, l'annexion? Si nous choisissons l'annexion aux États-Unis, nous n'aurons pas à renoncer à notre territoire, à nos droits ni à nos privilèges.
M. Riel, en français, complimente M. O'Donoghue sur son discours et indique qu'il est d'accord sur les points principaux. Ensuite, M. Riel se penche sur les détails de la discussion. En ce qui concerne le problème des Juges et les autres points soulevés, il déclare que nous avons établi certaines conditions en tant que Territoire et que notre entrée dans la Confédération en tant que Province ne nous enlèverait pas le droit d'établir des restrictions. Ayant parlé d'autres sujets, M. Riel aborde de nouveau la question du temps passé par les membres de la Convention à discuter, qui avait été soulevée par certains membres, et insiste sur le fait que, pour des questions qui ont des retombées si essentielles, les délégués devraient prendre tout le temps nécessaire. M. Riel fait allusion à une remarque faite par M. Ross en comité, selon laquelle cela pourrait être une bonne chose pour nous d'attendre un peu avant d'entrer dans la Confédération, comme cela a été une bonne chose pour la Nouvelle-Écosse. Il (M. Riel) est content d'entendre une autorité comme M. Ross s'exprimer sur la question. Il ne demande pas que l'on attende aussi longtemps que la Nouvelle-Écosse l'a fait, mais que l'on retarde l'entrée s'ils refusent d'accorder ce que les membres de la Convention demandent.
M. Fraser — Tout le monde a pris une décision, sans aucun doute. En conséquence, je propose que, conformément à l'opinion des membres de la Convention, nous entrions dans la Confédération en tant que Territoire.
M. Tait appuie la motion.
M. Ross s'étant exprimé contre l'idée d'entrer dans la Confédération en tant que Province,
l'amendement de M. Fraser est mis aux voix et adopté :— Oui, 24; Non, 15.
M. Ross, appuyé par M. Taylor, propose qu'au cours de la soirée, les Secrétaires fournissent à M. Smith la Liste des droits qui est adoptée et que demain celui-ci vienne donner son opinion sur la liste.
M. Riel dit qu'il voudrait ajouter un autre article à la liste. Il propose un amendement, appuyé parM. Poitras, pour que demain, les membres de la Convention examinent un article à ajouter à la liste, selon lequel toutes les négociations entreprises avec la Compagnie de la Baie d'Hudson pour le transfert du Territoire soient considérées comme nulles et les dispositions relatives au transfert de ce pays soient prises uniquement avec le peuple de ce pays.
M. Ross demande et obtient la permission de retirer son amendement afin de permettre la discussion sur le point soulevé par M. Riel.
À sept heures du soir, la séance est levée jusqu'à dix heures le lendemain.

Source:

Manitoba. La Grande Convention Debates. Édité par Norma Jean Hall. 2010. Numérisé par la Province du Manitoba.

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